LA SOEUR VALEUREUSE
OU L’AVEUGLE AMANTE.
TRAGI-COMEDIE
DEDIEE A MONSEIGNEUR le Duc de Vandosme.

Par le Sr Mareschal.

A PARIS,
Chez Anthoine de Sommaville, dans la
Galerie du Palais à l’Escu de France.
M. DC. XXXIIII.
Avec Privilege du Roy.

Édition critique établie par Stéphanie Le Foll dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier

Introduction §

André Mareschal est un auteur peu connu de nos jours. Il mérite pourtant d’être redécouvert, de par son engagement pour le théâtre, ainsi que pour ses œuvres, ou encore pour le contrat de travail, protégeant aussi bien les auteurs que les comédiens, qu’il a rédigé pour la troupe de l’Illustre Théâtre de Molière1.

La Sœur valeureuse (1634) est la seconde tragi-comédie de cet auteur, cette pièce est relativement longue (2376 vers) et a pour objet l’amour d’une sœur, au caractère guerrier, pour son frère jumeau. On y retrouve les principales caractéristiques de ce genre, qui prolifère tout particulièrement à cette période, comme la mise en scène de combats et le thème du déguisement omniprésent tout au long de l’action.

Andre Mareschal : sa vie et son œuvre §

Biographie §

Nous ne connaissons pas les dates de naissance et de décès de cet auteur du XVIIe siècle. Nous constatons également que son prénom n’est pas fixé, nous trouvons ainsi indifféremment Antoine ou André, qui ne sont qu’une seule et même personne. En effet Antoine ne figure qu’une seule fois dans l’œuvre de Mareschal, et encore dans un privilège, celui de L’Inconstance d’Hylas, tragi-comédie pastorale de 16352, c’est à la suite de cette erreur que ce prénom lui a été attribué d’après Durel3.

L’œuvre qui nous est restée de Mareschal est plutôt diversifiée, il fut en effet poète4, romancier5 puis dramaturge (il a écrit cinq tragi-comédies6, deux comédies7 et deux tragédies8).

Mareschal semble bien né au XVIIe siècle, car l’imprimeur des feux de Joye de 1625, B. Martin dans son Advis de l’imprimeur au lecteur nous dit que :

L’Autheur, (qui dans ses jeunes ans ne retient rien moins que de la jeunesse & de la vanité)…

Ce même recueil de poèmes nous apprend que Mareschal était originaire de Lorraine, puisque l’on y trouve une pièce liminaire signée « C. Mareschal / son cousin » qui nous parle de lui en ses termes : « Ce parfait miracle lorrain », et de plus la feuille de titre porte le nom d’« André Mareschal, lorrain ».

Baldensperger9 suppose qu’il a pu commencer « une carrière […] en Lorraine, vite continuée à Paris, sous les auspices mêmes de ce duc de Richelieu que notre province [la Lorraine] ne portait guère dans son cœur » et il explique que c’est peut-être là « une des raisons de la froideur que lui témoignera l’historiographie locale ».

Nous savons également d’André Mareschal qu’il était avocat car c’est ainsi qu’il se qualifie lui-même dans deux actes notariés de 1630 et 1643 : « Noble homme, advocat en la Cour de Parlement ».

Cet auteur se situe en faveur des Modernes et de leur indépendance par rapport à l’Antiquité comme on peut le voir en 1631 dans sa préface10 retentissante. Contrairement à ce que nous dit Durel11 sur le fait que Mareschal aurait laissé « percer une pointe de vanité et [déclarer] qu’il a produit assez pour avoir son coin à lui » dans la littérature, d’après cette préface, Mareschal n’avait « aucune intention de faire œuvre durable »12, il était « préoccupé avant tout de défendre sa propre conception théâtrale »13. Il est l’un des premiers auteurs à parler des trois unités comme éléments constitutifs d’une conception théorique, tout en les contenant :

Je […]n’ay pas voulu me restreindre à ces étroites bornes ni du lieu, ni du temps, ni de l’action ; qui sont les trois poincts principaux que regardent les règles des Anciens.

Mareschal est resté attaché à la maison de Lorraine, patronné par les Chevreuse, les Moret, les Phalsbourg, Louis de Lorraine, Gaston d’Orléans, il a selon Durel14 obtenu certainement l’emploi de bibliothécaire de ce Prince, car dans une lettre de Richelieu15, datée du 31 décembre 1632 en faveur du Sieur Mareschal, bibliothécaire de Monsieur, on peut lire :

Je prends la plume pour vous [Bouthillier] prier d’en dire un mot au roy, à ce qu’il dise à sa majesté de l’excepter du nombre des officiers de Monsieur qui ont commandement de sortir du royaume. Outre que c’est un bon homme qui ne se mesle point d’affaires, il a fait déclaration par devant les juges de Tours, là où il est, portant qu’il n’entend point suivre Monsieur, mais demeurer de l’obéissance qu’il doit au Roy.

Après s’être attaché à Gaston d’Orléans, Mareschal se rallie par la suite à Richelieu. C’est ainsi qu’il songea à dédicacer La Sœur Valeureuse dans un premier temps au Maréchal de Créquy, comme on peut le constater dans le catalogue de la Bibliothèque Dramatique de Soleinne16 :

La Sœur Valeureuse ou l’Aveugle amitié, Manuscrit autographe de l’auteur, avec une dédicace particulière au Maréchal de Créquy, duc de Lesdiguières, quoique la pièce ait été publiée avec une dédicace au duc de Vendôme. […] Il est probable que le maréchal de Créquy n’accepta pas la dédicace ou ne la paya pas, ce qui dégageait alors un auteur.

Malheureusement ce manuscrit a disparu, et nous n’avons pu en retrouver la moindre trace, peut-être se trouve-t-il aujourd’hui dans la bibliothèque d’un particulier ou bien a-t-il été définitivement perdu.

Durel nous apprend que c’est à la suite de l’exécution de Montmorency le 30 novembre 1632 et de la fuite de Gaston d’Orléans à l’étranger que Mareschal obligé de trouver un autre mécène, offrit sa pièce à un partisan de Richelieu, grand capitaine et ami des lettrés, mais qu’il essuya certainement un refus, avant le départ de Créquy pour Rome en 1635, où ce dernier allait négocier l’annulation du mariage de Gaston d’Orléans. César de Vendôme, ennemi de Richelieu accepta la dédicace.

Durel suppose de façon discutable d’après le texte de la dédicace que la pièce suivit le duc de Vendôme aux Fontaines de Bourbon.

Il se permet également de prétendre que « Mareschal devait alors mener joyeuse vie parfois » et qu’il était « inspiré par la dive bouteille » en se fiant naïvement à un poème anonyme intitulé « Poème Coquet de la Bouteille » qu’il attribue à François Colletet (le fils de Guillaume Colletet) extrait de son recueil de poèmes d’auteurs divers La Muse Coquette de 1659.

Le cardinal dédommagea Mareschal du refus de Créquy en acceptant lui-même la dédicace du Railleur. Par la suite, Mareschal ne s’attacha plus à une quelconque maison, mais à la haute finance, en Montmauron (Le Mauzolée), à l’Angleterre, en la personne de son ambassadeur, Robert Sidney (La Cour bergère), à l’armée française, en le Maréchal Ransau (Le Véritable Capitan).

En 1643, il dresse l’acte le plus important de sa carrière d’avocat, il rédige en effet le contrat de L’Illustre Théâtre de Molière, réglementant les droits des auteurs et des acteurs, la distribution des rôles (tenant compte des problèmes de rivalité), les congés, etc. Le tout en parfaite connaissance des usages du milieu du théâtre.

Mareschal termine sa carrière par deux tragédies, Le Jugement équitable de Charles le Hardy et le Dictateur romain. Cette dernière pièce aurait d’après Durel probablement été jouée par Molière. Nous ne connaissons pas la date du décès d’André Mareschal, mais nous suivrons la conviction de Durel, en pensant qu’il ne mourut pas avant 1648, car l’usage était de noter le décès de l’auteur dont on publiait les œuvres, et nous n’en trouvons pas trace dans les éditions de 1646, 1647 et 1648 du Dictateur romain.

Réception de ses œuvres §

On peut ajouter que les œuvres de Mareschal subiront un accueil controversé comme on peut le voir avec l’épigramme de De Tornes (Lachèvre M. n° 19145, p8 du supplément des Recueils collectifs de poésies.), quand Mareschal apparut dans Le Recueil des plus beaux vers de Malherbe… publié chez Toussaint du Bray en 1627 :

Apollon à Du Bray sur ce qu’il avoit mis Mareschal en son recueil de vers

Du Bray, mes enfans sont marris
De voir qu’en ce fameux Parnasse,
Comme l’un de mes favoris
Un Mareschal ait bonne place.
Chasse ce poète nouveau
Qui vient troubler nostre fontaine,
Puis que chacun l’estime un veau
Qu’il aille boire dans la Seine.
Tu ne pensois pas faire mal
Et tu semblois estre en extase
De nous donner ce Mareschal
Pour ferrer au besoin Pégase.
Mais puisqu’il fait horreur à tous,
Chasse-le de ma Sainte-Escole,
Car il ne faut ny fers, ny clous,
Sous les pieds d’un cheval qui vole.

Pourtant cette tragi-comédie est publiée précédée de pièces liminaires d’auteurs célèbres : Scudéry, Mairet, Rotrou, Corneille et du Ryer, ce qui montre son importance dans le champ littéraire du début des années 1630.

Au siècle suivant, les Frères Parfaict dans Histoire du Théâtre François et La Vallière dans Bibliographie du Théâtre Français, critiqueront La Sœur Valeureuse en prétendant que l’intrigue est trop compliquée et qu’Oronte ne suit pas les règles de la vraisemblance à moins qu’elle ne soit folle.

La Sœur valeureuse ou l’aveugle amante §

Lancaster ne nous donne aucune indication sur les circonstances de la représentation de cette pièce. Nous trouvons par contre trois dates pour cette tragi-comédie. Elle aurait pu être écrite en 1633, date que l’on trouve chez les frères Parfaict, dans Histoire du Théâtre François, puis tous les exemplaires indiquent 1634, sans achevé d’imprimer, sauf l’exemplaire de la Sorbonne qui présente la date de 1635. Ces exemplaires sont de la même édition, mais tous présentent des différences les uns par rapport aux autres17.

Résumé de l’histoire §

D’après L.-C. Durel, dans L’œuvre d’A. Mareschal :

Oronte, fille du roi de Perse et sœur jumelle de Lucidor, travestie en homme, arrive près d’un château où Dorame, prince détrôné, assiège Gélandre l’usurpateur et son cousin. Celui-là aime Olympe, fille du roi de Thrace, mais celle-ci aime Lucidor et en est aimée. Dorame avait réussi à faire s’enfuir Lucidor auprès de Gélandre et à faire croire à Olympe que Lucidor aimait sa sœur Mélinde. Dorame a reçu un cartel mystérieux d’Olympe, qui, habillée en homme, vient mourir à la place de Lucidor, qu’elle croit lâche et infidèle. Apercevant Oronte endormie et frappée de sa ressemblance avec Lucidor, elle se décide à emporter son casque et son écu. Oronte, réveillée peu après, part à la recherche du ravisseur et sauve la vie d’Olympe que Dorame reconnaît. Mélinde de son côté est devenue amoureuse du rival de son frère et s’est attirée l’affection de Gélandre. Oronte devient grand ami de Dorame qui la croit frère de Lucidor. Olympe aussi trouve à Oronte des charmes puissants. Lucidor découvre les mensonges de Dorame par Mélinde qui croyant remettre une lettre d’amour lui tend le cartel de son frère, Lucidor fou de rage lui renvoie donc un cartel. Oronte accepte le cartel de Lucidor à Dorame, car se sera l’occasion de revoir son frère. Au combat, elle poursuit son frère de son amour. Lucidor la repousse violemment. Le duel des jumeaux est interrompu par l’arrivée des troupes des parties adverses. Dorame s’apercevant qu’Oronte le remplace dans les faveurs d’Olympe, se prépare à se débarrasser de ce nouveau rival. Résultat : cinq morts et Oronte grièvement blessée. Dans le camp des assiégés les Persans sont près d’arriver et Lucidor s’apprête à reconquérir Olympe les armes à la main ; en route, il rencontre Oronte et Dorame qui se battent. Il lâche le secret d’Oronte en se riant de Dorame qui s’est laissé vaincre par une femme. Oronte attaque son frère et Dorame se jette entre eux à l’instant où le roi de Perse survient. Un pardon général s’ensuit. Tous sont heureux, Mélinde et Gélandre seront unis, Lucidor et Olympe sont mariés, puis Dorame et Oronte.

Description de la pièce §

Acte I (558 vers) §

Scène 1 : Monologue d’exposition d’Oronte, qui travestie en homme se rend dans la forêt d’Elvye, suivant la prédiction d’un Oracle et pensant retrouver son frère jumeau Lucidor qu’elle poursuit d’un amour incestueux.

Scène 2 : Exposition de Dorame qui explique à Lycanthe sa machination pour reprendre Olympe à Lucidor et le royaume de Bithynie à Gélandre.

Scène 3 : Monologue d’Olympe qui se rend à la place de son amant à un duel assigné par Dorame. Elle rencontre chemin faisant Oronte endormie et lui dérobe son casque et son bouclier.

Scène 4 : Monologue d’Oronte qui s’éveille et s’aperçoit du larcin d’Olympe.

Scène 5 : Monologue d’Olympe qui arrive sur les lieux du duel et s’étonne de sa rencontre avec Oronte qu’elle avait prise pour Lucidor.

Scène 6 : Début du combat entre Dorame et Olympe travestie, qu’il confond avec Lucidor.

Scène 7 : Oronte arrive sur les lieux et blesse Dorame qui venait de vaincre Olympe. Cette dernière est démasquée et Oronte se fait passer pour le frère de Lucidor.

Acte II (601 vers) §

Scène 1 : Monologue de Mélinde, amante malheureuse de Lucidor, complice de la machination de son frère Dorame. Elle nous apprend qu’elle a dérobé le cartel destiné à Lucidor.

Scène 2 : Dialogue entre Mélinde et Gélandre, son cousin.

Scène 3 : Mélinde remet par erreur le cartel de Dorame à Lucidor, qu’elle lui avait soustrait jusqu’à présent, pensant lui remettre une lettre exposant ses sentiments. Lucidor est furieux, découvrant la feinte dont il a été victime, et il l’oblige à aller elle-même remettre un nouveau cartel à Dorame.

Scène 4 : Dorame demande à Oronte de l’aider à entrer dans les grâces d’Olympe, dont il est l’amant malheureux. Oronte accepte pensant ainsi se débarrasser d’une rivale.

Scène 5 : Monologue d’Olympe qui est amoureuse désormais d’Oronte qu’elle pense être le frère de Lucidor.

Scène 6 : Oronte va plaider la cause de Dorame auprès d’Olympe, ce qui crée un quiproquo, puisque cette dernière pense qu’Oronte parle en son nom, mais Oronte la repousse.

Scène 7 : Oronte intercepte le cartel de Lucidor que Mélinde travestie portait à son frère.

Scène 8 : Monologue de Lucidor qui attend Dorame sur le lieu du duel.

Scène 9 : Oronte arrive et découvre sa véritable identité à son frère qui, horrifié, la repousse. Ils se battent.

Scène 10 : Mélinde et Gélandre parviennent à l’endroit du duel, pendant ce temps, Oronte blesse Lucidor.

Scène 11 : Dorame accourt également sur les lieux. On sépare les adversaires.

Acte III (384 vers) §

Scène 1 : Monologue de Dorame qui se plaint d’Oronte et de Lucidor.

Scène 2 : Lycanthe a dérobé la lettre qu’Olympe a écrit à l’intention d’Oronte, lui déclarant sa flamme. Il la porte à la connaissance de Dorame qui décide de se débarrasser de ce nouveau rival.

Scène 3 : Dialogue entre Olympe et Oronte. Olympe poursuit ses assiduités.

Scène 4 : Dorame se cache pour épier Olympe et Oronte. Il se méprend sur les intentions d’Oronte qu’il décide de tuer sur le champ, mais celle-ci s’en va dans la forêt.

Scène 5 : Monologue de Gélandre qui connaît la trahison de Dorame et est en lutte avec son amour pour Mélinde.

Scène 6 : Lucidor arrive en fureur avec Mélinde. Gélandre prend le parti de Lucidor mais le cœur n’y est pas, il feint d’être en colère après son amante.

Scène 7 : Lycanthe et trois soldats se rendent dans la forêt pour assassiner Oronte sur les ordres de Dorame.

Scène 8 : Oronte décide de fuir, mais à ce moment elle est attaquée par Lycanthe qui lui tend la lettre qu’Olympe avait écrite à son intention. Oronte tue Lycanthe et un premier soldat. Son page tue un soldat et meurt à sa suite. Oronte se débarrasse du dernier spadassin et s’effondre à la suite de ses blessure sur le corps inerte de son jeune page.

Acte IV (453 vers) §

Scène 1 : Monologue de Dorame qui craint les représailles du fait de l’échec de la tentative d’assassinat qu’il avait ourdi contre Oronte.

Scène 2 : Dialogue entre Dorame et le Roi de Thrace qui est convaincu de l’affliction de Dorame pour son ami Oronte.

Scène 3 : Olympe essaie d’ouvrir les yeux d’Oronte sur la malveillance de Dorame qu’elle a percé à jour, mais Oronte refuse de l’entendre.

Scène 4 : Dorame rend visite à Oronte en présence d’Olympe, furieuse. Il finit par avouer son crime et Oronte désespérée décide de mettre fin à ses jours. Mais finalement elle accepte un duel avec Dorame dès qu’elle se sera remise de ses blessures.

Scène 5 : Gélandre avoue sa flamme à Mélinde.

Scène 6 : Lucidor s’en va rejoindre les troupes de son père, le Roi de Perse, avec ses soldats, et il rencontre sur sa route Dorame et Oronte prêts à se battre. Il s’arrête pour les observer.

Scène 7 : Duel entre Dorame et Oronte qui refuse de se battre et ne fait que parer les coups. Elle blesse malencontreusement son adversaire et se précipite à son secours. Lucidor outré intervient et dévoile l’identité de sa sœur. Cette dernière attaque alors son frère, mais Dorame s’interpose entre eux.

Scène 8 : Le Roi de Perse arrive, reconnaît son fils, sa fille se présente à lui également. Les jumeaux se repentent et Dorame est finalement gracié.

Acte V (380 vers) §

Scène 1 : Retrouvailles d’Olympe et de Lucidor, amants comblés.

Scène 2 : Le Roi de Thrace et le Roi de Perse s’accorde sur le mariage d’Olympe et de Lucidor.

Scène 3 : Dialogue entre Oronte, en fille, et Dorame qui lui déclare sa flamme.

Scène 4 : Stances de Mélinde. Gélandre devient l’objet de son affection.

Scène 5 : Gélandre et Mélinde, désormais amants, se croient perdus et se rendent auprès des rois, qui se sont ralliés, et qui les ont faits appeler.

Scène 6 : Union de Lucidor et d’Olympe.

Scène 7 : Les Rois acceptent d’unir Dorame et Oronte.

Scène 8 : Tous, réunis, annoncent la bonne nouvelle à Gélandre et Mélinde. Dorame accorde enfin sa sœur et la Bithynie à Gélandre.

Sources et réécriture §

Les sources sont inconnues pour Lancaster18 qui propose néanmoins la possibilité que Mareschal se soit inspiré d’une pièce de Bois-Robert intitulée Pyrandre et Lisimene, ou l’heureuse Tromperie, publiée en 1633. En effet cette pièce se déroule dans la même région orientale de l’Albanie et la Thrace, et nous y trouvons une jeune fille prénommée Orante, fille du roi d’Albanie, qui poursuit de ses avances amoureuses Pyrandre, lui-même amoureux de Lisimène, fille du roi de Thrace. Mais à la fin de la pièce, l’on découvre que Pyrandre est le véritable frère d’Orante qui du coup cesse ses assiduités.

Lancaster évoque aussi la solution de L.-C. Durel, qui, lui, propose comme source potentielle, « Biblis changée en Fontaine », la fable IX des Métamorphoses d’Ovide. Il s’agit certainement de la source principale dans laquelle Mareschal a puisé l’inspiration pour écrire La Sœur valeureuse, effectivement on y retrouve l’amour incestueux d’une sœur pour son frère qui la repousse avec dégoût, thème principal de la pièce d’André Mareschal, même si des différences considérables subsistent. Oronte a aimé son frère jumeau dès le berceau, Biblis quant à elle ne s’est découvert de l’amour pour lui que bien plus tard. Biblis lui a avoué son amour par lettre puis lui en a parlé, mais le résultat fut le même et le jeune homme finit par s’enfuir en terres étrangères poursuivi par sa sœur, qui par ses larmes se changea en fontaine. Oronte, elle, n’a pas écrit à son frère, elle s’est adressée directement à lui, Lucidor, de même que Caunus, il s’enfuit. Oronte le poursuit à son tour, mais sa réaction est différente, elle décide de le tuer. Mareschal a par ailleurs utilisé le regret de Biblis, de n’avoir pas parlé au lieu d’écrire, à travers le personnage de Mélinde qui poursuivant également Lucidor sans succès se repent d’avoir fait un billet au lieu d’avoir parlé. Mais ces sources ne révèlent pas la nature de toutes les intrigues ainsi que le caractère particulier d’Oronte.

Représentation et décors §

Mareschal situe sa pièce en Bythinie, près de Pruse (Brousse en Turquie) mais la couleur locale s’arrête au nom des sites, entre le 5e siècle av. J.-C. et le 2e ou 3e siècle après J.-C.

Cette tragi-comédie possède trois décors dont deux à compartiments, d’après Durel et Le Mémoire de Mahelot, ils sont certainement disposés de manière à ce que l’on puisse voir le château de Gélandre de la forêt, et que l’on puisse voir la forêt du château du roi de Thrace. Le décor comporte en outre une chambre avec un lit, une tapisserie derrière laquelle on peut se cacher dans le château du roi de Thrace, une forêt avec un arbre et le haut du mur d’une ville assiégée, un temple consacré au soleil, ainsi qu’une cellule de prison dans le château de Gélandre. Mais nous pourrions suggérer une autre installation en regardant la répartition des décors en fonction des actes et des scènes. L’ensemble de l’acte premier se déroule dans la forêt ; au second acte le décor est modifié puisque nous devons voir le château de Gélandre, la forêt et le château du roi de Thrace, ces décors sont certainement représentés dans cette ordre. À l’acte troisième le décor reste inchangé, ce n’est, en effet, qu’à l’acte IV que des modifications interviennent au niveau des peintures qui forment le décors à compartiments. Nous trouvons en plus de la forêt, du château du roi de Thrace et du château de Gélandre, à la scène III, une chambre dans le château du roi de Thrace, et à la scène V une prison dans le château de Gélandre. L’acte V lui est constitué du château du roi de Thrace dans lequel, ou près duquel, se trouve le temple du Soleil, ainsi que du château de Gélandre et de sa prison.

Les personnages §

ORONTE : (19 répliques, 495 vers) Il faut d’abord préciser qu’« Oronte » est le nom d’un fleuve et signifie « le fleuve rebelle », il passe par le centre du Liban, l’ouest de la Syrie et le sud-ouest de la Turquie. Notre personnage, quant à elle, est la princesse de Perse, l’héroïne de cette tragi-comédie. À sa naissance, elle perdit sa mère et montra une affection anormale pour son frère. C’est cet amour incestueux qui la pousse à se travestir en homme afin de pouvoir le poursuivre. Mais ce travestissement va plus loin puisqu’il provoque d’autres quiproquos du fait de sa ressemblance avec Lucidor, qui lui attire ainsi l’affection d’Olympe. Elle est sujette à des colères violentes et son tempérament est excessivement guerrier, elle se bat effectivement cinq fois au cours de la pièce et en sort toujours victorieuse (v. 427-428). C’est sur elle que se fait l’ouverture et l’exposition de la pièce, elle explique dans son monologue que c’est la Fatalité qui la pousse à agir de la sorte (v. 55). Son amitié pour Dorame naît du fait qu’elle souhaite qu’il réussisse à séduire Olympe, espérant ainsi conserver son frère pour elle seule. Mais son caractère reste très étrange au demeurant, et il ne peut s’expliquer que par le fait qu’elle se laisse dominer par ses passions. Lorsqu’elle découvre la trahison de Dorame, qui a attenté à ses jours, elle menace de se tuer (A. IV, sc. 4.). Peut-être peut-on y voir une trace de grande émotivité derrière son tempérament franchement guerrier, ou peut-être est-elle à ce moment déjà amoureuse de Dorame qui ne connaît pas encore sa véritable identité. Pourtant, elle ne pleure qu’une seule fois dans la pièce, sur son jeune page mort pour elle. La Fatalité et sa révolte contre les Dieux demeurent son leitmotiv quand il s’agit d’excuser ses agissements ainsi que les crimes de Dorame (v. 1688-1691). C’est ainsi également qu’elle accepte Dorame pour mari choisi une fois de plus par le sort.

OLYMPE : (15 répliques, 375 vers) Elle est la princesse de Thrace, amante de Lucidor. Elle a pris quelque chose de l’impudicité de sa future belle-sœur, Oronte. Elle n’agit que sous l’effet de la passion amoureuse, comme on peut le constater lorsqu’elle se travestit pour aller combattre en duel Dorame à la place de son amant, qu’elle aime, bien qu’elle le croie lâche et infidèle (v. 325-334). Elle s’éprend par la suite d’Oronte du fait de sa ressemblance avec Lucidor, qu’elle poursuit sans honte de ses assiduités, elle va même jusqu’à l’embrasser [A. II, sc. 6]. Elle permet également les privautés à Lucidor et lui promet sous peu tous les plaisirs du mariage (v. 2051-2055).

MELINDE : (11 répliques, 256 vers) Elle est la sœur de Dorame, cousine de Gélandre. Elle aide son frère dans son entreprise, mais tombe sous le charme de Lucidor qui la repousse. Elle subit toujours la volonté d’autrui, et comme Oronte, elle accepte un mari choisi par le destin. Dans ses stances, elle exprime son état d’âme depuis la perte de Lucidor jusqu’au moment où elle se demande si elle doit toujours se montrer insensible à l’amour de Gélandre, victime selon elle du même Destin (v. 2181 ; v. 2185 ; v. 2192).

DORAME : (16 répliques, 575 vers) Il est l’amant malheureux d’Olympe et le rival de Lucidor, il agit en opposant tout au long de la pièce. Il s’impose comme l’un des personnages principaux, comme on peut le constater par le nombre de répliques et de vers qu’il prononce : leur chiffre est même supérieur à celui d’Oronte, l’héroïne de cette tragi-comédie. Il est manipulateur, hypocrite, rendu méprisable par la jalousie. Dès son entrée en scène [A. I, sc. 2], il se flatte de sa ruse, car ses mensonges ont réussit à tromper le Roi de Thrace, son bienfaiteur, Lucidor, son rival, et Gélandre, son cousin (v. 187-188). Ayant épié Olympe et Oronte derrière une tapisserie [A. III, sc. 4], il se persuade que cette dernière est une rivale et il envoie quatre assassins pour se débarrasser d’elle. Il finit par se battre lui-même avec elle, toutes ses machinations ayant échouées. Il est la figure du « furieux » de la pièce, sa rage le conduit même à défier les dieux (A. IV, sc. 1), sur le modèle des « furieux » de Sénèque. Le dépit amoureux entraîne ce personnage à la violence, à vouloir éliminer tous ceux qu’il pense être ses rivaux. Il emploie à cet égard la fourberie pour se débarrasser de Lucidor, mais aussi d’Oronte. Ses actes contrarient et retardent le bonheur des protagonistes, jusqu’au moment où une « force secrète » le fait changer (v.1892-1894 ; v. 1934). C’est le changement de comportement de Dorame qui se produit au vers 1894, vers blanc, qui provoque un retournement de situation et permet à cette tragi-comédie d’aboutir à un dénouement heureux et à une satisfaction générale, puisqu’il tombe sous le charme d’Oronte, avant même d’apprendre que celle-ci est une femme, ce qui laisse planer une certaine ambigüité sur ce personnage qui subit la Fatalité.

LUCIDOR : (14 répliques, 228 vers) Prince de Perse, jumeau d’Oronte, amant d’Olympe. Même s’il est l’objet d’affection des trois princesses de cette tragi-comédie, Oronte, Olympe et Mélinde, il se contente d’être un amoureux, d’échapper à sa sœur, et d’être l’objet de la jalousie et de la haine de Dorame. Il a donc un rôle plutôt passif dans la pièce, sauf à l’instant fatidique où il dévoile la véritable identité d’Oronte à Dorame et annonce de façon prophétique leur union (v. 1899 ; v. 1903). Puis, à la fin de la pièce il résume parfaitement le leitmotiv de cette tragi-comédie : v. 2372 « Et le destin a fait tout cela pour vous plaire. »

GELANDRE : (8 répliques, 118 vers) Cousin de Dorame, il règne sur la Bithynie et se contente comme Lucidor d’être amoureux, en l’occurrence, ici, de sa cousine Mélinde, qui pourtant s’est ralliée à Dorame pour perdre à la fois Lucidor qui possède le cœur d’Olympe et Gélandre qui a en son pouvoir la Bithynie, royaume que Dorame réclame. Cependant, il ne parle à aucun moment de son pays et de son peuple assiégés. Il subit lui aussi la Fatalité, il finit par épouser Mélinde et reprendre ses droits sur la Bithynie, concédés par Dorame en même tant que sa sœur à la fin de la pièce.

LYCANTHE : (4 répliques, 71 vers) Personnage secondaire. Il est l’écuyer d’Olympe et le confident de Dorame, auquel il est entièrement dévoué, par simple affection, en cela il est moins méprisable que son maître qui lui dit:

v. 81-84

Doncque tu viens à moy, quand le sort m’abandonne ?
Ton cœur n’esperant rien, c’est alors qu’il se donne ?
La faveur ni mes biens n’avoient pû t’émouvoir,
La vertu plus que l’or a sur toy de pouvoir ;

Il finit par se faire tuer par Oronte voulant obéir aux ordres de Dorame qui avait décidé de la faire assassiner.

LE ROY DE THRACE : (5 répliques, 96 vers) Personnage secondaire. Il est le père d’Olympe, le bienfaiteur de Dorame, Oronte et Lucidor qu’il accueille à bras ouverts dans son royaume. C’est un personnage sympathique qui voue un amour tout particulier à la paix et au Dieu Mars (v. 257-2058 ; v. 2270-2271).

LE ROY DE PERSE : (5 répliques, 91 vers) Personnage secondaire. Il est le père de Lucidor et d’Oronte, il apparaît à la fin de la pièce comme une sorte de Deus ex machina19 qui arrive et réconcilie ainsi tout le monde. Ce personnage est également sympathique et développe un véritable sentiment d’amour paternel, horrifié pourtant par les agissements de ses enfants, mais tout prêt à leur pardonner sur-le-champ (v. 1955-1960).

Une tragi-comédie §

Il faut avant tout commencer par rappeler que nous nous situons en pleine période de la querelle des Anciens et des Modernes, la tragi-comédie est un genre très controversé, du fait qu’elle n’applique aucunement les prescriptions d’Aristote dans sa Poétique. André Mareschal se situe en faveur des modernes et comme François Ogier, qui dans sa « Préface au lecteur » de Tyr et Sidon, tragi-comédie en deux parties, de Jean de Schélandre (1628) attaque les règles des classiques et fait l’apologie de la modernité théâtrale. Notre auteur s’en prend aux règles des trois unités dans sa « Préface » de la deuxième journée de la Généreuse Allemande en 1631. L’originalité de Mareschal réside dans son procédé d’argumentation, qui consiste en une plaidoirie où il explique point par point ce qui l’a poussé à enfreindre les règles pour parvenir à l’écriture de sa pièce, il se proclame finalement avant tout du côté de la vérité, prétendant qu’on ne peut pas s’en tenir aux règles et vouloir se faire l’écrivain du réel. C’est en feignant de ne défendre que sa pièce que Mareschal parvient à mettre en place sa conception d’une poétique générale pour toutes les tragi-comédies.

Durel20 estime que Mareschal essaie de s’efforcer de faire entrer La Sœur valeureuse dans les règles de la poétique classique, mais nous ne pouvons nous accorder avec lui. Notons tout d’abord que les décors sont multiples : nous dénombrons en effet sept lieux différents dans la pièce, et les décors sont disposés comme au Moyen Âge, la scène se divisant en compartiments qui représentent chacun le tableau d’un lieu de l’action. L’acteur passait d’un décor à l’autre, mais vu l’exiguïté de la scène, il était forcé de se remettre au milieu afin que l’auditoire puisse mieux le voir et l’entendre, et le spectateur complaisant considérait qu’il était toujours dans le compartiment dont il venait de sortir21. L’unité de temps n’est pas non plus respectée car comment le roi de Perse pourrait parvenir en Bithynie en moins de vingt-quatre heures, et comment Oronte pourrait s’être remise en aussi peu de temps de ses blessures qui ont failli lui coûter la vie ? L’Acte I peut ne se dérouler qu’en quelques heures, l’Acte deux pourrait très bien avoir lieu dans un même temps, à condition que le lieu du duel du cartel de Dorame pour Lucidor, soit suffisamment éloigné pour que ce dernier n’ait pas le temps de s’y rendre. Dans ce cas, il faut également un certain nombre d’heures à Mélinde pour se rendre au château du roi de Thrace où se trouve Olympe, Oronte et Dorame. Nous pouvons peut-être déjà considérer qu’une journée s’est écoulée. C’est ensuite au tour d’Oronte de se rendre sur le lieu du duel assigné par Lucidor, un certain laps de temps se passe également pour qu’elle parvienne à cet endroit. L’Acte III intervient après que la nouvelle du combat d’Oronte contre son frère se soit répandue à la cour, admettons qu’il ne faille qu’une journée, notre héroïne se retrouve tout de même bléssée à la fin de cet acte. Comptons que vingt-quatre heures lui soit seulement nécessaire pour se rétablir, ce serait la durée nécessaire au déroulement du quatrième acte. Enfin, le cinquième et dernier acte, du fait du déplacement de la cour jusqu’au château de Gélandre durerait également un jour. En calculant au plus juste nous trouvons une durée d’environ trois jours pour cette tragi-comédie. L’unité d’action est également enfreinte puisque les aventures et les coups du sort foisonnent. La règle de bienséance n’est pas de mise dans cette tragi-comédie qui représente cinq combats sur scène et fait mourir également cinq personnages sous les yeux des spectateurs.

Cette tragi-comédie est dans l’air du temps, elle s’inspire d’un sujet antique, l’amour incestueux d’une sœur pour son frère22, ainsi que d’une autre tragi-comédie légèrement antérieure23. Les personnages ont tous une origine noble et cette pièce traite d’un sujet de vie privée. On y retrouve les thèmes principaux développés dans la majorité des tragi-comédies du XVIIe siècle, tel que la passion amoureuse, incestueuse quand il s’agit de celle d’Oronte pour son frère Lucidor, la passion d’Olympe et de Lucidor est quant à elle la seule réellement partagée dans cette pièce, Dorame est repoussé par Olympe, et Mélinde par Lucidor. Le thème de la violence y est lui aussi développé : est-il nécessaire de rappeler les cinq combats et duels ainsi que les cinq morts représentés sur la scène ? sans compter les blessures sanglantes d’Oronte [A. III, sc. 8] et de Dorame [A. I, sc. 7 ; A. IV, sc. 7]. Nous trouvons également le thème du travestissement, présent chez les trois protagonistes féminins, donnant lieu à des équivoques sexuelles, avec les baisers donnés et reçus d’Olympe [A. III, sc. 3 ; A. V, sc. 1], Lucidor [A. V, sc. 1], Oronte [A. III, sc. 3 ; A. V, sc. 7] et Dorame [A. V, sc. 7]. Des objets récurrents de la tragi-comédie y figurent, telle que les cartels, tour à tour interceptés, une lettre dérobée, et le portrait de Lucidor, actualisant la présence de l’amant24, auquel s’adresse Oronte dans la scène première de l’Acte I, la scène d’exposition :

Quoy ? Tu ne réponds rien, tu n’agis seulement ;
Homicide Portraict, qu’à donner du tourment ; (v. 11-12)

La Sœur valeureuse reproduit « des situations typiques de la tragi-comédie »25, ainsi la naissance de l’amour avec le coup de foudre d’Olympe à la vue d’Oronte ; l’approche et la conquête avec les déguisements et les travestissements d’Oronte tout au long de la pièce, et ponctuellement d’Olympe, puis de Mélinde ; l’obstacle avec l’opposition de rivaux, représenté essentiellement par Dorame ; la crise avec la fidélité de Lucidor à l’égard d’Olympe et l’inconstance devant les avances d’un ou d’une autre avec Olympe qui change d’objet d’affection, elle aime Lucidor puis Oronte, Mélinde également aime tout d’abord Lucidor avant de céder à Gélandre, Oronte amoureuse passionnée de son frère finit par tomber sous le charme de Dorame, qui lui-même amoureux d’Olympe en vient à aimer Oronte. D’autres éléments de crise figurent dans cette pièce, ainsi nous trouvons les duels, Dorame veut défendre la vertu de Mélinde et d’Olympe à qui il a fait croire que son amant Lucidor était inconstant et l’avait abandonnée pour enlever sa sœur, et les combats singuliers. Le dénouement est heureux comme le veut le genre de la tragi-comédie et comme le prône Mareschal dans sa poétique en préface de La Généreuse Allemande, nous y trouvons le repentir de Dorame à qui l’on accorde le pardon et les rivaux se réconcilient et s’unissent dans le mariage.

Nous pouvons ajouter qu’André Mareschal dans La Sœur valeureuse ne tient pas compte des conditions de représentation d’une pièce de théâtre sur scène. Il faut savoir que les bougies qui éclairaient l’espace scénique nécessitaient d’être mouchées et remplacées à chaque fin d’acte. Or, on s’aperçoit que la pièce qu’il a écrite est particulièrement longue, 2376 vers la constituent, et les actes présentent un déséquilibre quant à leur durée. En effet, l’Acte I dénombre un total de 558 vers, l’Acte II, 601 vers, les Actes III, IV et V sont un peu plus équilibrés puisqu’ils comptent environ 400 vers chacun, mais rappelons que la moyenne d’un acte se situait aux environs de 300, 350 vers. Cette pièce s’avère donc assez difficile à jouer, d’une part pour des conditions purement techniques et matérielles, d’autre part aussi, du fait de la durée de représentation longue qu’elle imposait et la lassitude potentielle des spectateurs qui y assistaient. D’autres inattentions de l’auteur figurent dans la pièce, c’est ainsi que Lancaster26 note un anachronisme, par deux fois (v. 644 ; v. 1402), à propos de canons lors du siège de Pruse. Or les premiers canons ne furent créés que bien des siècles après l’époque dans laquelle s’inscrit la pièce.

Un autre problème surgit dans La Sœur valeureuse, mais il est de l’ordre de la volonté de son auteur, rappelons que le décompte des vers veut qu’au final nous arrivions sur un chiffre pair, c’est le cas ici puisque nous avons 2376 vers. Mais il faut tout de même noter deux vers blancs que Mareschal introduit dans sa pièce à des moments particulièrement stratégiques. Le premier se situe au moment où par mégarde Mélinde remet à Lucidor le Cartel de Dorame [A. II, sc. 3], dévoilant la stratégie perfide de ce dernier pour perdre son rival. Lucidor reprend à son compte le dernier vers du Cartel en modifiant simplement l’adjectif possessif « ta » en « ma » et en tournant la phrase en interrogative : v. 685 « Que sans finir ma vie elle n’a point de fin ? ». C’est à partir de cet instant que Lucidor décide de se débarrasser de Dorame, donnant une touche particulièrement tragique à l’ambiance de la pièce, dont la fin ne semble pas devoir aboutir à un heureux événement, si ce n’est pour Lucidor la mort de Dorame. Nous sommes ainsi passés à un décompte impair de vers. Ce n’est que bien plus loin à la scène 7 de l’Acte IV que nous trouvons le second vers blanc, qui rétablit le décompte de vers de la pièce, et en même temps assure une fin potentiellement heureuse à cette tragi-comédie. Il se situe lors du duel entre Oronte et Dorame, avant que ce dernier ne découvre la véritable identité de la jeune guerrière : v. 1894 « J’ay pris un autre cœur, autres yeux, autre bouche ». Ce vers est particulièrement important puisque Dorame change totalement de comportement en tombant sous le charme d’Oronte et de ses douceurs. Il ne pense ainsi plus à se venger de son rival Lucidor ou à conquérir son ancienne amante Olympe. La pièce peut à cet instant prendre le chemin du bonheur et du pardon collectif. La Sœur valeureuse se trouve donc rétablie dans son décompte pair et dans sa fin heureuse.

L’action est déjà achevée à la fin du quatrième acte, comme c’est le cas dans Mélite (1633) de Corneille27, où cet auteur nous dit dans l’examen de sa pièce que : « Tout le cinquième acte peut passer pour inutile. » et il ajoutera plus tard28 également que :

Comme il est nécessaire que l’action soit complète, il faut n’ajouter rien au-delà, parce que quand l’effet est arrivé, l’auditeur ne souhaite plus rien et s’ennuie de tout le reste. Ainsi les sentiments de joie qu’ont deux amants qui se voient réunis après de longues traverses doivent être bien courts.

Mareschal ne s’accorde pas avec Corneille sur ce point de vue puisque le dernier acte est entièrement fondé sur les sentiments de joie des personnages qui s’unissent dans le mariage sur la scène même. À l’exception de cet acte, Mareschal respecte le dispositio : la pièce débute par un premier acte qui peut être vu comme le prologue annonçant et détaillant aux spectateurs la situation initiale, les deuxième et troisième actes constituent en partie l’épisode, le nœud de l’action fondé sur les méprises qui découlent de la fausse identité d’Oronte et les fourberies de Dorame (même si ces dernières ont débuté avant le commencement de la pièce). Le quatrième acte peut faire figure d’exorde, où la situation se trouve éclaircie de part et d’autre avec une réconciliation générale des parties adverses. L’Acte V, quant à lui, peut être mis à part comme le résultat d’un effet pompeux voulu par notre auteur.

La passion amoureuse dans La Sœur valeureuse §

L’amour et plus particulièrement la passion amoureuse est un thème récurrent dans les tragi-comédies du XVIIe siècle et La Sœur valeureuse ne déroge pas à ce principe.

L’intrigue de cette pièce repose sur des conflits amoureux, tout d’abord sur les sentiments coupables d’Oronte pour son frère Lucidor. En effet, Oronte transgresse un tabou : celui de l’inceste. Les autres amours qui figurent dans notre œuvre ne sont pas plus aisés, Lucidor et Olympe s’aiment, mais cela va à l’encontre des lois de leur pays respectifs, la Thrace et la Perse. Nous sommes donc en présence de deux passions amoureuses interdites et coupables de transgresser l’une un tabou, l’autre une loi politique. Ce conflit intérieur se double d’un conflit extérieur. L’amoureux n’est pas toujours payé de retour, sa passion est vaine puisque l’autre aime ailleurs. Ainsi la seule passion partagée est celle de Lucidor et d’Olympe. Oronte aime Lucidor en vain, Dorame est éprise d’Olympe, mais le cœur de cette dernière appartient à Lucidor. Deux chaînes amoureuses se forment dans La Sœur valeureuse de Mareschal, Gélandre aime Mélinde qui aime Lucidor qui est épris d’Olympe, puis par méprise sur l’identité véritable d’Oronte coexiste une autre chaîne : Dorame est amoureux d’Olympe, qui est éprise d’Oronte, qui elle-même aime Lucidor, son frère.

En réalité, seuls deux personnages posent problème et interfèrent dans les amours de Lucidor et d’Olympe, il s’agit bien sûr de Dorame et d’Oronte, rivaux respectivement d’Olympe et de Lucidor. Dorame de par sa jalousie en vient par feinte à se servir de l’autorité politique pour mettre en péril la vie de Lucidor puis d’Oronte dans l’espoir de parvenir à contraindre Olympe de l’aimer. Parce qu’il n’est pas partagé, l’amour débouche sur un rapport de force, comme c’est le cas entre Oronte et Lucidor : lorsque ce dernier la repousse, elle tente de le tuer [A. II, sc. 9]. Les effets de la passion aggravent la situation de celui qui aime ainsi en vain. Il est la proie d’un choc émotionnel incontrôlable, il subit les morsures de la jalousie et il est capable d’une haine destructrice. On constate ce phénomène dans le comportement d’Oronte [A. II, sc. 9] et de Dorame [A. III, sc. 4 ] lorsqu’il veut attenter aux jours d’Oronte qu’il prend pour un homme et un rival. La jalousie devient une torture de soi-même pour Dorame [A. III, sc. 4]. On comprend, dans ces conditions, que l’amour conduise à une telle violence. Rien ne peut s’opposer à ses ravages. La mort de l’être aimé devient préférable à son bonheur avec un autre (A.II, sc. 2 : tentative de meurtre d’Oronte sur son frère). C’est pourquoi l’amour se change si facilement en haine. Les deux réactions ne sont pas contradictoires, en dépit des apparences. La haine n’est que la forme du désespoir amoureux. Le caractère d’Oronte ne se révèle donc pas si inexplicable. Seul le déclenchement de son « amour » pour Dorame reste obscur, puisque rien ne nous indique à quel moment il a débuté, si ce n’est son désespoir qui la conduit à tenter de mettre fin à ses jours [A. IV, sc. 4] contrairement au changement de sentiment de Dorame à son égard qui advient subitement (v. 1892-1894).

Un autre fait marquant, que l’on peut noter dans notre pièce, est la représentation sur scène à l’Acte V des trois mariages, ceux d’Olympe et Lucidor, d’Oronte et de Dorame, et de Gélandre et Mélinde. Les mariages sont la plupart du temps évoqués ou annoncés, mais très rarement représentés. Mareschal a rechercher la « pompe » pour clore sa pièce.

La plupart des monologues tournent autour des différentes formes d’amour heureux [Olympe : A. II, sc. 5] et malheureux majoritairement [Oronte : A. I, sc. 1 ; Olympe : A. I, sc. 3 ; Mélinde : A. II, sc. 1 ; Lucidor : A. II, sc. 7 ; Dorame : A. III, sc. 1 ; Gélandre : A. III, sc. 5]. Les Stances de Mélinde sont plus mitigées [A. V, sc. 4], elle renonce à son amour pour Lucidor et s’offre à Gélandre plus ou moins par dépit amoureux. Il ne faut pas omettre d’évoquer également les tirades et stichomythies qui traitent du même thème de l’amour malheureux, mais cette fois, entre les personnages, comme à la scène 6 de l’Acte II, où dans un échange rapide de répliques courtes, Olympe avoue son amour à Oronte qui plaidait la cause de Dorame et non la sienne. Seul l’Acte V met en scène des répliques et des tirades qui ont pour sujet la satisfaction et le bonheur amoureux. Oronte, aux vers 2149-2155, nous fait part de son changement d’état en accusant comme l’avait fait précédemment Dorame, aux vers 1892-1894, une « secrète force » qui la pousse à changer de sentiments et l’objet de son amour.

Le rôle du deguisement dans la pièce §

Le déguisement a une très grande importance dans cette pièce, en effet Oronte, l’héroïne, est travestie en homme jusqu’au dernier acte. Elle se déguise en guerrière pour poursuivre son frère Lucidor dont elle est amoureuse et qui la repousse. Ce travestissement a pour finalités « la fuite et la reconquête »29, et il relève d’une attitude défensive. L’action du personnage se révèle n’être plus que la conséquence d’une action antérieure au début de la pièce, d’un autre personnage, en l’occurrence pour notre héroïne la fuite de Lucidor, son frère bien-aimé. Il faut ajouter que notre protagoniste a un nom bisexué, il peut autant être celui d’une femme que celui d’un homme, elle ne revêt donc pas de nom d’emprunt, elle peut ainsi être confrontée aux personnages qui sont de sa connaissance et aux autres qui lui sont inconnus. Le spectateur sait dès le début de la pièce l’identité réelle d’Oronte qui nous l’apprend dans un monologue d’exposition où elle explique ses raisons tout en émettant des regrets et en faisant une déploration. Nous sommes tout de même dans le monde de l’illusion, des fausses apparences typiques des tragi-comédies du XVIIe siècle. Ce travestissement provoque des incidents, en particulier des équivoques sexuelles, Olympe, l’amante de Lucidor, tombe amoureuse d’Oronte, qui ressemble à Lucidor du fait de leur gémellité, et la poursuit de ses assiduités, elle va même jusqu’à l’embrasser. L’homosexualité n’est ainsi que suggérée, non pas du côté d’Olympe qui ignore l’identité d’Oronte, mais du côté de cette dernière qui nous dit explicitement que seule la nature la retient, mais que si elle avait été un homme elle aurait cédé à ses avances (v. 1376-1379). Dorame se méprend également et en vient à considérer Oronte comme étant l’un de ses rivaux, au point d’en avoir le désir de l’assassiner. Mais étonnamment, après qu’il a été blessé au cours d’un duel contre elle, il en tombe amoureux avant même d’avoir connaissance qu’elle est une femme, nous avons donc ici soit une grande lucidité et clairvoyance de Dorame, soit encore une équivoque sexuelle, du domaine d’une homosexualité couverte (v. 1892-1895). Pourtant Mareschal aurait pu aller plus loin dans la ressemblance d’Oronte et de Lucidor, mais il ne l’a que faiblement exploitée puisque seule Olympe y prête réellement attention, alors que Mélinde, elle aussi éprise de Lucidor, ne la soupçonne même pas [A. II, sc. 7]. Il n’y a pas non plus de ressemblance au niveau des caractères, des paroles ou des actions de ces deux personnages pourtant jumeaux.

Oronte n’est pas le seul personnage à se déguiser dans La Sœur valeureuse, tous les protagonistes féminins passent à un moment donné par le travestissement, mais aucune ne le vit de la même façon. Oronte se tient donc du côté des amazones. Olympe, elle, se déguise au début de la pièce pour aller combattre Dorame à la place de Lucidor, qu’elle prend pour un perfide, mais qui n’a en fait pas encore reçu le cartel qui lui était adressé, Mélinde l’ayant soustrait à sa vue. Elle vole le casque et l’écu d’Oronte et se bat contre Dorame qui pense être en face de Lucidor. Olympe vit son travestissement comme une abomination, une honte faite à ses charmes, un renoncement de sa féminité, ce qui n’est pas le cas du tout d’Oronte qui malgré un comportement masculin, conserve des sentiments féminins et parvient sans peine à réintégrer son identité première à la fin de la pièce. Olympe se pose le problème du déguisement et de ses conséquences30, qui sont sans fondement, pour Catherine Maubon31 qui nous dit qu’« il ne s’agit que d’une réaction superficielle devant la disparition temporaire de ses attributs féminins, sa nature de femme n’est jamais atteinte par une telle transformation. » Mais il faut tout de même rappeler que le but du déguisement d’Olympe est avant tout de sacrifier pour son honneur et son amant Lucidor. C’est peut-être la perspective de mourir « en homme » qui la fait réagir ainsi (v. 333-334).

Mélinde, quant à elle, revêt l’habit d’un Hérault pour porter le Cartel de Lucidor à son frère Dorame : elle est bien plus préoccupée par la crainte de perdre celui qu’elle aime ou son frère, que par le travestissement que Lucidor lui a imposé. Oronte d’ailleurs s’y laissera elle-même prendre, puisque désirant obtenir le Cartel elle se fait passer pour Dorame auprès de Mélinde qui bien entendu ne la croit pas l’ombre d’un instant, mais lui remet quand même le Cartel, pensant ainsi sauver son frère. Mélinde comme Oronte appliquent ce déguisement comme un simple masque qu’il leur suffira de retirer pour retrouver leur entière féminité.

La mythologie dans la pièce et la querelle sur le rapport d’André Mareschal au divin §

Depuis la Renaissance, les œuvres théâtrales aussi bien que poétiques font références à la mythologie grecque ou latine. Les auteurs s’adressent à un public averti, qui a les mêmes références culturelles que lui. André Mareschal n’échappe pas à ce principe et La Sœur valeureuse abonde en références mythologiques. Du fait de sa culture latine, Mareschal choisit de nous donner les noms latins plutôt que les noms grecs, ce qui peut paraître quelque peu surprenant vu la situation géographique de la pièce toute proche de la Grèce. Il fait référence aux Oracles qui interviennent sur le choix de la destination qu’a empruntée Oronte et donne ainsi lieu à l’œuvre théâtrale que nous avons ici. Ceux-ci, de plus, appartiennent au domaine de l’illusion théâtrale propre à la tragi-comédie. Un autre phénomène intéressant que l’on retrouve dans La Sœur valeureuse est la personnification récurrente de l’Amour, du Dieu de l’Amour, Cupidon, auquel l’auteur ne donne jamais de nom, il en est de même pour le Dieu Soleil. Mais cela ne nous autorise pas pour autant à mettre en doute les connaissances de Mareschal sur la Mythologie, les rapprochements qu’il effectue dans sa pièce sonnent tous justes et les Thraces étaient réellement le seul peuple à adorer le Dieu de la guerre, Mars.

Mareschal ne se contente pas de faire des références aux Dieux de la mythologie, ses personnages les invoquent pour les nier et les insulter. Ainsi Oronte exprime à maintes reprises sa colère envers les Dieux :

Dieux, imprimez en nous l’espoir de vos miracles
Vous êtes aussi faux que le sont vos oracles
De peur on vous adore, et non de volonté (v. 429-431)

que l’on retrouve également chez d’autres personnages, tel que Dorame :

Et sans me plaindre au Ciel qui n’écoute personne
J’arrache aux Dieux sur moy le pouvoir qu’ils ont eu ! (v. 1246-1247)

Ce sont ces passages qui amènent Durel à penser que Mareschal y exprime sa propre pensée, et le fait que « mêlés aux Dieux se trouvent des canons contemporains et la crainte d’offenser le roi Louis XIII »32. Catherine Maubon s’accorde à dire que « le théâtre de Mareschal, et surtout les deux premières tragi-comédies33, est riche en réflexions, commentaires et manifestations hostiles à l’existence d’un principe divin »34. Mais elle évoque aussi une confusion et des contradictions dans les réflexions des personnages qui restent toujours superficielles, et ainsi dénie l’existence d’une relation entre les pensées de l’auteur et les propos tenus par ses personnages. Elle ajoute qu’« il est difficile de parler de problèmes métaphysiques réels, là où la notion de destin se mêle à celles de fortune, de dieux, de ciel ou d’astre des grandeurs, même si un tel mélange existe, au niveau du langage, chez Théophile de Viau »35. Nous nous en tiendrons l’analyse de Catherine Maubon, puisque nous ne sommes pas en mesure de juger les théories métaphysiques de Mareschal, dans la mesure où il ne nous a pas laissé suffisamment de documents pour nous le permettre.

Les différentes formes du discours introduites dans la pièce de Mareschal §

Nous distinguons trois formes de discours différentes dans La Sœur valeureuse, deux Cartels en vers, un de Dorame intercepté par Mélinde, l’autre de Lucidor intercepté par Oronte, une Lettre d’amour d’Olympe dérobée par Lycanthe, et des Stances prononcées par Mélinde.

Les Cartels appartiennent aux expédients tragi-comiques, ils sont sources de quiproquos comme on peut le voir, lorsqu’ils sont soustraits à leur destinataire : ainsi le premier n’arrive que bien après dans les mains de Lucidor, qui, de ce fait a passé pour un lâche et un infidèle auprès de son amante Olympe. Le second est également intercepté, cette fois-ci par Oronte qui se rend sur le lieu du duel afin de retrouver son frère dont elle est amoureuse. C’est d’ailleurs la seule rencontre en tête-à-tête qu’ils auront de toute la pièce. Ces Cartels sont reproduits à l’Acte II scène 3 pour le premier et scène 7 pour le second, ils nous sont lus par des personnages, Lucidor, puis Oronte. Le premier cartel est constitué comme suit : deux octosyllabes à rimes suivies, deux alexandrins, un octosyllabe et un alexandrin à rimes croisées. Le second cartel est plus court, il ne comporte que quatre vers en alexandrins à rimes croisées.

La lettre d’Olympe à Oronte a également été dérobée, et elle est reproduite à la scène 2 de l’Acte III par la voix de Dorame qui apprend par elle son malheur : Olympe est amoureuse d’Oronte. Cette lettre est en prose contrairement à toute la pièce de théâtre, elle est comme les deux cartels un objet très fréquemment utilisé dans les tragi-comédies, surtout lorsqu’elle dévie de trajectoire. Une seconde lettre est évoquée, mais elle n’est pas reproduite : il s’agit de celle de Mélinde à Lucidor, à laquelle s’est substitué le cartel qu’elle a remis par erreur à son amant provoquant sa fureur (v. 692-694). Cette lettre n’a ici aucun intérêt pour l’intrigue : elle n’existe que pour permettre à Lucidor de prendre connaissance du Cartel de Dorame.

La dernière forme de discours qui apparaît dans La Sœur valeureuse est contenue de manière isolée à l’intérieur d’une scène, la scène 4 de l’Acte V : ce sont les Stances de Mélinde. Il s’agit d’une pause lyrique, Mélinde réfléchit à la situation dans laquelle elle se trouve désormais. Les stances sont très à la mode durant la période qui s’étend de 1630 à 1660, et constituent des passages obligés de la tragi-comédie. Les vers utilisés dans notre pièce sont l’alexandrin et l’octosyllabe, ils s’ordonnent en quatre strophes de huit vers chacun avec des rimes embrassées. Les stances traduisent l’émotion du personnage et ses pensées les plus intimes et personnelles. Mélinde se désespère d’avoir perdu Lucidor, son amant, et décide de céder aux charmes de Gélandre. La fonction de cette interruption dans le discours théâtral est d’assurer la cohérence du personnage de Mélinde qui se résout à épouser Gélandre, et ainsi conduit notre tragi-comédie à se conclure sur une triple union entre les trois princes et les trois princesses, protagonistes de l’histoire.

Notes sur la présente édition §

La sœur valeureuse ou l’aveugle amante, tragi-comédie.

Paris, Antoine de Sommaville, 1634.

In-8° ; 196 p.

La présente édition a été établie à partir de l’édition originale de 1634 qui apparaît comme suit (Bibliothèque Nationale de France : YF 4823) :

(I) Frontispice gravé

(II) Verso blanc

(III) Page de titre : LA / SOEUR / VALEUREUSE / OU / L’AVEUGLE / AMANTE. / TRAGI-COMEDIE / DEDIE’E A MONSEIGNEUR / le Duc de Vandosme. /par le SrMareschal. / [vignette] / A PARIS, / Chez Anthoine de Sommaville, dans la / galerie du Palais à l’Escu de France. / M. DC. XXXIIII. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.

(IV) Verso blanc

(V-IX) Dédicace au Duc de Vandosme

(X-XVI) Poèmes liminaires (De Scudéry, Mairet, [X] ; De Rotrou, [XI] ; Corneille, [XII-XIII] ; Du Ryer, [XIV-XVI].)

(XVII-XXIX) Argument

(XXX) Verso blanc

(XXXII-XXXIII) Blanc

(XXXIV) Acteurs

(XXXV) 196 pages (texte de la pièce), pagination arabe.

Il existe sept exemplaires de cette pièce dont voici les références :

– Paris, BN :YF 4823, YF 6872, 8°YTH 16587, 8°YTH 16588 ;

– Paris, ARS : RF 6526 ; 8BL 12668(1) ;

– Charleville-Mézières, BM : A 1491.

La bibliothèque de la Sorbonne possède un exemplaire (Paris, BU Sorbonne : R.ra747) dont la page de titre porte la date de 1635. En fait il s’agit toujours de la même édition, mais le cahier K a été recomposé et Sommaville en a profité pour modifier la date de la page de titre. Sans doute le premier tirage était-il épuisé, et Antoine de Sommaville, disposant d’un grand nombre de cahiers en supplément, à l’exception du cahier K, a-t-il voulu les écouler en faisant croire à une nouvelle édition.

Comparaison des exemplaires §

Tous ces exemplaires, bien qu’ils procèdent de la même édition, comportent des différences :

– Il manque les pages 47 et 48 dans l’exemplaire ARS : RF 6526, et les pages de 1 à 16 incluses dans l’exemplaire ARS : 8 BL 12668(1).

– Frontispice gravé absent des exemplaires ARS : RF 6526, 8 BL 12668(1).

– Il y a eu un décalage lors de l’impression, pour les frontispices et les pages de titre, ce qui explique l’absence de la mention « Avec Privilège du Roi » dans les exemplaires suivants : BN : YF 4823, 8° YTH 16587 ; ARS : RF 6526, 8 BL 12668(1).

– p. 27 : Absence du « l » dans la didascalie « & les cherche » dans l’exemplaire ARS : RF 6526.

– v. 516 : le « -s » final de « soûpires » a été rétabli dans les exemplaire BN : YF 6872, 8° YTH 16588 ; ARS : 8 BL 12668(1).

– p. 59 : le bandeau est différent dans l’exemplaire de la BU Sorbonne : R. ra747.

– p. 82 : le bandeau est différent et il y a une coquille au mot « titre » qui est écrit « tître » dans l’exemplaire de la BU Sorbonne : R. ra747.

– p. 83 : présence d’une vignette à la fin de la scène dans les exemplaires BN : YF 6872, 8° YTH 16587 ; ARS : RF 6526 ; BU Sorbonne : R. ra747.

– p. 159 : erreur de pagination p. 129 pour p. 159 dans les exemplaire BN : 8° YTH 16587, 8° YTH 16588 ; ARS : 8 BL 12668(1) ; BM Ch. : A 1491.

– p. 194-195 : rétablissement de l’erreur d’insertion des pages 65, 66, 155, 156 entre les pages 194 et 195, dans les exemplaires ARS : RF 6526 et BU Sorbonne : R. ra747.

Différences apparaissant dans le cahier K de l’exemplaire de la Sorbonne (BU Sorbonne : R. ra747) §

– p. 145 : Coquille dans la didascalie « sã » au lieu de « sãg ».

– p. 146, v. 1806 : La coquille sur « approchez » a été corrigée, le -c- a été rétabli, et il y a une erreur de pagination p. 46 au lieu de p. 146.

– p. 147 : « Acte quastriesme » au lieu de « acte quatri. ».

– p. 149 : erreur de pagination p. 146.

– p. 151 : Absence du numéro de cahier.

– p. 152 : erreur de pagination p. 352, le bandeau est imprimé à l’envers et il est inscrit « Acte quatriesme » au lieu de « Acte quatri. ».

– p. 153 : la coquille à l’orthographe d’Oronte a été corrigée et « au cõbat » est écrit attaché « aucõbat ».

– p. 154 : les deux premières didascalies sont en gros caractères.

– p. 156 : la didascalie est en gros caractère.

– p. 157 : Absence de la didascalie de Dorame.

– p. 158 : Erreur de pagination p. 358 au lieu de p. 158.

– p. 159 : Absence de pagination, absence de la didascalie sur le côté, le mot « hazardé » est coupé « ha – zardé », et « acte quatriesme » au lieu de « acte quatri. ».

Tout cela révèle que dans l’exemplaire BU Sorbonne : R. ra747, le cahier K (p.145-160) a été recomposé.

Liste des corrections §

Dans le texte, nous avons remplacé les « u » par des « v » et les « i » par des « j ». Nous avons également remplacé les voyelles surmontées d’un tilde par les voyelles nasales correspondantes, puis nous avons rectifié les coquilles d’imprimerie ainsi que la ponctuation lorsque cela s’avérait nécessaire. Au XVIIe siècle le « a » et le « à » comme le « ou » et le « où » étaient souvent confondus, nous les avons donc corrigés. Nous avons cependant veillé à respecter l’édition originale, aucune modification n’a été apportée.

Épître : un amour violente.

Argument : Roy des perse – a tous ceux – a la Sœur – Trace – ou parmy – ayme – second ; le Roy – mes-mesme – attedoit – celle cy – celle [;]de – a cet objet – si pleines – le fonds – tout a fait – a Lucidor – a l’heure.

Pièce :

v. 126 : saugmente.

v.139 : [;] remplacé par [,].

v. 164 : a.

v. 263 : Jé.

v. 273 : mélevez.

v.286 : méloignoit.

v.295 : à.

v. 297 : à.

v.335 : déploy’ra.

v. 429 : [?] remplacé par [;]

v. 506 : seriez.

v.516 : soûpire.

v. 527 : indigné.

p. 46 : 45.

v. 665 : vers présent 2 fois.

v. 721 : portée.

v. 755 : mesmes.

v. 777 : on bien.

v. 807 : qui méprisa de sang.

v. 868 : cét.

v. 882 :quoy ? veux tu me le ravir, avant qu’on te donne.

p. 69 : didascalie, mettrnt.

p.70 : 78.

v.1045 : j’agmente.

v. 1104 : aujourhuy.

v. 1140 : môter.

p.92 : 88.

v.1146 : Oronte[*], nous l’avons supprimé car il n’y avait pas de didascalie correspondante.

p.93 : 89.

v. 1164 : sauverain.

v. 1168 : effection.

v. 1216 : voyez.

p. 97 dernière didascalie : é (au lieu de « et »).

p. 100, l. 35 : [?] remplacé par [,].

v. 1288 : à.

v. 1288 : [;] remplacé par [,].

v.1301 : ôte.

v. 1424 : trahit [,]. Ajout de la virgule.

v. 1513 : traîtres [,]. Ajout de la virgule.

v. 1650 : ou.

v. 1670 : il le treuve.

p.139 : Lycanthe au lieu d’Olympe.

v. 1763 : Te guerit tout à faict par un coup sensible.

v. 1806 : approhez.

v. 1815 : faits.

v. 1906 : me transporte ?

v.1914 : on.

v. 1941 : suis [;]. honte [;]. [;] remplacé [,].

v.1947 : fis ![*]. Nous l’avons supprimé car il n’y avait pas de didascalie correspondante.

v. 1948 : ta fait.

v. 1950 : m’òtoît.

p. 165 : Lucidor au lieu d’Olympe.

v.2038 : s’abbaise.

v. 2042 : ame [;] remplacé par une virgule.

v. 2054 : treuvent [;]. Ajout du point virgule.

v.2065 : le bruit [;]. Remplacé par une virgule.

v. 2067 : vous [,]. Ajout de la virgule.

v. 2089 : un amitié.

p. 171 : Roy de perse au lieu de Roy de Thrace.

v. 2128 : parce.

v. 2170 : pitie.

p. 180 : Gelanre. Gelrndre.

v.2209 : refuse.

v. 2246 : [?] remplacé par [,].

v. 2335 : a nos.

v. 2370 : cbangé.

LA SOEUR VALEUREUSE
OU L’AVEUGLE AMANTE.
TRAGI-COMEDIE
DEDIEE A MONSEIGNEUR le Duc de Vandosme. §

A TRES-HAUT
et TRES-PUISSANT
prince,
CESAR
DUC DE VANDOSME,
de mercoeur, de penthievre,
de Beaufort, et d’Estampes;
Prince d’Anét & de Martigues,
Pair de France. §

Monseigneur,

Cette Princesse amoureuse & Etrangere qui vous vient cercher depuis la Perse jusqu’en France, pour vous rendre l’arbitre de son amour & de sa valeur ; ne pretend pour fruits d’un si long voyage que l’honneur de vous entretenir, & le triste contentement de faire croistre au recit de ses advantures les Fontaines de Bourbon, par les larmes d’une si belle compagnie, que vostre vertu y attire cette année plustost que celles des Eaux. Ce n’est pas pour avoir sué dessous les armes, ou pour laver son front encore couvert d’une poussiere sanglante que cette SŒUR VALEUREUSE vient aux bains ; mais seulement pour y noyer son amour & sa honte, & pour sçavoir si ces divines sources minerales parmy tant de qualitez secrettes n’ont point celle du fleuve d’Oubly, afin d’y perdre la memoire de son Frere, que tous les effects d’une passion extréme n’ont pu lui rendre sensible. Je l’ay encouragé36 à ce dessein ; il est vray, je l’avouë, MONSEIGNEUR, & lui ay promis ce qu’on n’attendroit jamais ny des bains de Bourbon, ny de Plombieres, ny de Forges, ny de Pougues ; je veux dire la guerison d’une amour violente, & la facilité d’oublier un object qu’elle a aimé dés le berceau. Il n’entre icy rien du miracle, ou de la Fable ; cette action n’attend aucun effort par dessus la Nature, ni cette prose aucun ornement de la Poësie. Est-elle arrivé à Bourbon ? elle est guerie cette AVEUGLE AMANTE ; & pour oublier son amour, son Frere, et son païs, il ne luy a fallu de temps que ce peu qu’elle en a mis à vous regarder. Cét effect presques impossible que je luy avois promis, & qu’elle eust cerché vainement aux Eaux, elle l’a treuvé dans vos Yeux ; où rencontrant aussi bien qu’en vostre esprit toute chose à admirer, elle ne s’étonne que d’une seule, comme vostre front chargé de lauriers ne l’est point encore de la Couronne de toute l’Asie, puisque c’estoient de semblable visages qu’autrefois la Perse faisoit adorer dessus le Trône de ses illustres Ayeulx. Aussi vous voyez qu’elle en aime si parfaitement les traits, que pour les avoir toûjours present à ses yeux, elle porte aujourd’huy vostre portraict sur son Ecu, en cette mesme place où estoit celuy de son Frere, qu’elle avoit desja commencé d’effacer de ses pleurs, & que son amour pour vous a caché dessous une plus belle toile. Je ne croiray pas, MONSEIGNEUR, que vous soyez si peu sensible à la plus belle passion des hommes, pour n’agréer point la recerche d’une AMANTE de cette condition, & dont la passion ne cede qu’aux vœux infinis de celuy qui vous la presente. Sans blesser son honneur, ny le respect inviolable qu’il vous doit, il a cette asseurance de vous l’amener jusqu’au chevét de vostre lict ; & il n’est pas si mal en vostre estime qu’il n’espere que vous cherirez également & le don & celuy qui vous le fait, et qu’apres avoir pris plaisir à considerer la beauté de cette Fille, vous aurez assez de bonté pour le considerer luy-mesme comme,

MONSEIGNEUR,

Vostre tres-humble & tres-
obeïssant serviteur

A. MARESCHAL.

A MONSIEUR
mareschal,
pour sa sœur valeureuse
epigrame §

Mareschal, je voy sans envie
L’œuvre qui te promét une seconde vie ;
Et ton stile pompeux, & remply de douceur,
Me fait desirer au contraire,
5 Qu’un Vassal Genereux37 soit digne d’estre frere,
D’une si Valeureuse Sœur.

DE SCUDERY.

Monsieur Mareschal §

Mareschal, vous donner des vers
C’est vouloir éclairer le grand flambeau du monde ;
Puisque vostre veine seconde
10 En produit les plus beaux qui soient en l’Univers.

MAIRET.

A MONSIEUR
mareschal,pour sa sœur valeureuse §

Par ses moindres exploits Oronte nous étonne
Mars, sous les habits empruntez
Ou de Minerve, ou de Bellonne,
Ne les eust pas executez :
15 Le bruit de sa valeur a charmé l’Univers,
Sa main, comme ses yeux, est aux hommes fatale ;
Tout luy succede38, & rien n’égale
La force de son bras, que celle de tes vers.

DE ROTROU.

POUR LA SŒUR
valeureuse DE MONSIEURmareschal. §

Rendez-vous, Amants & Guerriers,
20 Craignez ses attraits & ses armes ;
Sa Valeur egale à ses charmes
Unit les myrthes aux lauriers :
Miracle d’Amour & de Guerre,
Tu vas domter toute la terre ;
25 A l’éclat de tes yeux, on voit de toutes parts
Mille cœurs à l’envy voller sous ta puissance :
Et s’il est un mortel rebelle à tes regards,
Ton bras soudain le range à ton obeïssance.
Telle contre le Roy D’Arger
30 Courut autre-fois Bradamante :
Telle fut cette pauvre Amante
A la queste de son Roger39 :
Telle, mais avec moins d’adresse,
Venus s’arma contre la Grece40 :
35 Telle contre son Fils pour le Roy des Latins
Camille dans le chocq se jettoit animée41 :
Et telle du cerveau du Maistre des Destins
Son mary fit sortir Minerve toute armée42.

CORNEILLE.

A LA SOEUR valeureuseDE MONSIEURmareschal §

Montre toy desormais, amoureuse Guerriere,
40 Certaine de ton prix entre dans la barriere,
Viens combattre sans crainte, & pour nous vaincre mieux
Laisse ton bras oisif, & te sers de tes yeux,
Leur divine douceur penetre jusqu’à l’ame,
Elle y sçait allumer une agreable flame,
45 Et dessus ton beau teint par qui tout est charmé
L’amour peut plus tout nud, que Mars ne peut armé
Quitte donc hardiment ce fer qui t’environne
Au lieu de ton armét on t’offre une Couronne,
Te peut-on dénier ce beaux prix des vainqueurs
50 Si tu sçais triompher & des corps, & des cœurs ?
Mais quand mesme le Ciel t’eust refusé ces graces
Par qui dans les esprits tu gaignes43 tant de places,
Quand tu ne sçaurois pas captiver les humains
Par la force des yeux, & par celle des mains,
55 Et quand de tes beautez le renom legitime
N’auroit pas en tous lieux fait voler ton estime,
L’accueil de ce grand PRINCE, à qui tu viens t’offrir,
Te feroit oublier ce qu’on t’a veu souffrir,
Et la moindre amitié qu’il te feroit parestre
60 Bien mieux que tes beautez te feroit reconnestre :
Par elle l’Univers cognoistroit tes appas,
Par elle tu vaincrois le temps & le trespas,
Et tu verrois en fin par des marques certaines
Qu’elle est un plus grand prix que ne furent tes peines.
65 Adore donc le sort qui t’approche de luy,
Ce bien est infiny, comme fut ton ennuy ;
Et pour ta recompense aprés tant de supplices,
Tu ne pouvois avoir de plus cheres delices.
Pour moy je n’ay treuvé mon destin glorieux
70 Que depuis que le Ciel m’approcha de ses yeux,
Ma Muse auparavant & foible & languissante
Se rend par ses faveurs plus forte & plus puissante,
Un seul de ses regards luy donne une vigueur
Que jamais Apollon n’inspira dans un cœur ;
75 Son Parnasse est partout où son Prince l’anime,
Elle tire de luy sa grâce & son estime,
Et peu s’en faut en fin que tant de bon acceuil
De son humilité ne la porte à l’orgueil.
Ainsi de tant d’honneur ma Muse poursuivie
80 Regardera sans peur les assauts de l’envie,
Et fera voir autant d’efforts victorieux
Que sa condition luy fera d’envieux.
Espere tout de mesme, agreable Guerriere
Que pour toy ce Soleil aura de la lumiere ;
85 Tu pourras tout charmer, & tout vaincre à ton tour
Ou bien par tes beautez, ou bien par son amour.

DU RYER. Paris.

Argument. §

lucidor & oronte deux Gemeaux, Fils & Fille de Belyman Roy des Perses et des Medes, avoient esté élevez & nourris ensemble, & pendant leur enfance ils avoient joint à la conformité de leur visage une seconde d’humeur & de volonté, qui faisoit douter à tous ceux qui les voyoient, quelle estoit des deux la plus grande, ou la ressemblance de leurs esprits, ou celle de leurs fronts. La Nature en ce doux accord, par une puissante inclination qu’elle donna à cette Fille, la porta peu à peu à aymer, suivre, & imiter son Frere en tout, & mesme par un effort de courage à se rendre depuis compagne d’exercices, comme elle l’avoit esté de berceau. Du commencement ce n’estoit que jeu, que le Roy leur Pere appreuvoit ; mais ils sont enfin separez par la force & l’envie des années, qui font connoistre à celle-cy qu’elle est Amante, & qui obligent celuy-la à fuir d’horreur une passion qui luy paroissoit sinon criminelle pour le moins fort dereglée. Rien ne l’excusoit qu’une loy de Perse, qui permettoit à la Sœur d’estre femme de son Frere, & de joindre par ce lyen le sang qu’ailleurs une mesme naissance auroit disjoint. Mais ce pretexte n’estant pas assez puissant, pour effacer ou couvrir en l’esprit d’Oronte un vice qu’elle avoüoit elle méme par la honte qu’elle ressentoit à le commettre, ne put ôter aussi l’aversion de Lucidor. Il la quitte & la Perse mesme ; & après mille courses que ses armes luy rendirent glorieuses, borna heureusement sa fuitte en Thrace ; où parmy l’accueil & les honneurs qu’il receut, il se treuva enfin amoureux & aimé d’Olympe, fille unique du Roy de ce païs. Cette amour réjoüit le Pere, engagea doucement la Fille, & affligea Dorame qui en estoit amoureux, sur des pretentions qui sembloient auparavant asseurées par la faveur qu’il avoit auprés du Roy, & par la puissance absoluë que cette faveur luy donnoit dans tout le Royaume. Pour estre politique, plein d’esprit & d’intelligence, il n’estoit pas moins malheureux. Gelandre son Cousin l’avoit chassé de Bythinie, bien qu’il en eust la possession legitime ; & tous ses desseins depuis n’estoient qu’à se r’établir, & à reprendre les droits de la Souveraineté, qu’injustement son Cousin usurpoit sur luy. Pour cét effect, & afin de perdre aussi bien son Rival comme son Usurpateur, par un dessein et d’amour & d’ambition, il envoye à Gelandre Lucidor dans la Ville de Pruse, sous un pretexte specieux qui les trompa tous les deux, & qui fut tel. Lucidor accompagné de Melinde Sœur du favory, qui la luy avoit donnée autant pour conduite & asseurance que pour ôtage à Gelandre, pensoit fuir la colere du Roy, qui estoit aussi fausse que tous ces complots que Dorame avoit feint
que sa Majesté dressoit contre luy, sur l’enlevement de sa fille Olympe ; que ce Rival ingenieux avoit encore supposé. De mesme Gelandre en les recevant croyoit s’asseurer de la Bythinie, veu que Dorame par lettres expresses renonceoit à toutes ses pretentions, s’il pouvoit faire reüssir le mariage de sa Sœur avecque Lucidor, qu’il luy envoyoit (disoit-il) à cette intention. Si tost qu’ils sont receus dans Pruse, Dorame s’ecrie à la force, se plaint au Roy que Lucidor a enlevé sa Sœur, qu’il s’est retiré auprés de Gelandre son Usurpateur ; & demande main forte pour se vanger de l’un & de l’autre. Le Roy de Thrace envoye demander Melinde, Gelandre assuré sous main par Dorame la refuse ; les Thraces arment ; le Roy sort de Byzance avec Olympe ; Dorame a charge de toute l’Armée ; & du premier assaut l’on emporte sans resistance le Château d’Elvye fort peu distant de la Ville, où la Princesse choisit son quartier & sa retraitte : enfin pour le dire court Pruse est assiegée. Melinde dedans & instruite par son Frere de ce qu’elle devoit faire, luy envoye une lettre quelque temps aprés, par où (continuant leurs feintes) elle se plaignoit de l’insolence & des poursuittes violentes du Prince de Perse, qui feroit encore quelque effort sur son honneur, si on luy en laissoit le temps & les moyens dans les longueurs d’un siege ; que ce remede estoit trop lent & trop éloigné pour un mal si proche, & qu’il failloit prevenir ses mauvais desseins par un duel. Par cette lettre Olympe connoist ouvertement l’infidelité de Lucidor ; & c’estoit là le premier dessein de Dorame : pour le second, le Roy luy permét de se battre ; & c’estoit ce qu’il avoit pretendu par tant de feintes, & de le faire sans hazarder sa faveur ni sa fortune. Cependant qu’il travaille dans les soins de son combat, Melinde en entreprend un autre suivant ses instructions, qui estoit d’obliger le Prince de Perse à l’aymer : mais elle y est si mal-heureuse, qu’au lieu de donner de l’amour à Lucidor, elle en prend elle mesme. Dans les élans de sa nouvelle passion elle receoit le Cartel de son Frere contre son Amant, & son esprit divisé pour tous deux ne pouvant laisser perdre l’un ou l’autre, elle fait réponse au Cartel sans le montrer à Lucidor, & comme s’il l’eust écrite luy mesme. Elle mande Dorame que la guerre estant ouverte, & luy si necessaire à son party, un Prince de sa sorte ne se pouvoit battre qu’avec une Armée, & non pas en homme privé ; qu’il ne le verroit que trop tost au front d’un Bataillon. Dorame qui n’attendoit rien moins que cette réponse, y prend son avantage ; le Roy la voit, & s’en étonne ; & Lucidor est décrié dedans toute l’Armée,où l’on prend ses raisons pour un refus. Olympe aussi en est au desespoir ; & ne pouvant souffrir l’inconstance
& la lâcheté de Lucidor, ni la vanité de Dorame, elle se resout de les punir tous les deux par sa mort, en se battant contre celuy-cy en faveur de celuy-là, qu’elle ayme trop encore pour survivre à cette double perte de son honneur & de sa fidelité. A cét effect elle fait tenir à Dorame une réponse à son Cartel, & luy assigne le combat au nom de Lucidor, au coin du bois, au dessous du Château d’Eluye.44

Déjà Oronte n’ayant pu souffrir l’absence de son Frere Lucidor, pour le cercher avoit quitté la Perse sous un habit d’homme qui ne répondoit pas mal à son courage ; & aprés avoir fait un voyage aussi long que difficile, elle s’estoit renduë en Bythinie auprés de Pruse, sur la promesse de l’Oracle qui l’avoit engagée à cette entreprise, qu’elle avoit consulté en Perse, & luy avoit réspondu :

ORACLE.

Dans la Forest d’Elvye, aprés estre guery,
Ton cœur obligera Pere, Frere, & Mary.

Comme elle dormoit dans cette Forest, ayant mis bas son casque & son écu, sur lequel estoit peint son Frere ; Olympe de mesme habillée en homme passe pour aller se battre, & la prend de loin pour Dorame, qu’elle croyoit s’estre là endormy en l’attendant. Elle reconnoist bien tost son erreur, admire son visage par la force des trais qu’elle y void, qu’elle juge semblables à ceux de son Amant Lucidor, dont la peinture qu’elle treuve sur l’écu redouble son étonnement. Les transports qui l’attachent à la veuë de ces deux objets, conseillent à son desespoir de la porter à une desirable mort sous de si cheres marques ; si bien qu’avec le casque & l’écu d’Oronte elle s’en va chercher Dorame, qui la prenant pour Lucidor commence le combat contre elle. Il la tenoit à terre, & estoit déjà prest à la tuer, lors qu’Oronte y survient, qui cerchoit partout celuy qui luy avoit dérobé ses armes. Honteuse de les voir à ce coup en de si mauvaises mains, elle arrache l’écu du bras d’Olympe, & va contre Dorame qu’elle blesse, pour ne vouloir pas rendre hommage à ce portrait qu’il avoit offencé. Dorame abbatu & pensant mourir, fait reproche à Olympe sous le nom de Lucidor, de la trahison qu’il croyoit qu’on luy avoit dressée par ce tiers qui estoit survenu. Le nom de Lucidor fait courir
Oronte à Olympe pour voir si c’estoit son Frere ; mais son front decouvert luy fait voir en la place de Lucidor une Fille, & à Dorame sa Maistresse. Leur étonnement est commun : Dorame connoist son malheur, & de combien son Rival luy est preferé ; Olympe charmée à l’objet d’Oronte perd aussi l’envie de mourir ; & tous deux rendent graces au Victorieux, (car Oronte est prise pour homme,) celle-cy pour
luy estre redevable de la vie, & celuy-là pour luy devoir celle de sa Maistresse, à qui ce coup, dont il luy avoit esté obligé mesme en le recevant, l’avoit empesché de donner la mort.

45Ils se retirent tous trois au Château d’Elvye ; où Olympe ayant sceu d’Oronte que Lucidor est son Frere, en devient amoureuse ; & Dorame gueri de sa blessure l’engage à une vraye amitié par une fausse, sur l’esperance qu’il a de l’employer vers Olympe, à qui il voyoit qu’il estoit fort agreable. Il avoit encore en l’esprit une pensée plus subtile, esperant si ses desseins ne pouvoient reussir contre Lucidor, d’engager par cette amitié Oronte en son party, & d’opposer un Frere à l’autre pour se maintenir. Cét ingenieux & mauvais Amy ne manquoit pas de beaux projets, ni de pretextes pour les couvrir & les avancer ; mais le malheur sembloit avoir entrepris de les ruiner. Il introduit Oronte auprés du Roy, le jette en la faveur, afin de s’en servir plus puissamment ; mais la mesme puissance qu’il luy a donnée à la fin luy fait peur. Il l’envoye à Olympe pour luy parler favorablement de son amour ; & c’est par cette occasion qu’Olympe fait voir à Oronte qu’elle l’ayme, & que Dorame sçachant le peu de succez qu’il doit en esperer, aveugle en ses soupçons autant qu’Olympe l’estoit en sa passion, il conçoit de la jalousie d’une fille pour une autre, & prend ombrage de tous les services que luy rend Oronte.

Cependant qu’Amour fait ces broûilleries dans le Camp, il en éleve d’autres dans la Ville. Melinde pensant faire voir à Lucidor sa passion dans une lettre, par mal-heur au lieu d’elle luy presente le Cartel que son Frere envoyoit à Lucidor, & qu’elle luy avoit caché. Les mouvements de ce Prince sont grands à cét objét : il se treuve trahy d’un temps46 du Frere & de la Sœur, haï de l’un autant qu’aymé de l’autre ; & pour se vanger de tous deux, il oblige Melinde à porter
elle mesme la réponse au Cartel de son Frere, & de l’appeller au combat. C’est un effect que l’amour tire difficilement de cette mal-heureuse Amante, qui en fin quitte les interests de Dorame, pour suivre ceux de Lucidor : De cét effect en vient un autre encore plus étrange ; & Lucidor se bat contre sa Sœur Oronte, lors qu’il croyoit avoir en teste son Rival. Cette Sœur valeureuse reconnuë par son Frere justifie auprés de luy son innocence, declare que l’Oracle luy avoit promis leur rencontre en ce lieu, rapporte cette loy de Perse que j’ay ditte, & tout ce qu’elle peut luy faire excuser & agreer sa passion, qui n’a de luy que des reproches & injures pour réponse : Surquoy cette Fille outragée se porte au combat, & acheve de rage ce qu’elle n’avoit commencé que par feinte. Gelandre averti par Melinde fait une sortie pour les empécher, & n’arrive qu’apres les coups donnez, & lors que Lucidor est déjà blessé par Oronte : qui soûtenuë avantageusement des troupes de Dorame, qui tirent en campagne contre celles de la Ville, mét Lucidor en fuitte, Gelandre & les siens en déroute, & leur fait regagner la Ville sans se reconnoistre.

47Par ces actions nonpareilles elle remporte une gloire qui luy donne des louanges de toute l’Armée, augmente l’amour en Olympe, & l’éléve en une faveur si grande auprés du Roy, que Dorame jaloux déjà, en est ennuyeux tout ensemble. Ses soupçons & son desespoir s’augmente de beaucoup à la rencontre de Lycanthe, de qui il avoit gagné l’esprit & l’affection, comme d’un homme qui luy pouvoit grandement servir, en qualité d’Escuyer & de Confident d’Olympe. Cettuy-cy luy montre une lettre de sa Maistresse à Oronte, si pleine de caresses & d’amour, que Dorame asseuré de leur intelligence autant par cette lettre que par ce qu’il voit en suitte de leurs actions, que son aveuglement luy fait voir autres qu’elles ne sont en effect, donne charge à Lycanthe de prendre Oronte à main forte & de l’assassiner. Ce dessein criminel luy reussit aussi peu que les autres : Oronte est attaquée dedans la Forest d’Elvye par Lycanthe & trois de ses complices : ils y demeurent tous48 ; & cette valeureuse Fille blessée en divers endroits tombe à la fin sur le corps de son Page mort. Melinde amoureuse à l’extreme, aprés le combat de Lucidor contre Oronte, se voyant pressée avoit declaré le fond de tous les desseins de son Frere : surquoy Lucidor indigné l’avoit fait mettre dans une prison ; & pour ruiner tout à fait Dorame avoit envoyé
querir du secours en Perse, qui venoit déjà à grandes journées, & mesme le Roy en personne.

49Pendant la prison de Melinde ; Gelandre qui en estoit amoureux, mais qui avoit caché sa passion, de respect qu’il portoit à Lucidor qu’il croyoit avoir de l’amour pour elle ; voyant la scenne libre de ce côté là, méprise la perte de son Estat pour acquerir Melinde qu’il delivre de prison, afin de luy donner un témoignage de l’amour qu’il luy portoit. Oronte que Nepoleme avoit rencontrée, allant cercher Lycanthe de la part d’Olympe, à peine guerissoit de ses blessures, que Dorame l’appelle pour se battre, estant venu par le commandement du Roy la treuver au lict pour la consoler. Cette Fille aprés mille preuves de son aveugle amitié, ne luy voulant pas declarer son sexe propre, & n’osant dementir celuy qu’elle avoit emprunté, se bat par force contre ce mauvais Amy ; qu’elle desarme sans dessein, luy ayant fait tomber l’épée par un coup qu’il reçoit dedans la jointure de la main, pour s’estre luy mesme jetté entre ses armes.

Déjà les Persans estoient arrivez ; & Lucidor allant treuver son Pere au rendez-vous qu’ils s’estoient donnez en ce lieu pour se voir & parler ensemble, s’estoit tenu caché tandis que Dorame & Oronte s’y battoient. Il voit comme aprés ce coup Oronte assiste Dorame, le mene sous un arbre, luy demande pardon de cét outrage, & pleure sur sa playe. C’est ce qui le fait approcher pour les ouyr ; mais il ne se peut empécher de dire injure à ce Prince vaincu en l’estat mesme où il le voit, & de luy faire honte qu’une Fille l’y ait mis. Oronte ne peut souffrir les injures que l’on donne à son Amy ; elle se bat contre son Frere qu’elle haïssoit à l’heure autant qu’elle l’avoit aymé ; & Dorame ayant reconnu qu’Oronte est une Fille, tout étonné & tout sanglant se mét entr’eux deux pour les separer. Le Roy de Perse arrive sur ce faict, reconnoist son fils Lucidor, le veut secourir contre Oronte ; qui se jettant à ses genoux luy demande pardon, & luy fait voir qu’elle est sa Fille. Le Pere est tout confus, & se plaint contre ses enfans, de les avoir treuvez en cette sorte prest à se tuer l’un l’autre ; rendant graces à Dorame de les avoir separez, & luy donne un pardon qu’il luy demande de sa faute sans l’avoir connuë.

50Depuis ce temps le Roy de Perse veut tant de bien à Dorame, à cause qu’il l’avoit veu s’opposer au meurtre de sa Fille ou
de son Fils, que pour reconnoissance de cette action il luy accorde Oronte en mariage, aprés que par le moyen de ce Prince s’estant veu & accommodé avecque le Roy de Thrace, sur une paix commune Olympe est jointe à Lucidor. Dorame avec Oronte prend aussi le Royaume des Medes, & renonce à ses pretentions dans la Bythinie en faveur de Gelandre ; qui pour accomplir la paix & la joye possede Melinde, & au milieu du desespoir se voit élevé & compris au nombre des heureux Amants.

FIN.

LES ACTEURS §

  • ORONTE. Fille du Roy de Perse.
  • LUCIDOR. Son Frere, fils du Roy de Perse.
  • LE ROY DE PERSE.
  • LE ROY DE THRACE.
  • OLYMPE. Fille du Roy de Thrace.
  • DORAME. Prince de Bythinie, favory51 de Thrace.
  • MELINDE. Sœur de Dorame.
  • GELANDRE. Autre Prince de Bythinie.
  • LYCANTHE. Escuyer* d’Olympe, confident de Dorame.
  • SOLDATS 3. Assassins, et complices de Lycanthe.
  • PAGE. D’Oronte.
  • AUTRE PAGE.
[A ; 1]

ACTE PREMIER. §

SCENE I. §

Oronte, le casque en teste, & regardant un portrait de son Frère sur son écu*.

A la fin des travaux* d’un triste & long voyage,
Doy-je remercier les Dieux, ou cette Image* ?
Les Dieux ? Je n’en sçaurois adorer que ces yeux ;
Qui font honte aux objects* qu’on voit dedans les Cieux ; {p. 2}
5 Je porte, beau portraict, en ma triste avanture*
Tout mon mal en effect*, & mon bien* en peinture :
Si tu me fais languir, réponds à mes sanglots,
Ouvre moy cette bouche, ou tiens ces beaux yeux clos ;
Un mot empéchera qu’icy je ne perisse ;
10 Si les uns font le mal, que l’autre le guerisse.
Quoy ? Tu ne réponds rien, tu n’agis seulement,
Homicide* Portraict, qu’à donner52 du tourment* ;
Si je n’estois ta Sœur, tu cherirois Oronte,
Quand je rougy d’amour53, tu rougis de ma honte.
15 Ferme doncque54 ces yeux, ouverts à55 mon malheur,
Cache tout cet éclat qui nourit ma douleur* ;
Je verray sans rougir cet object* qui me domte*,
Quand il ne verra plus ma fureur ni ma honte.
Erreur de mes esprits* ! Pensers* fallacieux56 !
20 Vous luy cachez ma flame, & la montrez aux Cieux :
Luy cacher ? & comment ? si lors que je l’appelle
Ce nom de Frere aymé l’offence, & me decéle57 : {p. 3}
Ah ! Nature marâtre58 ! Amour, cruel* Enfant !
L’un m’ordonne d’aymer, l’autre me le deffend59 ; 
25 Mais, pour les accorder devant cette peinture,
Mets le bandeau d’Amour60 sur les yeux de Nature.
Comme si l’on pouvoit aveugler la raison*61 ?
Je me flatte moy mesme, en prenant du poison* ;
Tout le monde connoit mon étrange* manie,
30 Et prés de Lucidor je la cache, ou la nie ;
Pour luy j’ay traversé les Païs* étrangers,
Et je crains de le voir aprés tant de dangers.
Retourne sur tes pas, Ame lâche & timide,
Fay mentir aujourd’huy l’Oracle qui te guide ;
35 C’est luy qui t’a promis de rencontrer icy
L’object* de ton amour & de ta honte aussi,
Luy qui t’a fait quitter & Parents & la Perse ;
Songe au bien* qu’il te garde après tant de traverse* :

Oracle.

Dans la forest d’Elvye62, après estre guery
40 Ton cœur obligera* Pere, Frere, & Mary. {p. 4}
Quel Oracle plus doux ? Quel bon-heur plus extréme ?
En voicy la forest, en voicy le lieu mesme,
Où Lucidor mon Frere, en se rendant plus doux,
Me servira de Pere, & sera mon Epoux ;
45 Voilà, certes, voilà le sens de cét Oracle :
Attends donc en ce lieu l’effect* d’un tel miracle,
Ton voyage, ton sort* est icy limité.
Non, fay ceder l’espoir à la timidité63 ;
Si les aisles d’Amour ayderent ta poursuitte,
50 Prends celles de la peur & te mets à la fuitte,
D’un contraire dessein* fuy ce que tu cerchois*64 ;
Pour reculer ainsi doncque tu l’approchois ?
O Dieux ! que mes desirs épreuvent de contrainte !
Que je souffre d’amour, & que je sents de crainte !
55 Que le sort* est cruel qui m’a tant fait courir65,
Et qu’il m’obligeroit* s’il me faisoit mourir !
Oronte mét bas son écu* & son casque, pour dormir au pied d’un arbre.
De foiblesse & d’Amour je me sens combattuë,
L’une attend du repos lors que l’autre me tuë :
Sommeil, ôte à mes yeux un objét* si charmant*, {p. 5}
Puis regardant le portraict.
60 Ils66 s’en vont dans mon cœur pour le voir en dormant ;
Si ce repos est loin des faveurs* que j’espere,
Dieux, envoyez la Sœur en la place du Frere.
Oronte s’endort.
{p. 6}

SCENE II. §

DORAME, LYCANTHE, Escuyer* d’Olympe.

Dorame.

Dis-tu qu’il est parti, qu’on ne l’a sceu treuver ?

Lycanthe.

La crainte & le danger l’auront fait esquiver* ?
65 J’ai couru sur ses pas, j’ay sa piste suivie67,
Visité tout le Camp, tout le Château d’Elvye68 :
Mais ainsi qu’un fantôme, un spectre decevant*,
Cet Homme, aprés l’Appel*, s’est perdu dans le vent.
{p. 7}

Dorame

Qu’il échappe ; du moins ce Cartel* me demeure,
70 Qui m’assigne au combat le lieu, la forme69, et l’heure :
Va, retourne au Château ; député70 de ma part
Excuse auprés d’Olympe un si soudain départ,
Surtout, dans sa Maison tiens l’affaire couverte*.

Lycanthe.

Oter à ma vertu* l’occasion offerte ?
75 Suis-je pas71, dans l’honneur* qu’on ne me peut ravir,
Comme de qualité, de cœur à vous servir ?
Avoir tant d’autres fois recerché72 ma franchise* ?
La mépriser au temps qu’elle vous est acquise ?
N’offencez point ainsi ma nouvelle amitié,
80 Qui resistant aux dons* se rend à la pitié.

Dorame.

Doncque tu viens à moy, quand le sort* m’abandonne ?
Ton cœur n’esperant rien, c’est alors qu’il se donne ?
La faveur* ni mes biens* n’avoient pû t’émouvoir*,
La vertu* plus que l’or a sur toy de73 pouvoir ;
85 C’est entrer au74 Vaisseau, quand tu vois le naufrage ; {p. 8}
Ah ! vrayment, chér Amy, j’estime ton courage* ;
Mais modere l’ardeur dont tu m’as conjuré*,
Ne me dispute point un triomphe asseuré,
Ne méle pas tes soins* parmy si peu de peine ;
90 Ce duel me promet la victoire certaine ;
Lucidor que j’attends me fera peu de mal ;
Ah ! je crains ma maîtresse, & non pas mon Rival ;
Je tiens le sort* de l’un au bout de mon épée ;
L’autre de mille traits* a mon ame frappée75,
95 Et quelque si grand Dieu qui me76 vinst secourir,
Olympe a des mépris qui me feront mourir :
C’est en quoy seulement je desire qu’on m’ayde,
Où mon espoir est vain*, & puissant ton remede.

Lycanthe.

Grand Prince, vous pouvez disposer de ma foy*,
100 Qui me tiendra constant à suivre vostre loy* :
Olympe ne sçauroit m’estimer infidele*,
Car en faisant pour vous je croy faire pour elle ;
Attaché par ma charge77 au bien* de sa maison,
Croyez que je le suis bien* plus à la raison* ; {p. 9}
105 Je regarde en vous seul tout l’espoir de la Thrace78,
Autre ame de mon Roy, le premier en sa grace*,
Qui tenez les ressorts* d’une entiere faveur*.

Dorame.

Pour reconnoitre un jour ton zele79 & ta ferveur80 :
Lycanthe, en un poinct* seul oblige* ma fortune*,
110 Si tu la veux avoir avecque81 moy commune ;
Epargne ta valeur*, je ne la cérche* pas ;
Il n’est icy besoin que de feinte* & d’appas* :
Gagne l’esprit* d’Olympe, & fait moy cét office*
D’employer à mon bien* les soins* & l’artifice*,
115 Qu’elle n’ait de secrét* qui ne me soit ouvert*82,
Que j’agisse en son cœur par un Amy couvert* ;
Aprés……

Lycanthe.

Je crains pour vous quelque accident funeste.

Dorame.

Mon courage* & ce bras acheveront le reste :
Que crains-tu ?

Lycanthe.

De vous voir sans crainte, & sans raison*
120 Flatter vostre malheur & sucrer un poison*83 ; {p. 10}
Lucidor plus heureux est seul en sa pensée*.

Dorame.

Aprés qu’elle s’en tient vivement offencée ?
De plus, ne suis-je pas tout prest à le punir ?
Il faut vanger Olympe, afin de l’obtenir,
125 Vaincre l’une d’amour, l’autre de force* ouverte*.

Lycanthe.

Et sa haine s’augmente encore par sa perte ?
Tel qui s’est plaint d’un tort, se plaint d’estre vangé ;
La perte d’un Amant….

Dorame.

Plaist ; quand il a changé.

Lycanthe.

Plustost rend odieux ceux qui nous l’ont causée :
130 Le Roy l’ayme.

Dorame.

Et permét à ma force* opposée
De combattre un Tyran* qui posseda son cœur,
Et qui le doit bien* tost rendre à ce bras vainqueur.

Lycanthe.

Le hazard* sera grand. {p. 11}

Dorame.

Et plus grand mon courage*.

Lycanthe.

Il a de la valeur*.

Dorame.

Et j’en ay davantage :
135 Enfin je touche au but cerché* depuis long-temps,
Qui peut rendre mes vœux* glorieux* & contents.
Te diray-je un secrét* d’une importance extréme,
Dont je n’ose quasi me fier à moy-mesme ?
Ouy, t’ayant à ce poinct* fidele reconnu,
140 Lycanthe, je te veux montrer mon cœur à nu.
L’Asie entiere sçait notre siege de Pruse84 ;
Mais apprends aujourd’huy que ce n’est qu’une ruse,
Que dedans le secrét*, cette guerre est un tour
De mon ambition, comme de mon amour.
145 L’effort* m’avoit déja ravi la Bythinie85,
Et le droict* que Gelandre à mes titres* dénie86,87
Ce Parent qui détient encore mon Estat*,
M’avoit presques oté le nom de Potentat88 :
Battu, forcé*, perdu, chassé de ma Province, {p. 12}
150 Je treuvay mon refuge auprés de vostre Prince,
Roy qui fait de la Thrace un Temple aux afligez,
Et ses Sujéts de ceux qui lui sont obligez* ;
Je conte89 les moments par ses graces* receuës,
Et quand je les tairois un chacun90 les a sceuës ;
155 Je faisois dans mes mains reluire ses bien*-faits,
Qui surmontoient l’envie autant que mes souhaits ;
Ayant gagné le Pere, il me gagna la Fille ;
Tu connus nos amours, toy seul de sa famille :
Je goûtois dans la Thrace, aprés un long effroy,
160 Et l’amitié d’Olympe, & les faveurs* du Roy ;
Ma fortune* sembloit avoir changé de face,
J’estois, aprés le Roy, le plus puissant de Thrace ;
Gelandre n’attendoit de mon sceptre usurpé
Qu’à rendre le Pays* qu’il avoit occupé :
165 Lucidor en ce temps me vint à la traverse*
Sous le superbe nom de fils du Roy de Perse ;
Sa qualité rendoit notable91 son sejour,
Mesme, au lieu de la faire92, on lui faisoit la Cour ;
C’estoit l’ame du Roy, le cœur de la Noblesse :
170 Ah ! fâcheux souvenir, dont la honte me blesse !
Sa grandeur offusqua la mienne à son abord*, {p. 13}
Chaque jour l’élevoit, & rabaissoit mon sort* ;
Le Roy tint quelque temps sa faveur* partagée ;
Mais la fille se vit dans l’amour engagée,
175 Olympe, qu’on croyoit destinée à mon choix,
Quitta mon amitié93 pour entrer sous ses loix* ;
Le Roy mesme, ébloüi d’une telle fortune*,
Tint sa recherche94 heureuse, & la mienne importune :
La Cour en toute forme, & sous mille couleurs ;
180 Me parlant de son bien* m’enseignoit mes malheurs ;
Son destin rompoit l’art95, & passoit ma science ;
Je prevoyois ma mort, chacun leur alliance ;
Et les loix* du Païs* murmuroient sourdement
Du joug que luy tendoit ce fatal changement,
185 Où Lucidor prenant un droit* hereditaire
A la Perse rendroit la Thrace tributaire96 :
Lors j’avisay de rompre un coup* si perilleux,
Par un effort* d’esprit* subtil & merveilleux97.

Lycanthe.

Ne me retenez plus sur ce poinct* en haleine ;
190 Que vous avez de grâce* à conter vostre peine ! {p. 14}
Vous me rendez nouveau ce que j’ay veu passer,
Quand vostre esprit* ainsi me le98 vient retrasser ;
Que mes yeux sont jaloux du bien* de mes oreilles !

Dorame.

Ecoute, & les99 prepare à bien* d’autres merveilles*.
195 J’aborde Lucidor, je le tire* en secrét*,
Et par un feint soûpir, témoin d’un faux regrét
En luy parlant des yeux, sans qu’il pûst rien comprendre,
Je le rends malheureux avant que de m’entendre ;
Je parle & me retiens, afin de l’attirer,
200 Et ma feinte* le fait sans fainte*100 soûpirer :
Je luy dy qu’à ce jour il connoistrait Dorame,
Qu’on dressoit contre luy sourdement une trame* ;
Puis la luy declarant & cachant à moitié,
Je faignois un combat de crainte, & d’amitié :
205 Il m’ouvre son esprit*, j’entre en sa confidence :
Lors je rends grâce* aux Dieux, à cette providence
Qui m’avoit decouvert le dangereux dessein* {p. 15}
Que le roy contre luy couvoit dedans le sein :
Fuyez, Prince, fuyez l’embusche qui vous dresse
210 Pour lict une prison, un tombeau pour Maitresse ;
Le Roy (luy dis-je) a sceu que vos secrets* efforts*
Meditoient d’enlever Olympe de nos bords101,
Et ce fâcheux soupçon qu’en son cœur on imprime
Previendra le dessein*, & punira le crime.
215 A ces mots il pâlit ; & d’un songe inventé
Je tombay par hazard* dedans la verité ;
C’estoit, (mais qui l’eust creu ?) de vray102 son entreprise :
Il l’avoüe ; & j’ajoûte, aprés l’avoir apprise :
Vostre amour combattant les loix* de ce Païs*,
220 D’eux mesmes vos desseins* par là se sont trahis ;
Le Roy vous ayme en Prince, & vous craint pour son Gendre ;
Vostre crime est connu, l’on n’attend qu’à vous prendre ;
C’est ce que dans103 demain l’on doit mettre en effect* :
Mais que n’a pû souffrir un Amy si parfaict,
225 Qui vous offre à la fuitte un azile, ou la porte. {p. 16}

Lycanthe.

Cela vous engageoit.

Dorame.

Et l’obligea* de sorte,
(Ma feinte* prit aussi cét empire absolu,)
Qu’il s’est porté depuis à ce que j’ay voulu.
Dans ce chemin subtil où les destins me mirent
230 D’un dessein* j’en fis trois, & tous trois reüssirent ;
De le perdre, & Gelandre où je mis son appuy ;
Et d’étouffer l’amour qu’Olympe avoit pour luy.
A ce dernier effect* Melinde ma Sœur mesme,
Avec ordre secrét*, servit au stratagesme :
235 Je l’offre à Lucidor, afin qu’en seureté
Il fust conduit au lieu que j’avois projetté ;
Mais le dessein* estoit bien* autre en nos pensées* :
Et comme je faignois les affaires pressées,
Fuyez, repris-je, allez chez un Prince voisin,
240 Tirez* en Bythynie où regne mon Cousin.
Il n’est point de retraite à l’heure qu’il refuse ;
Il me presse au départ, je l’envoyay dans Pruse :
En ce lieu, sous couleur d’un refuge apparent,
Je minutois sa perte, & celle d’un Parent : [B ; 17]
245 Gelandre le receut ; & ma Sœur bien* instruite
A l’un servit d’ôtage, à l’autre de conduite :
Une lettre asseuroit Gelandre de ma part
Que son bien* & le mien naistroient de ce hazard*,
Que je luy cederois l’entiere Bythinie
250 Quand on verroit Melinde à Lucidor unie ;
Que ce Prince l’aymoit, & ne quittoit la Cour
Que pour fuir104 Olympe, & suivre une autre amour,
Que l’importunité105 de la Fille & du Pere
Luy faisoit voir ma Sœur plus aymable & plus chere.
255 Il le creut aisément ; & Melinde par fois
Luy confirmoit à part le tout de vive voix ;
Et d’autres fois aussi, de mes vœux* informée
Caressoit Lucidor, tâchoit d’en estre aymée.
Cependant que ma Sœur les tient dans cette erreur,
260 La Cour grossit de bruit, Olympe de fureur ;
Je m’écrie à la force*, & ma plainte élevée
Soûtient que Lucidor a ma Sœur enlevée106 : {p. 18}
Je me riois de voir le Peuple dans les cris,
Olympe au desespoir, & le Roy tout surpris
265 Il creut que ce complot offenceoït sa puissance,
Qu’il devoit reprimer une telle licence* :
Gelandre est menassé ; je l’asseure sous main ;
On l’assiege ; il soûtient ; & l’on travaille en vain*.

Lycanthe.

Quelle fin vous promét cette guerre couverte* ?

Dorame.

270 Gelandre & mon Rival dans une mesme perte,
Voila par tant de feinte* où va tout mon desir ;
Tous craignent cette guerre, & j’en fay mon plaisir.

Lycanthe.

Vous m’élevez l’esprit* à d’étranges* pensées*.

Dorame.

Suy le mien, qui te peint les affaires passées.
275 Ma sœur, (c’estoit mon ordre,) au temps où je voulois
M’écrit que Lucidor la tenoit sous des loix*,
Dont la severité jointe à son insolence
Yroit dans peu de jours jusqu’à la violence ; {p. 19}
Pour sauver sa pudeur, & pour le prevenir,
280 Que sans plus107 seul à seul je devois le punir ;
Qu’en épargnant ses vœux* & les bras d’une Armée,
D’où viendroit son salut, viendroit ma renommée :
Olympe par ces mots receut un coup* mortel ;
Et le Roy tout confus me permét le Cartel*.
285 Quel combat plus heureux ? qui devant la disgrace
Hazardoit* ma faveur*, & m’éloignoit de Thrace ?
J’addresse avec avis* le Cartel* à ma Sœur,
Pour le montrer sans bruit à ce feint ravisseur :
Lucidor me répond ; quelque rang que je tinse108,
290 Qu’il vivoit en Soldat & combattoit en Prince,
Que je le pourrois voir au front d’un Bataillon
Où l’honneur* plus parfait serviroit d’aiguillon109.
Depuis, sa lâcheté fait que je le decrie110,
Ce procedé honteux* a sa gloire* flétrie111 :
295 Toutefois aujourd’huy venu dans ce Château
Qui fait une couronne à ce petit côteau, {p. 20}
Et qu’Olympe a choisy pour retraitte fidelle*,
J’ay receu ce billet où ce Prince m’appele ;
Sa valeur* hors de temps112 fait un dernier effort*,
300 Mais il ne vient toûjours que trop tost à sa mort.
Donc tandis que je vay mettre fin à l’orage,
Que ta fidelité* seconde mon courage*
Qui resigne à toy seul ma vie, & mon secrét*.

Lycanthe.

Cét honneur* infini l’est moins que mon regrét
305 D’avoir les bras liez à ce noble service113.

Dorame.

Me servir prés d’Olympe est un meilleur office* :
Allons d’un mesme temps travailler à mon gré114 ;
Toy dans son Cabinét, & moy dessus le pré.

Lycanthe.

L’un m’est aussi honteux* que l’autre est honorable*.

Dorame.

310 Tout service est d’honneur*, qui nous est favorable115.
{p. 21}

SCENE III. §

Olympe habillée en homme, avec un chapeau couvert* de plumes, & l’épée au côté.

Lucidor me trahir ? me promettre la foy*,
Pour enlever Melinde, & se moquer de moy ?
Refuser un combat, & reduire en fumée
Aussi bien* nostre amour, comme sa renommée116 ?
315 Qu’il souffre cette honte ; & moy son changement ?
Qu’on étaigne sa gloire*, avant mon jugement ?
Non ; j’ayme encore trop l’Ingrat*, & l’Infidelle*,
Parmy tant d’Ennemis seule je tiens pour elle117 ;
Sa lâcheté m’inspire un dessein* genereux,
320 Et sa flâme en mourant a redoublé mes feux* : {p. 22}
Admire, Lucidor, qu’une Fille offencée
S’arme pour un Amant, bien* qu’il l’ait délaissée ;
Regarde une Princesse au milieu des hazards*,
Et tous les traits* d’Amour changez en ceux de Mars118 :
325 Cette main delicate, autrefois occupée
A tenir un miroir, ose prendre une épée ;
Un chapeau sans respect cache & n’épargne pas
Ces cheveux où la grâce* étalloit ses appas*,
Qui119 s’en plaignent, honteux* d’estre mis en servage120,
330 Eux, qui tendroient des rets121 au plus libre courage* ;
Leurs nœuds prétoient par onde un ombrage à ce front,
Qui n’a plus que celuy que ces plumes luy font ;
Mon sein que le Zephyr122 n’auroit touché qu’en crainte
Attend d’un fer* cruel une mortelle attainte ;
335 Un rival odieux déployra son couroux
Sur un cœur, qui ne dûst recevoir que tes coups* ;
Et qui fera bien* voir, mourant pour ta deffense,
Que ta seule rigueur est le coup* qui m’offense.
Insensible, tu dors, quand je veille pour toy ; {p. 23}
340 La perte de l’honneur* suit celle de ta foy* :
Soule toy de plaisirs dedans le sein d’une autre,
Joüy de son amour, & méprise la nostre,
Méle son infamie avecque mon mal-heur,
Perds l’esprit* & les sens ; mais sauve ta valeur* :
345 Lucidor appellé, (Dieux ! qui le pouroit croire ?)
De peur de me gagner, laisse perdre sa gloire* ;
Ton Rival orgueilleux ne se123 peut contenir ;
Viens, sinon pour me plaire, au moins pour le punir ;
Songe à tes interests, méts les miens hors de comte124,
350 N’écoute point mes cris, considere ta honte,
Que ton honneur* se plaint. …Mais c’est parler au vent ;
Il demeure perfide & sourd comme devant125 :
Allons, Olympe, allons où la gloire* l’appelle,
Sacrifier mon sang à sa propre querelle,
355 Mourir pour un ingrat*, un traître, un inconstant.
Olympe apperçeoit Oronte qui dort, qu’elle prend pour Dorame.
Que voy-je ? n’est-ce pas son Rival qui l’attend ?
Sus, sus126 ; debout, Dormeur.
Considerant Oronte au lieu de Dorame.
O la merveille* étrange* !
Au lieu d’un Ennemy de rencontrer un Ange ?
Que ce visage est beau ! que j’y voy de rapport {p. 24}
360 A celuy d’un Ingrat* qui me cause la mort !
Je sents à cet objét* ma passion renaistre,
Sous des trais* innocens j’adore encore un traitre :
N’estiez-vous appelez, mes yeux, qu’à ce combat ?
Est-ce donc un duel, & comme l’on se bat ?
365 Que cette guerre est douce ! ô Dieux ! Mais qu’elle est [forte !]
Je sens bien* d’autres coups* que sa beauté me porte ;
Que les trais* sont plaisans d’un si bel Ennemy !
Et qu’il sçait bien* blesser*, quoy qu’il soit endormy !
Mais Dieux ! à cet objét* que le destin m’envoye
370 Doy-je mourir icy de douleur*, ou de joye ?
Luy reprocher un mal que Lucidor m’a fait ?
Ne voir qu’un faux visage, & l’aymer en effet* ?
Je t’adresse pourtant & ma plainte, & ma flame,
Tu parois insensible, & tu m’arraches l’ame ;
375 Voy les coups* que tu fais contre ma liberté ; {p. 25}
Perdray-je ainsi mon cœur sans l’avoir disputé ?
Je ne détourne pas le cours de ta victoire ;
Mais fay moy resister, pour accroistre ta gloire*,
Tâche un peu de gagner ce que je tiens vaincu.
Elle découvre le pourtrait de Lucidor qui est sur l’écu* d’Oronte.
380 Quel autre Ange dépeint voy-je dans cet Ecu* ?
O Dieux ! c’est mon Amant, c’est Lucidor luy mesme ;
Aprés ce que j’ay dit merité-je qu’il m’ayme ?
Son portrait en rougit, & semble m’accuser ;
Pardon ! …Las ! on diroit qu’il me veut refuser ;
385 Il ne me parle point, & j’entends sa menasse,
Qui me reproche un crime où mesme il me surpasse :
Arreste ; mon peché* n’est pas encore fait,
Il demeure en pensée* & le tien en effect* ;
Ta perfidie a mis l’inconstance en usage ;
390 Moy, si j’en ayme deux, ce n’est qu’en un visage ;
Icy je voy ta bouche, & ton front, & tes yeux ;
Voilà tout mon peché*, je t’adore en deux lieux :
Je meurs en mesme temps, ô rencontre ennemie !
Pour une beauté peinte, & pour une endormie.
395 Mais d’où pouroient venir ce corps, et ce portraict ? {p. 26}
Qui me percent le cœur presque d’un mesme trait* ?
S’adressant à Oronte.
Ne dors tu point, Amour, sous une forme humaine ?
Puis au Portrait.
Vis tu point, Lucidor, en ta figure vaine* ?
Simple, & tu n’entends pas la volonté du sort*,
400 Qui ne te mét aux yeux que des objéts* de mort ;
Pour qui ces feux* nouveaux, & pour qui tant de larmes ?
L’un insensible aux pleurs, l’autre l’est à tes charmes* :
Va, poursuy ton dessein* ; mais pour l’achever mieux
Mets au bras cét Ecu*, ce Casque sur tes yeux :
Elle mét le casque & l’écu* d’Oronte, qu’elle emporte, luy laissant son chapeau.
405 Ou ces Armes en fin pouront forcer* les Parques127,
Ou je mourray contente avec ces cheres marques128.
{p. 27}

SCENE IV. §

Oronte. S’éveillant.

Doux charmeur129, n’es-tu pas, ô sommeil gratieux,
L’image* du repos qu’on goûte dans les Cieux ?
Si les soins*, les travaux* sont l’enfer où nous sommes,
410 On te doit bien* nommer le Paradis des hommes :
Que ce relâche est doux, aprés tant de soucy !
Un Dieu voudroit ma peine, & reposer ainsy.
Et toy, divin portrait…..
Oronte se leve en surprise, ne voiant point son casque ni son écu*, & le cherche par le bois.
Ah ! mon sang est de glace ;
Je le cherche des yeux, & ne voy que sa place :
415 Parlez, Arbres, Rochers, vistes-vous l’enlever ?
Transports, rages, fureurs, faites-le moy treuver.
Helas ! je cherche en vain ; & ce qui plus130 me trouble, {p. 28}
Pour me tuer deux fois ce larcin paroist double ;
Mon Casque suit l’Ecu*. Vous qui les emportez,
420 Fuyez, hommes ou Dieux, dans ces bois écartez ;
Le sensible sujet de mon nouveau martire
Vous éloignant de moy, c’est où plus il m’attire :
Mon casque suit l’ecu* : Mais un foudre mortel
Va suivre le Voleur jusques dessus l’Autel :
425 Fust-il entre vos bras, faux Dieux, Images* vaines* ;
Vous, & luy, répondrez du crime, & de mes peines ;
Partout je veux épandre et ma rage, et mon fiel,
Et si la Terre est peu, je combattray le Ciel.
Dieux, imprimez en nous l’espoir de vos miracles ;
430 Vous estes aussi faux que le sont vos Oracles ;
De peur on vous adore, & non de volonté,
Vous n’avez de soucis non plus que de bonté ;
Vos faveurs* sont du vent, vos promesses un songe ;
Nous achetons nos maux, vous vendez le mensonge ;
435 Les douleurs* & la mort sont fruicts de vostre amour, {p. 29}
Et vous nous punissez en nous donnant le jour.
Ainsi dessus les lieux destinez à ma joye
A tous les trais* du sort* vous m’exposez en proye ;
M’aviez-vous pas promis qu’à l’endroit où je suis
440 Je treuverois mon Frere & perdrois mes ennuis131 ?
Menteurs, vous me joüez dedans vostre imposture,
Vous promistes le corps, & m’ôtez la peinture,
Et de tout cét espoir si long, si decevant*
Vous me laissez icy des plumes, & du vent :
445 Sommeil injurieux, dont le repos funeste…
En prenant le chapeau qu’Olympe avoit laissé.
Ah ! mets, sans discourir, ce chapeau qui te reste :
Helas ! que cét etat* me semble different !
Et qu’un sort* me rend mal ce qu’un autre me prend !
Mais cherchons mon Portraict en ceste Forest sombre,
450 Consultons les Echos, ces cavernes, & l’ombre :
Je regle mes desirs, Dieux, moderez mes maux ;
Retenant mon vray bien*, au moins rendez le faux.
{p. 30}

SCENE IV. §

Olympe. Avec le casque & l’écu* d’Oronte.

Je suis au rendez-vous, enfin voicy la place
Qui doit finir ma peine, & montrer mon audace ;
455 Que le sort* me verra contente de mourir !
Qu’un Dieu m’offenceroit, s’il m’osoit secourir !
Dedans ce desespoir où l’amour m’a jettée
Ma mort de deux Amants se verra regrettée ;
Le remors à tous deux doit presque estre tout un ;
460 Je meurs pour un Perfide, & pour un Importun ;
Je me vange sur moy de tous les deux ensemble ;
Leur commune fureur à ma perte s’assemble ; {p. 31}
Et comme entre eux le sort* égale la rigueur,
L’un percera mon sein, l’autre perça mon cœur :
465 Quel sera leur regrét, connoissant que ma vie
Fut offerte pour l’un, & par l’autre ravie ?
Leur creve-cœur sera plus grand que mon mal-heur.
Mais, Dieux ! comme le Ciel seconde ma douleur* !
Ce Casque estoit fatal, que132 le destin me laisse,
470 Il couvre mon visage, & l’Ecu* ma foiblesse ;
Le hazard* fit pour moy plus que mon jugement ;
L’impatience jointe à mon aveuglement
Ne m’eust produite icy que pour estre connüe
Aux marques de la voix, des cheveux, de la veuë :
475 Dorame…
Dorame paroist.
Ah ! le voicy ; mét la visiere en bas ;
Parle peu, rends plus grave & ton geste, & tes pas.
{p. 32}

SCENE VI. §

DORAME, OLYMPE.

Dorame. S’avanceant à Olympe qu’il prend pour Lucidor.

Tu réves, Lucidor ; il n’est plus temps ; approche.

Olympe.

Temeraire, insolent.

Dorame.

Laissons là tout reproche :
Je demande du sang, & non pas des discours.

Olympe.

480 Moy, je veux en ta mort signaler mes amours.
Dorame & Olympe se battent, & sur ce temps Oronte arrive.
{p. C ; 33}

SCENE VII. §

ORONTE, DORAME, OLYMPE.

Oronte.

Dieux jaloux, seriez-vous riche de ma dépoüille ?
Terre, pour la treuver, faut-il que je te foüille ?
Invisibles Tyrans*, craignez-vous mon pouvoir ?
Faut-il qu’un Ennemy me perde sans le voir ?
485 Mais quel bruit ? Tout resonne ; un foudre133 en ces allarmes
Frappe….
Oronte voyant Olympe sous ses armes & qui tombe.
O Dieux ! un voleur qui combat sous mes armes ;
Qu’il sçait mal s’en servir ! il tombe, il est vaincu ;
Oronte arrache l’écu* à Olympe sur le poinct* qu’elle alloit estre tuée par Dorame.
Voicy, traître, voicy le bras à cét écu* :
Quoy ? si peu de respect ? frapper sur cette Image* ? {p. 34}
490 Cavalier, qu’on luy rende ou la vie, ou l’hommage.

Dorame. Se sentant presser par Oronte.

Un tiers ? un Assassin ? ah ! quelle trahison !

Oronte.

Ton sang pour l’adorer, sortira de prison !

Dorame.

Ah ! je tombe blessé ; ma trame* est desourdie134 :
Puis parlant à Olympe qu’il prend pour Lucidor.
Et tu vis, Lucidor, aprés ta perfidie ?

Oronte ayant entendu nommer Lucidor.

495 Dieux ! seroit-ce mon Frere ? à ce nom que j’entends
Que tardez-vous mes yeux de vous rendre contents ?
Voyons…..
Levant le casque à Olympe.
Ma main s’arreste à cette longue tresse ;
Et quoy ! c’est une Fille.

Dorame. Reconnoissant Olympe.

O Dieux ! c’est ma Maistresse.
Je rougy plus de honte, Olympe, que de sang ;
500 Prenez, tirez* ce cœur, je porte ouvert le flanc ;
Vos yeux par cette playe arracheront mon ame :
Trop heureux Lucidor ! miserable Dorame ! {p. 35}
Que l’un est bien* vangé ! que l’autre est bien* puni !
Ah ! Princesse ; je meurs, de vos graces* banni.

Oronte.

505 Non, je ne voy qu’en songe une telle merveille* ;
O sauriez-vous, mes sens, m’asseurer que je veille ?

Dorame.

Beaux yeux, portez ma plainte à son cœur endurcy,
Dites luy que mon sang luy vient crier mercy ;
Mon esprit* abbattu d’une douleur* trop vraye,
510 Pour demander pardon, fera parler ma playe ;
Ou s’il faut excuser ce qui me fait horreur,
Reponds seul, ô destin, qui causas mon erreur.

Olympe.

Non, Dorame, c’est moy, c’est ma flame constante,
Qui malgré Lucidor s’oppose à ton attente ;
515 Que sert de te cacher mes amours aujourd’huy ?
Tu soûpires pour moy, je soûpire pour luy ;
Dans son defaut de cœur j’ay montré mon courage*, {p. 36}
Et rendu mon amour plus forte que l’outrage ;
Parmy tous les dépits qui devroient m’animer
520 Je ne le puis haïr, & ne te135 puis aymer :
Ouy, je t’ay faict venir moy-mesme en cette place,
Pour soûtenir sa gloire*, & rompre ton audace ;
J’eus soin* de son honneur* dedans sa lacheté ;
On n’ayme pas un bien*, sans l’avoir acheté :
525 Tu l’appelles ; il fuit ; & je le represente,
Je recherche ma honte, afin qu’on l’en exemte ;
Encore que l’Ingrat* soit indigne du jour136 :
Apprends, à mon exemple, à supporter l’amour.

Dorame.

Cruelle*, qui donnez ces loix* à mon envie,
530 Enseignez donc aussi l’art de souffrir la vie ;
Ne mourir qu’à demy, c’est mourir mille fois.

Olympe.

Imite qui te donne & qui souffre ces loix* ;
N’ay-je pas plus que toy de douleur* & de peine ?
Car je ne te hay point, & j’endure sa haine. {p. 37}

Dorame.

535 Ainsi donc sans pitié vous me verrez perir ?

Olympe.

La pitié nuit au mal qu’elle ne peut guerir.
Puis s’addressant à Oronte.
Mais vous, de qui les yeux admirent nostre histoire,
Qui me sauvez la vie, & donnez la victoire ;
Puis qu’un destin m’oblige* à vous si cherement…

Oronte.

540 C’est flatter mon offense ; ah ! traitez autrement
Une main…..

Olympe.

Que le sort* me rend icy propice.

Dorame.

Et qui m’a par mon sang tiré* d’un precipice,
Où ma fureur tomboit, Ma Dame, en vous blessant.

Oronte.

Que mon bras soit humain, et mon cœur innocent ?
545 Qui sont les Criminels ?

Olympe.

C’est l’amour ; c’est nous mesmes ; {p. 38}
Pardonne luy ce coup*, Dorame, si tu m’aymes.

Dorame.

Coup*, par qui je luy suis à jamais obligé* ;
Que j’estois malheureux, s’il ne m’eust affligé137 !

Oronte.

Et le mal peut tirer* cette reconnoissance ?

Olympe.

550 Le moyen de la rendre excede ma puissance.
Mais ce Prince pouroit se plaindre de vos coups*,
Si vous luy refusez vostre ayde parmy nous :
Tandis que l’on prendra le soin* de sa blessure,
Nous sçaurons vostre nom, comme vostre avanture*,
555 Quel sujét vous ameine inconnu parmy nous,
Si c’est là Lucidor…….

Oronte. Parlant bas.

Son cœur en est jaloux,

Olympe.

Ce Tyran* de mon ame.

Oronte. Parlant bas.

Helas ! & de la mienne :
Elle augmente ma playe en confessant la sienne.
{p. 39}

ACTE SECOND. §

SCENE I. §

Melinde.

Où m’avez-vous reduite, espoir, ambition ?
560 Que le sort* répond mal à mon intention !
Cét Amant assiégé, que je perds, & que j’ayme,
Dans sa captivité triomphe de moy-mesme :
Que te servent ces pleurs qui nourissent tes feux* ?
Plus tu veux échapper, plus tu serres tes nœuds ;
565 Melinde, apprends qu’Amour138 dans l’obstacle s’irrite,
Et que l’obeïssance aura lieu de merite ; {p. 40}
Les trais* de Lucidor, ouy, te feront perir ;
Mais quel bon-heur plus grand que celuy d’en mourir ?
Mon Frere, apprends l’effect* de ta vaine* entreprise,
570 J’ay taché de le prendre, & je me treuve prise ;
Amour avecque luy combattoit dans ses yeux ;
Que pouvoit une Fille, helas ! contre deux Dieux ?
Je resistois pourtant, mais toutefois de sorte
Que c’estoit malgré moy que j’estois la plus forte ;
575 Sa grace* dans mon cœur, lasse à le disputer,
Disoit (rends toy, Melinde :) il n’osoit l’écouter :
Lors, comme pour vanger une injure soufferte,
Je voyois ses appas* s’animer à ma perte :
En fin je fus vaincuë, & ce fatal sejour
580 De l’objét* de la haine en fit celuy d’Amour.
Qu’on tienne par dehors cette Ville assiegée,
Je me treuve au dedans bien* plus fort engagée ;
Nous supposions, Dorame, un violent effort*,
Que tu sçauras bien tost veritable en ma mort :
585 Qu’on me forcer* en effect*, & par feinte* l’écrire ?
Publier un faux mal, & taire un vray martire ? {p. 41}
N’est-ce pas rencontrer une punition
Entre ma retenuë & ma presomption ?
Moy-mesme j’ay cerché* ma peine legitime,
590 L’ambition me donne à l’amour pour victime ;
Lucidor a tourné contre moy mon dessein*,
Je luy portois un coup* qui revient dans mon sein.
Quelque reste d’espoir m’a conseillé de mettre
Mes desirs & mes feux* dépeints dans une lettre :
Elle montre une lettre qu’elle a faite pour Lucidor.
595 Ce langage est muét, la bouche diroit mieux ;
Mais quoy ? je crains l’oreille, & le renvoye aux yeux ;
Et s’il faut que ce mot treuve un esprit* farouche,
Ma main pare l’affront dont rougiroit ma bouche ;
C’est d’elle que ma honte implore ce devoir ;
600 Ce que l’on n’ose dire, il le faut faire voir :
Helas……
{p. 42}

SCENE II. §

GELANDRE, MELINDE.

Gelandre. La surprenant.

Vous soûpirez.

Melinde.

Ajoûtez pour vous mesme.

Gelandre.

Pour moy ? qu’entends-je ? Amour, croiray-je qu’elle m’ayme ?

Melinde.

La longueur de ce siege, & vos travaux* soufferts
Me font presques hayr Lucidor, & mes fers*.
{p. 43}

Gelandre.

605 Hayssez seulement cette humeur inconnuë,
Qui dérobe à nos yeux depuis peu vostre veuë ;
Par dessein* nous fuir139, et presque vous cacher
C’est……

Melinde.

Bien* moins de rigueur, qu’à vous de me cercher* :
Mais vous riez, Gelandre ; aprés m’avoir surprise…..

Gelandre.

610 Dans une passion, que je n’ay pas apprise ;
Des soûpirs toutefois, malgré l’ame passez140,
Mesme cette rougeur me la découvre assez :
Parliez-vous pas141 d’amour seule en vostre pensée* ?
Celle de Lucidor sera fort avancée ?
615 Comment s’entretient-il en sa double prison ?

Melinde.

Comme un blessé, qui voit, & fuit sa guerison ;
Il méprise la paix, & s’attache à l’injure142,
Il m’ayme :
Parlant bas & se tournant de côté.
Ah ! que l’effect* dément mon imposture !
Il brûle ; mais il veut, qu’un superbe laurier {p. 44}
620 Témoigne au Roy qu’il est digne Amant & Guerrier ;
Mon Frere à ce dessein* fomente cette guerre.

Gelandre.

Qui me remplit de crainte, & ruine143 ma Terre.

Melinde.

Mais qui reparera vos pertes en un jour.

Gelandre.

Madame, redonnez ses aîles à l’Amour ;
625 C’est trop entre des murs tenir un Dieu qui vole.

Melinde.

Il reste à nostre accord encore une parole.

Gelandre.

Que vous devez donner à cét heureux Amant ?
Dittes moy, n’est-ce pas vostre consentement ?
Fuirez-vous un lyen, que Dorame autorise,
630 Que nostre espoir attend, que le Ciel favorise ?

Melinde.

Je prends ce mesme Ciel à témoin de mes vœux*
Que sa plus grande flame est moindre que mes feux* ;
Mais un poinct*, {p. 45}
Lucidor arrive.
Qu’à cette heure il vient luy mesme entendre..…

Gelandre.

M’oblige* à vous quitter.

Melinde.

Et moy donc à l’attendre.
{p. 46}

SCENE III. §

LUCIDOR, MELINDE.

Lucidor.Sur le bord du theatre, & sans voir Melinde.

635 Confus, desesperé, tout malheur me poursuit ;
Dorame, Olympe, Amour, où m’avez-vous reduit ?
Parlez… Mais quel besoin ? vostre commun silence
Vous accuse envers moy de trop de violence.

Melinde. Parlant bas & s’encourageant.

Ah ! reviens lâche cœur, tu fuis quand tu le vois :
640 Tout me quitte ; je suis sans esprit* & sans voix.
{p. 47}

Lucidor.

Dorame, ta promesse, à la fin m’abandonne
Olympe, est-ce le fruict que ton amour me donne ?
Quoy donc ? Amante, Amy, ne sont que des faux noms ?
On n’entend plus de vous que le bruit des canons144,
645 Et le premier assaut qui choque la constance
M’a treuvé sans support, & vous sans resistance ?
Vous me deviez deffendre, & vous me poursuivez ?
Vous fustes mon espoir, enfin vous m’en privez.

Melinde. Tenant une lettre, & parlant bas.

Ma main dans cét écrit tient mes sens & mon ame :
La main tremblant.
650 D’où vient qu’elle est pesante, & si pleine de flame ?
Prends courage*, mon cœur… Mais je m’éforce en vain*,
Helas ! je n’en ay plus, je le porte en la main ;
Cœur lâche, cœur peureux, quoy ! tu fais qu’elle145 tremble ?
{p. 48}

Lucidor.

Olympe, fais qu’un monde à ma perte s’assemble,
655 Dy que je doy mourir, j’aymeray le trépas ;
Sine146 ma mort au moins, & j’y courts de ce pas ;
Je puis ce que tu veux ; mais fay que je le sçache.

Melinde. L’écoutant & répondant en elle méme.

Tu me presserois moins sur147 ce que je te cache.

Lucidor.

Parle.

Melinde.Parlant bas.

Je n’oserois ; la honte me retient.

Lucidor.

660 Ton silence t’accuse.

Melinde.

Et ma crainte revient :
Toutefois il la faut surmonter à cette heure.
Elle aborde Lucidor.
Permettrez-vous enfin qu’une Princesse meure,
Qui ne pouvant montrer de bouche148 sa langueur
A mis sur ce papier ce qu’elle a dans le cœur ?

Lucidor.

665 Qu’Olympe icy m’écrive ? ah ! sans doute c’est elle.
{p. D ; 49}

Melinde.

Vous y verrez l’effect* d’une attainte mortelle.

Lucidor.

Dont la crainte déjà se tourne à mon tourment*.

Melinde. Parlant bas.

O parole d’un songe ! & pitié d’un moment !
Que son erreur me tient en de fausses delices !
670 Fuyons, n’attendons pas qu’on les change en supplices.
Mais quoy ? veux-tu quitter la partie au besoin149 ?
Ly toy mesme en ses yeux, & l’écoute de loin ;
De ce moment dépent ou ta mort ou ta vie :
Ah ! ce cruel regard me l’a déjà ravie.

Lucidor. Lisant l’écrit qu’elle luy a donné.

675 Cartel*…..

Melinde. Parlant bas.

Ouy bien* d’amour.

Lucidor.

De Dorame….
{p. 50}

Melinde.

O malheur !

Lucidor.

A Lucidor.

Melinde.

Qu’entends-je ? ah ! fuyons de douleur*.

Lucidor. La retenant par la main.

Arrestez.

Melinde.

Expirant il faut bien* qu’on demeure ;
Sous les traits* de la haine Amour veut que je meure.

CARTEL*150De Dorame à Lucidor.

Lucidor. Le lit tout haut.

Viens au jour, & quitte le sein
680 D’un rampart qui tombe à dessein*
De t’ouvrir un passage aux lieux où je t’appelle :
Les Dieux & mon épée ont conclu ton destin ;
Et cette injure est si mortelle, {p. 51}
Que sans finir ta vie elle n’a point de fin. 
Il reprend ce dernier vers.
685 Que sans finir ma vie elle n’a point de fin151 ?
Et c’est icy, Melinde, une lettre amoureuse ?

Melinde.

C’est par où je me voy doublement malheureuse.

Lucidor.

Les termes en sont beaux, mais un peu trop pressants152.

Melinde.

Ils ravissent vos yeux, & dérobent mes sens ;
690 L’erreur de mes desirs n’a servy qu’à la vostre,
Et mon aveuglement vient au jour par un autre :
Elle luy presente la veritable lettre.
Cette lettre, où mon cœur se mét sous vostre loy*,
Au lieu de ce Cartel*, vous en peut faire foy* ;
Un sort* malicieux à ma main l’a soustraite.

Lucidor.

695 Me trahir, & m’aymer ? est-ce ainsi qu’on me traitte :
En prenant la lettre.
Quelqu’autre en ce billet m’offre un second duel ?
{p. 52}

Melinde.

Ouy, mais qui vous oblige à m’estre moins cruel* :
C’est mon cœur ; qui soûmis à vostre seule gloire*,
Mesme avant le combat vous donne la victoire.

Lucidor. Ayant leu ces deux papiers, & les tenant chacun d’une main.

700 Que ces billets divers m’attaquent à leur tour ?
Que l’un porte ma mort, & l’autre son amour ?
Le miel & le poison* se joignent pour me nuire,
La force* & la douceur s’aydent à me détruire :
Perfides instruments d’amour, & de couroux,
705 Caracteres, parlez, que me conseillez-vous ?
Puis-je croire la Sœur ? doy-je croire le Frere ?
Retenant le Cartel*, & jettant la lettre que Melinde releve.
La haine est veritable, & l’amour mensongere ;
L’une a dans ce billét des signes evidents.

Melinde.

L’autre en mes yeux les porte, au cœur, et là dedans ;
Montrant la lettre.
710 Oyez, voyez, lisez ; & jugez tout ensemble :
Mon cœur en vous parlant dessus ma langue tremble,
Il soûpire en ma bouche, il pleure par mes yeux ;
Et mesme en ce papier il accuse les Cieux {p. 53}
Qui mélerent en vous la rigueur & les charmes* ;
715 Vous n’y lirez que feux*, & n’y verrez que larmes.

Lucidor.

Cettuy-cy153 les condamne ; & pour vous démentir,
S’oblige* à mon trépas.

Melinde.

L’autre, à vous garentir.

Lucidor.

De garand ? je n’en eus jamais que mon courage*.

Melinde.

Mon amour a déjà dissippé cét orage ;
720 Ma crainte, qui sur moy tournoit également
Ou la perte154 d’un Frere, ou celle d’un Amant ;
Pour me les conserver, d’une action hardie
Contre eux à leur profit usa de perfidie :
Les trahir m’est vertu* dans cette extremité,
725 J’offence tous les deux par trop de pieté ;
Ma faute est excusable, où par une avanture*
Le sang combat l’Amour, & l’Amour la Nature ;
Ainsi lors que je songe à leur salut commun {p. 54}
J’endure cent combats pour en empécher un,
730 En cachant ce billét par qui je suis haye
L’Amour me fit perfide, & l’amour m’a trahie :
Je réponds au Cartel*, & fus juste à ce point
De contenter Dorame, & ne vous joindre point ;
Faignant que vostre gloire* en la guerre allumée
735 Ne vous laissoit de mains que celle d’une armée,
Qu’un Conseil vous lioit, qui ne permettoit pas,
Le Prince & le Soldat marcher d’un méme pas,
Qu’au front d’un Bataillon vous le vouliez attendre.

Lucidor.

On m’aura fait ce tort ? & j’auray pû l’entendre ?
740 Doncque je fus vaincu sans voir mes Ennemis ?
Réponds de mon honneur*, perfide, où l’as tu mis ?

Melinde.

Dans ce cœur, qui le garde avecque vostre Image* ;
A qui je rends depuis un veritable hommage.

Lucidor.

C’est me flatter en songe, & me perdre en effect*.
{p. 55}

Melinde.

745 Desirer vostre bien c’est le mal que j’ay fait.

Lucidor.

Croiray-je à sa raison*, qui presque me surmonte,
Et me vend pour faveur ma rüine & ma honte ?
Non, je voy le venin que cache sa douceur ;
Sur le Frere, d’un coup* vangeons nous de la Sœur :
750 Traîtres, je vous tiendray vous mesme dans ce piege ;
Ton trépas, faux Amy, terminera le siege.

Melinde.

Contentez-vous du mien, & devant ces malheurs
Epanchez tout mon sang, pour épargner mes pleurs ;
Qu’il tire* de perils les deux objéts* que j’ayme ;
755 Ah ! je crains pour tous deux, mais bien* plus pour vous mesme ;
Le Ciel m’obligeroit* en ce double tourment*
De me ravir un Frere, & laisser un Amant :
Malheureuse, à quel poinct* me treuvé-je reduitte ?
{p. 56}

Lucidor.

De les perdre, & toy mesme en faire la poursuitte :
760 Je veux qu’en declarant ton Frere suborneur,
Celle qui me l’ôta me rende mon honneur* ;
Il faut par un Appel* que ta voix luy declare
Le chemin de la mort que ce bras luy prepare,
Que pour punir son crime, & purger cette erreur,
765 Tu serves de ministre à ma juste fureur :
C’est l’unique moyen d’apaiser mon courage*.

Melinde.

C’est me promettre un port, & m’offrir le naufrage.

Lucidor.

Te pourois-je donner un châstiment plus doux ?

Melinde.

Que je meure plustost pendante à vos genoux.

Lucidor.

770 Perfide, ce refus m’en donne plus d’envie.

Melinde.

N’exposez pas la vostre, & m’arrachez la vie.
{p. 57}

Lucidor.

Ce que feroit la haine, ayons le de l’amour155.

Melinde.

C’est commettre156 un Soleil, pour étaindre le jour157.

Lucidor.

Il faut que desormais ta crainte qui m’offence
775 Obeisse…..

Melinde.

A l’amour, qui m’en fait la deffense.

Lucidor. Feignant de tirer* son épée.

Ah ! c’est trop m’arrester en discours superflus ;
Accorde moy ce poinct*, ou bien* tu ne vis plus.

Melinde.

Ma mort ne me seroit qu’une perte legere ;
Mais vous obeissant, je vous perds, ou mon Frere158 ;
780 Et sans vous obeir je vous offence aussi ;
Amour veut une chose, & la deffend icy ;
Que feray-je ?

Lucidor.

Un Appel*, qui nous tire* de peine.
{p. 58}

Melinde.

Et quoy ? pour vous aymer, vous doy-je estre inhumaine ?
Cercher* vostre malheur, pour vous monstrer mes vœux* ?
785 Quel office* d’amour ?

Lucidor.

C’est le seul que je veux.

Melinde.

Et bien* j’obeiray. Mais que dy-je Insensée ?
Devoir injurieux, complaisance forcée*,
Homicide* respect, à quoy me portez-vous ?
Las ! je les feray battre, & j’en auray les coups* :
790 Avant qu’un soit blessé, ma douleur* est si vraye
Que j’en ressents le mal, & mourray de sa playe.
{p. 59}

SCENE IV. §

ORONTE, DORAME.

Oronte.

Vostre amitié m’oblige*, & mon cœur impuissant
Se treuve ingrat* par force*, en la reconnoissant.
O Dieux ! qui vit jamais un effect* si contraire,
795 De gagner pour Amy l’Ennemy de mon Frere ?
Pouvez-vous me connoistre, & m’aymer aujourd’huy ?

Dorame.

J’ayme en vous les vertus* qu’on trouve à dire en luy.
{p. 60}

Oronte.

Est-ce le prix du sang qui sortit de vos veines ?
Pouvez-vous oublier & mon crime & vos peines ?

Dorame.

800 Tu m’as, ô crime heureux, delivré d’un plus grand ;
Un coup* m’ôtoit Olympe, un autre me la rend :
Je porte, cher Oronte, une marque eternelle,
Il montre sa playe toute fraiche.
Qui vous asseurera d’une amitié fidelle* ;
Mon cœur & mon esprit* en sont d’autres témoins,
805 Qui pour estre secréts* ne le diront pas moins :
L’impression du corps en fit une en mon ame,
Qui me priva159 de sang & me remplit de flâme.

Oronte.

Qui vit jamais venir pareille affection
D’un si mauvais accueil à sa perfection ?
810 Cét homicide* bras…..

Dorame.

A qui je doy ma vie,
Qui d’un plus grand bon-heur jamais ne fut suivie.
{p. 61}

Oronte.

Ce bras est impuni, je n’ay de châstiment
Que d’oüir ma loüange & voir vostre tourment* ;
Cette voix, par mes coups* debile & languissante
815 Prend force* à me jurer une amitié naissante,
Et vous ne vivez plus qu’afin de caresser
La mesme cruauté qui vous osa blesser* ;
Aymer un Ennemy dont l’offence est extréme,
Partager la faveur* qui n’est que pour soy-mesme,
820 Produire qui nous nuit, l’avancer prés du Roy ;
Je dy qu’il n’appartient qu’à vostre seule foy*.

Dorame.

Je dy qu’il n’appartient qu’à vos vertus* insignes160
D’obtenir des faveurs* & mille fois plus dignes,
Et que vostre presence a des charmes* si doux
825 Qu’on ne sçauroit vous voir & n’estre pas à vous ;
Que vos yeux sur les cœurs ont de force* & d’addresse !
Et que vous pouriez bien* reduire une Maistresse !
Tais toy, n’offense pas déja nostre amitié ; {p. 62}
Tu serois importun d’implorer sa pitié :
830 Puis-je luy rien cacher, & mourir sans le dire ?
Helas ! vous pouvez seul adoucir mon martire ;
Celle pour qui je meurs, malgré tous ses dédains
Accepteroit mon cœur presenté de vos mains ;
Je sçay, qu’en la priant, vostre parole aymable
835 La rendroit plus humaine, & moy plus estimable ;
Que rien que vostre esprit* ne peut me l’acquerir,
Que n’osant l’employer il me faudra perir.

Oronte.

Vous le meriteriez, en cette défiance,
Où vous pechez autant qu’en la vaine* creance161
840 Qui vous figure en moy de fausses qualitez ;
C’est demander un bien*, quand vous le meritez ;
Aprés vostre service162 est-il rien qui la touche ?

Dorame.

Un mot en ma faveur*, tiré* de vostre bouche.

Oronte.

En matiere d’amour le cœur parle bien* mieux.
{p. 63}

Dorame.

845 Un langage plus fort est remis dans vos yeux
Qui luy feront signer son amour, & ma grâce*,
Et de qui les rayons fondroient un cœur de glace.

Oronte.

Je crains, qu’en me donnant une fausse couleur,
Vous ne me connoissiez que par vostre malheur ;
850 Une affaire jamais en mes mains ne s’avance ;
Je suis, (& croyez moy,) bien* autre qu’on ne pense :
Puis se tournant de l’autre côté sans que Dorame l’entende.
Helas ! il est trop vray ; Destins, vous le sçavez.
Mais je voy dans les siens mes interests gravez ;
L’obligeant*, je me serts, j’ôte Olympe à mon Frere.
Puis retournant à Dorame.
855 Le secours est bien* vain* d’une main étrangere ;
Toutefois mes efforts*…..

Dorame.

Employez à demy
Me font heureux Amant, & vous parfait Amy.

Oronte.

Et bien, puis qu’il le faut ; afin de vous complaire…
{p. 64}

Dorame.

Montrez-vous à mes vœux* un Ange tutelaire163.

Oronte.

860 Je m’en vay de ce pas tenter sa passion.

Dorame.

Et moy dresser un Temple à vostre affection :
Oronte sort.
Affection trop pure, & de qui l’innocence
Obligeroit* tout autre à la reconnoissance ;
Mais mon ambition a des ressorts* secréts*,
865 Dont la force* l’applique à mes seuls interests :
Flatter son amitié, la payer d’une feinte*
L’engage à ma deffense, & me tire* de crainte,
Et cette164 occasion que j’ay prise aux cheveux165
Peut nuire à mon Rival & servir à mes vœux* ;
870 J’oppose un Frere à l’autre au sort* qui nous menace,
Et j’attends dans le port l’orage ou la bonace166.
[E ; 65]

SCENE V. §

Olympe.

Que ton sort* découvert rend mon esprit* content !
Mais, Oronte, es-tu bien* Frere d’un inconstant ?
Ton amitié dément le sang de ce Volage,
875 Vous n’estes, pour le plus, freres que de visage ;
Le tien fait naistre un feu* dont l’éclat m’ébloüit,
Doux feu*, qui me consume, & qui me réjoüit ;
Sa lumiere m’aveugle à force* de reluire167,
Et pour me plaire trop elle ne peut que nuire ;
880 Laisse, Oronte, à mes sens un reste de vigueur,
Et ce qu’il leur en faut pour dire (Prends mon cœur.)
Quoy ? veux tu le ravir, avant qu’on te le donne168 ? {p. 66}
Le forcer* dans le temps que je te l’abandonne ?
M’ôter en mes tourments* l’usage des clameurs,
885 Et la force*, en mourant, de m’écrier (je meurs ?)
Je meurs, helas ! je meurs ; et tes beaux yeux, Oronte,
Qui flattent mon audace & condamnent ma honte,
Me contraignent de faire en cette extremité
Une juste action d’une infidelité :
890 Ma foy*, non l’inconstance établit ton empire ;
C’est choisir un beau feu*, pour en éteindre un pire :
Lucidor me rend libre, aprés sa trahison,
Il changea par un crime, & moy c’est par raison* ;
Ta force* & ma vertu* me vangent de son vice,
895 Et tournent en plaisir ce qui fut mon supplice ;
Je treuve sur le sien heureux ce changement ;
Là se connoit sa faute, icy mon jugement ;
Son amour n’estoit rien qu’une paille allumée,
Qui s’éteint en brûlant, & qui passe en fumée ;
900 Où je puis esperer d’un objét* si parfaict {p. 67}
Avecque moins de peur plus d’amour en effect* :
Aussi beau, mais plus doux ; d’une égale naissance,
Mais plus grand de courage*, & rempli d’innocence,
Oronte vertueux, encore as-tu ce poinct*
905 Que ton Frere est parjure, & que tu ne l’es poinct,
Que si ta volonté seconde ma défaitte,
S’est-il veu d’union plus douce ou plus parfaitte ?
Heureuse en mon malheur, si prise en tes lyens
A force* de t’aymer je te mets dans les miens,
910 Si l’amour…
Oronte paroist.
Ah ! ce nom l’amene sur la place :
Voy-je Oronte ? ou ce Dieu sous une mesme grâce* ?
Que de feux*, que de trais*, que de charmes* puissants !….
{p. 68}

SCENE VI. §

ORONTE, OLYMPE.

Oronte. L’interrompant.

Paroissent dans vos yeux, pour émouvoir* nos sens ;
Qui s’excusent, muéts de respect & de crainte,
915 Que le silence parle & vous porte leur plainte,
Quand la secrette* ardeur qui les fait consommer169
Vous montre un feu* caché qu’elle n’ose nommer.

Olympe. Parlant bas.

Qu’il m’ayme ? & qu’il previenne un soin* qui me devore ?
C’est prendre de l’encens du Dieu que l’on adore.
{p. 69}

Oronte.

920 Consultez-vous déjà vostre severité
Sur la peine qui suit une temerité ?
Il merite la mort, cét Amant, cét Ichare170 ;
Qu’Olympe la luy donne, il l’ayme & s’y prepare,
S’il la doit à l’amour & non pas au dédain ;
925 Tout autre coup* luy semble aymable de sa main.

Olympe. Croyant qu’Oronte ait parlé pour soy.

Que je cause la mort d’un qui m’a fait revivre ?
Ou que je mette aux fers* celuy qui m’en delivre ?
Non, je n’ay pas, Oronte, assez de cruauté,
Quand j’aurois ce pouvoir qu’on donne à la beauté,
930 On prendroit mon dédain pour une ingratitude ;
Et mon crime seroit en vostre inquietude ;
Je vous doy rendre grâce*, & vous m’en demandez.

Oronte. Se mettant à genoux.

Prest à vous adorer, si vous me l’accordez.

Olympe.

Qu’elle grâce* ?
{p. 70}

Oronte.

L’amour.

Olympe. Parlant bas.

A ce mot je soûpire ;
935 Ses vœux* sont mes souhaits, on me porte où j’aspire :
Mon Prince171, levez-vous, parmy tant d’actions
N’ajoûtez pas ma honte à vos perfections ;
Puis-je voir à mes pieds celuy qui me surmonte ?
Faut-il que je rougisse & d’amour, & de honte ?
940 Qu’un autre estat* demande & reçoive mon cœur.

Oronte. Se relevant de genoux, & faisant une grande reverence.

Je le prends ; pour le rendre à son juste vainqueur.

Olympe.

C’est donc à vos beaux yeux, qui possedent ce titre*.

Oronte.

Un autre le pretend ; je n’en suis que l’arbitre.

Olympe.

Vostre cœur ?
{p. 71}

Oronte.

C’en est un, qui vaut mieux mille fois.

Olympe baisant Oronte.

945 Mocqueur, un doux baiser me vange de ta voix ;
Je couppe ainsi tes mots, & te ferme la bouche.

Oronte.

O faveur* ! qui pourroit animer une souche.

Olympe. Ayant treuvé ce baiser trop froid.

Que vous prenez pourtant…..

Oronte.

Comme un larcin, commis
Contre le plus parfait de mes plus chers amis :
950 Que Dorame à bon droit* occupperoit ma place !

Olympe.

Vostre froideur m’offence autant que son audace.

Oronte.

Excusables pourtant.

Olympe.

Si vous les finissez.
{p. 72}

Oronte.

Je vous porte un present…..

Olympe.

Dont vous me punissez :
Prenez plustost le mien.

Oronte.

Dorame le merite.

Olympe.

955 Cœur de Tygre172, masqué sous un front hypocrite,
Serpent, dont le venin s’est caché sous des fleurs ;
Oronte soûriant.
Que ces ingrats* soûris173 me coûteront de pleurs !
Va, que jamais le jour te puisse estre funeste.
Que dy-je, furieuse ? Oronte, s’il vous reste
960 Quelque foible rayon d’un sentiment humain,
Secourez une Amante, & luy prestez la main ;
Faut-il que ce refus me reduise en furie174 ?

Oronte.

Et que le vostre y mette un pour qui je vous prie175 ?

Olympe.

Ne perdez pas pour vous ce qu’il n’aura jamais.
{p. 73}

Oronte.

965 Je perdray tout plustost que ce que je promets.

Olympe.

Ainsi vostre discours ne fut qu’une imposture ?

Oronte.

J’ay dit ce que je croy, mais ce qu’un autre endure.

Olympe.

Et ne croirez-vous pas ce que j’endure aussi ?

Oronte.

Que peut cette creance, & vostre vain* soucy ?
970 Ma premiere amitié l’emporte, & me possede.

Olympe.

Mais l’Amour, comme un Dieu, veut que l’autre luy cede.

Oronte.

Je le fay, Dieu qu’il est, obeir à ma foy* ;
Montrant que mon devoir est plus fort que sa loy*.

Olympe.

Quel devoir vous oblige* à tuer une Dame,
975 Qui vous offre son cœur, qui vous offre son ame ?

Oronte.

Ma parole.
{p. 74}

Olympe.

Et la mienne aura moins de pouvoir ?

Oronte.

Ma foy* semble un rocher ; on ne peut l’émouvoir*.

Olympe.

Allez cruel, ingrat*, homicide*, barbare,
Indigne de mes vœux* & d’une amour si rare ;
980 Asseurez vostre Amy, qu’au prix de mes langueurs
Je luy feray sentir ma peine, & vos rigueurs ;
Et que s’il m’ayme autant comme je vous adore,
Si vous m’estes cruel*, je la suis plus encore.
Olympe s’en va.

Oronte.

Ah que ma cruauté derive de plus loin !
985 Qu’on me recerche à faux de ce dont j’ay besoin !
Tu te plaints, chere Olympe, & tu veux que je t’ayme ;
Si tu me connoissois, tu me plaindrois moy méme ;
Desirer l’impossible en ce que tu pretends
C’est aymer nos travaux* & la perte du temps ;
990 Ma foiblesse ne peut, quand mon desir s’augmente, {p. 75}
Ny servir un Amy, ny servir une Amante ;
Et pour rendre en nos maux plus celebre une erreur
Je mets Olympe en flame, & Dorame en fureur.
Auprés de mes tourments* que leur peine est legere !
995 Eux de m’importuner, & moy d’aymer un Frere,
Que l’espace d’un mur empéche de sçavoir
Que je demeure ici176 seulement pour le voir :
Le voir ? ô Dieux ! comment le pourois-je entreprendre ?
Mais quelqu’un de la Ville en ces lieux se vient rendre177 ;
1000 C’est un Heraut178 sans doute aux signes que je voy :
La belle occasion ! il passe ; informe toy.
{p. 76}

SCENE VII. §

ORONTE, MELINDE en Heraut.

Oronte.

Arrestez, Cavallier.

Melinde.

Dessous la foy* des armes,
Qui laisse à mes pareils l’accez dans les allarmes,
Vers vostre General Ambassadeur commis
1005 Je marche de la part des Princes Ennemis :
De grâce*, marquez moy son quartier, & sa tente.
{p. 77}

Oronte.

Je vous contenteray, pourveu qu’on me contente ;
Et vous ne pouviez pas estre mieux arrivé :
Encore quel dessein* ? ou publique, ou privé ?
1010 Le peut-on pas sçavoir ? l’amitié qui nous lie
Merite, outre mon rang, que l’on me le publie.

Melinde.

Publier un secrét* merite le trépas.

Oronte.

Je suis trop son Amy pour ne l’apprendre pas,
Moy, que ses interests touchent comme luy mesme.

Melinde.

1015 Ce faict le touche seul, & non pas ceux qu’il ayme :
Lucidor, qui m’envoye…

Oronte.

O favorable objét* !
Lucidor ? il t’envoye ? on m’en taist le sujét ?
Ouvre, découvre tout, sans peur, sans artifice* ;
En Prince je demande, & payray cét office* :
1020 Tu sembles trop courtois pour me cacher ce poinct*.
{p. 78}

Melinde.

Et vous trop genereux, pour ne le sçavoir point :
La force* porte icy vos loix*, & mon excuse ;
Voyez dans ce billét ce que ma crainte accuse.

REPONSE
De Lucidor, au Cartel* de Dorame.

Oronte, la lit tout haut.

Un mesme Appel* a mis deux trahisons au jour ;
1025 Dans l’amour de ta Sœur j’ay reconnu ta haine :
Ta mort punit sa vie, & d’un si lâche tour
Je me vange en un coup* par une double peine. 
Aprés qu’Oronte a révé quelque temps sur le dessein* de se faire passer pour Dorame.
Tu le vois, Ignorant, celuy que tu cherchois,
Tu parlois à Dorame, & je te le cachois ;
1030 Le voicy, c’est luy mesme. {p. 79}

Melinde. Parlant bas.

O dieux ! qu’elle imposture !

Oronte parlant bas.

Servons nous pour le voir, d’une telle avanture*.

Melinde parlant bas.

Qu’il passe pour mon Frere ? & me le maintenir ?

Oronte.

Je cerchois* Lucidor ; les Dieux le font venir :
Va, dépéche, & dy luy que si peu qu’il attende,
1035 Je me rends sur les lieux où son bras me demande.

Melinde parlant bas.

Dieux ! en ce jeu du sort* je ne reconnoy rien
Sinon qu’un tel hazard* tourne tout à mon bien* :
Recevons du destin l’assistance impourveuë.

Oronte ayant releu le Cartel*.

Mais il n’assigne point le lieu de l’entreveuë.

Melinde.

1040 C’est à l’aîle du bois, entre ces deux ruisseaux
Qui couppent un vallon tout bordé d’arbrisseaux, {p. 80}
Que la Ville de Pruse & le Château d’Elvye
Pour le disputer regardent par envie.

Oronte.

C’est assez, dedans179 peu j’espere le treuver.

Melinde sur le bout du theatre.

1045 Bon Dieux ! quelle rencontre ? il me faut esquiver* ;
Le danger evité d’estre prise ou connuë,
J’augmente mon espoir, & ma peur diminuë ;
Puis qu’un destin plus doux mét Dorame à couvert*,
J’y mettray Lucidor, le dessein* m’est ouvert* ;
1050 Il l’attend sur le pré ; moy qui veux les surprendre,
Je retourne à la ville en avertir Gelandre.

Oronte aprés que Melinde s’en est allée,

Fay prosperer, Amour, un dessein* que j’ay pris,
Qui finit leur querelle & m’en donne le prix ; [F ; 81]
Par cette invention, dont l’yssuë est chere,
1055 J’empéche le combat, & je verray mon Frere :
Veritable Destins, j’adore vos secréts* ;
Qu’un étrange* accident termine mes regrets !
{p. 82}

SCENE VIII. §

Lucidor.

Arrivé sur les lieux, je plains ma diligence180 ;
Doy-je encore long-temps suspendre ma vengeance ?
1060 Traître, voy cette épée, elle n’attend que toy ;
Aurois-tu de courage* aussi peu que de foy* ?
Viens, Dorame, répondre icy de ta malice ;
Trop d’honneur* par mes mains est joint à ton supplice ;
La mort, qui se prepare à ta punition,
1065 Donne moins à mes vœux* qu’à ton ambition ;
Ce titre* avantageux en ta perte s’imprime
Que j’avance ta gloire* en punissant ton crime, {p. 83}
J’abaisse mon honneur* en élevant le tien,
Et ne porte le mal que par un plus grand bien* ;
1070 Une mort honorable*, un coup* digne d’envie
Sera plustost le prix que la fin de ta vie.
Mais mon courage* en vain* luy parle de venir ;
Ce qui dûst le hâter l’aura pû retenir,
Sa crainte luy ravit l’honneur* qu’on luy presente,
1075 Et peut-estre il medite un trait* qui l’en exemte ;
Ses ruses m’ont fait voir, aprés un million181,
Qu’il combat en renard, & non pas en lyon182 :
Et j’attends du courage* encore d’un perfide ?
Toutefois le voicy, qui cerche* son Alcide183.
{p. 84}

SCENE IX. §

LUCIDOR, ORONTE.

Lucidor.

1080 A moy, traître, avançons ; n’attends pas que ma voix
Fasse entendre ma plainte à l’Echo de ce bois ;
Fay que ma main previenne un trop juste reproche ;
Ma plainte est superfluë, & ton trespas est proche.
Aprés avoir combattu quelque temps contre Oronte, qui ne fait que parer.
Il se feint ; il neglige, ou recherche mes coups*.

Oronte. Se sentant presser, mét bas le casque, l’écu* & l’épée

1085 Pour ce que je les ayme, & qu’ils me semblent doux.
Puis courant pour embrasser Lucidor.
Ah ! mon Frere.
{p. 85}

Lucidor reconnoissant sa Sœur

O prodige !

Oronte.

Agréez ce miracle,
Que le Ciel autorise, & la voix de l’Oracle.

Lucidor.

Quel Demon vous amene en ce bois écarté ?

Oronte.

Celuy qui vous donna ma jeune liberté.

Lucidor.

1090 Traîner si loin ton vice ? indiscrette, insensée !

Oronte.

Jamais rien de pareil n’entra dans ma pensée* :
Ah ! mon Frere, pardon ; regardez d’un autre œil
Celle que vos mépris coucheront au cercueil ;
Epargnez la vertu*…..

Lucidor.

Suspecte, & mensongere,
1095 D’une impudique Sœur qui court aprés son Frere.

Oronte.

Pour luy faire connoistre un desir innocent,
Et les plus chastes traits* que son ame ressent : {p. 86}
Que cette loy* de Perse en moy soit abolie
Qui permet que la Sœur à son Frere se lie,
1100 Qu’elle efface le crime & non pas mon tourment* ;
Je recerche l’amour, non le consentement :
Vous hayssez mon cœur, à cause qu’il vous ayme ;
Le vostre, doux ailleurs, n’est cruel qu’à moy mesme :
Soûtiens tes droits*, Nature ; enfin parle aujourd’huy,
1105 Qu’est-ce que m’est un Frere, ou bien* que suis-je à luy ?
Je regle mes desirs à le voir, à luy plaire,
L’honneur* de le servir me tient lieu de salaire,
Et ce par où chacun le croiroit obliger*
C’est ce qu’il me deffend afin de m’affliger ;
1110 Je ne demande pas pour faveur* qu’il me donne
Que ce qu’il ne sçauroit refuser à personne,
Le suivre, luy parler, le voir, & le servir
C’est un bien* pour tout autre, & qu’il me veut ravir184 ;
Et quoy ? vous me fuyez ainsi qu’une Ennemie ? {p. 87}

Lucidor.

1115 Comme un objét* d’horreur, un monstre d’infamie.

Oronte.

N’offencez pas si fort une chaste vertu*,
Qui vous apporte un cœur…

Lucidor.

De vices combattu.

Oronte.

Aussi pur, aussi nét que la premiere flame ;
Ce qu’elle est dans le Ciel, Amour l’est en mon Ame ;

Lucidor.

1120 Ta flame est à mes yeux ce qu’elle est aux Enfers,
Pire que mille morts, que la peste, & les fers* ;
Va, tire* toy d’icy, malheureuse, effrontée.

Oronte.

Tygre185, puis qu’à ce poinct* ta fureur est montée,
Je veux avoir ton cœur ou de force*, ou d’amour.

Lucidor.

1125 Et moy, finir ta honte & la mienne à ce jour.
{p. 88}

SCENE X. §

MELINDE, GELANDRE, LUCIDOR,
[ORONTE].

Melinde dessus les murailles avec Gelandre, tandis que Lucidor & Oronte se battent.

Par là vous comprenez…..

Gelandre.

Un accident étrange*.

Melinde.

Où leur haine les porte, où mon amour me range :
Par ce moyen mon Frere est mis hors du mal-heur ;
Tirons* en Lucidor sous quelque autre couleur.

Gelandre.

1130 Rien ne s’offre à present qu’une promte sortie,
Qui les mette en allarme, & rompe la partie.
{p. 89}

Melinde.

Allons. Dieux ! je les voy qui sont venus aux coups*186.

Gelandre.

Déjà le camp remuë, on marche ; hâstons nous.
Ils vont pour faire une sortie.

Oronte parlant à Lucidor, aprés l’avoir blessé.

Regarde que ta haine en ton sang détrempée
1135 Montre mon innocence au bout de mon épée.

Lucidor.

Ce fer* t’ouvre mon sein, & te ferme le cœur.

Oronte.

Amour t’ouvre le mien tout blessé, sois vainqueur ;
Tu peux encore….

Lucidor.

Avoir la victoire, & ta vie.

Oronte.

Ouy ; j’offre l’une & l’autre à ta haine assouvie.

Lucidor.

1140 Ce qu’on ne peut m’ôter ; on m’offence en l’offrant.
{p. 90}

Oronte.

Ton sang vient de la haine ; & l’amour te le rend.
Mais, quel bruit ?

Lucidor.

Dépéchons, avant qu’on nous separe.
{p. 91}

SCENE XI. §

Tandis qu’ils se battent, & que les trompettes sonnent, Gelandre & Melinde d’un côté arrivent avec leurs troupes, & Dorame d’un autre avec les siennes aussi.
MELINDE, GELANDRE, ORONTE,
DORAME, LUCIDOR.

Melinde.Parlant à Lucidor.

Voicy d’autres lauriers, que ce jour vous prepare.

Gelandre.

Avanceons, Lucidor, & voyez l’Ennemy.

Oronte. Furieuse, & ne voulant point quitter son Frere.

1145 Me faut-il emporter la victoire à demy ?
{p. 92}

Dorame à ses Soldats.

Donnons, il en est temps ; & secourons Oronte.

Lucidor.

Ah ! la foule m’emporte, & le nombre me domte*.

Oronte. Les ayant mis en déroute.

Il fuit ; voilà le sort* que trainent les ingrats* ;
Qui187 ne connoist mon cœur, il connoistra mon bras.
1150 Mais vous, dont la valeur* mériteroit de rendre…

Dorame.

Le fruict qu’elle vous ôte, en pensant vous deffendre ;
Vos lauriers à bon droit* semblent s’en offencer :
Averty du peril qui m’a fait avancer
Je confesse qu’en vain* cette Trouppe animée
1155 A secondé vos bras qui vallent une Armée ;
Vostre courage* a fait honteux* nostre secours :
Mais l’oreille du Roy merite ce discours ;
Allons le réjoüir d’une heureuse victoire.

Oronte.

Où le Vainqueur vous doit son salut & sa gloire*.
{p. 93}

ACTE TROISIEME. §

SCENE I. §

Dorame.

1160 Qu’on éleve son nom jusques dedans les Cieux ?
Luy rendre les honneurs* que l’on ne doit qu’aux Dieux ?
N’avoir devant les yeux, en la bouche, en pensée*
Qu’Oronte, dont la gloire* à la mienne abaissée,
Qui tient en la Faveur* un lieu si souverain
1165 Qu’il me fait craindre enfin l’ouvrage de ma main ?
Le Roy vivre en son cœur, regner en sa parole ?
Olympe le cherir, en faire son Idole ?
Les Soldats respirer la mesme affection ? {p. 94}
C’est, Dorame, le fruict de ton ambition :
1170 La feinte* & l’artifice* élevent l’innocence,
Et tes pretentions ont bâty sa puissance,
Il tire* des esprits* du Peuple & de la Cour
Sur ton amitie fausse une parfaite amour ;
Et j’attends son progrez, je le voy, je l’endure ?
1175 Destins, ce que j’ay fait j’empécheray qu’il dure.
On admire des Cieux le pouvoir non pareil ;
Pour ce qu’ils ont un foudre, & qu’ils ont un Soleil,
Qui peuvent icy bas tout perdre, & tout produire,
L’un maintenir le monde, & l’autre le détruire :
1180 Montrons nostre pouvoir à luy ravir le sien,
Que sa faveur* estoit une part de mon bien* ;
Et chassant un voleur de mon propre heritage,
Que ce tresor n’est pas de ceux que l’on partage.
Son employ vers Olympe estant sans aucun fruict,
1185 Sa beauté me fait peine, & sa valeur* me nuit ;
Et je crains qu’à souffrir sa presence importune
L’une m’ôte l’amour, & l’autre la fortune*.
Dieux ! je perdray la vie, & tout l’Estat* devant :
Faux espoir, vains* projéts, n’estiez-vous que du vent ? {p. 95}
1190 Que l’Astre des Grandeurs a sa course incertaine188 !
Que mon esprit* ne serve aujourd’huy qu’à ma peine ?
Ouy, je forge mes fers*, j’invente mes travaux*,
Et pour en perdre un seul je me fay deux Rivaux,
Simple189 je chasse un Frere, & mets l’autre en sa place,
1195 Et le mal-heur de l’un sert à l’autre de grâce* ;
Enfin je suis par tout coupable, & malheureux.
Mais qu’ajoûte Lycanthe à mon sort* rigoureux ? 
{p. 96}

SCENE II. §

DORAME, LYCANTHE.

Dorame.

Qu’apporte-tu ? ma mort ?

Lycanthe.

Une lettre, qui donne
A ma fidelité* la palme, & la Couronne ;
1200 Mais qui porte en effect* par un contraire effort*
La vie à l’Etranger190, à vous mesme la mort.

Dorame.

La mort ?

Lycanthe. Luy presentant une lettre que la Princesse envoyoit à Oronte.

Ouy : mais voyez en ce dessein* perfide,
Avant que de mourir, la main de l’Homicide*. [G ; 97]

Dorame. Lit ainsi le dos de la lettre.

Olympe à son Oronte. 191
Ah ! cruelle* ; ce trait*
1205 Mét son consentement & ma peine en portrait :
Foible bien*, vain* plaisir qui dépend d’une plume !
Et plus vain* desespoir que le papier allume !
C’est trop cher acheter de l’ancre192 par des pleurs ;
Preparez-vous, mes sens, à vaincre mes douleurs* :
1210 Mais celle qui m’attaque en me blessant se cache
En montrant la lettre cachetée.
Son cœur est là dedans ; il faut que je l’arrache :
Sorts, cruel Ennemy, pour me combattre mieux,
Sorts, viens paroistre au jour, ou laisse entrer mes yeux ;
Traître, à quoy193 m’assaillir à travers cét obstacle ?

Lycanthe.

1215 Puis que vous desirez d’194entendre un triste Oracle,
Appaisez vos fureurs, & soyez195 plus discrét
Il ouvre la lettre et luy montre un cachét d’Olympe pour la refermer.
Vos maux en cette lettre, & leur plaisir secrét* ;
Ce cachét dérobé sans danger la referme.
{p. 98}

Dorame prenant la lettre.

Ta foy* ni mon mal-heur, Amy, n’ont point de terme ;
1220 Ta charité me tuë, & par un mesme sort*
Tu me donnes la vie, & presentes la mort ;
Tu m’offres le poison* d’une main innocente ;
Je luy suis obligé*, quelque mal que je sente.

Lycanthe.

Pût-elle détourner l’effect* & la rigueur……

Dorame.

1225 D’un trait*, qui par les yeux m’entrera dans le cœur :
Aprés avoir leu bas quelque lignes, & fait des signes de tres grande indignation, il reprend tres haut en soûpirant.
Ah ! donnons à ce cœur tout enflé, tout farouche
Du vent par mes soûpirs, & de l’air par ma bouche.

Lettre
D’Olympe à Oronte

Que Dorame lit tout haut

J’ay triomphé de vous mesme par vo-
stre bras, Oronte ; & l’Amour qui en
ma faveur* s’est montré plus fort que l’a- {p. 99}mitié & le sang, vous remercie par ma
bouche de cette victoire, que vous m’a-
vez donnée sur vous en l’emportant sur
Dorame contre Lucidor. De vray, pour
me vanger n’avoir196 pas feint de châtier l’In-
constance en la personne d’un Frere ; ni
d’en ôter l’honneur* à un amy, de qui vous
avez quitté les interests pour les miens ;
s’opposer aux fureurs de l’un, & prevenir
celles de l’autre ; emprunter le nom de
Dorame, pour soûtenir la gloire* du mien
plus avantageusement ; prendre le per-
sonnage de ce Temeraire197, pour punir un
Parjure198, & me vanger des deux ensem-
ble par un seul effort* ; N’est-ce pas vous
declarer tout à moy ? m’asseurer de vostre
deffaite envers Olympe, par vostre victoi-
re contre eux ? & me faire offrir par vostre
courage* ce Cœur glorieux*, que la bouche
eust eu honte de me presenter sans autre
effect* que la parole ? Soyez toûjours muét,
& ne me parlez plus, Oronte, que de cette {p. 100}
sorte ; ôtez la bouche à l’Amour & luy re-
donnez les yeux, pour voir seulement vos
miracles ; ne dittes point que vous m’ay-
mez ; sinon par ce qui vous rend digne de
l’affection que je vous porte : j’apprendray
l’art d’entendre cette honneste voix de
vostre amour au milieu du silence. De
mesme toutes mes pensées* vous parleront
de la recompense que vous meritez, & que
je prepare à vostre vertu*, qui comme elle
est l’objét* ensemble & le prix de ma foix*,
recevant de moy quelque grâce* m’obligera*
du bien* mesme que vous veut

Olympe.

Lycanthe, il faut mourir ; l’Arrest en est dressé,
Cette lettre le porte, & je l’ay prononcé ;
1230 Un Amy l’a voulu, ma Maistresse l’ordonne ;
Vous l’entendez, ô Dieux ; & le Ciel m’abandonne ;
Vous voyez le Méchant, vous l’oüistes jurer :
Mais si vous le souffrez, me faut-il l’endurer ? {p. 101}
Que ma perte & ma mort soient le prix d’un parjure ?
1235 Qu’au lieu de la vanger, j’augmente mon injure ?
Non, non ; s’il faut armer la rage & le couroux,
Employons les sur luy plustost que contre nous ;
S’obstiner à sa perte est un coup* de foiblesse,
C’est mourir de nos mains, de crainte qu’on nous blesse ;
1240 Et dans un mal aussi qu’on ne peut eviter
Cercher* de la pitie c’est n’en point meriter :
La crainte, la fureur, le desespoir, la rage,
Comme à mon jugement, cedent à mon courage* ;
Mon esprit* est plus grand encore que mes maux,
1245 Au dessous de ma force* il a mis mes travaux* ;
Et sans me plaindre au Ciel qui n’écoute personne,
Je porte à mon côté le foudre qu’on luy donne,
Je tire* mon destin de ma seule vertu*,
J’arrache aux Dieux sur moy le pouvoir qu’ils ont eu :
1250 Que leur foudre en murmure ; il fait peur aux timides ; {p. 102}
Le mien fait moins de bruit, & punit les perfides :
Qu’il meure cét Ingrat*, qui fit contre un Amy
Un crime que sa mort n’efface qu’à demy.
Mais, comme il m’offencea d’une malice extréme,
1255 Je veux luy preparer un supplice de mesme,
Qu’il se treuve perdu plustost que menassé,
Qu’un crime vange un cœur par un crime offensé ;
Une action si noire en veut une pareille :
Avecque ma fureur la raison* le conseille,
1260 Et si Lycanthe encore entre dans mon party,
Je me voy par un coup* d’un Dedale sorti.

Lycanthe.

J’acheteray toûjours vostre bien* par ma perte.

Dorame.

Viens sçavoir les moyens d’une vangeance offerte.
{p. 103}

SCENE III. §

ORONTE, OLYMPE.

Oronte.

Toûjours dans vos dédains ?

Olympe.

Toûjours dans vos froideurs ?

Oronte.

1265 Mépriser son amour ?

Olympe.

Vous, mes sainctes ardeurs ?

Oronte.

Que la mort d’un Amy……
{p. 104}

Olympe.

Mais la mienne vous touche,

Oronte.

La perte m’est au cœur.

Olympe.

La mienne en vostre bouche.

Oronte.

Je cerche* son salut.

Olympe.

Par où vous me perdez.

Oronte.

Ayez pitié…..

Olympe.

De moy, vous qui m’en demandez.

Oronte.

1270 Qu’attendez-vous d’un cœur……

Olympe.

Qu’il me soit moins rebelle.

Oronte.

Qui ne peut estre amant sans qu’il soit infidelle* ?
J’ay promis à Dorame ; & vous perdez vos coups*.
{p. 105}

Olympe.

Moy de mesme, à vos yeux, de n’aymer rien que vous.

Oronte.

Quoy ? meurtrir* un Amy ?

Olympe.

Quoy ? meurtrir* une Amante ?

Oronte.

1275 Le mettre au desespoir ?

Olympe.

Qui déjà me tourmente :
Que vous estes d’un temps pitoyable, & cruel* !
Ah ! rendez à l’amour un devoir mutuel ;
Si Dorame vous lie, Olympe vous oblige* ;
On a regrét après, d’un bien* que l’on neglige :
1280 Dittes, en mon amour quel soin* ay-je épargné ?
Quoy ? ma lettre sur vous n’a-t’elle rien gagné ?

Oronte.

Quelle lettre ?

Olympe. Parlant bas.

Sans doute il ne l’a pas receuë ;
Les effects* en seroient d’une meilleure yssuë.
Mais que je flatte en vain* mon mal & mon esprit* ! {p. 106}
1285 Où la voix ne peut rien qu’auroit fait cét écrit ?
Poursuivons toutefois, bien* que sans esperance.
Puis s’addressant à Oronte.
Quoy ? mépriser une offre, & cette preference ?
Le bien* qu’on vous presente à vos sens irritez ,
Dorame le poursuit, & vous le meritez ;
1290 Son desir le recerche, & le mien vous le porte ;
Mon amour toucheroit…

Oronte.

Une amitié moins forte ;
Je vous promettray tout, hors ce poinct* seulement
D’estre ni faux Amy, ni veritable Amant :
Que si ma flame est juste, & la vostre innocente ;
1295 Ne pouvant les unir, qu’un Amy s’en ressente ;
Son service & vostre aise accompliront mes vœux*,
Et vous m’acquitterez du bien* que je luy veux ;
Mon cœur entre vous deux à l’égal se partage,
En causant vos plaisir j’en auray davantage.

Olympe.

1300 Vostre pitié pour luy m’est une cruauté ;
M’offrir un faux plaisir, le veritable ôter ? {p. 107}
C’est croire m’obliger* par une double injure,
Vouloir guerir un mal par une autre blessure ;
Hors de vous, je n’ay plus de bien* ni de plaisir.

Oronte. bas, & au bout du theatre.

1305 Ah ! que pour en treuver elle sçait mal choisir !
Au deffaut de l’amour que sa plainte reclame
La douleur* me saisit, & la pitié m’enflame ;
Quelque lyen que donne & reçoive un serment,
Quy pouroit estre Amy, s’il pouvoit estre Amant ?
1310 L’impuissance me sauve, & non pas mon courage* ;
La Nature tient ferme, & le cœur fait naufrage :
A quoy se reduiront des mouvements si forts ?

Olympe. Parlant bas.

Il consulte au dedans, & soûpire au dehors ;
Courage*, espere, Olympe, & voy s’il est possible
1315 D’allumer de la glace en un cœur insensible.
{p. 108}

SCENE IV. §

[ORONTE, OLYMPE, DORAME.]

Dorame. Se cachant derriere la tapisserie, pour les voir & les épier.

Si je ne les entends, je les verray du moins,
Et de leurs actions mes yeux seront témoins :
Où vas-tu, pauvre Amant ? n’es-tu pas bien* à plaindre
De cercher* curieux ce qui t’est plus à craindre ?
1320 Montre toy, va troubler un dessein* vicieux ;
Mais non, ne le fay pas, afin de faire mieux.

Olympe. Parlant bas.

Amour, en l’inspirant fay nous voir un miracle
Puis revenant à Oronte.
Que me promét enfin votre fatal Oracle ?
{p. 109}

Oronte.

Ma perte avant ma faute, & par un prompt trépas
1325 De punir dessus moy ces dangereux appas*
Qui vous blessent, Olympe, & que je desavouë :
Je puniray mes yeux, & mon front, & ma jouë ;
Et le fer* employé contre ces faux attrais,
Pour conserver vos jours, je mourray de mes trais*.

Olympe.

1330 Remede plus cruel encore que ma peine !
Injurieux secours ! ô faveur* inhumaine !
Qui me livre pour un cent supplices nouveaux,
Et qui pour les finir augmenteroit mes maux ;
C’est m’offenser plus fort, pour montrer que l’on m’ayme,
1335 Et me ravir à moy pour me perdre en vous mesme :
Ah ! plustost qu’aspirer à la fin de vos jours,
Conservez vos dédains, et m’offensez toûjours.

Oronte.

Deux objéts*, deux vertus* diviseront ma trame*,
Ma pitié pour Olympe, & ma foy* pour Dorame ; {p. 110}
1340 La voix de l’amitié, celle de la pudeur
M’obligent* d’étouffer ma vie, & vostre ardeur :
Belle Olympe, à genoux Oronte vous conjure
D’oublier en sa mort une innocente injure ;
Pardonnez moy ce coup*, qui seroit inhumain
1345 Si je ne l’attendois de vostre belle main.

Dorame. Voyant les actions d’Oronte, qui baise la main à Olympe, & parlant bas.

Que me prends-tu, Voleur ? est-ce là cét office* ?

Oronte. Continuant à Olympe.

Qu’elle ait, au lieu du cœur, le sang en sacrifice.

Dorame. Parlant bas.

Vos baisers, vos soûpirs, & tant de privautez199
Qui vous sont des faveurs*, me sont des cruautez ; 
1350 Lâche, & perfide Amy ! sourde, ingratte* Maistresse !
Ah ! l’amour me transporte, & la douleur* me presse.

Olympe.

Ces violents desirs augmentent mon soucy ;
Vivez pour vostre gloire*, & pour ma peine aussi ; {p. 111}
Morte dans mes tourments*, je vy dans vostre vie,
1355 Ma douleur* vient par elle, & par elle est ravie.

Oronte. Se relevant de genoux.

Voulez-vous que je vive ? Olympe, j’y consents :
Mais Dorame revient, & se plaint à mes sens,
Je l’entends qui soûpire & languit à cette heure ;
Ou donnez luy la vie, ou souffrez que je meure.

Dorame. Parlant bas.

1360 Hé ! qu’esperé-je plus ? ils sont tombez d’accord ;
Sans doute qu’entre eux deux ils traittent de ma mort.

Olympe. Parlant bas.

Son amitié persiste, & mon amour s’augmente.
Puis revenant à Oronte.
Pour le bien* d’un Amy, cherissez une Amante ;
La pitié qu’il demande & qu’espere sa foy*,
1365 Vous me l’enseignerez l’exerceant200 envers moy.

Oronte.

L’exerceant envers vous, pour luy quel avantage ?
{p. 112}

Olympe.

D’estre avec vous aymé, par un juste partage.

Oronte.

L’amour n’est plus amour, qu’on divise en deux lieux.

Olympe.

Vous vivrez dans mon cœur, il vivra dans mes yeux.

Oronte.

1370 Qu’il ait tout ; par la mienne apprenez sa constance.

Olympe.

Apprenez par la vostre aussi ma resistance ;
Et sans plus vous tenir de propos superflus,
Quand vous l’aymerez moins, je l’aymeray bien* plus.

Oronte. Seule, aprés qu’Olympe s’en est allée.

Quand je l’aymerois moins, les Dieux par un obstacle
1375 De remede à tes vœux* n’ont fait que le miracle ;
Quel fruict esperes-tu d’un desir impuissant,
Que le corps ne suit pas, quand l’esprit* y consent ?
Accuse, au lieu du cœur, le sexe & la nature,
Qui font à nos souhaits une commune injure. [H ; 113]
1380 Dorame, qu’ay-je dit ? n’est-ce pas t’offenser ?
Je suis, sinon d’effect*, coupable du penser* ;
Que l’on conserve à peine en ce faict l’innocence,
Où pour ne point faillir c’est peu que l’impuissance !
N’ayant plus vers ton Frere aucun engagement,
1385 Donne à trois par ta fuitte un prompt soulagement,
Pour le bien* d’un Amy quitte & Frere, et Maistresse.

Dorame s’avanceant pour tuer Oronte.

Qu’en la place d’Olympe un poignard le caresse.
Puis se retirant.
Ta vangeance plus seure appelle un autre temps :
Aproche toy de luy sans paroistre, & l’entends.

Oronte.

1390 Allons prendre conseil en cette inquietude,
Et resoudre mes sens parmy la solitude ;
La prochaine Forest offre une ombre à mes pas.

Dorame voyant partir Oronte.

Courage ; c’est assez ; il n’en reviendra pas.
{p. 114}

SCENE V. §

Gelandre.

Qu’en croirons-nous, Dorame ? as-tu juré ma perte ?
1395 Joins-tu la trahison à ma peine soufferte ?
Je soûtiens deux assaux dans un mesme sejour ;
Tu m’attaques de force*, & ta sœur par amour :
Melinde, je me rends ; quelque raison* contraire
Qu’apporte mon repos, rien ne m’en peut distraire,
1400 Mon courage*est plus fort & mes feux* plus ardents ;
J’ay le siege au dehors ; & l’amour au dedans :
Que des canons s’appaise ou gronde le tonnerre,
Je n’ay plus qu’en tes yeux ni de paix, ni de guerre ; {p. 115}
Fussions-nous tous perdus, & mes desseins* trahis,
1405 Je plains ma passion plustost que mon Païs* ;
Que Dorame dépoüille un miserable Prince ;
Tu possedes le cœur, il n’a que la Province ;
Il le veut asservir par une trahison,
Et l’amour & ma foy* l’ont mis dans ta prison ;
1410 Sa perte en t’agreant recompense la nostre201,
On m’ôte une Couronne, & j’en obtiens une autre ;
Si je puis esperer un Myrthe202 glorieux*,
Je prefere ma perte à la gloire* des Dieux,
Tu m’obliges*, Dorame, en me faisant outrage,
1415 Et j’adore un Soleil au milieu de l’orage.
Lucidor vient avec Melinde toute en larmes, aprés luy avoir declaré toutes les trahisons de son Frere.
La voicy, toute en pleurs : Nature, on te détruit,
Peut-on voir le Soleil dans l’onde avant la nuict ?
{p. 116}

SCENE VI. §

LUCIDOR, MELINDE, GELANDRE.

Lucidor parlant à Melinde.

En vain* vous m’opposez & vos feux*, & vos larmes ;
Rien ne me peut toucher, la pitié ni les charmes* ;
1420 Aymez moy, Frere & Sœur, ou m’offencez203 toûjours ;
Je méprise sa haine autant que vos amours,
Vous, indigne du cœur, il l’est de mon courage* ;
Vous troublâtes la mer, où vous ferez naufrage.
Puis s’avanceant à Gelandre.
Ah ! Prince, on nous trahit, un perfide attentat
1425 Se dresse à mes amours, & contre vostre Estat*.
Un Amy m’a séduit204, un Parent vous opprime ; {p. 117}
Et j’amene à vos pieds la Complice du crime :
Sus donc ordonnez luy le juste châtiment…

Melinde à genoux devant Gelandre.

Que merite & que cerche* un vif ressentiment
1430 De l’injure205 qu’à tort on vous avoit dressée,
Et qui m’a par mes mains la premiere blessée :
Ouy, Gelandre, mon Frere en son ambition
N’aspiroit qu’à ravir par une faction206
Olympe à Lucidor, à vous le Dyadéme,
1435 Perdre d’un mesme temps un Rival, & vous mesme.

Lucidor.

Ah ! perfide !

Gelandre.

Ah ! cruelle.
Puis se retournant, & parlant bas.
O Dieux ! puis-je à ce jour
Montrer tant de colere, & cacher tant d’amour ?

Melinde.

Jusqu’icy vous plaignez une legere attainte ;
Mille sont dans l’offence, & vous seul dans la plainte :
1440 Le reste m’épouvante, & vous feroit horreur, {p. 118}
Sur les divers effects* causez par une erreur ;
La colere du Roy qui me croit enlevée,
La constance d’Olympe à ce coup* épreuvée,
Sa fureur, son combat, sa perte, son secours.

Lucidor.

1445 C’est tout ce qui me tuë, & passe le discours ;
Les effects* disent trop leur trahison commune :
Gelandre, mon amour soûtient vostre fortune* ;
Pour vanger l’une et l’autre, & perdre un Ravisseur,
Je vay songer au Frere & vous laisse la Sœur ;
1450 La Perse manquera d’hommes & de puissance207,
Ou je puny bien* tost une injuste licence* :
Je reméts la perfide en garde à vos prisons.
Il s’en va.

Melinde.

Encore est-ce trop peu pour tant de trahisons.

Gelandre parlant bas.

Las ! je suis dans la sienne208, & j’en aurois pour elle ?
1455 Mon ame à cét objét* tient mes sens en querelle,
Je soûtiens dans mon cœur un combat different :
Mais l’amour est plus forte, & la haine se rend ; {p. 119}
Sa beauté qui tenoit ma fureur en balance
L’emporte & contre moy tourne ma violence :
1460 Dissimulons pourtant, & donnons quelque poids
A ma colere feinte & qui n’est qu’en ma voix.
Puis s’addressant à Melinde, comme en colere.
Perfide, à quel dessein* ?…

Melinde.

Qu’on m’apporte des chaines ;
Qui retarde ma honte, il prolonge mes peines :
Est-ce en vain* que ces bras appelleront les fers* ?

Gelandre parlant bas.

1465 Qu’en leur place les miens vous seroient mieux offerts !
Puis parlant haut comme en colere.
Tu les auras, Méchante.
Se retirant & parlant bas.
O parole forcée* !
Que la bouche profere, & non pas la pensée*.

Melinde.

Allons donc.

Gelandre parlant haut.

En un lieu moins horrible que toy.
Puis parlant bas & s’addressant à soy-mesme en se frappant l’estomac.
Que toy, dont la rigueur est un monstre à ta foy*.
{p. 120}

SCENE VII. §

LYCANTHE, 3 SOLDATS armez.

Lycanthe parlant aux Assassins.

1470 Vous treuverez, Amis, par une heure oportune
En ce petit travail* une grande fortune* ;
La faveur* de Dorame, & sa ferme amitié
Passe la recompense & l’accroist de moitié :
La valeur*, qui se voit peinte en vostre visage ;
1475 Me donne d’un bon coup* un asseuré presage :
Oronte à vostre abord* n’est qu’une paille au vent,
Et mesme avant sa mort n’est déjà plus vivant ;
Vostre seule presence étonne la constance :
Que feroit-il ? surpris, tout nu, sans resistance ? {p. 121}
1480 Vos armes, que l’Enfer n’oseroit provoquer,
Servent pour vous couvrir plus que pour l’attaquer :
Je veux, sans employer la force* ni l’outrage,
Le prendre seul à seul en homme de courage* :
Soutenu par vous trois je le rends abbatu,
1485 Et nous ferons un crime en forme de vertu*.

Soldat.1.

Dérober à vos bras cette legere peine ?

Lycanthe.

Je le puis ; ou sinon, mon sort* vous le ramene.

Soldat.2.

Laissez nous le peril, & joüyssez du fruict.

Soldat.3.

Nous yrons……

Lycanthe.

Je l’avise ; arrestez-vous sans bruict.
{p. 122}

SCENE VIII. §

ORONTE, LYCANTHE, 3. SOLDATS, PAGE.

Oronte dans le bois avec son petit Page.

1490 Ouy, je fuiray, Dorame, enfin l’affaire presse ;
Je quitte Lucidor, & te rends ta Maistresse ;
J’ay connu par ses feux* & dedans son erreur
Celle des miens aussi qui me tourne en horreur :
Quelque bien* que l’Oracle en ces lieux me promette,
1495 J’en causeray bien* plus par ma fuitte secrette* ;
Et puis qu’Olympe a pris un poison* dans mes yeux,
En vous fuyant tous deux je vous serviray mieux ; {p. 123}
Tiendrois-je vostre flame également trompée ?
Mais quelqu’un me surprend : Page*, icy mon épée.

Lycanthe luy presentant la lettre d’Olympe, mise à la poincte de son épée.

1500 Prends au bout de la mienne une lettre, & ta mort :
Ly hardiment ; aprés, j’acheveray ton sort*.

Oronte prenant la lettre.

Moy le tien ; jusques là cét effect* le prolonge209.
Aprés avoir leu la lettre.
Qu’est-ce ? ô Dieux ! tout cecy ne me semble qu’un songe ;
Peut-on voir action d’un plus contraire accord ?
1505 On ne m’écrit qu’amour, on ne tend qu’à ma mort,
Olympe icy m’adore, & l’autre m’assassine ;
Je suis dans un sommeil, ou je me l’imagine.

Lycanthe.

Pour le continuer, ce bras qui te poursuit
Te va faire dormir en l’eternelle nuict.

Oronte.

1510 Pour estre sans repos c’est là que je t’envoye.
{p. 124}

Lycanthe en mourant.

Ah ! ma vie en mon sang…..

Oronte.

Mais ton crime se noye.

Soldat.1 à ses compagnons.

Il est mort ; accourons, & vangeons son trépas.

Oronte. Leur montrant Lycanthe mort.

Voyez vostre destin, traîtres, dessus210 vos pas :
Le nombre m’épouvante aussi peu que les armes.

Page* aprés avoir pleuré le desastre d’Oronte ; s’encourageant & prenant l’épée de Lycanthe.

1515 Faisons venir ce fer* au secours de mes larmes.

Oronte voyant combattre son Page*.

Le Ciel, qui vous a fait l’objét* de son couroux,
Arme encore, Assassins, l’enfance contre vous :
Des deux Soldats contre elle en tuant l’un.
Va tenir compagnie à cette Ame infidelle ;
Sur les bords de L’Enfer ton compagnon t’appelle.

Page. Voyant son Ennemy chancelant d’un coup*, & mourant luy-méme.

1520 Tombe, traître, & m’attends à descendre là-bas211,
Pour y continuer encore nos combats :
Que je regrette peu cette poitrine ouverte ! {p. 125}
Trop heureux que sa mort ait prevenu ma perte :
Adieu, mon Maistre, adieu, belle et douce clarté.

Oronte.

1525 Il tombe : qu’ay-je veu, mon Page* est emporté :
Doncque la mort de l’un coûte à l’autre la vie ?
Rends, traître, dans ton sang ma vangeance assouvie :
Pour te perdre…..

Soldat tombant.

Ah ! je meurs.

Oronte.

Et punir ce malheur,
Mon courage* a laissé l’office* à ma douleur* ;
1530 Les Dieux à ton trépas, aprés un tel outrage,
Ont bien* moins employé ma valeur* que ma rage.
Mais à quoy212 ces propos ? regarde qu’en son cours
Ce sang vient jusqu’à toy demander ton secours :
Puis courant à son Page*.
Mon Fils ; il meurt ; ô Ciel ! enseigne à la Memoire
1535 Qu’ils se donnent d’un temps & s’ôtent la victoire213.
Enfin se sentant affoiblir de ses blessures.
Ma foiblesse ravit la mienne214 en son progrez : {p. 126}
Ne mourant pas des coups*, je mourrois de regrets ;
Ah ! je n’ay plus esprit* ny215 sang qui me soûtienne :
Attends, belle Ame, attends, ou viens prendre la mienne :
1540 Quelle offence ? toy mort ! las ! si je ne suivois
Qui me suivit par tout pendant que je vivois216 ?
Ne pouvant te donner une autre sepulture,
Ce corps au moins du tien sera la couverture.
Oronte se laisse tomber sur le corps du Page*, tenant en main la lettre sanglante.
{p. 127}

ACTE QUATRIESME. §

SCENE I. §

Dorame.

Il vit ; tout le mal-heur est tombé dessus nous,
1545 Je meurs d’un attentat dont il n’a que les coups* ;
Ma honte & son honneur* ont ma haine suivie,
Sa mort me faisoit vivre, & je meurs en sa vie ;
Son bras par un effort* l’a tiré* du danger,
Et le mien par un autre enfin doit me vanger :
1550 Lâche bras, qui devois sa perte à mon courage*,
Accorde moy la mienne, & seconde ma rage ;
Elle n’oseroit plus se fier qu’à ma main,
Hors de moy rien ne m’ayde & tout secours est vain* ;
Oronte treuveroit du bon-heur en un gouffre, {p. 128}
1555 Je croy qu’elle s’entend toujours avec luy,
Qu’ils conspirent ensemble, & qu’elle est son apuy.
Poursuivez, & rendez la tempeste plus forte,
Destins, pour échapper ce bras m’ouvre la porte ;
Que tout me soit, Olympe, ou contraire ou suspect ;
1560 S’il faut perdre l’amour, je perdray le respect,
Et si de mes desseins* la trame* est reconnuë,
S’il faut (comme Ixion217) n’embrasser qu’une nuë218,
J’en tireray* du moins un foudre si mortel
Que mes feux* détruiront la victime, & l’Autel ;
1565 J’attaqueray l’Estat*, le Roy mesme en personne,
Sur sa teste on verra trembler cette Couronne,
Celle qui brille au Ciel d’un éclat non pareil
Je la feray pâlir sur le front du Soleil ;
Que la Thrace dans peu par un effort* extréme
1570 Sçache que je pery, perissant elle mesme ;
Comme elle fut l’objét* de mon ambition…
Mais le Roy me surprend, à quelle intention ?
Seul, confus, interdit, il écarte sa suite.
{p. I ; 129}

SCENE II. §

LE ROY DE THRACE, DORAME.

Roy de Thrace commandant à ses gens de se retirer.

Qu’autre219 personne icy ne nous soit introduitte.

Dorame considerant le Roy, & parlant bas.

1575 Je ly dedans ses yeux quelque dessein* caché ;
Je tremble, & sents au cœur un poison* attaché ;
Ma veuë est égarée, & ma voix est pesante ;
Sous mille objéts* d’horreur mon crime se presente :
Puis relevant la voix.
Qu’on m’accorde plustost la grâce* de mourir.
{p. 130}

Le Roy.

1580 Consolez-vous, Dorame, on le peut secourir ;
Je tiens plus que son sort* vostre amitié cruelle,
Sa blessure guerit, & la vostre est mortelle ;
Dans cette affliction l’un par l’autre perit,
Vous portez sa douleur* & son mal en l’esprit*.

Dorame parlant bas.

1585 Autrement qu’on ne pense : ah ! ma crainte s’envole ;
D’un crime que j’ay fait je voy qu’on me console :
Reparons à ce coup* mon esprit* abbattu,
Reprochons à mes sens le deffaut220 qu’ils ont eu.

Le Roy.

D’un contre-coup égal je ressents deux attaintes,
1590 La douleur de sa playe, & l’excés de vos plaintes ;
Mais le Ciel, qui connoist le secrét* de mes vœux*,
S’il me veut conserver, vous gardera221 tous deux ;
J’acheterois vos cœurs de ce Dieu qui les donne
L’un de mon Sceptre offert, l’autre de ma Couronne ;
1595 Le vostre, qui partage à nous deux vostre foy*,
Veut bien* mourir pour luy, mais doit vivre pour moy. {p. 131}

Dorame.

Ouy, Sire, il est à vous ; mon devoir le vous livre ;
C’est pour vous seulement que Dorame doit vivre,
Et tenant de vos mains tout le bon-heur que j’ay
1600 Je ne puis m’affliger que sous vostre congé ;
Ma vie est comme un bien* dont je n’ay que l’usage,
Elle est de vos faveurs* & l’objét* & le gage*.

Le Roy.

Et de mon Sceptre aussi l’appuy plus glorieux*,
Qui soûtient mes Sujéts & perd nos Enuieux ;
1605 J’ay par vostre valeur* & par vostre conduitte
Mis nos Amis en paix, les Ennemis en fuitte,
Irriter mes desirs, mon pouvoir, & mes loix*,
C’est fournir de matiere à222 vos rares exploicts ;
Par vous, mesme en naissant l’envie est étouffée,
1610 Quiconque nous attaque il vous offre un trophée :
Lucidor, pour le prix de sa temerité,
En servira de preuve à la Posterité ; {p. 132}
Et Gelandre sera, dans une mesme offence,
Le témoin de sa perte & non pas sa deffense223 :
1615 Quoy que certains avis* que j’apprends tous les jours
M’asseurent que la Perse arrive à leur secours ;
Cela tire* en avant & renflame la guerre.

Dorame.

Sire, en son premier bruit étouffons ce tonnerre ;
Pruse bien* tost renduë à l’effort* de nos coups*
1620 Nous donne à triompher avant qu’on soit à nous224 ;
Melinde entre nos mains, Gelandre dans l’orage
Porteront Lucidor à fuïr le naufrage.

Le Roy.

Ou plustost à se perdre, en perdant son espoir ;
C’est ce que j’apprehende, & qu’il faudra prevoir :
1625 Je mesure sur moy l’affliction du Pere ;
L’un des Fils est au lict, & nous perdrions225 son Frere ;
De ces Princes meurtris* le spectacle odieux
Armeroit contre nous les hommes & les Dieux : {p. 133}
L’un flatte ma bonté, lors que l’autre en abuse ;
1630 Lucidor a failly, mais Oronte l’excuse ;
Pour haïr celuy-là, j’ayme trop cettuy-cy ;
Je crains de pardonner, & de punir aussi ;
Cette main tient mon cœur, celle-cy mon épée,
L’une s’oppose aux coups* ou l’autre est occupée ;
1635 Je partage dans moy la haine, & l’amitié :
Mais j’ay moins de colere & bien* plus de pitié ;
La plus juste vangeance est toûjours la moins promte ;
Nous vaincrons Lucidor en secourant Oronte ;
Que nos vœux* les premiers cerchent* sa guerison,
1640 Et toute chose aprés viendra dans sa saison ;
Ce qu’on donne à sa vie on l’ajoûte à la mienne :
Du Ciel & de vos soins* faites que je l’obtienne ;
Qu’on le tire* du lict par un effort* nouveau.

Dorame parlant bas.

Ouy, je l’en tireray*, pour le mettre au tombeau.
{p. 134}

SCENE III. §

OLYMPE, ORONTE.

Olympe voyant Oronte dans le lict.

1645 Voilà ce que vous coûte une amitié fidelle* ;
Vous n’aviez rien de sainct ni d’aymable au prix d’elle226 ;
C’est ainsi que Dorame a payé vos travaux* ?

Oronte.

Chere Olympe, épargnez sa candeur, & mes maux.

Olympe.

Jusques où l’amitié dans vostre ame s’imprime
1650 Pour un Ingrat*, un traître, & l’auteur de ce crime ?
{p. 135}

Oronte.

Tous ces propos me sont plus mortels que mes coups*
Mon amitié…

Olympe.

L’a fait & perfide, & jaloux.

Oronte.

Jaloux ? ô Dieux ! comment ? & de qui ? l’apparence ?
De mon merite au sien il sçait la difference.

Olympe.

1655 Amour, qui n’a point d’yeux, nous les ouvre en ce poinct*,
Et fait voir aux Amants ce qu’autre ne voit point ;
Par des signes secréts* d’extréme jalousie
J’ay connu la fureur dont son ame est saisie,
Ce Prince a de l’ombrage autant que de projéts,
1660 Sa trahison a pris vos vertus* pour objéts* ;
Elles, dont la douceur luy paroist inhumaine,
Qui servoient à son bien*, se tournent à sa peine ;
Mais le plus grand effort* d’un mal-heur si puissant
Epargne le Perfide227, & blesse l’Innocent228 :
1665 Helas ! en quel estat* vous treuva Nepoléme :
Noyé dans vostre sang, demy-mort, froid & bléme ? {p. 136}
Je l’envoyois au Camp, sur un soupçon d’amour ?
Pour y joindre Lycanthe & hâter son retour ;
Mais il treuva ce Traître avecque ses Complices229,
1670 De qui la mort prevint de plus honteux* supplices ;
Vous, couché comme mort, d’un œil indifferent
Sembliez encore lire une lettre en mourant.

Oronte.

De vostre affection, cruel & triste gage* !
D’une lettre si douce ô le rude message !

Olympe.

1675 Mais le parfait Amy ! qu’il vous oblige* fort,
Vous donnant mes faveurs* par les mains de la mort !
Vous ne me croyez pas ? & vous l’aymez encore ?

Oronte.

Je croy qu’il me cherit, je croy qu’il vous adore,
Que vous avez sujét d’estre par cette loy*
1680 Plus jalouse de luy que Dorame de moy :
Attenter ? un Amy ? prendre cette licence* ?
Il a trop de vertus*, & moy trop d’innocence ; {p. 137}
Non, il a trop d’esprit*, de courage*, & d’honneur*,
Pour m’attaquer en traître, & punir mon bonheur,
1685 Qui m’offre mais en vain* ce gage* qu’il merite,
Dont le present me nuit, vous fait honte, & l’irrite :
Pardonnez moy tous deux, accusez seulement
La malice du sort*, ou son aveuglement,
Qui nous trompant tous trois ne contente personne ;
1690 Il luy ravit un bien*, vostre amour me le donne,
Moy, je n’en puis joüir…

Olympe.

Et luy l’espere en vain* ;
Helas ! de qui vous tuë adorez-vous la main ?

Oronte.

Cét injuste soupçon blesse trop sa franchise* ;
Outre qu’ayant sur moy toute chose permise,
1695 J’aymerois l’attentat quand il l’auroit commis,
Puis que ma mort seroit un don* de mes Amis ;
J’adorerois le coup*, & la main qui me blesse,
Et si j’en soûpirois230 j’aurois trop de foiblesse.
{p. 138}

Olympe.

Aveugle affection ! ô l’innocente erreur !
Dorame paroist.
1700 Mais ô Dieux ! cét objét* me remplit de fureur :
Le Traître vient icy, comme un vainqueur superbe
Qui regarde étendu son Ennemy sur l’herbe.
{p. 139}

SCENE IV. §

DORAME, OLYMPE, ORONTE.

Dorame parlant à Olympe, qui s’avance vers luy.

Qu’Oronte doit aymer la main de l’Assassin,
Puis qu’il a pour guerir un si beau Medecin !
1705 Que sa disgrace est douce ! & luy digne d’envie !
J’acheterois ses coups* du reste de ma vie ;
Et si chacun pouvoit guerrir si doucement,
Je tiendrois mal-heureux qui n’a point de tourment*.

[Olympe.]

C’est donc à ce dessein* qu’un Amy si perfide,
1710 Afin de l’obliger*, s’est fait son homicide* ? {p. 140}
Il vous doit la plus-part de ce bien* pretendu,
Que l’Innocent231 achete & qu’un Traître232 a vendu ;
Mettre aprés sa personne, & la foy* meprisée,
Sa perte à compliment, & son mal en risée233 ?
1715 Ah ! ce coup* qui vous rend insensible & mocqueur
Vous devroit fendre l’ame, & saigner dans le cœur.

Dorame tout surpris.

Hé Dieux ! que dittes-vous ?

Olympe.

Ce qu’il m’oblige* à taire,
Ce que vous avez fait, ce que vous devriez faire :
Mais porter qui les cause à plaindre nos douleurs* ?
1720 Qui n’a que sang aux yeux donneroit-il des pleurs ?

Dorame.

Olympe, traitez moy…..

Olympe.

Comme vous, l’innocence
D’un qui pour vous aymer a cette recompense,
Et ce lict, pour le prix de sa ferme amitié. {p. 141}

Dorame parlant bas.

Passons : elle a touché le faict plus de moitié.
Puis s’avanceant à Oronte, sans témoigner que les mots d’Olympe eussent porté dans son esprit*.
1725 Mon Prince, en quel estat* vous mét vostre victoire ?

Oronte.

En blessé, qui guerit d’un mal qu’il ne peut croire ;
Mais qui conserve encore apres son sang perdu,
Avecque tous ses vœux*, le cœur qui vous est du.

Dorame.

On m’arracha le mien, quand on toucha le vostre.

Olympe parlant bas.

1730 Il fait un personnage, & nous en cache un autre.

Dorame.

Et toutefois Ma Dame accuse mon devoir,
D’estre des plus paresseux & derniers à vous voir :
Vous me pardonnerez, mieux qu’elle, cette faute.

Olympe.

Vous accusez la moindre, & cachez la plus haute ;
1735 Aprés vos trahisons & ce coup* qu’on a fait, {p. 142}
Ce que vous nommez faute est un crime en effect* :
Il faut lever le masque, & croire que la feinte*
Ne sçauroit plus tromper ni mes yeux ni ma crainte :
Vous admirez l’estat*, où vos desseins* l’ont mis ?
1740 Vous ajoûtez vos yeux aux fers* des Ennemis ?
Traître, vous les baignez encore dans ses playes,
Rendant sur nos douleurs* vos delices plus vrayes :
Flattez, trompez Oronte, & recherchez la paix ;
Mais de pardon de moy, n’en esperez jamais.

Oronte la voyant qui s’en va.

1745 Revoquez cét arrest, cruelle, inexorable ;
Helas ! vous me perdez, m’estant trop favorable :
Faveur*injurieuse, acheve icy tes coups* ;
Voilà le plus sensible & le dernier de tous.

Dorame.

Non, perfide ; c’est moy, que l’outrage convie
1750 De terminer ensemble & tes feux*, & ta vie ;
Ce coup* mal commencé n’est remis qu’à ce bras,
Qui sçait punir un traître & perdre les ingrats* :
Aprés ce que j’ay veu d’un crime volontaire, {p. 143}
Ou pourois-tu parler, ou pourois-je me taire ?
1755 Les femmes pour tous deux ont déjà trop parlé :
Je confiois mon bien* à qui me l’a volé,
Qui me charge d’un faict si contraire à ma gloire*,
Pour rendre ma vertu* suspecte à la memoire :
Viens où l’Amour te meine ; il n’a plus de bandeau,
1760 Il t’appelle du lict pour entrer au tombeau ;
Remis, ou peu s’en faut, cette épée invincible
Te guerit tout à faict par un coup* plus sensible234.

Oronte.

Sensible ? ce discours me l’est plus que la mort ;
Injurieux soupçon, que tu me fais de tort !
1765 Me falloit-il, destins, vivre aprés mon naufrage,
Pour m’exposer encore à ce dernier orage ?
Quoy ? mon cœur vous offence, & ne peut languissant
Ou vivre en vostre grâce*, ou mourir innocent ?
J’avois sauvé ma foy* dans ma perte premiere ;
1770 Pour la perdre le Ciel m’a rendu la lumiere ;
En me faisant ce don* que tu m’es ennemy !
Reprens-le, c’est trop cher, il me coûte un Amy ; {p. 144}
O Dieux !

Dorame.

Demande leur un Enfer, & tes peines ;
Eux & moy, nous rions de ces parolles vaines* :
1775 Un perfide jamais…..

Oronte.

Ne fut pareil à moy :
Prince…

Dorame.

A Dieu.

Oronte.

Rien qu’un mot, qui contente ma foy.

Dorame retournant.

Sois autant importun que traître, & temeraire ;
Et bien*, que diras-tu ?
Oronte tirant* à Dorame son épée, pour s’en frapper.
Mais Dieux ! que veux-tu faire ?

Oronte tenant l’épée haute.

Pour la derniere fois contre moy vous servir,
1780 Et vous donner un cœur qu’autre n’a pû ravir :
Puis se la plongeant dans le corps.
Je vous fay là dedans plus qu’à moy de dommage ;
Pardonnez à ma main qui détruis vostre image* :
Ma foy* vous servit trop, pour vous manquer icy ; [K ; 145]
Vous demandez ma mort ; j’obey ; la voicy ;
Oronte luy tendant l’épée teinte de son sang.
1785 Tenez, et joüissez du fruict de vostre attente.

Dorame parlant bas.

Quoy doncque ? je me rends, & la pitié me tente ?
Non, quoy qu’il soit blessé, je ne suis pas vangé ;
Son bras qui l’a puni m’a plus desobligé235,
Ce n’est qu’autant de sang qu’il ôte à ma vangeance ;
1790 Ma main auroit bien* mieux treuvé mon allegeance :
Foible épée, as-tu fait ce coup* qui m’est honteux* ?
Mais appelons ses gens sur un poinct* si douteux236.
Accourez ; il se tuë ; empéchez sa furie ;
Voyez vostre mal-heur, & sa forcenerie237 :
1795 Mon épée en ses mains, si quelqu’un ne la prend,
Sa rage aprés ce coup* en medite un plus grand.
{p. 146}

Oronte se levant à moitié sur son lict, pour empécher ses gens, qui s’avancent pour luy oster l’épée.

Allez, retirez-vous ; ou vienne le plus traître ;
Ce bras luy montrera qu’il se prend à son Maître ;
Auriez-vous oublié ce qu’encore je puis ?
1800 Vivant j’ay paru tel, & mourant je le suis.

Dorame luy parlant à l’oreille.

Vous me l’apporterez doncque dessus la place
Où Lucidor connut sa honte, & vostre audace ;
Là je me vangeray du tort que l’on me fit.

Oronte.

Je vivray jusqu’alors,

Dorame s’en allant.

A demain.

Oronte.

Il suffit :
1805 Revenez, approchez, Troupe fidelle & chere ;
Voyez, fermez ma playe, elle n’est que legere.
{p. 147}

SCENE V. §

MELINDE, GELANDRE.

Melinde.

Ne m’importunez plus, & quittons ces discours ;
J’ay l’esprit* à mes maux plustost qu’à vos amours :
Ce Dieu, qui ne se plaist que parmy les delices,
1810 Rougiroit qu’on le vist en ce lieu de supplices.

Gelandre.

Vous ne rougissez pas qu’une extréme rigueur
Parmy tant de tourments* le tienne dans mon cœur ;
Vous estimez ces lieux indignes de sa flame,
Et vous faites, cruelle*, un Enfer de mon ame : {p. 148}
1815 Accordons mes desirs avecque la raison* ;
Amour n’est jamais mieux que dans une prison,
Il hait la liberté, fait mesme qu’on la craigne,
Et la chasse d’un cœur aussitost qu’il y regne.

Melinde.

Ses plumes238 nous font voir qu’il sçait bien* en partir.

Gelandre.

1820 Non ; c’est pour y voler, & non pour en sortir :
Conservons luy pourtant l’usage de ses aîles239,
Sortant d’une prison qu’il entre en de plus belles ;
Vostre cœur est tenu sous un ingrat* pouvoir,
Et vous voyez le mien prest à le recevoir ;
1825 Amour vous mit icy, qu’Amour vous en retire.

Melinde.

C’est m’ôter l’esperance, & non pas le martire.

Gelandre.

Tel espoir au contraire entretient vos douleurs* ;
Cette épine jamais ne vous promét de fleurs :
Lucidor vous méprise, & ses armes plus fortes
1830 Lui vont gagner Olympe à vos yeux, à nos portes ;
Que vostre Frere en vain* pretend de l’obtenir ! {p. 149}
Les Persans arrivez ont sceu le prevenir.
En recerchant la mienne il a treuvé sa perte :
Vous, relevez la vostre en mon amour offerte ;
1835 Ma premiere victoire est de vous acquerir.

Melinde.

Perdant tout, il m’en reste une belle240 à mourir.
{p. 150}

SCENE VI. §

Lucidor à ses Soldats

Jusqu’icy parvenus, une heure nous peut rendre
Où mon Pere & les siens ont pris jour à m’attendre ;
Amis ; ne soyons pas les derniers sur les lieux,
1840 Avanceons dans ce bois qui limite nos yeux ;
C’est là le rendez-vous, où nous devons ensemble
Conclure les desseins* sous qui la Thrace tremble :
Pardonne, chere Olympe, à mon sort* inhumain,
S’il me faut t’acquerir les armes à la main,
1845 Ton amour m’y contraint, ma foy* me le commande ;
J’ay, perdant un Rival, tout ce que je demande ; {p. 151}
Il commencea la guerre, elle finit en luy.
Dorame paroist suivy d’Oronte pour se battre.
Mais quel dessein* l’amene à mes yeux aujourd’huy ?
Quoy ? nous suivroit-il point241 ? Non, luy mesme s’arreste ;
1850 Suivy d’un cavalier au combat il s’appreste :
Tirons* nous à l’écart, Amis, voyons leur jeu.
{p. 152}

SCENE VII. §

ORONTE, DORAME, LUCIDOR.

Oronte l’épée en main, & parlant à Dorame.

Donnez à la raison* le reste de ce feu*
Que la colere allume en vostre ame trompée.

Dorame.

Toute raison* est mise au bout de mon épée :
1855 Bien* que j’admire en vous un esprit* genereux ;
Mais sans vostre mal-heur je ne puis estre heureux.

Oronte.

Helas ! mon plus grand mal seroit de vous en faire ;
Je vous suis ennemy seulement pour vous plaire. {p. 153}

Dorame.

Pour me plaire en effect*, venez, sans m’épargner.

Oronte.

1860 Dure loy*, qui m’oblige* à perdre pour gagner !
Ma victoire consiste à me l’ôter moy-mesme.

Lucidor242 les voyant au combat.

Ils combattent pour moy dans ce peril extréme ;
C’est ma Sœur, & Dorame ; ils me vangent sur eux,
Et ma haine s’acquiert ce qu’ils perdront tous les deux.

Dorame voyant qu’Oronte ne fait que parer.

1865 Portez ; cette douceur en m’épargnant m’offence ;

Oronte.

Mon cœur retient mon bras, lors que ma main s’avance.
Ah ! Prince, cher Amy, quittez cette fureur ;
Tout ce qui s’est passé donnons le243 à vostre erreur. {p. 154}

Dorame.

La plus grande ne fut que d’aymer un tel homme.

Oronte parlant bas.

1870 La mienne est d’avoir feint d’estre ce qu’il me nomme.

Dorame.

Achevons.

Oronte.

Ecoutez un mouvement plus doux,
Et mon bras, qui se plaint d’estre employé sur vous.

Dorame.

Le mien se plaint aussi d’une trop longue attente.

Oronte se sentant presser.

Est-ce ainsi, furieux, qu’il faut qu’on vous contente ?

Dorame bléssé dans la jointure de la main, qui luy fait tomber l’épée.

1875 Tu m’ôtes……

Oronte.

Qu’ay-je fait ?
{p. 155}

Dorame.

O trop heureux vainqueur,
Le mouvement du bras, & non celuy du cœur ;
Tu vois l’épée à toy, mais non pas mon courage*.

Oronte de dépit du coup* qu’elle a fait.

Quoy ? serois-tu mon bras, aprés un tel outrage ?
Voyez mon cœur à vous, du mesme coup* percé ;
1880 Ah ! mon ame s’écoule en vostre sang versé.

Dorame.

Ce dernier trait* m’abbat, ta douceur incroyable
Acheve ta victoire en m’estant pitoyable.

Oronte le conduisant sous un arbre.

Venez, & reposez vostre bras sur le mien.

Dorame.

Que tu me fais de tort, en me faisant ce bien* !
1885 Plus douce m’est ta main, plus rude je l’essaye.

Oronte aprés l’avoir assis sur l’herbe.

Permettez que mes pleurs arrousent vostre playe ;
La vertu* les appreuve ; & c’est un sang pieux
Que l’amitié, du cœur distille par les yeux ;
Mon courage* les tire*, & non pas ma foiblesse.
{p. 156}

Dorame.

1890 Helas ! cette eau m’enflame, & sa pitié me blesse.
Une secrette* force* a changé tous mes sens,
Qui malgré ma fureur luy sont obéissants ;
J’ay pris un autre cœur, autres yeux, autre bouche244 ;
Oronte, est-ce bien* vous ?

Lucidor245 les surprenant.

Mais, perfide, est-ce toy,
1895 Que le Ciel a puni par un autre que moy ?
Depuis ta trahison tu trainois ton supplice ;
Et mon bras, sans le sien, châtioit ta malice :
Mais il falloit qu’en fin ta gloire* se vantât
Qu’une Fille aujourd’huy t’as mis en cét estat*,
1900 Que le plus lâche cœur que la discorde anime
Eust un coup* plus honteux* pour le prix de son crime :
Ces Monstres par le sang ont pris de la douceur,
Et l’Enfer en ce lieu joint un Traître à ma sœur ;
Puisse-t’il à jamais vous unir de la sorte. {p. 157}

Dorame.

1905 Helas ! qu’ay-je entendu ?

Oronte.

La fureur me transporte !

Dorame.

Une fille d’Oronte ? ô Dieux quel changement ?

Oronte attaquant son Frere.

Ces mots t’ôtent la vie.

Dorame.

A moy le jugement246.

Lucidor.

Fuy, malheureuse, fuy, que le vice a conduitte ;
Ne tente plus ce bras, qui te permét la fuitte.

Oronte.

1910 Croy qu’un Dieu de mes mains ne t’arracheroit pas.

Lucidor.

Furieuse, c’est trop, tu cerches* ton trépas.

Dorame tandis qu’Oronte presse Lucidor, qui tâche de rabattre sa fureur sans se battre.

O Dieux ! qui vit jamais une amitié pareille ?
Ce nouvel accident en accroist la merveille* : {p. 158}
Elle attaque son Frere, & pour toy l’on se bat ;
1915 Les laisserois-tu perdre en ce douteux combat ?
Fay, Dorame, un effort* ; ton honneur* se dispute ;
Et serts à leur fureur ou d’obstacle, ou de butte.
Comme il les voit se battre, tout blessé il se jette entre le Frere & la Sœur pour les separer.
Appaisez dans mon sang vos deux cœurs irritez,
Tournez vos coups* sur moy qui les ay meritez ;
1920 Par mon corps vos deux fers*, dont rougit la Nature,
Pour aller jusqu’à vous se feront l’ouverture,
Je soûtiendray tout seul l’effect* de ce duel ;
Voyons qui de vous deux sera le plus cruel.

Lucidor.

Quoy ? ce Monstre opposé, comme une autre Meduse247,
1925 Tient mon ame insensible.

Oronte.

Et la mienne confuse.
{p. 159}

SCENE VIII. §

LE ROY DE PERSE, ORONTE, DORAME, LUCIDOR.

Le Roy.

Quelque accident l’empéche, & l’aura retardé ;
Pour te voir, ô mon Fils, t’ay-je point hazardé* ?
Puis jettant les yeux sur Lucidor.
Mais quel bruit ? le voilà ; mon œil me le figure ;
Est-ce luy-mesme ? ô Dieux ! rendez faux mon augure.

Oronte à Dorame.

1930 Quoy ? je combats pour vous, et vous m’en empéchez ?
{p. 160}

Dorame.

C’est le Ciel qui s’oppose, & nos destins cachez :
Puis se tournant à Lucidor.
Lucidor, écoutez la voix de mon martire ;
Un crime est effacé, quand le cœur en soûpire.

Le Roy.

Ouy, c’est luy.
Puis attaquant Oronte.
Cavalier, à moy, tournez le front :
1935 Je vous soûtiens, mon Fils ; & le secours est promt :
Et quoy ? de vostre main je voy tomber les armes ?

Lucidor voyant son pere, laisse tomber son épée.

O Dieux !

Oronte la laissant tomber de mesme.

Je n’en ay plus contre luy que mes larmes,
Puis se jettant à genoux devant son pere.
Sire ; il est… Ah ! ce mot déjà sort à demy ;
Le diray-je mon Frere, ou bien* mon Ennemy ?
1940 Et je suis, (pardonnez, ô mon Pere, à ma honte,)
Vostre coupable Fille, & mal-heureuse Oronte.

Le Roy.

Mon sang contre mon sang devant moy conjuré* ?
Oronte, Lucidor, couple dénaturé,
Est-ce ainsi qu’un destin vous remét à ma veuë ? [L ; 161]
1945 O Fille, de raison* & de sens dépourveuë !
Cruels, également ces deux bras que je fis248 !
Dy que t’a fait ma Fille ? & que t’a fait mon Fils ?
Tous vos coups* ne portoient que contre vostre Pere ;
L’un me voloit sa Sœur, l’autre m’ôtoit son Frere ;
1950 Et ces cœurs qu’à l’amour Nature avoit formez
La haine les tenoit l’un contre l’autre armez :
Pour rendre vos fureurs d’autant plus inhumaines,
Doncque j’ay veu mon sang s’écouler par vos veines ?
Quel249 poura mon courroux châtier le premier ?
1955 Quel250 poura mon amour caresser le dernier ?
Ne choisy point des deux ; tu ne peux miserable,
Qu’aymer un Ennemy, qu’embrasser un coupable ;
Ta bonté leur montrant ce qu’ils t’ont fait de tort,
Tu ne les peux punir qu’en les aymant plus fort : {p. 162}
1960 Approchez, & joignez vos deux mains dans la mienne,
Elles y quitteront leur fureur ancienne ;
Mon sang à son approche aura cette vertu*
De remettre en vos cœurs le devoir abbattu.

Lucidor.

Sa force* à vostre veuë……

Oronte.

A l’égal nous enflame.

Lucidor.

1965 Excusez mes froideurs, Oronte.

Oronte.

Et vous, ma flame.

Le Roy.

Venez ; c’est à ce coup* que je vous ay treuvez.
Vous, genereux Amy, qui me les conservez,
Pour un tresor si grand que devez-vous attendre ?

Dorame.

Un bien*, que les Dieux seuls, & vous, me pouvez rendre ;
1970 La grâce* de mon crime, & par un mesme don* {p. 163}
Du Pere la pitié, des Enfans le pardon.

Le Roy.

Pourions-nous refuser à vos vœux* quelque chose ?
Vostre demande obtient tout ce qu’elle propose.

Dorame.

Cette foy*, Lucidor, qui semble vous lier
1975 Vous presente mon crime, afin de l’oublier ;
Vostre amitié, mon Prince, est le seau de ma grâce*,
Permettez qu’à genoux Dorame vous embrasse.

Lucidor le recevant & le salüant.

Que doy-je à la parolle & d’un Pere & d’un Roy ?

Oronte d’aise, les voyant embrasser.

Mon amitié triomphe.

Dorame.

Et rappelle ma foy* :
1980 Oronte, c’est icy que j’admire vos charmes*,
Que je treuve plus forts encore que vos armes :
Mon cœur déjà se plaint qu’il souffre devant vous
Plus de mal par vos yeux que par vos autres coups* ; {p. 164}
O Dieux ! quelle faveur* est jointe à mon injure ?
Montrant sa playe.
1985 Pûssiez-vous voir ainsi ma nouvelle blessure !

Le Roy.

N’aurez-vous point pitié de vostre sang perdu ?

Dorame.

Que n’est-il, ô grand Roy, pour vous tout répandu !
Il apporte aujourd’huy la paix en cette Terre,
Et rachéte celuy que demandoit la guerre ;
1990 R’envoyez vos Soldats, & leur nombre infini ;
Il ne sera donné qu’un coup* que je beny :
Sire, mon sang vous parle, & servira de gage*
Qui vous est de la paix un asseuré presage ;
Il est de nos travaux* & le prix, & la fin.

Lucidor.

1995 Qui me fait admirer la force* du destin.
{p. 165}

ACTE CINQUIESME. §

SCENE I. §

OLYMPE, LUCIDOR.

[Olympe.]

Qu’Oronte est une Fille ? & Lucidor fidelle ?
Heureuse également l’une & l’autre nouvelle !

Lucidor.

Voyez en quelle erreur vostre esprit* fut plongé.

Olympe.

Tout ce qui s’est passé je croy l’avoir songé.
2000 Que Melinde par vous ne fut point enlevée ? {p. 166}
Que toûjours la constance en vous s’est retreuvée ?
Qu’il n’est rien de ces bruits qu’un jaloux fit courir ?
Que j’avois vostre cœur quand je voulus mourir ?
Que le mien furieux vous appelant parjure,
2005 Vous adoriez muét qui vous disoit injure ?
Qu’on perdoit vostre foy* quand vous la conserviez ?
Que je vous hayssois quand plus vous me serviez ?
Et ce qui rend ma joye encore plus extréme,
Que vous soyez à moy, que je sois à vous méme ?

Lucidor.

2010 C’est, Olympe, en ce point où ma felicité
Tient propices les vents d’un orage evité ;
Ils donnent à ma foy* ce qu’on doit au merite ;
Où le bien* est si grand toute peine est petite ;
Nous aymons un tresor que nos soins* ont acquis,
2015 Et la difficulté le rend bien* plus exquis :
Je regarde vos yeux, & je croy qu’ils me disent 
Tes maux nous ont vaincus, & tes feux* nous maistrisent :
Nos rayons éclaircis, ainsi que l’est ta foy*, {p. 167}
Montrent gays & riants que nous sommes à toy :
2020 Vostre teint qui rougit, semble par innocence
En demander honteux* à mes yeux la licence* :
L’Amour à mes plaisirs offre dans vos cheveux,
Pour les y retenir, des lyens & des nœuds ;
Chaque poil a sa grâce*, & j’y voy la Nature
2025 Qui se plaint contre l’art, d’une agreable injure :
Je regarde ce front ; & d’un transport nouveau,
Pour ce qu’il est à moy ; je le treuve plus beau :
Vostre bouche me dit, (& je pense l’entendre,) :
Ce baiser est à toy, ne feints point de le prendre :
Il la baise.
2030 Vostre sein, que ma lévre a crainte de toucher,
S’enfle de ce dépit, ou pour s’en approcher ;
Il semble me montrer sa beauté par reproche,
Et qu’un doux mouvement anime cette roche ;
L’agreable vengeance ! on diroit qu’un dédain,
2035 Témoignant son orgueil, l’endurcit sous ma main ;
Au vent de mes soupirs dont l’attainte est si douce
Il s’abbaisse251 par fois, & par fois les repousse, {p. 168}
Et dedans ce combat amoureux & plaisant
S’il souffre cét effort*, je meurs en le baisant.

Olympe.

2040 Aprés cette vengeance un peu trop indiscrette
Vostre ame, Lucidor, est-elle satisfaite ?
Mon cœur vous a permis de me punir ainsi,
Et par ces privautez vous a crié mercy ;
Ces premieres faveurs* ont reparé mon crime,
2045 Qu’un repentir condamne & mon silence exprime.

Lucidor.

Que j’en ayme la faute, à cause du pardon !
Offencez moy toûjours, & demandez ce don*.

Olympe.

Mais le pardon seroit une plus grande offense,
Et sa facilité m’en fera la deffense :
2050 Nous tiendrons ces faveurs* qu’aujourd’huy vous cerchez*
Pour fruicts de vos vertus*, non pas de mes pechez* ;
Un legitime accord que nos Parents appreuvent
Nous promét en amour les graces* qui s’y treuvent ;
Rien ne s’opposera pour lors à vos plaisirs :
2055 Voicy ceux que le Ciel conjoint à nos desirs.
{p. 169}

SCENE II. §

LES ROYS DE THRACE ET DE PERSE, LUCIDOR, OLYMPE.

Roy de Thrace.

Ce lyen est trop fort, pour craindre qu’on le rompe ;
Jamais la paix ne vint avecque tant de pompe ;
Sous le front des fureurs le repos s’est produit ;
Le foudre à cette fois est ennemy du bruit ;
2060 Tant d’hommes qui tenoient la Thrace en defiance252
Ne sont que les témoins d’une belle alliance ;
Tous nos champs revestus des plus belles couleurs
Ont la picque & les dards cachez dessous les fleurs ;
Le desordre est chassé, le bruit, la violence ;
2065 Et seulement la joye empéche le silence. {p. 170}
Mon Frere, c’est de vous, c’est de vostre bonté
Que nous tenons au port l’orage surmonté.

Le Roy de Perse.

C’est de vous que je tiens ce bon-heur, qui me donne
En mes Enfans treuvez l’appuy de ma Couronne ;
2070 Je partage ces biens*, & le Ciel & mes vœux*
En doivent un du moins à qui m’en donne deux :
Que dy-je ? par ce don* je tire* une autre grâce*,
Pour deux Enfans perdus j’en ay trois en la place ;
Cette belle Princesse, élevant nostre honneur*,
2075 Est pour en augmenter le nombre, & mon bon-heur.

Roy de Thrace.

Ce desir tient son ame & la mienne enflamée,
Moy d’aymer Lucidor, elle d’en estre aymée.

Lucidor.

Nos esprits* obligez* par de si douse loix*
Vous appellent nos Dieux, nos Peres, et nos Roys.

Olympe.

2080 Tenant d’eux mon Soleil…
{p. 171}

Lucidor.

Tenant d’eux mon Aurore.

Olympe.

Je les nomme plus Dieux que ceux que l’on adore.

Lucidor.

Qui nous font de la Terre un vray Ciel amoureux.

Olympe.

Un Autel, où nos cœurs s’immoleront pour eux.

Roy de Perse.

Puis qu’à nos vœux* commun leur volonté pareille
2085 N’attend plus que l’effect* que l’Amour nous conseille,
Mon Frere, terminons ces desseins* entrepris,
Joignons en eux les corps ainsi que les esprits*,
Et par le doux lyen d’une amitié commune
Mettons, outre nos cœurs, nos Couronnes en une.

Roy de [Thrace].

2090 La mienne dépendra toûjours de vostre loy*,
Les Thraces connoistront que vous regnez en moy ;
Quoy que cette alliance à nos loix* soit contraire,
J’affecte253 sa grandeur qui m’en devroit distraire,
Trop content si par là mon âge languissant {p. 172}
2095 Voit mon sceptre fleurir dessous un plus puissant :
Mais le Ciel, qui permét ce bon-heur sans exemple,
Recevra mieux nos vœux* confirmez dans le Temple.

Lucidor.

La Ville à cét effect* nous pouvant recevoir,
Allons rendre Gelandre étonné de vous voir ;
2100 A mon commandement ses portes sont ouvertes.

Le Roy de Thrace.

Cét accord entre nous relevera ses pertes.
{p. 173}

SCENE III. §

DORAME, ORONTE en Fille.

Dorame.

Quelle merveille*, Oronte, est celle que je voy ?
Le moindre de ces traits* ravit les cœurs à soy ;
Que le rocher est beau, qui causa mon naufrage !
2105 Qu’il me prepare encore un agreable orage !
Que je treuve cruels vos soins* officieux !
Guery de vostre main je mouray par vos yeux.

Oronte.

Ceux-cy ne donneront qu’une legere attainte ;
Mais vostre sang doit faire une plus juste plainte.
{p. 174}

Dorame.

2110 Quel dangereux secours vostre pitié me rend,
De soulager un mal & d’en faire un plus grand !
C’est adoucir ma playe, & non le vray martire,
Vous courez à mon bras lors que mon cœur expire ;
Ecoutez-le qui dit, vous montrant sa langueur,
2115 Qu’en vain* le bras guerit si l’on blesse le cœur.

Oronte.

Et dequoy se plaint-il ?

Dorame.

Qu’ayant souffert ma haine
Vous fuyez mon amour, & recerchez ma peine.

Oronte.

Dieux ! quels effects* pouront vous contenter un jour ?

Dorame.

Ceux qui de l’amitié feront naistre l’amour ?
2120 Quel fils plus legitime à cette douce Mere254,
Si c’est luy qui la rend plus parfaitte & plus chere ?
Où sont tant de transports, & ces doux sentiments,
Qui servoient à mon bien* & furent mes tourments* ? {p. 175}
D’un trait* si glorieux* reprenez la memoire,
2125 Si vous ne l’achevez vous en perdez la gloire* :
Tous mes sens aujourd’huy vous semblent reprocher,
Par ce qui vous toucha, ce qui vous doit toucher :
Ma bouche semble dire à la vostre irritée,
Condamnes-tu la plainte à qui tu l’as prestée ?
2130 De vray, pour vous je souffre un semblable trépas ;
Vous l’avez dit pour moy, ne le croirez-vous pas ?
Ce que vous témoigniez de mon amour extréme,
Ces soûpirs, & ces vœux s’addressent à vous-mesme :
Puis regardant vos yeux, dont les miens sont jaloux,
2135 Voilà ceux, (disent-ils), qui pleurerent pour nous ;
Quoy ? dans cette pitie que ma peine reclame
Vos yeux donnoient des pleurs, & n’auront point de flame ?
Mon cœur dit qu’à mes sens de fureur allumez
Vostre sein fut ouvert, & vous le luy fermez. {p. 176}
2140 Dans tous ces accidents qu’icy je vous raconte
Vous estiez une Fille, & cette mesme Oronte :
Pourquoy dans vos faveurs* auriez-vous pû changer ?
Je méprisois alors ce qui peut m’obliger* ;
Ma flame s’augmentant, la vostre diminuë,
2145 Je perds vostre amitié quand je l’ay reconnuë ;
Vous m’offrîtes un bien*, afin de le ravir,
Vous me le refusez quand je m’en puis servir.

Oronte.

N’acheve point ces mots, cher Amant, tu me charmes ;
Je crains plus ton esprit* que je n’ay fait tes armes ;
2150 Mon amour suit pourtant quelque fatalité ;
Tu la dois plus au Ciel qu’à ta subtilité :
Un mouvement aveugle, une secrette* force*
Fut de mes vœux* confus & le voile, & l’amorce ;
De l’amitié l’Amour emprunta le berceau.

Dorame.

2155 Vous aymastes la source, aymez en le ruisseau.

Oronte.

Croy qu’encore en cela je fay plus que je n’ose ;
Je crains que Lucidor à nos desirs s’oppose, {p. M ; 177}
Que nos vœux* reconnus luy fassent revenir
De ses feux* offencez le fâcheux soûvenir.

Dorame.

2160 Il a pour ce regard l’ame trop genereuse :
Les Roys appreuveront nostre union heureuse ;
Et si j’ay vostre amour conforme à mes souhaits,
Le Ciel accomplira nos lyens qu’il a faits.
{p. 178}

SCENE IV. §

Melinde delivrée de prison par Gelandre.

Stances255.

A quoy mes soûpirs et mes plaintes ?
2165 Ce mal desesperé n’a plus de guerison ;
J’ay perdu Lucidor, & sortant de prison
J’entre en de nouvelles contraintes :
Que ne m’as-tu laissé mourir entre les fers* ?
Gelandre, ta pitié vaut bien* moins que ma rage,
2170 En m’obligeant* elle m’outrage,
Et ne m’ôte mes maux que par d’autres offerts.
Pour moy l’horreur avoit de 256 charmes* ;
Et je treuve odieuse aujourd’huy la clarté ;
Tu ne m’as, cher Amant, rendu la liberté {p. 179}
2175 Qu’afin que le jour vist mes larmes :
Je n’avois en prison qu’à souffrir ma douleur* ;
Mais je treuve en tes soins* une seconde geine257,
Ton amour s’ajoûte à ma peine,
Et le bien* qu’on me fait redouble mon malheur.
2180 Que le destin nous est contraire !
Qu’il nous donne à tous trois un different souhait !
J’ayme après ses dédains encore un qui me hait,
Et hay celuy qui me veut plaire :
Tu romps pourtant ma hayne en rompant mes lyens,
2185 J’ay fait le coup*, Gelandre, & j’en plains la blessure ;
Si c’est reparer une injure
D’avoir plus de pitié de tes maux que des miens.
Rien n’a ta flame refroidie,
Ta perte, mes desseins*, tes maux, ni ma rigueur,
2190 Mon offence te plaist, & m’a livré ton cœur
Pour le prix de ma perfidie :
Pourrois-je estre insensible ?…..
{p. 180}

SCENE V. §

GELANDRE, MELINDE, PAGE*.

Gelandre la surprenant.

Au dernier accident,
Qui m’a jetté par vous dans un gouffre evident ?
Tout est perdu, Melinde, ô trahison étrange* :
2195 Lucidor m’abandonne, & contre nous se range.

Melinde.

Dieux ! comment ?

Gelandre.

Les Persans sous mesmes étendars
Avecque ceux de Thrace ont gagné nos ramparts ;
Et ce Prince suivy de Soldats à la file, {p. 181}
Sous couleur de secours, est entré dans la Ville ;
2200 Les deux Roys sont ensemble, unis d’affection ;
Olympe & Lucidor n’ont qu’une passion ;
Cette Ville doit estre à leur peine soufferte
Comme un lieu de triomphe….

Melinde.

Et celuy de ma perte :
Gelandre, il faut mourir, à ce coup* je le doy ;
2205 Prevenez ma fureur, & vous vangez de moy,
Moy, dont les trahisons de vos maux sont la source ;
Abregez de mes jours la criminelle course :
J’ay toûjours refusé mon cœur à vos tourments*,
Maintenant je l’expose à vos ressentiments ;
2210 Vous sçavez qu’il vous fut envoyé pour ôtage,
Et vous l’épargnerez au poinct* qu’on vous outrage ?
Qu’il meure, cét ingrat*, de honte & de regret ;
Tirez* le ; je le sents qui se flatte en secrét* ;
R’appellant de vos feux* l’agreable memoire,
2215 Il veut mourir d’amour, qu’il n’en ait pas la gloire* ;
Son supplice prendroit un objét* trop charmant*, {p. 182}
Il doit mourir en traître & non pas en Amant.

Gelandre.

Que mon mal-heur icy rend ma perte oportune !
Dans sa fin seulement commence ma fortune* ;
2220 Mon bien*, contre l’espoir, vient quand j’ay tout perdu :
Une heure me l’a pris, l’autre me l’a rendu :
Si vostre amour, d’un temps a ma perte suivie,
Qu’elle me coûte peu quand je perdray la vie !

Melinde.

Moy seule……
Icy l’on entend les Trompettes, & un page* entre.
O Dieux ! quel bruit ?

Gelandre. Parlant au Page*.

Avance.
Puis parlant à Melinde.
Vous tremblez.

Page*.

2225 Prince, déjà les Rois dans le Temple assemblez,
Que le soldat en foule & le Peuple environne258,
Vous demandent present aux encens qu’on leur donne.

Gelandre.

Que d’un cœur abbatu je les aille adorer ?
Non, je ne le puis faire, eux non plus l’esperer.

Page.

2230 Ils attendent ensemble & vous, & la Princesse. {p. 183}

Gelandre.

La rendre ? ô Dieux ! c’est là que le destin me blesse.

Melinde.

Obeissez, Gelandre, asseuré de mes feux*.

Gelandre. Parlant au Page*

Retournez sur vos pas, nous vous suivons tous deux.
Comme le Page* s’en est allé.
Melinde, vous voyez où ma vie est reduite,
2235 Si mesme en perdant tout on m’ôte aussi la fuite :
Que vostre Frere ait pris cette ville sur nous
Je croirois en sortir trop riche avecque vous.

Melinde.

Si par là vous croyez surmonter cét esclandre,
Je ne resiste plus, je vous suivray, Gelandre ;
2240 Pour asseurer les biens* que vous ôte le sort*
Servez vous de ma vie, employez ma mort ;
Que la cause du mal apporte le remede.
{p. 184}

Gelandre.

Quel bon-heur est si grand que ce plaisir n’excede ?
Fortune*, que peux-tu maintenant sur mes sens,
2245 Que259 ma perte les rend glorieux* & puissans ?
J’offense mon malheur si mon cœur en soûpire ;
On me prend une Ville, & je gagne un Empire :
Le Ciel, dont les projéts ne furent jamais vains*,
M’offre d’un bon succez des presages certains ;
2250 Allons treuver les Roys, & bannissons la crainte.

Melinde.

Allons ; je suis à tout260, sans peur & sans contrainte.
{p. 185}

SCENE VI. §

LES ROYS DE PERSE, ET DE THRACE, OLYMPE, LUCIDOR.

Le Roy de Perse. Adorant le Soleil261 dans le Temple.

Premier flambeau du Ciel, Ame de l’Univers,
Qui fait voir & qui voit tant de Peuples divers,
Soleil, dont les rayons sont au reste du Monde
2255 Ce que l’Ame est au corps, ce qu’aux poissons est l’onde ;
Dieu de feu*, d’union, d’amour, & de clarté,
Sans qui l’on ne verroit ni couleur ni beauté,
Dont la force* maintient les Elements en guerre,
Forme l’ordre du Ciel, & fait l’or en la terre ; {p. 186}
2260 Toy que la Perse adore, honneur* de ces lieux saincts,
Grand Dieu, sois favorable à nos justes desseins* ;
Que tes plus doux rayons luisent sur nos Provinces,
Et joints d’affection ces Peuples & leur Princes.

Roy de Thrace. Adorant le Dieu Mars.

Reçoy les mesmes vœux*, qu’icy nous t’addressons,
2265 Toy Pere de la guerre & de ses Nourissons,
Puissant Dieu des combats, que la Thrace revere ;
Prends, pour nous regarder, ton front le moins severe,
Porte loin ta fureur dessus nos Ennemis,
Grand Mars, entends les vœux* de ces Peuples soûmis ;
2270 Qu’ils ne connoissent plus de guerre ou de vangeance
Que pour se maintenir en cette intelligence, {p. 187}
Qu’à leur desseins* unis ta grâce* desormais
Accorde la victoire, ou conserve la paix.

Lucidor.

En signe des faveurs* que le Ciel nous envoye,
2275 Soleil, que tes rayons servent de feux* de joye262,
Que nos plaisirs soient peints sur le front de ce jour,
Et pour nous éclairer prends le flambeau d’Amour.

Olympe.

Montre à toute la Terre & ta flame, & la mienne,
Et dy que mon ardeur a surmonté la tienne ;
2280 Puis tombant dans la Mer, sur la fin de ton cours,
Raconte à ses Trytons263 nostre aise & nos amours.
Dorame & Oronte viennent.

Roy de Thrace donnant sa fille en mariage à Lucidor.

En presence des Dieux, dont le respect m’engage,
J’offre au Pere ma foy*, j’en donne au Fils le gage*.

Roy de Perse luy presentant son fils.

Mon amitie vous rend par un don* mutuel…
{p. 188}

Lucidor luy faisant la reverence.

2285 En mon obeissance un vœu* perpetuel.

Olympe.

Et la mienne à tous deux également se vouë.

Roy de Thrace.

Que ta puissance, Amour, merite qu’on te louë.
{p. 189}

SCENE VII. §

DORAME, ROIS DE PERSE ET DE THRACE, ORONTE, LUCIDOR, [OLYMPE].

Dorame à genoux devant le Roy de Thrace.

Sire, en faveur* du bien* qu’à ce jour il a fait,
Pardonnez à mes feux* un amoureux effect* ;
2290 Mon crime dans la fin apporte ma deffense.

Roy de Perse.

Ouy, mon Frere, ce jour a remis toute offense :
Outre, qu’estant du tout à ce Prince obligé*,
Je ne puis estre heureux, & le voir affligé.
Gelandre & Melinde viennent.

Oronte à genoux devant son Pere.

Mon erreur fit la sienne……
{p. 190}

Roy de Perse.

Et veut, comme je pense,
2295 Que la cause du mal en soit la recompense.

Dorame.

Ah ! Sire, c’est un fruict que je n’ose esperer ;
Encore que nos cœurs le semblent desirer :
Sa parfaite amitié qui n’a point de pareilles,
Merite d’estre mise au nombre des merveilles*.

Roy de Thrace.

2300 Et par mille accidents arrivez dans ma Cour
D’un mouvement aveugle est passée264 à l’amour,
Qu’une honneste pudeur dessus son front accuse :
Doy-je donner à l’un ce qu’à l’autre on refuse ?
Ouy, j’accorde un pardon, mesme je le poursuy ;
2305 Donnez le moy pour elle, & l’obtenez pour luy.

Roy de Perse.

Leur volonté me plaist, & m’est d’autant plus chere
Qu’elle purge les feux* addressez à son Frere :
Je vis naistre au berceau sa premiere langueur,
Aussitost que la vie Amour fut dans son cœur ;
2310 Un mesme jour me vit & veuf, & deux fois Pere,
Me donna deux Enfans, & m’emporta la Mere ; [191]
La Reyne, d’une couche enfantant ces Gemeaux
Sentit comme le fruict doubles aussi les maux265,
Leur donnant la lumiere elle luy fut ravie,
2315 Et de la sienne propre elle acheta leur vie :
Eux & l’Amour, enfants, se joüoient au berceau ;
Depuis tous leurs mal-heurs vindrent de ce flambeau :
La Nature les fit ainsi que d’un mesme âge,
Tous266 pareils en valeur*, semblables de visage,
2320 Mais d’un cœur different ; car luy ne l’aymoit pas,
Elle suivoit par tout son humeur & ses pas ;
Imitant Lucidor la Sœur treuvoit des charmes*
A domter* un cheval, comme à faire des armes ;
Luy, qui connut sa flame, en eut aversion.

Roy de Thrace.

2325 Mais appreuve aujourd’huy son autre passion.

Dorame.

Pouvions-nous recourir à de plus doux refuges ?
Icy nos protecteurs sont ensembles nos Juges ;
Qu’esperons nous d’avoir267 qu’un heureux traitement…
{p. 192}

Le Roy de Perse.

De qui tient vos plaisirs pour son consentement.
Il donne sa Fille en mariage à Dorame.
2330 Vous m’avez conservé celle que je vous donne ;
Prince, vous estes Roy, possedant sa personne ;
Les Medes268 sont soûmis desormais à vos loy*.

Dorame.

Rends luy graces*, Amour ; ou prestes moy ta voix.
Ma Dame, en ce baiser…

Oronte le baisant.

Nos ames sont unies.
[N ; 193]

[SCENE VIII.] §

GELANDRE, MELINDE, ROY DE THRACE, DORAME, LUCIDOR, ROY DE PERSE, OLYMPE, ORONTE.

Gelandre parlant bas.

2335 Que nos fautes, Melinde, ainsi ne sont punies !

Melinde.

Ces miracles ne sont que pour les plus heureux.

Roy de Thrace considerant ces Amants qui s’entresaluent.

J’ay de l’amour à voir ces Esprits* amoureux.

Dorame salüant Lucidor.

Eteignons toute haine en ce doux nom de Frere.

Lucidor.

Elle ne fut jamais contre vous que legere.
2340 Mais au poinct* où se voit nostre felicité,
Laisserons-nous quelqu’un dedans l’aversité ?
Que deviendra Gelandre en sa perte incertaine ? {p. 194}
Pouvons nous accorder nostre joye à sa peine ?
Il a de nos destins tous les travaux* soufferts,
2345 Et nos contentements le tiendroient dans les fers* :
Melinde est en hôtage ; & tout veut qu’il obtienne
L’objét* de vostre foy* pour le prix de la sienne.

Gelandre parlant bas.

O Dieux ! qu’ay-je entendu ? me feriez vous avoir
Un plaisir si parfait d’un si grand desespoir ?

Dorame.

2350 Aprés avoir acquis un bien* si veritable,
D’en refuser quelqu’un269 je me treuve incapable.

Roy de Thrace.

Du moins à cét effect* nous les avons mandez.

Gelandre. Se presentant avec Melinde.

Les voicy, pour joüir de ces fruicts accordez :
Melinde, à front ouvert* il leur faut rendre grâce*.

Melinde. Se découvrant le visage qu’elle avoit tenu caché.

2355 Je suis à luy, mon Frere ; excusez cette audace ;
Montrez vostre courage* à pardonner au mien,
Je treuve mon bon-heur en n’esperant plus rien : {p. 195}
Dans la felicité que le Ciel nous octroye
Le mal-heur a servy pour accroistre la joye.

Dorame.

2360 On donne toute offense à l’Amour aujourd’huy ;
Et j’estime à vous voir que tout provient de luy.

Roy de Perse.

Comme en cét accident la fortune* se jouë !

Roy de Thrace.

Melinde ? approchez vous.

Dorame. Parlant à Gelandre, tandis que Melinde saluë les Roys.

Prince, à la fin j’avouë
Que le destin plus fort que mon ambition
2365 A faict ceder ma haine à vostre affection :
Il donne sa Sœur en mariage à Gelandre, en faveur* dequoy il renonce à la Bythinie.
Pour le fruict des travaux* d’une guerre finie
Je vous donne ma Sœur, elle la Bythinie.

Gelandre.

Moy ? le cœur à tous deux, dessous vos loix* rangé.

Olympe.

O Dieux ! en un moment comme tout est changé !
{p. 196}

Lucidor.

2370 Nostre amour a causé leur peine & leur salaire ;
Et le destin a fait tout cela pour vous plaire.

Oronte.

Que le repos est doux, aprés tant de tourments* !

Gelandre.

Où sont les grands plaisirs qu’270au cœurs des vrais Amants ?

Melinde.

Ma flame est là cachée, on n’en voit que la moindre271.

Roy de Perse.

2375 Separons les, mon Frere, afin de les rejoindre.

FIN.

Lexique §

Liste des abréviations :

[F] : A. Furetière, Dictionnaire universel, 1690.

[R] : P. Richelet, Dictionnaire François, 1680.

[C] : G. Cayrou, Dictionnaire du français classique. « La langue du XVIIe siècle », 2000.

Avis : n.m.
Réflexion, conseil.
V. 287
Nouvelles de ce qui se passe. [F]
V. 1615
Abord : n.m.
Approche, arrivée. [C]
V. 171, 1476
Appas : n.m.
Amorce, charme, ce qu’on emploie pour gagner ou pour attraper quelqu’un. [C]
V. 112, 328, 578, 1325
Appel : n.m.
Cri qui se fait en la montre ou reveuë des troupes, lors qu’on veut connoistre ceux qui sont presents, ou qu’il les faut payer.
V. 68
Deffi ou provocation qu’on fait à quelqu’un pour se battre en duel. [F]
V. 762, 782, 1024
Artifice : n.m.
Ruse, déguisement, fraude. [C]
Avanture : n.f.
Accident, ce qui arrive inopinément en bien ou en mal.
V. 5, 554, 726
Hasard, il se dit en particulier d’une bonne chance, d’une heureuse rencontre. [C]
V. 554, 1031
Bien : n.m.
Au singulier, se prend pour bonheur, état heureux, joie, impression douce et agréable ;
Honneur, avantage, chance ;
Richesse, fortune.
Au pluriel, bonnes actions, bons offices, bienfaits, services ;
V. 155
Mérites, qualités.
V. 2240
Adv. Beaucoup, parfaitement ;
Prochainement.
Malgré.
Sinon, alors. [C]
Blesser : vb.
Frapper, toucher profondément, en matière d’amour, il est du style poétique, il se dit d’ailleurs avec ce sens très fort de tous les sentiments vifs ou tristes dont un homme peut être atteint. [C]
V. 368, 817
Cartel : n.m.
Petit contenant un défi pour se battre, le lieu, la manière, le sujet, le jour et l’heure du combat. [R]
Cercher : vb.
Chercher.
Charmant : adj.
Qui plaist extraordinairement, qui ravit en admiration. [F]
V. 59, 2216
Charme : n.m.
Signifie figurément attrait, appât, qui plaît extrêmement, qui touche sensiblement. [C]
Conjurer : vb.
Se lier par serment avec d’autres ; se liguer. [C]
V. 87, 1942
Coup : n.m.
Heurt, atteinte violente
Acte frappant, imprévu, se dit aussi des actions héroïques, hardies et extraordinaires, soit en bien, soit en mal.
Cette fois, pour cette fois, fois. [C]
Courage : n.m.
Cœur, comme siège du sentiment ; passion, mouvement.
V. 330, lettre, 1243, 1400
Cœur, comme siège de la volonté ; affection, ardeur, zèle, sans idée de fermeté à braver le péril, la souffrance. [C]
Couvert : adj.
Dissimulé, caché. [C]
Cruel : adj.
Qui ne respond pas bien aux cageolleries qu’on luy fait. [F]
Decevoir : vb.
Tromper, sans idée de douce illusion détruite. [C]
V. 67, 443
Dessein : n.m.
Détermination, décision, entreprise, résolution, conception, plan. [C]
Domter : vb.
Subjuguer, se rendre maistre.
Il se dit figurément en Morale de l’esprit, des passions. [F]
V. 17
Don : n.m.
Present, gratification.
Se dit figurément des choses spirituelles.
Don mutuel : en terme de palais, est un don autorisé par les coustumes, que se font les conjoints par mariage de l’usufruit de tous leurs biens reciproquement pour en jouïr par celuy qui survivra sa vie durant. [F]
V. 2285
Douleur : n.f.
Sentiment triste et fascheux qui blesse quelque partie du corps, et est ennemi de la nature.
Se dit aussi des passions de l’ame, affliction d’esprit. [F]
Droict : adj. n.m.
Titre qu’on a pour posseder quelque chose ou y pretendre.
V. 146, 185
A bon droit : adverbial, pour dire avec raison, avec juste cause.
V. 950, 1152
Ce qui est juste, raisonnable, qui est établi par les loix, qui rend à chacun ce qui luy appartient. [F]
V. 1104
Ecu : n.m.
Bouclier long, ovale et fait de cuir ou d’acier, que les Chevaliers et les hommes d’armes portoient lors qu’il combatoient. [R]
Effect : n.m.
Acte, réalisation, manifestation, exécution de quelque chose.
En effet : En réalité, réellement.
Avoir réel, valeurs effectives, effet, et plus ordinairement effets au pluriel, se dit des biens des personnes. [C]
V. 6, 388
Effort : n.m.
Action énergique ; effet puissant, violent, tout ouvrage produit par une action où on s’est éfforcé de faire tout ce qu’on pouvait. [C]
V. 145, 188, 211, 299, 583, 856, 1200, lettre, 1548, 1569, 1619, 1643, 1663, 1916, 2039
Emouvoir : vb.
Exciter en parlant de choses morales. Exciter quelque mouvement, quelque passion dans le cœur, faire naître la colère, la joie, la tristesse, l’inquiétude, etc., aussi bien que la frayeur ou la pitié. [C]
V. 83, 913, 977
Escuyer : n.m.
Ceux qui ont le soin, le gouvernement des chevaux du Roi, d’un Prince, d’un grand seigneur. [C]
Acteurs, p. 6 liste des personnages
Esprit : n.m.
Au singulier, soufle, âme, au sens matériel ; dernier soupir.
V. 344, 640, 1538
Principe de nos idée, intelligence, inspiration, talent. Ce sens est très général, et il n’indique spécialement ni la vivacité piquante de l’intelligence, ni l’enjouement facétieux.
Principe de nos sentiment, cœur, sentiment.
Désir, dessein, intention.
V. 1244
Vie, énergie intellectuelle, intelligence, esprit.
V. 1172
Vie, énergie morale, sentiment, cœur, âme.[C]
Esquiver : vb.
Se sauver avec legereté et promptitude. [F]
V. 64, 1045
Estat : n.m.
Royaume, Provinces ou estenduë de pays qui sont sous une même domination.
Signifie aussi la qualité, la nature et la constitution presente de quelque chose. [F]
Etrange : adj.
Ce qui n’est pas domestique, connu, ou fort familier.
V. 273
Hors des conditions où l’on vit habituellement, extraordinaire. Il se dit en particulier des malheurs extraordinaires, terribles, épouvantables. [C]
Faveur : n.f.
Grâce qu’on fait à quelqu’un, bon office qu’on luy rend.
Bienveillance d’un puissant, d’un supérieur, le crédit qu’on a sur son esprit.
Approbation, estime.
Se dit ordinairement en amour de ce qu’un maistresse accorde à celuy qu’elle aime.
V. 947, 1110, lettre, 1349, 1676, 1747, 2044, 2050, 2142
Adverbial, en faveur : en considération, à l’advantage. [F]
Feinte/Fainte : n.f.
Desguisement, apparence, dissimulation, coup destiner à tromper. [F]
Fer : n.m.
Se dit absolument d’une espée, et des armes.
On appelle aussi absolument fers, les chaisnes, carcans et menottes qui servent à retenir les prisonniers et les esclaves.
En ce sens, il signifie figurément, esclavage, et se dit particulièrement en matiere d’amour. [F]
Feu : n.m.
Se dit figurément en choses spirituelles et morales de la vivacité de l’esprit, de l’ardeur des passions.
Feux de joye : feux d’artifices. [F]
V. 2275
Fidélité : n.f.
Entretien des serments qu’on a faits, des paroles qu’on a données. [F]
V. 302, 1199
Fidelle : adj.
Véritable. [F]
V. 297, 803, 1645
Force : n.f.
Vigueur, santé du corps qui luy donne les moyens de porter de grands fardeaux, ou d’abatre et de renverser ce qui luy resiste.
Necessité, contrainte.
Vertu, faculté naturelle de faire quelque chose.
Se dit en morale d’une des quatre vertus cardinales, qui consiste en une grandeur d’ame et de courage qui donne la constance pour supporter les afflictions, ou l’audace pour entreprendre de grandes choses. Les especes de force sont la magnanimité, la mansuetude, la clemence, et la patience.
V. 703, 815, 894
Force ou à force, adverbial : beaucoup, d’une maniere abondante.
V. 878, 909
A la force : à l’aide, au secours. [F]
V. 261
Forcer : vb.
Faire force à quelque chose, vaincre, dompter un sentiment, triompher d’une résistance morale. Contraindre, violenter.
V. 405, 585, 787, 883, 1466
Il se dit aussi d’une personne dont on fait fléchir le courage, dont on vient à bout moralement. [C]
V. 149
Fortune : n.f.
Cas fortuit, hasard.
Destinée, ensemble de tout ce qui peut arriver de bien ou de mal à un homme, ce à quoi il est voué par le sort.
Situation, élevée ou non, où l’on se trouve placé, condition où l’on est, sort, lot, obtenu en partage.
V. 177
Elévation, se prend aussi pour l’avancement et l’établissement dans les biens, dans les charges, dans les honneurs.[C]
Foy : n.f.
Confiance que l’on accorde aux personnes et aux choses, signifie aussi créance.
Ce qui, dans les personnes, inspire confiance, assurance donnée par une personne, engagement, parole qu’on donne d’accomplir une chose, promesse de faire et d’accomplir quelque chose.
V. 2006
Fidélité à un engagement donné, honneur, conscience, sincérité, loyauté d’une personne.
Ce qui, dans les choses, inspire confiance, témoignage constitué par une chose, preuve, garantie. [C]
V. 693
Franchise : n.f.
Sincérité tant en ses paroles qu’en ses actions. [F]
V. 77, 1693
Gage : n.m.
Se dit aussi des témoignages ou assurances d’amitié. [F]
Gloire : n.f.
Considération, honneur… estime, réputation qui procède du mérite d’une personne, sans idée éclatante célébrité.
V. 294, 346, 353, 522, 698, 734, 1067, 1159, lettre, 1353, 1757, 1898
Il se prend aussi quelque fois, en un sens plus matériel, pour l’éclat, la splendeur que donnent la grandeur, la puissance, etc. [C]
Glorieux : adj.
Celuy qui a acquis de la gloire par son merite, par son sçavoir, par sa vertu, ou de ce qui donne de la gloire. [F]
V. 136, lettre, 1412, 1603, 2124, 2245
Grace : n.f.
Faveur qu’un Superieur fait à un inferieur sans qu’il l’ait meritée.
Se dit des faveurs des Princes.
V. 504, 846, 934, lettre, 1768
Signifie aussi remerciement, et se dit le plus souvent au pluriel.
V. 206, 932, 2354
Signifie aussi la bonne mine d’une personne, ses manières d’agir, de parler, de s’habiller qui plaisent aux autres. Plaisirs.
De grâce, adverbial : par faveur, par pitié, par courtoisie. [F]
V. 1006
Hazard : n.m.
Cas fortuit, ce qui arrive sans cause apparente ou necessaire.
V. 216, 248, 471, 1037
Signifie aussi, peril, danger. [F]
V. 133, 323
Hazarder : vb.
Risquer, mettre au hasard.
V. 286
Mettre en péril. [F]
V. 1927
Homicide : n.m.
Meurtrier.
Se met parfois en poësie adjectivement et sert d’epithete. [F]
V. 12, 788, 810
Honneur : n.m.
Tesmoignage d’estime ou de soûmission qu’on rend à quelqu’un par ses paroles ou ses actions.
V. 75, 304, 310, 1063, 1161
S’applique plus particulierement à deux fortes vertus, à la vaillance pour les hommes, et à la chasteté pour les femmes.
Se dit aussi de la chose qui honore, qui donne de la gloire. [F]
V. 1063, 1068, 1074, 1107, lettre, 2074, 2260
Honorable : adj.
Qui est digne qu’on luy fasse de l’honneur, qu’on le respecte, qu’on le louë. [F]
V. 309, 1070
Honteux : adj.
Qui a de la honte.
V. 329, 2021
Se dit aussi de ce qui manque de hardiesse.
V. 1156
Infamant. [F]
Image : n.f.
Représentations artificielles que font les hommes, soit en peinture, ou sculpture. [F]
V. 2, 408, 425, 489, 742, 1782
Infidele : adj. n.m ou f.
Ce qui ne garde point la foy, qui n’execute point les choses qu’il a promises ou jurées. [F]
V. 101, 317, 1270
Ingrat : adj. n.m ou f.
Celuy qui n’a point de reconnaissance des bienfaits qu’il a receus, des bons offices qu’on luy a rendus. Peu officieux, peu courtois. [F]
Licence : n.f.
Il se dit le plus souvent en mauvaise part d’une liberté trop grande, et signifie dans l’usage ordinaire du monde : déréglement dans les mœurs, dans les actions, dans les paroles et dans toute la conduite de la vie. [C]
Loy : n.f.
Commandement qui vient d’une authorité superieure, auquel un inferieur est contraint d’obeïr.
Se dit aussi de la differente police des Etats et des peuples, des maximes dont ils sont convenus, ou qu’ils ont receuës de leurs Magistrats pour vivre en paix et en societé.
En pays Coustumier signifie la coustume locale, et les loix particulieres par lesquelles une ville est gouvernée.
V. 1098
Se dit aussi de certaines Regles et principes fondammentaux Escrits ou non Escrits pour le gouvernement de l’Estat.
V. 183, 219, 2092
Se dit aussi d’une obeïssance volontaire qui fait qu’on se soûmet aux volontez d’autrui. [F]
Merveille : n.f.
Phénomène étrange, hors de l’ordre commun, chose rare, extraordinaire, surprenante, qu’on ne peut guères voir ni comprendre, digne d’étonnement plutôt que d’admiration.
V. 357, 505
Il se dit parfois au singulier, de l’étonnement même, de la surprise.
Phénomène surnaturel, accompli par une divinité, miracle. [C]
V. 2299
Meurtrir : vb.
Blesser, faire une contusion.
Object/Objét : n.m.
Ce qui est opposé à notre vue, ou ce qui se représente à notre imagination, vue, spectacle, aspect.
V. 4, 400, 1016, 1115, lettre, 1338, 1516, 1578, 1602, 1660, 1700, 2216, 2347
Se dit aussi poétiquement des belles personnes qui donnent de l’amour. [C]
V. 17, 36, 59, 361, 369, 580, 754, 900, 1455
Obliger : vb.
Lier, enchaîner par un serment, par un service, etc.
V. 109, 152, 226, 539, 547, 792, 854, 1108, 1223, lettre, 1302, 1341, 1675, 1710, 2078, 2170, 2292
Lier par un arrangement, engager, inviter, prier. Signifie aussi exciter, porter quelqu’un à faire quelque chose. Il indique une pression morale, mais exercée par persuasion, par promesse, aussi bien que par force ou menace.
Obliger…de : Faire le plaisir de, signifie plus généralement faire quelque faveur, civilité, courtoisie. [C]
V. 56
Office : n.m.
Service qu’on fait, qu’on rend à quelqu’un.
Devoir de la vie humaine, de la société civile, tâche, rôle, fonction, etc. [C]
V. 1529
Ouvert : adj.
Figurément, sincère, qui ne dissimule rien, vivacité, facilité à comprendre les choses, découvert. [F]
Page : n.m.
Enfant d’honneur qu’on met auprès des Princes et des Grands Seigneurs pour les servir avec leurs livrées, et en mesme temps y avoir une honneste education, et y apprendre leurs exercices. [F]
Païs : n.m.
On l’ecrit ordinairement Pays, plus pour l’ornement de l’écriture, que pour marquer qu’il est de deux syllabes ; et se dit des diverses regions, provinces et contrées de l’univers. [F]
V. 31, 164, 183, 219, 1405
Peché : n.m.
Contravention aux commandements de Dieu. [F]
V. 387, 392, 2051
Pensée : n.f.
Tout ce qui vient dans l’esprit, dans l’imagination, dans la mémoire, reflexion, délibération qu’on fait dans son esprit. [F]
V. 121, 237, 273, 388, 613, 1091, 1162, lettre, 1467
Penser : n.m.
Pensée. [F]
V. 19, 1381
Poinct : n.m.
Se prend aussi pour instant, moment, temps précis dans lequel on fait quelque chose.
Se dit aussi de l’état où sont la santé et les affaires d’un homme.
V. 758, 1123
Se dit aussi de ce qu’il y a de principal dans une affaire, dans une question, dans une difficulté. [C]
Poison : n.m.
Ce qui a une si mauvaise qualité, qu’elle nuit au corps, ce qui le tuë.
Se dit figurément en choses spirituelles et morales. [F]
V. 28, 702, 1222, 1496
Raison : n.f.
Explication d’un fait obscur, étonnant, etc. Se dit aussi de l’éclaircissement de quelque doute.
V. 27, 746
Choses raisonnable, convenable, suffisante, acceptable, se prend aussi pour tout ce qui est le devoir, de droit, d’équité, de justice. [C]
Ressort : n.m.
Moyen secret, sans nuance défavorable, ressource cachée, se dit encore des causes inconnues par lesquelles la nature agit.
V. 107
Moyen secret, avec nuance défavorable, machination, intrigue, se dit figurément en choses spirituelles te morales. [C]
V. 864
Secrét : n.m.
Endroit secret, retiré, retraite, isolement, solitude.
V. 195
Partie secrète, fond, intimité.
Choses secrètes, entretien particulier, tête-à-tête.
Qualité de l’homme secret, discrétion. [C]
V. 805
Secret : adj.
Discret.
Se dit des personnes qui savent se taire et tenir une chose secrète. [C]
Soin : n.m.
Attention, application, attachement à une chose, sollicitude pour une personne, sans aucune idée d’effort et pénible ni d’inquiétude morale. Il se dit en ce sens au pluriel des attention, égards, marques d’attachement, etc., qu’on a pour une personne dans les relations d’intérêt ou d’amitié. Il se dit spécialement des assiduités, des hommages galants rendus à une personne que l’on aime.
Effort, peine, pour obtenir ou conserver une chose, tracas, charge, lourd devoir, précaution.
V. 409, 2014
Préoccupation, se dit aussi des soucis, des inquiétudes qui émeuvent, qui troublent l’âme. Il se dit spécialement dans le langage galant, des soucis d’amour, des inquiétudes de cœur. [C]
V. 918
Sort : n.m.
Hasard, ce qui arrive fortuitement, par une cause inconnuë, et qui n’est pas reglée ni certaine.
Se dit poëtiquement de la vie et de la fortune des hommes. [F]
Tirer : vb.
Intransitif, Se tirer : se retirer, s’en aller, sortir, partir.
Se mettre en dehors, au-dessus, échapper.
V. 1563
Transitif, se diriger, tendre tout droit à, vers, etc., signifie aller, s’acheminer, et alors il est neutre, retirer, sortir. [C]
Titre : n.m.
Nom de dignité, ou de Seigneurie, qu’on donne aux personnes.
V. 1066
Se dit aussi du droit qu’on a de posseder quelque chose. [F]
V. 146, 942
Tourment : n.m.
Se dit figurément en Morale, des peines et chagrins qu’on se donne soy-mesme, ou les uns aux autres. [F]
Trait : n.m.
Se dit figurément et poëtiquement des regards, et des blessures qu’ils font dans les cœurs, quand ils y inspirent de l’amour.
Se dit aussi des diverses parties et configurations du visage.
V. 362
Se dit aussi en quelques supplices, coups. [F]
V. 438
Trame : n.f.
Se dit d’un complot secret, d’une trahison, d’une conjuration. [F]
Travail : n.m.
Labeur, peine, fatigue du corps, danger, entreprise périlleuse.
V. 1, 1471, 1994, 2366
Il se dit au pluriel des actions, de la vie d’une personne, et particulièrement des gens héroïques.
V. 409, 1647
Peine de l’esprit : souffrance, épreuve, tourment.[C]
Traverse : n.f.
Accident, contrariété, épreuve, affliction.
V. 38
A la traverse : se dit de ce qui survient inopinément, et en apportant quelque obstacle. [C]
V. 165
Tyran : n.m.
Se dit aussi figurément en Morale, des désirs violents, du désordre de nos passions. [F]
V. 131, 483, 557
Vain : adj.
Vide en parlant des choses. Il se dit surtout au figuré, de ce qui n’est qu’en apparence, qui trompe les yeux, n’a aucun fondement, ne repose sur rien. [C]
Valeur : n.f.
Grandeur de courage, ardeur belliqueuse. [F]
Vertu : n.f.
Energie, force, vigueur, tant du corps que de l’âme. Il se dit en particulier de l’énergie guerrière, du courage, de la vaillance.
Il se dit aussi de la valeur morale d’une personne, de sa grandeur d’âme, de son mérite.
V. 84, 894, 1094, 1116, lettre, 1887
Il se dit au pluriel de toutes les qualités, entrant dans la composition de cette valeur morale, de ce mérite. [C]
Vœu : n.m.
Promesse qu’on fait à Dieu, ou à quelque Saint ou Sainte de faire certaine chose.
Désir ardent, souhait.
Ce mot se dit en parlant d’amour, et signifie hommage. [R]
V. 869, 979, 1728

Annexe 1 : François Colletet (le fils), La Muse coquette (1659), « Poeme Coquet de la Bouteille. » §

Vous qui par le nectar de vos doctes merveilles (p. 144)
Adoucissez le ciel des plus fâcheux ennuis,
Prenez le passe-temps d’entendre qui je suis,
Et prestez à ces Vers le cœur & les oreilles.
Je nais d’un fort brasier & d’un soufle traitable,
Et j’enfante sans peine un fruit qui tient du feu,
Qui par de vifs attraits s’acquiert un doux aveu,
Pour forcer le donjon de l’ame raisonnable.
J’ay fort peu de beauté, quoi qu’on me treuve belle,
N’ayant rien que le ventre, & la bouche, & le cou ;
Toutesfois mon amour rend tant de monde fou,
Qu’aux paisibles lieux il seme la querelle.
Pour sauver des dangers le tresor que je porte,
Un art industrieux m’arme jusqu’au gosier ;
Une belle tissure ou de jonc, ou d’osier,
Compose mes habits de differente sorte.
L’on me void jusqu’au cœur quand je sui toute nuë,
Et l’œil qui me regarde en moy-mesme se peint ;
Mais si dans cét estat quelque étourdy m’atteint,
Souvent du moindre choc il me brise et me tue.
Je me plais neantmoins où je suis harcelée, (p. 145)
M’y voyant à la fin tout le monde soumis ;
Ceux que je mets à bas sont mes meilleurs amis,
Et par fois nous tombons ensemble en la meslée.
Chez eux souvent je meurs, souvent je ressûcite,
Pendant cent fois mon sang, le recouvrant cent fois ;
En me caressant trop, on se met aux abois,
Et plus je fais de mal, d’autant plus on m’excite.
Je sçais comme Circé, l’art de metamorphose,
Pour transformer l’esprit de tous mes courtisans,
Les rendant furieux, ou brutaux, ou plaisans,
Selon que le climat, ou l’humeur les dispose.
J’anime l’Eloquence, & n’en suis pas pourveuë ;
Si l’on m’entend parler, ce n’est qu’en vomissant ;
Mes trop frequens baisers rendent l’homme impuissant,
Et font errer ses pas en égarant sa veuë.
D’une humeur sans pareille un Dieu m’emplit le ventre,
Le teignant tour à tour des aimables couleurs
De la Rose & du Lys les plus belles des fleurs
Et le rouge et le blanc sont chez moy dans leur centre.
Le pauvre me tenant quand je suis ainsi pleine,
Ne porte point d’envie aux tresors de Cresus,
Et traisnant des souliers, & des bas décousus,
Il marche avec orgueil comme un grand Capitaine.
Avec mon Elixir, le plus lasche courage
Triomphe quelques fois des plus braves Guerriers ;
J’ay des foudres pour nuire aux plus dignes Lauriers,
Et pour faire un affront à leur illustre ombrage.
Sans moy ce Dieu fougueux qui preside à la guerre,
Verroit ses gens sans cœur errans à l’abandon,
Et ce doux assassin qu’on nomme Cupidon,
Verroit ses traits, sans moy, plus fresle que du verre.
On voit fort peu la joye aux lieux d’où je m’absente, (p. 146)
Et l’on void la Sagesse où je n’excede pas ;
Je preste à celle-cy quelque fois des appas,
Animant ses raisons d’une emphase puissante.
Caton, à ce qu’on dit, recherchant quelque pointe,
Pour attirer les cœurs à suivre ses discours,
La faisoit mieux paroistre & de mise & de cours,
Quand ma bouche s’estoit à la sienne conjointe.
Je me fais estimer la dixième des Muses,
Polissant les esprits sans beaucoup de façons ;
Et les moindres Bergers font admirer leurs sons,
Quand mon entousiasme enfle leurs cornemuses.
Je montre aux plus grossiers une amitié prodigue ;
M’admettant à leur table ils jouyssent de moy ;
Là je leur fais mesler tout à la bonne foy
Aux Gazettes du temps cent contes de la Ligue.
Je leur fais étaler d’une grâce authentique,
Les Guerres du passé, les Siege du present,
Et leur fais penetrer en les subtilisant,
Les desseins du futur par esprit prophetique.
Mais les ingrats pour moy n’ont qu’une amitié feinte,
Puis qu’ayant épuisé mon sang & mes esprits,
Ils ne me voyent plus qu’avecque du mépris,
Tant que d’un nouveau fruit je redevienne enceinte.
En effet, sans ce fruit je serois peu de chose,
Et n’aurois pas sujet de beaucoup me vanter ;
Mesmes il pourroit bien dans mes flancs se gâter,
Si l’on ne m’ordonnait d’avoir la bouche close.
Je ne suis que la gaine, où ce glaive liquide
Recele sa valeur & cache sa beauté ;
Tant qu’il loge chez moy, j’ay de la vanité ;
Lors qu’il en sort, je pleure, & deviens toute aride.
Je porte en le portant poison & medecine, (p. 147)
Selon que l’abus regne, ou la discretion,
Debitant le remede & la corruption,
J’offense & je gueris la teste & la poitrine.
C’est par luy qu’on me louë, & que l’on me caresse ;
Luy seul fait que mon nom est par tout reveré ;
Et que tant de mortels d’un accent altéré
M’invoquent au besoin, comme quelque Deesse.
Le Voyageur lassé, l’Artisan hors d’haleine,
Et le Soldat recreu, s’empressent pour m’avoir,
Sçachans que mon genie a l’excellent pouvoir
De réveiller la force, & d’adoucir la peine.
S’il faut faire un marché, l’on veut que je m’en mêle ;
S’il s’agit d’un contract, j’en conduis les ressors ;
Si parmy les Plaideurs il se fait des accords,
Pour les mieux affermir il faut que je les scelle.
Le malade en son lit, où la fiévre le mate,
Et le tient attaché d’un rigoureux lien,
Souvent pour m’aborder rebute Galien,
Et prise plus mon nom que celuy d’Hipocrate.
Plusieurs pour m’accueillir me font des sacrifices
De langues, de jambons, de fromages pourris,
Où l’on n’oit que mots gras entremeslez de ris,
Et les plus doux encens n’y font que des espices.
Tout ce que la débauche a pris pour ses amorces,
Les fusils de la soif, ces ragouts parfumez,
Par qui les intestins sont enfin consumez,
Donnent à mes attraits de merveilleuses forces.
J’ay par tout du renom, hormis chez les infames,
Dont l’orgueil s’est armé des cornes du Croissant,
Qui pour me témoigner un cœur méconnoissant,
Sont traistres à leurs corps aussi bien qu’à leurs ames.
Je triomphe en ces jours qui ramènent les festes (p. 148)
De ce folastre Dieu que l’on feint deux fois né,
Qui ne portant qu’un dard de Pampre environné,
Fit voir aux Indiens ses premiers conquestes.
Je n’ay pas moins d’honneur lors que la canicule
Respandant ses brasiers jusqu’aux lieux plus secrets,
Fait que Diane fuë aux plus fraisches forests,
Et craint que Cupidon s’y glissant ne la brûle.
Alors mes bons amis prennent beaucoup de peine
Pour éloigner de moy les rayons du Soleil ;
Et pensans m’obliger d’un plaisir nompareil,
Ils me font un beau lit du cristal des fontaines.
Flottant autour de moy cét élement m’agrée,
Mais je souffre à regret qu’il penetre au dedans,
Parce qu’il rompt la pointe à mes boüillons ardans,
Dont un cœur abatu s’éveille & se recrée.
Sa froideur me privant de chaleur naturelle,
Prive mes Nourissons de mes riches douceurs,
Qui ravissent la gloire au ruisseau des neuf Sœurs,
En échauffant l’esprit d’une fureur plus belle.
Mais quand les intestins debiles ou malades
Se sentent menacez de quelques maux sanglans,
Pour moderer le Dieu que je porte en mes flancs,
On me contraint par fois d’admettre les Naïades.
Je ne sçaurois pourtant treuver bon ce mélange,
Aimant mieux tenir seul ce Dieu qui me cherit,
Et fait qu’en tant de lieux tout le monde me rit,
Que tous les flots dorez du Pactole & du Gange.
Son odeur preferable au doux parfum de roses,
Sçait donner à ma bouche un baume précieux,
Pour qui les Dieux d’Ovide abandonnent les lieux,
Et font de meilleurs tours qu’en les Metamorphoses.
Ils quittent le nectar que verse Ganimede, (p. 149)
Pour celuy que l’on goûte en mes baisers charmans ;
Mesme ce Jupiter le plus chaud des Amans,
Contre le mal d’amour cherche en moy du remede.
Apollon dégoûté des liqueurs du Parnasse,
Qui n’eurent qu’un Cheval pour premier Eschanson,
M’apelle quand il faut quelque bonne Chanson,
Et pour bien entonner, ardamment il m’embrasse.
Cette eau de Castalie où l’on devient Poëte,
N’inspire à ses poumons qu’un accent enrumé :
Mais quand il me courtise il se sent animé
D’un air qui rend sa voix plus divine & plus nette.
Les mignons de ce Dieu font par moy des miracles,
Et me doivent l’honneur de leurs plus beaux desseins,
Ma seconde vertu les produit par esseins,
Et mon gazoüillement leur dicte des Oracles.
C’est erreur de penser que dans la Poësie
L’on puisse reüssir à moins que de m’aimer ;
Tous ceux que mes appas ne peuvent enflammer,
N’ont jamais qu’une veine infertile & moisie.
Le Lyrique excellent de la Muse Romaine
Que Mecene appeloit le Pindare Latin,
Eust-il pourveu ses Vers d’un si fameux destin,
Si ma douce fureur n’eust enrichy sa veine ?
Si-tost que son esprit sentoit la pituite
Offusquer tant soit peu ses nobles fonctions,
J’accourois au secours de ses conceptions,
Dont il m’atribuoit la gloire & le merite.
Fuyant la Medecine, & ses plus sçavans Maistres,
Qui m’éloignoient de luy pour conserver ses yeux,
Il jugeoit leurs advis sots & pernicieux,
De nuire au bâtiment pour sauver les fenestres.
Le copieux Ronsard, l’industrieux Jodele, (p. 150)
Le grave du Bellay, l’agreable Baïf,
Le tragique Garnier, & Belleau le naïf,
Me consultoient souvent comme Oracle fidele.
Desportes m’invitoit à ses mignards ouvrages,
J’entretenois Bertaud dans ses divins élans ;
Et pour faire des Vers plus forts & plus coulans,
Du Perron me mandoit par quelqu’un de ses Pages.
Pour loüer un Vainqueur tout couvert de trophées,
Pour décrire un Amant nageant dans les plaisirs,
Et pour sonder un cœur jusqu’aux moindres desirs,
Mon odeur seulement les rendoit des Orphées.
Malherbe fut apres des premiers de la Liste
De ceux que j’ay placez parmy les demy-Dieux ;
Et si je poussois mon charme dans ses yeux,
Il n’en voyoit aucun dans les yeux de Caliste.
Racan, Maynard, Gombault, Saint Aman, Theophile,
Corneille, Scudery, Tristan, Metel, Rotrou,
Ont plus puisé chez moy de tresors par un trou,
Qu’Ilion n’en perdit cessant d’estre une ville.
Par moy Faret, Beys, Colletet, Benserade,
Desmarests, Mareschal, Saint Alexis, Durier,
L’Estoile, Maistre Adam, Robinet, Pelletier,
Avoisinent les Cieux d’un autre air qu’Encelade.
Ce malade plaisant, dont la folastre verve
Dispute le Laurier aux plus sages Autheurs
Cét aimable Scaron, est de mes amateurs,
Et, pour me courtiser il quitteroit Minerve.
Lysis, quoy que Prelat, & Carneau, quoy que Moine,
Lors que leur veine cede à quelque infirmité,
Cherchent plûtost en moy la perle de santé,
Qu’aux poëtes de sené, de casse, & d’antimoine.
Tous ces Heros du temps, dont les rares genies (p. 151)
Tiennent ce que les Arts ont de riche & de beau.
Ne pourroient pas sauver leurs œuvres du tombeau,
Si je ne gouvernois leurs doctes harmonies.
Je suis une des clefs du Temple de Memoire,
Je l’ouvre aux bons esprits qui m’aiment sobrement,
Et le ferme aux brutaux qui vivent salement ;
Comblant ceux-cy de honte, & les autres de gloire.
Je declare la guerre à la melancolie,
Et fais lever le siege à ses illusions,
Pour remplir le cerveau de belles visions
Qui donnent de l’éclat à ma douce folie.
Que je suis obligée à cette illustre Plante,
Qui me fait resonner par son fruit savoureux,
Et que je veux de bien à ce Pilote heureux
Qui logea tout le Monde en sa maison flotante.
Ce Vieillard fut prudent de le mettre en usage,
Découvrant le secret d’en faire une liqueur,
Pour se vanger des maux d’un Element vainqueur,
Et dissiper l’ennuy d’un general naufrage.
Sans ce fruit je serois ainsi qu’un corps sans ame,
Qu’une ame sans esprit, qu’un esprit sans raison,
Qu’un debile arbrisseau planté hors de saison,
Et qu’un fidele Amant éloigné de sa Dame.
C’est par luy que je regne, & regis les puissances
De l’Homme qui se dit le Roy des animaux ;
Par luy je suis l’arbitre & des biens & des maux,
Des noises & des ris, des combats & des danses.

FIN.

Annexe 2 : La jeunesse de Molière, De G. Michaut « Le contrat de l’Illustre Théâtre », p. 104-105. §

Furent présents en leurs personnes : Denis Beys, Germain Clerin, Jean-Baptiste Poquelin, Joseph Béjart, Nicolas Bonnenfant, Georges Pinel, Magdelaine Béjart, Magdelaine Malingue, Catherine de Surlis et Geneviève Béjart, tous demeurant, sçavoir :

Led. Beïs, rue de la Perle, Paroisse Saint-Gervais,

Led. Clerin rue Saint-Antoine, paroisse Saint-Paul ;

Led. Poquelin, rue de Thorigny, paroisse susdite ;

Lesd. Béjart, Magdelaine et Geneviefve Béjart, en lad. Rue de la Perle,

en la maison de madame leur mère, paroisse susdite,

Led. Bonnefant, en ladite rue Saint-Paul ;

Led. Pinel, rue Jean-de-Lespine, paroisse Saint-Jean-en-Grève ;

Lad. Magdelaine Malingre, vieille rue du Temple, paroisse Saint-Jean-

en Grève ;

Lad. De Surlis, rue de Poitou, paroisse Saint-Nicolas-des-Champs ;

Lesquels ont faict et accordé volontairement entre eulx les articles qui ensuivent soulz lesquelz ilz s’unissent et se lient ensemble pour l’exercice de la comédie, affin de conservation de leur trouppe soulz le nom de l’Illustre272 Théâtre ; c’est à sçavoir :

Que, pour n’oster la liberté raisonnable à personne d’entre eulx, aucun ne pourra se retirer de la trouppe sans en advertir quatre mois auparavant, comme pareillement la trouppe n’en pourra congédier aucun sans luy en donner advis les quatre mois auparavant.

Item que les pièces nouvelles de théâtre qui viendront à la trouppe seront disposées273 sans contredit par les autheurs, sans qu’aucun puisse se plaindre du rolle qui lui sera donné ; que les pièces qui seront imprimées, si l’autheur n’en dispose, seront disposées par la trouppe mesme à la pluralité des voix, sy l’on ne s’arreste à l’accord qui en est pour ce faict envers lesd. Clerin, Pocquelin et Joseph Béjart, qui doivent choisir alternativement les Héros, sans préjudice de la prérogative que tous les susd. Accordent à lad. Magdelaine Béjart, de choisir le rolle qui luy plaira.

Item que toutes les choses qui concerneront leur théâtre et les affaires qui surviendront, tant que celles que l’on prévoit que de celles que l’on ne prévoit point la trouppe les décidera à la pluralité des voix, sans que personne d’entre eulx y puisse contredire.

Item que ceulx ou celles qui sortiront de la trouppe à l’amiable suivant lad. Clause des quatre mois tireront leurs partz contingentes de tous les fraiz, décorations et autres choses généralement quelzconques qui auront esté faictes depuis le jour qu’ils seront entrez dans ladicte trouppe jusques à leur sortie, selon l’apprétiation de leur valeur présente qui sera faicte par des gens expers dont tous conviendront ensembles.

Item ceulx qui sortiront de la trouppe pour vouloir des choses qu’elle ne voudra pas, ou que lad. trouppe sera obligée de mettre dehors faulte de faire leur devoir, en ce cas ilz ne pourront prétendre à aucun partage et desdommagement des frais communs.

Item que ceulx ou celles qui sortiront de la trouppe et malicieusement ne voudront suivre aucun des articles présens, seront obligez à tous les desdommagements des fraiz de lad. trouppe et pour cet effet seront ypotecquez leurs équipages274 et généralement tous et chacuns leurs biens présens et advenir, en quelque lieu et en quelque temps qu’ilz puissent estre trouvez.

A l’entretennement duquel article toutes les parties s’obligent comme s’ils estoient majeurs, pour la nécessité de la société contractée par tous les articles cy dessus.

Et de plus il a été accordé entre tous les dessus ditz que, sy aucun d’eux vouloit auparavant qu’ils commenceront à monter leur théâtre se retirer de lad. société, qu’il sera tenu de bailler et payer au proffit des autres de la trouppe la somme de trois mil livres tournois pour les desdommager incontinent et dès qu’il sera retiré de lad. trouppe, sans que la lad. somme puisse estre censée peine comminatoire. Car ainsi a esté accordé entre lesd. Partie promettant, obligeant chacun.

Faict et passé à Paris, en la présence de noble homme André Mareschal advocat en parlement, Marie Hervé, veuve de feu Joseph Béjart vivant bourgeois de Paris, mère desd. Béjart ; et Françoise Lesguillon, femme d’Etienne de Surlis, bourgeois de Paris, père et mère de lad. de Surlis, en la maison de lad. veufve Béjart devant déclarée, l’an mil six cent quarante trois, le trentième et dernier jour de juin après midy ; et ont tous signéles présentes subjectes au scel souls les peines de l’édict.

Beys   G. Clerin

J-B Poquelin   J. Béjart.

Bonnenfant..   Georges Pinel

M. Béjart   Magdal Malingre

Geneviefve Bejart   Catherine Desurlis

A. Mareschal   Marie Hervé

Françoise Lesguillon

Duchesne. Fieffé.

Bibliographie §

Autres œuvres d’André Mareschal §

Mareschal, André, Les Feux de joye de la France sur l’heureuse alliance d’Angleterre et la descente des dieux en France pour honorer la feste de cette alliance, Paris, B. Martin, 1625.
Mareschal, André, Autres Œuvres poëtiques, Paris, P. Rocolet, 1630.

Les sources de La Sœur valeureuse §

Boisrobert, François Le Metel de, Pyrandre et Lisimène, ou l’Heureuse tromperie, Paris, T. Quinet, 1633.
[Corneille, Thomas], Les Métamorphoses d’Ovide. « Biblis changée en Fontaine », Fable IX , p.268-284, tome II, J-F. Broncart, 1698.

Ouvrages sur André Mareschal et ses œuvres §

Baldensperger, F., « Un ouvrage américain sur un poète Lorrain du XVIIe siècle », Pays Lorrain, 1933.
Colletet, François, La Muse coquette : contenant Le Songe amoureux, Les Amours de Dame Michelette, Plainte sur l’Absence de Philis… et plusieurs autres vers d’amour et de galanterie, Paris, J-B. Loyson, 1659.
Durel, Lionel-Charles, L’œuvre d’André Maréchal, auteur dramatique, poète & romancier de la période de Louis XIII, Baltimore, J. Hopkins Studies, 1932.
Forestier, Georges, « De la modernité anti-classique au classicisme moderne. Le modèle théâtral (1628-1634) », Littératures classiques, « L’épître en vers au XVIIe S. », n° 18, printemps 1993.
Maubon, Catherine, « Pour une poétique de la tragi-comédie. La Préface de la Généreuse Allemande », Rivista di letterature moderne e comparate, XXVI, 1973, p. 245-265.
Maubon, Catherine, « Libertés et servitudes tragi-comiques dans le théâtre de M’ », Saggi e ricerche di letteratura francese, XIII, 1974, p. 27-51.

Ouvrages généraux sur le genre et la période §

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Corneille, Pierre, Mélite, Paris, François Targa, 1633.
Corneille, Pierre, « Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique », dans Théâtre, t. I, p. IX, Paris, François Targa, 1660.
Forestier, Georges, Esthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars, Genève, Droz, 1988.
Forestier, Georges, Essai de génétique théâtrale. Corneille à l’œuvre, Paris, Klincksiek, 1996.
Forestier, Georges, Intoduction à l’analyse des textes classiques. Eléments de rhétorique et de poétique du XVIIe siècle, Nathan (coll. 128), 2000.
Grente, Georges, Dictionnaire des lettres françaises. Le XVIIe siècle, Fayard, 1996.
Guichemerre, Roger, La Tragi-comédie, Paris, PUF, 1981.
La Vallière, Duc de, Bibliothèque du Théâtre François depuis son origine…, Dresde, M. Groell, 1768 (3 vol.).
Lancaster, Henry Carrington, A History of French Dramatic Literature in the seventeenth Century, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1942, (5 part. en 9 vol.).
Lancaster, Henry Carrington, The French Tragi-comedy. Its origin and edvelopment from 1552 to 1628, Baltimore, 1907.
[Lancaster, Henry Carrington, éd.], Le Mémoire de Mahelot, Laurent et autres décorateurs de l’Hôtel de Bourgogne, Paris, Champion, 1920.
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Ouvrages sur la langue du XVIIe siècle §

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Furetiere, Antoine, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reiniers Leers ; rééd. Paris, SNL-Le Robert, 1978 (3 vol.).
Richelet, P., Dictionnaire françois contenent les mots et les choses, plusieus nouvelles remarques sur la langue françoise… avec les termes les plus connus des arts et des sciences, Genève, J.-H. Widerhold, 1680 (2 vol.).

Syntaxe §

Haase & Obert, Syntaxe française du XVIIe siècle, Paris, Delagrave, 1975.
Sancier-Château, Anne, Introduction à la langue française du XVIIe siècle, Paris, Nathan (coll. 128), 1993 (2 vol.).

Versification §

Mazaleyrat, Jean, Eléments de métrique française, Paris, Armand Colin (coll. U2), 1974.

Ouvrage sur la mythologie §

Hamilton, Edith, La Mythologie ses dieux, ses héros, ses légendes, Paris, Marabout université, 1978.

Ouvrages bibliographiques §

Arbour, Roméo, L’ère baroque en France, répertoire chronologique des éditions de textes littéraires, Genève, Droz, 1985 (4 part. en 5 vol.).
Brunet, Charles, Table des pièces de théâtre décrites dans le Catalogue de la bibliothèque de M. de Soleinne, Paris, Rothschild, Henri de (pseud. Charles Des Fontaines ; P.-L. Naveau ; André Pascal et André Pascales, Bon. Ed.), 1914.
Cioranescu, Alexandre, Bibliographie de la littérature française du dix-septième siècle, Paris, Éditions du CNRS, 1969.
Lachevre, Frédéric, Bibliographie des recueils collectifs de poésies publiés de 1597 à 1700, Genève, Slatkine reprints, 1967.
Klapp, Bibliographie der Französischen Literatur, Wissenschaft, 1974.