Les Amours d'Ovide
Pastorale héroïque

PAR MONSIEUR GILBERT,
Secrétaire des commandements de
La Reyne de Suede, & son
Resident en France.

A PARIS,
Chez GUILLAUME DE LUYNE,
Libraire Juré, au Palais, en la Galle-
Rie des Merciers, à la Justice.
M. DC. LXIII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.

Édition critique établie par Valérie Louchart dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2004)

Introduction §

Comme l’a si bien fait remarquer Eleanor J. Pellet1, Gabriel Gilbert n’est pour nous a priori qu’un dramaturge oublié de l’Histoire. Pourtant cet auteur semble avoir connu un certain succès au temps de Corneille, Racine et Molière. En outre, ses pièces de théâtre, représentées à l’Hôtel de Bourgogne, reflètent très souvent avec précision l’esprit de l’époque qui s’étend de 1640 à 1670. Nous tenterons donc ni plus ni moins de montrer l’intérêt de ressusciter cet auteur des abîmes du Léthé, à travers l’analyse d’une de ses pièces, Les Amours d’Ovide.

Cette dernière se distingue immédiatement des autres œuvres de Gilbert par l’ambiguïté de son titre : en effet celui-ci évoque explicitement l’œuvre d’Ovide intitulée Les Amours. Oralement, il est ainsi impossible de différencier l’œuvre du classique et l’œuvre du dramaturge du XVIIème. Ce procédé habile, qui repose sur l’ambivalence de la préposition « de », permet à Gilbert de jouer sur l’identité de l’auteur et ainsi de se présenter comme l’héritier du célèbre écrivain romain. On serait presque tenté – en risquant l’anachronisme ‒ de parler de « métalittérature », pour reprendre la notion de Genette. Ce jeu de mot savant en effet peut avoir été formé par l’auteur à l’intention des gens lettrés de l’époque mais aussi de ceux des siècles à venir. Ceci nous montre que Gabriel Gilbert ne concevait pas son art sans une certaine résonance à travers les siècles. Or une des caractéristiques d’un chef-d’œuvre littéraire – si tant est qu’on puisse en donner une définition exhaustive ‒ n’est-elle pas une certaine intemporalité, servie paradoxalement par diverses marques de temporalité ? Le titre évocateur de la pièce de Gilbert nous invite donc tout naturellement à procéder à un examen aussi minutieux et rigoureux que possible de l’œuvre elle-même, replacée dans tout le contexte historique, littéraire et social des années qui entourent sa date de publication.

Vie de l’auteur §

Il faut reconnaître que le nom de Gabriel Gilbert n’est à l’heure actuelle que très peu connu. Pourtant diverses sources attestent de son succès dans les années 1640-1670. Gilbert est mentionné en premier dans la liste établie par Lanson des « principaux auteurs de cette période peu étudiés ». Bédier et Hazard2 font également référence à cet auteur mais de manière générale, les allusions à Gilbert sont rares. On ne connaît d’ailleurs avec exactitude ni sa date de naissance ni sa date de décés. La date la plus ancienne que nous connaissons est à ce jour le mois de juillet 1640 : une lettre de Chapelain3 à Conrart4 y fait en effet référence, dans laquelle celui-là écrit : « Monsieur Gilbert eust bien souhaitté aussy que vous eussiés assisté à la représentation de sa Marguerite françoise… ». C’est lors de la première représentation de cette tragi-comédie, le 4 Juillet, que Gilbert fut introduit devant le public parisien comme dramaturge. La seule allusion de l’écrivain à son âge se trouve dans l’épître de L’Art de plaire des dames, dont le privilège a été accordé en Mars 1654 et dans lequel Gilbert fait allusion à « [sa] jeune Muse ». Comme l’explique Eleanor J. Pellet, on peut penser, selon toute logique, qu’il devait être âgé de vingt ans environ en 1640 et donc de moins de quarante ans quand il écrivit L’Art de plaire. La date de sa mort peut être présentée avec plus de précision : la publication de sa dernière œuvre, Les pseaumes en vers français, date de 1680 ; le premier permis d’imprimer est du 26 mai et l’attestation du 24, mais des additions ont été effectuées par Gilbert, comme en témoigne l’attestation du 23 juillet. Le second permis d’imprimer date du 25. Or l’attestation de l’addition du 23 juillet nomme l’auteur « feu M. Gilbert ». Il semble donc que Gilbert soit mort entre le 24 mai et le 23 juillet.

On considère généralement que Gilbert était de confession protestante5, mais nous ne disposons pas de preuves formelles à ce sujet. En outre, bien que le nom Gilbert soit commun en France, Eleanor J. Pellet affirme qu’il lui a été impossible de relier l’auteur à quelque famille que ce soit. Gilbert semble avoir reçu une très bonne éducation pour l’époque mais nous n’avons pas les moyens de savoir où il a pu l’acquérir. En effet, on sait que Gilbert avait appris le grec6 et sa connaissance de l’hébreu est attestée par la préface des Cinquante Psaumes (ce qui prouve que son œuvre n’est pas une nouvelle version d’une ancienne traduction mais bien une traduction).

La tragédie Sémiramis publiée en 1647 est dédicacée à la duchesse de Rohan ; or Gilbert écrit dans l’épître : «  on sçavoit que j’avois l’honneur d’estre à vostre service ». Ce sont les premiers mots personnels de l’auteur. Cette dédicace est le fondement de la théorie selon laquelle l’auteur fut le secrétaire de la duchesse.

Cette théorie est d’ailleurs confortée par le fait que Gilbert rédigea l’épitaphe de Tancrède de Rohan. Ce dernier est le fils de la duchesse, il participa à la Fronde et fut tué à Vincennes à l’âge de dix-neuf ans. Sur l’ordre d’un décret du Parlement du 6 février 1646, Tancrède se vit interdit l’usage de son nom de famille7. Or les quelques vers de Gilbert représentent clairement le parti de la duchesse8 dans ce qu’on doit bien appeler « l’affaire Tancrède » :

Rohan qui combattit pour délivrer la France,
Est mort dans la captivité :
Son nom lui fut à tort, en vivant, disputé ;
Mais son illustre mort a prouvé sa naissance.
Il est mort glorieux pour la cause d’autrui ;
C’est pour le Parlement qu’il entra dans la lice :
Il a tout fait pour la Justice,
Et la Justice rien pour lui.

En outre, il semble fort probable qu’un membre d’une fameuse famille protestante ait un secrétaire connu pour être protestant. Gilbert semble avoir servi la Duchesse jusqu’en 1657, date à laquelle il devint le secrétaire de la Reine Christine de Suède. On ne sait pas comment le dramaturge et poète la rencontra. Mais on sait qu’à l’époque « être appelé à la cour de Suède devenait le rêve de chaque poète français : Ménage, Scudéry, G. Gilbert, U. Chevreau, d’autres encore rimaient à qui mieux mieux en l’honneur de Christine »9.

Cependant Gilbert n’a probablement jamais servi la Reine en Suède même ; sinon le biographe de Christine, Arckenholtz, l’aurait sans doute mentionné ; or ce dernier fait référence à Gilbert en ces termes : « Gilbert devint son résident en France, où il l’étoit encore en 1657 » et « Le Sr Gilbert étoit résident de Christine auprès de la Cour de France à son arrivée à Paris ». En conclusion, Gilbert aurait été d’abord le résident de Christine jusqu’en 1657, puis son secrétaire. Goujet écrit d’ailleurs : « Il était attaché à la Reine de Suède, lorsqu’il donna en 1655 L’Art de plaire, qu’il dédia à cette Reine ». On doit noter également que Arckenholtz évoque une traduction de L’Art de plaire de Gilbert en anglais et écrit : « Le traducteur présume que l’Auteur de cette histoire a été autrefois au service du Marquis de Lavardin Ambassadeur de France à Rome, et ensuite à celui de Christine ». Lors de la « Cérémonie de la réception de Christine de Suède à Paris »10, un sonnet, intitulé Sur l’affection que sa Majesté porte aux Muses, fut écrit par un certain Sr G., il commence ainsi :

Etrange changement des fortunes du monde
Apollon tout en feu passe aux glaces du Nord.

Ce poème fut sans doute récité devant Christine lors du 8 septembre 1656. La Reine quitta la Cour le 23 septembre et partit ensuite pour l’Italie. On peut penser que Gilbert ne resta pas en France en tant que « Résident », mais la suivit en Italie. En effet, une lettre de la Reine à la Comtesse espagnole Ebba Sparre, dans laquelle Christine invite cette dernière à venir à Pesaro, contient un madrigal de Gilbert. De plus Pesaro n’est pas très loin de Fano, qui est le décor de la pièce Le courtisan parfait. Il semble que Gilbert a été renvoyé en France dans le courant de l’année 1657 pour quelque mission diplomatique. Il est impossible de savoir si c’est à cette époque que Gilbert partit pour l’Angleterre et que ce soit dans le cadre de ce voyage que Ménage put raconter : « Les poëtes …ne sont pas natuellement fort hardis. M. Gilbert vouloit aller en Angleterre voir M. de Croissy qui y étoit alors notre Ambassadeur. Il fut un mois à Calais, ne trouvant jamais la mer assez calme pour hazarder le trajet. Tous les soirs il comptoit avec son hôte, mais dès qu’il étoit prêt à s’embarquer la crainte le prenoit, et il s’en retournoit à l’Auberge ». En 1660, Christine entreprit de rejoindre la Suède ; il est certain que Gilbert ne l’accompagna pas. D’après un madrigal adressé à la Reine que l’on trouve dans les Poésie diverses, Gilbert aurait servi Christine six ans :

En servant cette Reyne égale aux Amazones
Je n’auray pas perdu six ans :
Car qui sçait donner des Couronnes,
Sçait faire d’autres presens.

Le dramaturge mentionne encore en 1663 son statut de Résident sur la page de garde des Amours d’Ovide mais pas en 1664 lors de la publication des Amours d’Angélique et de Médor. De toutes évidences, Gilbert cessa d’être au service de la Reine dès son départ pour la Suède. À cette époque, Gilbert s’intéressait également aux productions littéraires parisiennes, aux dramaturges en vogue et aux comédiens célèbres. Le jeune poète lui retourna le compliment en écrivant un épigramme sur Endimion.

La carrière littéraire de Gilbert fut marquée de plusieurs ruptures : à trois reprises le dramaturge et poète devint totalement silencieux.

À partir de la représentation de Marguerite de France, six années très fécondes se sont écoulées : Gilbert écrivit quatre autres pièces de théâtre, deux tragi-comédies, Téléphonte et Rodogune, et deux tragédies, Hypolite ou le garçon insensible et Sémiramis. Il était très en faveur auprès de Richelieu qui lui aurait même fourni quelques vers de sa composition pour la pièce Téléphonte. Rodogune a été jouée l’année même où Corneille présenta sa pièce, Racine emprunta des idées à l’Hypolite de Gilbert pour Phèdre et la troupe de Molière joua nombre de ses pièces. L’auteur écrivit également une Ode à la Reine en 1643, adressée à Anne d’Autriche. Mais après ces années fastes où Gilbert semble être lié intimement aux figures de proue de la littérature de l’époque, l’auteur, qui avait la confiance du Cardinal Mazarin, se mure dans le silence dès 1648, comme la plupart des hommes de lettres, au moment de la Fronde qui opposa sous la Régence d’Anne d’Autriche le gouvernement de Mazarin aux Parlementaires puis aux princes menés par Condé. Eleanor J. Pellet considère que cette période de silence s’achève en 1657 avec la représentation de la tragédie Les Amours de Diane et d’Endimion. À cette date, en effet, le théâtre redevint le centre d’intérêt de Gilbert. Mais dès 1650, ce dernier publia le Panégyrique des Dames, œuvre en prose.

Puis en 1652, il écrivit des Vers liminaires intitulés A M. Beys sur ses Poésies, enfin en 1655 est publié L’Art de plaire, sur le modèle de l’œuvre d’Ovide. À partir de 1657, Gilbert connaît la période la plus féconde de sa carrière littéraire : il fait représenter trois tragédies, Arie et Pétus, en 1659, Les Amours d’Angélique et de Médor, en 1664 et Le courtisan parfait, en 1668, une tragi-comédie, Chresphonte ou le retour des Héraclides dans le Péloponnèse, en 1659, une comédie, Les Intrigues amoureuses, en 1667, une pastorale héroïque, Les Amours d’Ovide, en 1663, plusieurs pièces perdues ou non publiées, comme La Vraye et fausse prétieuses, Huon de Bordeaux, Le Tyran d’Egypte, Théagène, Ero et Léandre. Gilbert écrivit aussi des poésies de toutes sortes telles que les Vers liminaires dans La Muse naissante du petit Beauchasteau, (Gilbert écrivit les Vers liminaires de l’œuvre intitulée La Muse naissante du petit Beauchasteau, écrite par le fils du comédien et de la comédienne Frédéric et Madeleine de Beauchasteau, tout deux membres de la troupe royale11), l’Ode à son Eminence, en 1659, et les Poésies diverses, en 1661. Ainsi, après la publication du Courtisan parfait, Gilbert semble avoir disparu de nouveau du monde des Lettres. En réalité, Le Courtisan parfait a été représenté dès 1665 et Les Intrigues amoureuses dès 1666 ; par conséquent la seconde période de silence de l’auteur débute en 1666. De nouvelles obligations en tant que secrétaire pourraient expliquer cette absence. Mais nous ne savons pas exactement pourquoi on n’entend plus du tout parler de Gilbert jusqu’en 1671.

À cette date, Perrin, qui introduisit le nouveau genre qu’était l’opéra, se tourna vers Gilbert. Il semble que ce dernier avait déjà composé pendant ces années d’absence Les Peines et les plaisirs de l’Amour. On sait que le rôle de l’héroïne fut assumé par la célèbre soprano Mademoiselle Brignolle, séduite par la charmante musique de Cambert12. En outre cet opéra eut suffisamment de succès pour conserver un moment dans les mémoires le nom de Gabriel Gilbert. D’après Eleanor J. Pellet, ce succès aurait été suivi de beaucoup d’autres si le monopole accordé à Lully par le Roi n’avait pas éliminé tous les concurrents potentiels. De nouveau, que ce soit en raison des alea de la célébrité, ou en raison de quelque intrigue de Cour, Gilbert se tut pendant dix ans jusqu’à la publication de sa traduction de cinquante psaumes en 1681. Ce dernier ne mentionna pas de raison particulière pour laquelle il aurait entrepris ce travail. Dans la Préface, l’auteur affirma vouloir fournir une version en français de ces textes sacrés afin que les croyants puissent communiquer avec le Ciel. Eleanor J. Pellet rapporte l’histoire selon laquelle Conrart aurait lui-même entrepris une nouvelle traduction des psaumes après une attaque de goutte. Il est possible ‒ mais cela peut être également faux ‒ que Gilbert ait connu la même aspiration à la contemplation religieuse que Conrart.

Bien que Gilbert ait connu un certain succès dans les années 1657-1666, on ne trouve que de rares allusions à sa personne ou à son œuvres. Loret le qualifie souvent de « docte » et lui fait un éloge particulièrement chaleureux dans sa notice sur Arie et Pétus : il loue

… la Plume immortelle
De l’excélent Monsieur Gilbert,
Rare Ecrivain, Autheur expert,
Qu’on prize en toute Compagnie,
Et qui par son noble Génie,
Poly, Sçavant, intelligent,
De Christine est le digne Agent13.

Robinet le qualifie de « délicat » dans la lettre où il fait l’éloge d’Ero et Léandre, tout comme Chapelain14. Néanmoins ce dernier écrit aussi : « Il n’a pas une petite opinion de lui ». Le dictionnaire des Pretieuses de Somaize le qualifie de « bel esprit ». En raison de son succès, il est étonnant que Boileau n’ait rien écrit sur lui. C’est d’ailleurs la question que pose Boursault dans la Satyre des satyres :

D’où vient qu’il ne dit rien de cet Auteur galant
Qui compose à la glace et qui rime en tremblant ? […]
C’est un Auteur galant …
C’est G***.

Mais Boursault ne répond pas à cette question. Eleanor J. Pellet suppose qu’une amitié personnelle entre Gilbert et Boileau a pu inciter ce dernier à taire son opinion sur les œuvres de l’« auteur galant ».

Les dernières années de la vie de Gilbert semblent avoir été marquées par la misère. Chapelain mentionne notamment dans une lettre, que la Reine de Suède ne réglait pas les salaires de son « Résident » et secrétaire. Dans la préface des Amours d’Angélique et de Médor, Gilbert affirme avoir produit seize pièces de théâtre « sans en avoir tiré autre avantage que celui de les avoir présentées à ce que la France a de plus auguste et de plus éminent ». À cette époque, Gilbert fut recueilli chez lui par le protestant Hervart, contrôleur général des Finances. Tout comme La Fontaine, qui fut accueilli par Hervart quelques années plus tard, Gilbert mourut chez son hôte.

Gilbert semble avoir été moins démuni d’amis et de célèbres protecteurs que de ressources financières. Il jouissait du patronage du Roi, à qui il a dédié deux de ses œuvres, Les Amours d’Angélique et de Médor et les Poésies diverses, de celui du Duc d’Orléans, de Richelieu, de Colbert, de Mazarin, de Lionne et de Fouquet. Il fut également le protégé de nombreuses femmes de haut rang telles que bien sûr Christine de Suède, mais aussi telles que la Duchesse d’Aiguillon, la nièce de Richelieu, la Duchesse de Sully et de Rohan et la Grande Mademoiselle, la Duchesse de montpensier.

Les Amours d’Ovide §

Fortune de la pièce §

La pièce a été jouée d’après Loret le 1er juin 1663 à l’Hôtel de Bourgogne (cf. Le livre de la Muze historique, 2 juin v. 223-224). C’est donc cette date que reprend Deierkauf-Holsbœr dans Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne 1548-1680, t. 2), tout comme les frères Parfaict, dans leurs Mémoires et Pierre Mélèse dans le Répertoire analytique.

En outre, Blumenthal, dans ses mémoires parle des nuages portant les Grâces dans le ciel, c’est-à-dire des machines mises en œuvre par Gilbert, qu’il a pu observer lui-même lors de la représentation du 8 juin 1663. Aucune autre représentation n’est mentionnée nulle part.

La pièce de Gilbert a donc été créée par la troupe de l’Hôtel de Bourgogne après les deux tragédies Nitétis de Melle Desjardins et la Sophonisbe de Pierre Corneille. Parallèlement, la troupe de Molière joua à partir du 1er juin La Critique de l’Ecole des Femmes. Les critiques de Donneau de Visé se déchaînerent sur Molière ; Visé écrivit et fit représenter alors Zélinde ou La Véritable Critique de l’Ecole des Femmes. Boursault s’attaqua aussi à Molière et écrit Le portrait du peintre ou La Contre-critique de l’Ecole des Femmes. À la demande de Louis XIV, Molière contre-attaqua avec L’Impromptu de Versailles, créé le 14 octobre à l’Hôtel de Bourgogne. Tout ce contexte de cabale peut nous laisser supposer que la pièce de Gilbert n’a pas fait beaucoup de bruit et s’est plutôt effacée devant la polémique concernant L’Ecole des Femmes.

Deierkauf-Holsbœr ne fait aucune allusion au succès de la pièce.

L’intrigue §

L’action se déroule en vingt-quatre heures, dans l’île de « Cypre », plus particulièrement dans les Jardins d’Adonis. L’unité d’action n’est, elle, pas tout à fait respectée car, comme le dit Lancaster15, d’une part plus de la première moitié de la pièce aurait pu être omise sans grande conséquence sur l’intrigue et d’autre part le fil de l’action n’est interrompu que par l’intervention merveilleuse d’un véritable deus ex machina.

Néanmoins les scènes sont toutes reliées entre elles et assurent la continuité de l’intrigue. La plupart des faits, qui par définition font avancer l’action, le drama, sont placés en arrière plan tandis que pour intéresser son public Gilbert met en avant les incessants débats entre les quatre personnages principaux.

En outre, conformément à l’allusion qu’y fait Loret, Gilbert semble avoir mis en œuvre des machines à plusieurs reprises. Des nuages devaient en effet descendre dans les airs durant le prologue et la dernière scène de l’acte V afin de transporter les Grâces, ainsi qu’à la fin de la pièce lorsque Corinne voient « de longs éclairs qui percent le nuage » et entend « dans les airs un son harmonieux » alors que descend « l’Amour dans le char de sa mère ».

D’après la classification de Lancaster cela ne suffit cependant pas pour qualifier la pièce de Gilbert de « pièce à machines ».

La pièce débute avec le prologue au cours duquel interviennent les trois Grâces, les « compagnes de Vénus, dont une seule est individuée, Talie. Celles-ci présentent le lieu, la situation, et les personnages principaux : Ovide, Corinne, Hyacinthe et Céphise sont à Cypre pour assister à des fêtes quinquennales qui célèbrent l’amour et les amants et au cours desquelles Vénus, l’Amour et elles-mêmes décernent un prix. En réalité deux prix seront décernés par la déesse de l’amour mais le prix adressé au meilleur amant n’est pas annoncé. Il constitue un rebondissement inattendu de l’action.

Le récit consiste ensuite en une invitation faite aux amants.

Acte I §

Scène 1 : Ovide, chevalier romain et amant de Corinne, avoue à Hyacinthe, amant de Céphise, qu’il éprouve des sentiments pour cette dernière. Il affirme l’aimer autant que Hyacinthe voire plus que lui ne l’aime bien que cette passion soit récente. Ils consentent pourtant à rester amis et conviennent dans ce but qu’ils ne doivent avoir aucune malveillance l’un envers l’autre. Après avoir fait avouer à Hyacinthe que Céphise ne cédait en rien à ses avances, Ovide affirme avoir offert à cette dernière, sans avoir essuyé de refus, son propre portrait caché derrière un miroir.

Scène 2 : Bien qu’Ovide lui ait demandé de rester discret, Hyacinthe laisse tout de suite entendre, en présence des deux femmes, qu’Ovide apprécie autant Corinne que Céphise. Corinne réplique qu’il ne peut exister qu’une seule maîtresse parfaite, que Hyacinthe décrit comme devant être la femme la plus belle et la plus accomplie. Céphise et Corinne récite alors un discours marqué par leur fausse modestie et leur mauvaise foi, selon lequel elles auraient toutes deux abandonner le prix à l’autre s’il n’y avait eu également en jeu la gloire de leur patrie. Ovide n’est pas dupe et les prévient que leur ambition se heurte à leur amitié ; Céphise oppose alors l’amour changeant d’Ovide à l’amitié solide qui les lie toutes les deux. Ovide leur dit avec franchise que leur amitié n’est que feinte et qu’elles se détestent en réalité l’une l’autre. Pour lui la solution est d’aimer ; il affirme qu’avant la fin du jour leur amitié disparaîtra. Il leur fait promettre qu’elles y réfléchiront, puis accepte d’accompagner Corinne à la fontaine.

Scène 3 : Céphise fait part à Hyacinthe de son admiration pour l’attitude attentionnée et galante d’Ovide à l’égard de Corinne, mais Hyacinthe lui laisse entendre que Corinne n’est pas la seule qu’Ovide aime. C’est l’occasion pour lui de rappeler qu’Ovide a laissé Julie pour Corinne et que depuis qu’il est à Amathonte, il en conte à plus d’une femme. Hyacinthe profite de cette entrevue pour vérifier si, comme lui a soufflé Ovide, Céphise garde derrière son miroir un portrait du chevalier romain. Céphise lui dit que le miroir est un présent du préteur, qu’elle a accepté par respect pour son père. Quand Hyacinthe découvre le portrait, Céphise affirme qu’elle ignorait sa présence.

Scène 4 : Céphise demande à Aminte d’aller chercher Ovide.

Scène 5 : Monologue de Céphise. Céphise veut se venger d’Ovide mais, étant donné que son père recherche l’appui de ce simple chevalier, elle ne peut le bannir. Elle décide donc d’exercer sa vengeance en lui ôtant une maîtresse.

Scène 6 : Céphise exprime sa colère à Ovide et lui demande si le portrait vient du préteur ou de lui. Ovide l’assure qu’il saurait être discret si elle voulait l’aimer. Il lui promet même d’abandonner ces amours romaines pour elle. Comme gage de son amour, Céphise lui demande d’abandonner seulement Corinne. Ovide décide d’écrire un billet, que Céphise exige de voir avant qu’il ne le fasse parvenir à Corinne.

Acte II §

Scène 1 : Céphise s’assure auprès d’Aminte que Corinne a reçu le billet et lui demande l’air qu’elle a eu à ce moment là. Elle lui demande également si elle a mis Hyacinthe au courant du tour que lui a joué Ovide ; celle-ci lui répond qu’elle en a parlé à Daphnis, le confident de Hyacinthe. Aminte interroge alors Céphise, curieuse de savoir lequel des deux hommes elle préfère, mais celle-ci la rabroue et affirme qu’elle ne veut pas se confier telle une faible amante.

Scène 2 : Corinne annonce à Céphise qu’elle a reçu un billet d’Ovide ; cette dernière feint de ne pas vouloir en savoir plus et, après que Corinne lui a lu, trouve le mot « fort peu galand ». Elle lui conseille même de se venger de lui. A la surprise générale, Corinne présente alors un second billet dans lequel Ovide avoue à Corinne avoir agi à la demande de Céphise et lui redonne son cœur. Les deux femmes décident de se venger du chevalier qui les a abusées toutes deux. Céphise propose de dissimuler leur colère et de lui demander tout bonnement de choisir entre elles deux.

Scène 3 : Ovide tente de se retirer en voyant les deux femmes ensemble, mais elles le retiennent. Elles le confondent, puis l’assurent qu’elles lui pardonnent, à la condition qu’il révèle sur-le-champ sa préférence. Ovide explique qu’il ne peut faire son choix avant de savoir laquelle des deux sera prête à l’aimer. Il les invite donc à se déclarer en premier. Mais pour Céphise, ce n’est pas aux femmes à faire la cour aux hommes. Ovide cède donc et promet d’aller visiter en premier dans son appartement celle qu’il aura choisie afin d’éviter un affront public à la seconde.

Scène 4 : Corinne pense qu’Ovide aime Céphise. Elle révèle alors à sa confidente qu’Ovide et elle avaient prêté des serments secrets. Elle avoue qu’elle l’aime malgré son caractère volage, et déclare que c’est la gloire qui pousse la femme à vouloir mille amants. Pour reconquérir Ovide, elle veut le « traiter mal », c’est-à-dire prendre un autre amant, Hyacinthe.

Scène 5 : Corinne se fait passer pour une messagère d’une « illustre beauté » auprès de Hyacinthe. Contre toute attente, celui-ci ne se montre pas impatient de connaître son identité. Tandis que Corinne se décrit implicitement, sans se nommer, Hyacinthe croit reconnaître les traits de caractère de Céphise. Corinne fuit alors, en avouant qu’elle se moquait de lui et qu’elle n’a rien à lui dire.

Scène 6 : Monologue de Hyacinthe. Hyacinthe n’est pas dupe et comprend que Corinne a essayé de le séduire. Il pense qu’il s’agit d’une ruse orchestrée par Ovide afin qu’il passe pour infidèle aux yeux de Céphise. Il attend la décision des Grâces et annonce qu’il se vengera d’Ovide si celui-ci « excite encore sa haîne ».

Acte III §

Scène 1 : Ovide croise Corinne qui l’accuse d’avoir rompu ses vœux. Ovide récrimine et, à la demande de cette dernière, lit ces serments qui se présentent sous la forme de six articles. Mais il oublie le sixième, ce que remarque aussitôt Corinne ; cet article stipule qu’elle doit toujours avoir sa préférence. Ovide jure que si elle perd le concours organisé par les Grâces, il se déclarera quand même pour elle, de même que si elle remporte la victoire sur Céphise.

Scène 2 : Ovide souhaite à Corinne de gagner le prix.

Scène 3 : monologue d’Ovide. Ovide avoue que seule Céphise règne sur son cœur ; celle-ci a en effet pour elle sa pruderie qui excite le désir d’Ovide. Contrairement à ce qu’il vient de dire à Corinne, il annonce qu’il suivra l’avis des Grâces.

Scène 4 : Hyacinthe vient rompre le lien d’amitié qui le liait à Ovide ; celui-ci se flatte d’être un trop grand rival pour l’amant de Céphise et lui conseille de ne plus rivaliser avec lui en vain. Tout en reconnaissant la renommée de L’Art d’aimer d’Ovide, Hyacinthe accuse le chevalier de n’être pas vertueux et de se montrer superficiel. Ovide, lui, accuse ceux qui veulent rendre les femmes vertueuses et, comme argument, affirme que même les femmes n’apprécient pas la raison. Pour Hyacinthe au contraire, la vertu est le plus précieux ornement des femmes.

Scène 5 : Ovide affirme qu’un vrai Romain soutient les vaincus et les malheureux. Maxime fait alors le récit du déroulement des jeux : Céphise a dansé, Corinne chanté en s’accompagnant de la lyre ; les deux ont ravi l’assemblée.

Scène 6 : Daphnis vient annoncer la victoire de Céphise. Ovide décide aussitôt d’aller rendre hommage à cette dernière, oubliant ses vœux pieux. Hyacinthe lui rappelle alors son engagement pour les vaincus, tandis qu’Ovide lui répond impudemment qu’un vrai Romain aime la plus parfaite et la plus glorieuse.

Acte IV §

Scène 1 : Contre toute attente, Corinne vient voir Céphise victorieuse … pour la consoler ! Selon elle, c’est par dépit que les Grâces ne l’ont pas couronnée et ont bien plutôt accordé la victoire à une femme qui ne les menacait pas par sa beauté. Elle déclare vouloir faire appel à la justice d’Auguste « pour convaincre les Grâces d’erreur ».

Scène 2 : Céphise est effarée par la vanité de Corinne, tandis que pour Aminte, il s’agit là d’un caractère bien romain.

Scène 3 : Ovide se déclare pour Céphise et affirme que Corinne n’a qu’à s’en plaindre aux dieux qui l’ont faite moins belle. Il affirme que les amants fidèles, qui pleurent ne sont plus à la mode. L’arrivée de Hyacinthe interrompt son hymne de la beauté.

Scène 4 : Ovide pousse Céphise à choisir entre Hyacinthe et lui mais celle-ci répond que c’est aux Grâces de se prononcer.

Scène 5 : joute verbale. Chaque amant se lance dans une grande tirade afin de défendre leur conception respective de l’amour. Ovide fait valoir qu’il a fait triompher l’amour à Rome et se déclare pour la satisfaction naturelle des désirs, qui évoluent en fonction de la diversité de la nature. Sa devise est celle-ci : « On doit aymer partout tout ce qu’on voit d’aymable », ou encore : « quand la nature change, il faut changer aussi ». A cela Hyacinthe réplique en disant qu’il existe autant de désirs différents que de beautés différentes et que chacune mérite de posséder un seul amant. Ovide répond que c’est limiter son plaisir que de choisir une seule beauté. Selon Hyacinthe, plusieurs désirs qui divisent un cœur s’affaiblissent eux-même, et « qui veut aymer tout, à la fin n’ayme rien ». De plus comment obéir à plusieurs amantes ? Ovide répond qu’on peut les aimer chacune à leur tour. Hyacinthe déclare que fuir la laideur n’est qu’un prétexte pour l’inconstant, d’autant que chez une femme l’esprit ne vieillit pas. Enfin il affirme que chacun ne doit aimer qu’une seule personne de même que chacun n’a qu’un cœur et qu’une volonté. Les trois Grâces remontent dans les cieux pour demander l’avis de Vénus.

Acte V §

Scène 1 : Stances de Céphise. La nymphe exprime combien peuvent s’opposer l’amour et la vertu. Elle avoue qu’elle aime Hyacinthe depuis longtemps mais que sa vertu l’obligeait à se taire : « c’est un grand mal que d’aimer sans le dire », dit-elle. Elle prie les dieux de faire couronner Hyacinthe afin de satisfaire à la fois son amour et son souci de gloire.

Scène 2 : Aminte annonce à Céphise que Hyacinthe a été couronné en croyant qu’il s’agit d’une déconvenue pour Céphise.

Scène 3 : Hyacinthe offre sa couronne à Céphise en l’assurant qu’elle reste libre d’accepter ou non son amour. Céphise se déclare à lui et lui offre et sa main et son cœur. Daphnis intervient pour annoncer qu’Ovide fait appel au jugement d’Amour, qui est d’après lui seul qualifié pour choisir le parfait amant, et qu’il veut être jugé à Rome. Or il veut emmener Céphise. Celle-ci tente de rassurer Hyacinthe en lui réaffirmant son amour et disant que la vertu est toujours victorieuse. Selon cette nouvelle héroïne, l’amour est plus fort que les lois des tyrans.

Scène 5 : Corinne révèle que le père de Céphise souhaite qu’Ovide épouse sa fille. Mais ce dernier considère « Hyménée » comme « le plus importun de tous les Immortels », qui rend fâcheux et jaloux et ne dure que trois jours. Hyacinthe promet de servir sa maîtresse et Ovide de prendre contre tous l’intérêt de Corinne qui veut remporter à Rome le prix qu’on lui a refusé à Cypre. Amour descend des cieux parmi les éclairs, dans le char de Vénus.

Scène 6 : Il fait venir du ciel Hyménée pour qu’il unisse Hyacinthe et Céphise des « liens plus doux que n’est la liberté ». Amour déclare alors solennellement que toute femme également est digne d’être aimée, que les amants ont le droit d’être libres, mais qu’Ovide doit savoir que la victoire revient aux plus constants et que « l’Hymen n’est pas fâcheux quand l’Amour est avec lui ».

Les sources §

Les sources auxquelles a recouru l’auteur sont diverses et variées ; on les présentera par souci de clarté dans l’ordre chronologique et en distinguant leur nature.

L’auteur a tout d’abord usé d’informations d’ordre historique qu’il a pu découvrir chez de nombreux auteurs de l’Antiquité. Ainsi le culte de Vénus dans l’île de Chypre était attesté par Athenæos, un auteur mentionné notamment par Thucydide dans La Guerre du Péloponnèse. Mais on trouve beaucoup plus de détails concernant les fêtes en l’honneur d’Adonis lui-même chez Platon (cf. Phèdre, 276 b) et surtout chez Théocrite (cf. en particulier l’idylle 15) : Platon évoque en effet la coutume selon laquelle des esclaves étaient chargés de semer des graines hors saison dans de petits vases et de les  forcer, c’est-à-dire de les arroser d’eau chaude pour hâter leur éclosion, avant de les replanter dans les « Jardins d’Adonis ». Les fleurs ainsi cultivées étaient vite flétries ; elles symbolisaient la brève existence d’Adonis et désignaient proverbialement en grec tout plaisir illusoire ou fugace. Or ce thème correspond tout à fait à la problématique de la pièce, qui répond d’ailleurs en écho aux préoccupations des années 1650-1670 dans le domaine de l’amour.

Ovide fait lui-même référence aux Adonies, c’est-à-dire aux fêtes solennelles en l’honneur de l’amant d’Aphrodite, qui avaient lieu, selon lui, tous les ans dans l’île de Chypre. Il affirme que ce culte est d’origine phénicienne et s’est très vite répandu dans tout le monde grec (cf. Les Métamorphoses, X, v. 520-739). En outre, le nom qu’emploie Gilbert dans la pièce pour désigner l’île où se déroulent les cérémonies, « Cypre » au lieu de « Chypre » vient de l’adjectif « cypris », épithète de Vénus qui signifie « la Chypriote ». En effet, indépendamment d’Adonis, celle-ci était particulièrement vénérée à Paphos, dans l’île de Chypre. La première cité de Paphos fut en effet construite vers le Xème siècle avant J.-C. par les Phéniciens, puis colonisée par les Grecs qui célébrèrent la déesse de l’amour, identifiée à la déesse sémitique Ashtart et surnommée Paphia. La seconde cité aurait été fondée par le fils de Pygmalion, le sculpteur qui obtint de Vénus, grâce à sa piété, qu’une statue de femme qu’il avait lui-même crée fût douée de la vie et l’aimât en retour (cf. Les Métamorphoses, X, v. 244-298). Enfin, Gilbert fait à maintes reprises allusion aux réalités de l’Empire romain sous Auguste : par exemple, il fait référence aux gouverneurs des provinces romaines, appelés préteurs, ainsi qu’à la propre fille d’Auguste : son père lui fit d’abord épouser son neveu Marcellus, puis, à la mort de ce dernier, Agrippa, dont elle eut deux fils. De nouveau veuve en 12 avant J.-C., elle fut mariée par sa belle-mère Livie, épouse de l’Empereur, au fils de celle-ci, Tibère qui se voyait ainsi assurer le trône. Elle fut bannie par Auguste pour son inconduite et fut exilée dans l’île de Pandateria en -2, puis à Rhegium où elle mourut en 14. Ovide16 fut, lui, exilé en l’an 8 à Tomes, sous prétexte d’avoir fait preuve d’immoralité dans L’Art d’aimer dont les livres I et II avaient pourtant été publiés en l’an 1 et le livre III en l’an 3. L’Art d’aimer étant mentionné par Ovide lui-même, à l’heure où il parle de Julie (cf.v.205 et 314), celle-ci est sans doute déjà exilée, peut-être d’ailleurs pour avoir été l’une des nombreuses maîtresses d’Ovide. Il se peut qu’Ovide n’en parle pas par galanterie, mais il serait plus logique de penser que Gilbert lui-même a occulté cet aspect de l’Histoire, pour éviter d’assombrir l’image du héros galant.

L’auteur a également puisé dans l’Antiquité l’existence de célèbres personnages mythologiques. Ainsi de nombreux personnages présents ou cités dans la pièce portent un nom lourd de tout un passé mythique ; l’histoire de chacun d’entre eux est racontée par Ovide dans le livre X des Métamorphoses (X, v.163-219, v.504-559) ; c’est le cas d’Adonis, le fils de Myrrha, et l’amant de Vénus/Aphrodite, tué par un sanglier alors qu’il était parti seul à la chasse ; c’est en son honneur que Vénus a inauguré des fêtes rituelles tous les cinq ans. Hyacinthe est également un personnage célèbre de la mythologie : il fut aimé d’Apollon et se tua accidentellement alors qu’il s’entraînait au lancer du disque avec le dieu. De même, Gilbert évoque les Grâces, qui sont trois filles de Zeus formant le cortège de la déesse de l’amour, ainsi que le dieu du mariage, les nymphes, les vents Eole et Zéphyr. L’histoire de ces personnages célèbres est racontée en détails aux notes 4, 6, et 8 à 13 du texte.

En outre, de nombreux thèmes érotiques de la pièce sont fortement inspirés des œuvres d’Ovide. On peut à juste titre supposer que Gilbert connaissait bien Les Amours, Les Métamorphoses et surtout L’Art d’aimer. En effet c’est en référence à Ovide que Gilbert a écrit en 1655 L’Art de plaire. Dans cette œuvre Ovide décrit les moyens dont doivent user les hommes pour séduire les femmes (livre I), et garder la faveur de leur(s) maîtresse(s). Or les avis d’Ovide sont ceux là même que met en pratique le personnage de la pièce du même nom. On développera plus amplement ce thème didactique dans la partie IV, consacrée aux influences convergentes de l’héritage ovidien et de la mondanité galante dans les années 1650-1670 sur les personnages de la pièce de Gilbert. De manière générale, le dramaturge se base sur l’ensemble des œuvres d’Ovide pour dresser un portrait de l’écrivain qui corresponde au mythe que ce dernier avait créé de sa propre personne de son vivant. L’auteur fait ainsi justement allusion au succès de L’Art d’aimer qui fut publié à Rome entre 1 avant JC et 3 après J.-C. et fut considéré par les contemporains d’Ovide comme très libre de ton. Certes Ovide décrivait dans cet ouvrage didactique la société de son temps, encline au badinage et à l’oisiveté (désormais Auguste détient l’ensemble des pouvoirs entre ses mains ; la politique n’est plus le fait du peuple romain et c’est à cette époque que disparaît l’engouement pour les grands orateurs) ; mais le ton de cette œuvre fut trouvée trop libre par un certain nombre de ses contemporains. L’empereur exila d’ailleurs Ovide en Décembre de l’an 8 après J.-C. sous le prétexte de restaurer la moralité publique et de sanctionner ce poète trop licencieux. De plus Ovide décrit Rome comme la ville de l’amour. Dans la pièce, Ovide accorde la préséance à Chypre, par politesse ou par galanterie, au tout début mais reconnaît à la fin que seule Rome aurait été digne de les juger lui et Corinne, pour la simple raison que les critère de beauté et ceux de l’amour parfait de l’île sont complètement contraires aux leurs. Pour les amants galants, tels que Corinne et Céphise, Rome, qui symbolise Paris, est bien le seul port où ils peuvent trouver refuge et appui. Ovide écrivait : « […] la mère des Amours a fixé sa demeure dans la ville de son cher Enée ». Ovide affirme également dans son œuvre didactique que l’art est nécessaire pour conserver la faveur des ses conquêtes féminines : plutôt que des tours de magie, des filtres (cf. v.97-106), et à défaut d’argent, l’amant doit posséder un solide pouvoir oratoire ; or Ovide correspond au type même du séducteur galant doué d’un esprit affûté et usant d’une rhétorique amoureuse basée nottamment sur l’hyperbole, les antithèses, les jeux de mots, les métaphores « tendres » entrées dans la langue courante, la flatterie, et surtout l’enjouement si à la mode dans la deuxième moitié du XVIIe, mais que mentionnait déjà Ovide en parlant de « bon tempérament », de « paix » et de « badinage ». On pourrait dire que le personnage de Gilbert met exactement en pratique l’art d’Ovide. Enfin Ovide prônait en son temps les jeux de l’amour et les multiples conquêtes ; il invitait les jeunes gens à profiter de leur jeunesse, à « cueillir la fleur » avant qu’elle ne flétrisse (« carpite florem », les exhorte t-il. Cf. III, v.58-80).

Il faut également mentionner que l’égérie d’Ovide dans le recueil de poèmes Les Amours s’appelle Corinne, comme la maîtresse d’Ovide dans la pièce. Dans cette œuvre, Ovide affirme se rendre, face à la puissance du dieu Amour, et accepter d’écrire des élégies plutôt que d’entreprendre comme il le désirait une grande épopée. Il fait très souvent référence à son expérience personnelle, créant ainsi son propre mythe de son vivant et se faisant passer pour un Don Juan avant l’heure. De plus, la parenté entre l’œuvre d’Ovide et celle de Gilbert ne repose pas seulement sur des ressemblances thématiques mais aussi sur une écriture très semblable ; Ovide lui-même rapproche son œuvre de la comédie (I, 6, v. 74) et il faut bien reconnaître que Les Amours sont plus les fragments d’un discours sur l’amour que d’un discours amoureux ; en effet, bien que pendant des siècles on ait cru en la sincérité de l’auteur, le ressort le plus efficace de l’œuvre est la place de premier choix accordé par ce dernier au jeu, qu’il soit amoureux ou littéraire : Ovide n’a sans doute fait que parodié l’amour « courtois » et fidèle, et n’a sans doute jamais eu de femme appelée Corinne ; on peut vraisemblablement penser que celle-ci représente, derrière la figure de « la » femme idéale, la muse du poète, c’est-à-dire la poésie. Comme on le verra plus amplement dans la quatrième partie de l’introduction, la conception des relations amoureuses qu’Ovide décrit dans ses œuvres est très proche de l’idéologie galante qui se développe, sous l’influence de nombreux écrivains, dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Comme le dit Montesquieu, dans « Spicilège » (in Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, II, p.1270) :

De tous les anciens poètes, Ovide est celui qui a découvert les plus beaux secrets de la nature. Il instruit les hommes à pousser le soupir juste et les femmes à le recevoir, les hommes à prendre l’heure du berger et les femmes à l’offrir. Comme c’était l’homme du monde qui savait le mieux aimer et qui aimait le plus mal, il a si bien humanisé la vertu que la pudeur s’est trouvée d’accord avec la galanterie.

Montesquieu fait ici allusion à la profonde ambiguïté de la galanterie, que les œuvres d’Ovide dépeignent déjà en quelque sorte : tout en usant du discours « précieux » d’un amant transi, qui feint de se consoler en écrivant des élégies, l’homme galant se joue de cette conception morne et triste de l’amour.

On peut également observer des sources de la pastorale héroïque de Gilbert dans l’ensemble de la production littéraire du XVIIe siècle. L’auteur fait ainsi explicitement écho dans sa « pastorale héroïque » à toute la tradition pastorale qui a marqué fortement la première moitié du siècle. D’après J. Marsan, l’apogée de la pastorale s’est située autour des années 1624-1631. Les comédies pastorales, qui figurent la jonction des pastorales avec le classicisme, ouvrent la voie à des comédies moins bouffonnes et moins bruyantes que la farce. Elles sont au contraire toute de grâce et de délicatesse, doucement émouvantes et humaines. Elles ont toutes des intrigues qui reposent sur les jeux de l’amour et de la fortune, sur les angoisses des amants contrariés par des volontés étrangères ou mieux par leurs propres scrupules. Le mérite de la pastorale est d’avoir montré que la comédie était capable de quelque tenue et même d’une certaine élégance. Pour Hardy, auteur de très célèbres pastorales, ce genre « sait émouvoir plus doucement et peut joindre à ses invraisemblances une peinture fidèle des sentiments vrais ». Corneille a lui même affirmé : « celle-ci faisait son effet par l’humeur enjouée de gens d’une condition au-dessus de ceux qu’on voit dans les comédies de Plaute et de Térence qui n’étoient que des marchands » (Théâtre, III, p.605). Entre 1620 et 1630, « elle est l’unique genre qui sur la scène française propose l’étude du coeur humain, le seul par conséquent qui malgré ses conventions puisse prétendre à quelque vérité », affirme J. Marsan ; puis pour faire d’une pastorale une comédie, il a suffit ensuite de remplacer les stances par les monologues plus classiques. À la fin du siècle, c’est l’opéra qui reprendra le flambeau de la pastorale. La pièce de Gilbert constitue donc un jalon dans l’histoire littéraire : elle se situe à égale distance de la pastorale et de l’opéra et elle représente une nouvelle sorte de comédie. En outre c’est en référence au genre de la pastorale qui a joué un rôle majeur dans l’étude des différents « arts d’aimer » que Gilbert a qualifié sa pièce de « pastorale héroïque ». La pièce de Gilbert présente un certain nombre de traits communs avec le genre de la pastorale. Son cadre bucolique, ce « séjour charmant » centré sur les « Jardins d’Adonis », n’a rien à envier à celui des pastorales de la première moitié du XVIIe siècle. De plus il s’agit de l’histoire de beaux bergers et de belles bergères - même si dans la pastorale ce n’est dû qu’à un déguisement de circonstance - qui ne sont pas cependant des « nécessiteux » selon les termes de d’Urfé, mais des gens de qualité n’ayant choisi « cette condition que pour vivre plus doucement et sans contrainte », c’est-à-dire s’adonner à tous les raffinements de l’esprit et du cœur ; c’est ce que veut dire Ovide, outre la connotation libertine, quand il affirme « l’habit que nous portons donne quelque licence » (cf. I, 1, v.81). Les personnages sont ainsi décrits alors qu’ils jouissent de cette oisiveté, cet « otium » dont parle Cicéron et qui consiste à ne pas se mêler de politique, soit des affaires du pays et des questions proprement matérielles. Ces personnages sont en contact avec des êtres relevant du merveilleux au XVIIe siècle, tels que des nymphes, des divinités, des demi-dieux de même que dans toute pastorale ; ils sont situés dans un contexte pacifié qui rappelle l’âge d’or. Ils forment des couples qui se font et se défont au gré de la Fortune, avant le triomphe de l’amour vertueux, représenté par le fils de Vénus, Cupidon, sur le désir charnel, symbolisé par Pan, le dieu des bergers d’Arcadie célèbre pour son appétit sexuel toujours insatiable, et le refus de l’amour, qui est le propre de Diane, déesse de la chasse ; en effet, dans Les Amours d’Ovide, bien que le personnage d’Ovide, le parangon de l’inconstance galante, soit le personnage largement dominant (c’est lui qui a le plus souvent la parole), Hyménée descend de l’Olympe pour consacrer le mariage de Céphise et de Hyacinthe, c’est-à-dire selon le code amoureux galant, la précieuse et le « pousseur de bons sentiments ».

Plus précisément, Gilbert s’inspire de L’Astrée d’Honoré d’Urfé ; il reprend surtout la double opposition Hylas/Silvandre – Stella/Diane qui devient l’opposition Ovide/Hyacinthe – Corinne/Céphise. En effet Hylas est le seul personnage de l’œuvre à prôner la théorie de l’inconstance (cf. I, VIII) ; il affirme ainsi :

Lorsque j’aime, je vais dépendant cet amas d’amour, et quand je l’ai tout employé au service de celle pour qui je l’avais amassé, il ne m’en reste plus pour elle. Et faut, si je veux aimer, que j’aille ailleurs chercher une nouvelle beauté pour faire un autre amas d’amour, si bien qu’en cela mon argent et mon amour se ressemblent bien fort. (III, VII)

Il entre d’ailleurs verbalement en conflit avec Silvandre, qui représente, lui, l’adoration mystique, tout comme Ovide et Hyacinthe se livrent à une sorte de joute verbale à la scène 5 de l’acte IV. De plus, Hylas et Stella avaient, tout comme le chevalier romain et la fière Romaine, passé un contrat secret qui les liait de manière assez superficielle (cf. III, IX). Hylas s’engage à donner la préférence à Stella, sans oublier de mentionner sa volonté d’être libre et de pouvoir « entreprend[re] d’aimer une dame » quand il n’a plus d’amour pour celle qu’il courtisait précédemment. Sa devise est :

Une heure aimer c’est longuement
C’est assez d’aimer un moment.

La Fontaine considérait d’ailleurs que l’originalité de ce personnage galant anachronique, de ce défenseur du désir capricieux, de ce stratège amoureux en faisait « le véritable héros du roman ».17 En outre il faut noter que Gilbert s’est sans doute inspiré du portrait caché derrière un miroir présent dans la deuxième partie de l’œuvre de d’Urfé, et au livre IV, qui est identique à celui que décrit Ovide au tout début de la pièce et qui suscite le dépit de Hyacinthe. Par ailleurs, Hylas, bien que sincèrement amoureux de Florice, dont les parents souhaitent le mariage avec Téombre, refusent de l’épouser, de la même manière qu’Ovide refuse d’épouser Céphise.

Dans la pièce de Mareschal, L’Inconstance d’Hylas, l’auteur reprend ce qui est désormais un type (et a donc toute sa place dans une comédie), à savoir cet inconstant dont le public ne se lasse, qui représente la gaîté, et comme le sourire de toutes les pièces. Celle-ci fut d’ailleurs un triomphe. Hylas est un jeune homme « insouciant, pimpant, léger, toujours en quête de nouvelles victoires, suivant le rire aux lèvres les joyeux chemins de la vie et séduisant surtout peut-être par ses défauts », selon les propos de J. Marsan. Le moins qu’on puisse dire est qu’il ressemble fort à son cadet Ovide.

En outre, Gilbert a sans doute beaucoup étudié, comme tous les auteurs dits « galants », le roman de Mademoiselle de Scudéry, Clélie. Les Amours d’Ovide présentent certains points communs flagrants avec cette œuvre qui est moins éloignée de l’esprit galant que L’Astrée. Dans le roman, l’équivalent d’Hylas, qui n’était qu’un marginal chez Honoré d’Urfé, devient un maître à penser et suit ainsi l’évolution des mœurs. Il faut bien avouer que dès 1657, comme le dit J-M Pelous18, Melle de Scudéry dépeint le conflit de deux morales amoureuses symétriques représentées d’un côté par Térame, de l’autre par Mélicrate. Une des maximes de Térame ressemble fort aux convictions d’Ovide :

I. Il faut aimer tout ce qui paroist aimable, pourvu qu’il y ait quelque apparence de trouver plus de plaisir que de peine à la conqueste que l’on veut faire.

On peut citer encore comme une œuvre « phare » ayant inspiré Gilbert la comédie de Thomas Corneille L’Amour à la mode, qui date de 1651. Tout au long de la pièce, le jeune Oronte donne à son valet Cliton une série de leçons sur le nouvel art d’aimer que représente la galanterie. Ces principes sont simples : « il faut prendre le contre-pied de l’éthique romanesque, être inconstant, infidèle, insincère »19. La coquette Dorothée est la maîtresse du galant Oronte, n’a que mépris pour Eraste, l’un de ses soupirants, qui a le défaut infamant d’aimer à l’ancienne mode.

De l’avis de Lancaster, Gilbert a repris également certains aspects de sa tragédie intitulée Les Amours de Diane et d’Endimion, représentée en 1657 ; on peut citer surtout le lieu où se déroule l’intrigue et l’emploi de machines pour faire apparaître dans le champ de l’action dramatique des êtres venus des cieux.

Les divers arts d’aimer §

Symbolique de chaque personnage de la pièce §

À partir de 1650 environ, apparaît dans les cercles mondains de la capitale une nouvelle conception des relations amoureuses qui tranche avec l’idéologie du « Royaume du Tendre ». Comme l’affirme l’abbé d’Aubignac dans son Histoire du Royaume de coquetterie, en 1655, « le pays de Tendre n’est plus qu’un petit canton isolé de l’Empire amoureux où une poignée de fidèles s’enferment dans un culte nostalgique ». Le début du règne de Louis XIV coïncide avec l’avènement d’une approche plus riante et plus libre de la quête amoureuse. D’après J-M Pelous20, « l’itinéraire qui passe par Constance, Soumission, Obéissance et autres lieux semblables, dont on pouvait croire jusqu’alors qu’il était le grand chemin de l’amour, sera de plus en plus délaissé au profit d’autres routes plus avenantes ». Ainsi, le caractère vertueux et sévère des amants de l’époque précédente est considéré comme suranné. Un sentiment d’agacement est perceptible dans l’opinion mondaine vis-à-vis de grandes et exceptionnelles vertus qu’elle ne se sent plus l’envie d’imiter.

La caractéristique majeure de la Galanterie naissante est de se développer négativement, par rapport à une ancienne manière d’aimer qu’elle tourne désormais en ridicule. J-M Pelous parle ainsi de « schisme galant ». C’est la raison pour laquelle, les œuvres qui fustigent la timidité des amants de jadis sont très nombreuses : « il est de bon ton de moquer leurs lenteurs larmoyantes et l’excessive soumission qui les paralyse »21.

Il faut ajouter qu’il existe un lien étroit entre la diffusion de ce nouvel « art d’aimer » galant, qui prend justement Ovide pour exemple et précurseur, et l’état d’esprit qui règne à la Cour, dans l’entourage immédiat du roi. Les grands seigneurs aux mœurs assez libres, tels que Vardes, Guiche, Villeroy, ou Lauzun font tour à tour figure de favoris. Le roi lui-même s’émancipe et semble disposé à jouir librement des plaisirs de la vie. L’existence que les nobles mènent à la Cour est toute faite de bals, de carrousels, de divertissements variés et d’intrigues amoureuses, sous la houlette du Duc de Saint-Aignan. Mais cette « jeune » cour se heurte à l’hostilité véhémente d’une « vieille » cour, fidèle aux principes de l’amour « courtois » dont le Royaume du Tendre était l’héritier, et désapprouvant fortement cette nouvelle conduite qu’elle a tôt fait de qualifier de « licencieuse » ou d’« impie ». Cet antagonisme est si marqué qu’il explique une grande part des cabales qu’a subies Molière, à propos de Tartuffe mais aussi des Précieuses Ridicules ou encore plus tard de Dom Juan. Tant que le roi soutiendra cet idéal galant, il pourra s’affirmer sans avoir trop à craindre les critiques ; néanmoins, même après que la galanterie se fut bien implantée dans les mœurs parisiennes, l’opinion et le roi ne purent jamais cautionner vraiment le libertinage le plus effronté, d’où certaines disgrâces retentissantes. En effet les hérauts de cette évolution soudaine de la conception des rapports amoureux ne peuvent faire encore l’économie d’un certain respect, fût-il de pure forme, vis-à-vis de l’être aimé.

Les partisans de l’art d’aimer galant commencent à affirmer de manière schématique que sous Louis XIII, les hommes et les femmes aimaient encore à l’ancienne mode tandis que leur nouvel art d’aimer est l’apanage du siècle du roi Soleil ; la galanterie tend même à devenir une affaire nationale, une prérogative des Français. La première des Loix de la galanterie de Charles Sorel posait déjà en 1644 ce principe :

Nous, Maistres souverains de la Galanterie, (…) avons arresté qu’aucune autre Nation que la Françoise ne se doit attribuer l’honneur d’en observer excellemment les préceptes, et que c’est dans Paris, ville capitale en toutes façons, qu’il en faut chercher la source.22

Tous les auteurs galants annoncent donc à partir de 1650 l’apparition d’une ère nouvelle, et même un retour à l’âge d’or, qui fait succéder, dans les intrigues amoureuses, l’épanouissement à la contention, la joie d’aimer aux souffrances qu’enduraient les martyrs de l’amour, l’immoralisme galant au puritanisme tendre.

Mais en réalité, de 1650 à 1670, on ne cesse d’annoncer la fin d’un ancien amour qui renaît à chaque fois de ses cendres ; les deux arts d’aimer vont cohabiter longtemps. Comme le dit J-M Pelous, « au ʺmonismeʺ de la tradition romanesque l’ère galante substitue un ʺdualismeʺ qui durera autant que la galanterie elle-même »23. La galanterie n’impose en effet que lentement sa philosophie de l’amour qui proclame que l’inconstance joyeuse n’est pas incompatible avec l’élégance la plus raffinée. L’esprit galant est un compromis entre une certaine liberté d’allure et de langage et les exigences de la politesse mondaine. Si le Royaume du Tendre est mis au ban des salons et des « ruelles », les galants vont se heurter néanmoins, dès la naissance de la galanterie, aux Précieuses : même si à partir de 1650 environ le scepticisme galant devient l’idéologie dominante en matière amoureuse, ces dernières continuent d’incarner un art d’aimer triste et rétrograde qui équivaut presque à un refus de l’amour. Elles reprennent à leur compte la foi en la vertu de la femme, c’est-à-dire, la croyance que le fait d’éconduire « sévèrement » tout prétendant, en ne lui laissant plus comme marge de manœuvre que de se lamenter et de consumer ses jours « dans la mélancolie d’une servile adoration »24, est la source de la gloire féminine. « Apologistes attardées du vieux système tendre, elles entrent en contradiction avec la tendance dominante de la sensibilité de leur temps ». Ainsi la même opposition reparaît constamment dans la littérature sous les formes les plus diverses. Jusqu’à la résurrection d’Ovide par Gilbert, Hylas reste « le porte-parole le plus autorisé de l’hérésie galante »25. Il se crée une littérature marginale qui coexiste à la grande littérature et revendique une dignité qui lui sera par la suite refusée en raison de sa frivolité. En effet, la plaisanterie et l’humour font partie intégrante de la littérature galante, ce sont là les ficelles de la rhétorique de tout héros galant. Entre 1650 et 1670, s’installe un modus vivendi entre le badinage galant et les autres modes d’expression littéraire ; la « fine raillerie » qui caractérise la galanterie est considérée comme ce qu’il y a de plus rare et de plus accompli dans les ouvrages de l’esprit. Cette excellence de l’ « enjouement », terme majeur de la dialectique galante, n’est remise en cause qu’à partir de la découverte de Longin par Boileau et des attaques de Méré contre Voiture, ce dernier étant reconnu comme le premier et le plus grand écrivain galant du siècle par tous ses disciples. Dans le dictionnaire de Richelet de 167926, au mot « original » qui a pour définition « qui est le premier par l’excellence en une sorte de choses », on peut lire comme exemple, « Voiture est l’unique original des choses galantes ».

Tout ce contexte littéraire et mondain sous-tend Les Amours d’Ovide de Gilbert. C’est pourquoi il est intéressant de montrer précisément, en se basant toujours sur la pièce elle-même, comment les quatre personnages principaux, Ovide, Hyacinthe, Corinne, et Céphise, représentent avant tout des types caractéristiques de l’époque, qui symbolisent à merveille chacune des attitudes possibles vis-à-vis de l’amour, que recensaient les salons mondains entre 1650 et 1670. En d’autres termes, Les Amours d’Ovide apparaît comme une casuistique amoureuse. Mais de ce point de vue, l’œuvre de Gilbert n’est pas seulement le parfait reflet de son époque et de ses interrogations ; en elle convergent sans aucun doute les deux influences des cercles mondains et du corpus ovidien. Il s’agit de démontrer que toute l’originalité de la pièce réside dans « l’alliage » délicat de ces deux substrats et que les œuvres d’Ovide présentaient déjà, pour ainsi dire, une idéologie érotique très proche de la galanterie du XVIIe siècle sans toutefois présenter une typologie aussi schématique que celle des divers traités d’amour du XVIIe siècle et sans employer évidemment le terme « galant ». En d’autres termes, on montrera que les enseignements galants, en matière amoureuse, de celui qui se considérait comme « le précepteur de l’amour libertin »27 ont été reçus comme tels par le XVIIe siècle.

Tout d’abord le personnage central, Ovide, représente avec brio et précision le parfait homme galant tel que le concevaient les contemporains de Gilbert ainsi qu’Ovide bien des siècles auparavant qui se dépeint comme le prophète de l’amour. Le chevalier romain ne se contente plus, au début de la pièce, de sa maîtresse romaine, Corinne et avoue à Hyacinthe qu’il a des sentiments pour Céphise (cet aveu n’est pas étonnant dans la mesure où, d’une part selon la déontologie galante, l’indiscrétion est presque devenue un devoir, et d’autre part Hyacinthe aime lui-même Céphise, ce qui rend l’entreprise d’Ovide d’autant plus « hazardeuse » et d’autant plus excitante). En réalité, comme nous l’apprend plus tard Céphise, Ovide « en [a] cont[é] » à plus d’une depuis qu’il est dans l’île. Ovide se dit le plus pieux serviteur du dieu Amour et conformément à cette mission qu’il dit vouloir assumer en tous temps, il est toujours prêt à céder aux circonstances qui lui font rencontrer des futures conquêtes. Selon lui, il ne fait que s’adapter aux aléas de la vie et se montre simplement disponible ou ouvert d’esprit. Il affirme ainsi :

Et tout homme galant malgré vos feux constants,
Veut ce que veut l’Amour et s’accomode au temps (III, 6, v. 1005-1006).

Néanmoins, il ne faut pas être dupe de ses manœuvres – qui sont plus verbales que pratiques ; Ovide ne se contente pas de laisser faire la Fortune, il recherche sans cesse le changement ; c’est d’ailleurs pour cela que Céphise lui plaît :

Céphise a pour me plaire une grace nouvelle
Et ce qu’elle a d’aymable avec la nouveauté
Est un charme assez grand pour en estre tenté (III, 3, v.752-754).

Dans L’Art d’aimer, Ovide emploie des termes très explicites qui analysent en quelque sorte le psychisme de l’inconstant et qui correspondent exactement à celui du personnage gilbertien :

… on trouve toujours du plaisir à une volupté nouvelle, et … l’on est plus séduit par ce qu’on n’a pas que par ce qu’on a …. La moisson est toujours plus riche dans le champ d’autrui, et le troupeau du voisin a les mamelles plus gonflées. ( I, v.348-351)

Sur la scène, il est vrai qu’il n’essaye de conquérir que la nymphe Céphise ; cette situation est directement inspirée du poème 10 du livre II des Amours dans lequel Ovide parle seulement de deux femmes :

Oui : j’aime deux femmes à la fois et j’en rougis. Toutes deux sont belles ; elles sont également préoccupées de leur élégance et il est difficile de dire si c’est la première ou la seconde qui a le plus de talents. La première est plus jolie que la seconde, mais de son côté, la seconde est plus jolie que la première. C’est tantôt la première, tantôt la seconde qui me plaît davantage. Mon cœur, tel une légère barque à voiles poussée par des vents opposés, flotte incertain entre ces deux amours qui se le partagent. (v. 1-10)

Néanmoins, Ovide évoque lui-même une liste de conquêtes féminines à la scène 3 de l’acte IV. On pourrait dire qu’il aime « la » femme et non les femmes, ce qui sous-entendrait qu’on peut les dénombrer ; c’est la raison pour laquelle il ne peut absolument pas choisir entre Céphise et Corinne : le galant est confronté à l’aporie la plus complète quand les deux femmes, qui en sont conscientes, se liguent contre lui pour le sommer de se déclarer pour l’une d’entre elles (cf. II, 3)

Au XVIIe siècle, la croyance selon laquelle le cœur de celui qui aime et l’âme qu’il contient passaient tout entiers dans la personne aimée par la grâce de quelque don mystérieux était universellement répandue. Réciproquement, la place laissée vacante par cette transfusion d’âme, sans doute en vertu du principe qui veut que la nature a horreur du vide, se trouve remplie par l’image de l’être aimé, qui n’est pas virtuelle mais pour ainsi dire matérielle. « L’amant dépouillé de lui-même est hanté par ce simulacre qui s’insinue en lui »28. Or, bien loin d’être arrêtés par ce fait quasiment considéré comme scientifique, les galants parviennent à défendre leurs positions en affirmant qu’un amant galant a un cœur plus vaste, une capacité d’aimer plus importante et peut tout à fait « se donner » à plusieurs femmes en même temps. Ovide explique tout bonnement aux deux femmes qu’il peut remplir le rôle de deux amants en même temps. Ovide se vante ainsi à la scène 2 de l’acte II :

Mon ardeur sans pareille à vos beautez ressemble,
Et j’ayme plus moi seul, que deux constans ensemble ;
Je sçay m’accommoder à divers sentimens,
Et deux Amours parfaits valent bien deux Amans

Pour pouvoir à loisir jouer le rôle de deux amants, minimum, Ovide met en œuvre toute une stratégie de séduction. Comme l’écrivain romain, il considère que « faire l’amour » ressemble fort au service militaire : l’amant, comme le soldat, est « d’astreinte » tous les jours, obéit uniquement à son chef, c’est-à-dire au dieu Amour, connaît des victoires et des défaites, doit être endurant et patient, et faire preuve à chaque instant d’héroïsme. Se consacrer à ses maîtresses est en quelque sorte un service rendu à la société. Au livre II de L’Art d’aimer, Ovide s’adresse ainsi aux jeunes gens :

[…] bientôt de son pas silencieux, viendra la vieillesse qui vous courbera. Fendez la mer de vos rames, ou la terre de votre charrue, ou bien chargez vos mains belliqueuses d’armes meurtrières, ou bien consacrez aux femmes votre vigueur virile et vos soins. Ce dernier parti est aussi un service militaire ; Ce dernier parti rapporte aussi des richesses. (v. 670).

Tout d’abord, l’attitude même du personnage est toujours savamment maîtrisée et calculée : il prend soin d’être à tout moment d’humeur charmante et de ne rien dire qui puisse être désobligeant pour une femme. Alors que les deux femmes lui demandent de se déclarer en faveur d’une d’entre elles, il rétorque :

Si je preferois l’une en presence de l’autre,
Et si j’osois luy faire un affront* esclattant,
Je serois incivil* pour paraistre constant (v. 530-532).

Il loue ce qu’il appelle la « civilité » des constants, et l’oppose au caractère méprisant des constants (cf. v. 1204-1210). Pour Ovide, il est bien plus grave de manquer de respect à Corinne en paroles que de la tromper, « en actes », avec Céphise. C’est pour cette raison qu’il ne se résout pas à envoyer un billet à Corinne qui lui apprenne l’évolution de ses sentiments :

Apres avoir fait voir mes respects jusqu’icy,
Je ne puis me resoudre à luy faire un outrage. (v. 332-333)

Or être constamment d’humeur agréable est précisément un conseil qu’Ovide donne aux amants dans L’Art d’aimer :

Ce qui gagne surtout les cœurs, c’est une adroite condescendance : la rudesse engendre la haine et les guerres cruelles. […] Loin de nous les discussions et les combats d’une langue mordante : de douces paroles, voilà l’aliment du tendre amour. […] l’amie, elle, doit toujours entendre les mots qu’elle souhaite […] Présente-toi avec de tendres caresses et des mots qui charment l’oreille (II, v. 145-177).

Ce « bon tempérament », selon l’expression d’Ovide, doit aussi s’exprimer à travers de nombreux compliments ; c’est une leçon de comédien que le personnage galant de Gilbert est loin d’avoir oubliée :

Il te faut jouer l’amant, et dans tes paroles, te donner les apparences d’être blessé d’amour […] c’est le moment de gagner furtivement les cœurs par des mots caressants … N’hésite pas à louer le visage, les cheveux, les doigts fuselés et le pied mignon. (I, v.605-612).

De même, Ovide met en pratique la recommandation de l’écrivain romain d’avoir la promesse facile ; pour conquérir Céphise par exemple il n’hésite pas à lui promettre d’abandonner ces autres maîtresses dans l’île pour elle, alors qu’il sait bien qu’il n’en fera rien. Le héros galant n’est à la recherche que du plaisir, qui ne va cependant pas sans une certaine courtoisie, certes de mauvaise foi et purement formelle. C’est pourquoi, il ne se contraint absolument pas à respecter ces promesses. Il promet ainsi à Corinne de venir la soutenir après le concours, même si elle échoue, et au lieu de cela, il s’empresse de rejoindre Céphise. Alors que Hyacinthe lui rappelle cet engagement, Ovide s’en sort avec une pirouette, qui démontre en outre que le cœur et l’âme d’un galant ne battent pas à l’unisson :

HIACINTE.
Non non, allez plus-tost pour consoler Corinne,
Il est d’un vrai Romain & d’un cœur genereux*,
D’estre pour les vaincus & pour les mal-heureux.
OVIDE.
Il est d’un vrai Romain, & d’une ame genereuse,
D’aymer la plus parfaite & la plus glorieuse (v.1000-1004)

Comme le dit Ovide, ses serments faits à maintes reprises devant les dieux ne comptent pas :

… promets hardiment : ce sont les promesses qui entraînent les femmes ; prends tous les dieu à témoins de tes engagements. Jupiter, du haut des cieux, voit en riant les parjures des amants et ordonne aux autans, sujets d’Eole, de les emporter et de les annuler.

Comme le conseille également Ovide, le personnage de Gilbert prend soin d’occuper tout son temps selon le bon vouloir de sa maîtresse ; comme le dit Céphise, il « fait [toujours] fort l’empressé » vis-à-vis de Corinne, et la mène par exemple où elle le souhaite à l’acte I. On peut citer en regard ce passage significatif de L’Art d’aimer des « deux » Ovide :

Se lève -t-elle, lève-toi, tant qu’elle reste assise, reste assis ; suivant la volonté de ta maîtresse, sache perdre ton temps. (L’Art d’aimer, I, v.500-502)

Enfin, L’Art d’aimer d’Ovide mentionne aussi que l’amant doit savoir se faire un ami d’un rival, afin de feindre d’instaurer une relation d’amitié, qui pourra se révéler avantageuse par la suite. Or l’amitié entre Ovide et Hyacinthe est justement le thème de la première scène de l’acte I et c’est en vertu de cette relation qu’Ovide parvient à obtenir des confidences de Hyacinthe. Ovide décrit à merveille cette stratégie machiavélique au livre I :

Désire plaire également à l’amant de ta belle ; il vous sera plus utile, devenu ton ami. Si le sort t’accorde la royauté du festin, cède-lui cette royauté ; donne-lui la couronne posée sur ta tête ; même s, i par sa place au festin, il est ton inférieur ou ton égal, laisse le toujours se servir avant toi et en néglige pas de dire comme lui. C’est un moyen sûr et fréquent de tromper en se cachant sous les dehors de l’amitié… (v.577-587).

Outre les moyens employés pour séduire, Ovide reprend strictement à son aîné, certains arguments par lesquels il justifie l’inconstance, tout comme il avance des raisons conformes à l’idéologie galante : en premier lieu, il affirme ainsi que « les amoureux transis ne sont plus à la mode » (IV, 3, v. 1085) ; or on a vu qu’au XVIIe siècle, toute la légitimité de la galanterie est fondée sur le caractère suranné et par conséquent ridicule du modèle tendre. C’est là justifier l’inconstance de manière négative, en rejetant son contraire et non pas en la valorisant pour elle-même. Mais déjà sous l’Empire d’Auguste Ovide se considère comme le parangon d’un nouvel art d’aimer qui se déploie dans les milieux mondains désoeuvrés par l’accaparement des pouvoirs par Auguste. Dans les deux cas, l’inconstance galante présente une dimension millénariste. D’ailleurs Gilbert emploie plusieurs fois l’expression d’âge d’or. En second lieu, Ovide, comme tous les galants de l’époque, fait également appel au vieux phantasme qui consiste à suivre la nature en toutes choses. Un long passage est consacré à cet argument (cf. IV, 5) ; Ovide y décrit les femmes telles des champs qui changent de couleur avec la lumière (on pourrait presque penser aux meules de foin de Monet qui méritaient toutes elles aussi que le peintre les immortalise quelque fût la luminosité et l’heure de la journée) ou les saisons :

Il faut dans les desirs imiter la nature,
Qui ne peint pas les champs d’une mesme peinture,
Et par ses changements & ses diversitez,
Fait briller à nos yeux differentes beautez.
L’une a la majesté, l’autre a la bonne grace,
L’une a tous les traits beaux, l’autre un teint délicat,
L’une a de l’agrément, l’autre beaucoup d’éclat,
Chaque Dame a ses dons & remplit bien sa place,
L’une a la majesté, l’autre a la bonne grace
L’une a tous les traits beaux, l’autre un teint delicat,
L’une a de l’agrément, l’autre beaucoup d’éclat,
Enfin le Ciel a fait, pour charmer tout le Monde
La belle, l’agreable, & la brune, & la blonde ;
Mais jusques à present nul n’a peu decider,
Entre tant de beautez laquelle doit ceder.
Quand on n’est pas aveugle, & qu’on est raisonnable,
On doit aymer par tout tout ce qu’on voit d’aymable (v.1187-1200)

Cet argument est naturellement en vogue dans la deuxième moitié du XVIIe siècle ; on le trouve par exemple formulé de manière toute scientifique dans une œuvre de P. B. Lamy intitulée La Rhétorique ou l’Art de parler :

Ce n’est pas le seul caprice qui rend la variété nécessaire : la nature demande le changement […] Dans toutes les actions la diversité est nécessaire ; parce que le travail estant partagé, chaque partie d’un organe est moins fatigué29

Mais la source la plus manifeste de ce passage est un extrait de l’ouvre d’Ovide, Les Amours, dans lequel l’auteur décrit longuement, de la même manière, la diversité des femmes :

Ce n’est pas un type de beauté déterminé qui éveille en moi l’amour ; cent motifs font que j’aime toujours. Une femme a-t-elle les yeux modestement baissés, je m’enflamme, et sa pudeur est le piège où je me prends. Telle autre est-elle provocante ? Elle me séduit, parce qu’elle n’est point novice et qu’elle me donne à penser qu’elle ne restera pas inerte, une fois sur un lit moelleux. Une troisième m’a paru farouche, émule des Sabines à la vertu rigide ; j’imagine qu’elle ne demande pas mieux, mais qu’elle dissimule profondément. Savante, tu me plais par tes rares talents ; ignorante, c’est par ta naïveté que tu m’as plu. […] Telle chante si agréablement, d’une voix aux inflexions variées, que je voudrais, pendant qu’elle chante, lui dérober des baisers. Telle d’un doigt habile parcourt les cordes harmonieuses : qui pourrait ne pas aimer desmains si savantes ? Telle autre plaît par ses gestes et balance harmonieusement son corps lascif. […] Enfin toutes les femmes sans exception que l’on admire à Rome, toutes, mon amour les convoite. (II, 4, v.9-48)

En troisième lieu Ovide prétend qu’il est absurde de se priver de plaisirs qui s’offrent à soi spontanément (v. 1275-1278) ; il s’agit encore de l’idée selon laquelle le galant est moins un séducteur, un chasseur, qu’un « fin gourmet », qu’il ne fait que jouir des joies que lui procure la vie spontanément et que ne pas goûter les bienfaits de la nature revient à mépriser cette dernière. Il rejoint de ce fait l’adage galant suivant de Saint-Evremond :

[…] c’est agir d’une manière injurieuse à la nature de n’aimer qu’une seule chose en tout l’univers30

Ovide mentionne également l’argument des injures du temps à la beauté et, dans un souci de sincérité, invite les amants à ne pas feindre de tenir encore à une femme qui ne ressemble plus à celle qu’elle était quand ils l’ont aimée. Il dit en raillant :

Un amant qui ne veut aymer qu’une maistresse,
Quand la beauté s’enfuit avecque la jeunesse,
Que ses regards esteints inspirent la froideur,
Doit-il estre constant pour aymer la laideur ? (v.1223-1226)

Cette évocation de la vieillesse qui met fin aux amours rappelle elle-même ces quelques vers d’Ovide :

La beauté est un bien fragile : tout ce qui s’ajoute aux anneés la diminue ; elle se flétrit par sa durée même ; ni les violettes ni les lis à la corolle ouverte ne sont toujours en fleurs, et, la rose une fois tombée, l’épine se dresse seule. (L’Art d’aimer, II, v.113-116)

Ovide affirme aussi qu’une femme qui se refuse à tout commerce amoureux n’est pas « aymable ». Contrairement aux héros des romans « tendres », le galant ne veut pas faire la cour sans rien recevoir en retour. C’est pourquoi, le chevalier romain déclare sans cérémonie qu’une prude ou une précieuse ruine tous les avantages de sa beauté ou de sa jeunesse en déboutant tout amant. Quand Corinne et Céphise lui demandent de faire un choix, Ovide tente de se sortir de cette impasse en les exhortant à déclarer leurs sentiments respectifs pour lui. En effet, il est hors de question pour lui de donner la préférence de manière arbitraire à l’une des deux femmes si celle qu’il choisit lui refuse ensuite sa victoire :

De deux objets* charmans le choix est difficile ;
Celuy que je ferois pourroit estre inutile,
Ne pouvant deviner laquelle de vous deux
Veut m’estre favorable & recevoir mes vœux ; (v.465-468)

Le héros galant clame également haut et fort qu’il récuse tout sentiment de jalousie. L’idéologie galante s’est en effet accompagnée d’une utopie selon laquelle l’amour, à la mode galante cela va sans dire, pouvait pacifier les rapports humains en général. De plus, le galant est un homme dont le charme réside dans le bon tempérament, dans l’enjouement ; il ne peut donc pas, à moins d’être en contradiction avec sa nature, et sans perdre son crédit aux yeux de son public de prédilection que sont les femmes, se montrer « fâcheux » et désagréable. On retrouve cette critique de la jalousie chez tous les auteurs galants contemporains de Gilbert et notamment chez l’Abbé Cotin ; celui-ci affirme : 

La jalousie n’est pas un effet de l’Amour : l’Amour unit les cœurs et la jalousie les sépare31

Ovide est également totalement hostile au mariage. Selon lui, le dieu Hyménée ne fait que séparer les amants ; en effet, si le couple est fidèle à l’art d’aimer galant, il ne peut se résoudre à enchaîner sa liberté. C’est un refrain qui reviendra souvent dans les airs d’opéra. D’ailleurs dans l’Alceste de Quinault, Céphise chante :

L’hymen détruit la tendresse
Il rend l’amour sans attrait ;
Voulez-vous aimer sans cesse,
Amans, n’épousez jamais32

Le personnage romain raille en outre le caractère larmoyant et velléitaire des amants de l’ancienne mode tel que Hyacinthe, qui contraste avec l’aspect rieur, enjoué et épanoui des amants inconstants. Pour lui, l’amour n’a qu’une fin, le plaisir ; « faire l’amour » pour éprouver « soins » et « allarmes » n’a donc pas de sens pour lui. C’est aussi ce dont témoigne Regnier-Desmarais dans l’« Edit de l’Amour » :

Malgré la règle des romans
S’abandonner à la langueur
Dans une passion naissante
Est un moyen malpropre à s’introduire au cœur,
La joie est plus insinuante.33

Le personnage d’Ovide est enfin complètement et continuellement double : le fond et la forme de ses paroles se caractérisent par une parfaite ambivalence. Le verbe galant est constamment ironique. La galanterie est l’art de dire des choses ridicules, selon le nouvel art d’aimer, en se gardant bien de les prendre au sérieux. C’est pourquoi, en parlant d’Ovide, Céphise peut dire :

Raillons cet inconstant qui se raille de tout. (v. 420)

En conséquence, Ovide use pratiquement du même langage que les amants « du temps jadis » ; c’est ce qui a longtemps prêté à confusion, en ce qui concerne l’ensemble des œuvres galantes ; de nombreux écrivains qui se réclamaient du modèle galant ont été considérés dans les siècles qui suivirent comme de parfaits opposants à la galanterie, pour la simple raison qu’on ne discernait pas toujours la satire du Royaume du Tendre dans leurs propos parfaitement travestis. La rhétorique galante a recours, comme le discours tendre, à des figures de style récurrente comme la syllepse, l’hyperbole, l’antithèse, le zeugma, l’emploi de métaphores entrées dans la langue courante. En fait les attitudes extérieures des amants galants ou « tendres » sont identiques, seul diffère le sens qu’ils leur donnent. Comme le dit J.-M. Pelous, « la galanterie est une comédie de l’amour qui se joue sur un texte qui ne correspond jamais exactement aux sentiments profonds des acteurs ». On peut citer quelques uns de ces moments de bravoure galants au cours desquels Ovide prend un « accent précieux » :

Vos Nymphes à mes yeux sont toutes admirables*,
La blancheur de la neige éclate sur leur tein
Et leur levre est d’un feu qui jamais ne s’esteint ;
De leur esprit charmant l’entretien est si rare,
Que c’est un labyrinthe où la raison s’égare ; (I, 1, v. 26-30)
Nous venons admirer vostre rare merite,
Et nous avions dessein de vous rendre visite,
Mais vos esprits charmants, dont les cœurs sont tentez,
Sont des traits dangereux contre nos libertez.
L’agreable Cephise & l’aymable Corinne,
Par leur majesté douce & leur grace divine,
Des deux sexes vaincus triomphans dans ce jour,
L’un pleure de despit, & l’autre meurt d’amour. (I, 2, v. 89-96)
Puis que ma volonté se regle par la vostre ;
Sans faire le cruel, je donneray mon cœur
A celle qui pour moy quittera sa rigueur ; (II, 2, v. 454-456)
Vous osez comparer vos froideurs à ma flamme,
Vostre amitié de glace à mon ardante amour ? (I, 2, v.162-163)

Or ce travestissement de la parole, savamment dissimulé, était déjà recommandé par Ovide :

Garde-toi seulement de paraître, dans ces paroles, déguiser ta pensée, et que l’expression de ton visage ne démente pas l’effet de ton langage. L’art est utile quand il est caché ; s’il est découvert, il donne à rougir et détruit justement la confiance pour toujours. (L’Art d’aimer, II, 309-314) ;

En ce qui concerne, la rhétorique galante, il semble que le public mondain se soit vite accommodé avec le fait que toute parole amoureuse soit peu ou prou mensongère. Il s’agit donc d’une rhétorique qui déploie tous ses procédés de séduction pour rien : « Amour sans amour, ou anti-amour, la galanterie s’établit à la faveur d’un grand vide sentimental ». On pourrait dire que derrière cette rhétorique de la duplicité se dessine l’art d’Ulysse, à savoir la ruse, la « métis » grecque34. En effet, le charme du galant homme trouve sa source dans la subtilité de son esprit, dans son « adresse ».

Hyacinthe est quant à lui le parfait opposé d’Ovide. Il représente cette catégorie d’amants ridiculisés par les galants et qualifiés par ces derniers de « pousseurs de bons sentiments »35. L’analogie avec les débuts des Précieuses dans le monde est frappante ; comme elles, ils se rendent haïssables à force d’exagérations et d’excès de zèle. Dans l’Histoire amoureuse des Gaules de Bussy-Rabutin, Mme d’Olonne, à qui Janin de Castille a fait la cour à la façon précieuse, lui avoue sa répugnance pour ses manières exacerbées :

[…] je suis tellement rebutée de ces façons, et les soupirs et les langueurs sont à mon gré une si pauvre marchandise et de si faibles marques d’amour, que si vous n’eussiez pris avec moi une conduite plus honnête, vous eussiez perdu vos peines toute votre vie.36

Mais paradoxalement, ces individus ne font que souligner la ressemblance entre l’attitude galante et l’attitude précieuse : ils ne font qu’exagérer le comportement que tout homme galant adopte en déguisant la brutalité de ses désirs. Ils sont donc pour ainsi dire des galants qui se prennent au sérieux. C’est pourquoi les deux hommes sont deux véritables héros qui luttent chacun pour leur conception respective de l’amour. C’est en cela que la pastorale peut être dite héroïque. Il y a sans doute également une dimension ironique dans cet adjectif, surtout si l’on considère les passages où Hyacinthe a des accents cornéliens, comme celui-ci :

Avant que mon Rival acheve mes disgraces,
Nous paraistrons tous deux au Tribunal des Graces ;
Et si leur juste Arrest ne me vient secourir,
J’auray du cœur assez pour vaincre, ou pour mourir. (I, 3, v.245-248)

« En pousseur de bons sentiments », Hyacinthe voue un culte discret à sa maîtresse ; contrairement à Ovide, il est loin de se vanter d’avoir reçu quelque faveur (même si son statut de « pousseur de bons sentiments » le rend moins enclin à en recevoir) et ne presse pas Céphise de répondre à ses sentiments. Il ne cherche même pas à la séduire, mais patiente dans son sillage, dès qu’il le peut. Il se montre particulièrement soumis vis à vis d’elle. Lorsqu’il croit comprendre que cette dernière a des sentiments pour Ovide, il lui dit qu’il se soumet à sa volonté et s’efface.

Ah ! n’en rougissez pas ;
Et si l’original a pour vous des appas,
Contentez vos desirs, gardez-en la peinture :
Il faut bien me resoudre à souffrir cette injure ;
Puisque vous le voulez. (I, 3, v. 231-235)

Il manque d’audace et reste pour ainsi dire paralysé devant son idole. Après avoir remporté la victoire sur son rival, lors du concours qui les opposait, il ne se rend pas chez Corinne en conquérant mais il lui demande sa main en bonne et due forme.

Son tempérament est plus généralement velléitaire, ce qui devient très vite comique d’ailleurs, étant donné que Hyacinthe et Corinne font souvent allusion à son statut de héros. Il explique ainsi à la scène 6 de l’acte II qu’il veut se venger d’Ovide, après l’affaire du portrait, mais ce vœu, décrit pendant quatre vers, reste pieux puisqu’au cinquième vers Hyacinthe déclare vouloir encore attendre l’arrêt des Grâces :

L’intrigue du portrait me doit assez deplaire,
Pour luy faire sentir les traits de mon couroux
Et pour m’abandonner à des transports jaloux
Sans pousser un rival et marcher sur ses traces,
Attendons un Arrest de la bouche des Grâces. (II, 6, v.646-650)

Une des caractéristiques des « pousseurs de bons sentiments » est la manie qu’ils ont d’évoquer sans cesse leurs souffrances et leurs inquiétudes en s’exclamant parfois de manière ridicule (d’où le nom de « pousseur » de bons sentiments). Ce passage de la réplique de Clomire, dans La prétieuse ou le mystère des Ruelles témoigne précisément de cette manie de pousser sans cesse des jérémiades :

C’est bon pour quelqu’idolastre
Pour quelque jeune folastre,
Pour quelqu’amoureux de plastre
De vouloir toujours souffrir,
De se plaire à languir,
De pousser soupir sur soupir
Pour moy je ne désire
Que rire
Je hay toutes les rigueurs
Toutes langueurs,
Je ne veus soupirs ni pleurs,
Ce ne sont point là mes couleurs. […]
Je ne veus rien d’incommode,
Dans ma plus fervente ardeur ;
Le chagrin dans le cœur,
M’irrite contre mon vainqueur […]
Car nous autres, beaux esprits,
Nous nous raillons de ces mépris.37

Comme ces amants transis caricaturés, Hyacinthe ne récolte aucune joie de l’amour qu’il sème chaque jour à la porte de sa bien-aimée. Semblable au personnage que décrit Ovide, dans Les Amours, qui se lamente sur le seuil de la porte, Hyacinthe consume ses jours en lamentations. Il est littéralement le personnage qui se meurt d’amour. L’idée de la mort, qui mettrait fin à son infortune, est d’ailleurs souvent présente. Les passages suivants sont particulièrement parlants :

Et vers un mal-heureux ne cherchez point d’excuse.
Faut-il qu’un Estranger arrivé sur ces bords,
Qui n’a point ressenty mes amoureux transports.
Rende par son bonheur mes esperances vaines,
Me ravisse en un jour le fruit de tant de peines,
Et m’oste pour jamais l’objet de mes desirs,
Sans qu’il lui couste helas ! ni larme, un souspirs ?
Avant que mon Rival acheve mes disgraces,
Nous paraistrons tous deux au Tribunal des Graces ;
Et si leur juste Arrest ne me vient secourir,
J’auray du cœur assez pour vaincre, ou pour mourir. (I, 3, v. 240-248).

De ce point de vue, Hyacinthe est semblable à l’amant transi déçu et en pleurs  auquel Ovide donne la parole dans les vers élégiaques suivants :

Non ! Aucun amour (loin de moi Cupidon et son carquois) ne vaut que j’invoque si souvent et si ardemment la mort. J’invoque la mort, lorsque je pense à ta trahison, femme née pour faire, hélas, mon malheur à jamais. (Les Amours, II, 5, v.1-4)

Ce type amoureux, déjà dépeint par Ovide, est repris également par Molière, dans Les Précieuses ridicules notamment, qui fut créée en 1659 ; l’auteur décrit aussi la manière « précieuse » des amants de faire la cour :

Il faut qu’un amant, pour estre agréable, sçache débite les beaux sentiments, pousser38 le doux, le tendre et le passionné […]

Ce « parfait amant » selon la terminologie « tendre », désavoue enfin l’atmosphère qui règne dans l’île après l’arrivée d’Ovide et de Corinne ; il blâme les danses, les chants et tout le soin artificiel que met Ovide à se farder. Il ne fait nul doute que ces griefs sont ceux qu’exprime à l’époque la « vieille » cour récriminant les excès de la jeunesse.

Céphise, quant à elle, est la parfaite illustration du modèle précieux. Elle est donc le pendant féminin de Hyacinthe. Elle considère, ou plus précisément, elle semble réciter, qu’une femme ne peut atteindre la gloire qu’en mettant en avant l’« unique ornement » de la vertu. Elle est ambitieuse, à sa façon, puisqu’elle aspire à la reconnaissance de ce mérite, qui est désormais rarement reconnu. Pour afficher avec héroïsme sa pudeur, elle affirme donc qu’elle ne souhaite pas avoir d’amant. Elle dit ainsi à Ovide :

Nos humeurs à tous deux sont assez differentes,
Je ne veux point d’Amans, vous vouliez deux Amantes. (v. 1143)

Mais le type de la précieuse bien loin d’étouffer en elle ses sentiments se doit seulement de les dissimuler sous une apparence de parfaite « vertu ». Le troisième livre de L’Art d’aimer d’Ovide est adressée aux femmes et leur donne à elles aussi des conseils pour plaire. Il les invite d’une part à refuser quelque temps l’amour que leur offre leur soupirant afin d’exciter son désir, ce qui est conforme à ce que pense Hyacinthe de la conduite des femmes vertueuses (cf. III, 4) :

Les faveurs bien souvent ne font qu’un infidelle,
Mais la vertu retient ceux qu’un bel œil appelle ;
Et ce sexe sçavant à troubler le repos,
En fuyant seulement sçait vaincre les Heros.

Ovide les exhorte d’autre part à faire preuve de dédain et à « mêler quelques refus » aux « douces joies » qu’elles accordent à leurs amants afin que l’amour qu’ils leur portent soit plus durable (cf. III, v.576-588) ; c’est cette attitude sournoise que relève Ovide à la scène 4 de l’acte III quand il mentionne, comme « aymables imposteurs »,

Leur accueil, leurs dédains, leurs amoureuses plaintes,
Leurs reproches secrets et leurs coleres feintes.

C’est cette « hypocrisie » au sens étymologique du terme que les salons parisiens ne souffrent plus à partir de la deuxième moitié du XVIIe siècle ; on sent même en Céphise une aspiration à plus de vérité ; elle se traduit par les confidences qu’elle exprime dans les stances et qui mettent en évidence les contradictions de son for intérieur :

Depuis le jour fatal que j’ayme,
Mon orgueil accroist mon tourment ;
Je ne combats plus mon Amant,
Mais je combats contre moy-mesme,
J’esprouve en mon fort rigoureux,
Que la sagesse qu’on admire,
Fait quelque fois des malheureux,
Puis que c’est un grand mal que d’aymer sans le dire. (v. 1396-1402)

Dans la comédie de La Fontaine intitulée Clymène, composée, semble-t-il, entre 1658 et 1660, l’auteur renvoie pareillement au discrédit que la cabale précieuse fait désormais peser sur la pruderie :

ERATO
[…] Autrefois j’étais fière
Quand on disait que non ; qu’on me vienne aujourd’hui
Demander « Aimez-vous ? », je répondrai que oui.
APOLLON
Et pourquoi ?
ERATO
Pour éviter le nom de Précieuse.39

En parfaite précieuse, Céphise se refuse catégoriquement de confier ses sentiments à Aminte, qui n’a de confidente que le nom et ne détrompe pas l’homme qu’elle aime en réalité, Hyacinthe, quand celui-ci croit comprendre qu’elle « reçoit les vœux » d’Ovide. Elle fait preuve à l’égard d’elle-même d’une extraordinaire sévérité en refusant de se déclarer pour Hyacinthe, alors que cet aveu, auquel l’exhorte Ovide, pourrait la délivrer des assauts du chevalier romain, qui jouit du soutien de son père, et d’un mariage avec lui qu’Alcidon appelle de ses vœux. Selon les termes de Saint-Evremond, elle représente l’exemple même de la « vestale à l’égard d’un amant »40, d’autant qu’elle tait son amour pour Hyacinthe depuis cinq ans au moment où débute l’action, faisant montre d’une insensibilité totale face à la cour passionnée du jeune homme en adoration devant elle. Son intransigeance et sa pudeur, qui tendent au refus de l’amour, sont tournées en ridicule par Gilbert dans toute la pièce ; en effet, Céphise ne rompt le silence que lorsqu’elle a eu la permission des dieux en quelque sorte. Or, à la cour, aucune divinité n’intervient pour donner la permission d’aimer ‒ si ce n’est peut-être le roi lui-même, mais de manière implicite afin de ne pas se mettre à dos toute la cour puritaine. L’auteur sous-entend ainsi avec ironie que les précieuses sont des femmes qui attendent en vain et qui martyrisent encore les quelques amants qui les courtisent à l’ancienne mode.

Corinne, la maîtresse d’Ovide, symbolise enfin la coquetterie. Contrairement, au couple Hyacinthe/Céphise, il n’y a pas une parfaite équivalence entre l’art d’aimer d’Ovide et l’attitude de Corinne. C’est ce que dénotent les prépositions  « avec » /« et » dans le Prologue des Grâces : « Ovide avec Corinne, Hyacinthe & Cephise ». En effet, Corinne, comme toute coquette, feint seulement d’accepter le caractère volage d’Ovide. En fait, elle tient à Ovide qui a pour elle toute l’élégance et la subtilité du galant homme, mais en droit, elle est loin de soutenir les inconstants. C’est la raison pour laquelle elle ne peut s’empêcher d’éprouver de la jalousie envers Céphise. Comme le dit J.-M. Pelous, « la coquette offre à l’amour une résistance d’autant plus redoutable qu’elle se déguise sous une apparente acceptation ; en effet, contrairement à Ovide, ce n’est pas le plaisir que Corinne considère comme la fin ultime de la vie, mais la gloire ; il s’agit cependant d’une gloire très différente de celle à laquelle aspire Céphise : celle-ci se fonde sur le nombre d’amants qu’une femme cristallise autour d’elle et qui est censé témoigner de sa beauté hors du commun. On pourrait dire que Corinne n’accepte que sa propre inconstance et refuse celle d’Ovide, comme celle de tout autre de ses soupirants. Elle ne sert avant tout que ses intérêts, c’est-à-dire son aspiration à la gloire. Elle l’avoue d’ailleurs à sa confidente Célie qui compare son inconstance à celle d’Ovide :

L’Amour n’en voudroit, qu’un, mais la gloire en veut mille ;
Une ame ambitieuse en a tousjour trop peu,
Pour orner son Triomphe. (II, 4, v.570-572)
Tu ne sçais pas encor ce que c’est que la gloire :
D’un double honneur mon sexe a l’esprit combattu,
L’un naist de la beauté, l’autre de la vertu ;
La vertu s’est acquise une estime assez forte,
Mais tousjour la beauté dans le monde l’emporte ;
L’une en fort petit nombre a ses admirateurs,
Mais l’autre fait la foulle & les Adorateurs. (v.574-580)

Dans Les Amours, Ovide fait d’ailleurs référence à l’orgueil de sa bien aimée Corinne et à son désir de domination :

La beauté rend orgueilleux, la beauté de Corinne la rend intraitable. Hélas ! Pourquoi se connaît-elle si bien ? ; […] Non, vraiment, si ta beauté te donne sur toutes choses un empire trop puissant, ta beauté créée pour enchanter mes yeux, tu ne dois pourtant pas, en me comparant à toi, me mépriser : la grandeur peut bien s’unir à lus petit qu’elle. (II, 17, v.6-15)

Il dépeint sans aucun doute l’attitude d’une authentique coquette, dont l’objectif premier est en réalité d’inverser les rôles de la séduction. Corinne en vient même à surpasser son amant : à l’inverse d’Ovide qui multiplie ses conquêtes moins par calcul que par hédonisme, elle a le machiavélisme d’un fin « stratège ». Elle essaye par exemple de séduire Hyacinthe pour « rengager » Ovide en le traitant mal inversant une fois de plus les rôles de l’homme et de la femme. Mais les galants n’étaient pas prêts à voir les femmes prendre l’initiative en amour, ce qui leur auraient enlevé tout le plaisir de la séduction et du jeu amoureux avant la victoire ; d’ailleurs la galanterie consistait bien plus en un jeu verbal qu’en un libertinage valmontesque. Ovide, le premier homme galant, considère lui-même que la pudeur interdit aux femmes de prendre l’initiative en amour et que ce sont les hommes qui doivent se déclarer pour elles, tel que le dit Céphise à la scène 3 de l’acte II.

Pour un esprit galand c’est mal faire la Cour,
Que de nous obliger à vous parler d’amour ;
Mon sexe en doit donner, & le vostre en doit prendre,
Rendez nous le respect que vous nous devez rendre,
Quittez cette humeur vaine, & ne prétendez pas
Que mon sexe orgueilleux fasse les premiers pas.

On en veut pour preuve les nombreux hommes galants de l’époque qui étaient impuissants. Néanmoins toutes les manœuvres amoureuses d’une coquette sont susceptibles de « pimenter » le jeu de séduction, ce qui correspond parfaitement à la conception galante de l’« amour ». Ovide mentionne à maintes reprises dans Les Amours et L’Art d’aimer que la dimension agonistique d’une relation amoureuse est primordiale pour le plaisir des deux amants :

Quand on désire ce qui est permis et facile, il faut aller prendre des feuilles aux arbres ou boire de l’eau dans un grand fleuve. Si une belle veut s’assurer un long empire, qu’elle sache se jouer de son amant. […] Trop de facilité ne vaut rien pour moi : ce qui me suit, je le fuis ; ce qui me fuit, c’est moi qui le poursuis.

Ainsi Corinne n’est pas plus sincère qu’Ovide dans ses intrigues amoureuses. Elle ne fait que se jouer de ses amants ; comme celles d’Ovide, ces paroles sont vides de tout sentiment d’amour : si Ovide sert Amour, c’est en le rendant célèbre, c’est en se faisant son chantre, et non pas en aimant à vau-l’eau. Elle recourt à la ruse et au travestissement, comme lui, en jouant le rôle d’une précieuse pour tenter de séduire le « pousseur de bons sentiments » qu’est Hyacinthe :

Hyacinthe est cent fois plus heureux qu’il ne pense ;
Une jeune beauté, l’ornement de ces lieux,
Qui parmi ces Captifs conte des Demy-Dieux.
Connoissant vos vertus n’a point pour vous de hayne (II, 5, v. 606-609).

La galanterie et le libertinage ou l’influence d’Ovide sur le mythe de Don Juan §

Il est évident que la pièce de Gilbert Les Amours d’Ovide a eu une influence sur la pièce Le Festin de Pierre ou Dom Juan de Molière et donc indirectement, sur l’opéra Don Giovanni de Mozart. La pastorale occupe une place chronologique intermédiaire entre la pièce Del burlador de Sevilla de Tirso de Molina, qui date de 1630 environ, et l’importation du mythe de Don Juan en France. Par la suite, Molière a, quant à lui, synthétisé les aspects espagnols, transmis par les pièces italiennes et les traits de caractère du galant homme Ovide, décrit par Gilbert, ce qui était rendu possible par l’existence de nombreux points communs de nature entre le donjuanisme et la galanterie.    

On s’attachera donc dans cette partie à montrer l’influence du héros galant sur le personnage de Don Juan en France, c’est-à-dire à montrer la parenté de ces deux « types ».

Il faut noter tout d’abord que Dom Juan comme l’amant galant a pour ancêtre commun Ovide, comme le fait justement remarquer Gregorio Marañon, dans son œuvre intitulée Don Juan et le donjuanisme, en 1958 : « C’est à Rome qu’a été publié le premier manuel d’apprentissage donjuanesque, le plus cynique et le plus achevé, L’Art d’aimer, d’Ovide. Et Ovide lui-même fut un Don Juan avec toutes ses gloires, avec toutes ses misères et avec toutes ses équivoques »41.

En outre, comme l’Ovide galant, Don Juan n’est qu’un « exemplaire d’une des variétés de la faune amoureuse ». Il s’agissait bien en effet dans les comédies du XVIIe siècle de fonder le comique sur des types de caractère en les caricaturant le plus possible. Don Juan, quant à lui, est, comme Ovide, dans « l’indétermination juvénile », selon l’expression de Marañon. L’académicien espagnol entend par là que Don Juan aime dans son ensemble le sexe féminin et ne se livre jamais à un choix déterminé ; il ne différencie aucunement l’objet de son désir. Marañon emploie aussi l’expression de « légèreté versatile et innombrable ». On pourrait dire qu’il est un être assoiffé d’idéal féminin, incapable de se fixer et d’être rassasié. Cette tendance se double généralement, d’après Marañon, d’un certain narcissisme que nourrissent les victoires amoureuses successives. Les deux personnages rappellent souvent leur vaste expérience personnelle dans le domaine des intrigues amoureuses.

Don Juan fait ainsi preuve d’un certain héroïsme qu’il dirige contre l’organisation de la vie sexuelle par les bienséances. Ovide, lui, compris comme le parangon de la galanterie, se dresse contre les Précieuses et les « pousseurs de bons sentiments réactionnaires » ; comme on l’a vu précédemment, l’idéologie qu’il incarne se développe de manière essentiellement négative.

Pour faire de nouvelles conquêtes féminines, Don Juan, comme Ovide, se conforme à la maxime « La fin justifie les moyens ». C’est pourquoi, tous deux ne s’embarrassent pas de sincérité et promettent l’exclusivité de leurs sentiments à chaque femme qu’ils courtisent ; de même, afin de faire connaître leur mérite de séducteur aux autres femmes ils n’hésitent pas divulguer, à exagérer, voire inventer leurs succès amoureux. En effet la renommée est l’arme la plus efficace pour leurs nouvelles aventures. Ainsi Ovide fait-il croire à Hyacinthe dès le début de la pièce que Céphise a cédé à ses avances. Dans le même sens, les rivaux des deux séducteurs ne le sont qu’avant la possession de la femme désirée. Après, ils peuvent leur être utiles : dans Les Amours d’Ovide, l‘amour que Hyacinthe porte à Céphise sauve Ovide du péril du mariage.

Enfin pour les deux types amoureux, l’esprit est une qualité indispensable et joue un rôle très important dans leur pouvoir de séduction. Une certaine forme de stratégie est toujours mise en œuvre par Don Juan, de même qu’Ovide fait preuve continuellement de subtilité et d’ambivalence dans ses propos.

Ces nombreux traits de caractère communs sont mis en évidence par de fréquentes références intertextuelles à la pièce de Gilbert chez Molière et dans l’opéra de Da Ponte dont on en citera quelquesunes.

Par exemple, Sganarelle fait allusion à une liste des nombreuses conquêtes féminines de son maître, comme le fait Ovide lui-même :

Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne,
il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui ;
si je te disais le nom de toutes celles qu’il a épousées en divers lieux
ce serait un chapitre à durer jusqu’au soir. (I, 1, 67-71)

De son côté, Leporello donne lui une liste plus précise dans la scène 5 de l’acte I de Don Giovanni :

LEPORELLO (parlant à Donn’Elvira)

Eh ! consolez-vous,

Vous n’êtes pas, n’avez été et ne serez ni la première ni la dernière.

Regardez : ce livre qui n’est pas petit, est tout plein du nom de ses belles ; chaque ville, chaque bourg, chaque village est témoin de ses entreprises féminines.

Petite Madame, voici le catalogue que j’ai fait moi-même ;

Regardez, lisez avec moi.

En Italie six cent quarante, en Allemagne deux cent trente et une,

Cent en France, en Turquie quatre-vingt onze,

Mais en Espagne elles sont déjà mille et trois.

Il y a parmi celles –ci des paysannes, des femmes de chambre,

Des bourgeoises, il y a des baronnes, des marquises, des princesses

Et des femmes de tout rang, de toute forme, de tout âge.

Chez la blonde il a l’usage de louer la gentillesse ;

Chez la brune, la constance ; […]

Ces vers ne sont pas sans rappeler, la fameuse « Question d’amour », à laquelle Ovide ne sait répondre et qu’Amour prescrit de ne pas trancher, qui consiste à se demander qui est la plus aimable de la brune et de la blonde ainsi que tout le passage suivant de la pastorale :

OVIDE.
Mais pour se consoler, elle a quelque compagne
A Rome, dans la Gaule, en Affrique, en Espagne.
Comme je suis touché des rares qualitez,
Je fais par tout ma cour aux plus grandes beautez,
Et je veux quelque jour vous en donner la liste.
CEPHISE.
Nous y verrons les noms d’Olimpe, de Caliste,
D’Albine, d’Emilie.
OVIDE.
Et cent autres encore,
Dans l’Almanach* d’Amour je marque en Lettres d’or. (IV, 3, v. 1091-1098)

De même le vers suivant de Don Juan (III, 5) ressemble fort à ceux-ci d’Ovide :

Je ne me contrains point, ny ce que j’ayme aussi,
Je vis en liberté. (IV, 4, v. 1058-1059)

J’aime la liberté en amour, tu le sais,

et je ne saurais me résoudre à renfermer mon cœur entre quatre murailles.

Don Giovanni clame quand à lui « Vive la liberté ! » (I, 19) et affirme

Et moi pendant ce temps, de l’autrecôté, avec celle-ci et celle-là je veux faire l’amour. Ah ! ma liste demain matin d’une dizaine tu dois t’accroître (I, 14).

Don Juan considère également comme Ovide que l’attitude de l’amant fidèle est une injure faite à toutes les autres femmes qu’il ne courtise pas : il affirme ainsi à la scène 2 de l’acte I :

Toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’estre rencontrée la première, ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs […] l’amour que j’ay pour une belle, n’engage point mon cœur à faire injustice aux autres.42

Plus généralement, la tirade suivante de Don Juan est encore toute empreinte de l’influence de la galanterie et a de très nombreux accents gilbertiens évidents :

Quoi ! Tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus d’yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d’un faux honneur d’être fidèle, de s’ensevelir pour toujours dans une passion, et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non, la constance n’est bonne que pour des ridicules, toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. […] Quoi qu’il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que j vois d’aimable ; et dès qu’un beau visage me le demande, si j’en avais dix mille, je les donnerai tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l’amour est dans le changement. (I, 2, v.124-144)

Néanmoins, il faut être conscient que des différences majeures subsistent entre l’amant galant et Don Juan. Le héros espagnol, moliéresque ou Dapontesque lance perpétuellement un défi à la société, à l’Eglise et à Dieu. Cette dimension extrêmement subversive n’est pas du tout présente dans la galanterie, pour la simple raison qu’elle ne s’est développée que lorsqu’elle a reçu le soutien de la plupart des salons mondains de l’époque et que les écrivains galants ne pouvaient se risquer à se heurter à toute l’opposition des hommes d’Eglise, de la « vieille » cour et même du roi, hostile à tout renversement trop brutal des valeurs établies. La galanterie se joue constamment des Précieuses et du modèle tendre mais elle ne prêche pas la révolution : les galants se contentent de vouloir convertir le plus de prudes et de Précieuses possibles à leur divertissement avant tout verbal.

Comme le dit J.-M. Pelous, « le libertinage amoureux exerce [dans la deuxième moitié du XVIIe siècle] une tentation évidente mais se heurte néanmoins à quelque refus inconscient […] L’existence d’une littérature du libertinage supposerait une adhésion à cette faillite totale de l’amour traditionnel que postule l’attitude libertine ; la mentalité galante se refuse à cette extrémité et semble hésiter entre la réprobation et l’admiration »43. La révolte galante ne va jamais jusqu’à la rupture complète avec la morale. Les galants parlent beaucoup d’inconstance mais montrent les libertins du doigt. J.-M. Pelous synthétise très bien les rapports entre la galanterie et le donjuanisme en disant :

Entre le libertin et le galant homme, il n’y a sans doute que peu de différences ; railleurs, inconstants, impies à l’occasion, tous les deux le sont. Les mêmes traits se retrouvent chez l’un comme chez l’autre, mais ici poussés jusqu’à l’extravagance, là sagement tempérés par l’esprit et la raison. A la fois semblables et antithétiques, ils sont comme l’avers et le revers d’un même idéal. Mais le galant homme sait qu’il y a dans la galanterie une large part de jeu […]44.

Note sur la présente édition §

La présente édition a été établie à partir de l’exemplaire de la pièce de Gilbert disponible à la Bibliothèque de l’Arsenal. Il s’agit d’un volume de format in-12°. Il se présente ainsi :

[I] blanc

[II] blanc

[III] LES/AMOURS/D’OVIDE./PASTORALE/HEROIQUE./PAR MONSIEUR GILBERT, /Secretaire des Commandements de/la Reyne de Suède, & son/Resident en France. /A PARIS, / chez GUILLAUME DE LUYNE, /Libraire Juré, en la Galle-/rie des Merciers, à la Justice. /M.     DC.     LXIII. /AVEC PRIVILEGE DU ROY.

[IV] blanc

[V-IX] dédicace à COLBERT.

[X] privilège du Roi.

[XI-XII] Prologue des Grâces.

[XIII] Acteurs.

[XIV] Récit.

Pages 7-112 : Les Amours d’Ovide

(Les pages 1 à 6 ne sont pas numérotées et si on compte à rebours à partir de la page 7, la page 1 est la fin de la lettre à Colbert et la signature de Gilbert.)

On a pu consulter un autre exemplaire de cette édition à la Bibliothèque Sainte Geneviève, qui était accompagné au sein d’un recueil factice, d’un « poëme heroï-comique » écrit par Bonnecorse, intitulé Lutrigot, qui est une satire de l’œuvre de Boileau Le Lutrin, dont la première édition date de 1684. La seule différence entre les deux exemplaires est la place de la liste des acteurs : celle-ci se situe après le privilège dans cet exemplaire.

On a pu observer également à la Bibliothèque nationale de France un exemplaire de l’édition de Loyson. Il s’agit d’un volume in-12° en tous points identiques à l’édition de Guillaume de Luyne, à l’exception de la place de la liste des acteurs, qui se trouve là encore après le privilège et de la page I qui cite bien sûr le nom de Loyson et dont le « T » de GILBERT est effacé :

[I] LES/AMOURS/D’OVIDE./PASTORALE/HEROIQUE./PAR MONSIEUR GILBER, /Secretaire des Commandements de/la Reyne de Suède, & son/Resident en France. /A PARIS, / chez Estienne LOYSON, au palais/ à l’entrée de la Gallerie des Prison-/ niers, au nom de Jesus. /M.     DC.     LXIII. /AVEC PRIVILEGE DU ROY.

Il existe donc une seule édition parisienne et une édition hollandaise de la pièce de Gilbert, celle de Barbin et celle d’Elzevir à Amsterdam. En effet Barbin a reçu le privilège du roi et en a fait ensuite part à Guillaume de Luyne et Estienne Loyson ; il s’agit d’une édition partagée.

Corrections §

Les orthographes différentes d’un même mot ont été reproduites dans le respect du texte. En effet, de très nombreux mots ont des orthographes multiples dans le texte, ce qui ne peut pas être dû à des coquilles. Le tilde (~) a été remplacé par la lettre correspondante –m ou –n. Le –u et le –v, le –i et le –j, initialement confondus, ont été distingués. La ponctuation de l’édition originale a également été respectée dans la mesure où la ponctuation de l’époque ne répondait pas aux mêmes critères que celle d’aujourd’hui : il s’agit d’une ponctuation orale. La virgule marque ainsi un court temps d’arrêt; le point virgule et le point marquent une pause plus longue. Ces derniers servent parfois à souligner une articulation forte dans une phrase.

Enfin, diverses corrections sur des fautes d’orthographe et de ponctuation, et sur des erreurs de pagination ou de personnages manifestement dues à des coquilles, ont été apportées:

Dédicace IP. /Prologue à l’envie / v.43 Rival ! ?/ v.83 oubli de la virgule /p. 14 : p. 4 / v.87 eu /v.94 Parleur/ v.134 L’aurait /v.150 jugement des yeux grecs /v.168 interest /v.174 a /v.220 d l’esclat/ v.244 n’y l’arme

, un souspirs ? / v. 251 vast’en /v.251 r’appeler / v.282 j’en /v.318 lles/ v.334 se qui partage/v.336 maspaiser /v.359 la/ v.368 divine/ p. 37 : p. 73/ v.525 prénez /v.569 dans cette Isle/v.634 instruit moy/ v.636 que puisse / v.664 oubli du point après ingrat / v.771 rend /v.818 imposturs / v.830 avec / v.872 vaincu / v.872 hommage. /v.880 ou / v.947 d’orée / v.988 encore /v.997 faitretentir/ p. 77 : Liij/ v.1020 approchat /v. 1025 regardersans/ v. 1087 Masi/ v. 1070 seul/ v.1098 d’or./v.1122 vuider/ v.1131 CELIE / v.1137 ambaras /v.1142 fraideur/ p. 88 : p.86/ v.1167 l une/ v.1195 tout lemonde/ v.1200 void/ v.1238 où/ v.1248 a/ v.1302 labeauté/ v.1336 en faveur des constans ; /v.1372 sexed’une humeur, v.1375 treuve, v. 1400 J’esproune/ v.1418 qui la remportée/ v.1429 craire/ v.1470 At / v.1487 Hyacinthe./v.1527 réporte/ v.1543 d’elle / v.1548 avec / v.1558 encore / v.1584 des /v.1645 eux/ p. 110 : p. 10

LES
AMOURS
D’OVIDE.
PASTORALE HEROIQUE. §

[A ij]

A MONSEIGNEUR
COLBERT
CONSEILLER DU ROY
En tous ses Conseils, & Intendant
De ses Finances. §

MONSEIGNEUR,

Il y a long-temps que j’aurois pris la liberté de vous dedier quelques-uns de mes ouvrages, sans les grandes affaires qui vous occupent continuellement ; cela me faisait apprehender de vous dérober quelques-uns de ces momens precieux que vous employez à executer les ordres du Roy. Mais comme feu S.E45 a bien voulu quelquefois se delasser l’esprit dans la lecture de mes écrits ; j’ai crû que vous n’auriez pas desagreable que j’eusse l’honneur de vous presenter celuy-cy, & que j’entreprisse quelque jour de faire vostre Eloge. Vous ne pouviez jamais avoir une marque plus infaillible de vostre merite*, que l’estime* que ce grand Ministre a faite de vous, & le choix que S.M 46 en a fait en suite pour l’administration de ses finances, la chose la plus delicate & la plus importante d’un Estat. Les Romains qui estoient de sages Politiques, éprouvoient par ces charges la fidelité & la suffisance* de leurs Citoyens ; Il vous est fort glorieux, MONSEIGNEUR, que ce soit dans le temps que vous avez le maniement des finances que la France ait commencé à faire des largesses, & que le Roy ait répandu ses libéralitez sur la fleur* des gens de Lettres de ce Royaume, & les actions illustres* des plus grands Monarques ne suffisent pas pour les rendre immortels, si quelqu’un ne prend soin d’en conserver la memoire. Mais ces excellents Genies sur qui S.M a fait éclater* ses bienfaits, n’en seront pas ingrats, & feront retentir son Nom de siecle en siecle, & d’un bout du monde jusques à l’autre. Le regne de Louys XIV se rendra plus fameux à la posterité que celuy du II. des Cesars47 : sous la domination d’un Prince plus parfait qu’Auguste, les Armes & les Sciences fleuriront dans cét Empire avec plus d’éclat* qu’elles n’ont fait autrefois dans Rome. Ovide, cét illustre* malheureux, après en avoir esté injustement exilé, vient chercher un azile dans cette Cour ; il espere estre mieux receu en France que dans sa propre patrie & se promet* que vous aurez la bonté d’estre son Protecteur : son crime n’est que d’avoir esté trop galant*, & d’avoir enseigné un Art, sans qui la moitié du monde seroit ennemie de l’autre. Ce Chevalier Romain ayant faire l’Art de plaire, qui a esté admiré de toute la terre ; j’ai crû que je pourrois faire une Comedie de luy, qui ne déplairoit pas. Depuis plusieurs années j’ay mis en lumiere divers Escrits en vers & en prose, sans en avoir tiré autre avantage que de les avoir presentez à ce que la France avoit de plus Auguste & de plus Eminent. Bien que nous soyons dans un temps où les Muses sont mieux traitées par les Graces ; de quelques maniere que l’on considere mes ouvrages, je m’estimeray assez heureux, si vous ne me refusez pas l’honneur de vostre protection*, & si vous me permettez de prendre la qualité,

MONSEIGNEUR,

De vostre tres-humble & tres-obeïssant serviteur,

GILBERT.

EXTRAICT DU PRIVILEGE du Roy. §

Par Grace* & Privilege du Roy donné à Paris le dix-neufiesme Juillet 1663.signé par le Roy en son conseil MARESCHAL; Il est permis à CLAUDE BARBIN, Marchand Libraire, de faire imprimer, vendre & débiter* une Comedie intitulée, Les Amours d Ovide par Monsieur Gilbert, & ce durant le temps & espace de sept ans ; & deffences sont faites à tous les autres d’ imprimer, vendre et debiter* ledit livre sans permission dudit Barbin, à peine de mil livres d’amande, & de tous despens, dommages & interets, comme il est porté plus amplement par lesdites Lettres.

Et ledit Barbin a fait part de son Privilege à Guillaume de Luyne, & Estienne Loyson, pour en jouir le temps porté par iceluy.

Achevé d’imprimé pour la premiere fois le 20 Aoust 1663.

PROLOGUE
DES
GRACES. §

TALIE, une des GRACES48.

Nous sommes de Venus les compagnes fidelles,
Qui venons presider aux festes solemnelles,
Que l’Amour, pour charmer* ses regrets infinis49,
Fait celebrer dans Cypre en l’honneur d’Adonis50.
De cinq ans en cinq ans, une pompe* si belle
Par l’ordre de Venus tousjours se renouvelle :
Le premier jour on donne un pris à la beauté51 ;
Le second à l’amant* qui l’a mieux mérité ;
Et le troisiéme jour cette Isle fortunée*,
Voit descendre du Ciel le pompeux* Hyménée52,
Qui joint de nœuds sacrez & de chaisnes d’aymant,
La plus parfaite Nymphe au plus parfaict Amant*53.
Afin qu’heureusement on aborde en cette Isle,
Tant que la feste dure, on voit la mer tranquille :
Et les petits Amours de roses couronnez54,
Tiennent dessus les flots tous les vents enchaisnez :
Excepté seulement le gracieux* Zephiré*55,
Qu’Eole laisse en paix regner dans son Empire56,
Qui prend soin des Vaisseaux qui voguent vers ce bord,
Et d’un soufle amoureux les conduit dans le port.
Mais parmi tant d’Amans & d’illustres Amantes,
Qui brillent à l’envi de qualitez charmantes*,
Et de toutes les Cours viennent dans cette Cour*,
Afin de disputer* les Couronnes D’Amour,
Ovide avec Corinne, Hyacinthe & Cephise,
A qui ce Dieu vainqueur a ravi la franchise*,
Sont les plus renommez qui vivent sous ses loix
Et sont les seuls aussi dont nous avons fait choix,
Ce Grec & ce Romain, tous deux d’illustre* race,
Desguisez en pasteurs* auront beaucoup de grace*,
Et la Mere d’Amour en faveur d’Adonis*57,
Veut que sous ces habits on dispute les prix.

2.GRACE.

Allons donc, donner ordre* à la Ceremonie58.

3.GRACE.

Pour combler les Amans d’une gloire* infinie,
De l’élite* des fleurs qui naissent dans ces lieux59,
Allons pour couronner leurs fronts victorieux60.

ACTEURS. §

  • LES GRACES.
  • OVIDE. Chevalier Romain.
  • CORINNE. Maistresse* d’Ovide Dame Romaine.
  • CEPHISE, Nymphe de l’Isle de Cypre.
  • HYACINTHE, Amant* de Cephise
  • MAXIME, Confident* d’Ovide.
  • DAPHNIS, Confident* d’Hyacinthe.
  • AMINTE, Confidente* de Cephise.
  • CELIE, Confidente* de Corinne
  • L’AMOUR, Finit la Piece.
La Scene est en l’Isle de Cypre, dans les Jardins d’Adonis.

RECIT. §

Venez, Amans, dans ces beaux lieux,
Où par l’ordre de Citherée61
Les Graces descendent des Cieux,
Pour venir presider à la Feste sacrée ;
Venez voir Triompher sur les flots applanis
Venus & les Amours en faveur d’Adonis.
{p. 7}

ACTE I §

SCENE PREMIERE. §

HIACINTHE, OVIDE.

HIACINTHE.

Et bien, que dites-vous de cette Isle sacrée,
Des plus beaux feux du jour en tous temps esclairée62,
Où regnoit Adonis, où Venus tient la Cour* ;
Où l’on vient disputer* des Climats* d’alentour,
5 La Pomme d’or qu’Amour donne à la plus parfaite ;
Où ce Dieu recompense une flame* discrette ;
Où celle qu’on couronne icy publiquement,
Elle mesme est le prix du plus parfait amant* ?
La ville des Cesars est-elle plus galante* 63 ?
10 Qu’en croit Ovide enfin ?
{p. 8}

OVIDE.

Cette Isle est plus charmante* ;
Ses heureux habitans pour la gloire* sont nez,
Et de tous les mortels sont les plus fortunez*.
Rome ne voit les Dieux qu’en statuë, en peinture,
Ils sont presens en Cypre, & non pas en figure*64.
15 La Celeste Venus, & les Graces encor
Font dans ce doux climat* revoir le siecle d’or65.
Le soleil n’y produit que d’agreable choses,
Les champs y sont couverts de Myrrhes & de Roses ;
Des ruiseaux de cristal coulant parmi les fleurs
20 Conservent leur fraicheur & leurs vives couleurs ;
Il n’est rien de plus doux que l’air qu’on y respire,
Tout y rit, tout y plaist, d’aise l’on y souspire ;
Et des bois d’orangers sont des nuits en plain jour,
Où l’on peut decider* tous les doutes* d’Amour.

HYACINTHE.

25 Nos Nymphes à vos yeux sont-elles agreables ?

OVIDE.

Vos Nymphes à mes yeux sont toutes admirables*,
La blancheur de la neige éclate sur leur tein
Et leur levre est d’un feu qui jamais ne s’esteint ; [B ; 9]
De leur esprit charmant* l’entretien* est si rare,
30 Que c’est un labyrinthe où la raison* s’égare ;
On ne peut sans peril voir souvant tant d’appas*.

HYACINTHE.

Ovide s’en plaint-il ?

OVIDE.

Non, je ne m’en plains pas.

HYACINTHE.

Vous sçavez adoucir la beauté la plus fiere*,

OVIDE.

Si je me puis vanter de sçavoir l’art de plaire66,
35 Le secret est d’aymer, si l’on veut estre aymé.

HIACINTHE.

Quelque Nymphe en ces lieux vous a-t-elle charmé* ?

OVIDE.

La plus belle, Hiacinthe a ravy ma franchise*.

HIACINTHE.

Mais quelle est-elle enfin ?
{p. 10}

OVIDE.

C’est l’aymable* Cephise.

HIACINTHE.

Vous aymeriez Cephise ! ah ! je ne le croy pas.

OVIDE.

40 Quoy ! pour se faire aymer, manque-t’elle d’appas* ?

HIACINTHE.

Elle n’en a que trop, elle n’est que trop belle.

OVIDE.

Pourquoi doutez*-vous donc, que je brulle* pour elle ?

HIACINTHE.

Mon plus parfait amy seroit-il mon Rival ?

OVIDE.

L’Amour & l’amitié ne s’accordent* pas mal ;
45 Car comme l’amitié naist de la ressemblance,
Celle à qui vous pensez, est celle à qui je pense67.
{p. 11}

HIACINTHE.

Afin de destourner ce fatal* accident*,
D’abord* de mon Amour je vous fis confident*,
Et vous dis que mon cœur souspiroit pour Cephise.

OVIDE.

50 J’usay vers vous d’abord* de la mesme franchise*,
Et vous dis que Corinne avoit sceu m’enflammer*.

HIACINTHE.

Mais je ne l’ayme pas.

OVIDE.

Vous la pouvez aymer,
Sans que pour ce sujet Ovide vous querelle*.

HIACINTHE.

Je n’ayme que Cephise, & je luy suis fidelle ;
55 Mais mon Amour est grand, il est né dés longtemps68.

OVIDE.

J’ayme autant en un jour, qu’un autre ayme en dix ans.
{p. 12}

HYACINTHE.

Pour demeurer amis que devons-nous donc faire ?

OVIDE.

Continuer tous deux de tascher* à luy plaire,
Et que le moins heureux la cede à son Rival,
60 Sans en estre jaloux, ni luy vouloir de mal ;
Puis qu’elle est à nos yeux esgallement* aymable*69,
Prenons donc ce party* que je croy raisonnable*.

HYACINTHE.

J’y consens volontiers.

OVIDE.

Et moy pareillement.
Depuis cinq ans entiers qu’Hyacinthe est amant*70,
65 Parlons en vrais amis sans user de finesse*,
A-t’il quelques faveurs* de la belle Maistresse* ?

HYACINTHE.

Nulle.

OVIDE.

Je ne la sers* pour moy que depuis peu,
Et devant ses beaux yeux j’ay fait briller* mon feu* :
Mais malgré sa pudeur* & sa vertu* severe*,
70 A mon ardente* Amour elle n’est point contraire71, {p. C ; 13    }
Et pour me tesmoigner qu’elle m’ayme en effet,
C’est qu’elle a bien voulu recevoir mon portrait.

HYACINTHE.

Je ne puis aisement croire* cette nouvelle.

OVIDE.

Elle porte un miroir dont la glace est fort belle,
75 Mon portrait est derriere, & vous le pourrez voir
En tirant le ressort fort facile à mouvoir ;
Vous pouvez aisement voir Cephise à toute heure72,
Puisque nous habitons cette aymable* demeure,
Et que ceux qu’on choisit pour disputer* les prix,
80 Logent durant la feste aux Jardins d’Adonis.
L’habit que nous portons donne quelque licence*73.

HYACINTHE.

Des mœurs du premier siecle il fait voir l’innocence74 ;
Encor qu’il soit modeste*, il est fort glorieux*75[,]
L’Amour change en Bergers les Heros & les Dieux76.
85 Mais j’apperçoy Cephise & Corinne avec elle. {p. 14}

OVIDE.

Il faut dissimuler nostre illustre* querelle* ;
Vous ayant en amy descouvert mon secret,
Vous sçaurez en user* en confident* discret.

SCENE II. §

OVIDE, HYACINTHE, CEPHISE, CORINNE, AMINTE, CELIE.

OVIDE.

Nous venons admirer vostre rare merite*,
90 Et nous avions dessein de vous rendre visite,
Mais vos esprits charmants*, dont les cœurs sont tentez77,
Sont des traits* dangereux contre nos libertez.
L’agreable Cephise & l’aymable* Corinne,
Par leur majesté* douce & leur grace* divine,
95 Des deux sexes vaincus triomphans dans ce jour,
L’un pleure de despit*, & l’autre meurt d’amour78.

HYACINTHE.

Ovide, à qui vos yeux ont causé tant de peine,
Prise* la beauté Grecque & la beauté Romaine, {p. Cij ; 15}
Et croit que toutes deux on vous doit couronner ;
100 Les Graces toutesfois n’ont qu’un prix à donner.

CORINNE.

La parfaite beauté, dont mon sexe se pique*,
De mesme que le prix, icy bas est unique.

HYACINTHE.

Chaque beauté diverse a sa perfection79,
Selon le goust divers de chaque nation.
105 Le Danube & le Pô vantent dessus leurs rives,
Avec les cheveux blonds les couleurs les plus vives,
Mais avec un teint brun, l’air* & la majesté*,
Remportent chez les Grecs le prix de la beauté.
Celuy qu’avec justice on donne dans cét Isle,
110 A qui veut l’obtenir est assez difficile :
Il faut pour meriter un prix si glorieux*,
Les charmes de l’esprit & la douceur des yeux80 ;
La pomme qu’on reçoit par les mains de Thalie,
Est pour la plus aymable* & la plus accomplie*.

OVIDE.

115 Mais il en faudrait deux pour ces rares beautés81,
Qui brillent à l’envy d’aymables* qualitez ;
Pour rendre la justice, & plaire à tout le monde,
Il faudrait couronner & la brune, & la blonde. {p. 16}

CEPHISE.

S’il n’est qu’une beauté, qu’une Venus aux Cieux,
120 Ovide sur la Terre en peut-il trouver deux82 ?

OVIDE.

Je les rencontre en vous par un bonheur extreme,
Mon sentiment s’accorde* avec le vostre mesme83 ;
Si l’une & l’autre aspire au prix qu’on donne icy,
Vous croiez toutes deux le meriter aussi84.

CEPHISE.

125 Cent Nymphes avec nous à cét honneur pretendent*,
Et de tous les costez à cét Isle se rendent ;
Mais les Graces de qui nous recevons la loy,
Ont fait choix seulement de Corinne & de moy,
Je puis de leurs faveurs* m’esbloüir la premiere ;
130 Si cét heureux Climat* dont je tiens la lumiere85,
N’avoit accoustumé* de remporter le prix86,
Jamais ce doux espoir n’eut flatté* mes esprits,
Sans l’amour du païs, qui dans mon cœur domine,
J’aurais voulu ceder cét honneur à Corinne,
135 Voyant en ma Rivale esclatter tant d’appas* ;
Quoy qu’il puisse arriver, je n’en rougiray pas,
Soit que je sois vaincuë, ou que je la surmonte*,
J’auray beaucoup de gloire*, ou j’auray peu de honte*. {p. Ciij ; 17}

CORINNE.

A vos rares beautez on doit tout accorder* 87;
140 Quoy que jusques icy rien ne m’ait veu ceder,
Je n’aurois pas voulu vous disputer* la pomme,
Pour mon seul interest*, sans interest* de Rome.
Mais ma gloire* estant jointe à celle des Romains,
Qui se font admirer entre tous les humains,
145 Je dois pour leur honneur faire voir à la terre,
Qu’ils triomphent en paix, ainsi que dans la guerre88.
L’amour de mon païs m’embraze comme vous,
Et me flatte* l’esprit d’un espoir aussi doux ;
Bien que de mille attraits* esclatte ma rivale89,
150 Qu’au jugement des Grecs, elle soit sans esgalle90,
Et que de toutes parts on vienne l’admirer,
Je crains moins toutesfois que je n’ose esperer ;
Soit que je sois vaincuë, ou que je la surmonte*,
J’auray beaucoup de gloire*, ou j’auray peu de honte*.

OVIDE.

155 Les desirs de la gloire* esgaux entre vous deux,
Sont pour vostre amitié des escueils dangereux,

CEPHISE.

Nostre amitié n’est pas comme l’amour d’Ovide
Sujet au changement, elle est pure & solide. {p. 18}

CORINNE.

Ouy, nous servons d’exemple aux plus parfaits amans,
160 Nous avons toute deux les mesmes sentiments,
Nous n’avons l’une & l’autre & qu’un cœur, & qu’une ame.

OVIDE.

Vous osez comparer vos froideurs* à ma flamme,
Vostre amitié de glace à mon ardante* amour ?
Si je m’expliquois mieux, je ferois mal ma Cour*91.

CORINNE.

165 Achevez, achevez, dites tout sans rien craindre.

HYACINTHE.

Croiez-vous que leurs cœurs soient capables de feindre* ?

OVIDE.

Ouy leur sexe jamais ne s’ayme à bien parler92,
Il y a trop d’interests* sans cesse à demesler* ;
Sa beauté, ses amans, & l’amour de la gloire*,
170 Le desir d’emporter en tous lieux la victoire,
Et sa grande fierté* qui ne veut rien ceder93,
Avec l’amitié ne peut s’accorder*.
Pour m’expliquer encor avec plus de franchise*,
Corinne asseurément ne plaist point à Cephise, {p. 19}
175 Ny Cephise à Corinne, & son cœur en secret
Hait ce qu’elle a d’aymable*, & le voit à regret.
Plus leur merite* est grand, plus leur charme est visible,
Et plus leur jalousie est grande, est invincible.
Mais je sçay un secret admirable* pour vous,
180 D’aymer parfaitement94.

CEPHISE.

Quel est-il ?

OVIDE.

Aymez nous,
Aymez, aymez Ovide, & l’aymable* Hyacinthe95,
Car pour vostre amitié ce n’est rien qu’une feinte*,
L’on la verra finir avant la fin du jour,
Quand les Graces seront au Tribunal d’Amour,
185 Et que l’on vous verra briller* en leur presence,
Vous n’aurez plus alors aucune complaisance* ;
Mais pour joüir d’un bien plus durable & plus doux,
Ne dissimulez plus, l’une & l’autre aymez nous.

CEPHISE.

Il y faudra penser.

OVIDE.

Et vous belle Corinne
{p. 20}

CORINNE.

190 J’y veux penser aussi.

OVIDE.

Ne faites point la fine*,
Mais pensez tout de bon, sans croire* les flatteurs*,
Que la beauté n’est rien sans les adorateurs ;
Les Dames ont raison d’apprehender leur perte,
L’Amante sans Amans n’a qu’une Cour* deserte :
195 Et les yeux les plus beaux, sans le flambeau d’Amour
Sont aussi mal-heureux que des peuples sans jour.
Où voulez-vous aller ?

CORINNE.

Au bord de la fontaine.

OVIDE.

Je vais vous y conduire, agreable inhumaine.
{p. D; 21}

SCENE III. §

CEPHISE, HYACINTHE.

CEPHISE.

Ovide ne sçauroit la quitter un moment,
200 Il tesmoigne par là, comme il l’ayme ardemment.

HYACINTHE.

Il ne l’ayme pas seule, & quelqu’autre l’engage*.

CEPHISE.

Je connois son humeur*, il est un peu volage ;
Bien qu’il ayme à changer, Corinne a des appas*
Qui peuvent l’arrester.

HYACINTHE.

Elle n’en manque pas.

CEPHISE.

205 Pour elle il a laissé la Princesse Julie,
Et pour la suivre en Cypre il quitte l’Italie.
{p. 22}

HYACINTHE.

Il ne vient en ces lieux que pour voir les beautez,
Que cette feste attire icy de tous costez.

CEPHISE.

Je sais qu’il est galand*, qu’à chacune il en conte ;
210 Depuis un mois au plus qu’il est dans Amathonte96,
Pour diverses beautez on l’a veu souspirer,
Et son cœur à plus d’une ose se declarer ;
Lors que* de quelque appas* une Nymphe est pourveuë,
Dés qu’il la voit, il l’aime.

HYACINTHE.

Ovide vous a veuë.

CEPHISE.

215 Il me vient visiter, sans qu’il me soit suspect,
Je sçais à qui m’approche inspirer le respect.

HYACINTHE.

Si vos grandes vertus font que l’on vous admire,
Vostre merite* aussi fait que chacun souspire.
Vos appas* sont si doux, vos regards si charmans,
220 Qu’ils donnent de l’esclat* aux moindres ornemens97, [ 23]
De ce miroir sur vous la glace paraist belle.

CEPHISE.

La bordure en est riche, & la façon nouvelle,
Et le Preteur m’en fit present hier au soir98.

HYACINTHE.

Le peut-on voir de pres ?

CEPHISE.

Oüy, vous le pouvez-voir.

HYACINTHE.

225 Un present si galand ne vous doit* pas desplaire.

CEPHISE.

Il falut l’accepter par l’ordre de mon pere,
Et sans son ordre expres* je l’aurois refusé,
Il eut peû s’offenser, & je n’ay pas osé.

HYACINTHE, voyant le portraict d’Ovide.

Dieux, qu’est-ce que je voy ! ma surprise est extréme !
{p. 24}

CEPHISE.

230 Que regardez-vous tant ?

HYACINTHE.

Regardez-le vous mesme ?

CEPHISE.

C’est le portrait d’Ovide.

HYACINTHE.

Ah ! n’en rougissez pas ;
Et si l’original a pour vous des appas*99,
Contentez vos desirs, gardez-en la peinture :
Il faut bien me resoudre à souffrir* cette injure* ;
235 Puisque vous le voulez.

CEPHISE.

N’en soiez point jaloux.
Je suis plus estonnée & surprise que vous ;
J’ignorois qu’un portrait…

HYACINTHE.

N’en soiez point confuse*,
Et vers un mal-heureux ne cherchez point d’excuse.
Faut-il qu’un Estranger arrivé sur ces bords,
240 Qui n’a point ressenty mes amoureux transports*. [E ; 25]
Rende par son bonheur mes esperances vaines,
Me ravisse en un jour le fruit de tant de peines,
Et m’oste pour jamais l’objet* de mes desirs,
Sans qu’il lui couste helas ! ni larme, ni souspirs ?
245 Avant que mon Rival acheve mes disgraces*100,
Nous paraistrons tous deux au Tribunal des Graces ;
Et si leur juste Arrest ne me vient secourir,
J’auray du cœur assez pour vaincre, ou pour mourir.

SCENE IV. §

CEPHISE, AMINTE.

CEPHISE.

Il s’en va sans m’oüir, & me laisse confuse*,
250 Et malgré ma vertu* mon silence m’accuse.
Aminte ; cours apres, vas t’en le rappeller,
Dis luy mes desplaisirs*, que je luy veux parler101.
Mais ce seroit en vain ; que luy puis je respondre ?
Sa presence ne peut servir qu’à me confondre.
255 Vas t’en plutost chercher Ovide promptement,
Qu’il me vienne trouver sans tarder un moment
Il se promene au parc ; vas, cours en diligence*. {p. 26}

SCENE V. §

CEPHISE, seule.

De ce perfide Amant* je veux prendre vengeance,
Luy seul asseurément m’a fait ce lasche trait ;
260 Par addresse au miroir il a joint son portrait,
Et veut persuader avec cette imposture,
Que l’original plaist dont on a la peinture.
Ah ! si je le convainc* de ce crime, ô Dieux !
Je le veux pour jamais eloigner de mes yeux ;
265 Ovide sentira jusqu’où va ma colere.    265
Mais puis-je le bannir sans irriter mon pere ?
Il prend son interest*, parce qu’il est Romain,
Et voudroit m’obliger à luy donner la main102.
Bien qu’aux plus grands de Cypre il doive sa naissance,
270 D’un simple Chevalier il cherche l’alliance
Afin d’avoir l’appuy de Rome & du Preteur.
Un crime est-il si grand, dont l’amour est autheur103 ?
Mais puis-je le souffrir* après un tel outrage ?
Ovide est un trompeur, un perfide, un volage.
275 D’une fausse faveur* s’il s’est desja vanté,
Que ne diroit-il point, s’il estoit mieux traité ?
Je veux pour m’en vanger, & montrer mon addresse,
A qui m’oste un Amant*, oster une Maistresse*. [Eij ; 27]
Mais je le voy paroistre, il faut l’entretenir*,
280 Et cacher le dessein que j’ay de le punir.

SCENE VI. §

CEPHISE, OVIDE.

CEPHISE.

De vostre procedé je suis fort en colere.

OVIDE.

Si je n’ay jamais eu dessein que de vous plaire,
Je ne puis deviner d’où naist vostre courroux.

CEPHISE.

Ce pourtrait-là vient-il du Preteur, ou de vous ?

OVIDE.

285 Ce pourtrait vient de moy, n’en soyez pas surprise ;
M’estant donné moy-mesme à la belle Cephise,
Je pouvois bien encor luy donner mon pourtrait.
{p. 28}

CEPHISE.

Pouviez-vous m’offenser par un plus lasche trait ?
Par cette invention, par ce beau stratageme,
290 Vous voulez faire croire* à chacun qu’on vous ayme.

OVIDE.

Si l’on vouloit m’aymer, je serois fort discret,
Et je n’en parlerois non plus que mon pourtrait104.

CEPHISE.

Vous n’en avez pas fait confident* Hyacinthe.

OVIDE.

C’est donc-là le sujet qui cause vostre plainte ;
295 Vous ne craignez donc pas, à parler franchement,
La perte de l’honneur, mais celle d’un Amant*;
Vous estes de l’humeur* dont sont toutes les belles,
Qui faisant tous les jours des conquestes nouvelles,
N’ayment pas à rien perdre, & veulent chaque jour
300 Augmenter leur Empire, & voir grossir leur Cour*.
Pour nuire à mon rival, si mon pourtrait le chasse
Cephise n’y pert rien, car je remplis la place ;
Sans faire trop le vain* je pourrois me vanter,
D’en estre moins indigne & la mieux meriter :
305 Vous n’emportez sur luy qu’une obscure victoire105 ; [Eiij ; 29]
Je puis plus noblement servir à vostre gloire*.
Et mon ardent* amour connu de toutes pars,
Qui m’a rendu fameux à la Cour* des Cesars,
Pour vous adorer seule & vivre dans vos chaines,
310 Veut mespriser pour vous les plus belles Romaines,
Ces superbes* beautez qui troublent le repos
Des plus sages mortels & des plus grands heros ;
Pour faire plus d’honneur à Cephise, à la Grece,
Je quitteray pour vous une Auguste Princesse106,
315 De qui tout l’Univers doit recevoir la loy,
Et vous triompherez & de Rome & de moy.

CEPHISE.

Vous mesprisez pour moy ces illustres* Amantes,
Vous me les immolez lors qu'*elles sont absentes,
Ces superbes* beautez ; mais à vostre retour
320 Vous me sacrifirez tout de mesme* à mon tour.

OVIDE.

Qu’à croire* mon Amour vous estes difficile !
Vous en faut-il donner des preuves dans cette Isle ?
Voulez-vous que pour vous j’abandonne Phriné,
Breseïs, Celimene, Amarante, & Daphné ?
325 Ces Nymphes apres vous sont dans Cypre vantées.

CEPHISE.

Vostre esprit inconstant les a desja quittées.

OVIDE.

Que dois-je faire donc ? commandez librement. {p. 30}

CEPHISE.

Il faut abandonner Corinne seulement.

OVIDE.

Entre tant de beautez pourquoi choisir Corinne ?

CEPHISE.

330 Parce qu’en vostre cœur je croy qu’elle domine.

OVIDE.

C’est vostre illustre* amie.

CEPHISE.

Et vostre amante aussi.

OVIDE.

Apres avoir fait voir mes respects jusqu’icy,
Je ne puis me resoudre à luy faire un outrage.

CEPHISE.

Et moy je ne veux point d’un cœur qui se partage

OVIDE.

335 De cet ordre cruel je suis un peu surpris. {p. 31}

CEPHISE.

On ne peut toutesfois m’aspaiser qu’à ce prix.

OVIDE.

Un billet luy dira ce que je n’ose dire.

CEPHISE.

Au sortir de ces lieux vous le pourrez escrire.
Je le feray tenir apres fort seurement107.

OVIDE.

340 J’en prendray bien le soin, n’en doutez* nullement.

CEPHISE.

Non, non, je veux le voir, & l’envoyer moi-mesme.

OVIDE.

C’est trop se deffier* d’un Amant* qui vous ayme.

CEPHISE.

Je le veux.

OVIDE.

Je rendray vos desirs satisfaits. {p. 32}

CEPHISE.

Vous me l’envoyrez donc.

OVIDE.

Ouy, je vous le promets.

CEPHISE.

345 Mais puis-je m’assurer sur de telles promesses,

OVIDE.

Vous seule l’emportez sur toutes mes Maistresses*
Et mon esprit touché d’un charme si puissant.
Si c’estoit trop peu d’une en immoleroit cent.
[F ; 33]

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

CEPHISE, AMINTE.

CEPHISE.

Tu dis qu’on a rendu le billet à Corinne,
350 N’a-t-on point observé qu’elle eut l’humeur* chagrine* ?

AMINTE.

On n’a rien remarqué dans tout son entretien*.

CEPHISE.

Corinne a de l’esprit, & dissimule bien ;
Pour ne luy plus laisser aucun sujet de plainte,
As-tu desabusé le constant Hyacinthe ?
355 Du trait qu’on m’a joüé, sçait-il la verité ?

AMINTE.

Daphnis m’est venu voir, à qui j’ay tout conté, {p. 34}
C’est le meilleur amy qu’il ait dans toute l’Isle.

CEPHISE.

C’est assez.

AMINTE.

Mais ce soin me paroist inutile
De le desabuser, si vous ne l’aymez pas,
360 Si ce fidel Amant* est pour vous sans appas*.

CEPHISE.

J’ay destourné l’effet de son dessein funeste*,
Quand on a de l’esprit, l’on devine le reste108.

AMINTE.

Il a fort constamment adoré vos beautez109 ;
Mais Ovide fait voir cent rares qualitez,
365 Il a l’air* fort galand, & l’esprit admirable*.

CEPHISE.

S’il estoit moins changeant, il seroit plus aymable*.

AMINTE.

Duquel des deux Rivaux recevez-vous les vœux ?

CEPHISE.

Je ne t’en diray rien, devine si tu peux ; {p. 35}
Je ne ressemble point à ces faibles Amantes,
370 Qui dans leurs passions* veulent des confidantes* ;
Et si jamais d’aymer je prenois quelque soin,
Je ne voudrois avoir que mon cœur pour tesmoin.

AMINTE.

Avec ce noble orgueil vous estes fort à plaindre,
S’il faut aux yeux de tous sans cesse vous contraindre.
375 Et mal traiter souvent un Amant* qui vous plaist.

CEPHISE.

Finissons ce discours, car Corinne paraist,
Et vient confidemment me dire une nouvelle,
Dont je suis l’origine, & que je sçais mieux qu’elle.
{p. 36}

SCENE II. §

CEPHISE, CORINNE, AMINTE.

CEPHISE.

Qu’avez-vous fait d’Ovide ? où l’avez-vous laissé ?
380 A vous suivre partout il fait fort l’empressé*.

CORINNE.

Depuis qu’il m’a conduite au bord de la fontaine,
Je ne l’ay point reveu, ny n’en suis point en peine.

CEPHISE.

Quand il ne vous suit pas, c’est un fort grand hazard*.

CORINNE.

Je viens de recevoir un billet de sa part.

CEPHISE.

385 Où sans doute* il vous peint son ardeur amoureuse.
[G ; 37]

CORINNE.

Je veux vous le montrer.

CEPHISE.

Je suis peu curieuse110
De sçavoir vos secrets.

CORINNE.

Je n’en ay point pour vous,
Vous aurez du plaisir à voir ce billet doux.

CEPHISE.

Puis que vous le voulez, je m’en vais donc le lire

AMINTE, à Cephise tout bas.

390 C’est ce que par vostre ordre Ovide vient d’escrire.

PREMIER BILLET.
à Corinne.

Corinne, si vostre merite*
Est dans Rome admiré de tous,
La Nymphe pour qui je vous quitte,
Brille dans ces lieux plus que vous ;
395 Sans m’accuser d’estre infidelle, {p. 38}
Pour aymer ce que Cypre a de plus glorieux*,
Accusez seulement la nature & les Dieux,
Qui vous firent naistre moins belle.

Ovide.

CORINNE, apres que Cephise a leu le billet.

Le procedé d’Ovide & bien vous surprend-il ?

CEPHISE.

400 Il est fort peu galand, & beaucoup incivil*.

CORINNE.

Il me donne congé d’assez mauvaise grace*.

CEPHISE.

Ah ! je m’en vengerais estant en vostre place,
Et quoy qu’il me pût dire apres de pareils traits
Avecque moy jamais il ne feroit la paix :
405 On a de mauvais* yeux alors qu’on vous mesprise.

CORINNE.

De ce second billet vous serez plus surprise,
Que luy mesme m’avoit escrit auparavant.

CEPHISE.

S’il est du mesme stile, il escrit trop souvant. [Gij ; 39]

CORINNE.

Vous verrez.

SECOND BILLET
A Corinne.

CEPHISE.

410 Quand je vous escriray que je manque de foy*,
De ce billet forcé ne soyez point surprise,
Imputez ce crime à Cephise,
Et n’en blasmez l’Amour, ny moy ;
Plaignez un mal-heureux dans cette conjoncture,
415 Et de vostre Rivale accusez la rigueur ;
Je luy prestay ma main pour vous faire une injure*,
Mais pour vous en vanger je vous donne mon cœur.

Ovide.

CEPHISE, ayant leu le second billet.

Il nous joüe*, & la galanterie*,
A ne rien desguiser, passe* la raillerie ; {p. 40}
Il faut pour le punir, nous vanger toutes deux,
420 Si Corinne y consent.

CORINNE.

De bon cœur je le veux ;
Mais pour bien reüssir comment faudra-t’il faire ?

CEPHISE.

Il faut dissimuler nostre juste colere,
Et luy dire en raillant, pour tromper ce trompeur,
Que nous voulons sçavoir qui des deux a son cœur ;
425 Et que prisans beaucoup un merite* si rare111,
Pour l’une de nous deux il faut qu’il se declare.

CORINNE.

S’il s’explique* pour vous ?

CEPHISE.

S’il s’explique* pour moy,
Vous pourrez l’accuser de vous manquer de foy*,
S’il s’explique* pour vous, je pourray tout de mesme*
430 Le blasmer justement d’une inconstance extreme ;
Ainsi lors qu’*il pretend* nous joüer aujourd’huy,
Toutes deux de concert nous nous joüerons de luy. {p. 41}

CORINNE.

Il vient tout à propos, l’occasion est belle.

CEPHISE.

De peur qu’il n’imagine une ruse nouvelle,
435 Ne perdons point de temps, & le poussons à bout*,
Raillons cet inconstant qui se raille de tout.

SCENE III. §

OVIDE, CEPHISE, CORINNE.

OVIDE.

Il n’est pas à propos que je les voye ensemble,
Il faut me retirer.

CEPHISE.

Il s’en va ce me semble ;
De peur qu’il ne s’echappe, il faut le rappeler ;
440 Ovide, revenez, où vouliez-vous aller ?
Et quoy ? nous fuyez-vous.

OVIDE.

Vous sçavez le contraire112, {p. 42}
Et que mon plus grand soin est celuy de vous plaire ;
J’ay creû que vous vouliez vous parler en secret,
Et je me retirois.

CEPHISE.

Vous estes trop discret.

OVIDE.

445 Je puis une autre fois vous rendre ma visite.

CEPHISE.

Non, il faut demeurer, vous n’en estes pas quitte113.

OVIDE.

Ah ! tout est découvert.

CORINNE.

Il change de couleur.

CEPHISE.

Il a quelque soupçon, & prevoit son mal-heur.

CORINNE.

Nous voulons vous parler de chose d’importance. {p. 43}

OVIDE.

450 Ne retenez donc point mon esprit en balance.

CEPHISE.

Ces billets obligeans, dites, sont-ils de vous ?

OVIDE.

Que leur diray-je, ô Dieux !

CEPHISE.

Parlez, respondez nous ?

OVIDE.

C’est par galanterie*

CEPHISE.

Elle est un peu trop forte ;
Vostre inconstante humeur* en use* de la sorte,
455 Mais vos billets nous font un trop sensible* affront*.

OVIDE.

Que l’une ait le premier, & l’autre le second ; {p. 44}
Vous les lirez tous deux sans en avoir de honte*,
L’une & l’autre loüée y trouvera son conte114,
Car chacune y verra preferer sa beauté.

CEPHISE.

460 Et chacune y verra vostre infidelité.
Ovide en nous joüant a montré trop d’audace ;
Mais pour luy son merite* a demandé sa grace*,
Et nous luy pardonnons pour la premiere fois,
Pourveû que sur le champ son amour fasse un choix.

OVIDE.

465 De deux objets* charmans le choix est difficile ;
Celuy que je ferois pourroit estre inutile,    
Ne pouvant deviner laquelle de vous deux
Veut m’estre favorable & recevoir mes vœux* ;
Mais faites choix de moy plustost ou l’une ou l’autre,
470 Puis que ma volonté se regle par la vostre ;
Sans faire le cruel, je donneray mon cœur    
A celle qui pour moy quittera sa rigueur ;
Elle ne risque rien, fort seure d’estre aymée.

CEPHISE.

Vous contez donc pour rien, l’honneur, la renommée ?
475 Pour un esprit galand c’est mal faire la Cour*, [H ; 45]
Que de nous obliger à vous parler d’amour ;    
Mon sexe en doit donner*, & le vostre en doit prendre115,
Rendez-nous le respect que vous nous devez rendre,
Quittez cette humeur* vaine*, & nepretendez* pas.
480 Que mon sexe orgueilleux fasse les premiers pas.

OVIDE.

J’en ay déjà fait deux d’une importance extrême,
Alors qu’à toutes deux j’ay declaré que j’ayme,
Sans avoir dans vos cœurs excité la pitié.

CEPHISE.

En vouloir aymer deux, c’est trop de la moytié.

OVIDE.

485 Je vous l’ay dê-ja dit, ce chois n’est pas facile.

CORINNE.

Pour vous en exempter, la ruse est inutile.

OVIDE.

Et quoy ? Corinne aussi parle donc contre moy ?

CORINNE.

Ovide à toutes deux ayant manqué de foy*,
Nous voulons aujourd’huy malgré son inconstance, {p. 46}
490 Sçavoir a qui son cœur donne la preferance.

OVIDE.

Vous tenez toutes deux mes esprits suspendus,
Aux merites* pareils mesmes respects sont deus,
Rien n’esgalle icy-bas mes divines Maistresse* ;
Et celuy qui fut Juge entre les trois Deesses116,
495 Avec tout son esprit n’eust pas peû decider*
Entre vos deux beautez laquelle doit ceder ;
Si je vous parle donc sans aucun artifice,
Ne me contraignez pas à faire une injustice,
Dont l’une de vous deux se pourroit repentir.

CEPHISE.

500 Nous sommes dans un doute*, & voulons en sortir.

OVIDE.

Au lieu de persister dans cette injuste envie,
Partagez toutes deux les heures de ma vie,
Comme vous partagez mes desirs & mon cœur ;
Je veux bien avoüer que j’ay plus d’un vainqueur,
505 Mon ardeur sans pareille à vos beautez ressemble,
Et j’ayme plus moy seul, que deux constans ensemble117 ;
Je sçay m’accommoder à divers sentimens,
Et deux Amours parfaits valent bien deux Amans118.

CEPHISE.

Puis que nous condamnons vostre humeur* inconstante, {p. 47}
510 Il ne faut qu’un Amour, & qu’une seule Amante.

CORINNE.

Aymer celle où vos yeux rencontrent plus d’appas*.

OVIDE.

Qui sera celle ô Dieux ! que je n’aymeray pas ?
Helas !

CEPHISE.

Par cet helas ! il va monstrer sa flamme.

CORINNE.

Il s’en va descouvrir les secrets de son ame.

CEPHISE.

515 Il me fait les yeux doux.

CORINNE.

Il me serre la main.

CEPHISE.

Il faut vous expliquer, vous l’evitez en vain119.

OVIDE.

Je ne puis dire rien, ayant trop à vous dire120, {p. 48}
Et je m’explique assez, alors que je souspire.

CORINNE.

A laquelle de nous addressez-vous vos vœux ?
520 Pour qui sont ces souspirs, dites121 ?

OVIDE.

Pour toutes deux.

CEPHISE.

Sans nous entretenir* d’une flame importune,
Pour n’en pas perdre deux, il en faut choisir une.

OVIDE.

Ainsi l’une de vous m’oblige à la trahir.

CORINNE.

Et bien, nous le voulons.

OVIDE.

Il faut vous obeïr,
525 Puis qu’à me conserver vous prenez quelque peine,
Si vos rares beautez n’ont point pour moy de haine, [ I ; 49]
Pour vous mieux meriter, & pour se rendre heureux,
Ovide doit agir en Amant* genereux* ;
Mais si ma passion* suivoit icy la vostre122,
530 Si je preferois l’une en presence de l’autre,
Et si j’osois luy faire un affront* esclattant,
Je serois incivil* pour paraistre constant :
Pour ne rien faire donc contre la bienseance,
Et d’un pas dangereux sortir avec prudence,
535 Sans blesser mon honneur, ny vous faire rougir,
Voyez comme l’Amour me conseille d’agir :
Celle à qui je rendray la premiere visite123,
Sera celle où mon cœur trouvant plus de merite*,
Jusqu’au dernier souspir fait dessein d’adorer124,
540 Adieu, pour ce beau choix je vais me preparer

CEPHISE.

Si nous habitons tous cette belle demeure,
Nous nous rencontrerons aisément à toute heure.

OVIDE.

J’iray voir tout expres dans son appartement,
Celle que j’aymeray le plus parfaitement.

CEPHISE.

545 Que son addresse est grande !

CORINNE.

Elle n’a point d’esgalle. {p. 50}
Il sort adroitement d’un amoureux dédalle.

CEPHISE.

Nous sçaurons malgré luy, lors qu’*’il fera le choix125,
De laquelle des deux il veut prendre des loix.

SCENE IV. §

CORINNE, CELIE.

CORINNE.

Ovide ayme Cephise, & l’ingrat la respecte.
550 Sa maniere d’agir me doit* estre suspecte,
De concert avec moy de Rome il est party,
Des raisons* l’obligeoient à prendre mon party*.
Un serment mutuel l’un à l’autre nous lie,
Nous avons fait des loix en partant d’Italie,
555 Sur les sacrés Autels en presence des Dieux,
Qu’il devoit observer jusques dedans ces lieux.
{p. Iij ; 51}

CELIE.

Plus de ces belles lois vous faites un mystere,
Plus je brusle d’oüir ce que vous voulez taire.
Vous avoit-il promis d’estre un jour vostre Espoux ?

CORINNE.

560 Non, & ce sont des loix secretes entre nous.

CELIE.

Si c’est d’estre constant, il en tient peu de conte*,
Tel qu’il estoit dans Rome, il est dans Amathonte.

CORINNE.

Je le cheris pourtant, tout volage qu’il est ;
Qui l’escoute, l’admire, & des qu’il parle, il plaist.

CELIE.

565 D’ordinaire l’amour naist de la ressemblance.

CORINNE.

Voudrais-tu, comme luy, m’accuser d’inconstance126 ?

CELIE.

De l’air* dont bien souvant on vous en voit user*,
On a grande raison* de vous en accuser ;
Un amant* vous suffit dans Rome, ou dans cette Isle ? {p. 52}

CORINNE.

570 L’Amour n’en voudroit, qu’un, mais la gloire* en veut mille ;
Une ame ambitieuse en a tousjour trop peu,
Pour orner son Triomphe127.

CELIE.

Ah Dieux ! l’estrange aveu !
Quand vous parlez ainsi, j’ay bien peine à vous croire*.

CORINNE.

Tu ne sçais pas encor ce que c’est que la gloire* :
575 D’un double honneur mon sexe a l’esprit combattu,
L’un naist de la beauté, l’autre de la vertu* ;    
La vertu* s’est acquise une estime* assez forte,
Mais tousjour la beauté dans le monde l’emporte ;
L’une en fort petit nombre a ses admirateurs,
580 Mais l’autre fait la foulle & les Adorateurs.

CELIE.

Mais cette foulle aussi perd nostre renommée.

CORINNE.

La honte* vient d’aymer, & l’honneur d’estre aymée,
L’on conte nos attraits en contant nos Amans128, {p. Iiij ; 53}
Leur perte ou leur mesprit fait nos secrets tourmens* ;
585 C’est la raison* qui fait que je souffre avec peine    585
Qu’Ovide qui m’aimoit ose rompre la chaisne129.
Mais pour le rengager*, il faut le traiter mal.

CELIE.

Quel Amant* pourriez-vous luy donner pour Rival,
Qui peust avec sujet luy donner* de la crainte ?

CORINNE.

590 Je veux pour son Rival luy donner Hyacinthe.

CELIE.

Vous ne sçauriez jamais faire un plus digne choix,
Mais si Cephise aussi le range sous ses loix,
Ce dessein hazardeux* vous doit rendre timide*.

CORINNE.

Je ne luy tens des retz que pour reprendre Ovide,
595 Et ne hazarde* rien. Mais il vient à propos ;
Voy si j’entens bien l’art d’enchaisner le Heros.
{p. 54}

SCENE V. §

CORINNE, HYACINTHE, CELIE.

CORINNE.

Je viens vous annoncer une heureuse nouvelle.

HYACINTHE.

Rien de facheux* ne sort d’une bouche si belle ;
Mais mon Astre à me nuire est si fort obstiné130,
600 Que je n’ose esperer de me voir fortuné*.

CORINNE.

Hyacinthe en la fleur de ses jeunes années,
Par ses hautes vertus vaincra les destinées.

HYACINTHE.

Si mon sort se pouvoit changer par la valeur,
Mon amour est si grand qu’il vaincroit mon mal-heur ;
605 Mais le cruel destin m’oste toute esperance.

CORINNE.

Hyacinthe est cent fois plus heureux qu’il ne pense ; {p. 55}
Une jeune beauté, l’ornement de ces lieux,
Qui parmi ces Captifs conte des Demy-Dieux.
Connoissant vos vertus n’a point pour vous de hayne131.

HIACINTHE.

610 L’excés de mes ennuis*, la grandeur de ma peine,
M’ostent avecque l’espoir la curiosité.

CORINNE.

Si vous sçaviez le nom de l’illustre* beauté,
Qui m’oblige à vous faire un glorieux* message,
Vous changeriez bientost d’humeur* & de langage.

HYACINTHE.

615 Puis que de son estime* elle fait un secret,
Vouloir sçavoir son nom c’est paraistre indiscret*.

CORINNE.

Sa pudeur* cache un feu que sa raison* fait naistre,
J’en avois dit assez pour la faire connaistre,
Lors que* j’ay dit qu’elle est l’ornement de ces lieux ;
620 Mais je m’en vais encore vous la depeindre mieux.
C’est celle qui pretend* de remporter la pomme    
Sur toutes les beautez de la Grece & de Rome ; {p. 56}
Qui connoist vos vertus, mais qui jusqu’à ce jour
N’a point encore voulu vous montrer son amour,
625 Et s’est tousjour fait voir aussi fiere* que belle.

HIACINTHE.

Je reconnois Cephise, à ces marques, c’est elle,
Seule elle peut causer ma joye & mon ennuy,
Qu’avez-vous de sa part à me dire aujourd’huy ?
Ah ! de grace* achevez, pour finir mon martire.

CORINNE.

630 A Dieu, je me raillois, & n’ay rien à vous dire.

SCENE VI. §

HIACINTHE, seul.

Je ne puis rien connaistre à cet obscur discours132,
Elle dit qu’elle vient pour me donner secours.
Et tourne, en me quittant, ma peine en raillerie,
De son dessein Amour, instruis moy je te prie ?
635 Cette fiere* beauté m’a descouvert ses feux,
Ovide est son Amant*, en voudroit-elle deux,
Que puis-je imaginer, non Corinne m’abuse133,
De ce stille trompeur je reconnois la ruse,
Elle agit de concert avecque mon Rival, [K ; 57]
640 Et veut que son amour me devienne fatal* :
Elle feint de m’aymer, & de parler pour elle,
Pour faire soubçonner que je suis infidelle :
Afin qu’apres Cephise avec quelque équité
Me puisse reprocher cette infidelité.
645 Mais sans qu’Ovide ait part au mal qu’on me veut faire134,
L’intrigue du portrait me doit* assez deplaire,    
Pour luy faire sentir les traits de mon courroux.
Et pour m’abandonner à des transports* jaloux.
Sans pousser* un Rival ny marcher sur ses traces135,
650 Attendons un arrest de la bouche des Graces,
Qui brilleront* demain sous ces ombrages vers.    
Pour me faire Justice aux yeux de l’Univers.
Apres si ce perfide excite encore ma haine,
Malgré l’orgueil du Tybre & la grandeur Romaine,
655 Je luy feray santir dans mon ressentiment,
Que rien n’est à couvert des fureurs d’un Amant*.
{p. 58}

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

OVIDE, CORINNE.

OVIDE.

Dieux, j’aperçois Corinne ! esvitons sa presence ;
Puisque c’est par rencontre*, elle est sans consequence.

CORINNE.

Alliez vous me chercher dans mon appartement ?

OVIDE.

660 Puis que vous en sortez, ce seroit vainement,
Corinne, escoutez moy, sans faire la cruelle ;
Où voulez vous aller ?

CORINNE.

Où la gloire* m’appelle, {p. 59}
Je vais chercher le prix que vous me refusez,
Ingrat[.]

OVIDE.

Je ne sçay pas dequoy vous m’accusez.

CORINNE.

665 Que m’aviez vous promis au rivage du Tybre,

OVIDE.

D’adorer vos beautez, sans cesser d’estre libre.

CORINNE.

N’avons-nous pas tous deux fait de secrettes loix,
Qui ne nous laissent plus la liberté du choix ?

OVIDE.

Pour les mieux observer apres les avoir faites,
670 Je les porte avec moy toûjours sur des tablettes,
Et n’en ay violé pas une asseurement.    

CORINNE.

Pour estre convaincu lisez-les seulement.

OVIDE.

Puis que vous l’ordonnez, je vais vous satisfaire, {p. 60}
Et vous n’aurez aprez nul reproche à me faire,

ARTICLES SECRETS

Accordez entre Ovide & Corinne, en
partant de Rome pour aller en l’Isle de
Cypre.

I. ARTICLE.

675 Avant que de partir de cette Auguste Cour*,
Nous jurons sur l’Autel d’Amour,
De garder l’un pour l’autre une foy* mutuelle,
Et d’avoir de nous plaire un desir violent,
Tant qu’Ovide sera galand*,
680 Et que Corinne sera belle.

II. ARTICLE.

Nous voulons pour joüir du plus parfait bonheur,
Que chacun suive son humeur*,
Sans Jalousie & sans murmure*,
Que l’on ne parle point du facheux* nom d’espoux,
685 Et que tousjours l’Hymen soit banni d’avec nous,
Comme un oiseau funeste* & de mauvais* augure.
[L ; 61]
Pour esloigner tous les soucis*,
Qui troublent les Amans transis136,
Nous voulons un amour qui soit exempt d’allarmes*,
690 Qui n’ait ny prisons ny liens,
Et ne mesle en ses entretiens*
Jamais de regrets ny de larmes.
Sans nous piquer* d’estre constants,
Nous voulons tous deux en tous temps
695 Offrir & recevoir des vœux* & des caresses ;
Et que tousjour en liberté,    
Chacun puisse de son costé,
Faire divers Amans & diverses Maistresses*137.
Pour laisser un champ libre à nos jeunes Amours,
700 Et dans la fleur de nos beaux jours
Voir couronner nos fronts de plus d’une victoire,
Sans que des liens de l’un, l’autre soit envieux,
Ovide peut chercher les plaisirs en tous lieux,
Et Corinne par tout la gloire*.

OVIDE apres avoir leu les cinq articles.

705 De violer ces lois puis-je estre convaincu ?

CORINNE.

Non, mais vous le ferez, quand vous aurez tout leû. {p. 62}
Tournez donc le feüillet, pour voir la principale,
Qui parle en ma faveur & contre ma Rivale ;
Cet article important sert à mes interests*.

OVIDE.

710 Je l’avois oublié.

CORINNE.

Vous l’oubliez exprés.

VI. & dernier ARTICLE.

Alors que nous serons dans l’Isle de Venus,
Où mille charmes* inconnus
Ont une secrette puissance ;
De quelque aymable* objet*, qu’Ovide soit tanté,
715 Pour l’interest* de la beauté138,
Corrine sur toute autre aura la preference.

CORINNE.

Et bien n’avez-vous pas violé cette loy ?

OVIDE.

Non, & Corinne a tort de se plaindre de moy.

CORINNE.

Ne me deviez-vous pas preferer à Cephise ? [Lij ; 63]

OVIDE.

720 N’est-il pas temps encore ?

CORINNE.

Parlons avec franchise*,
Vous l’aymez fort.

OVIDE.

Nos loix ne me defendent pas
De porter en tous lieux mes desirs & mes pas :
Je cherche le plaisir & vous cherchez la gloire*.

CORINNE.

Je dois sur ma Rivale emporter la victoire ;
725 Dites donc la raison* qui vous fait differer
De me tenir parole & de me preferer,
Vous me l’avez promis, & cét écrit vous lie.

OVIDE.

Attendez que le prix soit donné par Thalie,
Et si son jugement dans des lieux si charmans
730 Ne s’accorde* pas bien avec vos sentimens,
Si Thalie aujourd’huy vous fait une injustice,    
Quand Cephise avec vous paroistra dans la lice139, {p. 64}
Je jure par vos yeux dont les traits sont si doux,
Que mon cœur aussi-tost s’expliquera* pour vous,
735 Et se declarera devant toute la Grece.

CORINNE.

De ce discours subtil* je reconnois l’adresse*,
Vous voulez que le Ciel couronne nos appas*.
Avant vous declarer, pour ne me tromper pas140.
Mais si j’obtiens le prix avec cet avantage*,
740 Je verray si je dois recevoir vostre hommage.

OVIDE.

Un Dieu sçaura pour moy flechir vostre rigueur,
Vous allez remporter & la pomme & mon cœur,
Avec juste raison* vous y pouvez pretendre*.

SCENE II. §

CELIE, CORINNE, OVIDE.

CELIE.

Dans la place des jeux les Graces se vont rendre,
745 Et vostre Char est prest.

OVIDE.

La place n’est pas loing ; [Liij ; 65]
Je fais des vœux pour vous, l’Amour m’en est tesmoin141.

CORINNE.

Je vais voir quel succez aura mon entreprise* ;
Adieu, fidel Amant* de la belle Cephise.

SCENE III. §

OVIDE seul.

Je fais des vœux pour elle, afin qu’elle ait le prix,
750 Sa Rivale pourtant regne sur mes esprits ;
Et bien qu’aux yeux de tous Corinne soit plus belle,
Cephise a pour me plaire une grace* nouvelle142 ;
Et ce qu’elle a d’aymable* avec la nouveauté,
Est un charme assez grand pour en estre tenté :
755 Corinne est plus coquette & plus ambitieuse,
Mais Cephise est plus prude & bien plus amoureuse.
Celle qui dans son sein estouffe ses soupirs,
Accroist par ses refus l’ardeur de ses desirs 143;
Moins on parle d’amour, plus on le sent dans l’ame ;
760 La plus chaste en son cœur a des sources de flamme,
Que l’on void desborder apres comme torens, {p. 66}
Quand les desirs vainqueurs deviennent ses tyrans.
C’est ce qui rend Cephise à mes yeux plus charmante*.
D’autre costé Corinne a l’humeur* plus galante*,
765 Elle a milles attraits pour r’allumer mes feux,
Je les veux si je puis, conserver toutes deux,
Et s’il faut faire un choix, je veux suivre les traces
De celle qu’aujourd’huy vont couronner les Graces.
Mais mon Rival paroist, escoutons ce jaloux,
770 Sans avoir contre luy ny haine, ny courroux.

SCENE IV. §

HYACINTHE, OVIDE.

HIACINTHE.

Je vous rends l’amitié que vous m’aviez jurée.

OVIDE.

La vostre à ce discours* est de courte durée ;
Mais lors qu’*on fait dessein de rompre avec[que] moy,
Il est juste du moins qu’on me dise pourquoy.

HYACINTHE.

775 De ce que l’on a fait, on garde la memoire,
L’intrigue du portrait n’est pas à vostre gloire*, {p. 67}
Daphnis m’en a donné tout l’esclaircissement*.

OVIDE.

Et vous le croiez donc ?

HYACINTHE.

N’en doutez* nullement.

OVIDE.

Si je perds un amy pour avoir trop d’adresse*,
780 J’iray m’en consoler aupres de ma Maistresse*,
Sans que cet accident* me cause aucun soucy*.

HYACINTHE.

Et j’iray comme vous me consoler aussi.

OVIDE.

Puis-je encore vous parler avec quelque franchise* ?
Vous perdez vostre temps de penser à Cephise,
785 Je plains vostre malheur de m’avoir pour rival.

HYACINTHE.

Mais vous mesme craignez que je vous sois fatal*.

OVIDE.

Si mes Escrits dans Rome enseignent l’art de plaire,
Me disputer* un cœur, c’est estre temeraire*.

HIACINTHE.

Je sçay que l’art d’aymer fait bruit de toutes parts144,
790 Et qu’il vous rend fameux à la Cour* des Cezars ; {p. 68}
Mais l’on doit avoüer, à moins que d’estre injuste,
Que la Cour* de Venus vaut bien celle d’Auguste.
L’air qu’on respire en Cypre, est si pur, si charmant*,
Qu’on n’y peut estre un jour sans devenir Amant*,
795 Et selon vostre aveû, cette Isle a l’avantage*145 :
Des Dieux au bord du Tybre on ne voit que l’image,
Au lieu que nous voyons dans cet heureux sejour*
Converser parmi nous les Graces & l’Amour.
Enfin ce doux Climat* ne voit point naistre d’homme,
800 Qui ne fit des leçons au plus galand de Rome146 ;
Les dances & le chant, la coiffure & le fard,
Au lieu de la vertu* sont presque tout vostre Art.

OVIDE.

C’est estre peu galand, sçavoir peu l’art de plaire,
Que d’apprendre à ce sexe à se monstrer severe* ;
805 Qui luy veut enseigner la vertu* qui nous nuit,
Aux mysteres d’amour est assez mal instruit :
Il faut devant ce Dieu que les sages se taisent,
Il n’est point Philosophe, & les erreurs luy plaisent,
Il inspire toujours d’agreables desirs,
810 Et bannit la raison* qui banit les plaisirs :
De mesme que l’Amour, chacun sçait que les belles
Craignent cette raison* qui n’est jamais pour elles ;
Et pour en triompher par leurs attraits puissants,
Elles sçavent user de l’adresse* des sens,
815 Elles mettent leurs soins & toute leur estude
A causer des soucis* & de l’inquietude147, {p. M ; 69}
Leurs souris affectez*, leurs regards seducteurs,    
Sont pour nous engager* d’aymables* imposteurs,
Leur accueil, leurs dedains, leurs amoureuses plaintes,
820 Leurs reproches secrets & leurs coleres feintes*,
Et ce je ne sçay quoy qu’on ne peut exprimer,    
De ce sexe galand composent l’art d’aymer148.    

HYACINTHE.

Ces maximes d’Amour & ces jolis preceptes.
Ne sont que pour Ovide, & que pour les Coquettes.
825 Et vous faites grand tort à ce sexe charmant*,
De luy vouloir ravir son plus rare ornement149,
Vous le faites combatre avec de foibles armes ;
Sans l’eclat* des vertus la beauté perd ses charmes,
Et qui veut retenir tous les cœurs en prison,
830 Doit accorder* les sens avec[que] la raison*.

OVIDE.

Lors que* vous banissez l’amour du cœur des belles,
Que vous leur enseignez à paraistre cruelles,
C’est faire à leurs Amans negliger leurs appas*,
Puis qu’on les ayme en vain, quand elles n’ayment pas.
835 Par l’esclat* dangereux de vos raisons* subtiles*,    
Les charmes de leurs yeux deviennent inutiles ;
Rendre une Amante ingrate, est la vouloir trahir,
Ce n’est pas l’art d’aymer, mais c’est l’art de hayr.

HYACINTE.

Les faveurs* bien souvent ne font qu’un infidelle, {p. 70}
840 Mais la vertu* retient ceux qu’un bel œil appelle ;
Et ce sexe sçavant à troubler le repos,    
En fuyant seulement sçait vaincre les Heros150.

OVIDE.

Avez-vous enseigné ce bel art à Cephise ?

HYACINTHE.

Elle n’a pas besoin que personne l’instruise.

OVIDE.

845 Vous vous mettez vous mesme au rang des demy-Dieux,
Quand vous osez servir* cet objet* glorieux*.

HYACINTHE.

Je puis bien aspirer à cet honneur insigne,
Quand je vois un Rival qui n’en est pas plus digne.

OVIDE.

Un Chevalier Romain n’est pas à refuser.

HYACINTHE.

850 Et le sang des Heros n’est pas à mespriser ;
Et si vous vous vantez d’estre aymé des Princesses,
Ceux de ma race sont favoris des Deesses151.

OVIDE.

Les Amours d’Adonis me sont assez connus ;
Mais il ne s’agit pas des Amans de Venus, {p. 71}
855 Il s’agit seulement de la belle Cephise,
Et vous faites pour elle une vaine* entreprise* !    

HYACINTHE.

Pour sçavoir qui de nous la merite le mieux,
Voyons ce que demain ordonneront les Dieux.
Jusques là le respect nous oblige à nous taire,
860 Apres au mescontent on pourra satisfaire*.

OVIDE.

Je vous satisferay* lors que* j’auray le prix,
Nos maistresses* en vain irritent nos esprits.
Si nostre sort dépend du destin de ces belles,
Il faut auparavant en sçavoir des nouvelles.

HYACINTHE.

865 S’il m’eust esté permis d’assister à ces jeux,
On n’eust point veû languir mes desirs curieux,
Et l’on n’eust pas donné le prix en mon absence.

OVIDE.

Moy j’estois fort tanté, malgré cette defence,
D’aller ouïr l’Arrest qu’on devoit prononcer.
{p. 72}

SCENE V. §

OVIDE, HYACINTHE, MAXIME.

OVIDE.

870 Mais Maxime paroist, qui vient nous l’annoncer ;
Corinne pourroit bien avoir eu l’avantage*.

HYACINTHE.

A Cephise vaincue, irez-vous rendre hommage [?]

OVIDE.

Il est d’un vrai Romain & d’un cœur genereux*,
D’estre pour les vaincus & pour les mal-heureux*.
875 Et bien Maxime, & bien, qui remporte la pomme ?
Est-ce Cypre & Cephise, ou bien Corinne & Rome ?
Parle ?

MAXIME.

L’arrest n’est pas encore prononcé,
Mais je vais vous conter tout ce qui s’est passé,
Car je viens d’assister à la ceremonie,
880 Où de gens curieux une foule infinie,
Dans la place des jeux se rend de tous costez, [N ; 73    ]
Pour y voir disputer* le prix à ces beautez.    
Jamais Rome, jamais dans ses plus grandes festes,
Lors qu’*elle a triomphé pour d’illustres* conquestes
885 N’a fait voir à la fois tant de peuples divers.
Il semble que l’on ait assemblé l’univers,    
Afin de decider* dans cette douce guerre,
A qui demeurera l’Empire de la Terre.
Un si grand bruit s’espand dans cet heureux sejour*,
890 Que l’on oit retentir les echos d’alentour :
Mais dés qu’on apperçoit & Cephise & Corinne,
Ces deux charmans objets* dont la grace* est divine,
Qui comme deux Soleils descendent de leurs Chars,
Le silence succede au bruit de toutes parts.
895 Ce grand peuple ravy de ces rares marveilles,
N’est plus qu’un Corps plein d’yeux, sans voix & sans oreilles,
Que dans ces lieux à peine on entend respirer,
Et qui ne fait plus rien que voir & qu’admirer.
Sur un haut Tribunal les Graces eslevées,
900 D’un souris negligeant les ayant saluées,
Pour mieux considerer leur visage & ses traits,    
Elles font approcher ces Nymphes de plus prés.
Lors* d’un secret dépit* leur grande ame saisie,
Ne peut voir tant d’appas* sans quelque jalousie ;
905 Et la vive couleur qui paroist sur leur tein,
Descouvre ce dépit* qu’elles cachent en vain.
Pour ses deux sœurs Thalie ayant pris la parolle
D’un air* civil* pourtant leur parle & les cajolle* : {p. 74}
Mais pour diminuer un peu de leur orgueil,
910 Apres leur avoir fait un favorable accueil,
Elle dit hautement à ces belles Rivales ;
Que bien que leurs attraits les rendent sans egales,
Que leur charme puissant dont leurs yeux sont surpris,
Ne suffit pas encore pour remporter le prix,
915 Ni pour voir de sa main leur Teste couronnée,
Si de quelqu’autre don leur beauté n’est ornée.
Elle ordonne aussi-tost que pour le meriter,
L’une & l’autre ait le soin de leur faire eclater*,
Et pour rendre leur gloire* ou leur honte* publique,
920 Thalie enfin choisit la Dance & la Musique.

OVIDE.

Ces Arts en ce beau sexe ont beaucoup d’agréments*.

HYACINTHE.

Et Thalie en fait choix avec grand jugement.

MAXIME.

Par son ordre Cephise en mesme temps* s’avance,
Sur un riche Tapis preparé pour la dance,
925 Aux yeux des spectateurs cette Illustre* beauté
Paraist à sa demarche une Divinité.
Le jeune Iphidamas que dans Cypre on admire152,
De sa sçavante main touche à sa douce Lire,
Et respand dans les airs un son melodieux,
930 Dont l’agreable bruit monte jusques aux Cieux.
La Nimphe qui fait voir une grace* infinie,
Pour accorder* ses pas avec cette harmonie,
D’un mouvement leger du Tapis fait le tour,
Et trace de son pied mille chiffres d’amour153,
935 Tout le monde loüant sa merveilleuse adresse*, [Nij ; 75]
D’une victoire seure elle flatte* la Grece,    
Qui pense voir bien-tost couronner ses desseins,    
Mais un reste d’espoir flate encore les Romains.

HYACINTHE.

Chacun avec raison* pour son pais incline.

MAXIME.

940 Les Graces cependant font avancer Corinne,
Qui dispute le prix à Cephise à son tour,
Et le disputeroit* à la mere d’Amour.
Le noble orgueil qu’au front cette Romaine estalle,
Fait voir qu’elle craint peu sa superbe* Rivalle.
945 Pour faire triompher ses glorieux* appas*,
Cette beauté sçavante en l’art d’Iphidamas,
Chante d’un ton plaintif sur sa Lire dorée
Les Amours d’Adonis bruslant pour Cithérée.
Par sa voix ravissante* & ses divins accords,
950 Elle exprime si bien sa gloire* & ses transports*,
Que tous les assistans charmez par les oreilles,
Sentent dans leurs esprits des passions* pareilles,
Elle fait plaindre l’air avec tant de douceur154,
Qu’on croit oüir encore cet amoureux Chasseur,
955 Qui bravant le destin meurt pour une Immortelle,
Et Corinne en Venus rend la douleur si belle155,
Qu’elle excite en chacun les mesmes déplaisirs*,    
Et fait de tous les cœurs un concert de soupirs.

OVIDE.

Ainsi Corinne, ainsi charme au son de sa Lire.

MAXIME.

960 C’est un enchantement* que j’ay peine à descrire,
Et si de l’assemblée eut dependu le choix,
Sa voix melodieuse eût eû toutes les voix. {p. 76}

OVIDE.

Que pense à ce recit le constant Hyacinthe ?
Pour la belle Cephise a-t’il pas quelque crainte ?
965 Car Corinne fera couronner ses appas*.

HYACINTHE.

Il faut attendre encore, pour ne se tromper pas.

OVIDE.

Nous eussions, comme toi, veu la ceremonie,
Si nostre passion* n’en eût esté bannie ;
Mais nous n’ignorons pas que dans ces jeux sacrez,
970 On ne souffre jamais les Amans declarez,
De crainte que l’amour qu’ils ont pour leur Maistresse*,
Ne perdit le respect que l’on doit aux Deesses,
Et ne s’accordât* pas avec leur jugement.

HYACINTHE.

Les Intendants des jeus agissent prudemment.
975 Mais Daphnis vient icy, qui paroist hors d’haleine.

SCENE VI. §

DAPHNIS, HIACINTHE, OVIDE, MAXIME.

DAPHNIS.

Hyacinthe, je viens pour vous tirer de peine,
La divine Cephise a remporté le prix.
[Niij ; 77]

HIACINTHE

Ah ! que j’en ay de joye !

OVIDE.

Ah ! que j’en suis surpris !
Cephise a triomphé de Corinne & de Rome !

DAPHNIS.

980 Ouy, la belle Cephise a remporté la pomme,
Et tous les spectateurs en sont d’aize ravis.

MAXIME.

Ces esprits inconstans ont donc changé d’avis156.

DAPHNIS.

Ils ont changé d’avis aussi-tost qu’ils l’ont veüe
Dans un Char Triomphant de mil attraits pourveüe,
985 La pomme d’Or en main, le front orné de fleurs,
Et le teint éclatant* des plus vives couleurs
Qu’une sage pudeur* apres cette victoire,
Faisoit naistre à propos pour croistre encor sa gloire*.

HYACINTHE.

Mais que disoit Corinne apres un tel affront* !
990 N’a-t’on point veu monter la rougeur sur son front ?

DAPHNIS.

Cette fiere* beauté n’en avoit nulle honte*,
Et de ce jugement elle fait peu de conte* ;
Dit que de ses appas* les charmes sont connus,
Et ne veut recevoir pour juge que Venus.
995 Cephise cependant en Triomphe est menée,
Sa superbe* beauté dans Cypre est couronnée,
Et l’on fait retentir son beau nom jusqu’aux Cieux.

OVIDE.

Puis que Cephise emporte un prix si glorieux*,
Allons donc rendre hommage à sa beauté divine. {p. 78}

HIACINTE.

1000 Non non, allez plus-tost pour consoler Corinne,
Il est d’un vrai Romain & d’un cœur genereux*,    
D’estre pour les vaincus & pour les mal-heureux.

OVIDE.

Il est d’un vrai Romain, d’une ame genereuse157,
D’aymer la plus parfaite & la plus glorieuse :
1005 Et tout homme galand malgré vos feux constans,
Veut ce que veut l’amour & s’accomode au temps158.
{p. 79}

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

CORINNE, CEPHISE.

CORINNE.

Je ne viens pas vous voir ainsi qu’une Rivale,
Dont la nouvelle gloire* à la mienne est fatale* ;
Car j’ay veu de mes yeux l’honneur qu’on vous a fait,
1010 Sans vous porter envie, & sans aucun regret ;
Sans temoigner aussi du chagrin* ny de honte*,
Je vous vois triompher dans les murs d’Amathonte.

CEPHISE.

Si vous sçavez si bien l’art de dissimuler,
Vous m’espargnez le soin de vous en consoler.

CORINNE.

1015 Je venois dans ces lieux vous consoler vous-mesme,
Vous donner un advis* d’une importance extresme. {p. 80}

CEPHISE.

Les gens conseillent mal qui sont interessez*.

CORINNE.

Ah ! vous n’en estes pas encore où vous pensez.
1020 Thalie eût ordonné que l’on s’approchât d’elle,
Et que ce vif esclat* que nous tenons des Cieux,
De tous les spectateurs eut attiré les yeux,
Dites, n’avez-vous pas observé que les Graces,
Comme l’ont remarqué ceux qui suivoient nos traces,
1025 N’ont peû nous regarder sans despit*, sans douleur ?

CEPHISE.

Oüy, j’ay veu que leur tein a changé de couleur.

CORINNE.

L’on sçait que leur dépit* n’estoit que trop visible,
Et que nous leur causions un déplaisirs* sensible*.

CEPHISE.

Quand les Graces auroient un sentiment jaloux,
1030 Leur dépit* pourroit-il descendre jusqu’à nous ?

CORINNE.

Leur indignation, leur colere divine,
Ne va pas jusqu’à vous & s’arrete à Corinne ;
On ne fait pas du bien à qui l’on veut du mal,
C’est à moy seulement que l’Arrest est fatal* ;
1035 Et leur jaloux despit* vous ayant negligée,
Contre moy seulement leur beauté s’est vangée ;
M’ostant la pomme d’or qu’on me devoit donner,
Elles vous dedaignoient vous faisant couronner ;
Ainsi quand vous pensiez me ravir la victoire,
1040 Vous en aviez la honte*, & moy seule la gloire*.

CEPHISE.

Vous estes satisfaite, & je la suis aussi159 ; [O ; 81]
Mais rendez sur un point mon esprit esclaircy.    
Puis que vous pretendez* estre victorieuse,
De quoy vous plaignez-vous, si vous estes heureuse ?
1045 Si vos charmans attraits dans Cypre sont connus,
Pourquoy donc implorer la faveur* de Venus ?    

CORINNE.

Pour convaincre* d’erreur ceux qui m’ont condamnée,
Pour me faire juger à Rome où je suis née,
Où Venus a son Temple, ainsi que dans ces lieux,
1050 Où brille un Empereur plus juste que vos Dieux.
Les Graces chez les Grecs avec excés vantées,
Sont du grand Jupiter des filles adoptées,
Qui furent autrefois mortelles comme moy160,
De ces injustes sœurs je ne prends pas la loy :
1055 Pour juger qui des deux estoit la plus aymable*,
L’autre sexe eut paru beaucoup plus équitable ;
Au lieu d’une Rivalle il faloit un Amant*,
Et l’Amour en auroit jugé tout autrement.
Je voudrois que le Dieu que cette Isle revere,
1060 Empruntast pour nous voir les beaux yeux de sa mere,
Ou que pour nous juger il ostat son bandeau161,     
Je n’appellerois* point d’un Jugement si beau.
Les Graces vont encor pour causer quelque plainte,
Juger les differens d’Ovide & d’Hyacinthe,
1065 Pour l’interest* d’Amour l’un & l’autre Rival,
Vont disputer* le prix devant leur Tribunal.
J’iray faire rougir encor ces Immortelles. {p. 82}
Qui perdent devant moy la qualité de belles,
Pour venger mon injure*, & braver leur pouvoir,
1070 Corinne seulement n’a qu’à se faire voir.

SCENE II. §

CEPHISE, AMINTE.

CEPHISE.

Quelle presomption ! qu’elle a l’humeur* hautaine* !

AMINTE.

Pour tout dire en un mot, Madame, elle est Romaine.

CEPHISE.

J’aperçois un Romain qui vient encor icy.

AMINTE.

Il a l’esprit plus doux, & n’agit pas ainsi.
{p. 83}

SCENE III. §

OVIDE, CEPHISE, AMINTE.

OVIDE.

1075 Je viens vous temoigner que j’aime vostre gloire*,
Je viens vous rendre hommage apres vostre Victoire,
Je viens pour admirer vos rares qualitez,    
Qui se font couronner par des Divinitez.
Je ne suis pas surpris, que la sage Talie
1080 Vous ait fait triompher de la fleur d’Italie,
Elle ne pouvoit pas vous refuser le prix.

CEPHISE.

Corinne dit pourtant que l’on s’est fort mépris,
Et veut estre jugée en presence d’Auguste.

OVIDE.

La honte* & le dépit* la font paroistre injuste ;
1085 Ovide l’abandonne à son transport* jaloux ;
Et tout Romain qu’il est, se declare pour vous.

CEPHISE.

Mais à Corinne ainsi vous estes infidelle.

OVIDE.

Qu’elle se pleigne aux Dieux qui vous firent plus belle.
Peut-elle me blasmer de la vouloir quitter,
1090 Sans blasmer ses appas* qui n’ont peû m’arrester ? {p. 84}
Mais pour se consoler, elle a quelque compagne    
A Rome, dans la Gaule, en Affrique, en Espagne.
Comme je suis touché des rares qualitez,
Je fais par tout ma cour* aux plus grandes beautez,
1095 Et je veux quelque jour vous en donner la liste162.

CEPHISE.

Nous y verrons les noms d’Olimpe, de Caliste,
D’Albine, d’Emilie.

OVIDE.

Et cent autres encore,
Dans l’Almanach d’Amour je marque en Lettres d’or163
Les noms de mes vainqueurs au jour de leur conqueste,
1100 Et de ces jours heureux je fais des jours de feste.

CEPHISE.

Le beau nom de Corinne est le premier de tous,
Quoy que vous me disiez.

OVIDE.

Elle n’est qu’apres vous,
Et lors que* je vous rends la premiere visite,
Je m’explique en faveur d’un si rare merite*.

CEPHISE.

1105 Vous me la deviez rendre en mon appartement.

OVIDE.

Pour vous y rencontrer, j’en viens presentement ;
Mais sans trop m’arrester à cette circonstance,
Je vous puis en ce lieu donner la preference.

CEPHISE.

Mais vous vous contraignez en me traictant ainsi.

OVIDE.

1110 Je ne me contrains point, ny ce que j’ayme aussi, [P ; 85]
Je vis en liberté164.

CEPHISE.

C’est estre fort commode165.

OVIDE.

Les Amoureux transis ne sont plus à la mode166,
On se rit des constans parmy les beaux esprits,
Et tout Amant* qui pleure est digne de mespris.
1115 N’est-ce pas faire injure* aux charmes d’une belle,
De paroistre chagrin* lors qu’*on est auprés d’elle ?
Il faut sans se montrer ny triste ny jaloux,
Estre tel que je suis, quand je suis avec vous.

CEPHISE.

C’est dire son humeur* avec grande franchise*.

OVIDE.

1120 J’ay beaucoup de respect pour l’aymable* Cephise,
Et j’abandonne tout pour servir sa beauté,
Qui fait seule ma gloire* & ma felicité.    
Hyacinthe paraist, ce Rival haissable
M’oste l’occasion qui m’estoit favorable ;
1125 N’en témoignons pourtant ny chagrin* ny soucy*.
{p. 86}

SCENE IV. §

OVIDE, HYACINTHE, CEPHISE, AMINTE.

OVIDE.

Hyacinthe, à propos vous arrivez icy,
Vostre rare merite* a fait nostre querelle*167 ;
Mais pour nous accorder*, montrez vous moins cruelle,
Vous pouvez d’un seul mot vider nos differens.

HIACINTHE.

1130 Puis que vous les causez, ils doivent estre grands168

CEPHISE.

J’ignore quels ils sont.

HYACINTHE.

Cela pourroit-il estre ?
Et peut-on ignorer des feux qu’on a fait naistre ?

OVIDE.

Puis que vous vous trouvez entre vos deux Amans,
Vous devez declarer quels sont vos sentimens,
1135 Mais vous en rougissez ? Amour, je te rends grace*,
D’avoir mis aujourd’huy cette Nymphe en ma place ;
Elle est dans l’embarras où tantost on m’a veu,
De choisir l’un des deux vostre tour est venu ;
Mais vous en sortirez avecque moins de peine, {p. 87}
1140 Car nous avons pour vous plus d’amour que de haine ;
Et de quelque costé que penchent vos esprits,
Vous n’apprehendez point ny froideur* ny mépris169.

CEPHISE.

Nos humeurs* à tous deux sont assez differentes,
Je ne veux point d’Amans, vous vouliez deux Amantes.

OVIDE.

1145 Si deux sont trop pour vous, ne faites choix que d’un,
Prenez le plus galand & le moins importun.

HYACINTHE.

Vous figurez* l’amour d’une humeur* si legere,
Qu’elle croit que vos feux ne sont qu’une chimere.

OVIDE.

Et vous representez ce Dieu si peu charmant*,
1150 Que vous faites hayr & l’amour & l’amant*.
Voyez qui de nous deux avec plus juste titre170
Merite vostre estime*, & soyez nostre arbitre,
Prononcez nostre Arrest, daignez nous obliger171.

CEPHISE.

Je n’ay ny volonté ny droit de vous juger ;
1155 Celles qui font ma gloire*, & qui m’ont couronnée,
Vont faire de vous deux aussi la destinée ;
Sur ce haut Tribunal les Graces vont monter,
Pour donner la Couronne à qui doit l’emporter.
Mais desja dans ces lieux ces Deitez paraissent,
1160 Sous leurs pas glorieux* je voy des fleurs qui naissent172.
Pour meriter le prix que pretendent* vos feux, {p. 88}
Allez leur adresser vos respects & vos vœux ;
Pour faire rendre hommage à ces trois Immortelles,
Les intendans des jeux font place devant elles,
1165 Corinne aussi les suit, & vous la pouvez voir.

OVIDE.

Vostre exemple aujourd’huy m’enseigne mon devoir.

SCENE V. §

LES GRACES, OVIDE, HYACINTHE, CEPHISE, CORINNE, CELIE, AMINTE, DAPHNIS, MAXIME, & trois intendans des jeux.

THALIE, l’une des Graces.

De tant d’Amans divers dont cette Isle est remplie173,
Que de tous les costez de Grece & d’Italie,
L’on voit venir en foule en cet heureux sejour*,
1170 Afin de disputer* les Couronnes d’Amour,
Tous à ces deux Rivaux ont cedé cette gloire* ;    
Et puis que l’un & l’autre aspire à la victoire,    
Apprenons de quels traits leurs deux cœurs sont blessez.
Pour faire honneur à Rome, Ovide, commencez.
[Piij ; 89]

OVIDE POUR LES Inconstans.174

1175 Pour d’un Myrrhe amoureux voir couronner ma teste,
Assiste moy, Venus, dans cette belle feste175 ;
Mesle dans mes discours ces entretiens* charmans,
Que tes divins regards inspirent aux Amans :
Et vous qui presidez dans Cypre & dans Cythere,
1180 Graces, filles du Ciel, sans qui rien ne peut plaire176,
Declarez vous pour moy dans ce celebre jour,
Et me favorisez pour la gloire* d’Amour ;
Pour l’interest* d’un Dieu prenez celuy d’un homme,
Qui l’a fait triompher dans la superbes* Rome,
1185 Et veut qu’il regne encor, en tous lieux, en tout temps,
Malgré ces froids* esprits qu’on appelle constans.
Il faut dans les desirs imiter la nature177,    
Qui ne peint pas les champs d’une mesme peinture,
Et par ses changements & ses diversitez,
1190 Fait briller* à nos yeux differentes beautez.
Chaque Dame a ses dons & remplit bien sa place,
L’une a la majesté, l’autre a la bonne grace*,
L’une a tous les traits beaux, l’autre un teint delicat,
L’une a de l’agrément*, l’autre beaucoup d’éclat,
1195 Enfin le Ciel a fait, pour charmer tout le Monde    
La belle, l’agreable, & la brune, & la blonde ; {p. 90}
Mais jusques à present nul n’a peu decider*,
Entre tant de beautez laquelle doit ceder.
Quand on n’est pas aveugle, & qu’on est raisonnable*,
1200 On doit aymer par tout tout ce qu’on voit d’aymable* :
Et qui n’est pas sensible* où brillent les appas*,
S’en croit lui-mesme indigne, ou ne les connoit pas.

HIACINTHE.

L’Amour est un Tribut que l’on doit au merite*.

OVIDE.

Tousjours civillement* l’inconstant s’en acquitte,
1205 Et pour n’attirer pas la colere d’un Dieu,
Il est prest à payer à toute heure, en tout lieu.
Mais jamais le constant n’agit que par caprice,
Aux belles tous les jours il fait quelque injustice,
A plus d’une il fait voir un cœur indifferent,
1210 Vers un sexe si fier* c’est un crime bien grand.
Pour de ces deux Amans mieux voir les differences,
Il faut peser leurs mœurs dans de justes balances178 :
L’inconstant a l’esprit doux, civil*, complaisant*,
Le constant est resveur, chagrain* & mesprisant,
1215 Je croy que ces remords & ces peines cruelles,
Viennent de n’avoir pas aymé toutes les belles.
Sourire est mal respondre en faveur des constans179.

HYACINTHE.

Et bien, j’y respondray quand il en sera temps.

OVIDEmonstrant les Graces.

Mon esprit esclairé de ces belles lumieres,
1220 S’en va vous en donner de nouvelles matieres180.    
Chacun connaist assez que ce sexe charmant*,
Tire de sa beauté son plus grand ornement,
Un amant* qui ne veut aymer qu’une maistresse*, {p. 91}
Quand la beauté s’enfuit avecque la jeunesse,
1225 Que ses regards esteints inspirent la froideur*,
Doit-il estre constant pour aymer la laideur ?

CORINNE.

Il rend par ces raisons* le constant ridicule.

OVIDE.

Qui cherit les defaux, se trompe, ou dissimule.
Un esprit inconstant agit plus prudemment,
1230 Et pour fuir la laideur, il court au changement.
Dans ce riche Univers où tout se renouvelle,
Quand la nature change, il faut changer comme elle,
En d’agreables lieux, ramener ses desirs,
Et chercher la beauté par tout & les plaisirs.

HYACINTHE.

1235 C’est estre plus changeant, mais non pas plus aymable*.

OVIDE.

C’est imiter les Dieux, c’est estre leur semblable.
Les actions des Dieux parlent en ma faveur,
Ou les Dieux immortels sont sujets à l’erreur.
Vous sages Deitez, mes trois aymables* Juges,
1240 Chez qui les vrais amans ont d’assurez refuges181,
Pour vostre propre gloire* & pour vostre interest*,
Donnez en ma faveur un équitable Arrest,
Au plus parfait Amant* donnez la preference,
Condamnez mon Rival dont l’amour vous offense ;
1245 Une seule ne peut recevoir tous ses vœux*,
Puis que vous estes trois, qu’il n’en offense deux 182;
Et puis que toutes trois je vous crois adorables,
Pour moy donc toutes trois monstrez vous favorables. {p. 92}

THALIE à Hyacinthe.

Vous dont le cœur constant brusle d’un autre Amour,
1250 Hyacinthe, parlez, car c’est à vostre tour.

HYACINTHE POUR LES Constans.

De mon Rival subtil* j’admire l’Eloquence,    
Et me condamnerois à garder le silence,    
N’ayant pas comme Ovide apris cet art charmant*,
Qui pour seduire un cœur trompe le jugement.
1255 Mais quand je vois icy pour mes juges les Graces,
Qui des Vertus leurs sœurs suivent par tout les traces183,
Que ne sçauroit corrompre un langage flateur,
Je ne redoute plus ce fameux Orateur.
Pour commancer par vous, Déesses adorables,
1260 Ovide pour vous rendre à ses vœux favorables,
Dit qu’il veut partager l’estime* entre vous trois,    
De peur d’en blaisser deux par un unique choix.
Bien loin d’avoir pour vous d’obligeantes pensées184,
Les Nymphes de ces lieux en seroient offensées ;
1265 Partager ses desirs ce n’est pas faire honneur,
Car la moindre beauté croit meriter un cœur.

CEPHISE.

Il n’est rien de mieux dit.

CORINNE.

La responce est jolie
[Q ; 93]

HYACINTHE.

Je passe à ces raisons*, belle & sage Thalie.
Le Genie amoureux qui bastit l’Univers,
1270 L’orna, dit-il, expres de cent charmes divers,
Et fit pour enchaisner les cœurs de tout le monde,
La belle, l’agreable, & la brune & la blonde.
Mais il fit pour reigler tant de diversitez,
Tout autant de desirs, qu’il a fait de beautez.

OVIDE.

1275 Qui peut plaire à plusieurs & n’en veut aymer qu’une,
Est un grand ennemy de sa bonne fortune.
Les plaisirs sont legers, estant si limitez ;
Mais on en reçoit mille, ayant mille beautez185.

HYACINTHE.

D’un esprit divisé les desirs s’afoiblissent,
1280 Ils ne sont jamais grands, s’ils ne se réunissent ;
Qui prend divers partis* ne reüssit pas bien,
Et qui veut aymer tout, à la fin n’ayme rien.
L’inconstant est au bout de ses ruses galantes*,
Lors qu’*il est rencontré par deux de ses Amantes ;
1285 Recevant de leur part des ordres differens,
Il ne peut obeyr à deux en mesme temps* 186:
Si d’en servir* plus d’une il est si difficile,
Comment pretendez-vous qu’on en puisse aymer mille ?

OVIDE.

On peut fort aisement les aymer tour à tour,
1290 Les aymer par quartier*, comme on sert* à la Cour*.

HYACINTHE.

Ce sera pis encor, car celle que l’on quitte,
Se plaindra que l’on fait injure* à son merite*,
Et celle qu’il choisit, doit s’attendre qu’un jour
Un esprit si leger luy joüra mesme tour. {p. 94}
1295 Sur la fidelité l’amante se repose ;
Aymer, estre fidelle, est une mesme chose.    
Les desirs inconstans, & qui changent toujours,    
Ce sont des feux folets*, & non pas des amours.
Un trompeur qui s’engage* à diverses maistresses* ;
1300 Pour les mieux abuser par de feintes* promesses,
Et trouver une excuse à l’infidelité,
Dit qu’il fuit la laideur, & cherche la beauté ;
Mais la beauté du corps d’un volage adorée,
N’est pas à dire vray, de si courte durée ;
1305 Quoy que l’on la compare aux roses du Printemps187,
Qu’elle ne dure assez pour voir des feux constans188 :
L’espace est assez long du regne d’une belle,
Pour obliger un cœur à demeurer fidelle ;
Et l’esprit n’a t il pas des charmes eclatans*,
1310 Qui ne sont point sujets à l’injure* du temps ?

OVIDE.

Fort bien, mais dites moy, les Amans de cette Isle,
Auroient-ils soupiré pour la vieille Sybille ?
Elle avoit l’esprit beau.

CORINNE.

C’est railler galamment.

HYACINTHE.

Ovide ne sçait pas ce que c’est qu’estre Amant*.
1315 Lors que* d’un mesme trait deux ames sont blessées,
Qu’elles n’ont toutes deux que les mémes pensées,
Elles ont des plaisirs qu’on ne peut exprimer,
Et qu’on sent seulement lors qu’*on sçait bien aymer ;
Leurs soucis* amoureux, qu’il appelle humeur noire189,
1320 Ne sont pas des remords, mais des desirs de gloire* ; {p. 95}
Les grandes passions* ravissent le repos,
Et de mesme que Mars, l’Amour a ses Heros.
La plus illustre* vie est de soins toujours pleine190,
Au feste du bonheur nul n’arrive sans peine ;
1325 Mais ce Dieu favorable au plus fidelle Amant*,
Paye un siecle d’ennuis* par un heureux moment.

OVIDE.

De vos Amans transis avez-vous des exemples,
De ceux à qui la gloire* a fait bastir des Temples 191 ?

HIACINTHE.

Il en est d’assez beaux & d’assez éclatans,
1330 Pour convaincre* d’erreur les esprits inconstans.
Le Dieu qui fait aymer, & qui sçait comme on ayme,
Qui des parfaits Amans est l’exemple luy mesme,
L’Amour d’un seul objet* a veu son cœur touché,
Et n’ayma jamais rien que la belle Psiché.
1335 Si j’ay pour moy l’Amour, la Vertu*, la Nature
En faveur des Constans je puis donc bien conclure,
Que n’ayans tous qu’un cœur & qu’une volonté,
Nous ne devons aymer qu’une seule beauté.

CORINNE.

Cephise desormais expliquez vous sans fainte.
1340 Pour lequel estes-vous, d’Ovide, ou d’Hyacinthe ?
L’un & l’autre a fait voir un amour sans pareil.

CEPHISE.

Les Graces sur ce point tiennent desja conseil.

OVIDE à Hyacinthe.

On va vous condamner, tremblez donc Hyacinthe.

HYACINTHE.

Mais vous mesme écoutez avec respect & crainte. {p. 96}

THALIE.

1345 Nous voudrions pouvoir tous deux vous couronner,
Mais nous n’avons qu’un prix seulement à donner ;
Vos differends d’ailleurs sont de telle importance,
Qu’ils tiennent justement nos esprits en balance,
Car vos deux passions*, vos divers sentimens,
1350 De l’empire d’amour sont les seuls fondemens :
Et puisqu’enfin Venus sur ce point s’interesse*,
Afin de consulter cette grande Deesse,
Nous allons toutes trois remonter dans les Cieux,
Attendez cependant ses ordres dans ces lieux.

RECIT.

1355 Sous ces ombrages vers, troupe illustre* & fidelle192,
Attendez nous en paix ;    
Venus, cette aymable* immortelle,    
A nostre heureux retour unira pour jamais,
Le plus parfait Amant* avecque la plus belle.

HYACINTHE.

1360 Allons sacrifier à ces belles Deesses,
Qui doivent mettre fin à toutes nos tristesses.

OVIDE.

J’attendray leur retour sans craindre & soupirer ;
Quand on aime par tout, on doit tout esperer.
[R ; 97]

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

CEPHISE seule.

STANCES.

L’Amour & la Vertu* sont deux grandes puissances,
1365 Qu’on revere dans l’Univers ;
A leurs adorateurs divers,
Chacun offre des recompenses :    
L’une & l’autre a pouvoir d’allumer nos desirs,
Et voudroit sur nos cœurs remporter la victoire ;
1370 L’Amour nous promet les plaisirs,
Et la Vertu* promet la gloire*.
Mon sexe d’une humeur* severe*,
Trouve en la Vertu* des appas* ;
L’autre d’Amour suivant les pas,
1375 Met tout son bonheur à nous plaire ;
Pour nous vaincre il fait ses efforts,
Nostre fierté* paraist visible ;
On sauve toujours le dehors ; {p. 98}
Mais souvent au-dedans on n’est pas insensible.
1380 La Vertu* par fois elle-mesme,
Nous trahit en faveur d’Amour ;
Lors qu’*un Heros nous fait la cour*,
Nous courons un danger extréme,
Il flechit nos cœurs glorieux*,
1385 Et l’ame la plus genereuse
Croit, pour aymer les vertueux
N’en estre pas moins vertueuse.
C’est l’estat où je suis reduite,
Depuis cinq ans que dans ces lieux,
1390 Un Grec égal aux demi-Dieux193,
Fait marcher l’Amour à sa suite ;
En vain contre ce Dieu vainqueur,
Ma pudeur* differe à se rendre,
Lors qu’*il est entré dans un cœur,
1395 Il est trop tard de s’en deffendre.
Depuis le jour fatal* que j’ayme,
Mon orgueil accroist mon tourment* ;
Je ne combats plus mon Amant*,
Mais je combats contre moy-mesme,
1400 J’esprouve en mon sort rigoureux,
Que la sagesse qu’on admire,
Fait quelque fois des malheureux*,
Puis que c’est un grand mal que d’aymer sans le dire.
Pour finir ma dure contrainte
1405 Sans ternir mon nom glorieux*,
En ma faveur, ô justes Dieux ! [Rij ; 99]
Venez couronner Hyacinte,    
Afin que mon cœur combatu,
Puisse accorder* par sa victoire,
1410 L’Amour avecque la Vertu*,
Et les plaisirs avec la gloire*.
Mais Aminte paraist, pour finir mes tourmens*,
Elle vient m’annoncer le sort de deux Amans.

SCENE II. §

CEPHISE, AMINTE.

CEPHISE continuë.

Dy les Graces du Ciel sont-elles revenuës ?

AMINTHE.

1415 Oüy leur superbe* Char a traversé les nuës,
Elles sont de retour, l’on a donné le prix :
Mais helas !

CEPHISE.

Ne tiens point en suspens mes esprits,
Dis qui l’a remporté, d’Hyacinte, ou d’Ovide.

AMINTE.

Je crains de vous fascher.

CEPHISE.

C’est estre trop timide* :
1420 Si tu ne connois pas le secret de mon cœur,
Pourquoy redoutes-tu de nommer le vainqueur ?

AMINTE.

Je crains fort que Venus n’ait esté favorable, {p. 100}
A celuy qui pour vous n’est pas le plus aymable*.

CEPHISE.

Ovide seroit-il cét Amant* fortuné* ?

AMINTE.

1425 Non, vous voyez celuy que l’on a couronné.

SCENE III. §

HYACINTE, CEPHISE.

HIACINTHE.

Je viens pour vous offrir cette Illustre* couronne,
Que l’Amour a conquise, & que le Ciel me donne,
Sur mon fameux Rival je viens de l’emporter,
Sans par un vain* orgueil croire* vous meriter :
1430 Pour la mettre à vos pieds je l’oste de ma teste,
Et bien que du vainqueur vous soyez la conqueste,
De ce bon-heur trop grand je n’abuseray pas,    
Je veux rendre l’honneur qu’on doit à vos apas,
Pour monstrer mon amour par un respect extrême,
1435 Cephise peut encor disposer d’elle mesme :
Je me croy son Captif, & non son Souverain,
Et ne puis la contraindre à me donner la main,
Quoy-que Venus l’ordonne, & le Ciel l’authorise, [Riij ; 101]
Car je ne veux devoir Cephise qu’à Cephise.

CEPHISE.

1440 Ce procedé me plaist dont vous usez vers moy,
Et d’un si doux vainqueur je veux prendre la loy.
Apres tant de respects je dois enfin me rendre,
Contre vous ma raison* ne peut plus se defendre :
Et mon superbe* esprit par l’amour combatu,
1445 Ne sçauroit resister contre tant de vertu*:
Pour n’estre pas ingrate aux yeux de tout le monde,
Il faut que mon estime* à la vostre responde,
Si j’ose l’avouer sans blesser la pudeur*,
Je n’eus jamais pour vous ny mespris ny froideur*,
1450 L’Amour seul excepté, tout vous estoit contraire,
Mon sexe, la pudeur*, un Rival & mon pere :
Mais pour me declarer aujourd’huy contre tous,    
J’attendois que le Ciel se declarast pour vous ;
Et puis qu’à vos desirs il s’est monstré propice,
1455 Cephise avec le Ciel vous veut rendre justice ;
Avec ma main encor je vous donne mon cœur,
Et ne veux plus cacher sa gloire* à mon vainqueur.

HYACINTHE.

Quoy ? la belle Cephise à ma peine est sensible*,
Et me donne son cœur ! ô Dieux, est-il possible !

CEPHISE.

1460 Hyacinthe n’a rien qu’il n’ait sçeu meriter,
Et ma reconnoissance enfin doit éclater.

HYACINTHE.

Je suis tout transporté* d’oüir cette nouvelle ;
C’est un plaisir d’aymer une amante si belle ; {p. 102}
Mais de s’en voir aymé, c’est un si grand honneur,
1465 Que rien dans l’Univers n’egale ce bonheur.
Vous superbes* Cezars, qui triomphez en guerre,
Que la fortune aveugle a faits Dieux sur la terre,    
Qui de vostre grandeur rendez les Roys jaloux,
Venez voir un Amant* plus satisfait que vous,
1470 Et qui sans commander à tout cét hemisphere,
Est heureux & n’a plus aucun souhait à faire.

CEPHISE.

Ce grand transport* me plaist dont il est agité,
Puis qu’il fait voir son zele & sa fidelité.

HYACINTHE.

Je voudrois que le Dieu qui lance le tonnere,
1475 Nous voulut oublier dans un coin de la terre ;
Et que dans un desert jusqu’à mon dernier jour,
Je ne visse plus rien que Cephise & l’Amour.
Mais Daphnis vient icy troubler nostre alaigresse,
Il fait voir sur son front une sombre tristesse,
1480 Et l’on voit dans ses yeux éclater la douleur.
{p. 103}

SCENE IV. §

DAPHNIS, HYACINTHE, CEPHISE, AMINTE.

DAPHNIS.

Je viens vous annoncer un sensible* malheur,
Et vous aurez besoin de tout vostre courage ;
Vostre amour dans le port est proche du naufrage194.

HYACINTE.

Puis que le Ciel prend soin de nous favoriser,
1485 Quelqu’un à son Arrest ose-t’il s’opposer ?

DAPHNIS.

Ovide.

HIACINTHE.

Et bien, Ovide…

CEPHISE.

O dieux ! que j’ay de crainte !

HIACINTE.

Acheve donc.

DAPHNIS.

Jaloux du bonheur d’Hyacinthe[,]
Pour braver la Déesse au milieu de la Cour*,
Veut mespriser les loix de la mere d’Amour ;
1490 Et ce subtil* Romain dit que cette Immortelle,
Peut juger seulement des charmes d’une belle :
Mais que ce droit divin n’appartient qu’à son fils, {p. 104}
De juger des Amans, & de donner le prix ;
Il imite Corinne, & veut à son exemple,
1495 Estre jugé dans Rome où l’Amour a son Temple.
Son pere ambitieux approuvant ses desseins195,
Veut en despit du Ciel s’allier aux Romains,    
Et luy mesme dans peu la veut conduire à Rome196.

HYACINTHE.

Cephise donc en vain a remporté la pomme,
1500 Et les Graces en vain aussi m’ont couronnée,
Puis que de mon Rival l’orgueil trop obstiné
Jusque dans Cypre mesme a bravé la Deesse,
Et voudroit me ravir ma divine Maistresse* :
On la conduit à Rome, helas ! que m’as-tu dit ?

CEPHISE.

1505 Quoy ? par cette nouvelle estes-vous interdit* ?

HYACINTHE.

O dieux ! qu’en un moment la fortune est changeante !
Tout sembloit dans ces lieux respondre à mon attente,
Par un Arrest du Ciel mes desirs satisfaits,
Eslevoient mon bonheur au dessus des souhaits ;
1510 Les Graces & Venus, tout m’estoit favorable,
J’aymois, j’estois aymé d’une Amante adorable,
Qui me vouloit donner & sa main & son cœur,
Et l’Amour d’un Rival m’avoit rendu vainqueur197 :
J’estois égal aux Dieux, lors qu’*un coup de tempeste
1515 Du haut du Capitole a menacé ma teste :
Et l’aveugle destin par ce coup rigoureux198,
Du plus heureux Amant* fait le plus malheureux*.
Mais malgré l’Empereur, malgré l’Aigle Romaine199, [S ; 105]
Ovide sentira les effets de ma haine :
1520 Entre les bras des siens je luy veut faire voir,
Ce que peut un Amant* qu’arme le desespoir.

CEPHISE.

Arreste les transports* d’une aveugle colere,
Et calme tes fureurs, si Cephise t’est chere ;
Ne m’abandonne pas aux cruels desplaisirs*,
1525 De voir ta derniere heure & tes derniers soupirs.
Mais n’as-tu pas assez de bonheur & de gloire*,
Quand ton cœur sur le mien remporte la victoire,
Sans vouloir malgré moy chercher un autre prix200,
Aux despens d’un Rival pour qui j’ay du mespris ?

HYACINTHE.

1530 Je redoute Alcidon à mon amour contraire.

CEPHISE.

Quand le Ciel est pour nous pourquoy craindre mon pere ?

HYACINTHE.

Mais l’orgueil des Cezars peut m’imposer la loy201.

CEPHISE.

Craindre Rome & Cezar, c’est douter* de ma foy*202,
Car la vertu* partout est triomphante & libre,
1535 La mienne va briller* au rivage du Tybre203 :
Et je me rejoüis malgré tout ton effroy,
Que cette occasion se soit offerte à moy.    
Qu’Auguste redouté sur la terre & sur l’onde,
Par l’ordre des destins, soit le Maistre du monde,
1540 Que trente legions l’en rendent le vainqueur,
Ce Tyran qui peut tout, ne peut rien sur mon cœur : {p. 106}
Si sa grandeur s’oppose à mon ardeur fidelle,
Ma constance est plus grande, & triomphera d’elle[,]
Plus il est redouté, plus il a de pouvoir,
1545 Et plus j’auray de gloire* à faire mon devoir.
Puis que je veux agir en genereuse Amante,
Bannis de ton esprit tout ce qui t’espouvante,
Et crois avec[que] moy pour braver les hazards*,
Que l’Amour est un Dieu qui commande aux Cesars.

HYACINTHE.

1550 Puis que vostre vertu*, vostre beauté divine
Fait voir des sentimens dignes d’une Heroïne,
Je suis prest de vous suivre, & traineray mes fers    
Des rivages de Cypre aux bouts de l’Univers,
Sans craindre que jamais les Tyrans ny l’envie
1555 Puisse troubler le cours de nostre illustre* vie.
Mais Ovide paraist, dans mon transport* jaloux
J’ay peine à moderer l’ardeur de mon couroux.    

CEPHISE.

Mais il le faut dompter, encor qu’il soit extréme204,
Et qui veut vaincre autruy, se doit vaincre soy mesme,
1560 Je m’en vais luy parler.
{p. 107}

SCENE V. §

CEPHISE, OVIDE, HYACINTHE, CORINNE, AMINTE, MAXIME, DAPHNIS, CELIE.

CEPHISE.

Venez-vous dans ces lieux,
Afin de nous braver encor apres nos Dieux205 ?

OVIDE.

De quoy vous plaignez-vous ? d’où naissent vos tristesses ?

CEPHISE.

N’avez-vous pas trahy dans un jour deux Maistresses*,
Et ce parfait amy ?

OVIDE.

L’Amour rend tout permis,
1565 Et quiconque est Amant* ne connaist plus d’amis :
Je suis pour accorder* la raison* & mes flammes,
Fort fier* à mes Rivaux, & fort civil* aux Dames,
Corinne qui le sçait, ne se plaint pas de moy.

CEPHISE, à Corinne.

Quoy ? vous pardonnez donc à cet amant* sans foy* ?

CORINNE.

1570 Vostre pere vouloit par le nœud d’Himenée
Et d’Ovide & de vous unir la destinée : {p. 108}
Mais luy qui craint sur tout de si facheux* liens,    
Neglige vos attraits pour rendre hommages aux miens.

CEPHISE.

Il faut s’en consoler, & j’ay l’ame assez belle,
1575 Pour le loüer encor lors qu’*il m’est infidelle,
Je prends vos interests* dans cette occasion.

CORINNE.

Vous en avez pourtant de la confusion*,
Et vous en rougissez.

HIACINTHE.

Elle en est peu surprise.

OVIDE.

J’ay beaucoup de respect pour l’aymable* Cephise,
1580 Je prise* infiniment cette rare beauté,
Mais j’ayme cherement aussi ma liberté.

HIACINTHE.

Quoy Cephise n’a plus nul charme qui vous touche ?

OVIDE.

Dés qu’on parle d’Hymen, mon amour s’effarouche :
Ce Dieu vous peut tous deux enchaisner dès demain,
1585 Pour moy de ce peril je retire la main.

HIACINTHE.

Moy j’y fais consister le bonheur de ma vie.

OVIDE.

Je verray ce bonheur sans vous porter envie.
Et pour n’estre jamais ny facheux* ny jaloux,
Chagrin*, ny pire encor, je fuis le nom d’espoux.
[T ; 109]

HYACINTE.

1590 Mais l’Hymen des Amans assure* la conqueste206.

OVIDE.

Il ne vient dans ces lieux que pour troubler la feste,
C’est le plus importun de tous les Immortels,
Et si l’on me croyoit, il n’auroit point d’Autels207 ;
Les Amans & l’Hymen s’accordent* mal ensemble,
1595 Il divise les cœurs que l’on croit qu’il assemble,
Il ne plaist tout au plus que trois jours seulement,
Et veut que son pouvoir dure éternellement.

HIACINTHE.

Si vous le mesprisez & lui faites la guerre,
Pourquoy remuez-vous & le Ciel & la terre,
1600 Pour empescher encor que nous soyons unis ?

CEPHISE.

C’est vous seul qui troublez la feste d’Adonis,
Lors que* vous pretendez* que l’on nous juge à Rome.

OVIDE.

Lors que* j’agis ainsi, j’agis en galant* homme,
Et je ne puis souffrir* qu’on veüille injustement
1605 Me disputer* le nom du plus parfait Amant*,
Je veux sur Hyacinte emporter la victoire,
Triompher d’un Rival qui veut ternir ma gloire*.

CORINNE.

Ainsi qu’Ovide, aussi je pretens remporter
Le prix que dans cette Isle on me vouloit oster.

HYACINTHE.

1610 Les prix estoient donnez justement ce me semble,
Mais je voy que tous deux vous cabalez* ensemble.
En despit de Venus & de l’ordre des Cieux,
Vous voulez contenter vos cœurs ambitieux, {p. 110}
Mais je jure l’Amour & les Dieux de la Grece208,
1615 De servir* contre tous mon illustre* Maistresse*.    

OVIDE.

Et moy je jure aussi par les Dieux des Romains,
Plus forts que ceux des Grecs, & Maistres des humains,
Sans que dans mes sermens la fureur me domine,
De prendre contre tous l’interest* de Corinne.

CEPHISE.

1620 Ne sçauroit-on enfin vous accorder* tous deux ?
Mais d’où vient que le Ciel est tout remply de feux ?

CORINNE.

Je voy de longs esclairs qui percent le nuage,
Ces signes que je croy sont de mauvais* presages.

OVIDE.

Peut-estre que l’Hymen va descendre des Cieux.

CORINNE.

1625 Mais j’entends dans les airs un son harmonieux.
Escoutons.

RECIT.

Bannissez toutes vos haines,
Amour, le plus beau des Dieux,
Pour mettre fin à vos peines,
1630 Va faire un Ciel de ces lieux209,
Et couronner de fleurs sur ces rives charmantes*,
Et les Amans, & les Amantes.

HIACINTHE.

C’est l’Amour dans le Char de sa mere.

CEPHISE.

Que son visage est beau !

CORINNE.

Qu’il a d’attraits pour plaire ! {p. 111}

SCENE VI. & derniere. §

L’AMOUR, HYACINTHE, CEPHISE, OVIDE, CORINNE, AMINTE, CELIE, DAPHNIS, MAXIME.

L’AMOUR.

Je viens mettre la paix dans cet heureux sejour*,
1635 Et mon empire est doux, puis que je suis l’Amour.
Vous fidelles Amans, Hyacinthe & Cephise.
A qui mes traits puissans ont ravi la franchise*,
Pour augmenter vos biens j’ay fait croistre vos maux,
Mais je vais desormais couronner vos travaux*,
1640 Pour voir de vos beaux jours la course fortunée*,
Je fais venir du Ciel le pompeux* Hymenée :
Joüissez donc en paix de la felicité,
Dans des liens plus doux que n’est la liberté.
Je vais changer l’Arrest prononcé par les Graces,
1645 Et veux que dans mon Temple & dans toutes les places,
Le peuple d’Amathonte entende publier {p. 112}
Celuy-cy que l’Amour lui deffend d’oublier210.
Je veux que desormais on puisse dans le monde,
Aymer esgallement* & la brune & la blonde,
1650 Sans que pas un Amant* ait droit de decider*,
Entre ces deux beautez laquelle doit ceder ;
Ovide retournez au rivage du Tybre,
Soyez tousjours Amant*, & soyez tousjours libre,
Que Corinne vous suive, & vous imite aussi,
1655 Vivez dans mon Empire exempts de tout soucy* :
Bien que dans l’Univers vous serviez à ma gloire*,
Cedez aux plus constans le prix de la Victoire,
Et pour sortir d’erreur, aprenez aujourd’huy,
Qu’Hymen n’est point facheux* quand je suis avec luy.

FIN.

Glossaire §

ABREVIATIONS

A = Dictionnaire de l’Académie française, 1694.

F = A. Furetière, Dictionnaire universel, 1690.

R = P. Richelet, Dictionnaire français, 1680.

A ce discours
D’après ce discours, à entendre ce discours.
V. 772.
Accident
« Cas fortuit, ce qui arrive par hasard ; il se prend presque toujours en mauvaise part » (A). Il signifie donc tantôt seulement événement...
V. 781
Tantôt calamité.
V. 47
Accorder
« Concilier, ôter l’apparence de contradiction », en parlant des choses (A)
V. 830, 932, 1409, 1566
« Mettre d’accord » (A), en parlant des personnes.
V. 1128 et 1620.
A aussi parfois le sens actuel, à savoir consentir à donner, octroyer.
V. 139.
Accorder (s’)
« Se dit de l’union de deux personnes qui traitent, qui conviennent de quelque chose. Il faut remarquer qu’on ne dit « accord » que des affaires légères et particulières » (F), se « mettre d’accord », « mettre entre [soi] la bonne intelligence » (A)
V. 973 et 1594.
Se concilier, quand il s’agit de choses.
V. 122, 172, 730.
Avoir accoustumé
Avoir l’habitude de, être accoutumé à.
V. 131.
Admirable
Qu’on « regarde avec étonnement », ou stupeur comme « quelque chose de surprenant ou dont on ignore les causes » (F). Ce mot comporte le plus souvent une intention ironique. Il tient ce sens, relativement faible par rapport au sens actuel, du latin « admirari », « regarder avec étonnement ».
V. 26, 179, 365.
Adresse
Habileté, talent.
V. 779, 814, 935.
Conduite artificieuse, ruse, finesse*.
V. 736.
Advis
« Se dit des nouvelles qu’on reçoit de dehors » (A).
V. 1016.
Affecter
« Aimer, souhaiter quelque chose avec empressement » (F) sans nuance défavorable ; rechercher avec soin, suivre avec passion, employer avec amour.
V. 817 (le terme « affectez » est dans ce cas un participe présent passif).
S’emploie déjà parfois au sens défavorable, comme le substantif « affectation », et marque l’ostentation ou la feinte*.
Affronter
« Tromper sous prétexte* de bonne foi » (A), abuser impudemment par de fausses apparences.
V. 455, 531, 989.
Agrément
« Qualité par laquelle on plait » (A) ; par exemple, « cette femme n’est pas belle mais elle a beaucoup d’agrément » ou « il n’a nul agrément en tout ce qu’il fait ».
V. 921 et 1194.
Aimable
Digne d’être aimé.
V. 38, 61, 78, 93, 114, 116, 177, 181, 366, 714, 753, 818, 1055, 1120, 1200, 1235, 1239, 1357, 1423, 1579.
Air
« Certaine manière que l’on a dans les exercices du corps, dans la façon d’agir » (A) ; ce mot vague était très à la mode. Il « veut dire je ne sais quoi qui paraît en un instant que la nature donne et qu’on ne peut bien définir » (Andry de Boisregard dans Réflexions sur l’usage présent de la Langue française, 1689). Mais l’abus du mot le rendit ridicule : « ceux qui parlent bien, ne s’en servent qu’en riant, por se moquer des gens du bel air. » (P. Bouhours dans Les entretiens* d’Ariste et d’Eugène, 1671) Molière n’y a pas manqué (cf. Les Précieuses Ridicules, sc. 4 ; Les Fâcheux*, V.  61 ; La Critique de L’Ecole des Femmes, sc. 3-5 etc.)
V. 107, 365, 567, 908.
Alarme
« Se dit de toute sorte d’effroi, d’épouvante. » (A)
V. 689.
Amant
Personnage « qui aime d’amour une personne d’un autre sexe » (A) et désire en être aimé.
Se distingue de l’amoureux qui aime sans être aimé : « qui aime et qui est aimé ». (R) L’ambiguité du terme est présente dans toute la pièce. On peut penser que c’est parce que Hyacinthe était secrètement aimé de Céphise que les Graces lui ont accordé la victoire sur Ovide.
Prologue, et V. 8, 1314, 1359, 1398, 1469, 1517, 1521.
Appeler de
(Sens juridique) en réclamer la réformation devant une juridiction supérieure.
V. 1062.
Ardent
« Qui est en feu,…allumé, enflammé » (A)
Au sens figuré, passionné.
V. 70, 163, 307.
Appareil
« Apprêt, préparatif ». (A)
Appas
« Amorce, charme qu’on emploie pour gagner ou attraper quelqu’un » (R), au sens propre et au sens figuré.
V. 31, 40, 135, 203, 213, 219, 232, 360, 511, 537, 833, 904, 945, 965, 993, 1090, 1201, 1373.
Avantage
Succès, « se dit de la victoire » (F).
V. 739, 795, 871.
« Ce qu’on a de plus qu’un autre en quelque sorte de bien que ce soit » (A), d’où le sens actuel, privilège d’ordre pratique, intérêt.
Bienséance
Convenance, sans caractère moral ni social. « se dit de ce qui est commode, utile et avantageux » (F).
Briller
« Reluire, jeter une lumière étincelante, avoir de l’éclat » (A) ; ce sens correspond au sens actuel.
V. 185, 651, 1535.
Aller et venir dans un lieu, autour de quelqu’un, « se dit aussi d’un chien de chasse qui quête et qui bat beaucoup de pays » (A).
V. 68, 1190.
Cabale
« Se dit de quelques sociétés d’amis qui ont entre eux une liaison plus étroite qu’avec d’autres, sans avoir aucun mauvais* dessein, comme pour se divertir, étudier. » (F)
V. 1611.
Cajoler
(Verbe intransitif) Piailler, jaser, jacasser comme un jeune oiseau en cage.
V. 908.
Chagrin
(Adjectif) de rude, « de facheuse, de mauvaise humeur* » (A) sans idée d’affliction ni d’ennui, irritable.
V. 350, 1116, 1214, 1589.
(Substantif) rude, « fâcheuse, mauvaise humeur* » (A) sans idée d’affliction, accès de bile, mouvement d’irritation.
V. 1011, 1125.
Charmant(e)
A un sens beaucoup plus fort qu’aujourd’hui qui signifie ensorcelante, exerçant « quelque effet merveilleux » (F).
Prologue, V. 10, 29, 91, 763, 793, 825, 1149, 1221, 1253, 1631.
Civil
Courtois, honnête, affable.
V. 908, 1204, 1213, 1567.
Climat
« Pays, contrée » sans idée de conditions atmosphériques. (« La France est un climat heureux et doux. » (R)
V. 4, 16, 130, 799.
Complaisant
« Qui tâche de plaire » (F), qui cherche en tout et pour tout à faire plaisir.
V. 1213.
Complaisance
Exprime la même nuance et a la même force.
V. 186.
Confident
Qui reçoit ou mérite de recevoir des confidences, en qui on peut avoir confiance. (cf. l’identité d’origine des deux mots « confiance » et « confidence », doublets du même mot latin « confidentia ».
V. 48, 88, 293.
Confus
Troublé entièrement, bouleversé, « plein de trouble et de confusion » (R).
V. 237, 249.
De même confusion signifie trouble profond, bouleversement.
V. 1577.
S’emploie déjà en parlant de l’embarras qui naît d’un sentiment de faute ou de pudeur*.
V. 237.
Convaincre (quelqu’un)
Confondre quelqu’un, au sens judiciaire du terme, c’est-à-dire prouver publiquement son erreur, ses torts, son crime.
V. 1047, 1330.
Cour
« Les respects et les assiduités qu’on rend à quelqu’un. » (A)
V. 164, 475, 1094, 1382.
A aussi le sens actuel de résidence d’un souverain et de son entourage.
Prologue et V. 3, 194, 300, 308, 675, 790, 792, 1290, 1488.
Croire
« Obéïr à, écouter comme digne de foi…suivre l’avis, le conseil de… » (F).
V. 191.
(Avec complément direct et indirect) ajouter foi à, regarder comme réel.
V. 73, 290, 321, 573, 1429.
D’abord
Aussitôt, tout de suite.
V. 48, 50.
Débiter
Mettre en circulation.
Extrait du privilège.
Décider
« Juger [de quelque chose] avec trop de présomption et de confiance » (A).
V. 495, 887, 1197, 1650.
« Résoudre », « terminer, mettre fin à » (A).
V. 24, 1019.
Se défier de
« Se douter. Je me suis toujours bien défié que cela arriverait ainsi. » (F)
V. 342.
Déplaisir
Désespoir, « chagrin*, tristesse » (F). Il a en général un sens très fort, et se dit des afflictions les plus profondes, des souffrances morales les plus violentes.
V. 252, 957, 1028, 1524.
Démêler
Mettre au clair, « débrouiller, éclaircir. » (A)
V. 168.
Dépit
Révolte d’amour-propre, « sorte de courte colère, fâcherie, déplaisir* » (R), irritation violente, causée par une marque de mépris, par un affront*.
V. 96, 903, 906, 1025, 1027, 1030, 1035, 1084.
Devoir
« Ce à quoi on est obligé par la bienséance, la profession, le droit » (A). Ce sens est conforme au sens actuel.
« Se dit aussi de ce qui arrivera nécessairement, infailliblement » et se conjugue alors au présent de même qu’on dit à l’heure actuelle : « il doit être malade ».
V. 225, 550, 646.
Deshonneste
« Qui est contre les règles de l’honneur, de la bienséance. » (F)
Diligence
Hâte, et même « exactitude qu’on a à faire quelque recherche » (F).
V. 257.
Disgrâce
« Infortune, malheur » (A), a un sens très fort (peut même signifier la mort).
V. 245.
Disputer
« Être en débat, avoir contestation » concernant un objet convoité par deux personnes au moins (A). Ce verbe se construit donc avec un complément d’objet direct et indirect.
Prologue, V. 4, 79, 141, 788, 882, 942, 1066, 1170, 1605.
Donner
Inspirer, en parlant de sentiments.
V. 477, 589.
Doute
Incertitude.
V. 24, 385.
Difficulté qui rend incertain, scrupule qui rend hésitant.
V. 500.
« Quelquefois, crainte, appréhension » (A), soupçon.
V. 24.
Douter
Tenir pour douteux, considérer comme suspect.
V. 42, 340, 778, 1533.
Eclaircissement
Explication, demandée ou donnée à un adversaire, à propos de paroles blessantes, d’actions équivoques.
V. 777.
Eclat
« Gloire*, splendeur, magnificence » (A), lustre.
V. 220, 835, 1021.
Eclatant
Qui se manifeste de façon brillante, qui se couvre d’une splendeur resplendissante.
Egalement
Pareillement, semblablement.
V. 61, 1649.
Elite
« Ce qu’il y a de plus excellent en chaque genre, et de plus digne d’être choisi » (A).
Prologue.
Enchanter
Ensorceler comme par un charme magique, « surprendre, engager* par des attraits, par des artifices, par de belles paroles, de belles promesses » (A). Il tient ce sens très fort du latin « incantare », « chanter sur, prononcer une formule magique ».
V. 960.
Engager
(Verbe transitif) « obliger à faire quelque chose et le plus souvent sans violence » (A).
V. 818.
Attacher, lier en parlant de sentiments, d’intérêts.
V. 201, 587, 818, 1299.
Ennui
Douleur odieuse, tourment insupportable, violent désespoir, « signifie aussi généralement fâcherie, chagrin, déplaisir, souci » (A).
V. 610, 1326.
Entreprise 
« Dessein formé » (A, 94), « résolution hardie de faire quelque chose » (F), sans nuance défavorable.
V. 747, 856.
« Veut dire aussi quelquefois…action injustifiée par laquelle on entreprend, « c’est-à-dire on empiète » … sur les droits d’autrui ». (A)
V. 856.
Entretenir (quelqu’un)
Parler à quelqu’un (de quelque affaire).
V. 279, 521.
Entretien
« Conversation ». (F)
V. 29, 351, 691, 1177.
Estime
(Sens actif) « Bonne ou mauvaise opinion qu’on a … d’une personne ou d’une chose » (F).
V. 615, 1152, 1261, 1447.
(Sens passif) bonne ou mauvaise réputation dont on est l’objet ; en particulier, bonne réputation, gloire*.
V. 577.
Exact
« Qui observe ponctuellement tout ce qu’il faut jusqu’aux moindres choses dans ce qu’il fait… » (A).
S’expliquer pour une femme
Se déclarer.
V. 427, 429, 734.
Exprès
(Adj.) « qui est en termes si formels qu’il ne laisse aucun lieu de doute » (A).
V. 227.
(Adv.) « à dessein, à certaine fin » (A). Ce sens est conforme au sens actuel.
Fâcheux
Pénible à vivre, « malaisé à contenter, … peu traitable* » (A), dur ; susceptible, ombrageux.
V. 598, 684, 1572, 1588, 1659.
Faire l’amour
Faire la cour*, « c’est aimer d’une passion déclarée et connue à la personne que l’on aime, à laquelle on continue de la témoigner par les assiduités et les autres complaisances des amants. » (A)
Faire (peu de) conte de
Faire (peu de) cas de, en parlant d’une personne ; tenir (peu) compte de, en parlant d’une chose.
V. 561, 992.
Faire éclater
Manifester de façon bruyante, retentissante, un sentiment.
V. 918.
Faire l’empressé
« Fai[re] l’affairé, [être] chargé de beaucoup de besogne, [faire] le nécessaire » (F), marquer de l’empressement, c’est-à-dire de la hâte, sans idée de politesse obligeante, d’affection respectueuse, de dévouement inquiet.
V. 380.
Faire le fin (la fine), faire de la finesse
Faire le cachottier, dissimuler ; « je n’y entends point de finesse signifie je parle sincérement » (F).
V. 65, 191.
Fatal
« Ce qui doit arriver nécessairement, arrêt de la destinée. » (F)
V. 47, 1396.
Funeste*, « malheureux », néfaste. (F)
V. 47, 640, 786, 1008, 1034, 1396.
Qui cause ou qui accompagne la mort.
V. 47, 640, 1396.
Faveur
« Par opposition à rigueur, et surtout en matière de justice », « bienveillance d’un puissant, d’un supérieur », d’une maîtresse ; « crédit qu’on a sur son esprit ». (F)
V. 66, 129, 275, 839, 1046.
Feindre
« Inventer » (A), se dit en particulier de l’invention poétique.
V. 166, 182.
Dire faussement, faire croire* une chose inventée.
V. 166, 182.
Fier
Farouche.
V. 33, 171, 625, 635, 991, 1210, 1377, 1567.
Figure
Reproduction matérielle d’une forme.
V. 14.
Figurer
Représenter, dépeindre, aux yeux ou à l’esprit.
V. 1147.
Finesse
« (Mauvaise part) ruse, adresse*, artifice ; il est au bout de ses finesses* signifie au bout de ses inventions pour tromper. » (F)
V. 65.
Flatter
Charmer, séduire, « délecter » (A).
V. 936.
Se dit par extension, de tout ce qui agrée à une personne, de tout ce qui lui fait plaisir, lui donne de l’espoir et en particulier de tout ce qui apaise un chagrin*.
V. 148, 936.
« Signifie aussi tromper en déguisant la vérité ou par faiblesse ou par une mauvaise crainte de déplaire. (A)
V. 191.
Foi
Assurance donnée par une personne, engagement, « parole qu’on donne d’accomplir une chose, promesse de faire et d’accomplir quelque chose. » (R).
V. 410, 428, 488, 677, 1533, 1569.
Fidélité à un engagement donné, honneur, loyauté d’une personne.
Follet
« Qui s’amuse par gaïté à de petites badineries » ; un feu follet est « une espèce de météore, autrement appelé Ardent » (A).
V. 1298.
Fortuné(e)
Littéralement, à qui la Fortune, c’est-à-dire la chance, sourit ; autrement dit aimée des Dieux, ce qui se dit felix en latin.
V. 600, 1424, 1640.
Franchise
Liberté, indépendance, en ce sens « n’a guère d’usage qu’en poésie, et en parlant d’amour ». (A).
Prologue et V. 37, 50, 173, 720, 783, 1119, 1637.
Froid
« Qui ne s’émeut de rien » (A) ; faire froid à signifie « le recevoir avec une minemoins gaie, un visage moins ouvert qu’à l’ordinaire. » (A)
V. 162, 1142, 1186, 1225, 1449.
Funeste
« Qui cause la mort, ou qui en menace », mortel, meurtrier, sinistre, fatal*. (F)
V. 361, 686.
Galant
(Adjectif) « honnête*, civil*, sociable, de bonne compagnie de conversation agréable ». (A)
V. 9, 764.
Vif, plein d’entrain, jovial, empressé à s’amuser, à plaisanter (sans nuance défavorable).
V. 764.
Empressé à s’amuser (avec nuance défavorable), en parlant spécialement des plaisirs de l’amour ; qui aime les intrigues amoureuses.
V. 1283.
« Habile en sa profession » (A).
V. 1283.
« Qui cherche à plaire aux Dames » (A), qui s’en fait même un devoir.
V. 1283, 1603.
(Substantif) Amant* qui se donne tout entier au service d’une maîtresse, « mais se dit plus ordinairement de clui qui fait l’amour à une femme mariée ou à une fille qu’il n’a aps dessein d’épouser » (A).
N.B : Ce mot vient du vieux français « Gale », qui signifie réjouïssance et bonne chère, qui vient de « gallare », c’est-à-dire boire d’autant et se réjouïr à la mode des prestres de Cybelle qu’on nommait « galli ». (F)
Galanterie
Devoirs, respects, services que l’on rend aux Dames. Ce sens renvoie à peu près au sens actuel.
Fait de « chercher à plaire aux Dames ».
V. 417, 453.
Généreux
« Qui a l’âme grande et noble » (F), sans idée d’inclination à donner, de libéralité facile.
V. 528, 873, 1001.
Gloire
« Éclat, splendeur » (A)
V. 1607.
Considération, « honneur,… estime*, réputation qui procède du mérite d’une personne » (A) sans idée d’éclatante célébrité.
Désir de considération, ambition, amour-propre, fierté, vanité.
V. 570, 574, 662, 950, 1411.
Glorieux
Exprime parfois la même nuance, c’est-à-dire « plein de vanité, rempli de trop bonne opinion de soi. » (A)
V. 1305
Mais il signifie le plus souvent « qui est estimé » (sens passif)...
V. 83, 396, 846, 945, 1160, 1405
Ou « qui apporte la considération » (sens actif)
V. 83, 111, 613, 998.
Grâce
Disposition à être agréable.
Prologue, V. 94, 752, 892, 931, 1192.
Faveur*, amabilité qu’on accorde, sans idée de pardon, de remise de peine.
V. 462, 629, 1135.
« Selon le P. Bouhours, écrit Thomas Corneille, (Notes, 1687) [le terme] ne se dit en prose sérieusement que quand il s’agit de peinture » ; par conséquent, la disposition à être agréable est dans ce cas d’ordre visuel, conformément au sens actuel.
V. 94, 752, 892, 931, 1192.
Gracieux
Qui est bienveillant, favorable, qui accorde un service.
Prologue.
Disposition à être agréable, aimable.
De mauvaise grâce
(Accomplir quelque chose) malgré soi, sans avoir un mouvement spontané mais en y étant prié.
V. 401.
Hasard
Danger, « péril, risque » (A).
Agir au hasard : agir de manière inconsidérée, irréfléchie ».
V. (383), 593, 1548.
Hasarder
S’exposer au hasard* de, courir le risque de, braver.
V. 595.
Hautain
Fier, arrogant.
V. 1071.
Honnête
Honorable, qui mérite de l’estime*, de la considération.
Distingué, sous le rapport des manières et des agréments de l’esprit. « En ce sens, honnête* homme ne veut dire autre chose que galant* homme, homme de bonne conversation de bonne compagnie. » (A)
Bienséant, conforme aux règles de l’étiquette, aux devoirs de l’urbanité.
« Convenable à la raison*, bienséant à la condition, à la profession et à l’âge des personnes. » (A)
Honte
Pudeur*, modestie*, timidité, sans idée défavorable de déshonneur, d’humiliation.
V. 138, 154, 457, 582, 919, 991, 1011, 1040, 1084.
Humeur
Caractère au pont de vue moral, « naturel,…. être d’humeur à tout souffrir, c’est être d’un tempérament à tout souffrir. » (R)
Se dit aussi comme aujourd’hui, d’une disposition accidentelle, d’un état d’âme passager.
Illustre
Bien en vue, manifeste, éclatant* ; se dit des choses extraordinaires qui signalent un homme en bien ou en mal, et n’implique nécessairement aucune idée de gloire* ni de mérite.
Dédicace, prologue, V.  86, 317, 331, 612, 884, 925, 1019, 1323, 1355, 1426, 1555, 1615.
Incivil
Discourtois, deshonnête*.
V. 400, 532.
Inclination
Passion.
Objet* d’une inclination, personne aimée.
Indiscret
Sans discernement, irréfléchi, « étourdi, imprudent, qui ne prend pas garde à ce qu’il dit ou à ce qu’il fait » (A).
V. 616.
Injure
Injustice, « offense volontaire qu’on fait à quelqu’un contre la défense de la loi » (R)
V. 234, 416, 1069, 1115, 1292.
Dommage, « tort » (F).
V. 416, 1310.
Interdire
Jeter quelqu’un dans un étonnement, un trouble, tel qu’il lui ôte la faculté de parler et d’agir. Ce terme s’emploie encore, mais rarement, en ce sens.
V. 1505.
Intérêt
Ce terme a un sens judiciaire et signifie parti, cause.
V. 142, 168, 267, 709, 715, 1065, 1183, 1241, 1619.
Il peut signifier aussi, comme aujopurd’hui, affaire, question, souci qui regarde une personne.
V. 709, 1576.
Interessé
(Adj.) vient du latin interesse qui signifie « être ou se placer au milieu de », puis « prendre part à, se mettre dans la partie, intervenir ». « Intéressé » signifie donc dans cette pièce, qui participe à l’affaire (dont il est question), qui est concerné.
V. 1017.
S’interesser
S’engager à fond, prendre délibérément parti, se passionner pour ou contre une personne, une chose ; il a alors un sens très fort.
V. 1351.
Se jouer de
Se moquer de quelqu’un.
V. 417.
Licence
Liberté, sans idée d’excés ni de dérèglement moral.
Se dit déjà souvent en mauvaise part et signifie « abus de permissions qu’on étend au delà de leur intention, libertés qu’on prend de soi-même » (F), « dérèglement dans les mœurs, dans les actions, dans les paroles, et dans toute la conduite de la vie ».
V. 81.
Lors
Alors. C’est un adverbe et non une conjonction de subordination.
V. 903.
Lors que
Lorsque (conjonction de subordination).
Maîtresse
Femme aimée, qui exerce un empire sur l’homme qui l’aime.
V. 66, 278, 346, 493, 698, 780, 862, 971, 1223, 1291, 1503, 1563, 1615.
Malheureux
Infortuné, comme le latin infelix.
V. 1402, 1517.
Mauvais
Sans bonté, au point de vue moral, méchant, malveillant.
V. 405.
Funeste.
V. 686, 1623.
Mérite
« Assemblage de plusieurs vertus ou bonnes qualités en quelque personne qui luy donne de l’estime* et de la considération. Pour une dame cela signifie être fort belle et fort vertueuse. » (F)
V. 89, 177, 218, 391, 425, 462, 492, 538, 1104, 1127, 1203, 1292.
Modestie
« Modération, retenue dans les sentiments et dans tout ce qui parait au dehors » (A).
Respect des bienséances.
Modeste
« Qui a de la modération, de la sagesse, de la pudeur*. »
Se dit aussi « des choses inanimées, qui ne sentent point le faste et l’orgueil. » (F)
V. 83.
Murmure
Brouhaha, « se dit du bruit confus de plusieurs personnes qui parlent ensemble, sans qu’on en puisse discerner aucune en particulier. Il tient ce sens très fort du latin « murmur »,  « bruit sourd et confus » en parlant aussi bien du tonnerre, du rugissement des lions que des paroles dites à voix basse.
V. 683.
Objet
« Ce qui est opposé à notre vue,…ou ce qui se représente à notre imagination » (F).
V. 243.
« Se dit aussi des belles personnes qui donnent* de l’amour. » (F)
V. 465, 714, 846, 892, 1333.
Parti
Moyen terme, état intermédiaire.
V. 62.
Cause, au sens judiciaire.
V. 62, 552, 1281.
Passer
En arriver à, aller jusqu’à, avec l’idée d’une limite franchie.
V. 418.
Passion
Sentiment, mouvement du cœur, en général. « Se dit des différentes agitations de l’âme selon les divers objets* qui se présentent à ses sens » (F).
V. 529, 968.
Pasteur
Pâtre, berger.
Se piquer de
Se flatter de, faire profession de.
V. 101.
Pompe
Cortège triomphal, solennel.
Prologue.
Par extension, sans nuance défavorable, tout « appareil* magnifique, joyeux… ». (A) Ici, le mot pompe peut avoir les deux sens.
Prologue
Pompeux
Triomphant, glorieux, éclatant, grandiose, magnifique.
Prologue, V. 1641.
Pousser
Repousser, faire reculer avec violence, refouler.
V. 649.
Pousser à bout
Réduire à ne pouvoir répondre, sans inspirer d’ailleurs ni irritation ni impatience ; mettre à quia c’est-à-dire faire en sorte que son interlocuteur soit à court d’argument.
V. 435.
Prétendre
« Demander une chose à laquelle on croit avoir droit » (A), réclamer, revendiquer ; c’est un verbe transitif, contrairement à l’usage actuel.
V. 125, 479, 621, 473, 1043, 1161, 1602.
Priser
Évaluer très haut, « estimer », apprécier, louer. (A)
V. 98, 1580.
Pudeur
Confusion, embarras, « honnête* honte* » (A) ; ne se dit pas seulement de l’embarras qu’éprouve une âme chaste en présence de ce qui blesse la décence mais de la confusion causée par l’appréhension de ce qui blesse l’honnêteté, la modestie*, la délicatesse.
Modestie*.
V. 69, 617, 987, 1393, 1448, 1451.
Quartier
« Le quartier d’une rente, d’une pension » représente « ce qui est échu pendant trois mois, soit le quart de l’année » (F) ; le terme « se dit encore en parlant des gensqui servent chez le Roi… et signifie trois mois pendant lesquels on est obliger de servir » (R).
V. 1290.
Quereller
(Verbe actif) « attaquer, offenser quelqu’un » (F).
V. 53, 86, 1019, 1127.
Se plaindre de, accuser quelqu’un.
Raison
Jugement, discernement, sagesse, intelligence.
V. 30, 617, 810, 812, 830, 939, 1443, 1566.
Cause, motif.
V. 552, 568, 585, 725, 835, 1227, 1268.
Justification d’un acte suspect, blâmable.
V. 835, 1227.
Chose raisonnable*, convenable, suffisante*, acceptable ; « se prend aussi pour tout ce qui est de devoir, de droit, d’équité, de justice. » (A)
V. 743.
Raisonnable
« Qui est pourvu de raison », en parlant des personnes. (F)
V. 1199.
Convenable, suffisant*, acceptable, en parlant des choses.
V. 62.
Ravissant(e)
S’emploie déjà « au figuré » et « en bonne part » d’après A. de Boisregard, en parlant de ce qui nous ravit à nous-même, nous transporte* de joie, d’admiration.
V. 949.
Recevoir les vœux (de quelqu’un)
Accepter sa cour et son amour.
V. 467, 695, 1245.
Rencontre
Circonstance fortuite, « occasion » (A) ; par rencontre a la même nuance et signifie par hasard.
Satisfaire
(Avec un complément direct ou indirect) « faire réparation, demander pardon ». (F)
V. 860.
Séjour
Stationnement, arrêt.
V. 797, 889, 1169, 1634.
Sensible
« Qui frappe les sens » (A), palpable, tangible, visible.
V. 455, 1028, 1481.
Qui est vivement ressenti, d’où pénible, douloureux.
Quand il s’agit d’une personne, cela signifie facile à toucher en bien ou en mal, par exemple accessible à l’amour, à la reconnaissance : « se dit …des personnes, et veut dire Délicat, qui sent les choses qui le touchent, ou qui le choquent, qui a de la sensibilité pour les gens qui l’obligent, qui a du ressentiment… » (R).
V. 1201, 1458.
Servir une femme
« Se dit de l’attachement d’un homme auprès d’une dame dont il tasche d’acquérir les bonnes graces » (F) ; faire la cour*.
V. 1290.
Sévère
« Rigide et exact*,...austère » (R), farouche, impitoyable.
V. 69, 804, 1372.
Souci
Inquiétude.
V. 687, 816, 1319.
Souffrir
Tolérer, supporter.
V. 234, 273, 1604.
Subtil
Adroit, habile, « se dit aussi de ce qui est fait avec une adresse* cachée et inconnue autres. » (F)
V. 736, 835, 1251, 1490.
Suffisance
Habileté, science.
Dédicace
Superbe
(Adjectif) « vain*, orgueilleux » (A), d’un orgueil imposant.
V. 311, 319, 944, 996, 1184, 1415, 1444, 1466.
(Substantif) « Orgueil, vaine gloire*, présomption, arrogance. » (A)
Téméraire
Qui agit au hasard*, à la légère.
V. 788.
En même temps
Aussitôt, dés l’ordre prononcé ou dés la demande formulée par exemple.
V. 923, 1286.
Timide
Craintif, « peureux, qui craint tout » (F).
V. 593, 1419.
Tourment
Torture, d’ordre physique.
V. 1397.
Tout de même
Tout à fait pareillement.
V. 320, 429.
Travail
« Il se dit au pluriel des actions, de la vie d’une personne, et particulièrement des gens héroïques » (F) ; « peine de l’esprit » (A), souffrance, épreuve, tourment. Ces deux sens sont présents dans le vers 1639.
V. 1639
Traitable
« Qui a l’esprit doux et facile » (F).
Transport
« En choses morales, trouble ou agitation de l’âme » (F), émotion violente, agréable ou désagréable qui nous met hors de nous, emportement, égarement, élan de passion en parlant de l’amour.
V. 240, 648, 950, 1085, 1472, 1522, 1556.
En user
Se conduire, se comporter, « agir » (A).
V. 88, 454.
Vain
Se dit d’une personne qui s’estime trop et s’attache ainsi à ce qui n’est pas. « Signifie aussi orgueilleux, superbe, qui a bonne opinion de lui-même » (F)
V. 303, 479, 1429.
Se dit aussi d’une chose vide, c’est-à-dire au sens figuré qui n’a aucun fondement, qui ne repose sur rien.
V. 856, 1429.
Vertu
« En choses morales, disposition de l’âme ou habitude à faire le bien » c’est-à-dire « à suivre ce qu’enseignent la loy et la raison* » (F).

Bibliographie §

Sources §

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LES/AMOURS/D’OVIDE./PASTORALE/HEROIQUE./PAR MONSIEUR GILBER, /Secretaire des Commandements de/la Reyne de Suède, & son/Resident en France. /A PARIS, / chez Estienne LOYSON, au palais/ à l’entrée de la Gallerie des Prison-/ niers, au nom de Jesus. /M. >DC. LXIII. /AVEC PRIVILEGE DU ROY.
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