Lyncée
Tragédie

PAR Mr. ABBEILLE44

A LA HAYE, Chez ADRIAN MOETJENS, Marchand Libraire prez de la Cour, à la Librairie45 Françoise,
1681.

Édition critique établie par Housna Badat dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier

2006-2007

Introduction §

En 1678, une nouvelle pièce, Lyncée, est créée sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne : son créateur, Gaspard Abeille, même s’il est loin d’avoir joui de la reconnaissance d’un Racine ou même d’un Rotrou, en est à sa troisième tragédie. Mais, pour la première fois, il a choisi un sujet issu de la mythologie grecque, celui des Danaïdes. Or c’est une légende connue de tous ses contemporains et nombre d’auteurs, anciens ou contemporains, se sont déjà intéressés à ce sujet : nul n’ignore les célèbres Suppliantes d’Eschyle, l’Héroïde XIV d’Ovide ou encore, mais moins connue, Les Danaïdes de Gombauld, créée en 1644. L’abbé Abeille a obéi ainsi aux usages du XVIIe siècle en ce sens que, pour se faire reconnaître en tant que dramaturge par ses contemporains, il a dû s’inscrire dans la lignée des Anciens et reprendre un sujet mythologique et montrer la valeur de sa création poétique. De fait, après cette tragédie, qui a eu toutefois un succès médiocre, Abeille s’est fait incontestablement connaître puisque, alors même que Lyncée a été sa dernière tragédie publiée et qu’aucune de ses autres pièces ne l’ont été, en 1704, il a succédé à Charles Boileau à l’Académie Française.

Rétrospectivement, on peut donc penser que cette tragédie à sujet mythologique grecque, Lyncée, a constitué un tournant dans la vie d’Abeille ; et en effet, cette pièce semble avoir assis sa réputation de Poète auprès de ses contemporains, d’autant que Lancaster, qui recense toutes les pièces du Grand Siècle, voit Lyncée comme la pièce la plus achevée du dramaturge. Mais alors qu’il est d’usage pour tout dramaturge de débuter par la reprise d’un mythe antique, Abeille a attendu sa troisième tragédie pour reprendre la légende des Danaïdes. Si encore aujourd’hui le châtiment des Danaïdes aux Enfers est très connu, celui du tonneau qui ne se remplit jamais, il était encore plus connu pour les érudits du dix septième siècle qui connaissaient parfaitement les textes latins et grecs. Et en effet, on trouve une évocation du mythe dans le plus célèbre ouvrage de théorie dramatique au XVIIe siècle : La Poétique d’Aristote, dans lequel l’auteur cite une pièce que l’on a jamais retrouvée, intitulée Lyncée.

Gaspard Abeille : aperçu biographique §

Gaspard Abeille naquit en 1648 à Riez en Provence, une petite ville de l’actuel département des Alpes de Haute Provence. Il nous reste peu d’éléments sur sa vie. On ne sait à quel moment, ni par quels appuis, De toute évidence, très jeune il obtint un bénéfice ecclésiastique (il obtint la charge d’abbé du Prieuré de Notre-Dame de La Merci, situé à Clermont-Ferrand), ce qui lui permit, semble-t-il, de se consacrer à la poésie. Il fut aussi attaché au Maréchal de Luxembourg, François-Henri de Montmorency-Bouteville dont il fut le secrétaire, mais également au duc Louis II de Vendôme et il devint plus tard secrétaire général de la province de Normandie. Ainsi, c’est à travers sa plume qu’il acquit sa réputation et le 11 août 1704, il entra à l’Académie Française, succédant alors à Charles Boileau.

Il créa en 1673 sa première tragédie, en cinq actes, Argélie, reine de Thessalie (imprimée en 1676), le Coriolan en 1676 et, en 1678, sa troisième et dernière tragédie publiée, Lyncée. Le dramaturge aurait écrit quatre autres tragédies : Hercule, Soliman, Silanus et La Mort de Caton et deux opéras : Hésione et Ariane (seules les deux premières pièces citées furent publiées) ainsi que deux comédies (La fille valet et Crispin Bel Esprit) sous le nom d’un comédien contemporain, La Thuillerie, de son vrai nom Jean-François Juvénon. Ceci s’explique par cette anecdote :

On pourrait réunir au Théâtre de l’abbé Gaspard Abeille les tragédies de Soliman et d’Hercule, ainsi que la comédie de Crispin bel esprit, qui forment presque tout le bagage dramatique de la Thuillerie, à qui le bon abbé les avait confiés pour les faire jouer sous son nom, après la chute de Lyncée. Il est probable aussi que le roi et Mme de Maintenon lui avaient fait faire des reproches sur ce qu’il compromettait sur la scène son titre de prieur de Notre-Dame de la Mercy. La Thuillerie, quoique comédien, était l’ami de l’abbé réprimandé ; il se déclara l’auteur des pièces qu’on lui prêta, et n’en voulu pas démordre1.

La rumeur est donc née de cette anecdote. Une fois à l’Académie Française, Abeille renonça à sa carrière de dramaturge et écrivit de nombreux discours et odes pour l’Académie Française. Il mourut à Paris le 22 mai 1718 et lors discours de réception de Mongault, son successeur à l’Académie Française, Sacy compare les opéras d’Abeille à ceux de Quinault, ce qui prouve que, même si son nom nous est aujourd’hui inconnu, il eut tout de même une certaine notoriété dans la deuxième moitié du dix-septième siècle.

Lyncée, par Gaspard Abeille §

Résumé de la pièce §

La tragédie d’Abeille s’ouvre sur une conversation entre les deux personnages épisodiques, Erigone, sœur de l’ancien roi d’Argos et amante de Danaüs, avec son fils, Iphis. Celui-ci lui fait part de son désespoir, face à l’indifférence d’Hypermnestre, fille aînée de Danaüs dont il est follement amoureux mais qui le rejette en faveur de Lyncée, neveu de Danaüs. Elle essaie de le tranquilliser en lui faisant part d’un complot qu’elle ourdit contre Danaüs, feignant d’avoir des sentiments pour lui mais cherchant en fait à venger son frère Sténélus. Toutefois Erigone refuse de lui avouer son plan (I, 1). C’est à sa suivante Dircé qu’elle confie son secret : elle nourrit en réalité une amour secret pour Lyncée (I, 2). Son complot se précise lors d’une entrevue avec Danaüs : celui-ci ne peut se résoudre à demander à sa fille favorite, Hipermestre, de sacrifier son futur époux Lyncée la nuit de leurs noces, comme il l’a demandé à toutes ses autres filles. C’est ici qu’apparaît l’explication : l’oracle lui a prédit qu’il sera tué par le fer de l’un de ses gendres et pour éviter que cela ne se produise, et sur les conseils fourbes d’Erigone, il organise le massacre de ses neveux, malgré ses scrupules (I, 3).

Et ses craintes sont avérées puisque Lyncée et Hipermestre sont secrètement des amants de longue date, engagés l’un envers l’autre bien avant la fuite de Danaüs d’Egypte (II, 1). Ils sont interrompus par Danaüs : il feint un quelconque prétexte pour éloigner Lyncée de sa fille (II, 2) pour pouvoir lui parler du danger qui le guette et lui fait part de son projet meurtrier (II, 3), la laissant face à un véritable dilemme (II, 4).

Cependant, Erigone nourrit quelques doutes, sachant la faiblesse de Danaüs et son amour pour Hipermestre. Elle envoie Dircé prévenir Lyncée du complot qui se trame contre lui (III, 1). Iphis arrive sur ces entrefaites et tout en ignorant le complot, il laisse supposer à sa mère qu’Hipermestre s’est résignée à obéir à son père (III, 2). Danaüs apparaît alors pour confirmer cette nouvelle mais annonce un délai aux noces (III, 3). Erigone semble surprise de la décision d’Hipermestre (III, 4) mais satisfaite de son plan. Elle est interrompue par Dircé qui revient de son entrevue avec Lyncée (III, 5) : ce dernier vient alors à sa rencontre, sans arme, et refuse de croire en la duperie de son amante. Erigone lui révèle pourtant le massacre de ses frères et lui propose de s’enfuir avec elle, le laissant entrevoir son amour pour lui (III, 6). Horrifié, il refuse et court remettre sa vie entre les mains d’Hipermestre, qui venait à sa rencontre pour le sauver et l’aider à fuir (III, 7).

Danaüs, ne doutant pas de l’obéissance de sa fille et ignorant cette fuite, la donne en mariage à Iphis (IV, 1) ; Hipermestre apparaît alors et son père découvre sa trahison (IV, 2). C’est alors qu’on apprend que Lyncée a réussi à rejoindre sa flotte et à fuir de Nauplie. Hipermestre révèle alors à son père le complot d’Erigone et son amour coupable pour Lyncée (IV, 3), laissant un Danaüs en proie au doute et accablé par son propre malheur (IV, 4). Il demande des explications à Erigone qui feint l’indignation et réitère sa sincérité envers lui, regagnant ainsi la confiance du roi (IV, 5). À ce moment, on apprend que Lyncée et sa flotte reviennent à la charge pour réclamer son épouse et Danaüs, résigné, décide de se livrer aux coups de Lyncée dont il a tué tous les frères (IV, 6).

Toutefois, Erigone refuse un tel dénouement et ordonne à Iphis d’accomplir l’oracle en se servant du fer que Lyncée avait abandonné lors de leur entrevue ; celui-ci, malgré ses réticences, accepte à contrecœur mais promet de se tuer (V, 1) ; néanmoins Erigone refuse de se laisser distraire de son projet de vengeance (V, 2). Elle convainc d’ailleurs Danaüs de ne pas se livrer à Lyncée, feignant toujours d’avoir des sentiments sincères envers lui (V, 3). Elle parvient même à convaincre Hipermestre de cette sincérité, qui par conséquent, soupçonne Lyncée de l’avoir dupée (V, 4). Un serviteur arrive pour leur annoncer le dénouement : Danaüs, accompagné d’Iphis, court à la rencontre de Lyncée mais celui-ci refuse de s’en prendre au père de sa maîtresse et c’est alors qu’Iphis se retourne contre Danaüs et le tue avec l’épée de Lyncée avant de se donner la mort (V, 5). Le projet d’Erigone mené à terme, l’oracle accompli, Erigone se retire de la scène, laissant une Hipermestre en proie à ses malheurs et à ses remords, laissant ainsi les amants libres de monter sur le trône d’Argos (V, 6).

Réception de la pièce §

La pièce qui nous intéresse ici est donc la dernière tragédie publiée de l’auteur, mais la plus réussie selon Lancaster. Elle est représentée pour la première fois le 25 février 1678 sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne. D’après le Mémoire de Mahelot, le décor est décrit comme « un palais à volonté », donc il nous reste peu de détails sur les conditions même de la représentation et on ignore exactement quels en ont été les comédiens. De plus, si le nombre de représentations reste un mystère, Lancaster note que lorsque la troupe des comédiens quitte l’Hôtel de Bourgogne en août 1680 pour la Comédie-Française, la pièce ne figure plus dans leur répertoire et elle ne sera plus jamais rejouée. Cependant, il est certain qu’elle a eu du succès, comme l’atteste le Mercure Galant du 28 février 1678 : la pièce fut « extraordinairement applaudi. Les vers en sont beaux, les pensées brillantes et dignes de l’Auteur du Coriolan ».

Toutefois, il est possible de se livrer à quelques suppositions à partir d’Iphigénie de Racine, créée par la même troupe en 1674, soit quatre ans avant celle d’Abeille, et dont le schéma dramatique est proche : les deux rôles féminins d’Erigone et d’Hypermnestre ont dû se partager entre la Champmêlé et mademoiselle Beauchâteau qui jouaient respectivement Iphigénie et Clytemnestre. Le rôle d’Agamemnon était joué par Lafleur et on peut penser qu’il a conservé ce rôle de roi dans Lyncée. Et enfin, Hauteroche jouait le rôle d’Achille et donc du jeune héros. Cependant, tout cela n’est évidemment que suppositions ; toutefois, la composition de la troupe de l’Hôtel de Bourgogne étant la même de 1674 à 1678, elles restent vraisemblables.

Mais s’il y a peu de renseignements à propos des circonstances de la création de Lyncée, il y a en a également peu à propos de se publication. En effet, la pièce a été publiée en 1681, soit trois ans après la création de la pièce, par un Libraire hollandais, Adrian Moetjens en format in-12. Cette édition ne compte ni privilège du Roi, ni dédicataire, ni une quelconque préface de l’auteur. Les seules pages non chiffrées sont celles de la page de titre et de la liste des acteurs. L’édition comporte 52 pages chiffrées à partir de 3.

Ainsi, tout laisse à croire qu’elle ne fut pas publiée de la volonté de son auteur. D’ailleurs, dans un ouvrage du XVIIIe siècle, Mouhy, l’auteur de l’Abrégé de l’Histoire du théâtre françois, constate que « les fautes s’y trouvent en si grand nombre, qu’il n’y a pas lieu de croire qu’elle soit faite du gré de l’auteur2 ». Et enfin, on note une probable erreur de graphie sur la page de titre elle-même, sur le nom de l’auteur. Tous ces indices nous laissent donc penser qu’on a ici affaire avec une édition pirate du Lyncée d’Abeille.

Il est cependant surprenant de trouver, dans cet ouvrage de Mouhy qui évoque l’édition hollandaise que nous avons étudiée, que cette édition s’est faite en in-8 alors que l’édition que nous avons consultée, unique édition disponible, se trouve en in-12. Plusieurs explications sont possibles : soit il y a eu d’autres éditions du vivant de l’auteur mais dont nous n’avons gardées aucune trace, soit l’édition dont Mouhy parle date du XVIIIe siècle et ne nous est pas parvenue, et enfin, il est possible qu’il s’agisse d’une simple erreur dans un ouvrage qui recense toutes les pièces de théâtre « depuis son origine jusqu’en 1780 ».

Fortune du sujet §

Bien que la pièce ait eu un succès très relatif et que l’auteur ne soit pas passé à la postérité, l’attention étant monopolisée par Racine, Molière ou Rotrou, cette pièce d’Abeille a connu un certain retentissement puisqu’on l’a considérée comme l’une des plus réussies du dramaturge. De plus, son entrée à l’Académie Française ainsi que sa popularité auprès de ses contemporains - on a parlé de son influence sur La Thuillerie -, apportent la preuve que ses qualités poétiques, au sens large du terme, étaient reconnues.

En outre, en s’attaquant à un sujet tel que celui des Danaïdes, Abeille choisit de se tourner à nouveau vers les sujets mythologiques. Ce choix s’explique aisément puisque tous les « nouveaux » dramaturges suivent cette règle implicite, celle de suivre les Anciens, mais surtout il s’inscrit dans cette volonté que l’on voit ressurgir dans les années 70 de revenir aux grandes tragédies mythologiques. En effet, Lyncée est créée en 1678, juste après les Iphigénie , celle de Racine en 1674, celle de Leclerc et Coras en 1675, mais aussi les Phèdre, celles de Racine et de Pradon en 1677. D’ailleurs, cette petite chronologie explique pourquoi la pièce de l’abbé Abeille a été éclipsée à ce point.

La première occurrence de cette légende mise au théâtre nous vient donc d’Aristote qui évoque à deux reprises le Lyncée de Théodecte de Phasélis, un contemporain d’Aristote mais dont la pièce s’est perdue. La première occurrence survient au sujet des péripéties :

La péripétie est le revirement de l’action dans le sens contraire, suivant ce qui a été dit ; et cela, encore une fois, selon la vraisemblance ou la nécessité ; […] et dans Lyncée on emmène Lyncée pour le faire mourir et Danaos le suit pour le tuer ; or, le cours des évènements fait que c’est Danaos qui périt et l’autre qui est sauvé [Chapitre 11, § 1452a]3.

Et nul doute qu’Abeille s’est inspiré d’Aristote puisque c’est à partir du XVIe siècle qu’on découvre l’importance de cette œuvre, d’autant plus que cette légende de Danaos se retrouve dans les ouvrages antiques qu’on utilisait en version pour enseigner les langues latine et grecque.

Quant aux péripéties dont parle Aristote, il semble que les choix dramaturgiques soient proches de ceux d’Abeille, grâce à l’épisode inventé du complot contre Danaüs. D’ailleurs, ceci confirme qu’il s’agit bien ici d’une pièce à dénouement rabattu : tout est mis en œuvre par le dramaturge pour aboutir à ce dénouement.

Et c’est justement à ce propos que survient la seconde occurrence de Lyncée dans La Poétique :

J’appelle nœud la tragédie depuis le commencement jusqu’à cette partie, qui est la dernière, d’où procède le revirement vers le bonheur ou le malheur ; et dénouement la tragédie depuis le commencement de ce revirement jusqu’à la fin, ainsi dans le Lyncée de Théodecte, le nœud comprend les événements antérieurs plus l’enlèvement de l’enfant et en outre … [le dénouement] va de l’accusation de meurtre à la fin [Chapitre 18, § 1455b]4.

Abeille a donc disposé de la source indéniable et prestigieuse qu’est Aristote qui en parle comme le meilleur exemple de retournement de situation, d’autant qu’il a tout mis en œuvre pour reproduire une telle péripétie. Mais, si le poète dramatique reprend la matrice légendaire relayée par les auteurs antiques, il a repris lui-même le sujet d’une tragédie d’un dramaturge de la génération qui le précède, Gombauld, auteur des Danaïdes dont nous parlerons un peu plus loin. Et à sa suite, ce sujet mythologique est remis sur les planches à deux reprises, mais dans des perspectives différentes à chaque fois, selon les préoccupations de leurs époques. On note donc la tragédie de Riupeirous, Hypermnestre (1704), [année où Abeille entre à l’Académie Française] et celle de Le Mierre (1758), qui s’inscrit plus dans une perspective voltairienne de tragédie philosophique.

Traitement des sources §

La source mythologique : les Danaïdes §

Le mythe que le dramaturge a choisi pour sa pièce est l’une des légendes grecques les plus connues et les plus fondatrices de l’Histoire: c’est celle du destin tragique de Danaos et des « noces sanglantes » de ses filles, les Danaïdes, selon la formule de Jean-Noël PASCAL (Les noces sanglantes : Hypermnestre du Baroque aux Lumières, 1999).

Les sources antiques §

Ce mythe nous est parvenu à travers les écrits des plus grands auteurs antiques, que ce soit sous forme de manuels de mythologie, de tragédies ou encore d’épîtres, tous écrits au premier siècle avant Jésus-Christ :

  • – La Bibliothèque d’Apollodore l’Athénien5 relate toute la généalogie de Danaüs qui descend de Zeus, la querelle avec son frère Egyptus, qui a débouché sur le massacre des Egyptiades, ses cinquante fils.
  • – Les Fables6 d’Hygin, se présente sous la même forme que le précédent et donne les mêmes éléments de généalogie de Danaüs et son destin tragique dans lequel il entraîne ses filles.

Les Suppliantes d’Eschyle se situe avant la nuit des noces : on assiste à l’arrivée de Danaüs et de ses filles à Argos, poursuivi par les fils d’Egyptus et demandant l’asile au roi Pélasgus.

  • – La XIVe Héroïde d’Ovide se présente sous la forme d’un discours qu’Hypermnestre adresse à Lyncée, après les tragiques événements : elle fait un récit de ce qui s’est produit, de son dilemme et de sa décision. C’est une source très précise qui a pour principal intérêt de réunir tous les éléments du mythe avec une description détaillée de la nuit des noces, qu’Abeille a choisi de mettre en avant dans sa tragédie.

Le mythe lui-même §

On ne peut comprendre la sombre destinée des Danaïdes sans expliquer toute la légende qui entoure la dynastie dont elles sont issues et leur rôle dans la mythologie fondatrice du rapprochement entre les Grecs et les Egyptiens. En effet, si les auteurs antiques divergent sur l’étendue de sa lignée, ils sont tous unanimes sur le prestige de cette lignée.

La généalogie des Danaïdes remonte à Inachus, fils de l’Océan et de Téthys ; métamorphosé en fleuve, il donna son nom au cours d’eau qui arrose la ville d’Argos. La plupart des tragédiens qui y font référence procèdent à un raccourci en présentant la nymphe Io comme fille d’Inachus, connue pour ses amours avec Zeus mais surtout pour sa métamorphose en vache, fruit de la jalousie de Junon (cf. Les Métamorphoses d’Ovide, Tome I, livre I, XII de l’édition de Thomas Corneille en 1651). Prêtresse de Junon à Argos, Io se vit la proie des assauts amoureux de Zeus mais la jalouse Héra la transforma en vache. Zeus continua tout de même son entreprise de séduction et Héra lança sur la nymphe transformée un taon qui l’affola et la poursuivit à travers l’Europe, l’Asie, sans même lui permettre d’être délivrée de l’enfant conçu du dieu. Elle erra donc ainsi jusqu’en Egypte où Zeus finit par la délivrer de son supplice en lui redonnant sa forme humaine, lui permettant ainsi de donner le jour à son fils, Epaphus. C’est de cet illustre ancêtre, issu du roi des dieux, que descendent les rois d’Egypte.

Ainsi, Epaphus, en Egypte, épousa alors Memphis, fille du fleuve et donna naissance à Libye, qui conçut elle-même deux jumeaux de Poséidon, Agénor et Bélus. Le premier partit en Phénicie mais Bélus resta en Egypte où il devint roi. Il épousa une fille du Nil nommée Anchinoé et de son mariage naquirent deux jumeaux : Egyptus et Danaüs. Bélus partagea son royaume en deux parts et donna ainsi la Libye à Danaüs et l’Arabie à Egyptus. Selon la légende, ils prospérèrent chacun de leur côté au départ mais une querelle éclata entre les deux frères ; pour s’assurer les droits royaux sur le territoire de Danaüs, Egyptus prétendait vouloir acquérir la main des 50 filles de son frère pour les donner à ses cinquante fils, les Egyptiades. Danaüs eut peur de son frère et de ses 50 fils : il finit par s’enfuir avec ses filles, sur les conseils de Minerve.

Il fit donc construire ce qui fut le premier vaisseau à deux proues, le Pentécontore, du nombre de ses filles. C’est ainsi qu’il parvint à Argos où régnait alors Gélanor (encore appelé Pélasgus par Eschyle, ou encore Sténélée par Gombauld et Sténélus par Abeille). Celui-ci lui céda facilement la couronne (il n’y a de détail de cette reddition dans aucun des textes antiques qui nous est parvenu ; c’est ce qui va d’ailleurs permettre à Abeille de créer cet épisode-clé qu’est la vengeance d’Erigone).

D’après le récit dont s’inspira Eschyle pour écrire ses Suppliantes, une épopée en vers d’un poète inconnu sur les Danaïdes (épopée qui date vraisemblablement de la première moitié du VIe siècle avant J.C.), les Pélasges qui occupaient l’Argolide, acceptèrent de donner asile aux fugitifs mais les fils d’Egyptus, lancés à leur poursuite, débarquent à leur tour et Danaüs, craignant un affrontement, feignit d’accorder la main de ses filles à ses neveux. Dans la Bibliothèque d’Apollodore l’Athénien, on trouve la liste détaillée des cinquante mariages qui eurent lieu, les couples se formant par un tirage au sort qui respectait cependant le rang dont chacune des parties était issue. Ce ne fut cependant pas le cas pour deux des Danaïdes, dont Hypermnestre qui échut à Lyncée, issu de sang royal.

Mais ce consentement dissimulait en réalité un complot : en effet, Danaüs offrit à chacune de ses filles une dague, avec ordre pour chacune d’enivrer leur époux lors des noces et de les assassiner alors qu’ils seraient endormis, la nuit même de leurs noces. Une seule d’entre elles passa outre l’ordre de son père : Hypermnestre épargna ainsi Lyncée, par égard pour sa vertu et l’aida même à s’enfuir. L’Héroïde XIV d’Ovide offre un récit précis de cette nuit terrible, relatée par Hypermnestre elle-même, s’adressant à Lyncée alors qu’elle est emprisonnée par son propre père. Quant aux autres Danaïdes, elles furent toutes punies par le châtiment très connu du tonneau percé, condamnées à le remplir éternellement.

Toutefois, Eschyle s’attache à montrer la stricte équité entre la démesure des Egyptiades qui cherchaient à mener à bien leur projet de mariage forcé et celle des Danaïdes, atténuant ainsi leur responsabilité. Mais juste après le massacre des Danaïdes, et avant la punition aux Enfers, le sort des quarante-neuf sœurs fut sans doute celui auquel fait allusion Pindare : on organisa pour la première fois les Thesmophories, des jeux où les filles de Danaüs furent offertes aux vainqueurs mais ce furent des unions obscures, sans doute stériles.

Mais si la destinée de ses sœurs est assez connue, celle d’Hypermnestre est sujette à des incertitudes.

Les divergences §

C’est à ce niveau que l’on retrouve les plus grandes divergences entre les différentes sources de ce mythe :

  • – Apollodore fournit une fin heureuse à ce mythe puisque, selon lui, Danaüs finit par libérer sa fille et l’unit à Lyncée. Ils eurent un héritier, Abas, et Lyncée succéda à Danaüs sur le trône d’Argos.
  • – Hygin, qui est un simple mythographe comme le précédent, semble corroborer cette version puisqu’il écrit au chapitre CCLXXIII que c’est Abas, fils d’Hypermnestre et de Lyncée qui apporta à ses parents la nouvelle de la mort de Danaüs.7
  • – Ovide, dans son Héroïde, place Hypermnestre sous la colère de son père, emprisonnée et dans un désespoir certain ; elle ne semble nourrir aucun espoir quant à sa destinée et dit n’attendre que la mort.
  • – Eschyle, dans ses Suppliantes, avait prévu au départ d’écrire une trilogie dont cette tragédie serait le premier volet. Et en effet, on assiste dans cette tragédie à l’arrivée des Danaïdes, les suppliantes, à Argos, poursuivies par les Egyptiades, et implorant la protection du roi Pélasgus. Mais la pièce se termine sur le refus des filles de se marier de force avec leurs cousins. La suite de cette trilogie s’est sans doute perdue par les ravages du temps, ou alors l’auteur n’a pas eu le temps de mener à terme ce projet. On ignore donc ce qu’Eschyle avait prévu pour la fin de ce projet basé sur la légende des Danaïdes. Mais, ayant suivi jusque là assez scrupuleusement l’épopée citée plus haut, on peut imaginer qu’il avait l’intention de continuer sur cette voie. Ainsi, selon cette source, Hypermnestre, est d’abord l’objet de la colère de Danaüs car elle a trahi les siens en laissant vivre un vengeur des Egyptiades. Mais Aphrodite intervient en sa faveur car Hypermnestre a agi par désir d’être mère et cet argument apparaît comme la loi divine qui perpétue la vie.

C’est ainsi qu’elle est pardonnée par son père et, unie à Lyncée, elle donne naissance à Abas, et fonde de la sorte une dynastie royale d’où descendra Héraclès/Hercule, héros de la race dorienne.

Les sources antiques offrent donc des divergences quant aux dénouements possibles pour cette légende mais aucun n’évoque de dénouement tragique. Cependant, on peut remarquer que le Grand Dictionnaire historique ou le curieux mélange du sacré et du profane8 de Louis Moreri qui prétend prendre ses sources dans les ouvrages d’Apollodore et d’Hygin, laisse deux possibilités de dénouement : ou bien Danaüs revient sur sa colère et finit par rappeler Lyncée pour l’unir à sa fille, ce qui correspond bien à la version d’Apolllodore, ou bien Lyncée doit attendre la mort de Danaüs pour retrouver Hypermnestre et succéder à Danaüs sur le trône d’Argos.

Les sources contemporaines du dramaturge §

Les Danaïdes de Gombauld (1644) §

Cette pièce de Gombauld a sans nul doute été la principale source d’inspiration à la tragédie d’Abeille : elle a été créée en 1644 soit trois décennies avant celle de Gaspard Abeille. Mais au-delà de cette approche simplement chronologique, on note de fortes similitudes entre les deux pièces.

En effet, comme nous l’avons remarqué plus haut, les auteurs antiques cités ne parlent en aucun cas d’un quelconque oracle prédisant l’assassinat du roi Danaüs ; pourtant, cet oracle est bien présent dans cette première pièce. Autre point commun, le roi d’Argos que Danaüs fait tomber est appelé Pélasgus chez tous les auteurs antiques alors que Gombauld, et ensuite Abeille, l’appellent Sténélus. Et enfin, chez Gombauld, on voit apparaître pour la première fois dans le mythe une épouse de Danaüs, Amasie, femme raisonnable qui tente de faire entendre raison à son mari. On peut donc supposer à juste titre qu’Abeille s’est inspiré de ce personnage pour créer le personnage d’Erigone pour sa pièce, d’autant qu’elle figure dans la liste des Acteurs comme la « Presque Epouse de Danaus ». Les deux personnages sont, à bien des égards, complètement différents et ils n’ont pas du tout la même fonction dans le schéma dramatique ; il n’en reste pas moins que toutes les deux ont un lien étroit avec Danaüs et qu’elles ont une influence certaine sur ses décisions. Mais la ressemblance entre elles s’arrête bien là puisque dans la tragédie de Gombauld, l’épouse de Danaos donne sa vie pour tenter de sauver celle du roi et ils périssent tous les deux sous les coups de Lyncée. Hypermnestre, désespérée par la mort de son père, refuse de revoir Lyncée et se suicide.

Gombauld, comme Abeille, reprend le schéma imposé par la matrice légendaire et ajoute des personnages épisodiques qui vont nouer l’action. Mais le personnage d’Amasie créé par Gombauld n’a pas la même force dramatique que l’Erigone d’Abeille. La pièce de son prédécesseur reste d’une grande simplicité structurelle dans le sens où elle est très faiblement dramatisée : les événements s’enchaînent sans surprise, il n’y a aucun retournement de situation, le dénouement tragique peut être annoncé dès le départ : le dramaturge choisit en effet de mener l’action en déroulant de manière les différents événements du mythe sans éléments de surprise. On assiste donc essentiellement à une méditation sur la mort et sur la destinée, Danaüs semblant cerné par sa culpabilité et le sentiment latent que rien ne pourra empêcher l’accomplissement de l’oracle. Quant au personnage d’Hypermnestre, qui est un pivot dans le mythe, elle apparaît comme un prototype de l’héroïne parfaite, sans jamais être suffisamment mise en valeur pour donner de la profondeur à son dilemme, élément d’essence tragique en lui-même.

Cependant, on retrouve de fortes réminiscences de cette pièce de Gombauld dans le Lyncée d’Abeille, que ce soit au sujet des préoccupations des personnages, des fragments de vers mais également dans les choix de mise en scène pour certains passages.

Les Danaïdes, I, 1 : Danaus à Amasie, son épouse

Les ombres de la mort excitent mes tourments,        15
Et pour m’épouvanter sortent des monuments.
N’aurez-vous jamais fait, tristesses volontaires,
Soupçons, craintes, remords, et pensées téméraires ?9     18

Lyncée, I, 3 : Danaus à Erigone, sa maîtresse

Des chagrins les plus noirs je me sens agité,        216
Mille spectres affreux, mille craintes funebres,
Ces serments violez, ces cruelles tenebres,
Tant de sang repandu Dieux et par quelles mains,
Tout trouble, tout confond mes esprits incertains [.]    220

Les Danaïdes, I, 1 : Amasie, Danaus

AMASIE.
Avez-vous mérité ce que vous redoutez ?        88
DANAUS.
Si c’est le meriter, j’ai tué Sténélée,
Qui fit grâce d’abord à ma troupe exilée ;
Qui me tendit la main, qui me vint tout offrir ;10    91

Lyncée, I, 1 : Erigone à Iphis

Je l’ay veu ce cruel venu des bords d’Affrique,        57
Fuyant de ses parens le pouvoir Tyrannique,
Ses filles avec luy ses tristes compagnons,
Mandier un azile à leurs Dieux vagabonds [.]
Il trouva Stenelus sensible à sa disgrace [ ;]
Ce cher frere en mourut. L’Ingrat regne en sa place.    62

Les Danaïdes, IV, 3 : Danaus à Hypermnestre

J’aurai donc vainement tant de sang répandu !        1203
Au lieu de me sauver, je me serai perdu !11        1204

Lyncée, IV, 2 : Danaus à Hipermestre

Tant de bras à mes loix ailleurs obeissans,        1067
Ne m’ont donc immolé que des coeurs innocens [ ?]
Le seul qui se derobe estoit le seul coupable,
Sa fureur* n’en devient que plus inevitable,
Et tant de sang versé ne sert qu’à luy fournir,
De plus justes raisons pour oser m’en punir [.]        1072

Les Danaïdes, V, 5 : Hypermnestre à Lyncée

Ah, ce n’est pas ainsi            1428
Que Lyncée à mes vœux doit être favorable ;
Il ne m’écoute point, il est inexorable.
Ce n’est pas mon dessein de le voir encore en ce lieu,
Je le souhaite ailleurs, et je lui dis adieu.
Qu’il s’en aille, et qu’il vive avec plus d’assurance.12    1433

Lyncée, V, 6 : Hipermestre à Lyncée

O Lumiere impreveuë,            1478
O depart, ô retour cause de mes tourmens,
Ah Lyncée est ce là l’effet de vos sermens [ ?]        1480

Et enfin, on retrouve pratiquement le même jeu de scène avec les gardes dans les deux pièces. En effet, dans Les Danaïdes de Gombauld, à la scène 3 de l’acte IV, Danaus demande aux gardes d’emprisonner sa fille qui l’a trahi en sauvant Lyncée mais ceux-ci refusent ; de la même manière, dans le Lyncée d’Abeille, à la scène 2 de l’acte IV, un jeu se crée entre les ordres contradictoires que Danaüs et sa fille adressent aux gardes.

Par conséquent, on ne peut nier que cette première pièce, créée par Gombauld une trentaine d’années avant Abeille, a dû être une forte source d’inspiration pour notre dramaturge : on retrouve en filigrane des thèmes qu’Abeille va développer, amplifier, et surtout dramatiser, pour donner plus de profondeur à sa pièce, mais aussi plus de suspens et d’action ; et c’est ce qui fait de son œuvre une tragédie originale et bien menée, apportant aux spectateurs du dix-septième siècle les attentes qu’ils pouvaient avoir sur un sujet mythologique aussi connu que celui des Danaïdes.

Iphigénie de Racine (1674) §

Créée en 1674 dans un contexte particulier, nul doute que cette pièce a eu beaucoup d’impact sur notre dramaturge. En effet, à l’époque, une sorte de compétition apparaît entre Racine et Michel Le Clerc, un dramaturge beaucoup moins connu mais Abeille n’a pas pu l’ignorer. Racine s’intéresse au sujet d’Iphigénie en Tauride d’abord mais finit par rédiger une Iphigénie en Aulis, sujet qu’avait également choisi Le Clerc quelques mois plus tard puisque sa pièce est créée en 1675. Son auteur s’explique sur ce choix en 1676  rend="i_grand_titre":

J’avouerai de bonne foi que quand j’entrepris le sujet d’Iphigénie en Aulide, je crus que M. Racine avait choisi celui d’Iphigénie dans la Tauride, qui n’est pas moins beau que le premier. Ainsi le hasard seul a fait que nous nous sommes rencontrés, comme il arriva à M. Corneille et à lui, dans les deux Bérénices.13

Abeille n’a pas pu ignorer cette querelle dans une époque où le public était attentif à tous les événements littéraires. Dans un tel contexte, l’intérêt que l’on porte alors aux différentes versions du mythe d’Iphigénie a sans doute rappelé aux contemporains le passage de La Poétique dans lequel Aristote s’intéresse à la péripétie et où il cite la pièce de Théodecte, Lyncée, et dont Racine s’est sans doute inspirée pour son Iphigénie :

[…] et dans Lyncée on emmène Lyncée pour le faire mourir et Danaos le suit pour le tuer ; or, le cours des évènements fait que c’est Danaos qui périt et l’autre qui est sauvé.14 [Chapitre 11, § 1452a]

Et c’est exactement ce qui se produit dans Iphigénie puisqu’ Agamemnon fait venir sa fille pour la sacrifier aux dieux mais les événements sont tels qu’une autre Iphigénie accompagne la première à la mort et se fait sacrifier à sa place alors que la première est finalement sauvée. Et on voit bien que dans le Lyncée d’Abeille, Iphis joue ce même rôle avec le roi Danaüs. Or quatre ans après Iphigénie (1674), soit en 1678, Abeille fait représenter Lyncée pour la première fois à l’Hôtel de Bourgogne. Ainsi il est fort possible que cet illustre exemple lui ait inspiré l’idée de cette pièce qui repose sur le même type de péripétie recommandée par Aristote.

Et enfin, on peut s’apercevoir qu’Abeille a recours au même artifice que Racine pour justifier le mariage d’Achille avec Iphigénie, en intégrant le thème de la passion amoureuse : il en fait des amants de longue date, nouant l’action, la dramatisant, la rendant ainsi plus susceptible d’émouvoir le public. Le même schéma se reproduit dans l’intrigue d’Abeille puisque la scène 1 de l’Acte II met en scène une entrevue entre les deux amants, Hipermestre et Lyncée, dans laquelle ils s’avouent un amour mutuel et vertueux dont ils voient la récompense, ce qui ajoute une ironie tragique à la situation puisque le spectateur est informé par l’acte I des obstacles qui vont se dresser devant leur bonheur conjugal.

Phèdre de Racine (1677) §

Si l’Iphigénie constitue une source de taille pour le choix d’un tel renversement de situation, au niveau de la dramaturgie donc, Phèdre a sans doute aussi beaucoup inspirée notre auteur dans l’invention de son épisode. En effet, l’idée d’un projet de vengeance du côté de Sténélus lui est sans doute venue à la lecture des Danaïdes de Gombauld qui insiste sur le sentiment de culpabilité du roi. Mais cet épisode de la vengeance est parfaitement intégré et noué à légende grâce aux liens qu’il développe entre chacun des personnages, que ceux-ci soient légendaires ou inventés.

Et on retrouve ainsi le même départ que dans la pièce de Racine et le personnage de Phèdre est un modèle incontestable pour celui d’Erigone. Dès la liste des Acteurs, Erigone est vue comme la « Presque Epouse » de Danaüs, amante du roi. Mais la première scène détruit d’entrée tout idée de sentiment sincère entre le roi et la princesse en mettant en scène une conversation entre deux personnages liés par la parenté et par la confiance, dans une certaine mesure ; ce qui lui permet de montrer une Erigone qui dévoile sa duplicité envers le Roi. Et la scène suivante achève cette entreprise en plaçant un entretien de confidence entre Erigone et Dircé, sa suivante : dans une scène très proche de celle de Phèdre [acte I, scène 2], Erigone avoue son amour interdit pour celui qui va devenir son gendre, Lyncée, une sorte de fils par double alliance. En outre, comme dans Racine, la confidente joue un rôle important puisque c’est elle qui va à la rencontre de Lyncée ; comme dans Phèdre à la fin de l’acte IV, Erigone rejette la responsabilité de l’échec amoureux, anticipée à l’acte III, scène 1:

Mais ne decouvre point mes sentiments secrets [.]        616
Dy luy de quels perils sa teste est menacée [;]
Le reste languiroit sur ta langue glacée [:]
Pour peindre des amans les douloureux combats,
Il faut un coeur bien tendre et le tien ne l’est pas [.]    620
Ces craintes sont ensuite avérées à la scène 5 de l’acte III :
Ah si j’avois parlé [,] sans doute il m’auroit cruë [;]        717
Tu n’estois du peril que foiblement emeuë [.]
Je te l’avois bien dit. L’espoir que je concois,
Eut donné plus de grace et de force à ma voix [.]        720

L’entrevue avec Lyncée est également très proche de celle entre Phèdre et Hippolyte dans le sens où Erigone se dévoile malgré elle et semble elle-même horrifiée par cet aveu :

Qu’ay je dit, ma vertu m’auroit-elle trompée [ ?]        826
A travers la pitié [,] l’amour s’est il fait voir [ ?]
Lache [,] t’aurois- je aymé sans m’en apercevoir [ ?]    828

[Lyncée, Acte III, 6]

Phèdre également laisse éclater son amour pour Hippolyte malgré elle alors qu’elle n’était venue que pour plaider la cause de son fils :

Que dis-je ? Cet aveu que je viens de te faire,        693
Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?15694

[Phèdre, Acte II, 5]

Toutes deux se retrouvent alors face au dépit amoureux : Erigone, se voyant rejetée par un Lyncée horrifié, laisse éclater sa « fureur » :

Puisque par mon bienfait tu refuses de vivre,
Meurs, et voy dans ta mort que c’est moy qui te livre [.]830

[Lyncée, Acte III, 6]

Elle est poussée par une sorte de pulsion de mort, puisque prononcer la mort de celui qu’elle aime signifie prononcer sa propre mort ; et la suite le confirme puisque Lyncée refusant de fuir avec elle, elle prévoit de se suicider après le succès de son entreprise et demande même à son fils de la tuer lorsque celui-ci refuse d’accomplir l’oracle à la place de Lyncée. On retrouve cette même pulsion dans le personnage de Phèdre mais là directement retournée contre elle-même :

Venge-toi, punis-moi d’un odieux amour.        699
[…]
Voilà mon cœur. C’est là que ta main doit frapper.        704
[…]
Frappe. Ou si tu le crois indigne de tes coups,        707
Si ta haine m’envie un supplice si doux,
Ou si d’un sang trop vil ta main serait trempée,
Au défaut de ton bras prête-moi ton épée.16710

[Phèdre, II, 5]

La parenté entre les deux personnages paraît évidente quand on compare les deux scènes d’aveu, et de dépit, amoureux. Ainsi, il est fort probable que notre dramaturge se soit inspiré de cette pièce pour forger les relations entrecroisées entre les différents personnages, et c’est fort habile puisque ces liens passionnels assurent une greffe solide entre les éléments d’invention et les éléments mythologiques.

Cependant, il faut relativiser cette source d’inspiration car Abeille est loin de dramatiser le sentiment de culpabilité qui fait de Phèdre un personnage si fort et si pathétique, dans le sens où Erigone, face à son dépit amoureux, se détourne et semble se désintéresser du sort de Lyncée, se concentrant sur son projet de vengeance contre Danaüs et sa famille.

La synthèse des sources §

Abeille, comme son prédécesseur Gombauld, reprend la légende de Danaüs transmise par les Antiques. Ces œuvres de l’Antiquité étaient connues pour ces lettrés du XVIIe siècle et il semble logique qu’un jeune dramaturge comme Abeille s’attaque à une intrigue mythologique : il a certes 30 ans au moment de la représentation sur scène de Lyncée mais il n’en est qu’à sa troisième tragédie. Et le mythe des Danaïdes est relayé par un certain nombre de mythographes antiques, grecs et latins, dont les ouvrages sont utilisés comme base d’apprentissage de ces langues anciennes.

C’est pourquoi on retrouve les grandes lignes du mythe : la menace qui pèse sur le roi Danaüs alors qu’il avait fui avec ses filles pour échapper à son frère, la demande en mariage des Egyptiades, leur massacre durant la nuit des noces et surtout la trahison d’Hypermnestre qui épargne son mari Lyncée et provoque la colère de son père. Tous les Anciens sont unanimes sur cette version du mythe et tous mettent l’accent sur cette fameuse nuit des noces : Ovide fait faire à Hypermnestre un témoignage détaillée de cette nuit ; Eschyle dans Les Suppliantes amorce également cela en soulignant le caractère monstrueux d’un mariage forcé, justifiant implicitement la démesure du châtiment des Egyptiades par la démesure de leur revendication.

Les mêmes étapes sont respectées par Abeille mais tout son art consiste à lier ses étapes héritées de la mythologie de façon logique, avec des « transitions » qui s’inspirent de Gombauld mais qu’il va exploiter pour mieux dramatiser sa pièce et la rendre plus dynamique que celle de son prédécesseur. Contrairement à ses modèles, Abeille bannit la nuit des noces et le récit du meurtre, réussi ou non, des Egyptiades de l’espace de la représentation en avançant l’attentat sur Lyncée et en posant le dilemme d’Hipermestre avant les noces, érigeant Hipermestre en véritable héroïne conduite par un amour sincère et vertueux.

Ainsi, la crainte de Danaüs se matérialise dans sa pièce, comme dans celle de Gombauld, sous la forme de l’oracle qui va motiver sa décision de faire assassiner ses neveux par ses filles la nuit de leurs noces ; en choisissant de concentrer l’intrigue sur le personnage d’Hypermnestre, Abeille congédie la fameuse nuit des « noces sanglantes » (selon la formule de J.-P. Noël17) hors de l’espace scénique pour des raisons de bienséance et de commodités dramaturgiques, et met l’accent sur le dilemme de son héroïne puis sur sa désobéissance, voire sa trahison. Et si les dénouements divergent selon les auteurs, notre dramaturge en choisit un proche de celui de Gombauld où les amants réunis mais où Hipermestre se montre malheureuse et blâme son amant.

En effet, face à autant de textes différents sur le mythe, des divergences sont introduites, comme nous l’avons souligné plus haut ; les variantes au niveau du dénouement par exemple laisse aux dramaturges qui s’y intéressent une vraie liberté dans la composition de leur propre fable, en leur permettant de choisir leur propre perspective.

Mais Abeille reste très fidèle à l’œuvre de Gombauld puisqu’on voit dans Les Danaïdes un roi marqué par sa culpabilité envers Sténélus, l’ancien roi qu’il a destitué de son trône et conscient de mériter ses malheurs. À partir de là, Abeille va forger son personnage de Danaüs, un roi médiocre et faible, marqué par une forte contradiction, celle d’une conscience de son omnipotence en puissance mais pas en acte, en termes aristotéliciens : il est taraudé par les doutes et le remords, déchiré entre son désir de rester roi et celui d’épargner le bonheur de ses filles, qu’Abeille réduit à une seule, Hipermestre, représentante de toutes les Danaïdes. Et on peut supposer avec raison que cette culpabilité qui affleure dans l’œuvre de Gombauld va donner naissance à ce personnage fascinant et manipulateur qu’est Erigone, une sœur de Sténélus, aimée de Danaüs, ce qui permet de lier les deux actions, mais attachée à sa perte ; elle est flanquée d’un fils amoureux d’Hipermestre, faisant de lui un rival direct de Lyncée et, a fortiori, un allié pour sa mère. Ces deux personnages ouvrent la pièce et font entrer le spectateur de plain-pied dans une intrigue où la passion amoureuse domine dans la mesure où ces enjeux passionnels sont intimement liés à la vie, ou plus exactement à la mort des différents protagonistes.

On peut d’ailleurs penser que c’est de Phèdre que Lyncée hérite cette espèce d’amour incestueux, mais sans l’être réellement, entre la figure de la mère-reine et du fils-gendre. Cette intrigue complexe va permettre d’imbriquer étroitement et totalement leurs destins, donnant plus de poids aux actions. De plus, la présence de l’oracle divin, doublée par la force de persuasion d’Erigone, elle bien humaine et d’autant plus forte qu’elle est l’être aimé, parachève la constitution de la personnalité de ce roi faible, lâche mais humain, le dédouanant dans la mesure où il est manipulé et donc pas entièrement responsable de ses actes ; et c’est ce qui va en faire un personnage qui va susciter l’indifférence des spectateurs, malgré sa crédulité, malgré l’assassinat de ses neveux, et le rendre susceptible de provoquer ce plaisir si particulier qu’évoque Aristote dans La Poétique.

Lyncée ou la passion comme moteur de l’action §

L’examen de cette pièce d’Abeille révèle que les personnages sont tous reliés étroitement les uns aux autres par une intrication complexe ; mais ils se rassemblent tous sous la même enseigne, celle de la passion, que celle-ci soit vengeresse ou amoureuse.

En effet, dans cette pièce d’Abeille, il apparaît évident que la passion règle et conditionne les actes des personnages : Erigone est dominée par son désir de vengeance mais également sa jalousie amoureuse, Danaüs par son instinct de conservation, son orgueil et aussi par son amour pour Erigone, Iphis par Hipermestre et sa mère, Lyncée par Hipermestre et Hipermestre par Lyncée mais aussi par son devoir filial envers son père. Toutes ces relations sont étroitement imbriquées et sont en constantes frictions, s’entrechoquant sans cesse dans cette pièce et menant les personnages à leur perte.

Mais c’est exactement la définition que donne Racine de la Tragédie dans sa préface de Bérénice, que nous avons déjà cité plus haut : « une action simple, soutenue de la violence des passions18 ». De plus, Abeille est le premier à dramatiser et à souligner le dilemme qui se pose à Hipermestre, créant ce que l’abbé d’Aubignac appelle le « Mixte », le dilemme engendré par la friction entre le devoir et la passion. Or, c’est un thème récurrent dans le discours de l’Hipermestre d’Abeille, une sorte de leitmotiv dans la bouche de son personnage, le dilemme entre « la nature et l’amour19 ».

Comme on le voit chez Hipermestre, c’est la passion qui l’emporte toujours : elle offre une réelle motivation aux actes tout en se posant comme entrave à l’action. Ainsi, la désobéissance de la jeune fille ne fait que retarder le dénouement funeste à Danaüs et ménager un suspens susceptible de provoquer les plus vives émotions aux spectateurs. G. Forestier souligne ceci comme un héritage de la Tragi-comédie, « l’amour comme force d’entraînement irrésistible qui pousse les héros aux plus folles aventures et les méchants aux actes les plus extrêmes20 ». Ceci ne se comprend avec Erigone que dans la mesure où, chez elle, le désir de vengeance prime sur toute autre passion et c’est ce qui explique pourquoi elle se désintéresse du sort de Lyncée (avec tout de même une once de dépit amoureux). D’ailleurs, la vengeance est considérée comme la plus noble des passions et prend presque toujours le pas sur toutes les autres. Et Georges Forestier met en exergue ces différentes passions du XVIIe siècle que l’on voit mises en scène par les dramaturges : « la vaine gloire (l’orgueil), l’ambition, l’amour, la jalousie, la haine21 », inspirées du Triomphe des cinq passions (1642), cinq tragédies en un acte de Gillet de la Tessonerie, auxquelles il faut ajouter « la vengeance ». Toutes ses passions affleurent dans la pièce et régissent les relations entre les personnages, leurs actes et leur sort. Chaque action découle des sentiments passionnels de la précédente et relance l’intrigue, permettant d’ailleurs de créer une instabilité, une imprévisibilité et de ménager des possibilités de retournements de situation.

Dans le Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique (1660), Corneille affirme que la présence de la passion amoureuse n’a de sens que dans une relation conflictuelle avec un grave péril politique ou avec des passions nobles comme l’ambition ou la vengeance :

Lorsque l’on met sur la scène un simple intrique d’amour entre des rois, et qu’ils ne courent aucun péril, ni de leur vie, ni de leur Etat, je ne crois pas que bien que les personnes soient illustres, l’action le soit assez pour s’élever jusqu’à la tragédie. Sa dignité demande quelque grand intérêt d’Etat, ou quelque passion plus noble et plus mâle que l’amour, telles que sont l’ambition ou la vengeance ; et veut donner à craindre des malheurs plus grands, que la perte d’une maîtresse. Il est à propos d’y mêler l’amour, parce qu’il a toujours beaucoup d’agréments, et peut servir de fondement à ces intérêts, et à ces autres passions dont je parle ; mais il faut qu’il se contente du second rang dans le poème, et leur laisse le premier22.

C’est la raison pour laquelle le Cid est bien une tragédie pour Corneille et non pas une Tragi-comédie. Et cette explication vaut aussi parfaitement pour le Lyncée d’Abeille : Erigone se heurte à la fois à son désir de vengeance et à sa passion pour Lyncée, Hipermestre à son amour pour Lyncée qui met en péril la vie de son père, Lyncée à son amour qui met sa vie en péril.

À la suite de cette analyse, il devient évident que cette tragédie d’Abeille est bien une tragédie en accord avec les principes de son temps, conforme à ce que les spectateurs peuvent attendre d’un poème dramatique, qu’ils soient simples amateurs, praticiens ou théoriciens, juges tacites de l’application des grandes règles unanimement reconnues en 1678.

Lyncée : une tragédie aristotélicienne par excellence §

De l’oracle aux péripéties : le choix d’un retournement vraisemblable §

En effet, avec l’intervention d’un oracle qui constitue l’élément déclencheur de la sombre machinerie d’Erigone, le dramaturge aurait pu opter pour un dénouement à machines ; pourtant, il a écarté cette possibilité et s’est attaché à souligner que chaque action, guidée par la passion, quelle qu’elle soit, découle de la précédente. Ainsi, Erigone, guidée par son désir de vengeance, exige la mort de Danaüs parce qu’il a abusé de la bonté de Sténélus et qu’il a causé sa perte. Ainsi, Abeille a donc veillé à rendre son intrigue la plus cohérente possible, selon les principes qui se sont imposés à cette époque.

En effet, héritée des Anciens mais rationalisée au XVIIe siècle sous l’impulsion de théoriciens tels que Chapelain et l’abbé d’Aubignac, les principes de la vraisemblance et de la bienséance sont unanimement respectés dans la deuxième moitié du Grand Siècle et conduisent ainsi à construire une action dramatique la plus cohérente et vraisemblable possible, et c’est là que l’art et l’habileté du poète va se révéler. Et tous les dramaturges s’accordent pour dire que cette partie de l’élaboration de l’action est déterminante dans le succès de son Poème.

Il faut d’abord s’attacher à définir en quoi consiste exactement cette unité d’action et ce que les auteurs du XVIIe siècle entendaient par « action » ; c’est pourquoi il est intéressant de se pencher sur ce qu’en dit Corneille dans son troisième Discours :

Je tiens donc, et je l’ai déjà dit, que l’unité d’action consiste […] [en] l’unité de péril dans la tragédie, soit que son héros y succombe, soit qu’il en sorte. Et ce n’est pas que je prétende qu’on ne puisse admettre d’autres périls […], pourvu que de l’un on tombe nécessairement dans l’autre23.

Toute l’élaboration poétique consiste donc en l’habileté du dramaturge à bâtir une intrigue à partir du mythe qu’il a élu, à choisir le ou les périls auxquels seront confrontés ses personnages, et donc à créer une action telle qu’elle pourra susciter une émotion tragique à sa seule lecture ; cette émotion doit par conséquent se dégager du fond même du mythe, c’est-à-dire indépendamment de la représentation scénique : la compassion, la terreur – les deux émotions prônées par Aristote – doivent pouvoir émerger de la simple réflexion sur les différents événements qui constituent l’intrigue.

Ainsi le choix du sujet est une phase déterminante dans la composition du Poème car même si cela peut paraître trivial, il est nécessaire de bâtir l’intrigue sur trois étapes indispensables, un début, un milieu et une fin, comme le recommande Aristote dans sa Poétique : « La tragédie est l’imitation d’une action complète et entière [...]. Est entier ce qui a commencement, milieu et fin24. » À partir de là, on distingue différentes démarches chez les auteurs mais dont la plus recherchée par les contemporains est celle d’une action construite à rebours c’est-à-dire que le dramaturge reconstitue la chaîne des événements liés les uns aux autres par une relation de cause à effet ; on part donc du dénouement pour reconstruire l’histoire qui va être représentée. En effet puisque le principe premier de l’art poétique est la vraisemblance et la nécessité, l’intrigue repose sur un enchaînement de causes et d’effets qui conduisent d’une situation initiale à un dénouement ; et c’est précisément à partir de ce type de dénouement rabattu avec une composition à rebours qu’Abeille construit son Lyncée.

Le premier élément qui attire l’attention, à la lecture de cette pièce classique, est sans conteste le jeu que le dramaturge déploie pour l’élaboration de son dénouement. Pour Aristote, il y a deux types d’actions, simple ou complexe mais la seconde lui apparaît supérieure car le plaisir de la surprise, causée par la reconnaissance, suscite de plus grandes émotions chez le spectateur. Et il cite pour exemple l’Œdipe roi de Sophocle et le Lyncée de Théodecte comme des pièces typiques de la scène de retournement de situation dans le sens où un personnage accompagne un autre à la mort et c’est lui qui se fait tuer. Et dans la pièce d’Abeille, Danaüs, accompagné par Iphis, se lance à la rencontre de Lyncée pour le tuer mais c’est lui qui se fait assassiner par Iphis, par un véritable revirement de situation puisque celui qui l’accompagne pour l’aider se révélera être son bourreau. Cette dernière machination d’Erigone contre Danaüs, après les deux premiers échecs – l’assassinat de Lyncée par Hipermestre puis la tentative d’Erigone pour convaincre Lyncée de fuir avec elle – est celle qui lui portera le coup fatal :

Non [,] si de mon tyran la teste est menacée,        1261
Il ne doit point perir par la main de Lyncée [.]
De ce fer, seul laissé dans son apartement,
J’attens de Danaüs le juste chastiment [.]
Enfin de son destin j’ay percé le mistere [ :]
En vain [,] luy dit l’oracle [,] en vain tu fuis ton frere,
Evite si tu peux le fer de ses fils,
Et c’est ce mesme fer qu’en tes mains j’ay remis [.]251268

Ces paroles d’Erigone, le personnage qui pourtant détient le pouvoir sur les autres et elle est l’instigatrice du complot, n’intervient qu’au dernier acte, prouvant que c’est ici que se produit la révélation de l’énigme posé par l’oracle, à savoir comment les événements s’enchaîneront de sorte que Danaüs trouve la mort par l’arme de son neveu.

Abeille fait reposer le succès de sa pièce sur cette prédiction donc, qui revient comme un leitmotiv, ou plus exactement comme une épée de Damoclès dans sa tragédie mais pourtant absente des premières écritures du mythe des Danaïdes. Et c’est cet élément qui constitue le support même de l’appropriation personnelle du mythe par le dramaturge. En effet, bien que le dénouement soit prévu par les spectateurs érudits du XVIIe siècle, le mythe doit offrir un « espace de liberté »26 au dramaturge. Abeille inscrit cette liberté dans l’oracle, s’appropriant le mythe par l’ambiguïté de ces paroles. Pour Christian Delmas, le mythe doit correspondre non seulement à l’imaginaire personnel du dramaturge mais aussi aux rêveries collectives de son public, aspirations et hantises. Ainsi, on retrouve dans cette pièce d’Abeille les schémas traditionnels hérités d’Aristote et sa notion de violence au sein des alliances : les frères ennemis que sont Danaüs et Aegyptus, les noces qui se terminent par un véritable massacre des époux, et enfin la désobéissance d’une fille à son père. Et l’auteur noue tous ces schémas grâce à cet oracle qui en est l’élément déclencheur.

Cependant, ce choix n’est pas courant au XVIIe siècle : on recense une vingtaine de pièces où l’on se sert d’oracles, telles qu’Antigone et Iphigénie de Rotrou, La Thébaïde et l’Iphigénie de Racine, Horace, Andromède, Œdipe de Corneille. Mais l’usage de l’oracle n’est pas considéré comme un véritable procédé dramaturgique et il existe peu de critique sur la question, avant la critique récente de Bénédicte Louvat-Molozay. On note juste ces quelques lignes de La Dramaturgie classique en France de Jacques Scherer :

Quand les Dieux, leurs interprètes ou leurs ministres, rendent des oracles ou prophétisent, ils ne sauraient s’exprimer comme les personnages ordinaires de la tragédie27.

Bénédicte Louvat-Molozay note cette carence et se penche sur cette question laissée sans réponse par les grands théoriciens du XVIIe siècle. Dans son article De l’oracle de tragédie comme procédé dramaturgique28, elle note que l’usage de la parole oraculaire peut répondre à deux contraintes : s’il s’agit d’un sujet légendaire, il s’inscrit dans une perspective de réécriture du mythe, donc d’une écriture à contrainte imposée par le texte source ; ici, ce n’est pas le cas puisqu’il n’y a pas d’oracle à la source. La seconde hypothèse est donc que c’est un ornement de théâtre destinée à rehausser la pompe des spectacles tragiques, allant à l’encontre du principe de vraisemblance.

L’oracle entre donc effectivement dans l’irrationnel, c’est la parole divine et énigmatique par là même. Il devient, dans notre pièce, un outil qui donne une motivation à l’action, la déclenche et la justifie. Il offre une vision du dénouement mais une vision partielle, altérée et déformée de ce dénouement ; l’oracle fait donc l’objet d’une relecture sous l’éclairage du dénouement. Et Corneille le note, dans son examen d’Horace, en 1660 :

L’oracle qui est proposé au premier acte trouve son vrai sens à la conclusion du cinquième. Il semble clair d’abord, et porte l’imagination à un sens contraire, et je les aimerais mieux de cette sorte sur nos terres, que ceux qu’on fait entièrement obscurs, parce que la surprise de leur véritable effet en est plus belle. Je voudrais qu’ils eussent l’idée de la fin véritable de la Pièce, mais avec quelque confusion, que n’en permît pas l’intelligence entière.

Ainsi, Erigone, qui complote contre Danaüs, pense saisir le sens profond de l’oracle alors même que le roi ne semble pas convaincu de la « contre-attaque » qu’il lance. Les paroles qu’il adresse à Erigone, du vers 257 à 272, montrent ses incertitudes à propos de l’oracle et de l’ambiguïté inhérente :

Mais des perils d’un homme un Dieu souvent se joue,
Et ne luy donne avis qu’il peut y succomber,
Qu’afin que l’oeil ouvert il s’y laisse tomber29.

Abeille se sert donc parfaitement de cet outil et va même plus loin en le réinvestissant d’un nouvel emploi puisqu’il se transforme et est perverti par l’usage qu’en fait Erigone, argument de poids pour balayer les doutes de Danaüs, inspiration et motif de la péripétie et du dénouement malheureux pour le roi. Abeille en fait donc le nœud de l’action puisque l’intérêt de la pièce est bien de savoir comment l’oracle va s’accomplir. Au dénouement, on ignore réellement si les deux amants iront se marier, si Erigone a réellement mis fin à sa vie ; tout ce qui importe, c’est l’accomplissement de l’oracle qui réservait une surprise donc aux personnages, et aux spectateurs. Et cet oracle réserve d’autant plus de surprise au public que le dénouement repose sur les actes et les intrigues de personnages épisodiques, des personnages sortis tout droit de l’imagination du dramaturge et dont les spectateurs, qui connaissent le mythe, ne peuvent anticiper les actions.

Amour et vengeance : un épisode parfaitement greffé au mythe §

Abeille s’inspire, pour son dénouement, de la matrice mythologique mais fait preuve d’une créativité certaine en greffant habilement ce que les théoriciens appellent un « épisode » : on a donc affaire à une action complexe, basée sur des retournements de situation qui ménagent des effets de surprise, des « péripéties » ou coups de théâtre. Abeille, par ce biais, procède ainsi à une véritable rationalisation du mythe puisque ce n’est plus l’oracle qui va porter la destinée des personnages mais son utilisation par le personnage épisodique qu’est Erigone.

Ce type de pièces à action complexe est considéré par Aristote comme supérieur aux autres car le plaisir de la surprise provoque les émotions les plus fortes, à l’instar de l’Iphigénie de Racine. L’intrigue de Lyncée est donc constituée de l’action principale, le massacre des Egyptiades orchestré par Danaüs et le refus d’Hipermestre : le début est la crainte de Danaüs de voir l’oracle s’accomplir, le milieu, la trahison d’Hipermestre qui refuse de sacrifier son amant et la fin, la mort de Danaüs tel que l’avait prédit l’oracle. À cette action principale s’ajoute un épisode inventé, le désir de vengeance que nourrit Erigone, désir lui-même compliqué par son amour pour Lyncée. Mais l’épisode, que Heinsius définit comme « tout ce que le poète ajoute à côté de [l’]action30 », s’inscrit clairement sous le signe de l’enjeu amoureux, liant étroitement l’amour et le péril, puisque l’auteur va jusqu’à ouvrir sa pièce sur les seuls personnages épisodiques ayant une conversation sur un sujet de galanterie. Et Erigone, aux vers 838 à 840 de l’acte III, scène 6, résume parfaitement cet état des choses :

Tu mourras [,] c’est ainsy [,] Barbare [,] que je t’ayme [.]    838
Mais de quelque fureur que mon cœur soit armé,
Il n’a tenu qu’à toy d’estre autrement aymé.        840

Ainsi, que ce soit pour Danaüs, Erigone ou Iphis, l’échec amoureux les conduit tous les trois directement à la mort ; Iphis annonce d’ailleurs dès la première scène qu’un dépit amoureux signifierait sa mort précoce :

Vous dites vray, Jamais je ne verray Lyncée,         34
Maistre ou Tyran d’un coeur qu’il ne merite pas [.]
J’espere, et mon espoir est ce fer et ce bras [.]        36

Et c’est la même chose qui se produit avec Danaüs, à la scène 3 de l’acte V qui court à la rencontre de son destin par amour pour Erigone, amour qu’il croit réciproque :

J’y cours puisque mes jours vous sont si precieux,        1375
Je les disputeray mesme contre les Dieux.

Tout l’intérêt de l’épisode consiste donc en cet ajout d’enjeux amoureux. Abeille ne change pas la perspective des auteurs antiques puisque son Hipermestre est touchée par la vertu de son mari ; mais il va un peu plus loin en soulignant la passion amoureuse entre les deux jeunes gens : il offre aux deux amants une longue scène, à l’acte II, où ils s’avouent un amour réciproque, cultivé dans la vertu, et proche de l’esthétique racinienne en cela qu’elle est bien antérieure au temps de la représentation et donc de l’obstacle, datant de trois ans déjà, comme le soulignent les amants plusieurs reprises dans la même scène (Acte II scène 1, v. 389-392). Il en fait donc deux parfaits héros de tragédie, captant la bienveillance de spectateurs qui ne peuvent être qu’émus par leur vertu et leur courage face aux obstacles du destin, par opposition aux passions destructrices que montrent Erigone et son fils. Cet épisode vient donc soutenir l’action principale et mettre en branle une chaîne d’événements reliés par des rapports de cause à effet, rendant l’intrigue la plus vraisemblable possible. En cela, Abeille s’inscrit comme un disciple de Corneille qui écrivait dans son premier discours, le Discours du Poème dramatique :

Ces épisodes sont de deux sortes, et peuvent être composés des actions particulières des principaux acteurs, dont toutefois l’action pourrait se passer, ou des intérêts des seconds amants qu’on introduit, et qu’on appelle communément des personnages épisodiques. Les uns et les autres doivent avoir leur fondement dans le premier acte, et être attachés à l’action principale ; c’est-à-dire y servir de quelque chose, et particulièrement ces personnages doivent s’embarrasser si bien avec les premiers, qu’un seul intrique brouille les uns et les autres31.

C’est exactement le cas puisque Erigone s’efforce de pousser Danaüs à la mort, de séparer les deux héros et de manipuler les actes d’Iphis pour atteindre son objectif, l’accomplissement de l’oracle, autrement dit le dénouement connu et attendu du mythe de Danaüs.

La construction des personnages révèle ici son importance puisque d’eux dépendent le succès de la pièce, dans leur jeu d’intrication les uns avec les autres, leurs intérêts se heurtant les uns aux autres. On pense évidemment à Racine, qui avoue, à propos d’Iphigénie :

J’ay rapporté tous ces avis differens, et sur tout le passage de Pausanias, parce que c’est à cet Auteur que je dois l’heureux Personnage d’Eriphile, sans lequel je n’aurois jamais osé entreprendre cette Tragedie. Quelle apparence que j’eusse souillé la Scène par le meurtre horrible d’une personne aussi vertueuse et aussi aimable qu’il falloit representer Iphigenie ? Et quelle apparence encore de dénoüer ma Tragedie par le secours d’une Déesse et d’une machine, et par une metamorphose qui pouvoit bien trouver quelque créance du temps d’Euripide, mais qui seroit trop absurde et trop incroïable parmi nous ?

Je puis donc dire que j’ay esté tres-heureux de trouver dans les Anciens cette autre Iphigenie, que j’ay pû representer telle qu’il m’a plû, et qui tombant dans le malheur où cette Amante jalouse vouloit précipiter sa Rivale, merite en quelque façon d’estre punie, sans estre pourtant tout-à-fait indigne de compassion. Ainsi le denoüement de la Piece est tiré du fond même de la Piece. Et il ne faut que l’avoir veû representer, pour comprendre quel plaisir j’ay fait au Spectateur, et en sauvant à la fin une Princesse vertueuse pour qui il s’est si fort interessé dans le cours de la Tragedie, et en la sauvant par une autre voie que par un miracle, qu’il n’auroit pû souffrir, parce qu’il ne le sçauroit jamais croire32.

Abeille s’inspire sans doute de cette démarche extraordinaire de Racine pour écrire sa pièce et ménager, grâce à l’invention du personnage épisodique d’Erigone, un dénouement complètement différent de ceux choisis par ses prédécesseurs, tout en maintenant une fin tragique. Erigone apparaît providentiellement pour prendre les décisions à la place de Danaüs et en assumer ainsi une bonne part de la responsabilité du crime : le mythe originel montre un Danaüs qui décide librement, en apprenant les desseins politiques de son frère Aegyptus, de donner à chacune de ses filles une dague pour tuer leurs maris la nuit des noces. Abeille approfondit les faits en inventant une Erigone manipulatrice qui innocente ainsi en partie Danaüs.

L’introduction de ces personnages épisodiques est donc l’occasion pour le dramaturge de troubler les deux amants et de faire surgir des obstacles devant eux par la création de rivaux. Outre l’oracle qui menace Danaüs et indirectement Lyncée, ces rivaux amoureux que sont Erigone et Iphis vont faire s’entremêler enjeu amoureux et péril réel sur leur vie même. La pièce s’ouvre sur ces personnages d’invention dans une conversation sous une forme continuée : le premier mot prononcé est un « non » d’Iphis, refus de celui-ci d’assister à la victoire amoureuse de son rival. Ces personnages sont les garants de l’originalité de l’auteur du poème dramatique. Ils portent en eux toute la créativité du dramaturge et ménagent les éléments de surprise que ce dernier réserve à ses spectateurs. D’ailleurs, dans le Lyncée, Abeille souligne que les initiatives, mêmes faites avec de mauvaises intentions, viennent d’Erigone et d’Iphis. Certes, Hipermestre organise la fuite de Lyncée mais il faut reconnaître que les caractères de la source mythique sont dominés par les deux premiers, et qu’ils ne font finalement que réagir à leurs manigances. Une certaine passivité se dégage de ces personnages ; même Hipermestre qui apparaît au départ comme la plus lucide, est bernée jusqu’à la fin du cinquième acte.

Quand épisodes et mythe se mêlent pour créer l’action dramatique §

À la suite de l’examen de la démarche poétique, il apparaît clairement que le succès de la tragédie repose sur l’habileté du poète à lier les éléments du mythe et de l’épisode pour n’en faire qu’une intrigue cohérente et vraisemblable, avec des personnages dont la présence est pleinement justifiée, qu’ils appartiennent au mythe ou non.

Dans Lyncée d’Abeille compte sept personnages auxquels il faut ajouter des gardes. Pour mesurer leur importance, on s’attache à comparer leur présence sur scène et leur temps de parole respectif. À partir de cet examen précis, se dégagent le rôle et la fonction précise de chacun des personnages. L’étude du schéma actantiel permet de mieux appréhender la pièce et de comprendre ces relations entre personnages.

DESTINATEUR : Vengeance

DESTINATAIRE : Elle-même

SUJET : Erigone

OBJET : Danaüs

ADJUVANTS : Iphis, Dircé

OPPOSANTS : Hipermestre, Lyncée

Ce schéma actantiel conduit donc à éclairer les relations de symétrie et d’opposition entre les personnages : ils se définissent les uns par rapport aux autres et il apparaît évident que c’est Erigone qui domine toute la pièce et constitue un élément moteur de l’action dans le sens où elle apparaît dans la plupart des scènes, très exactement dans quinze scènes sur les vingt six du total de la pièce, qui lui offre ainsi une large prédominance sur les autres personnages. Nous verrons donc en quoi elle constitue une influence considérable dans la pièce et détermine leurs actions, et leur destinée.

Erigone : de l’oracle à l’art de la manipulation §

On pourrait trouver surprenant de trouver une pièce intitulée Lyncée alors qu’il n’occupe que cinq scènes sur les vingt six de la pièce ; comme pour Bajazet, ceci s’explique par le fait que Lyncée concentre tous les enjeux, chacun des personnages ayant des attentes vis-à-vis de lui : Danaüs voit en lui son assassin et désire sa mort, Hipermestre attend de lui qu’il fuit et n’accomplisse jamais l’oracle, Erigone souhaite s’enfuir avec lui et Iphis cherche à vaincre ce rival amoureux. Toutefois, il est incontestable que c’est Erigone qui mène le jeu dans la pièce, bien qu’elle ne soit qu’un personnage épisodique, avec son fils Iphis.

Comme nous l’avons démontré dans la partie consacrée aux sources, nul doute qu’Abeille s’est inspiré de Gombauld pour créer de toute pièce cette sœur venue venger son frère, incarnation de la culpabilité de Danaüs envers Sténélée. Mais si l’on consulte le Dictionnaire historique de Moreri, on découvre une légende liée à une jeune femme appelée Erigone.

Fille d’Icarius, elle se pendit de désespoir après avoir appris la mort de son père. En effet, ce dernier se vit offrir par Bacchus une outre de vin qu’il partagea avec ses amis et ils s’enivrèrent. Les gens crurent qu’ils avaient été empoisonnés et assassinèrent Icarius, qu’ils enterrèrent ensuite. Sa chienne le retrouva et Erigone se pendit à un arbre. Quelque temps après, des femmes et des filles athéniennes furent transportées d’une telle fureur qu’elles allèrent se pendre d’elles-même. L’oracle consulté répondit que le malheur venait qu’on avait négligé la mort d’Icarius et de sa fille Erigone.

Nul ne sait si Abeille a réellement forgé la personnalité de la jeune femme en s’inspirant de cette légende mais on peut y voir tout de même un lien face à cette volonté de venger la mort d’un proche, au mépris de sa propre vie et de celle de son fils.

L’Erigone de Lyncée est un personnage féminin hors norme en partie inspirée de la Phèdre de Racine : c’est une reine atypique, qu’on décrit d’entrée comme la « Presque Epouse » de Danaüs avec tout ce que cela comporte d’autorité. On peut à juste titre supposer qu’elle est veuve puisqu’elle a un fils de l’âge des héros, Hipermestre et Lyncée, ce qui lui confère pouvoir et indépendance. En effet, au dix-septième siècle, les jeunes filles dépendaient de leur père jusqu’à ce qu’elles se marient. Or, Erigone montre une indépendance et un machiavélisme qui la rend différente des héroïnes fragiles et éplorées qu’on a l’habitude de mettre sur la scène, plus proche de la tradition des grandes furies du théâtre, notamment celles de Corneille. Evidemment, on n’assiste pas, dans notre pièce, comme dans l’Iphigénie de Racine, à la métamorphose du personnage en furie mais Erigone montre tout de même des similitudes dans le sens où elle est gouvernée par sa passion, la vengeance, et met sa vie et celle de son fils en danger au nom de cette fin. Il n’y a chez ce personnage aucun calcul politique : son objectif n’est pas de reprendre le trône d’Argos, alors qu’elle pourrait y prétendre, mais bien de venger la mort de son frère. Elle va même très loin puisque c’est sans regret, il nous semble, qu’elle livre son amant à la mort, le sacrifiant lui aussi à sa vengeance.

De plus, par son ascendant sur Danaüs, elle tient entre ses mains la vie de tous les autres personnages : son amant Danaüs se laisse subjuguer, au sens littéral, par elle, d’autant plus aisément qu’elle a pris soin d’échafauder sa vengeance sur la base d’un oracle ; elle manipule son fils en touchant des cordes sensibles telles que son dépit amoureux ou encore son amour filial ; elle convainc Lyncée qu’Hipermestre va le sacrifier à son père et parvient même à berner cette dernière qui l’avait pourtant démasquée un peu plus tôt.

Erigone est donc le personnage machiavélique au sens où elle n’a aucun scrupule à manipuler des personnes qui lui sont chères pour assouvir sa soif de vengeance et sa passion amoureuse. Elle tente même de convaincre Lyncée de s’enfuir avec elle à la scène 6 de l’acte III mais, voyant son dégoût, finit par le sacrifier à sa vengeance :

Montons sur vos vaisseaux: allons loin de ces bords,    795
Elever des autels à tant d’Illustres morts,
D’un Pere abandonné charmer l’inquietude,
Et de sa triste cour remplir la solitude [ ;]
Vous luy direz Seigneur me presentant à luy,
Que j’ay de ses vieux jours sauvé l’unique appuy,
Qu’on l’auroit veu sans moy survivre à sa famille,
Que je luy tiendray lieu d’Hipermestre et de fille,        802

Mais elle s’interrompt finalement devant le silence de Lyncée, preuve de son horreur, et c’est sans vergogne qu’elle déclare sa sentence quelques vers plus loin : « Tu mourras c’est ainsy Barbare que je t’ayme » (v. 838). Après cette scène, il ne sera plus jamais fait allusion à cet amour et c’est toute entière qu’Erigone se livre à son projet vengeur. Même son amour maternel pour Iphis disparaît au profit de cette fureur vengeresse pour laquelle elle sacrifie jusqu’à sa propre vie et celle de son fils.

Erigone incarne ainsi le type d’héroïne tyrannique, duplice et manipulateur et, par là même, son outil de prédilection se trouve être la parole, d’autant plus qu’on se trouve ici dans le genre littéraire consacré à la parole par excellence. À travers ce personnage, on peut retrouver un fil conducteur dans toute la pièce, bâtie sur ce personnage qui se sert de ses discours comme d’une arme : ses mots sont la marque de la dissimulation et de la duplicité chez elle, et qui s’écroule quand ce qui la motive, la vengeance, est accompli. En effet, Erigone apparaît dans tous les actes, dans la plupart des scènes (15 scènes sur 26), ce qui fait d’elle un personnage pratiquement omniprésent. Et sans cesse, elle ramène l’attention sur ce qu’elle dit car c’est elle qui est l’instigatrice du complot et qui révèle comment elle va accomplir. Et on remarque que dans l’acte I (scène 1) elle se garde bien de tout dire à son propre fils, même si leurs intérêts sont communs. Si elle avoue le complot à Lyncée, c’est pour le précipiter dans un piège d’ordre amoureux, en sa faveur. Elle est, comme elle le déclare à Lyncée dans la scène 6 de l’acte III « du secret seule dépositaire » (v. 785), la seule – avec Dircé – à connaître tous les éléments du complot dont elle est la tête pensante et régule l’information, même envers son fils, à qui elle confie pourtant à la fin la tâche d’accomplir son vœu meurtrier :

Mais ne t’empresse point d’en sçavoir davantage,        129
J’en dis trop. Laisse moy poursuivre mon ouvrage    130

C’est un personnage de la parole sans conteste car jamais elle n’agit directement et ne se montre sincère, même quand Danaüs met sa vie entre ses mains, la laissant libre d’accomplir sa vengeance :

Mais quoy de vos parens j’occupe icy le rang,        1359
La pourpre qui me couvre est teinte de leur sang,
Me perdre et me haïr n’est pas pour vous un crime,
C’est le mien seul qui rend mon soupçon legitime [.]
Ouy vangez vous [,] joignez ma fille à mes destins,
Et mon coeur et le sien tout est entre vos mains.        1364

Malgré cette abdication du roi Danaüs en sa faveur, elle refuse d’agir elle-même et préfère le manipuler et causer sa perte par une nouvelle ruse.

Mais la force rhétorique manipulatrice d’Erigone se manifeste dans tout son éclat à la scène 5 de l’acte IV : Hipermestre a révélé à son père tout du complot d’Erigone et de son amour coupable pour Lyncée et Danaüs exige une entrevue avec elle. Elle adopte alors une stratégie étonnante : elle refuse de nier et feint l’indignation et l’outrage face à de telles accusations. Cette stratégie fonctionne à la perfection et suscite le remords du roi, persuadé de l’avoir accusé à tort à la fin de cette scène. Elle parvient même à retourner Hipermestre contre Lyncée, à la scène 4 du dernier acte. Chacun des personnages se transforme en pantin entre ses mains, charmé par ses paroles derrière lesquelles elle dissimule, même à son fils, ses intentions réelles.

Erigone apparaît ainsi comme le cerveau de l’action, le double du dramaturge : elle ne peut exécuter elle-même la sentence, elle ne peut agir directement que par sa parole, mais elle manipule ses gens, comme le dramaturge ses personnages. Mais son pouvoir réside uniquement dans cette capacité à retenir les informations et à les plier de telle sorte qu’elles servent ses intérêts ; une fois que sa volonté s’est accomplie, elle n’a plus d’existence : elle quitte la scène sans doute pour se donner la mort puisque sa mission est accomplie. Certes, son plan initial a été un échec : Lyncée refuse de s’enfuir avec elle et c’est Iphis qui accomplit l’oracle avant de se donner la mort. Mais elle parvient toutefois à accomplir sa vengeance envers Danaüs et sa descendance, dans la mesure où elle ruine les noces d’Hipermestre et de Lyncée.

Toutefois, il existe une exception dans le discours parfaitement agencé d’Erigone, c’est le discours de l’amour qu’elle ne parvient pas à mener à bien. Son entrevue avec Lyncée a signé l’échec de ses desseins amoureux et le constat d’échec se fait sous le signe de la parole, contre la parole :

Qu’ay je dit, ma vertu m’auroit-elle trompée [ ?]        826
A travers la pitié [,] l’amour s’est il fait voir [ ?]        827

Habituée à tromper et à dissimuler ses véritables sentiments, elle est incapable, au moment de plaider sa cause, de dissimuler sa passion pour Lyncée, qui se révèle au mépris de l’argumentation raisonnable qu’elle lui tient. Il y a donc l’idée d’un langage propre à l’amour, comme elle le suggère à Dircé à la scène 1 de l’acte III :

Mais ne decouvre point mes sentiments secrets [.]        616
Dy luy de quels perils sa teste est menacée [;]
Le reste languiroit sur ta langue glacée [:]
Pour peindre des amans les douloureux combats,
Il faut un coeur bien tendre et le tien ne l’est pas [.]    620

L’écho de ces paroles est clair à la scène 5 où Erigone rejette sur sa suivante la responsabilité de l’échec, aux vers 719-720. De l’avis de sa maîtresse, Dircé n’a pas réussi à convaincre Lyncée uniquement parce qu’elle n’éprouve pas de sentiments amoureux, garants de la sincérité des amants ; mais, pour la même raison elle ne peut atteindre la parole sincère que requiert l’amour dans la mesure où tous ses mots sont empreints de duperie et d’intentions funestes.

Mais il faut préciser que l’invention d’un personnage si empli de vengeance et d’orgueil permet d’attirer l’attention, et les foudres du spectateur, sur son inhumanité, changeant ainsi le regard sur le personnage du roi Danaüs.

Elle apparaît d’autant plus comme détentrice de la vérité que c’est par elle que nous est révélée pour la première fois l’oracle aux vers 73-74, de façon indirecte certes :

Un oracle a parlé [,] si l’oracle est sincere,
Cet assassin doit estre un des fils de son frere.

Abeille fait ainsi le choix d’évincer les personnages de devins, pourtant bien présents dans la pièce de Gombauld, au profit d’Erigone, la rendant ainsi responsable de cette prédiction ; d’ailleurs, sans son intervention, l’oracle ne se serait sans doute pas accompli, étant donné que Lyncée renonce à venger ses frères au nom de son amour pour Hipermestre.

Son véritable pouvoir réside en réalité dans sa force de persuasion et son ascendant sur celui qui devrait détenir le pouvoir, le Roi Danaüs, père d’Hipermestre, au centre de la prédiction, mais surtout amoureux d’Erigone. Cette passion, amoureuse ici, annihile son aura de pouvoir et, pire, le rend dépendant d’une femme aux mauvaises intentions : il devient une sorte de marionnette qu’elle pousse vers sa perte.

En effet, le roi est un personnage classique dans la tragédie. Par sa définition même, la tragédie s’attache à des personnages de haut rang et les dramaturges se plaisent à nouer les enjeux amoureux aux périls d’ordre politique pour dramatiser leur intrigue. Cette pièce d’Abeille n’échappe pas à cette règle, d’autant que Danaüs est le personnage central dans ce mythe. En effet, c’est pour conserver sa vie qu’il monte ce piège pour ses neveux et c’est à lui qu’Erigone en veut directement.

Mais de façon traditionnelle, le personnage du roi, doublé de celui de père ici, incarne l’autorité absolue, concentrant le pouvoir royal et celui de père : cette autorité est incontestable et incontestée puisque quarante neuf de ses filles acceptent, sans broncher de toute évidence, de lui obéir ; Hipermestre, bien qu’elle lui désobéisse, elle-même reconnaît la supériorité de cet ascendant mais revendique une décision prise selon une autorité encore supérieure à celle de son père:

La nature sur moy vous a cedé ses droits,        587
Mais l’honneur, la vertu ne sont point sous vos loix [.]    588

Mais il est habituel dans le théâtre du XVIIe siècle que les amants se heurtent à l’autorité royale, représentation par excellence de l’obstacle aux jeunes héros et les dramaturges ont vite compris l’intérêt de s’en servir comme ressort dramatique.

Pourtant, ce qui attire l’attention dans cette pièce, c’est qu’Abeille fait de Danaüs un personnage original puisqu’il est non seulement roi et père mais aussi amant, totalement sous l’emprise d’Erigone, n’accordant même plus aucune confiance à sa fille. Et l’on peut noter ce qu’en dit Jacques Scherer dans La Dramaturgie classique en France :

La tragédie n’hésite pas, en effet, à mettre en scène des héros qui soient aussi rois et pères, et qui souffrent dans leurs sentiments, parce qu’ils sont rois et parce qu’ils sont pères ; ainsi, dans Venceslas de Rotrou, le roi Venceslas, dans Iphigénie de Racine, le roi Agamemnon33.

Une fois de plus dans cette étude sur Lyncée, on retrouve la référence à l’Iphigénie de Racine ; et en effet, le personnage de Danaüs est très proche de celui d’Agamemnon. Pères d’une fille qui tient leur destinée entre les mains – d’Iphigénie dépend le succès de la bataille et d’Hipermestre la survie du roi –, tous deux se trouvent confrontés à un véritable dilemme : ruiner le bonheur de leurs filles ou ruiner leur propre destinée. Et de la même façon, ils sont tous deux frappés de médiocrité par le caractère trop humain que leurs confèrent leurs dramaturges respectifs. En effet, Danaüs, en amant d’Erigone, perd sa légitimité et son autorité : c’est à un roi faible et qui doute de lui-même à qui on a affaire dans Lyncée ; et il est d’autant plus faible qu’il a conscience de cette faiblesse, comme il le confesse à Erigone dès l’acte I. C’est sa première apparition, ménagée à la scène 3, et ses premiers mots sont :

Que ne puis je à vos yeux deguiser ma foiblesse [!]34

Il est à la fois rongé par la crainte de voir l’oracle s’accomplir mais aussi peiné de briser le bonheur de sa fille. Et ce dilemme se cristallise sans doute à cause de sa passion amoureuse pour Erigone. Hipermestre souligne d’ailleurs cette dichotomie qui existe entre le père qu’elle a connu et l’amant qu’il est devenu :

Je n’ay point cru qu’un Roy qui depuis tant d’années    1057
...................................................................................35
Conduit par tant d’honneurs au comble de ses jours,
Voulut au prix d’un crime en prolonger le cours,
Et de quelques moments honteux à sa memoire,
Reculer son trepas pour survivre à sa gloire*.        1062

Danaus ne cesse de clamer également que son seul intérêt pour la conservation de sa propre vie ne vient que de son amour pour Erigone, qui s’en sert comme prétexte pour le pousser dans son piège.

Erigone domine ainsi la pièce, elle le domine lui-même et elle est la seule à prendre des décisions, alors que les autres ne font que réagir aux offensives subtiles qu’elle lance. Danaüs est le premier à pâtir de cette influence, il se laisse berner avec facilité : dans cette première scène où il apparaît, il ne se résout à faire part de son projet à sa fille que sous l’argumentation habile d’Erigone et de ses imprécations d’amante attachée à sa conservation :

Ah Madame voyez où vous m’allez reduire,        285
Je sens qu’à vos soupirs je me laisse seduire.

Ses décisions ne sont en réalité que tentatives de dérobade envers Hipermestre (v. 229-236), doutes sur la véracité de l’oracle (v. 257-272), sur la duplicité d’Erigone (acte IV, scène 4) et remords (v. 1356-1364), et une seule parole d’Erigone réussit à lui faire changer d’avis et à le rendre malléable. Abeille fait preuve d’originalité et d’habileté ici puisqu’en faisant porter la responsabilité entière du meurtre sur Erigone qui complote contre son amant déclaré, il rend le personnage de Danaüs moins monstrueux que dans le mythe originel, plus humain, et plus à plaindre aussi, suscitant la pitié avec plus d’efficacité. Il pourrait sembler lâche au début de la pièce, ce qu’Hipermestre ne manque pas de souligner à l’acte IV, scène 2 en faisant référence à « L’honneur et la vertu » (v. 1016) qu’il aurait perdu avec l’assassinat de Lyncée ; mais la suite des événements le montre impuissant certes mais faisant montre de courage face à sa destinée :

Vain pretexte! Et mes gens ont quitté le Rivage,        1257
Ils ont cedé. Destins achevez vostre ouvrage,
Et puisque vainement je m’oppose à vos coups,
Frapez de tous costez je m’abandonne à vous.        1260

Frappé par la fatalité et ne sachant où accorder sa confiance, Danaüs se résigne, ce qui le rend digne de la compassion du public, trahi par ses proches, manipulé et conscient de sa déchéance. En cela, il se retrouve très proche du personnage d’Agamemnon de Racine, « ni tout à fait coupable ni tout à fait innocent36 ». Il est vrai que Danaüs reste coupable du meurtre des quarante-neuf frères de Lyncée, mais cette culpabilité est atténuée par la présence d’Erigone qui est à l’origine de ses décisions. Le pathétique de ce personnage n’est plus à démontrer et nul doute qu’il est à même de provoquer les émotions visées par Aristote.

Des héros-types de la tragédie §

Après Erigone, et à égalité avec son père, Hipermestre est celle qui occupe le plus l’espace scénique : elle apparaît dans onze scènes sur vingt-six. Au XVIIe siècle, on a coutume de ménager l’apparition des héros amoureux à la scène 1 de l’acte II et c’est ce qui se produit puisque le deuxième acte s’ouvre sur une scène galante entre les deux amants.

Hipermestre incarne, à l’instar de son amant Lyncée avec qui elle rivalise de vertu dès leur entrée en scène, l’héroïne-type de toute tragédie. C’est une jeune fille de haut rang, fille de roi, avec les attributs de son « caractère » : elle est jeune et belle, puisqu’elle attire les attentions de Lyncée et d’Iphis et elle est avant tout l’image de la vertu et de l’honneur. D’ailleurs, dès sa première apparition sur la scène à l’acte II scène 1, son ethos est défini par ce devoir puisque, face à son amant, elle déclare :

Puis qu’un Pere aujourd’huy m’attache à votre sort        323
Et qu’en fin le devoir et l’amour sont d’accord,
Sçachez ce qu’a jamais la vertu m’eut fait taire,
Si le Roy n’eut cessé d’estre à mes voeux contraire,        326

Tout son discours est hanté par le dilemme entre son devoir envers son père et son amour vertueux pour Lyncée, comme le souligne la récurrence du doublet « la nature et l’amour » aux vers 415, 475, 587, soit trois fois en l’espace de deux scènes de l’acte II. Elle s’efforce, en vain, de sauver à la fois son père et son amant, s’exposant à la colère du premier et au sacrifice de son amour :

Ah faudra t’il toujours redouter la colere,        593
Du Pere pour l’époux [,] de l’époux pour le Pere [?]
Juste Ciel qui semblez encourager mes voeux,
Montrez-moy les moyens de les sauver tous deux.        596

Ces quelques vers résument parfaitement sa volonté vertueuse d’écarter le danger de son père sans avoir à livrer son amant aux enfers. C’est une héroïne malheureuse dans la tradition de la tragédie mais Abeille, contrairement à ses prédécesseurs, fait d’elle un personnage à part, sans la passivité que l’on trouve dans les autres pièces qui lui sont consacrées. Elle agit, prend des décisions et se montre même plus raisonnable que Lyncée : c’est elle qui prend l’initiative d’organiser sa fuite (acte III, scène 7), elle qui ouvre la première les yeux sur les exactions d’Erigone et découvre la vérité à son père (acte IV, scène 3). Cependant, ironie tragique ou preuve de sa grande vertu et de sa grandeur d’âme, elle se laisse elle aussi aveugler par les discours d’Erigone au dernier acte (scène 4).

Toutefois, cette erreur n’entache pas sa vertu et son courage puisque c’est elle qui rappelle à son père qu’orchestrer un tel massacre est un déni de sa valeur et de sa vertu et le spectateur ne peut qu’être ému par cette jeune fille qui ne désobéit à son père que par amour pour Lyncée et qui renonce à cet amour en arrachant à ce dernier la promesse qu’il n’accomplira pas le sombre oracle :

Non vous ne serez point funeste à vostre Pere,        881
Dissipez vos frayeurs ma promesse est sincere,
Je ne voy plus en luy l’ennemi qui me perd,
Vostre seule vertu met son crime à couvert,37884

Ainsi, la vertu d’Hipermestre n’a d’égale que celle de Lyncée, qui accepte de s’enfuir sans nourrir de vengeance pour la mort de ses frères, plaçant ces deux amants sous l’ethos traditionnel. On a beaucoup commenté le goût de Racine pour le sentiment amoureux qui naît dès l’enfance et de la connaissance de l’autre, un sentiment qui tranche avec la passion dévorante de Roxane pour Bajazet, de Phèdre pour Hippolyte, d’Eriphile pour Achille…

Ici, c’est le même schéma qui se reproduit, l’amour des deux jeunes gens, fait de pudeur et de sacrifice, cet amour secret et qui date de l’enfance, mis en avant dans une longue scène entre les amants souligne, et condamne, la passion dévorante d’Erigone faite de manipulation, de trahison, de calcul meurtrier et passant outre tout ce qui ne sert pas ses intérêts. De plus, le dilemme d’Hypermnestre qui la conduit à désobéir son père doit également être motivé : elle devait être amoureuse de Lyncée et vice versa. Tout ceci tend à mettre en avant cet amour pur et digne entre les deux amants, malgré les obstacles qui s’élèvent devant eux.

Et on peut d’ailleurs supposer qu’Abeille ne met pas en scène le dénouement heureux habituel du mariage des amants, dénouement pourtant utilisé par les auteurs antiques, uniquement pour mettre en valeur la vertu de cette jeune fille, horrifiée de n’avoir pu empêché l’oracle de s’accomplir et se blâmant, à travers ses reproches à Lyncée, de n’avoir pu sauver son père du péril :

Vous hair je ne puis, vous aymer je ne l’ose,        1493
Vous voyez mes soupirs, vous en estes la cause [.]
Il suffit [.] Laissez moy dans ce malheureux jour,
Douter au moins s’ils sont de douleur ou d’amour.    1496

C’est un dénouement incertain qu’écrit Abeille : l’obstacle constitué par Erigone est certes levé et Lyncée n’est pas responsable de la mort de Danaüs ; toutefois, l’oracle funeste s’est accompli, Iphis s’est donné la mort et Erigone aussi sans doute. Lyncée attend la sentence de sa bien-aimée qui paraît au désespoir. Les personnages d’Erigone et d’Iphis sont bien des opposants à Danaüs et aux deux amants.

Mais le choix d’un tel épisode amoureux et vengeur dans l’écriture de ce mythe n’apparaît pas d’emblée de manière évidente et on pourrait se demander à juste titre pour quelle raison Abeille ne s’est pas contenté de garder les éléments du mythe d’origine. On l’a vu, le défaut de la tragédie de Gombauld avait été de mener une action faiblement dramatisée, conduisant l’intrigue de manière linéaire. En créant le personnage d’Erigone et en la rendant velléitaire, Abeille rationalise le mythe et l’oracle n’est que l’instrument entre ses mains. En la rendant amoureuse de Lyncée, le dramaturge la rend plus humaine et donne une profondeur à ce personnage. Mais alors, pourquoi créer une autre rivalité amoureuse, faisant apparaître Iphis en amant rejeté par Hipermestre ? La réponse est finalement simple : Hipermestre devient un véritable enjeu amoureux, Erigone en devient plus monstrueuse, et Lyncée, qui a un rôle médiocre dans cette pièce est mis en valeur par le contrepoint qu’Iphis lui offre : grâce à ce double négatif de lui-même, il en devient plus héroïque et digne de l’amour d’Hipermestre puisque c’est Iphis qui accomplit l’oracle, lui évitant de devenir le meurtrier du père de sa bien-aimée. Comparé à Iphis, il sort avec éclat et vertu de l’affrontement final. La rivalité amoureuse entre Iphis et Lyncée devient alors un événement catalyseur de l’action dans cette tragédie.

Personnage sur lequel se concentre la pièce, objet de tous les enjeux, Lyncée donne son nom à la tragédie d’Abeille mais n’occupe que cinq des vingt-six scènes. Mais ces scènes sont choisies et préparées avec soin par le dramaturge et répond à des fonctions précises dans la progression de l’intrigue.

Il apparaît, comme Hipermestre, dans la première scène de l’acte II, et revêt toutes les qualités du jeune héros dont sont friands le public du XVIIe siècle : c’est un jeune homme vertueux et fougueux, comme le démontrer le fait qu’il revienne affronter le danger pour enlever sa bien-aimée (acte IV, scène 6). Il correspond d’ailleurs point par point à la description que donne Scherer dans sa Dramaturgie classique en France : il est jeune, beau, impétueux, noble et courageux et surtout il est malheureux. Bien entendu, Abeille s’attelle dès sa première apparition à le décrire, dans la bouche d’Hipermestre, en courageux guerrier dans le récit que les deux amants se font de leur passé :

Ceux par qui vostre bras produit tant de miracles,    310
Ceux de qui vous tenez cette illustre valeur,
Qui jusques dans ces lieux a porté la terreur,
A forcé Danaus à craindre vostre gloire*.        313

Il prouve sans cesse cette valeur militaire puisqu’il refuse d’abord de fuir devant le danger mais accepte par amour pour Hipermestre. En cela, Lyncée représente l’amant malheureux que les dieux, ou le roi-père, veulent séparer de sa maîtresse.

On peut se demander alors pourquoi, bien qu’il soit le centre des conversations, pratiquement toujours absent de l’espace scénique. Et Scherer apporte un élément de réponse à cette question :

[…] la seconde [démarche] consiste à ménager les apparitions du héros, à ne le faire paraître que rarement, en utilisant le reste du temps disponible à parler de lui ou de ses desseins, pour mieux préparer les scènes où il figure38.

Et de fait, à chacune de ses apparitions correspond un rôle précis ; il fait partie de qu’on appelle le « héros rare », par opposition au héros prodigué. La scène 1 de l’acte II l’introduit comme le jeune héros valeureux et amoureux, mettant en branle la captatio benevolentiae ; l’acte III le confronte directement à Erigone (scène 6) puis à Hipermestre qui l’aide à s’enfuir (scène 7) ; il faudra attendre la dernière scène de la tragédie pour le revoir, présent uniquement pour le dénouement, vainqueur de la machinerie d’Erigone. Abeille, en créant le personnage d’Iphis, parvient par ce biais à accomplir l’oracle sans effectuer un quelconque accroc à sa vertu et à son amour pour Hipermestre.

C’est pourquoi, nous allons nous intéresser à ce personnage épisodique qu’Abeille ajoute à Erigone pour comprendre sa fonction exacte dans la pièce. On s’est donc demandé pourquoi le dramaturge a eu recours à l’invention de ce personnage, qui pourrait paraître moins motivé que celui d’Erigone.

Iphis n’apparaît en effet que dans cinq scènes, comme Lyncée d’ailleurs, mais son rôle est nettement moins important. Il sert essentiellement de double à Lyncée, une sorte de repoussoir qui met en valeur le caractère admirable du héros éponyme ; pourtant il possède les mêmes attributs que ce dernier. C’est un jeune homme fougueux et amoureux, avec des qualités vertueuses puisqu’il s’indigne d’abord de l’amour de sa mère pour Danaüs, puis de la machination cruelle qu’elle met en place contre le roi (acte I, scène 1).

En outre, sa rivalité amoureuse avec Lyncée place Hipermestre en véritable enjeu et devient un élément moteur de l’action. Iphis est complètement dominé par sa mère qui utilise son dépit amoureux pour l’inciter à accomplir l’oracle :

Esclave scrupuleux d’une fausse vertu            1312
Indigne protecteur d’un tyran qui m’oprime,
Et d’un honteux amour malheureuse victime,
Rends moy Rends moy ce fer inutile en tes mains391315

Il n’est qu’un jouet entre ses mains et n’hésite pas à le sacrifier au nom de sa vengeance. Ainsi, si Iphis agit différemment de son discours, c’est qu’il garde la lucidité de sa vertu mais ne peut aller à l’encontre de sa mère ; c’est un personnage faible et lâche mais amoureux et manipulé. Et il est d’autant plus digne de compassion qu’il a conscience de sa déchéance et que sa lucidité lui fait voir les conséquences de la vengeance d’Erigone :

Ma main sur Danaus accomplira l’oracle,        121
Mais pourrez vous souffrir ce barbare spectacle [:]
Hipermestre m’offrant la teste d’un époux,
Moy du sang de son Pere arrosant ses genoux [?]
Ah serons nous apres cette action cruelle,
Elle digne de moy, moy mesme digne d’elle [?]        126

Sans le savoir, il prédit ici le dénouement et résout le mystère de l’oracle mais tous l’ignorent encore à cet instant. Cependant, il lui apparaît clairement qu’une telle action ne lui permettra jamais d’atteindre le cœur d’Hipermestre.

Abeille en fait un rival pour le lier étroitement à l’action principale et faire entrer ses intérêts dans le mythe. En effet, Erigone ne peut achever seule l’oracle; par bienséance, une femme ne peut esquisser un geste de violence sur la scène et on se souvient des critiques qui ont accueillies la Médée de Corneille où la robe de Créuse prend feu sur scène. De même, on a démontré qu’Erigone n’agit jamais directement mais elle s’applique simplement à inciter les autres à agir selon ses plans. Iphis est donc le bras capable d’exécuter l’oracle : engagé dans l’intrigue par son amour pour Hipermestre, le dramaturge le pose d’entrée en rival de Lyncée, moins chanceux certes mais c’est justement ce qui lui permet en réalité de prendre part à l’action. Jouet entre les mains de sa mère et conscient de l’être, il retourne l’arme contre lui-même : c’est pourquoi il ne porte qu’une culpabilité partielle qui provoque chez le spectateur des émotions intenses dans la mesure où c’est sa propre mère qui cause sa perte, illustration de ce qu’Aristote a appelé « la violence au sein des alliances ».

*****

L’examen de cette pièce d’Abeille nous a permis de redécouvrir cette tragédie, tombée dans l’oubli et largement éclipsée par les grands auteurs dramatiques du dix-septième siècle tels que Corneille, Molière mais surtout Racine. Lyncée s’inscrit dans la directe lignée des grandes tragédies antiques, mettant à profit le mythe fondateur de l’Histoire d’Argos et ses liens entre l’Egypte. Mais Abeille réalise un travail étonnant sur cette base en y greffant un épisode de vengeance doublée de passion amoureuse qui nouent les personnages entre eux, motivent leurs actes et donne un éclairage nouveau sur ce mythe connu, surtout pour ses contemporains. Il parvient en effet à émouvoir ses spectateurs en le faisant ressentir les grandes émotions tragiques prônées par Aristote lui-même tout en ménageant un dénouement sanglant qui réserve aux spectateurs des péripéties et retient l’attention par son originalité. Le commentaire de Mouhy sur cette pièce d’Abeille nous informe d’ailleurs que, bien que la tragédie n’ait pas rencontré un succès, « la quatrième scène du Cinquième Acte […] applaudie et […] le méritoit40 » : cette scène, qui correspond à l’affrontement entre Erigone et Hipermestre, nous conforte donc dans l’idée que l’originalité de cette pièce se trouve dans la création de ces personnages épisodiques qui nouent l’action et la renouvellent sans cesse.

Note sur la présente édition §

Il n’existe qu’une édition de cette pièce d’Abeille, Lyncée, imprimée en 1681 mais créée en février 1678. Deux exemplaires sont cependant disponibles à Paris :

  • – BNF, Richelieu-Arts du spectacle, 8-RF-5367
  • – BNF, Richelieu-Arts du spectacle, R 216395
  • – BNF, Richelieu-Manuscrits occidentaux, ROTHSCHILD SUPPLEMENT-16

En voici la description :

In-12, deux pages non numérotées qui correspondent à la page de titre et à la liste des Acteurs. Notre édition commence sans paratexte à la page 3 et comporte 55 pages au total.

[I] LYNCEE41, / TRAGEDIE. / Par / Mr. ABBEILLE. / Sceau représentant un globe terrestre / A LA HAYE, / Chez ADRIAN MOETJENS, / Marchand Libraire prez de la Cour, à la / Librairie42 Francoise 1681.

[II] Liste des Acteurs.

[3-55] Texte de la pièce.

En ce qui concerne l’établissement du texte, nous avons conservé en règle générale l’orthographe de l’édition originale. Toutefois, nous nous sommes livré à quelques rectifications d’usage, qui nous ont semblé indispensables pour une parfaite lecture du texte. Ainsi :

  • – Nous avons remplacé tous les « ƒ » par des « s ».
  • – Nous avons transcrit la ligature « & » en « et », conjonction de coordination.
  • – Nous avons corrigé quelques erreurs manifestes (cf. liste des coquilles ci-dessous).
  • – Nous avons rétabli les accents diacritiques chaque fois qu’il était nécessaire afin de distinguer « où », adverbe de lieu, de « ou », conjonction de coordination; et « à », préposition, de « a », adverbe.
  • – Nous avons rétabli la majuscule pour les noms de pays qui n’en comportaient pas dans l’édition originale.
  • – Nous avons également corrigé les erreurs de composition liées à l’oubli, ou même l’ajout, d’un espace entre l’article et le nom. Exemple : « lune ou lautre ».
  • – Au XVIIe siècle, la graphie des mots n’était pas encore fixée. Certains mots sont ainsi présents sous deux ou plusieurs orthographes différentes, que nous avons décidé de conserver. Cela dit, le fait que notre pièce obéisse au principe de la rime pour l’œil explique bien souvent la fluctuation de l’orthographe.
  • – Nous signalons que l’édition originale comportait une lettrine au début de chaque acte, lettrine que nous n’avons pas retranscrite toutefois dans notre édition.
  • – Une astérisque à la fin des mots renvoie le lecteur au glossaire, situé à la fin de cette édition.
  • – Abeille procède à une simplification du nom de l’héroïne du mythe des Danaïdes : « Hypermnestre » devient ainsi Hipermestre dans la pièce. Nous avons conservé ce choix pour l’établissement de notre texte ainsi que dans l’introduction critique. Toutes les fois où nous parlons d’Hipermestre, il s’agit du personnage spécifique d’Abeille, contrairement à Hypermnestre qui désigne le personnage du mythe lui-même.

Coquilles §

Page de titre §

« Abbeille »-« Libraire Francoise » au lieu de Librairie

Liste des Acteurs §

« maritme »

Acte I §

Acte I scène 1 (page 3 de l’édition originale) : [Iphis]

v. 1 « Où » : Ou // v. 2 « Où » : Ou // v. 2 « lune où lautre » // v. 3 (x2) « a » : à // v. 4 « Jay » // v. 5 « a » : à // v. 11 « a » : à // v. 15 « éspoir » // v. 17 « Nauplis » / « a » : à // v. 20 « a » : à // v. 26 « Que » : Qu’ / « a » : à // v. 35 « quil » // v. 37 « cést » // v. 39 « a » : à // v. 43 « a » : à // v. 44 « a » : à // v. 45 « a » : à // v. 47 « a » : à // v. 58 « Fugant » : fuyant // v. 60 « a » : à // v. 61 « a » : à // v. 66 « la fait » // v. 67 « a » : à // v. 68 « men » // v. 69 « a » : à / « la » : sa // v. 70 « jay lû » : j’ay lu // v. 72 « On » : // v. 79 « a » : à // v. 86 « a » : à // v. 91 « par » : pas // v. 94 « Ou » : Où // v. 95 « destre » // v. 96 « Nosant » // v. 103 « a » : à // v. 104 « a » : à // v. 110 « laveu » / « a til » // v. 111 « Jayme » / « Où » : Ou // v. 112 « mallez » // v. 113 « eteinte » : éteintes // v. 115 « D’anaus » // v. 116 « a » : à // v. 119 « nay » // v. 120 (x3) « a » : à // v. 123 « moffrant » // v. 130 « Laisses moy » // v. 135 « leffet » // v. 136 « maura » // v. 143 « a » : à // v. 144 « Jay » // v. 152 « a » : à // v. 160 « naura » // v. 163 « l’exes » // v. 164 « a » : à // v. 169 « Jusqu’icy Jay » // v. 170 « ma » // v. 173 « il est temps & de parler » : Il est temps de parler // v. 175 « on » : // v. 176 « jay » // v. 189 « quil ma » // v. 190 « a » : à // v. 192 « quil » / « jen » / « le desirs » // v. 196 « a » : à // v. 197 « la » : là // v. 201 « la » : là // v. 203 « Où » : Ou / « sil » // v. 204 « a » : à // v. 205 « la » : là // v. 210 « a » : à // v. 214 « a » : à // v. 224 « a » : à // v. 228 « a » : à // v. 235 « ses yeux languissant » // v. 236 « Rabatois » : rabattoit // v. 237 « Jayme » // v. 241 « où » : ou // v. 242 « lamante » // v. 243 « a » : à // v. 244 « a » : à // v. 252 « où » : ou // v. 253 « arrstée » // v. 254 (x2) « Où » : Ou / « lont » // v. 257 « je lavoüe » // v. 259 « quil peut il y succomber » // v. 265 « qui ma dit » : qui me dit // v. 286 « a » : à // v. 287 « ma » // v. 290 « a » : à // v. 296 « a » : à / « où » : ou // v. 300 « quil » / « a » : à

Acte II §

v. 305 « Je vois » : je [vous] vois // v. 307 « a » : à / « vos » : vous // v. 313 « a » : à // v. 318 « a » : à // v. 320 « jay » // v. 321 « jay » // v. 321 « devantage » // v. 322 « j’en fait » // v. 323 « a » : à // v. 325 « a » : à // v. 326 « c’essé » / « a » : à // v. 329 « a » : à // v. 334 « mois » : moins // v. 336 « rétour » // v. 343 « quil » // Omission du vers 350 dans l’édition originale // v. 353 « laffreuse » // v. 362 « nont » / « épeé » // v. 363 « Ou » : Où // v. 366 « mauriez » // v. 367 « a la mains » : à la main // v. 368 « a » : à // v. 370 « Jarrosay » // v. 371« Daugures » // v. 372 « Quils » / « funestres » / « a » : à // v. 375 « promptemenc » // v. 377 « a » : à // v. 380 « a » : à // v. 384 « a » : à // v. 394 « a » : à / « le » : se // v. 395 « a » : à // v. 396 « a » : à // v. 397 « a » : à // v. 402 « a » : à // v. 412 « a » : à / « du » : dû // v. 413 « la » // v. 420 « laisnesse » // v. 423 « destre » // v. 425 « Lybie » : Libye // v. 431 « a » : à // v. 432 « ces » : ses // v. 433 « a » : à // v. 438 « a » : à // v. 439 « a » : à // v. 440 « a » : à // v. 442 « laccable » // v. 443 « a » : à // v. 447 « a » : à // v. 455 « a » : à // v. 463 « jen » // v. 465 « la » : là // v. 481 « trois an » // v. 485 « ma » // v. 486 « Lyncèe » // v. 489 « a » : à // v. 495 « laymois » // v. 501 « a » : à / « leteindre » // v. 502 « jaurois » // v. 508 « a » : à // v. 511 « laurez » / « a » : à // v. 512 « c’est » : cet // v. 514 (x2) « a » : à // v. 533 « a » : à // v. 535 « a » : à // v. 546 « a » : à // v. 550 « a » : à // v. 553 « a » : à // v. 554 « diffiance » // v. 555 « leur coups » // v. 557 « livrént » // v. 559 « dant » : tant // v. 572 « a » : à // v. 573 « a » : à // v. 579 « a » : à // v. 581 « Jaime » // v. 583 « a » : à // v. 584 « Jayme » // v. 586 « quil » // v. 586 « men » // v. 589 « qu’elle » // v. 590 « desoubeissant » // v. 591« a til » // v. 592 « na til »

Acte III §

Acte III scène 1 (page 23 de l’édition originale) : [Erigone] // v. 598 « javois » // v. 600 « Je ne trouve plus le jour tend a sa fin » : Je ne [le] trouve plus [.] Le jour tend à sa fin // v. 605 « laffaire » // v. 606 « a » : à // v. 610 « Qu’il fuge » : qu’il fuye / « Où » : Ou // v. 613 « a » : à // v. 615 « a prests » // v. 621 « a » : à // v. 625 « jattens » // v. 632 « lespoir » // v. 636 « a » : à // v. 640 « telle » // v. 642 (x2) « a » : à // v. 650 « a » : à // v. 651 « Quon » // v. 653 « dabord » // v. 657 « a » : à // v. 658 « dépouse » // v. 659 « a » : à // v. 662 « a » : à // v. 665 « a » : à // v. 675 « a » : à // v. 677 « a » : à // v. 684 « a » : à // v. 686 « a » : à // v. 690 « a pareils » // v. 691 « a » : à // v. 693 « a » : à // v. 696 « la » // v. 703 « a lors » // v. 704 « féray » // v. 713 « a » : à // v. 719 « concois » // v. 720 « a » : à // v. 721 « a » : à // v. 725 « ou » : où // v. 726 « Et vous vous, etonnez » // v. 729 « ou » : où // v. 731 « a » : à // v. 737 « Ou » : Où // v. 738 « la » // v. 746 « Quelfruit » // v. 751 « a » : à // v. 752 « ou » : où // v. 754 « a » : à // v. 756 « a » : à // v. 757 « Jadore » // v. 762 « ou » : où // v. 763 « ma » // v. 766 « la » // v. 767 « le voix » // v. 771 « la » : là // v. 786 « a » : à // v. 789 « Il fais plus » : Je // v. 795 « l’oin » // v. 796 « a » : à // v. 799 « a » : à // v. 801 « a » : à // v. 803 « a pres » / « defforts » // v. 805 « a » : à // v. 807 « Jauray » / « a » : à // v. 810 « ny » // v. 812 « a » : à // v. 814 « a » : à // v. 815 « a » : à // v. 817 « a » : à // v. 821 « a » : à // v. 824 « a » : à // v. 827 « le pitié » // v. 835 « n’oye » // v. 840 « a » : à // v. 843 « puis qu’il » // v. 844 « a » : à // v. 846 « t’el » // v. 847 « a » : à // v. 848 « Uu » : Une // v. 855 « a » : à // v. 858 « a » : à // v. 878 « a » : à // v. 880 « a » : à // v. 884 « a » : à // v. 886 « et » : est // v. 887 « Joublieray » // v. 890 « a » : à // v. 894 « malgré nous, nous » // v. 895 « a » : à // v. 901 « doffenser » // v. 901 « jamis » : jamais // v. 902 « a » : à // v. 902 « J » : j’ // v. 906 « a » : à // v. 909 « a » : à // v. 910 « J’amais » // v. 912 « J’amais » // v. 913 « a » : à // v. 920 « a » : à // v. 921 « a » : à // v. 930 « a » : à // v. 934 « deviter » // v. 941 « ou » : où // v. 947 « a » : à // v. 951 « lay » // v. 954 « a » : à // v. 959 « a » : à // v. 960 « a » : à

Acte IV §

v. 962 « recoy » // v. 964 « a » : à // v. 966 « c’est » : cet // v. 967 « ce» : se // v. 968 « a » : à // v. 980 « ses regarde » // v. 974 « navons » / « a » : à // v. 975 « a » : à // v. 980 « a » : à // v. 981 « cen » // v. 984 « a » : à // v. 985 « a » : à // v. 990 « ma » // v. 994 « lon » // v. 995 « a » : à // v. 1000 « a » : à // v. 1002 « a » : à // v. 1003 « a » : à // v. 1004 « a » : à / « au de la » : au-delà // v. 1006 « j’ouir » // v. 1008 « mavez » // v. 1018 « a » : à // v. 1019 « a » : à // v. 1020 « ce » : de // v. 1021 « a » : à // v. 1022 (x2) « a » : à // v. 1026 « las » // v. 1027 « j’amais » // v. 1034 « a » : à // v. 1042 « a » : à // v. 1043 « a » : à // v. 1046 (x2) « Où » : Ou // v. 1047 « a » : à // v. 1051 « a » : à // v. 1056 « Seigneurs » // Omission du vers 1058 dans l’édition originale // v. 1061 « a » : à // v. 1062 « a » : à // v. 1066 « que » : qui // v. 1067 « a » : à // v. 1071 « a » : à / « sort » : sert // v. 1073 « la » : là // v. 1075 « a » : à // v. 1076 « la » : là // « SCENE V » (page 39 de l’édition originale) : SCENE III // v. 1081 « Qu’avons-nous fait’il » // v. 1084 « maviez » // v. 1087 « a » : à // v. 1092 « ce luy » // v. 1095 « coronnez » // v. 1097 (x2) « a » : à // v. 1098 « jattens » // v. 1099 (x2) « a » : à // v. 1102 « a » : à // v. 1103 « a » : à // v. 1104 « la » // v. 1105 « puisquil » // v. 1107 « a » : à // v. 1114 « a » : à // v. 1119 « a » : à // v. 1122 « a » : à // v. 1124 « a » : à // v. 1125 « a » : à // v. 1126 (x2) « a » : à // v. 1127 (x2) « a » : à // v. 1128 « a » : à // v. 1129 « ma » // v. 1130 « ma » // v. 1142 « questes » // v. 1148 « des mes jours » // v. 1149 « a pres » // v. 1152 « a » : à // v. 1153 « ma » // v. 1154 « a » : à // v. 1161 « a » : à // v. 1166 « a » : à // v. 1168 « a » : à // v. 1170 « on » : ou // v. 1171 « a » : à // v. 1174 « a » : à // v. 1185 « a » : à // v. 1189 « d’un » : d’une // v. 1192 « L’aissez » // v. 1201 « a » : à // v. 1203 « a » : à // v. 1204 « a » : à // v. 1205 « a » : à // v. 1208 « a » : à // v. 1213 « qua » : qu’à // v. 1214 (x2) « a »: à // v. 1226 « Vous » : Vos // v. 1233 « a » : à // v. 1234 « a » : à // v. 1237 « a » : à // v. 1240 « a » : à // v. 1242 « De puis » // « LYNCEE » : LYCASTE [SCENE VI, page 45 de l’édition originale] // v. 1251 « s’embloient » / « lors qu » // v. 1256 « ny » // v. 1258 « […]. Destins achevez vostre ouvrages » : Destins [,] achevez vos ouvrages, // v. 1259 « a » : à // v. 1260 « a » : à

Acte V §

v. 1264 « Jattens » // v. 1273 « a » : à // v. 1275 « j’aloux » // v. 1286 « la : là » // v. 1287 « a » : à // v. 1288 « a » : à // v. 1290 « a » : à // v. 1291 « d’etourner » // v. 1296 « la » : là // v. 1298 « a » : à // v. 1303 « a » : à // v. 1308 « a » : à // v. 1309 « Où » : Ou // v. 1315 « maine » // v. 1316 « Jiray » // v. 1317 « a » : à // v. 1320 « a » : à // v. 1324 « a » : à // v. 1325 « lavez » // v. 1329 (x2) « a » : à // v. 1330 « Jay » / « jeus » : j’eus // v. 1335 « jeteindray » // v. 1336 « c’et » // v. 1336 « lardeur » // v. 1337« jauray du » : j’aurai dû // v. 1337 « Mais apres avoir fait ce jauray du faire » : Mais apres avoir fait ce [que] j’auray dû faire // v. 1342 « a pres » // v. 1348 « la » : là // Acte V scène 3 (page 49 de l’édition originale) : [Erigone] // v. 1353 « a » : à // v. 1356 « a » : à // v. 1363 « a » : à // v. 1368 « a » : à // v. 1369 « la » : là // v. 1371 « la » : là // v. 1393 « a » : à // v. 1395 « obsolu » // v. 1400 « a » : à // v. 1401 « a » : à // v. 1406 « a » : à // v. 1411 « a » : à // v. 1413 « a » : à // v. 1426 « a » : à // v. 1427 « a » : à // v. 1431 « la » : là // v. 1435 « Deséspoir » // v. 1438 « lon recois » // v. 1440 « a »: à // v. 1444 « a lenvy » : à l’envy // v. 1451 « se troublé » : se trouble // v. 1452 « a » : à // v. 1462 « mavez » // v. 1464 « sen » // v. 1471 « a » : à // v. 1472 « a » : à // v. 1480 « la » : là // v. 1489 « sauvè » : sauvé // v. 1492 « prononcent » : prononçant.

Corrections de la ponctuation §

Acte I §

v. 3 «  » : [,] // v. 9 « , » : [?] // v. 12 « , » : [.] // v. 20 « , » : [;] // v. 22 « , » : [.] // v. 23 «  » : [;] // v. 25 «  » (x2) : [,] // v. 31 « , » : [...] // v. 32 «  » : [!] // « , » : [!] // v. 33 «  » : [!] // v. 35 «  » : [.] // v. 36 « , » : [.] // v. 38 « , » : [.] // v. 44 «  » : [;] // v. 53 «  » : [!] // « , » : [?] // v. 54 « , » : [!] // v. 55 « , » : [!] // v. 56 « , » : [.] // v. 60 « , » : [.] // v. 61 « , » : [;] // v. 70 « , » : [;] // v. 73 «  » : [,] // v. 75 « , » : [!] // v. 78«  » : [!] // v. 82 «  » : [!] // v. 84 « , » : [.] // v. 86 «  » : [.] // v. 88 «  » : [.] // v. 92 «  » : [,] // « , » : [.] // v. 94 « , » : [?] // v. 98 « , » : [:] // v. 100 « , » : [.] // v. 108 « , » : [!] // v. 111 «  » : [,] // « , » : [.] // v. 118 « , » : [;] // v. 120 « , » : [.] // v. 122 « , » : [:] // v. 124 « , » : [?]// v. 126 « . » : [?]// v. 128 « , » : [.] // v. 129 « , » : [;] // v. 134 « , » : [ ;] // v. 138 « , » : [ !] // v. 140 « . » : [?] // v. 141 « . » : [!] // « , » : [?] // v. 142 « , » : [:] // v. 144 « : » : [.] // v. 146 « . » : [!] // v. 147 «  » : [.] // v. 149 « , » : [.] // v. 151 « , » : [.] // v. 153 « , » : [.] // v. 158 «  » (x2) : [,] // v. 165 « , » : [?] // v. 166 « . » : [?] // v. 167 «  » : [.] // v. 168 « , » : [?] // v. 172 « , » : [.] // v. 174 « , » : [.] // v. 175 « , » : [:] // v. 180 « , » : [;] //v. 184 « , » : [.] // v. 186 « , » : [ ;] // v. 188 « , » : [.] // v. 190 « , » : [!] // v. 196 « , » : [?] // v. 202 « , » : [;] // v. 203 «  » (x2) : [,] // v. 204 « , » : [.] // v. 210 « , » : [?] // v. 213 « . » : [?] // v. 214 « , » : [!]// v. 216 « , » : [:] // v. 220 « , » : [.] // v. 226 « , » : [?] // v. 228 « . » : [?] // v. 229 «  » : [?] // v. 232 « , » : [;] // v. 236 « , » : [.] // v. 238 «  » : [?] // «  » : [,] // « , » : [?] // v. 240 « , » : [.] // v. 244 « , » : [?] // v. 247 «  » : [,] // v. 248 « , » : [?] // v. 249 « , » : [?] // v. 250 « , » : [?] // v. 251 « , » : [?] // v. 252 « , » : [.] // v. 266 « . » : [?] // v. 271 « ; » : [,] // v. 272 « . » : [,] // v. 274 « , » : [.] // v. 278 « , » : [.] // v. 282 « , » : […] // v. 284 « . » : [?] // v. 285 « , » : [!] // v. 288 « , » : [.] // v. 293 « , » : [!] // v. 294 « , » : [:] // v. 295 « . » : [,] // v. 296 « , » : [.]

Acte II §

v. 304 « , » : [?] // v. 308 « , » : [.] // v. 309 « . » : [?] // v. 311 « , » : [ ] // v. 314 « , » : [!] // v. 316 « , » : [.] // v. 318 « , » : […] // v. 322 « , » : [.] // v. 328 « , » : [.] // v. 330 « , » : [:] // v. 334 « , » : [.] // v. 336 « , » : [!] // v. 340 « , » : [ ] // v. 342 «  » : [.] // v. 344 « , » : [:] // v. 347 « . » : [?] // v. 348 « . » : [?] // v. 356 « . » : [?] // v. 361 « , » : [?] // v. 362 « , » : [?] // v. 364 « , » : [?] // v. 368 « , » : […] // v. 369 « . » : [?] // v. 372 « , » : [!] // v. 375 « , » : [:] // v. 376 «  » (x2) : [,] // v. 380 « , » : [;] // v. 388 « , » : [?] // v. 403 « , » : [.] // v. 406 « , » : [.] // v. 410 « , » : [.] // v. 412 «  » : [?] // v. 413 « . » : [?] // v. 414 « , » : [?] // v. 415 « , » : [.] // v. 416 « , » : [?] // v. 428 « , » : [.] // v. 430 « , » : [.] // v. 434 « . » : [!] // « , » : [!] // v. 435 «  » : [?] // v. 436 « , » : [.] v. 442 «  » : [:] // v. 446 « , » : [!] // v. 448 « , » : [ ;] // v. 450 « , » : [:] // v. 454 « , » : [ ;] // v. 455 « . » : […] // v. 458 « . » : [?] // v. 460 «  » : [,] // v. 462 « , » : [.] // v. 465 « , » : [?] // v. 474 «  » : [.] // v. 476 « , » : [.] // v. 480 « , » : [.] // v. 485 « , » : [:] // v. 489 « , » : [.] // v. 492 « , » : [?] // v. 494 « , » : [?] // v. 496 « , » : [;] // v. 500 « , » : [.] // v. 504 « , » : [.] // v. 508 « , » : [!] // v. 511 «  » : [,] // v. 514 « , » : [.] // v. 516 « . » : [?] // v. 518 « , » : [;] // v. 521 « . » : [?] // v. 522 « , » : [.] // v. 523 « , » : [?] // v. 524 « , » : [?] // v. 526 « , » : [?] // v. 528 « , » : [?] // v. 532 « , » : [.] // v. 533 «  » (x2) : [,] // v. 534 « , » : [.] // v. 537 « . » : [!]// « , » : [!] // v. 540 « , » : [?] // v. 542 « , » : [?] // v. 544 « , » : [?] // v. 546 « , » : [?] // v. 548 « , » : [?] // v. 551 « , » : [;] // v. 554 « , » : [.] // v. 556 « , » : [.] // v. 558 « , » : [?] // v. 560 « , » : [?] // v. 564 « , » : [?] // v. 565 « , » : [?] // v. 568 « , » : [.] // v. 572 « , » : [;] // v. 576 «  » : [,] // v. 577 «  » (x3) : [,] // v. 578 « , » : [;] // v. 582 « , » : [?] // v. 583 « , » : [.] // v. 586 « , » : [.] // v. 588 « , » : [.] // v. 589 « , » : [?] // v. 590 « , » : [?] // v. 591 « , » : [?] // v. 592 « , » : [?] // v. 594 «  » : [,] « , » : [?]

Acte III §

v. 597 «  » : [,] // « , » : [!] // v. 599 « , » : […] // v. 600 «  » : [.] // « , » : [?] // v. 602 «  » (x2) : [,] // « , » : [?] // v. 603 « . » : [?] // v. 604 « , » : [?] // v. 606 « , » : [.] // v. 609 « , » : [.] // v. 611 «  » : [;] // v. 616 « , » : [.] // v. 617 « , » : [;] // v. 618 « , » : [:] // v. 620 « , » : [.] // v. 621 «  » (x2) : [!] // v. 624 « , » : [.] // v. 625 « , » : [:] // v. 630 « , » : [.] // v. 632 « , » : [.] // v. 634 « , » : [;] // v. 639 « , » : [:] // v. 640 «  » : [!] // «  » : [,] // « , » : [.] // v. 642 « , » : [.] // v. 646 « , » : [.] // v. 647 « , » : [.] // v. 648 « , » : [;] // v. 652 « , » : [.] // v. 656 « , » : [.] // v. 660 « , » : [;] // v. 662 « , » : [.] // v. 663 « , » : [?] // v. 668 « , » : [.] // v. 672 « , » : [?] // v. 676 « , » : [;] // v. 680 « , » : [.] // v. 683 « , » : [;] // v. 691 « , » : [?] // v. 686 « , » : [.] // v. 688 « , » : [.] // v. 689 «  » : [;] // v. 691 « , » : [?] // v. 694 « , » : [?] // v. 696 « , » : [?] // v. 698 « , » : [!] // v. 708 «  » : [:] // « , » : [.] // v. 717 «  » : [,] // « , » : [;] // v. 718 « , » : [.] // v. 720 « , » : [.] // v. 725 «  » : [,] // « . » : [?] // v. 726 « , » : [!] // v. 728 « , » : [.] // v. 729 « . » : [?] // v. 730 « , » : [?] v. 732 «  » : [,] (x2) // « , » : [.] // v. 735 « , » : [;] // v. 736 «  » (x2) : [,] // v. 737 «  » : [,] // v. 740 «  » : [:] // v. 741 « , » : [.] // v. 744 «  » (x2) : [,] // v. 745 « , » : [?] // v. 746 « , » : [?] // v. 747 « , » : [?] // v. 748 « , » : [?] // v. 750 «  » : [,] // « , » : [.] // v. 752 « , » : [.] // v. 760 « , » : [.] // v. 761 «  » : [,] // « , » : [.] // v. 766 « , » : [.] // v. 770 « , » : [.] // v. 771 «  » : [!] // v. 772 « , » : [.] // v. 774 « , » : [;] // v. 776 « , » : [;] // v. 778 « , » : [;] // v. 780 « , » : [.] // v. 783 «  » : [.] // v. 784 « , » : [.] // v. 786 « , » : [;] // v. 788 « , » : [.] // v. 790 « , » : [:] // v. 793 «  » : [,] // v. 794 «  » : [,] // v. 798 « , » : [;] // v. 805 «  » : [,] // v. 806 « , » : [;] // v. 812 « , » : [.] // v. 814 « , » : [.] // v. 816 « , » : [;] // v. 820 « , » : [.] // v. 826 « , » : [?] // « , » : [?] // v. 827 «  » : [,] // « , » : [?] // v. 828 «  » : [,] // « , » : [?] // v. 830 «  » : [.] // v. 831 «  » : [,] // v. 838 «  » : [,] (x3) // «  » : [.] // v. 841 « . » : [?] // v. 842 « , » : [?] // v. 845 «  » : [!] // v. 852 « . » : [?] // v. 853 «  » : [?] // v. 854 «  » : [,] // v. 857 « , » : [.] // v. 858 «  » : [,] // v. 859 « , » : [.] // v. 860 « , » : [;] // v. 869 «  » : [,] // « , » : [?] // v. 870 « , » : [?] // v. 873 « , » : [.] // v. 880 « , » : [?] // v. 881 « , » : [.] // v. 882 « , » : [:] // v. 884 « , » : [;] // v. 888 « , » : [.] // v. 890 « , » : [:] // v. 892 « , » : [.] // v. 894 « , » : [.] // v. 895 « , » : [;] // v. 897 «  » : [!] // v. 900 « , » : [.] // v. 901 «  » : [,] // v. 909 « . » : [?] // v. 912 « , » : [;] // v. 914 « , » : [;] // v. 920 « , » : [.] // v. 926 « , » : [,] // v. 929 «  » : [!] // v. 934 « , » : [?] // v. 935 «  » : [?] // v. 936 « . » : [?] // v. 937 « , » : [!] // v. 940 « , » : [;] // v. 942 « , » : [:] // v. 949 « , » : [?] // v. 950 « , » : [.] // v. 951 «  » : [!] // v. 953 «  » : [.] // v. 955 « , » : [;] // v. 956 « , » : [.] // v. 957 « , » : [:] // v. 959 « , » : [.]

Acte IV §

v. 961 «  » : [;] // « , » : [.] // v. 962 « , » : [.] // v. 963 « , » : [:] // v. 964 « . » : [?] // v. 967 « . » : [?] // v. 968 « , » : [.] // v. 969 « , » : [;] // v. 972 « , » : [;] // v. 973 « , » : [.] // v. 976 « , » : [.] // v. 980 « : » : [.] // v. 984 « , » : [.] // v. 990 « , » : [.] // v. 992 « . » : [!] // v. 994 «  » : [,] // « , » : [!] // v. 1000 « , » : [?] // v. 1001 «  » : [,] // v. 1002 « , » : [.] // v. 1005 « , » : [ ;] // v. 1007 « , » : [.] // v. 1109 « . » : [,] // v. 1010 «  » : [!] // « , » : [?] // v. 1011 « , » : [!] // v. 1014 « , » : [.] // v. 1016 « , » : [:] // v. 1019 «  » : [,] //  v. 1020 «  » : [,] (x2) // v. 1022 «  » : [,] // « , » : [?] // v. 1024 « , » : [.] // v. 1025 « , » : [?] // v. 1026 « . » : [?] // « , » : [.] // v. 1027 « , » : [:] // v. 1031 « , » : [;] // v. 1036 « , » : [;] // v. 1038 « , » : [;] // v. 1040 « , » : [;] // v. 1045 «  » : [;] // v. 1046 « , » : [.] // v. 1048 « , » : [.] // v. 1051 « , » : [:] // v. 1054 « , » : [;] // v. 1063 « , » : [.] // v. 1064 « , » : [.] // v. 1066 « , » : [:] // v. 1068 « , » : [?] // v. 1072 « , » : [.] // v. 1074 « , » : [?] // v. 1076 « , » : [!] // v. 1068 « , » : [?] // v. 1072 « , » : [.] // v. 1074 « , » : [?] // v. 1081 « , » : [?] // « ’ « : [,] // v. 1083 « , » : [.] // v. 1084 « , » : [!] // v. 1087 « , » : [?] // v. 1088 «  » : [,] // v. 1090 « , » : [.] // v. 1091 « , » : [.] // v. 1092 «  » (x2) : [ ,] // v. 1096 « , » : [;] // v. 1097 « ; » : [,] // v. 1100 « . » : [?] // v. 1102 « , » : [.] // v. 1104 « , » : [.] // v. 1109 «  » : [,] // « . » : [?] // v. 1112 «  » : [,] // v. 1116 « , » : [.] // v. 1117 « , » : [:] // « , » : [.] // v. 1123 «  » : [,] // v. 1124 « , » : [.] // v. 1125 « , » : [?] // v. 1128 « , » : [;] // v. 1130 « , » : [.] // v. 1132 « , » (x2) : [,] // v. 1133 «  » : [!] // «  » : [,] // v. 1134 « , » : [?] // v. 1135 « , » : [.] // v. 1136 « , » : [?] // v. 1137 « , » : [.] // v. 1138 « , » : [:] // v. 1139 «  » : [,] // v. 1141 «  » : [,] // v. 1142 «  » : [,] (x3) // « , » : [?] // v. 1143 «  » : [,] // « , » : [?] // v. 1144 « , » : [?] // v. 1146 «  » : [,] // v. 1149 «  »  (x2) : [,] // v. 1151 « , » : [?] // v. 1152 « , » : [;] // v. 1154 « , » : [:] // v. 1155 «  » (x2) : [,] // «  » : [.] // v. 1156 «  » (x2) : [,] // « , » : [?] // v. 1158 « , » : [?] // v. 1162 «  » : [?] // v. 1164 « , » : [.] // v. 1166 «  » : [,] // « , » : [.] // v. 1167 « . » : [;] // v. 1168 « , » : [.] // v. 1169 «  » : [,] // v. 1170 « , » : [.] // v. 1172 « , » : [?] // v. 1176 « , » : [.] // v. 1186 « , » : [.] // v. 1187 « , » : [:] // v. 1190 « , » : [;] // v. 1192 «  »  (x2) : [,] // v. 1195 « , » : [;] // v. 1196 « , » : [!] // v. 1197 « , » : [:] // v. 1199 « , » : [?] // v. 1200 «  » : [ !] // v. 1204 « , » : [;] // v. 1207 «  » : [,] // v. 1208 « , » : [;] // v. 1211 « , » : [.] // v. 1212 « , » : [.] // v. 1216 « , » : [;] // v. 1219 « , » : [:] // v. 1221 « , » : [.] // v. 1222 « , » : [?] // v. 1228 « , » : [;] // v. 1236 « , » : [.] // v. 1242 «  » (x2) : [,] // v. 1243 « , » : [.] // v. 1244 « , » : [.] // v. 1247 « , » : [?] // v. 1252 «  » : [;] // v. 1255 «  » (x2) : [,] // v. 1258 «  » : [,]

Acte V §

v. 1261 «  » : [,] // v. 1262 « , » : [.] // v. 1264 « . » : [.] // v. 1265 « . » : [:] // v. 1266 «  » : [,] (x2) // v. 1268 « , » : [.] // v. 1276 « , » : [.] // v. 1281 «  » : [,] // v. 1284 « , » : [;] // v. 1285 «  » : [,] // v. 1290 « ’ « : [,] // v. 1294 « , » : [?] // v. 1296 « , » : [?] // v. 1299 « , » : [;] // v. 1300 « , » : [.] // v. 1306 « , » : [!] // v. 1308 « , » : [;] // v. 1311 « : » : [?] // « , » : [?] // v. 1315 « , » : [;] // v. 1318 « , » : [.] // v. 1326 «  » : [,] // v. 1328 « , » : [.] // v. 1332 «  » : [,] // v. 1333 « , » : [.] // v. 1342 « , » : [;] // v. 1344 « , » : [.] // v. 1348 « , » : [.] // v. 1349 «  » : [!] // v. 1350 «  » : [,] // v. 1358 « , » : [;] // v. 1362 « , » : [.] // v. 1363 «  » : [,] // v. 1364 «  » : [,] // v. 1365 «  » : [,] // «  » : [;] // v. 1369 « , » : [.] // v. 1377 «  » : [,] // v. 1380 «  » (x2) : [,] // v. 1384 «  » : [,] // v. 1388 « , » : [.] // v. 1390 « , » : [:] // v. 1394 «  » : [!] // «  » : [?] // v. 1396 « , » : [.] // v. 1397 « , » : [?] // v. 1398 «  » : [,] // v. 1400 « , » : [.] // v. 1401 «  » : [,] // v. 1404 « , » : [.] // v. 1405 « , » : [?] // v. 1409 «  » (x2) : [,] // v. 1411 « , » : [;] // v. 1416 « , » : [.] // v. 1418 « , » : [;] // v. 1421 «  » : [!] // v. 1425 «  » : [,] // « , » : [.] // v. 1426 «  » : [,] // v. 1429 «  » : [!]  // v. 1430 « , » : [!] // «  » : [!] // v. 1431 « . » : [?] // v. 1432 « . » : [?] // « . » : [!] // v. 1435 «  » (x4) : [,] // v. 1438 « , » : [.] // v. 1448 «  » : [,] // v. 1459 «  » : [,] // v. 1462 «  » : [!] « . » : [?] // v. 1469 «  » : [,] // v. 1470 « , » : [.] // v. 1472 « , » : [:] // v. 1474 «  » (x2) : [,] // v 1476 « , » : [.] // v. 1477 «  » (x2) : [,] // « , » : [.] // v. 1480 «  » : [!] // « . » : [?] // v. 1481 «  » : [!] // v. 1483 «  » : [,] // v. 1484 « , » : [?] // v. 1485 «  » : [,] // v. 1494 « , » : [.] // v. 1495 « , » : [.].

LYNCÉE43
TRAGÉDIE. §

ACTEURS46 §

  • DANAUS presque Epoux d’Erigone.
  • ERIGONE promis à Danaus.
  • IPHIS fils d’Erigone et amant d’Hipermestre.
  • LYNCEE Amant d’Hipermestre.
  • HIPERMESTRE47 fille de Danaus, Amante de Lyncée.
  • LYCASTE Gouverneur d’Iphis.
  • DIRCÉE48 Confidente d’Erigone.
La Scène est à Nauplie49 ville maritime du Peloponese dans une salle du Palais Royal.
[A3]

Acte I. §

Scène 1. §

ERIGONE, IPHIS.

IPHIS.

Non, Madame, ma mort ou celle de Lyncée,
Je dois ou l’une ou l’autre à ma gloire* offencée,
A mon espoir eteint [,] à mon amour trahy,
J’ay trop cru vos conseils et trop bien obei.

ERIGONE.

5 Mon fils à votre amour je ne mets plus d’obstacles,
Le Ciel mesme pour vous fait parler ses oracles,
Hypermestre50 bien tost aura moins de rigueur,
Aymez. Lyncée en vain se repond de son coeur.

IPHIS.

Eh Madame est ce ainsy que Danaus s’explique [?]
10 Ses neveux appellez des Rivages d’Affrique,
Par son ordre à vos yeux au mesprix de mes droits
Deviennent aujourd’huy51 ses gendres et nos Rois [.]
Il vient de les placer sur les trosnes de Grece,
Chacun d’eux dans sa ville aupres de sa Princesse,
15 D’un espoir asseuré nourrissant son amour,
Pour estre epoux et Roy n’attend plus que ce jour.
Nauplis52 est le sejour qu’on destine à Lyncée,
Nous y voicy Madame et la faveur passée,
Mes services, mes soins*, les promesses du Roy,
20 Rien ne peut conserver Hypermestre à ma foy [;]
Et dans ce mesme temps suspendant ma colere,
Vous me dites encore que j’ayme, que j’espere [.]

ERIGONE.

Ouy [;] de Lyncée Iphis ne soyez point Jaloux,
D’Hypermestre Jamais il ne sera l’Epoux.

IPHIS.

{p. 4}
25 Dites [,] dites aussy [,] pour endormir ma hayne,
Qu’ Hipermestre consent à soulager ma peine.
Que pour elle Lyncée est un objet d’horreur,
Que ces grans appareils* se font en ma faveur;
Que ce n’est que pour moy que le Temple s’apreste*,
30 Et tantost quand l’hymen* pour couronner la feste,
Livrera ma Princesse aux bras de mon Rival […]
Non [!] je n’attendray point un moment si fatal [!]
En vain de ce malheur ma flâme est menacée [!]
Vous dites vray, Jamais je ne verray Lyncée,
35 Maistre ou Tyran d’un coeur qu’il ne merite pas [.]
J’espere, et mon espoir est ce fer et ce bras [.]
Adieu Madame.

ERIGONE.

Iphis c’est moi qui vous l’ordonne,
Arrestez et craignez le Courroux d’Erigone [.]
Je veux fermer les yeux à vostre emportement,
40 Pour attendrir le fils en suportant* l’amant,
Mais si vous ne quittez ce dessein téméraire…

IPHIS.

Eh regardez l’amant avec des yeux de Mere,
Et voyez à quel point vous portez son ennuy*,
Prestant à son Rival tous vos soins* contre luy [ ;]
45 Le Roy le veut, pour estre à ses desirs contraire,
L’amour vous a rendu sa volonté trop chere,
S’il parvient à partager la Grece à ses neveux,
Il vous reserve Argos et vous offre ses voeux,
Mais de quelques rayons que brille une couronne,
50 Vous devriez songer quelle main vous la donne,
La voir fumante encor du sang de vos Parens,
Et Soeur de Stenelus moins aymer ses Tyrans.

ERIGONE.

J’aymerois Danaus [!] ingrat, peux tu le croire [?]
D’un frere massacré je perdrois la memoire [!]
55 Je pourrois épouser son barbare*53 assassin [!]
Ah je feins de l’aymer pour luy percer le sein [.]
Je l’ay veu ce cruel venu des bords d’Affrique,
Fuyant de ses parens le pouvoir Tyrannique,
Ses filles avec luy ses tristes compagnons, {p. 5}
60 Mandier un azile à leurs Dieux vagabonds [.]
Il trouva Stenelus sensible à sa disgrace [ ;]
Ce cher frere en mourut. L’Ingrat regne en sa place.
Apres avoir pour priz de l’hospitalité,
Livré son bienfaicteur au Peuple revolté,
65 A peine sur le trosne a t’il osé parestre,
Que des peuples voisins son bonheur l’a fait maistre.
Mais pour le mieux livrer à mon ressentiment,
Son malheur aussitost m’en a fait un amant,
Voy comme à la faveur de [sa] nouvelle flâme,
70 Pour le perdre j’ay lû jusqu’au fond de son ame [;]
Il n’a pu me cacher l’invincible chagrin,
Où le plonge la peur d’un secret assassin,
Un oracle a parlé [,] si l’oracle est sincere,
Cet assassin doit estre un des fils de son frere.

IPHIS.

75 Quel abisme de maux s’ouvre devant mes yeux [!]
Ces Princes par la paix attirez en ces lieux,
Chargez de tant d’honneurs…

ERIGONE.

Sont autant de victimes,
Sur qui de Danaus je vay punir les crimes [!]
C’est trop peu de borner ma vangeance à sa mort,
80 Je me propose Iphis un plus illustre effort.
Et mon juste courroux veut avoir pour matiere,
Tout le sang, tout l’honneur de sa famille entiere [!]
L’Oracle vague, obscur, mes craintes, mes raisons,
Ont sur tous ses neveux etendu ses soupçons [.]
85 J’ay placé dans son coeur cette fausse tendresse,
Qui donne à chacun d’eux un trosne dans la Grece [.]
Je fais que sous l’appas des plaisirs les plus doux,
Par la crainte d’un seul on les immole tous [.]
Cette nuit est enfin celle de leur suplice,
90 Et le lit nuptial l’autel du sacrifice.

IPHIS.

Madame...

ERIGONE.

Tu fremis, il n’est pas encor temps,
Il faut [,] il faut des coups encor plus éclattans [.] {p. 6}
Pour un si grand dessein pour tant de morts cruelles,
Où crois tu que l’on trouve assez de bras fidelles [?]
95 Danaus dans la peur d’estre mal obeï,
N’osant mesme en chercher se croit par tout trahy,
Moy mesme seul flambeau fatal aux deux familles,
Je luy fais emprunter le secours de ses filles [:]
Ses filles dans l’ardeur de deffendre ses jours,
100 Ont promis de leurs mains l’infallible secours [.]
Parle, reproche moy ma lache complaisance,
Et cherche une plus noble et plus seure vangeance,

IPHIS.

Madame pardonnez à mon étonnement54,
Hipermestre perfide ingrate à son amant,
105 Dementant aujourd’huy tant de vertus charmantes,
Au milieu de ses soeurs du meurtre encor sanglantes,
Me viendra…

ERIGONE.

Lache amant et plus lache vangeur,
Tu veux perdre un Rival et son sang te fait peur [!]
Feins tu de le poursuivre afin qu’on te retienne,
110 Et l’aveu de ma haine a t [-]il eteint la tienne [ ?]

IPHIS.

J’ayme, je hais [,] je veux me vanger ou mourir [.]
Je sçais par quels chemins vous m’allez secourir,
Je vois par vos conseils deux familles eteintes,
Au meurtre des Epoux les Epouses contraintes,
115 Danaus accablé d’oprobres eternels,
Luy, ses filles en bute à l’horreur des mortels,
Tant de braves soldats épars dans nos Provinces,
En estat de vanger le trepas de leurs Princes [;]
Je n’ay pour terrasser le Tyran plein d’effroy,
120 Qu’à marcher à leur teste, et la Grece est à moy [.]
Ma main sur Danaus accomplira l’oracle,
Mais pourrez vous souffrir ce barbare* spectacle [:]
Hipermestre m’offrant la teste d’un époux,
Moy du sang de son Pere arrosant ses genoux [ ?]
125 Ah serons nous apres cette action cruelle,
Elle digne de moy, moy mesme digne d’elle [?]

ERIGONE.

{p. 7}
Non mon fils, je veux bien épargner sa vertu,    
D’une si vaine peur ne sois pas combatu [.]
Mais ne t’empresse point d’en sçavoir davantage [;]
130 J’en dis trop. Laisse moy poursuivre mon ouvrage
Et sois seur de gouster avant la fin du jour55,
Le fruit de la victoire et celuy de l’amour.

IPHIS.

Je me tais, et je crois vos promesses sinceres,
Je n’examine point quels en sont les misteres [;]
135 Mais souffrez que demain si je n’en voy l’effet,
Je me fasse raison du tort qu’on m’aura fait.

Scène II §

ERIGONE, DIRCE.

ERIGONE.

Venez Dircé.

DIRCE.

Qu’Iphis est devenu traittable*,
Madame, et qu’à vos soins* Lyncée est redevable [!]
Pouvez vous témoigner un soin* plus aparent,
140 Pour un Prince qui doit vous estre indifferent [?]    

ERIGONE.

Helas que ne l’est il [!]

DIRCE.

Ne l’est il pas Madame [ ?]

ERIGONE.

Reconnois dans mes yeux le trouble de mon ame [:]
Lyncée à mon devoir m’empesche d’obeïr,
Et J’ay mille raisons qui me le font haïr [.]

DIRCE.

145 Quoy vous voyez d’Iphis la flame traversée*.
Et quand vous le <entryFree mode="a">souffrez* vous haïssez Lyncée [!]

ERIGONE.

Je le hais [.] Pour monter au rang56 de mes ayeux,
Des Rivages d’Affrique il accourt en ces lieux,
Il porte sur son front nos depouilles sanglantes [.] {p. 8}
150 Je le hais. Ses vertus paroissent trop brillantes,
Par tout de leur éclat les yeux sont éblouïs [.]
Je le hais. Il derobe Hipermestre à mon fils;
Il croit en ce moment sa victoire certaine [.]
Je le hais. Mais enfin ce qui comble ma hayne,
155 C’est que Rival d’un fils, barbare*, Usurpateur,
Le cruel a surpris tout l’amour de mon coeur.

DIRCE.

Ce coeur dont Danaus croit posseder l’Empire.

ERIGONE.

Il le croit, ce plaisir [,] Dircé [,] luy doit suffire,
Et si j’obtiens du Ciel la faveur que j’attens,
160 Il n’aura pas celuy de s’en flatter longtemps.

DIRCE.

Et Lyncée?

ERIGONE.

Ose encor en douter pour ma gloire*57,
Depuis un mois je l’ayme et je n’ose le croire,
Et je ne reconnois l’exces de mes ardeurs,
Qu’à l’horreur que pour luy m’inspirent ses froideurs.

DIRCE.

165 Quoy Madame peut il vous faire cet outrage [?]
Est-il si peu sensible [?]

ERIGONE.

Hipermestre l’engage58,
Dircé [.] Peut il en moy rien voir que d’ennuyeux,
Et l’amour aux amans laisse t’il de bons yeux [?]
Il est vray jusqu’icy j’ay caché ma pensée,
170 Ma constance au besoin* ne m’a point delaissée,
Il ne m’est échapé que des soupirs perdus,
Que Lyncée a causez et n’a pas entendus [.]
Il est temps de parler [;] Dircé, je sçay ton zele,
Aujourd’huy j’en demande une preuve nouvelle [.]
175 Admire où me conduit le caprice du sort [:]
De tous mes ennemis j’ay conspiré la mort,
L’amour a fait tomber Danaus dans ma chaine,
Ses neveux sont venus chercher icy ma hayne,
Je les ay de l’Affrique attiréz sous mes coups, {p. 9}
180 J’allois laisser sur eux repandre mon courroux [;]
Déja dans chaque Prince envisageant ma proye,
De leur trépas futur je prevenois* la joye,
Et je considerois d’un regard curieux,
Par quel endroit chacun m’estoit plus odieux [.]
185 A peine helas! mes yeux virent ceux de Lyncée,
Que d’un trait impreveu je me sentis blessée [;]
L’ardeur de le revoir croissoit de jour en jour,
J’y cherchois de la hayne et j’y pris de l’amour [.]
Ah qu’il m’a fait sentir des coups bien plus severes,
190 Que tous ceux qu’en secret je prepare à ses freres [!]
Ma vangeance des lors fut pour moy sans plaisir,
Des qu’il me regardoit j’en perdois le desir,
J’aurois tout pardonné. Mais son indifference
Vient soustenir ma hayne et hater ma vangeance,
195 Ils periront. Luy seul plus coupable qu’eux tous,
Puis je le derober moy mesme à mon courroux [?]
Ouy, c’est par là qu’il faut que mon amour éclate,
Que le poids du bienfait accable* une ame ingrate,
Qu’au milieu de l’horreur du plus affreux trepas,
200 Au centre du peril je conduise ses pas,
Et que là ma pitié luy permettant de vivre,
Pour prix d’un tel effort son coeur au mien se livre [;]
Ou que [,] s’il m’y contraint [,] pour prix de ses dedains,
Moy mesme je le livre à ses cruels destins [.]
205 C’est là Dircé qu’il faut signaler ta prudence,
L’aller trouver…

DIRCE.

Je voy Danaus qui s’avance,
Il est triste, ses yeux accablez* de langueur...

ERIGONE

Laisse moy penetrer le trouble de son coeur,
Dircé retire toy.
{p. 10}

Scène III. §

DANAUS, ERIGONE.

ERIGONE.

Quel funeste nuage,
210 Seigneur, à contre temps vous couvre le visage [?]
L’aproche d’une nuit de qui l’heureux secours,
Va si bien asseurer le repos de vos jours,
Ne devroit elle pas bannir cette tristesse [?]

DANAUS.

Que ne puis je à vos yeux deguiser ma foiblesse [!]
215 Si pres de ce moment si long-temps souhaité,
Des chagrins les plus noirs je me sens agité [:]
Mille spectres affreux59, mille craintes funebres,
Ces serments violez, ces cruelles tenebres,
Tant de sang repandu Dieux et par quelles mains,
220 Tout trouble, tout confond mes esprits incertains [.]
Hipermestre sur tout est ma plus rude peine,
Sa vertu me fait peur et son amour me gesne*,
Et puis qu’il n’est plus temps de rien dissimuler,
Je n’ay pû me resoudre encore à luy parler.

ERIGONE.

225 Que dites vous Seigneur, l’ennuy* qui vous devore,
L’oracle, l’Entreprise*60, Hipermestre l’ignore [?]
Tant de bras loin d’icy s’arment pour vous vanger,
Et le seul pres de vous vous reste à menager61 [?]

DANAUS.

Que voulez vous [?] cent fois rallumant ma colere,
230 Affectant devant elle un air sombre et severe,
Je me suis veu tout prest d’exiger de sa foy,
Un effort où ses soeurs se hazardent pour moy [;]
Mais quoy je la voyois au seul nom de Lyncée,
Rapeller sur son front sa tendresse passée,
235 Et la subite ardeur de ses yeux languissants,
Rabattoit aussitost mes regards menaçans [.]
J’ayme. Au maux des amans l’amour m’a fait sensible, {p. 11}
Quoy [?] disois je [,] troubler un amour si paisible [?]
Ses soeurs d’un tel amour n’ont point senty les coups,
240 Et leurs epoux enfin ne sont que leurs epoux [.]
Mais que la raison veuille ou que l’amour consente62,
Qu’au meurtre de l’amant je contraigne l’amante,
Mon coeur à ses fureurs peut il s’abandonner,
Et l’amour se resoudre à me le pardonner [?]

ERIGONE.

245 Et croyez vous Seigneur que l’amour vous pardonne,
Les douloureux assauts que vostre coeur me donne,
Quand je le voy [,] saisy d’un frivole63 chagrin,
S’armer pour l’interest de son propre assassin [?]
Mais Seigneur apres tout quelle est votre pensée [?]
250 Qu’allez vous devenir si vous sauvez Lyncée [?]
Du sang de tous les siens quel fruit tirerez vous [?]
Vous les devez tous perdre ou les épargnez tous [.]
Par la mesme raison leur mort est arrestée,
Ou nul d’eux n’en est digne, ou tous, l’ont meritée,
255 Vostre trepas est seur s’il en échape aucun,
Et pour vous perdre enfin l’oracle n’en veut qu’un.

DANAUS.

L’oracle n’en veut qu’un Madame je l’avoüe,
Mais des perils d’un homme un Dieu souvent se joue,
Et ne luy donne avis qu’il peut y succomber,
260 Qu’afin que l’oeil ouvert il s’y laisse tomber.
Combien dans l’univers ont fait naistre des troubles
Ces oracles tissus de mots confus et doubles,
Qui de vastes horreurs et de perils affreux,
N’envelopoient souvent que d’inutiles jeux,
265 Qui me dit qu’aujourd’huy touchez de mes miseres,
Ces Dieux en ma faveur sont devenus sinceres [?]
Tu crois, me disent ils [,] n’avoir plus d’ennemis,
Pour avoir fuy ton frere et quitté ta patris64,
Evite si tu peux le fer d’un de ses fils,
270 Qui te doit arracher la vie65.
Et par ces mots cruels et peut estre ambigus [,] {p. 12}
Neveux infortunez [,] vous estes tous perdus.

ERIGONE.

Eh bien Seigneur quittez une lache entreprise*,
Un genereux depit jamais ne se deguise [.]
275 Lyncée est en ces lieux, meprisez mes douleurs,
Allez le fer en main chargé d’ans et d’honneurs,
Pour laver vostre nom d’une honte importune,
De ce jeune guerrier deffier la fortune [.]
Moy cependant tremblante et sans apuy que vous,
280 De ce triste combat ressentant tous les coups,
J’iray baigner par tout les autels de mes larmes,
Implorer tous les Dieux en faveur de vos armes […]
Mais apres tous ces Dieux vainement implorez,
A qui me laissez vous Seigneur si vous mourez [?]

DANAUS.

285 Ah Madame voyez où vous m’allez reduire [!]
Je sens qu’à vos soupirs je me laisse seduire,
L’horreur de mon Peril ne m’a point abatu,
Mais l’Image du vostre emporte ma vertu [.]
N’en doutez plus, je veux qu’Hipermestre obeisse,
290 Qu’elle offre à mon destin Lyncée en sacrifice,
Qu’elle reçoive Iphis aujourd’huy pour epoux,
Et que vous connoissiez que je n’ayme que vous.
Il sort.

ERIGONE.

Va, cours de tous les tiens achever le suplice [!]
Enfin je tiens Lyncée au bord du precipice [:]
295 Ma hayne et mon amour ont de quoy le braver [,]
Et je puis à mon choix le perdre ou le sauver [.]
Ombres autour de moy sans cesse gemissantes,
Tristes parens prenez ces victimes sanglantes,
Mais si l’amour encore est connu parmy vous,
300 Souffrez66 qu’il en derobe une seule à mes coups.

Fin du Premier Acte.

{p. 13}

Acte II. §

Scène I. §

LYNCEE, HIPERMESTRE.

LYNCEE.

Madame est il donc vray qu’apres tant de miseres,
Le Ciel ait arresté les fureurs de nos Peres,
Que de tant de perils nostre amour soit sauvé,
Et que nostre heureux jour enfin soit arrivé [?]
305 Je [vous] vois ma Princesse et vous vois sans contrainte,
Mes respects ne sont plus retenus par la crainte,
Et mon coeur à vous plaire attachant tous ses soins*,
Pour s’expliquer à vous ne fuit plus les temoins [.]
Parlez, quels Dieux Madame, ont rompu tant d’obstacles [?]

HIPERMESTRE.

310 Ceux par qui vostre bras produit tant de miracles,
Ceux de qui vous tenez cette illustre valeur [ ]
Qui jusques dans ces lieux a porté la terreur,
A forcé Danaus à craindre vostre gloire*.

LYNCEE.

Eh laissons loin de nous cette foible victoire [!]
315 Celle de mon amour m’occupe tout entier,
Et l’amour pres de vous me fait tout oublier [.]
Je ne vous diray point apres trois ans d’absence,
Quels peuples j’ay soumis à mon obeissance […]
Dans mes plus grans succes soupirant en secret,
320 Aymer sans esperance est tout ce que j’ay fait.

HIPERMESTRE.

C’est beaucoup mais Seigneur j’ay bien fait davantage,
Et l’aveu que j’en fais ne me fait point d’outrage [.]
Puis qu’un Pere aujourd’huy m’attache à votre sort {p. 14}
Et qu’en fin le devoir et l’amour sont d’accord,
325 Sçachez ce qu’à jamais la vertu m’eut fait taire,
Si le Roy n’eut cessé d’estre à mes voeux contraire,
Quels tourments j’ay soufferts, quels combats j’ay rendus,
Pour vous garder un coeur que vous n’esperiez plus [.]
Des victoires d’un Pere à ses yeux satisfaite,
330 J’en ressentois dans l’ame une douleur secrete [:]
La guerre dans ces lieux asseurant son pouvoir,
Sembloit me derober les moyens de vous voir,
Et j’en eusse gardé quelque foible esperance,
Si son bonheur en Grece eut eu moins de constance [.]
335 Sentimens criminels que le devoir calmoit,
Mais qu’un tendre retour aussitost ranimoit [!]
Lors que des mille amans me voyant accablée,
Sur tout des yeux d’Iphis incessament troublée,
Craignant en sa faveur un ordre expres du Roy,
340 Je me disois tout bas, non ma timide* foy [ ]
A s’engager ailleur peut bien estre forcée,
Mais ce coeur malheureux n’est fait que pour Lyncée [.]

LYNCEE.

Ah Princesse! au moment qu’il fallut nous quitter,
D’un espoir si charmant vous deviez me flatter [:]
345 Un mot eut prevenu* le sujet de mes plaintes,
Malgré tous mes Rivaux calmé mes justes craintes,
Pourquoy me laissiez vous privé de ce secours [?]

HIPERMESTRE.

Helas croyois je alors vous quitter pour toujours [?]
Vous me laissiez paisible au sein de ma patrie,
350 ..........................................................................67
J’ignorois que mon Pere eut dessein d’en sortir,    
Et pensois au retour en vous voyant partir.
Vous souvient il Seigneur de l’affreuse journée,
Où sans prevoir* encor ma triste destinée,
355 Faisant pour vos succes mille voeux incertains,
Moy mesme je voulus vous armer de mes mains [?]
Combien en couvrant de ces fatales armes,
Fis je de vains efforts pour retenir mes larmes [!]
Et quand mes tristes pleurs intimidoient mes voeux, {p. 15}
360 Vostre amour en tiroit des presages heureux.

LYNCEE.

Madame, et mon attente a t’elle esté trompée [?]
Quoy vos pleurs n’ont ils pas consacré cette epée [?]
Et par tout où depuis j’en ai porté les coups,
N’ay je pas tout vaincu pour m’aprocher de vous [?]
365 En effet, si la paix n’eut finy nos querelles,
Vous m’auriez veu suivy de mes troupes fidelles,    
Les armes à la main sur mes vaisseaux vainqueurs,
Vous disputer en Grece à vos adorateurs […]
Mais quoy ce souvenir rapelle vos allarmes [?]

HIPERMESTRE.

370 Ah Prince si ces pleurs dont j’arrosay vos armes,
D’augures fortunez68 flattoient vostre valeur,    
Qu’ils devinrent helas funestes à mon cœur [!]
Mon Pere des69 long-temps persecuté du vostre,
Las d’un sort si cruel voulant s’en faire un autre,
375 Fist armer promptement quelques vaisseaux legers [:]
Fuyons [,] me vint il dire [,] en des bords etrangers,    
Il fuit, mes soeurs et moy nous marchons à sa suite,
Son adresse et la nuit derobent nostre fuite,
Le jour qui n’atteignit que bien loin nos vaisseaux
380 N’offrit plus à mes yeux que le Ciel et les eaux [;]
Plus de Lyncée. Alors dans ma douleur extreme,    
Ah je sentis mon coeur s’arracher de moy mesme,
Et maudissant les vents de mon bonheur jaloux,
Faire de vains efforts pour se rejoindre à vous.

LYNCEE.

385 Madame sentez vous que cette affreuse Image,
Nous fait du sort present mieux gouster l’avantage,
Et que les justes Dieux par de si grans malheurs,
A de plus doux plaisirs ont disposé nos cœurs [?]
Apres trois ans entiers de chagrins et d’absence,
390 Nous voyons couronner vostre perseverence,
Et le Ciel adoucy va rendre des ce jour,    
Nos plaisirs eternels ainsy que nostre amour.

HIPERMESTRE.

Prince voicy le Roy.
{p. 16}

Scène II. §

DANAUS, LYNCEE, HIPERMESTRE.

DANAUS.

Je trouble vostre Joye,
Mais il faut qu’à vos yeux la mienne se deploye,
395 Il faut que je la mesle à vos communs plaisirs,
Prince n’opposez point d’obstacle à mes desirs.

LYNCEE.

Moy Seigneur, à l’autheur du repos de ma vie,
J’irois...

DANAUS.

D’aucun Rival ne craignez plus l’envie,
Iphis qui se vouloit absenter de la cour,
400 Qui seul par ses chagrins troubloit un si beau jour,
S’est enfin laissé vaincre aux avis de sa mere,    
Et prests à vous jurer une amitié sincere,
Tous deux vont de ce pas chez vous pour vous l’offrir [.]

LYNCEE.

Seigneur au devant d’eux vous me voyez courir,
405 Pour meriter Madame une amitié si rare,
Souffrez pour un moment qu’un Rival nous separe [.]

HIPERMESTRE.

Allez Prince, l’amour ne sera point jaloux,
Des droits que l’amitié peut exiger de vous.

Scène III. §

DANAUS, HIPERMESTRE.

DANAUS.

Ma fille je connois l’ardeur de vostre flâme,
410 Mais enfin il est temps de vous ouvrir mon ame [.]
L’amour que vous inspire un époux pretendu,                [17]
Ne fait il point de tort à celuy qui m’est dû [?]
Ne l’a t’il point eteint [?]

HIPERMESTRE.

Seigneur quel avantage,
Pretendez vous tirer d’un doute qui m’outrage [?]
415 La nature et l’amour ont leurs droits separez [.]

DANAUS.

Je le sçay mais les miens sont ils bien aseurez [?]    
Quand je songe combien depuis vostre naissance,
Entre vos soeurs et vous j’ay mis de difference,
Que pour vous faire un sort digne de vostre choix,
420 De l’aisnesse pour vous je violay les Droits,
Que dispersant vos soeurs dans le fond de la Grece,
De mes plus chers Etats je vous fais la metresse70,
Et que par le plaisir d’estre plus pres de vous,
Je quitte pour Argos les plaisirs les plus doux,
425 Lors que je me souviens que fuyant de Libye71,
Ma plus sensible crainte estoit pour vostre vie,    
De pareils sentimans suivis de tant d’honneurs,
Ma fille attandent plus de vous que de vos sœurs [.]

HIPERMESTRE.

Ouy Seigneur ouy de moy vous devez tout attendre,
430 Et mon amour pour vous ne peut estre assez tendre [.]
Mais vous joignez mon sort à celuy d’un époux,
Qui sçaura par ses soins* m’aquiter envers vous,
Vous sçavez à quel point cet époux vous revere,
Qu’il voudroit de son sang...

DANAUS.

Ah ma fille [!]

HIPERMESTRE.

Mon Pere [!]
435 Que vois je [?] juste Ciel! qu’un chagrin si profond,
Dans un jour si serain me trouble et me confond [.]
Quoy quand vous invitez tout le monde à la joye,
Que sans crainte à vos yeux la mienne se deploye,
Vostre coeur malgré vous se trahit devant moy,
440 Et des soupirs contraints…

DANAUS.

{p. 18}
Aussy n’est ce qu’à toy,
Qu’un Roy persecuté, qu’un Pere miserable,
Ose ouvrir le secret du tourment qui l’accable* [:]
On en veut à mes jours.

HIPERMESTRE.

O Dieux!

DANAUS.

Un assassin,
Peut estre avant la nuit tranchera mon destin,
445 Peut estre...

HIPERMESTRE.

Et vous parlez d’hymenée* et de feste,
Au moment que le Ciel menace vostre teste [!]
Songeons à vos Perils, prevenons l’attentat,
Prenons du criminel vangeance avec eclat [;]
Seigneur quelque pouvoir qui le rende terrible,
450 Vous avez pour le vaincre un secours infallible [:]
La flotte de Lyncée, un million de bras,    
Armez pour vous defendre et vous et vos etats,
Ses braves chefs épars au palais, dans la ville,
Rendent de l’assassin l’entreprise* inutile [;]
455 Lyncée à tous moments luy mesme aupres de vous […]

DANAUS.

Ouy pour porter sur moy plus seurement ses coups.

HIPERMESTRE.

Luy sur vous, justes Dieux! l’effroyable pensée,
Pouvez vous sans horreur en acuser Lyncée [?]

DANAUS.

Luy, ses freres, ses chefs, ses amis, ses soldats,
460 Sa flotte, tous [,] ma fille ont juré mon trepas.

HIPERMESTRE.

Que dites vous Lyncée auroit l’ame assez noire,
Pour former un dessein ...Non je ne le puis croire [.]
Je prevoy* l’artifice* et j’en connois l’autheur,
Iphis est seul icy Jaloux de son bonheur.
465 Ah cher Prince, est ce là l’amitié qu’on te jure [?]
Tandis que loin de moy... vous verrez l’imposture
Allons Seigneur, voyons Erigone et son fils,
Qu’ils parlent c’est assez.

DANAUS.

{p. 19}
N’accusez point Iphis.
Accusez s’il le faut un oracle celeste,
470 Qui m’explique en ces mots leur pratique funeste,
En vain tu crois n’avoir plus d’ennemis,
Pour avoir fuy ton frere et quitté ta patrie,
Evite si tu peux le fer d’un de ses fils,
Qui te doit arracher la vie [.]
475 Consultez là dessus la nature et l’amour,    
Pour sauver vostre amant trouvez y quelque jour [.]
Ce n’est point un effet des complots d’Erigone,
Argos ne m’avoit point encor veu sur son trone,
Mon nom estoit encore inconnu dans ces lieux,
480 Quand je fus averty par l’oracle des Dieux [.]
Trois ans pour mon repos refusant de le croire,
J’ay tâché vainement d’en perdre la mémoire,
J’ay fait pour me tromper mille efforts impuissans,
J’ay cherché des detours pour en troubler le sens,
485 Mais le Ciel m’a donné des reponses trop claires [:]
S’il ne marque pas Lyncée il marque un de ses freres,
Et s’il faut dans leur sort ne point l’envelopper,
Montrez moy l’assassin sur qui je dois fraper.

HIPERMESTRE.

Ah le Ciel vous rendra sensible à ma prière [.]
490 Mais puisqu’il vous parloit avec tant de lumière,
Dites moy falloit il rapeller pres de vous,    
Un de vos assassins pour estre mon époux [?]
A quelle extremité vostre courroux me livre,
Seigneur quand mon devoir me force de vous suivre [?]
495 Je l’aymois et des lors sans examiner rien,
Mon coeur pour obeir se separa du sien [;]
Ny dans nostre depart ny durant nostre fuite,
Vous n’avez pas eu lieu de blasmer ma conduite,
J’ay veu durant trois ans mon espoir abbatu72,
500 Sans que mon feu secret ait trahy ma vertu [.]
Vous n’aviez qu’à parler ne pouvant plus l’eteindre,
Au moins jusqu’au tombeau j’aurois sçeu le contraindre,
Et pour ne pas troubler vos tranquiles plaisirs, {p. 20}
Seigneur j’aurois toujours étouffé mes soupirs [.]
505 Ah vous avez cherché jusqu’au fond de mon ame,
Les restes malheureux d’une secrete flâme,
Et pour faire éclater ces fatales ardeurs,
Vous avez inspiré mesme amour à mes sœurs [!]
Eh bien vous vouliez voir si par obeissance,
510 Vostre amour sur le mien auroit la preference,
Ouy Seigneur vous l’aurez [,] tout mon coeur est à vous,
Je bannis cet amour dont le vostre est jaloux,
Que l’hymen* soit rompu : faites partir Lyncée,
J’en veux perdre à jamais jusques à la pensée [.]
515 Il ne recevra point mes adieux en partant,
Qu’il parte ; vostre amour mon Pere est il contant [ ?]

DANAUS.

Non vous l’epouserez. La Pompe* est déja preste,
Et vostre seul hymen* peut garantir ma teste [;]
Mais alors consultant l’amour et le devoir,
520 Songez que mes destins sont en vostre pouvoir.

HIPERMESTRE.

Eh bien Seigneur [?]

DANAUS.

Alors prevenant* le barbare*,
Vous tournerez sur luy le coup qu’il me prepare [.]

HIPERMESTRE.

Moy sur luy Justes Dieux! Seigneur qu’ordonnez vous [?]
Que je trempe ma main dans le sang d’un époux [?]
525 Cette perfide main qui jointe avec la sienne,
Va recevoir sa foy, luy va donner la mienne [?]    
Ô coup! ô trahison ! mais vous mesme Seigneur,
Pouvez vous en souffrir l’Image sans horreur [?]
Pouvez vous m’ordonner...

DANAUS.

Non remplissez73 l’oracle,
530 Voyez avec plaisir le barbare* spectacle,
D’un Pere massacré par la main d’un époux,
Dont vostre cruauté veut seconder les coups [.]
Laissez laissez [,] perfide [,] à des mains plus fidelles, {p. 21}
Le soin* de m’affranchir de mes craintes mortelles [.]
535 Joignez vos coups à ceux d’un époux assassin,
Pour me percer le coeur prestez luy vostre main,
Vos soeurs seront sans vous…

HIPERMESTRE.

O mes sœurs [!] o mon Pere [!]
Si vostre amour pour nous fut toujours si sincere,
Hélas n’avez vous pû choisir d’autre secours,
540 Que nos tremblantes mains pour asseurer vos jours [?]
Pourquoy sur vostre teste assembler tant de crimes,
A vostre seureté faut il tant de victimes [?]
Si mes soeurs ont promis le secours de leurs bras,
Tant de sang repandu ne vous suffit il pas [?]
545 Voulez vous ajouster pour comble de miseres,
Le fidelle Lyncée à ses malheureux freres [?]
Mais ne craignez vous point ses chefs et ses soldats,
Qui sont icy touts prests pour vanger son trepas [?]

DANAUS.

Je les crains ; et je veux prevenir* la tempeste,
550 Trancher à ce grand corps sa principale teste,
Tous periront [;] je veux qu’une juste fureur,
M’oste avec l’assassin la crainte du vangeur,
L’oracle les a tous livrez à ma vangeance,
Quand il n’a sur aucun fixé ma deffiance [.]
555 Si nous faisons un crime en prevenant* leur coup,
Le Ciel qui m’avertit en est chargé pour nous74 [.]
Pourquoy donc quand les Dieux me livrent ma victime,
Le soin* de l’immoler vous semble t’il un crime [?]
Parmy tant d’ennemis envieux de mon rang,
560 Est-il de seures mains pour verser tant de sang [?]
Si mesme parmy vous qui me devez la vie,
Infortuné je trouve une fille ennemie,
Qui fuit pour me sauver l’exemple de ses soeurs,
Que ne devais je pas aprehender ailleurs [?]
565 Hipermestre est ce assez de me donner des larmes [?]

HIPERMESTRE.

Helas ces foibles pleurs sont mes uniques armes,
Elles ne peuvent rien contre vostre courroux, {p. 22}
Mais elles pourront tout sur le coeur d’un époux [.]
Laissez moy m’en servir, seures de leur victoire,
570 Elles conserveront vostre vie et ma gloire*,
Et si je ne le rens plus traittable* que vous,
Je n’ay qu’un coeur à mettre au devant de ses coups [;]
Mais si jamais ma main à la sienne est unie,
Non je n’ay plus de main pour attaquer sa vie.

DANAUS.

575 Eh bien vostre pitié n’ose me secourir,
Cruelle [,] poursuivez, et me laissez mourir.

Scène IV. §

HIPERMESTRE.

Mourir [,] dit il [,] et moy denaturée [,] Impie,
Au bruit de son trepas je demeure assoupie* [;]
Et mesme à ce trepas si plein de cruauté,
580 Je preste le secours de ma timidité*,
J’aime75 peut estre helas l’assassin de mon Pere,
Mais dois je executer un ordre si severe [?]
Non deussay je vous voir à mes pieds abatu [.]
J’ayme vostre repos moins que votre vertu,
585 Et je dois souhaiter que le sort vous oprime,
S’il faut pour vous sauver qu’il m’en couste un seul crime [.]
La nature sur moy vous a cedé ses droits,
Mais l’honneur, la vertu ne sont point sous vos loix [.]
Que dis je malheureuse et quelle est ma pensée [?]
590 En desobeissant crois je sauver Lyncée [?]
Mon Pere a t [-] il pour luy desarmé sa fureur [?]
N’a t [-] il point d’autre main pour luy percer le cœur [?]
Ah faudra t’il toujours redouter la colere,
Du Pere pour l’époux [,] de l’époux pour le Pere [?]
595 Juste Ciel qui semblez encourager mes voeux,
Montrez moy les moyens de les sauver tous deux.

Fin du Second Acte.

{p. 23}

Acte III. §

Scène I. §

ERIGONE, DIRCE.

ERIGONE.

Dircé [,] que Danaus me fait souffrir de peine [!]
J’avais calmé les flots de son ame incertaine,
Il m’avoit tout promis et tout peut estre en vain […]
600 Je ne [le] trouve plus [.] Le jour tend à sa fin [.]
Hipermestre sans doute a fléchi sa colere,
S’il est ainsy [,] Dircé [,] que faut il que j’espere [?]
Par où mon triste amour pourra t’il eclatter [?]

DIRCE.

Eh Madame pourquoy vous tant inquieter [?]
605 Vous en sçavez, au point que l’affaire est conduite,
Assez pour obliger son amant à la fuite [.]
Laissez moy luy parler, pour troubler leurs amours,
Je luy diray quels soins* vous prenez de ses jours,
Quels pieges on luy tend quelles mains on employe [.]
610 Qu’il [fuye], ou que du moins il recule sa joye,
Qu’il differe l’hymen*[;] demain ses freres morts,
Justifieront vos soins*, changeront ses transports,
Hipermestre à ses yeux paroistra criminelle,
Vous parlerez...

[ERIGONE]76

Dircé je dois trop à ton zele,
615 Va de ce triste hymen* troubler les vains aprests*,
Mais ne decouvre point mes sentiments secrets [.]
Dy luy de quels perils sa teste est menacée [;]
Le reste languiroit sur ta langue glacée [:]
Pour peindre des amans les douloureux combats,
620 Il faut un coeur bien tendre et le tien ne l’est pas [.]
Eh quoy [!] toûjours Iphis [!]
{p. 24}

Scène II. §

IPHIS, ERIGONE.

IPHIS.

Mon coeur s’ouvre à la joye,
Madame et je voy bien que mon sort se deploye77,
Je ne puis en comprendre encor tous les secrets,
Mais déja de vos <entryFree mode="a">soins* je prevoy* les effets [.]
625 Du bonheur que j’attens tout flate mon Idée78 [:]
De ce fatal hymen* la Pompe* est retardée,
Les Prestres dans le temple attendant les époux,
Lisent sur les autels le celeste courroux,
Et le peuple qui court les attendre au passage,
630 Tire de la nuit mesme un funeste presage [.]
Que vous diray je enfin cette heureuse lenteur,
Fait la crainte publique et l’espoir de mon cœur [.]
Tantost d’un noir chagrin Hipermestre occupée,
Sortoit de chez le Roy de pleurs encor trempée [;]
635 Confus de ses dedains, les yeux humiliez,
J’ay voulu la voyant me jetter à ses piez,
Elle m’a retenu. Mon coeur toûjours fidelle,
S’est en mille soupirs repandu devant elle,
Je n’ay pû dire un mot. Mais d’un air douloureux [:]
640 Helas [!] m’a t[-]elle dit [,] que vous estes heureux [.]
Puis sans vouloir m’entendre et de mes cris emeuë,
Elle s’est à l’instant derobée à ma veuë [.]
Ah puisque ma fortune79 est toute entre vos mains,
Madame au nom de Dieux avancez mes destins,
645 Arrestez en rompant cet ennuyeux silence,
Le combat de ma crainte et de mon esperance [.]
Dites moy le secret.

ERIGONE.

Je ne le puis Iphis [.]
Mais que vostre recit m’epargne de soucis [;]
Vous estes trop heureux c’est assez vous en dire,
650 Et jusques à demain ce mot vous doit suffire.
[B25]

Scène III. §

DANAUS, ERIGONE.

DANAUS.

Qu’on nous laisse. Madame admirez mon bonheur,
De l’amour d’Hipermestre enfin je suis vainqueur [.]
De la grandeur du coup d’abord épouvantée,
Contre un ordre si dur elle s’est revoltée,
655 Je sortois en fureur, elle a suivy mes pas,
Et s’est renduë apres quelques legers combats [.]
La grace que j’accorde à sa vertu timide*,
Pour luy sauver le nom d’épouse parricide,
C’est qu’avant qu’à Lyncée elle ait donné la main,
660 Elle executera cet important dessein [;]
Ainsy sans outrager les Dieux de l’Hymenée*,
Elle doit à l’instant fixer ma destinée [.]
Mais quoy ce changement allarme vostre esprit [?]

ERIGONE.

C’est prevenir* le temps que vous aviez prescrit,
665 Et pour peu que ses soeurs à vous servir trop lentes,
Different le moment de leurs noces sanglantes,
Du trépas de Lyncée on semera le bruit.

DANAUS.

Eh j’en recule expres la pompe* dans la nuit [.]
Contre la peur du bruit qui pourroit se repandre,
670 La distance des Lieux suffit pour nous deffendre,
Ses freres écartez sans secours, sans support*
Pourroient ils profiter de l’avis de sa mort [?]
Leurs amis sont loin d’eux epars dans cette ville,
S’ils osent resister leur deffaite est facile,
675 Et la flotte sans chef aysée à repousser,
Est toute en proye aux feux que j’y feray lancer [;]80
Par honneur à present mes soldats sous les armes,
Se trouveront tous prests aux premieres allarmes81,
La teste de Lyncée en sera le signal, {p. 26}
680 Tout depend d’oprimer82 cet ennemy fatal [.]
Vous aux soins* de ma fille unissez vostre zele,
On les attend au Temple et son amant fidelle,
La viendra bientost prendre en cet apartement [;]
Opposez quelque obstacle à son empressement,
685 Madame, en attendant qu’Hipermestre affermie,
Y vienne ayder les Dieux à conserver ma vie [.]
C’est pour vous obéïr que je prens tous ces soins*,
Et sans vous mes perils m’epouvanteroient moins [.]
Adieu [;] je vay donner le peu de temps qui reste,
690 Aux derniers apareils* de cet hymen funeste.

Scène IV. §

ERIGONE.

Trop cruelle Hipermestre à quoy te resous tu [?]
Qu’avec peu de raison je craignois ta vertu,
Quoy le sang d’un amant ne couste à ta constance,
Que quelques vains efforts de feinte resistance [?]
695 Un merite si grand devoit bien te toucher,
Perfide ton courroux te l’a t’il pû cacher [?]
Ah quand ta lache main s’arme pour son suplice,
L’amour pour le sauver veut que je te trahisse [!]
Tu l’attens comme époux mais tes barbares* yeux,
700 Ne le reverront plus qu’en vainqueur furieux,
Te reprochans l’horreur de ces sanglans misteres,
Et se faisant raison du meurtre de ses freres.
C’est alors qu’unissant mes sentimens aux siens,
Je me feray raison du sang de tous les miens,
705 Que Danaus objet d’une commune hayne,
Nous verra…Vien Dircé vien me tirer de ma peine,
Qu’a t’il dit ?
{p. 27}

Scène V. §

ERIGONE, DIRCE.

DIRCE.

Ah Madame il marche sur mes pas,
Je l’ay veu, j’ay parlé [:] l’ingrat ne me croit pas [.]
Il vous soupçonne, il croit qu’un fils vous a seduite,
710 Et qu’en faveur d’Iphis on luy parle de fuite.

ERIGONE.

Qu’entens-je?

DIRCE.

A peine a t’il ecouté mes discours,
Enyvré du succes de ses tendres amours,
Affectant à mes yeux une folle asseurance,
Il a voulu sortir sans armes, sans defence,
715 Il a laissé sa suitte en son apartement.
Il vient seul.

ERIGONE.

Quel succes de tant d’empressement,
Ah si j’avois parlé [,] sans doute il m’auroit cruë [.]
Tu n’estois du peril que foiblement emeuë [.]
Je te l’avois bien dit. L’espoir que je concois,
720 Eut donné plus de grace et de force à ma voix [.]
Le voicy.

Scène VI. §

LYNCEE, ERIGONE, DIRCE.

LYNCEE.

C’est donc vous à qui le Ciel m’adresse,
Madame, et de vos mains j’obtiendray ma Princesse,
Vous voyez que l’amour a bien conduit mes pas,
Je vis encor, je viens, entrons, ne tardons pas.

ERIGONE.

{p. 28}
725 Lyncée [,] où courez vous [?]

LYNCEE.

Eh quoy la nuit s’avance,
Et vous vous etonnez de mon impatience [!]
Mes freres dans la Grece en ce moment heureux,
Sont déja parvenus au comble de leurs vœux [.]
Voulez vous retarder le bonheur où83 j’aspire [?]

ERIGONE.

730 Non, mais au nom des Dieux Prince… Que dois je dire [?]84,
J’ay trahy des secrets confiez à ma foy,
Le trône [,] Danaus [,] tout est perdu pour moy [.]
Je mets la Grece entiere et l’univers en flame,
Mais pour y consentir le crime est trop infame,
735 Il faut mieux du Tyran meriter le courroux [;]
Je veux vous sauver [,] Prince [,] ou me perdre avec vous85,
Sortez de ce Palais [:] vostre mort est concluë,
Danaus, Hipermestre enfin l’a resoluë.

LYNCEE.

Hipermestre.

ERIGONE.

A ce nom vous demeurez confus,
740 Elle mesme [;] en un mot vos freres ne sont plus,
Ils ont en cet instant receu le coup funeste86 [.]
Fuyez et profitez du peu de temps qui reste,
Vous seul estes encor maistre de vostre sort,
Mais si vous ne fuyez [,] Prince [,] vous estes mort.

LYNCEE.

745 Moy contre Danaus qu’aurois je pu commettre [?]
Quel fruit de nostre mort se pourroit il promettre [?]
Se repend il des biens qu’il vient de nous donner [?]
Et nous a t’il fait Rois pour nous assassiner [?]
Non de pareils soupçons n’entrent point dans mon ame [?]
750 Je ne le sçaurois croire [,] on vous trompe Madame [.]
Je reconnois assez à ce subit effroy,
Jusqu’où vont les bontez que vous avez pour moy [.]
Un autre vous diroit qu’une jalouse envie, {p. 29}
Fait prendre à quelques gens trop de soin* de ma vie,
755 Qu’on veut en m’inspirant une vaine terreur,
Me faire renoncer moy mesme à mon bonheur,
M’engager à quitter la beauté que j’adore,
M’irriter contre un Roy qui m’ayme, que j’honore,
Des differens passez aigrir le souvenir,
760 Et separer deux coeurs qui sont prests de s’unir [.]
L’artifice* est trop bas [,] cessez donc de me plaindre [.]
En l’estat où je suis l’amour ne sçait rien craindre,
Et j’ay contre le coup que l’on m’a preparé,
Dans les bras d’Hipermestre un azile asseuré.

ERIGONE.

765 Non vous n’y trouverez qu’une mort asseurée,
A la face des Dieux Danaus l’a jurée [.]
Averty par la voix d’un oracle inhumain,
Que d’un fils d’Oegiptus87 il doit craindre la main,
Il vous fait tous perir et ses filles cruelles,
770 Sont de ses attentats les ministres fidelles [.]
Hipermestre...

LYNCEE.

Ah [!] c’est là que j’ouvre enfin les yeux,
Que je voy les ressorts d’un complot furieux [.]
Je croy, malgré le sang qui joint nos deux familles,
L’artifice* du Roy, la hayne de ses filles [;]
775 Je croy mes freres morts et si vous le voulez,
Ils meritoient les coups qui les ont accablez* [;]
Je les merite mesme il faut que je perisse,
Le cruel Danaus ordonne mon suplice [;]
Je dois m’y preparer, apres tant d’attentats,
780 Sa criminelle main ne m’epargnera pas [.]
Mais qu’Hipermestre ait part au malheur qui m’accable*,
Non c’est ce qui me rend tout le reste incroyable,
On vous trompe Madame [.]

ERIGONE.

Ouy Seigneur je le voy,
C’est donc moy qui me trompe et vous trompe apres moy [.]
785 Je sçay tout, du secret seule depositaire, {p. 30}
Pour vous persuader je n’aurois qu’à me taire [;]
Je parle, je vous dis quels sont vos assassins,
A vostre fuite enfin j’ouvre tous les chemins [.]
Je88 fais plus. Suivez moy rejoignons vostre armée,
790 Sauvez moy des frayeurs dont je suis allarmée89 [:]
Je voy déja le sang couler de toutes parts,
Je ne puis sur personne arrester mes regards,
Sur des sujets sans foy [,] sur un tyran qui m’ayme,
Sauvons nous [,] par pitié pour vous ou pour moy mesme,
795 Montons sur vos vaisseaux : allons loin de ces bords,
Elever des autels à tant d’Illustres morts,
D’un Pere abandonné charmer90 l’inquietude,
Et de sa triste cour remplir la solitude [;]
Vous luy direz Seigneur me presentant à luy,
800 Que j’ay de ses vieux jours sauvé l’unique appuy,
Qu’on l’auroit veu sans moy survivre à sa famille,
Que je luy tiendray lieu d’Hipermestre et de fille,
Et qu’apres tant d’efforts un coeur comme le mien,
Merite assez... Ingrat vous ne me dites rien [!]

LYNCEE.

805 Madame [,] qu’à ma mort Hipermestre consente,
Je ne la fuiray point elle sera contente [;]
J’auray du moins l’honneur de repandre à ses yeux,
Un sang infortuné qui leur est odieux.
Loin de parer ses coups, d’éviter sa presence,
810 Je n’y paroistray point en estat de deffence,
Et le fer qu’autre fois je receu de ses mains,
Ne mettra nul obstacle à ses justes desseins [.]
Je l’ay quitté je vais deplorable victime,
Subir à ses genoux la peine de mon crime [.]
815 Vous Madame gardez à ce barbare* Roy,
Un coeur dont son amour a merité la foy [;]
Pour moy puisqu’à la mort ma Princesse me livre,
Je suis trop criminel pour meriter de vivre,
Et quoy que d’un beau feu tendrement animé,
820 Je suis d’elle et de vous indigne d’estre aymé [.]
Faites donc à l’amour succeder la vangeance, {p. 31}
Punissez un ingrat de son indifference,
Et rebutant un coeur qu’Hipermestre me rend,
Livrez un malheureux à la mort qui l’attend.

ERIGONE.

825 C’en est trop; et je sens ma pitié dissipée,
Qu’ay je dit, ma vertu m’auroit-elle trompée [ ?]
A travers la pitié [,] l’amour s’est il fait voir [ ?]
Lache [,] t’aurois- je aymé sans m’en apercevoir [ ?]
Puisque par mon bienfait tu refuses de vivre,
830 Meurs, et voy dans ta mort que c’est moy qui te livre [.]
Je regne enfin [,] ce jour va vanger mes parens,
Dans tes freres dans toy je poursuis les Tyrans,
Je veux que Danaus pour victoire derniere,
Se baigne dans le sang de sa famille entiere,
835 Qu’il s’y noye, hier encor il vouloit t’epargner,
Mais de ce sentiment j’ay bien sçu l’esloigner,
J’ay choisy pour te perdre Hipermestre elle mesme,
Tu mourras [,] c’est ainsy [,] Barbare*[,] que je t’ayme [.]
Mais de quelque fureur que mon coeur soit armé,
840 Il n’a tenu qu’à toy d’estre autrement aymé.
Elle sort.

Scène VII. §

HIPERMESTRE, LYNCEE.

HIPERMESTRE.

Eh quoy vous me fuyez Lyncée [?]

LYNCEE.

Ah ma Princesse,
Me soupçonneriez vous d’une telle faiblesse [?]
Je ne fuis point la mort puisqu’elle vient de vous,
Et mon coeur desarmé vient s’offrir à vos coups.

HIPERMESTRE.

845 Ah que me dites vous [!] c’est moy qui suis coupable,
Puisque d’un tel forfait vous me croyez capable,
Et que plus empressée à vous sauver le jour,
Une autre a prevenu* les soins* de mon amour.

LYNCEE.

{p. 32}
Eh Madame cessez de differer ma peine91,
850 Sauvez moy par ma mort de l’amour de la Reyne,
Elle m’ayme: j’ay pu l’ecouter un moment,
Est il pour un tel crime un trop rude tourment [?]

HIPERMESTRE.

Que ne la croyiez vous [?] dans cette nuit funeste,
Vos freres ont pery [,] vous sçavez tout le reste,
855 Mon Pere à votre mort attache mon bonheur,
Je feins pour vous sauver de servir sa fureur*,
Mais d’un autre assassin évitez la poursuite [.]
Venez [,] l’amour m’a fait pourvoir à votre fuite,
A l’ancre pres d’icy vos vaisseaux sont tous prests [.]
860 De ce costé la mer bat les murs du Palais [;]
N’abusons point du temps la nuit sombre et tranquille,
A vostre éloignement offre un moyen facile [.]
Je ne puis plus icy vous parler sans effroy,
Venez Seigneur l’amour vous parlera pour moy,
865 Mais sans plus differer contentez mon envie.

LYNCEE.

Non puisque vostre amour me rend ainsy la vie,
Je sçauray la deffendre et je cours de ce pas,
Par un chemin sanglant rejoindre mes soldats.

HIPERMESTRE.

Eh de quel sang Seigneur [,] de celuy de mon Pere,
870 Est ce là le dessein que l’amour vous suggere [ ?]
O Ciel que dites vous, mon Pere, moy, mes soeurs,
Voila les seuls objets de vos justes fureurs*,
C’est nostre mort qui doit reparer vostre offence [.]
Tandis que92 nous vivrons vous serez sans vangeance,
875 Cher Prince seriez vous ce cruel assassin,
Ce ministre fatal d’un injuste destin,
Et moy dans le dessein de m’epargner un crime,
N’auray je à vos bourreaux arraché leur victime,
Pour conserver vos jours abandonné des miens,
880 Que pour oster la vie à ceux dont je la tiens [?]

LYNCEE.

{p. 33}
Non vous ne serez point funeste à vostre Pere [.]
Dissipez vos frayeurs ma promesse est sincere [:]
Je ne voy plus en luy l’ennemi qui me perd,
Vostre seule vertu met son crime à couvert [;]
885 Et lorsque la raison semble exiger sa peine,
Mon amour dans mon coeur est plus fort que ma hayne:
J’oublieray que ma vie attira son courroux,
Quand je me souviendray que je la tiens de vous [.]
Si ma presence allarme93 icy vostre tendresse,
890 Madame je consens à sortir de la Grece [:]
Allons passer en paix nos jours hors de ces lieux,
Dont les tristes horreurs doivent blesser vos yeux [.]
Derobons la vertu de deux coeurs deplorables,
Au sort qui malgré nous, nous veut rendre coupables [.]
895 Marchons [;] et s’il faut perdre un empire à ce prix,
Au moins sauvons l’amour de ces cruels debris.

HIPERMESTRE.

Eh quoy [!] tant d’yeux jalous ouverts sur ma conduite,
Me verroient d’un amant accompagner la fuite,
Et les siecles futurs m’accuseroient un jour,
900 D’avoir trahi ma gloire* en servant mon amour,
Non [,] d’offencer mon Roy je n’eus jamais envie,
Et puisqu’à ses fureurs j’arrache vostre vie,
Je veux pour l’empescher de redouter vos coups,
Demeurer dans ses mains en ostage pour vous.

LYNCEE.

905 Et moy timide* amant sans craindre vostre Pere,    
Tandis que vous serez en proye à sa colere,
Me cherchant un azile aux climats etrangers,
J’iray gouster en paix le fruit de vos dangers [?]

HIPERMESTRE.

Lyncée à cet effort il faut bien vous resoudre,
910 Jamais le Ciel sur vous ne suspendra sa foudre,
De vos freres trahis les manes negligez,
Jamais ne se tairont si vous ne les vangez [;]
Jamais à quelques maux que l’absence me livre, {p. 34}
Je ne voudray quitter mon Pere pour vous suivre [;]
915 Jamais mon Pere enfin n’eteindra son courroux,
Et jamais...et jamais je n’aymeray que vous.

LYNCEE.

Aymez moy. Mais au moins pour finir vostre peine,
Tarissez dans mon sang la source de sa hayne,
Repandez le Madame il me sera plus doux,
920 De mourir à vos yeux que de vivre sans vous [.]
Ainsy libre à jamais des chagrins de l’absence,
Jusqu’au dernier soupir vous verrez ma constance,
Et sans vous consumer en regrets superflus,
Vous m’aymerez toujours et ne me craindrez plus.

HIPERMESTRE.

925 Et moy je vous demande un plus grand sacrifice,
La mort pour nostre sort est un trop doux suplice [,]
Vivez, partez, fuyez, et sans tant de discours,
Ne nous voyons jamais et nous aymons toûjours.

LYNCEE.

Eh quoy [!] dans le moment que la paix nous rassemble,
930 Que l’hymen se prepare à nous unir ensemble,
Que mon coeur fatigué de tant de vains desirs,
Semble déja toucher l’ombre de ses plaisirs,
Vous mesme de douleur et d’amour eperduë,
Vous venez m’ordonner d’eviter vostre vueuë [?]
935 Que dis je [?] dans mon coeur etouffant tout espoir,
Vous osez m’ordonner de ne vous plus revoir [?]

HIPERMESTRE.

Ah que vous sçavez bien prendre vostre avantage [!]
Cruel, au lieu d’armer mon timide* courage,
Vostre douleur m’accable* et ne fait qu’irriter,
940 Le mortel desespoir que j’ay de vous quitter [;]
J’oublie en ce moment le peril où vous estes,
Par pitié pour vous seul voyez ce que vous faites [:]
Vous vous perdez Lyncée et me perdez aussy,
Mon Pere portera sa fureur* jusqu’icy,
945 De mon retardement se deffiant sans doute...
Je crains qu’on ne nous voye et qu’on ne nous ecoute;
Je tremble qu’à mes yeux Seigneur, entre mes bras, {p. 35}
Mille soldats en foule...Allons suivez mes pas,
Ne tardez point, helas qui vous retient encore [?]

LYNCEE.

950 L’horreur de m’eloigner de tout ce que j’adore [.]
Je n’y puis consentir.

HIPERMESTRE.

Je l’ay trop dit, partez [!]
Iphis me vangera si vous y resistez,
Je ne vous dis plus rien [.]

LYNCEE.

J’obeï ma Princesse,
Je ne resiste plus à l’ordre qui me presse,
955 Vous le voulez, je pars [;] vostre absence et l’amour,
Sont des maux assez grands pour me priver du jour [.]
De tous mes deplaisirs cet espoir me console [:]
De peu de jours au Roy vous manquez de parole,
Vous promettiez ma mort à ses soupçons jaloux [.]
960 Adieu. Bientost le bruit en viendra jusqu’à vous.

Fin du Troisième Acte.

Acte IV. §

Scène I. §

DANAUS, IPHIS, un Garde.

DANAUS.

Faites venir ma fille [;] entrons: c’est trop attendre [.]94
Le coup est fait Iphis, je te reçoy pour gendre [.]
J’attendois ce moment pour te le declarer [:]
Hipermestre est à toy.

IPHIS.

L’oseray je esperer [ ?]
965 Quoy Lyncée…

DANAUS.

A son sort ne porte plus d’envie, {p. 36}
Cet Insolent Rival vient de perdre la vie.

IPHIS.

Luy Seigneur, se peut il [ ?]

DANAUS.

Calme ce vain effroy,
Et songe à meriter ce que je fais pour toy [.]
Lyncée est mort [;] avant que le bruit en eclate,
970 Cours t’asseurer des chefs de cette race ingrate,
Tous entrez apres luy l’attendent icy pres95,
J’ay fait fermer sur eux les portes du Palais [;]
Ces traistres mis aux fers je suis icy le maistre [.]
Pour faire tout plyer nous n’avons qu’à parestre,    
975 Et qu’à montrer aux yeux des soldats etonnez,
La teste de leur Prince et leurs chefs enchaisnez [.]
Cours, et vien recevoir icy ta recompense.

IPHIS.

Attandez tout Seigneur de ma recognoissance.

DANAUS.

Voyons ma fille et loin d’un objet plein d’effroy,
980 Detournons ses regards... Mais elle vient à moy [.]

Scène II. §

DANAUS, HIPERMESTRE, un Garde.

DANAUS.

Ma fille c’en est fait je voy sur ton visage,
Briller encor le feu de ce masle courage,
Qui t’a fait immoler un amant couronné,
Et Rendre à Danaus le jour qu’il t’a donné [.]
985 Sur le bord du tombeau je commence à revivre,
J’y voy cet assassin dont ta main me delivre,
Et libre des chagrins qui m’alloient consumer,
Je n’ay plus aucun soin* que celuy de t’aymer.

HIPERMESTRE.

Je suis par amour trop bien recompensée,
990 Des pleurs que m’a cousté la perte de Lyncée [.]    
Seigneur ny vous ny moy nous ne le verrons plus, {p. 37}
Vivez regnez en paix.

DANAUS.

Trop heureux Danaus [!]
Allez gardes qu’au peuple on en montre la teste.

HIPERMESTRE.

Ah Seigneur, songez vous... gardes [,] que l’on arreste [!]
995 Mon Pere…

DANAUS.

Je pardonne à ce tendre retour96,
Quelque pitié peut bien survivre à tant d’amour.
Allez97.

HIPERMESTRE.

Pour cet amour ayez quelque indulgence,
A l’effort que j’ay fait bornez vostre vangeance,
Voulez vous insulter aux restes tous fumans,
1000 D’un époux que j’immole à vos ressentimens [ ?]
Le sacrifice est fait [,] respectez la victime,
Et ne me pensez pas forcer à plus d’un crime98 [.]
Cruelle à ses beaux jours je ne le seray pas,
Jusqu’à porter l’outrage au delà du trepas.

DANAUS.

1005 Je tremble, je fremis, c’est trop de resistance [;]
Non ma fille je veux jouir de ma vangeance,
Voir si malgré l’amour vous m’avez obeï [.]
Vous vous troublez perfide, ah vous m’avez trahy,
Que l’on cherche, qu’on coure, et que la ville entière…
1010 Parlez [!] qu’avez vous fait de l’assassin d’un Pere [?]
D’un assassin [!] luy, moy, mes secrets, mes destins,
D’un trosne, j’ay tout mis en vos perfides mains,
Rendez, rendez moy tout.

HIPERMESTRE.

C’est trop longtemps me taire,
Et d’une douleur feinte emprunter le mistere [.]
1015 Je vous rens plus Seigneur que vous ne pretendiez,
L’honneur et la vertu, sans moy vous les perdiez [:]
En sauvant mon amant j’ay sauvé l’un et l’autre,
Et perisse à ce prix ma grandeur et la vostre,
Mon amour [,] mon repos.

DANAUS.

Perissent à ce prix, {p. 38}
1020 Pere [,] soeurs et parents [,] objets de ses mepris,
Pourveu que l’assassin se derobe à sa peine,
Qu’il survive à ma mort [,] qu’importe à l’inhumaine [?]
Montre le moy que j’aille m’offrant à ses coups,
Avancer un moment qui doit t’estre si doux [.]
1025 De quel endroit caché me viendra t’il surprendre [?]
Ingrate où l’as tu mis [?]

HIPERMESTRE.

Seigneur daignez m’entendre [.]
Ny vos yeux ny les miens jamais ne le verront [:]
Bientost loin de ces bords les vents le porteront,
A tous les attentats de sa fureur* guerriere,
1030 Le vaste sein des mers servira de barriere,
C’est pour toûjours [;] mais plus que les mers et les vents,
Croyez en sa vertu, croyez en ses sermens.

DANAUS.

Ses sermens! vains appuis d’une mourante vie,
Qu’à finir par sa main les Dieux ont asservie,
1035 Dy que pour garantir la foy de ton amant,
Les Dieux de m’epargner t’ont fait aussy serment [;]
Dy que de mon repos rompant tous les obstacles,
Ils ont en ma faveur dementy leurs Oracles [;]
Que mes jours par un frere autrefois traversez*,
1040 Du fer de ses enfans ne sont point menacez [;]
Et pour mieux éluder la celeste menace,
Vien toy mesme à l’instant m’immoler en leur place,
Derobe à ton amant l’honneur de mon trépas,
Et cours digne de luy te jetter dans ses bras.

HIPERMESTRE.

1045 Je suis entre vos mains [;] disposez de ma vie,
Ou selon mon merite, ou selon vostre envie [.]
Ouy ma teste à vos piez est preste de tomber,    
Mais mon coeur aux forfaits99 ne sçauroit succomber [.]
Si vous en attendiez de mon obeissance,
1050 Il falloit autrement élever mon enfance,
Derober à mes yeux tant d’illustres exploits [:] {p. 39}
Les peuples benissants la douceur de vos loix,
La Grece par vos soins* de ses tyrans purgée,
Les vices confondus, l’innocence vangée [;]
1055 Quand vous me demandiez ce criminel secours,
Vos exemples Seigneur dementoient vos discours,
Je n’ay point cru qu’un Roy qui depuis tant d’années
...................................................................................100
Conduit par tant d’honneurs au comble de ses jours,
1060 Voulut au prix d’un crime en prolonger le cours,
Et de quelques moments honteux à sa memoire,
Reculer son trepas pour survivre à sa gloire*.

DANAUS.

Ouy [,] selon tes desirs j’ay trop longtemps vescu,
Cruelle[,] il faut mourir j’en suis bien convaincu [.]
1065 Oracles trop obscurs il n’est plus temps de feindre,
Enfin j’ouvre les yeux je voy [qui] je dois craindre [:]
Tant de bras à mes loix ailleurs obeissans,
Ne m’ont donc immolé que des coeurs innocens [?]
Le seul qui se derobe estoit le seul coupable,
1070 Sa fureur* n’en devient que plus inevitable,
Et tant de sang versé ne sert qu’à luy fournir,
De plus justes raisons pour oser m’en punir [.]
Parricide est ce là l’effet de tes promesses,
Le fruit de tes amours, le prix de mes tendresses [ ?]
1075 Ah tu pretens un jour fidelle à ton serment,
Venir sur mon tombeau couronner ton amant [!]
Mais je sçauray briser vos noeuds illegitimes,
Tu m’as trahy, c’est là le dernier de tes crimes.

Scène III. §

IPHIS, DANAUS, HIPERMESTRE.

IPHIS.

Tout est calme Seigneur, les chefs sont arrestez
1080 Vos soldats par la ville épars de tous costez...

DANAUS.

Qu’avons nous fait [?] il fuit [,] il m’echape, il me brave, {p. 40}

IPHIS.

Qui Seigneur [?]

DANAUS.

Le Rival dont tu deviens l’esclave,
L’assassin que les Dieux font maistre de mon sort [.]

IPHIS.

Vous m’aviez dit Seigneur, que Lyncée estoit mort [!]

DANAUS.

1085 Et pouvois je penser qu’une fille ennemie,
En faveur d’un amant dust hazarder ma vie,
Le soustraire à mes coups pour me livrer aux siens [?]
Iphis [,] n’y pense plus, romps ces honteux liens,
Arrache pour jamais l’ingrate de ton ame,
1090 Indigne de la vie elle l’est de ta flame [.]
Attens un autre prix de ta fidelité [.]
Et toy [,] lache [,] celuy de ton impieté101.

IPHIS.

Et quoy [!] dans ce moment je me crois vostre gendre,
Vous mesme vous venez Seigneur de me l’aprendre,
1095 Charmé de voir enfin tous mes voeux couronnez,
Je cours executer ce que vous m’ordonnez [;]
Je reviens à vos piez, à ceux de ma Princesse [,]
J’attens le prompt effet d’une juste promesse,
Et vous me condamnez à la perdre, à mourir,
1100 Ah Seigneur est ce ainsy qu’on vouloit nous unir [?]

HIPERMESTRE.

Iphis vous ne sçauriez prodiguer* qu’avec honte,
Des jours dont mon amour ne vous tiendroit pas conte102 [.]
Vivez vous n’avez point de part à mon forfait,
Et vous n’en aurez point à l’amour qui l’a fait [.]
1105 Non Seigneur, puisqu’il faut justifier ma hayne,
Je n’aymeray jamais le fils d’une inhumaine,
Dont le perfide amour vostre unique assassin,
S’apreste* à vous porter un poignard dans le sein.

DANAUS.

Que me dit elle [,] Iphis [?]

HIPERMESTRE.

{p. 41}
Que la fiere* Erigone [ ]
1110 Par des meurtres sans fin veut remonter au trône,
Qu’immolant vos neveux par les mains de mes soeurs,
Elle veut avant vous [,] detruire vos vangeurs,
Qu’hier mesme en voyant flotter vostre pensée,
Elle vous fit resoudre à la mort de Lyncée,

DANAUS.

1115 Perfide c’est trop loin pousser la cruauté.

HIPERMESTRE.

Encore un mot Seigneur pour vostre seureté [.]
On vous trompe [:] Lyncée est aymé d’Erigone [.]
Au mepris103 de la foy que l’ingrate vous donne,
Des sceptres que l’amour vous fait mettre à ses piez,
1120 Aux depens des secrets que vous luy confiez,
Luy depeignant l’horreur de nos nopces104 cruelles,
S’offrant à le tirer de mes mains criminelles,
Contre moy [,] contre vous excitant sa fureur,
Elle s’est hazardée à mandier son cœur [.]
1125 Et quel coeur à ce prix n’eut pas esté volage [?]
Ce heros insensible à ses pleurs, à sa rage,
Toûjours constant, fidelle à moy bien moins qu’à vous,
Est venu sans trembler se livrer à mes coups [;]
Je l’ay sauvé. Voila ce que m’a dit Lyncée,105
1130 Ce qu’à vous decouvrir mon devoir m’a forcée [.]
Ce n’est que par ma mort que je puis le prouver,
Punissez moy [,] Seigneur [,] mais daignez vous sauver.
Elle sort.

DANAUS.

O Dieux!

IPHIS.

Eh quoy [!] Seigneur [,] ma vertu depend elle,
De l’aveugle fureur* d’une amante cruelle [?]
1135 Vostre bonté pour nous peut elle chanceler [?]
Doutez vous quel dessein la fait ainsy parler [?]
Croyez vous…

DANAUS.

{p. 42}
Je ne crois ny n’accuse personne [.]
Iphis laissez moy seul... Je veux voir Erigone [:]
Vous sçavez [,] si mon coeur vous fut jamais connu,
1140 Qu’il n’est en sa faveur que trop bien prevenu*.

Scène IV. §

DANAUS.

O vous [,] par mes hauts faits si long temps soutenuës,
Grandeur [,] gloire*[,] vertu [,] qu’estes vous devenuës [?]
Barbare* Danaus [,] où me vois je reduit [?]
Vois je le jour apres cette sanglante nuit [?]
1145 Tyran couvert du sang des plus nobles familles,
Bourreau de mes neveux [,] seducteur de mes filles,
Criminel tant de fois hay dans tous les coeurs,
Et ce qui de mes jours va combler les horreurs,
Apres tant d’attentats [,] de coups illegitimes [,]
1150 Malheureux, et privé du fruit de tous mes crimes,
Qu’ay je fait, et quel prix me suis je proposé [?]
Un seul coeur qu’à aymer je croyois disposé [;]
L’ardeur de cet amour m’a fait aymer la vie,
C’est à cet amour seul que je vous sacrifie [:]
1155 Filles, neveux, sujets [,] grandeur [,] gloire*, vertu [.]
Amour [,] cruel amour [,] m’abandonnerois tu [?]
Erigone oubliant sa conduite passée,
Auroit elle tourné ses regards vers Lyncée [?]
Et par quelle autre voye auroit il donc apris,
1160 Que c’est par ses conseils que j’ay tout entrepris,    
Qu’hier mesme à l’aspect de cette nuit sanglante,
Elle enhardit au coup mon ame chancelante [?]
La perfide a tout dit, son crime est trop certain,
Roy, Pere [,] amant [,] je hais et j’ayme donc en vain [.]
1165 Je hais; mon ennemy prest à subir sa peine,
Par une fille impie [,] est soustrait à ma haine [;]
J’ayme [;] Et l’objet fatal dont je me crois vainqueur,
Offre à mon ennemy l’empire de son cœur [.]
Qui de vous [,] fille ingrate et maitresse infidelle, {p. 43}
1170 Ou me fut la plus chere ou m’est la plus cruelle [.]
Vains oracles à qui je me suis trop soumis,
Pourquoy me cachiez vous mes plus grans ennemis [?]
Je fuis des assassins dont la mer me separe,
Et tiens à mes costes une fille barbare*,
1175 Une amante perfide et je vois en un jour,
S’elever contre moy la nature et l’amour [.]
Et bien bravons aussy l’amour et la nature,
Etouffons pour jamais leur insolent murmure,
Je ne veux plus chez moy de Tyrans absolus,
1180 J’etois amant et Pere et je ne le suis plus.    

Scène V. §

DANAUS, ERIGONE.

DANAUS.

Venez, venez pleurer nos communes disgraces,
Venez de vostre amant reconnoistre les traces,
Voir ces lieux imprimez de ses pas fugitifs,
Ces marbres attendris par vos soupirs craintifs,
1185 Fidelles à cacher la honte de ma vie,
Et temoins eternels de vostre perfidie [.]
C’est icy que tantost vos feux ont eclaté [:]
Vous avez d’un heros eprouvé la fierté*,
L’ingrat a disparu par le secours d’une autre,
1190 Sans vous laisser son coeur il emporte le vostre [;]
Sur un coeur prodigue* je ne pretens plus rien,
Laissez le luy [,] perfide [,] et me rendez le mien.

ERIGONE.

Seigneur je ressens bien la douleur qui vous presse,
Et mon dessein n’est pas d’excuser la Princesse,
1195 Vous trouverez le temps de luy parler ainsy [;]
Mais Seigneur songez vous qu’elle n’est pas icy [!]
A trop de grans eclats vostre ame s’abandonne [:]
Apaisez vous, voyez, connoissez Erigone,
L’exces de la douleur a t’il fermé vos yeux [?]

DANAUS.

1200 Ah juste Ciel [!] jamais je ne la connus mieux, {p. 44}
Je sens à vostre aspect mes premieres allarmes106,
Je voy, j’admire en vous la force de vos charmes107,
Ces discours si puissants à calmer mes douleurs,
Et ces yeux si sçavants à repandre des pleurs [;]
1205 Mais ce que vous cachiez à mon amour timide*,    
Sous tant d’appas si doux je vois un coeur perfide,
Ouy [,] vous m’avez trahy vous aymez en secret,
Un Prince que pour vous j’immolay à regret [;]
Vous m’avez arraché l’aveu de son suplice,
1210 Pour acheter son coeur par ce lache artifice*,
Pour le sauver apres me l’avoir fait trahir [.]
Si vous l’aymiez pourquoy me le faire hair [?]
Vous n’aviez pres de moi qu’à prendre sa deffence,
Qu’à blamer à propos ma juste deffiance,
1215 Il eut eu le loisir de mesurer ses coups,    1215
Et j’aurois expiré sans me plaindre de vous [;]
Vous vouliez de ces coups vous reserver la joye,
Eh bien vous en aviez une plus seure voye,
Sans qu’il vous fut besoin d’employer le forfait [:]
1220 Ce qui vous couste un crime un dedain l’auroit fait,
Un mepris, je mourois et vous estiez vangée [.]
Qu’ay je donc fait depuis et qui vous a changée [?]
Parlez, ou seure encore du pouvoir de vos yeux,
Faites parler vos pleurs, ils me seduiront mieux.

ERIGONE.

1225 Non Danaus c’est trop temoigner ma foiblesse,
Vos reproches cruels ont eteint ma tendresse,
N’attendez plus de moy que ce que je vous dois,    
Vous avez veu mes pleurs pour la derniere fois [;]
Apres ce grand éclat de vostre jalousie,
1230 Vous ne meritez pas que je me justifie,
Et si l’amour n’a pu dissiper vos soupçons,
Pour vous en delivrer je n’ay point de raisons;
Allez soyez en proye à vostre juste crainte,
Croyez qu’à vous trahir la hayne m’a contrainte,
1235 Croyez vostre ennemy maistre de mon coeur,
Croyez tout sur la foy d’une fille en fureur* [.]
Allez enfin cedant à vostre destinée, {p. 45}
Resserrer les liens de son triste hymenée*,
Rapellez en ces lieux son epoux assassin,
1240 Et courez à ses coups presenter vostre sein.

DANAUS.

Erigone un moment, le coup que je redoute,
N’est pas…

ERIGONE.

Depuis deux ans [,] ingrat [,] je vous ecoute,
Vous payez mes bontez d’un caprice jaloux [.]
Laissez moy, je n’ay plus aucun moment pour vous.

DANAUS.

1245 Elle fuit, qu’ay je dit! avec[que] quelle imprudence,
Ay je si fierement108 attaqué sa confiance,
Mes soupçons estoient ils assez bien asseurez [?]
Suivons ses pas, allons…

Scène VI. §

LYCASTE, DANAUS.

LYCASTE.

Ah Seigneur accourez,
Du dernier des malheurs la ville est menacée.

DANAUS.

1250 Que dis tu?

LYCASTE.

Tout est plein des vaisseaux de Lyncée,
Ils sembloient s’eloigner lorsqu’un nouvel effort,
Les a soudainement ramenez dans le port [;]
Ils abordent. Leurs cris de tous costez s’entendent,
Hipermestre, Hipermestre est tout ce qu’ils demandent,
1255 Ils sont prests [,] disent ils [,] s’ils peuvent l’obtenir,
D’abandonner nos bords pour n’y plus revenir.

DANAUS.

{p. 46}
Vain pretexte! et mes gens ont quitté le Rivage,
Ils ont cedé. Destins [,] achevez vos ouvrages,
Et puisque vainement je m’oppose à vos coups,
1260 Frapez de tous costez je m’abandonne à vous.

Fin du Quatrième Acte.

Acte V. §

Scène I. §

ERIGONE, IPHIS.

ERIGONE.

Non [,] si de mon tyran la teste est menacée,
Il ne doit point perir par la main de Lyncée [.]
De ce fer, seul laissé dans son apartement,
J’attens de Danaüs le juste chastiment [.]
1265 Enfin de son destin j’ay percé le mistere [:]
En vain [,] luy dit l’oracle [,] en vain tu fuis ton frere,
Evite si tu peux le fer de ses fils,
Et c’est ce mesme fer qu’en tes mains j’ay remis [.]
Aux soupçons du tyran tu me vois asservie,
1270 Je pers et son amour et peut estre la vie,
Previens* le, du succes j’ay les Dieux pour garant,
Vange ta mere enfin ton amour, tes parens.

IPHIS.

Ouy je vois à quel coup vous devez vous attendre,
Danaus vous accuse : il peut tout entreprendre,
1275 Il est inexorable, et ses soupçons jaloux,
Sont pour luy des raisons et des crimes pour vous [.]
Je sens bien qu’Hipermestre a merité ma hayne,
Que loin de mon espoir vostre dessein m’entraine,
Mais de quelque depit dont je sois animé,
1280 Pour hair à ce point j’ay trop longtemps aymé,
Je ne puniray point [,] quoy qu’elle m’ait pu faire, {p. 47}
La fierté* de son coeur sur le coeur de son Pere,

ERIGONE.

Punis son Pere au moins de ses propres forfaits,
Et n’abandonne pas le fruit de tes souhaits [;]
1285 Souvien toy du moment que je t’ay fait attendre [,]
Le voicy. C’est par là que tu peux tout pretendre,
Hipermestre est à toy si tu me sers.

IPHIS.

Eh quoy,
Perdre son Pere ô Dieux! et pretendre à sa foy.

ERIGONE.

Le perdre, et par l’aspect de la fatale épée,
1290 Rendre l’amant suspect à l’amante trompée [,]
Sur Lyncée en un mot en detourner l’horreur,
De la fiere* Hipermestre amuser109 la douleur,
La flatter d’un espoir de vangeance frivole…

IPHIS.

Ah Madame est ce ainsy que l’on me tient parole [?]
1295 L’assassinat, la fourbe, et l’infidelite,
Sont ce là les secours dont vous m’aviez flatté [?]
Non, j’ay d’autres moyens de sauver vostre vie,
De ravir Hipermestre à qui me l’a ravie,
De vous justifier aupres d’un Roy jaloux [;]
1300 C’est sur Lyncée enfin qu’il faut tourner mes coups [.]
Maistre dans un instant du port et de la ville,
Il croit de ce palais l’acces aussy facile,
Il accourt, c’est à moy d’arrester ses efforts.

ERIGONE.

Et de m’abandonner aux barbares* transports,
1305 D’un Roy dont tu soutiens l’injurieux caprice,
Tandis que sa fureur merite mon suplice [!]
Je ne te retiens plus, va, cours le secourir,110
Renonce à la vangeance et me laisse mourir [;]
Ou plutost puny moy prevenant* son envie,
1310 Du crime que j’ay fait d’attenter sur sa vie,
Qu’est ce qui te retient [?]

IPHIS.

Madame...

ERIGONE.

{p. 48}
Que veux tu [?]
Esclave scrupuleux d’une fausse vertu,
Indigne protecteur d’un tyran qui m’oprime,
Et d’un honteux amour malheureuse victime,
1315 Rends moy Rends moy ce fer inutile en tes mains [;]
J’iray sans ton secours poursuivre mes desseins,
Et mon bras plus fidelle à servir ma colere,
A tes yeux fils ingrat joindra la fille au Pere [.]
Nous verrons si l’ardeur de deffendre leurs jours,
1320 Te fera contre moy courir à leur secours,
Car ne te flattes pas d’une vaine esperance,
C’est par ma mort qu’il faut que ton bonheur commence,
Et je ne veux traisner ma vie et mes douleurs,
Que pour te voir en proye à d’eternels malheurs.

IPHIS.

1325 Vous l’avez déja fait vivez, vivez contente,
L’exces de mes malheurs doit remplir vostre attente [,]
Je ne puis me sauver d’un oprobre eternel,
Ny devenir heureux sans estre criminel [.]
A vous, à ma Princesse egalement fidelle,
1330 J’ay du respect pour vous, j’eus de l’amour pour elle,
Fils zelé, tendre amant j’esperois en ce jour,
Accorder la vertu [,] la nature et l’amour,
Vous me le deffendez [.] Vous serez obeïe,
Je sacrifieray tout pour sauver vostre vie,
1335 Je perdray Danaus, j’eteindray dans mon coeur,
Cet amour dont vous mesme entreteniez l’ardeur,
Mais apres avoir fait ce [que] j’auray dû faire
Pour vanger mes parens, pour sauver une mere,
Infortuné vangeur, amant desesperé,
1340 Triste vertu c’est vous que je sacrifieray.
{p. C49}

Scène II. §

ERIGONE.

Il menace je croy. N’importe, qu’il acheve,
Et qu’apres contre moy sa vertu se souleve [;]
Pour sortir de ces lieux j’ay les chemins ouverts,
Et de quoy m’attirer les yeux de l’univers [.]
1345 Mais je veux voir icy ma vangeance asseurée,
Danaus mort, sa fille entre mes mains livrée,
Aux yeux de ses amans la trainer dans Argos,
Et là par ses perils asseurer mon repos [.]
Helas [!]Il n’est plus temps.

Scène III. §

DANAUS, HIPERMESTRE, ERIGONE.

ERIGONE.

Quoy la ville est en flame,
1350 Le Palais assiégé [,] tout un peuple...

DANAUS.

Ouy Madame,
J’entens les tristes cris des peuples pleins d’effroy,
J’entens la voix des Dieux irritez contre moy,
Je voy qu’à l’assasin leur fureur* m’abandonne,
Et je viens...

ERIGONE.

Vous venez vous vanger d’Erigone,
1355 A vos laches soupçons mettre une digne fin.

DANAUS.

Et je viens à vos yeux accomplir mon destin,
A de cruels soupçons mon ame s’est livrée,
Plus que jamais encore elle en est dechirée [;]
Mais quoy de vos parens j’occupe icy le rang,
1360 La pourpre qui me couvre est teinte de leur sang,
Me perdre et me haïr n’est pas pour vous un crime, {p. 50}
C’est le mien seul qui rend mon soupçon legitime [.]
Ouy vangez vous [,] joignez ma fille à mes destins,
Et mon coeur et le sien [,] tout est entre vos mains.

ERIGONE.

1365 Seigneur [,] plus de soupirs [;] courez, courez aux armes,
Et ne vous laissez point attendrir par les larmes,
Vos perils ont tary leur source dans mon coeur,
Je tremble, et ne suis plus sensible qu’à la peur,
C’est là de mon amour le plus seur temoignage [.]
1370 Courez de vos soldats relever le courage,
Vous trouverez mon fils, vous sçaurez là de luy,
Comment de vos soupçons je me vange aujourd’huy,
Pour vous convaincre enfin combien j’en suis blessée
Allez, aportez moy la teste de Lyncée.

DANAUS.

1375 J’y cours puisque mes jours vous sont si precieux,
Je les disputeray mesme contre les Dieux.

HIPERMESTRE.

Seigneur [,] que je vous suive et que je vous deffende.    

DANAUS.

Demeurez.

Scène IV. §

HIPERMESTRE, ERIGONE.

HIPERMESTRE.

Et c’est moy que l’assassin demande,
Livrez moy seule aux coups de ces fiers* ennemis.

ERIGONE.

1380 Laissez ce soin* [,] Princesse [,] au malheureux Iphis,
Ne luy derobez point cette derniere joye,
Pour gagner vostre amour il n’a que cette voye,
Il y court.

HIPERMESTRE.

Triste amour source de mon malheur,
C’en est fait [,] pour jamais je t’ay fermé mon coeur,
1385 Ne parlons plus d’aymer, parlons de mon suplice, {p. 51}
Au Roy que j’ay trahy je dois ce sacrifice,
A vostre fils qui voit son espoir abatu,    
A vous dont j’ay tâché de noircir la vertu [.]
Madame, il n’est plus temps que je le dissimule,
1390 Pardonnez aux soupçons d’une amante credule [:]
Sur la foy d’un ingrat prodigue* de sermens,
J’ay cru que vostre amour causoit tous mes tourmens,
Qu’à perdre tous les miens vous mettiez vostre gloire*,
Et de sa bouche helas [!] qu’ay je pu ne pas croire [?]
1395 Il avoit sur mon ame un pouvoir absolu,    1395
Il disoit qu’il m’aymoit et je l’avois bien cru [.]
Vous mesme eussiez vous pû le soupçonner de feinte [?]
Mon peril [,] non le sien [,] causoit toute sa crainte,
Il sembloit en baignant ces marbres de ses pleurs,
1400 Oublier à mes piez le crime de mes sœurs [.]
Aveugle [,] j’aymois mieux à mon devoir rebelle,
Croire les Dieux trompeurs que Lyncée infidelle,
Je dementois le Ciel sur la foy d’un amant,
Et l’oracle m’estoit plus suspect qu’un serment [.]
1405 Qu’ay je fait [?] faux serment oracle trop sincere,
J’ay sauvé mon amant, sans songer à mon Pere,
Et pour me preserver d’un forfait incertain,
D’un amant vertueux j’ay fait un assassin.

ERIGONE.

Non [,] Princesse [,] le Ciel sera plus favorable,
1410 Au zele genereux qui vous a fait coupable,
Les Dieux auront egard à vos voeux innocens [;]
Leur oracle toûjours enferme un double sens,    
Et si l’effet repond à mes heureux presages,    
Vous verrez du milieu de ces sombres nuages,
1415 Qui font dans vostre coeur naistre tant de combats,
Sortir quelque clarté que vous n’attendez pas [.]
Laissons combattre Iphis autour de vostre Pere,    
Allons attendre ailleurs le succes que j’espere [;]    
Tout aigrit en ces lieux nostre commun soucy,
1420 Nous serons dans Argos plus tranquiles qu’icy.

HIPERMESTRE.

{p. 52}
Ah [!] mon Pere mourroit de ce depart funeste,
Il croit que vostre coeur est le seul qui luy reste,
Ne l’abandonnez pas. Son plus ferme secours,
C’est qu’il croit vous deffendre en deffendant ses jours,
1425 Ne balançons donc point [,] s’il meurt il faut le suivre [.]
Apres luy [,] vous et moy ne pensons plus à vivre,
Ajoustons cet exemple à l’horreur de ce jour,
Moy de mon repentir et vous de vostre amour.

Scène V. §

ERIGONE, HIPERMESTRE, LYCASTE, DIRCE.

LYCASTE.

Ah Princesses fuyez [!] il n’est plus d’esperance,
1430 Rien ne resiste [!]

HIPERMESTRE.

Eh quoy [!] mon Pere est sans deffence,
Est ce là le secours que j’attendois d’Iphis [?]

LYCASTE.

Iphis n’est plus.

HIPERMESTRE.

O Ciel! et mon Pere [?]

ERIGONE.

O mon fils [!]

LYCASTE.

Avant qu’il eut paru la porte estoit forcée,
Nos soldats confondus avec ceux de Lyncée,
1435 La surprise [,] l’horreur [,] le desespoir [,] les cris,
Un aveugle courroux trouble tous les esprits,
On frape, on perce tout sans distinguer personne,
Et l’on reçoit la mort sans sçavoir qui la donne [.]
Danaus entouré d’ennemis irritez, {p. 53}
1440 Tient ferme. Iphis et moy marchons à ses costez,
Nous avançons, nos coups écartent la meslée,
La valeur est enfin par le nombre accablée,
Danaus renversé voit sur luy mille bras,
Disputer à l’envy l’honneur de son trepas,
1445 Lyncée accourt. Alors sa voix et sa presence,
Du soldat furieux repriment l’insolence,
On s’arreste. Vivez ô mon Pere, ô mon Roy,
Dit il [,] reconnoissez mon amour et ma foy,
Ne me refusez point ce que le Ciel ordonne,
1450 Le pardon d’Hipermestre et la mort d’Erigone.

ERIGONE.

Le Traistre!

LYCASTE.

Iphis se trouble, et Danaus Jaloux,
Tremble à ce que Lyncée ajouste contre vous,
Il paslit, il partage entre Iphis et Lyncée,
Ses regars incertains, sa timide* pensée,
1455 Et déja trop charmé des respects du vainqueur,
Il vous croit infidelle et l’oracle trompeur,
Quand Iphis (je fremis au recit de son crime)
Non non, vous n’aurez point ma mere pour victime,
Leur dit il [,] et les Dieux ne seront point trompeurs.

HIPERMESTRE.

1460 Juste Ciel!

LYCASTE.

A ces mots deployant ses fureurs,
Au sein de Danaus il plonge son épée.

HIPERMESTRE.

Ah cruelle [!] est ce ainsy que vous m’avez trompé [?]

LYCASTE.

Et fumante qu’elle est de cet illustre sang,
D’un second coup luy mesme il s’en perce le flanc.

ERIGONE.

1465 Il est mort. Mais sa mort acheve mon ouvrage,
De mes parens vaincus j’ay vangé le carnage,
Les oracles des Dieux enfin sont accomplis, {p. 54}
Je ne leur ay presté que le bras de mon fils,
Lyncée a fait le reste il a sa part au crime,
1470 Et c’est son fer qui vient d’immoler la victime [.]
Je m’attens à mourir et ne crains point la mort,
Je me suis preparée à ce dernier effort [:]
Je vay de mon trepas luy derober la gloire*,
Allez [,] heureux époux [,] gouster vostre victoire,
1475 Et montez sur un trosne où je ne pretens rien,
Couvert de vostre sang encor plus que du mien [.]
Dircé [,] je voy Lyncée [,] ostons nous de sa veue [.]

HIPERMESTRE.

Suivez ses pas Lycaste

Scène VI et derniere. §

LYNCEE, HIPERMESTRE.

HIPERMESTRE

O Lumiere impreveuë111,
O depart, ô retour cause de mes tourmens,
1480 Ah Lyncée [!] est ce là l’effet de vos sermens [?]

LYNCEE.

Helas [!] j’ay tout promis dans l’ardeur de vous plaire,
Je vous ay fait serment d’epargner vostre Pere,
De ne vous plus revoir [,] d’aymer et de souffrir,
Mais ay je fait serment de vous laisser mourir [?]
1485 Je vous laissois icy sans appuy [,] sans deffence,
Je viens de vos tyrans calmer la violence,
Pour sauver Danaus je fais un vain effort,
Quand je luy rens la vie on luy donne la mort [.]
Si vous vous repentez d’avoir sauvé ma vie,
1490 Rendez moy donc la mort que vous m’avez ravie,
Achevez, prononcez l’arrest de mon trepas,
Mais en le prononçant ne me haissez pas112.

HIPERMESTRE.

{p. 55}
Vous hair je ne puis, vous aymer je ne l’ose,
Vous voyez mes soupirs, vous en estes la cause [.]
1495 Il suffit [.] Laissez moy dans ce malheureux jour,
Douter au moins s’ils sont de douleur ou d’amour.

FIN

Glossaire §

Les mots qui figurent dans ce glossaire sont ceux dont le sens actuel diffère de celui du XVIIe siècle. En règle générale, pour les définitions, nous avons fait le choix de nous intéresser au Dictionnaire universel d’Antoine Furetière113, excepté lorsqu’il nous semblait trop éloigné ou imprécis pour le mot de la pièce ; dans ce cas précis, la référence est indiquée après la définition.

ACCABLER : v. act.
Faire tomber une chose pesante sur une autre qui l’oblige à succomber sous un poids excessif.
Il a été accablé sous la ruine de cette maison.
Signifie aussi Périr de quelque façon que ce soit dans quelque renversement général de l’Etat.
Se dit figurément en Morale des gens trop chargés d’affaires, de debtes, d’impôts, ou de malheurs.
Il est accablé de chagrin, de gens qui l’importunent. Accablé de vieillesse, accablé de sommeil.
On le dit même en bonne part : Accabler de presens, de bienfaits, de complimens.
APPAREIL : s.m.
Ce qu’on prépare pour faire une chose plus ou moins solennelle. Dans notre pièce, les appareils désignent spécifiquement les préparatifs des noces.
L’entrée du Roy après son mariage s’est faite avec beaucoup d’appareils et de magnificence.
V. 28-690.
APPREST : subst. Masc.
Ce qu’on se prépare pour quelque cérémonie, réjouissance au festin.
On fait de grands apprests et préparatifs pour l’entrée du Roy.
APPRESTER : vb, act.
Préparer les choses nécessaires pour ce qu’on a dessein de faire bientôt.
Cet homme s’appreste à partir.
V. 29.
ARTIFICE : s. m.
Adresse, industrie de faire les choses avec beaucoup de subtilité, de précaution.
Signifie aussi Fraude, deguisement, mauvaise finesse.
ASSOUPIR : vb. act.
Endormir à demi, boucher les passages des esprits qui sont nécessaires pour agir.
V. 576.
BARBARE : adj. et subst. masc.et fem.
Étranger qui est d’un pays fort éloigné, sauvage, mal poli, cruel et qui a des mœurs forts differentes des nostres.
V. 55-155.
Signifie aussi seulement, Cruel, impitoyable, qui n’écoute point la pitié, ni la raison.
BESOIN : subst. masc.
Manque de quelque chose. Il faut avoir recours à Dieu dans tous ses besoins et necessités.
Le ciel n’abandonne pas ses amis au besoin.
V. 170.
CHAGRIN : s. m. et adj.
Inquietude, ennuy, melancolie. [forme de torture morale intense].
ENNUY : s. m.
Chagrin, fâcherie que donne quelque discours, ou quelque accident déplaisant, ou trop long.
Il se meurt d’ennuy.
Lassitude, langueur, fatigue d’esprit, causée par une chose qui déplaît par elle-même, ou par la durée, ou par la disposition dans laquelle on se trouve (définition de l’Académie Française114).
V. 43-225.
ENNUYER : v. act. et n.
Ouïr, ou faire, ou souffrir quelque chose avec chagrin, avec déplaisir, causer de l’ennuy.
ENTREPRISE : s. f.
Résolution hardie de faire quelque chose.
V. 273.
Se dit aussi au Palais des attentats que font les juges sur la juridiction les uns des autres et sur l’autorité de leurs charges [terme de Police].
En terme de guerre, se dit d’un dessein qu’on forme, du devoir où on se met de surprendre, de conquérir une place.
V. 226.
Se dit aussi des desseins qu’on a sur la vie de quelqu’un.
V. 226-454
[Chasse] : attaque hardie.
FIER : adj.
Hautain, altier.
Cruel, tyran (du latin Ferox).
FIERTE : s. f.
Orgueil, estime de soi.
GESNE : s. f.
Question, torture […].
Se dit aussi de toute peine ou affliction de corps ou d’esprit.
V. 222.
Un amant, pour exprimer la passion, dit aussi que l’amour luy fait souffrir
Les plus cruelles gesnes, pour dire, des tourments.
Idée d’être contraint, incommodé.
GLOIRE : subst. f.
Majesté de Dieu, la veuë de sa puissance, de sa grandeur infinie. (On parle de « louanges » par des particuliers mais de « gloire » par le général du monde).
L’honneur qu’on rend à Dieu des louanges qui lui sont doués.
Se dit par emprunt et par participation de l’honneur mondain. Honneur, vertu.
Signifie quelquefois Orgueil, présomption, bonne opinion qu’on a de soy-même.
V. 2-161-1393.
HYMEN : subs. masc.
Signifie poëtiquement, le mariage. Il est sous le joug de l’hymen. On dit encore en ce sens, hyménée.
POMPE : subst. fem.
Depense magnifique qu’on fait pour rendre quelque action plus recommandable, plus solennelle, plus eclatante.
V. 517-626-668.

Dans notre pièce, ce terme est surtout utilisé pour désigner les noces en général.

PREVENIR : v. act. et n.
Estre le premier à faire la même chose, gagner les devants dans les jeux de course.
En termes de Pratique c’est se saisir le premier d’une affaire.
Preoccuper l’esprit, lui donner les premieres impressions.
Remedier aux maux qu’on a preveus, les empêcher, s’en garantir.
PRODIGUE : adj.
Qui dispense son bien sans raison et sans connaissance.
Celui qui donne abondement des choses qui coustent peu.
SOIN : s. m.
Diligence qu’on apporte à faire réussir une chose, à la garder et à la conserver, à la perfectionner.
Soucis, inquiétudes (préoccupations) qui émeuvent, troublent l’âme.
V. 989.
Libéralité qu’on fait à quelqu’un pour le faire subsister.
Attache particulière qu’on a auprès d’un maistre, ou d’une maistresse, pour les servir ou leur plaire.
V. 433.
SOUFFRIR : v. act.
Sentir de la douleur, du mal, ou quelque incommodité considerable.
Se dit aussi des choses qui peinent, qui fatiguent.
V. 146.
Se dit en un sens moins estendu, en parlant de ce qui desplaist, de ce qui fait quelque peine aux sens, ou à l’esprit.
Je ne puis souffrir ce meschant Orateur.
SUPPORTER : v. act.
Soustenir, apporter un fardeau.
Se dit figurément des choses morales, et signifie souffrir, endurer
Donner appuy, secours, protection.
V. 40-671.
TIMIDITE/TIMIDE : susbt. fem./ adj.
Faible, peureux, qui craint tout.
Esprit timide : qui manque de hardiesse pour entreprendre quelque chose de grand, pénible, ou de difficile.
TRAITTABLE : adj. m. et f.
Qui a l’esprit doux et facile, qui entend volontiers raison, qui se porte de l’accommodement.
V. 137-571.
TRAVERSER : v. act.
Passer au milieu ou au-delà de quelque chose.
Signifie aussi, Croiser, s’estendre en largeur sur une longueur.
Signifie figurément en Morale, Faire obstacle, opposition, apporter de l’empeschement.
V. 145-1039.

Appendices §

Liste des mariages des Danaïdes avec les Egyptiades §

Filles d’Eléphantis & fils de sang royal

Hypermnestre & Lynceus

Gorgophone & Proteus

Filles d’Europe et fils de sang royal

Automate & Busiris

Amymone & Enceladus

Agave & Lycus

Scaea & Daiphron

Filles de nymphes, d’Atlantia et de Phoebe & fils d’une épouse arabe

Hippodomia & Istrus

Glauce & Alces

Hippomedusa & Alcmenor

Gorge & Hippothous

Iphimedusa & Euchenor

Rhode & Hippolytus

Rhodia & Chalcodon

Cleopatra & Agenor

Asteria & Chaetus

Hippodamia & Diocorystes

Filles d’une épouse éthipienne & fils d’une épouse phénicienne

Pirene & Agaptolemus

Dorium & Cercetes

Phartis & Eurydamas

Mnestra & Aegius

Evippe & Argius

Anaxibia & Archelaus

Nelo & Menemachus

Filles de Memphis & Fils de Tyria

Clite & Clitus

Sthenele & Sthenelus

Chrysippe & Chrysippe

Filles d’une nymphe naïade Caliadre & fils d’une Naïade Polyxo

Autonoe & Eurylochus

Théano & Phantes

Electra & Peristhenes

Cleopatra & Hermus

Eurydice & Dryas

Glaudippe & Potamon

Anthelia & Cisseus

Cleodore & Lixus

Evippe & Imbrus

Erato & Bromius

Stygne & Polyctor

Bryce & Chtonius

Filles de Pieria & fils de Gorgo

Actaea & Periphas

Podare & Oeneus

Dioxippe & Egyptus

Adite & Menalces

Ocypete & Lampus

Pylarge & Idmon

Filles d’Herse & fils d’Hephaetine

Hippodice & Idas

Adiante & Daïphron

Filles de Crino & fils d’Hephaetine

Callidice & Pandion

Oeme & Arbelus

Celaeno & Hyperbius

Hyperippe & Hippocorystes

Héroïde XV d’Ovide §

Bien qu’Abeille ait épargné aux spectateurs le spectacle de la nuit meurtrière qu’Ovide décrit longuement dans son Epître héroïque XIV115, il reste intéressant de comparer avec ce texte pour bien saisir ce que notre dramaturge apporte au mythe, en consultant l’intégralité de cette Héroïde d’Ovide, disponible sur le site de la bibliothèque numérique de Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62469r.

Bibliographie §

Ouvrages de référence sur le théâtre du XVIIe siècle §

LANCASTER Henry Carrington, A History of French dramatic literature in the Seventeenth Century, Baltimore, the John Hopkins Press, 1929-1942 (5 part. en 9 vol.) [part. IV, 1673-1700: period of Racine].
MAUPOINT, Bibliothèque des théâtres, contenant le catalogue alphabétique des pièces... avec des anecdotes sur la plûpart des pièces contenuës dans ce recüeil, et sur la vie des auteurs, musiciens et acteurs, Paris, L.-F. Prault, 1733.
MOUHY Charles de Fieux, Abrégé de l’histoire du théâtre françois, depuis son origine jusqu’au premier juin de l’année 1780 ; précédé du Dictionnaire de toutes les pièces de théâtre jouées & imprimées ; du Dictionnaire des auteurs dramatiques, Paris, 1780.
MELESE Pierre, Répertoire analytique des documents contemporains d’information et de critique concernant le théâtre à Paris sous Louis XIV : 1659-1715, Paris, Droz, 1934.
MELESE Pierre, Le théâtre et son public à Paris sous Louis XIV : 1659-1715, Paris, Droz, 1934.
PARFAICT François et Claude, Histoire du théâtre français depuis son origine jusqu’à présent, avec la vie des plus célèbres poètes dramatiques, des extraits exacts, et un catalogue raisonné de leurs pièces, accompagnés de notes historiques et critiques..., Paris, P.-G. Le Mercier, 1745-1749.
PASQUIER Pierre [éd. De], Mémoire de Mahelot, 2005.
SOLEINNE, Bibliothèque dramatique de Monsieur de Soleinne, cat. réd. par P. L. Jacob (Paul Lacroix), New York, B. Franklin, [1965 ?]

Ouvrages de poétique du XVIIe siècle §

ARISTOTE, La Poétique, traduction de J. Hardy, Coll. Tel Gallimard 272, 1996.
D’AUBIGNAC François Hédelin, abbé d’, La Pratique du théâtre, éd. par Hélène Baby, Paris, Honoré Champion, 2001.
CORNEILLE, Discours sur le Poème Dramatique, 1660, dans Œuvres complètes de Corneille, textes établis, présentés et annotés par Georges Couton, Paris, Gallimard, 1987.
HEINSIUS Daniel, De tragoediae Constitutione. La Constitution de la tragédie, dite La Poétique d’Heinsius [1643 (1re éd., 1611)], éd. et trad. Anne Duprat, Genève, Droz, 2001.

Pièces de théâtre du XVIIe siècle §

GOMBAULD Jean Ogier de, Les Danaïdes, dans Les Noces Sanglantes, Hypermnestre, du Baroque, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 1999.
RACINE, Iphigénie, dans Oeuvres complètes, éd. présentée, établie et annotée par Georges Forestier, Paris, Gallimard, 1999 [+ RACINE, Iphigénie, Préface de Georges Forestier, Paris, Gallimard, coll. Folio Théâtre, 1999].
RACINE, Phèdre, dans Oeuvres complètes, éd. présentée, établie et annotée par Georges Forestier, Paris, Gallimard, 1999.
RACINE, Bérénice, dans Oeuvres complètes, éd. présentée, établie et annotée par Georges Forestier, Paris, Gallimard, 1999.
PASCAL Jean-Noël, Les noces sanglantes, Hypermnestre, du Baroque aux Lumières, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 1999.

Ouvrages essentiels sur la tragédie du XVIIe siècle §

BENICHOU Paul, Morales du Grand Siècle, Paris, Gallimard, 1948.
DELMAS Ch., Mythologie et mythe dans le théâtre français, Genève, Droz ; [Paris], [diffusion Champion], 1985
FORESTIER Georges, Passions tragiques et règles classiques. Essai sur la tragédie française, Paris, PUF, 2003.
JACQUOT Jean, Le Théâtre tragique, Angers, juin 1959 [et] Royaumont, mai et décembre 1960 / études de G. Antoine, Ch. V. Aubrun, C. Audry... [et al.] ; réunies et présentées par Jean Jacquot, Paris, Éd. du CNRS, 1970.
Mythe et histoire dans le théâtre classique, Hommage à Christian Delmas, éd. par Fanny Nepote-Desmarres ; avec la collab. de Jean-Philippe Grosperrin, 2002.
Histoire de la France littéraire, t. II, Classicismes : 17e-18e siècle, publié sous la direction de Michel Prigent ; dirigé par Jean-Charles Darmon, Michel Delon ; [textes de Hartmut Stenzel, Alain Viala, Emmanuel Bury… et al.], Paris, PUF, 2006.
SCHERER Jacques, La Dramaturgie classique en France, Nizet, s.d. [1950].
SCHERER Jacques et Colette, Le Théâtre classique, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?
UBERSFELD Anne, Lire le théâtre, Paris, Belin, 1996 (3 tomes).

Sources mythologiques §

APOLLODORE, The Library, [ed.] with an English transl. by James George Frazer, Cambridge, Harvard University Press ; London, W. Heinemann, 1976-1989.
ESCHYLE, Les Suppliantes, dans Œuvres, texte établi et traduit par Paul Mazon, Paris, Les Belles lettres, 1984.
HERODOTE, Histoire, trad. du grec par Larcher ; avec des notes de Bochard, Wesseling, Scaliger, Paris, Charpentier, 1850.
HYGIN, Fables, texte établi et traduit par Jean-Yves Boriaud, Paris, Les Belles lettres, 1997.
OVIDE, Les Épîtres héroïques, traduites en vers françois, par Mlle L’Héritier, Paris, Brunet fils, 1732.
PAUSANIAS, Description de la Grèce.
PINDARE, Les Néméennes, texte établi et trad. par Aimé Puech, Paris, Les Belles lettres, 1958.
PINDARE, Les Pythiques, texte établi et trad. par Aimé Puech, Paris, Les Belles lettres, 1961.

Dictionnaires du XVIIe siècle §

ACADÉMIE FRANÇAISE, Dictionnaire, Paris, J.-B. Coignard, 1694.
FURETIÈRE Antoine, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts, Paris, 1995 ; reprod. de l’éd. faite à La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690.
RICHELET P., Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise… avec les termes les plus connus des arts et des sciences, Genève, J.-H. Widerhold, 1680 (2 vol.).
+ MORERI Louis, Le Grand Dictionnaire historique ou Le Curieux Mélange de l’histoire sacrée et profane, nouvelle édition de 1759, Genève, Slatkine, 1995.
[CIORANESCU Alexandre, Bibliographie de la littérature française du dix-septième siècle, Genève, Slatkine reprints ; [Paris], [diff. Champion], 1994].
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