Écrivant en 1683 sa Préface d’Artaxerce, Claude Boyer se présente comme un auteur dont le talent est méconnu par ses contemporains. Il déplore les nombreuses critiques que subit son œuvre et place ses espoirs de reconnaissance dans la postérité :
Cependant il est assez fâcheux de s’exposer à ces Censeurs impertinens, et d’atendre que la Postérité nous en fasse justice apres notre mort (…)
Claude, Boyer, Préface, l. 45-46.
S’il a fallu attendre plus de trois siècles pour voir les voeux de notre auteur se réaliser, il semble bien que les travaux actuels de recherche menés en littérature du XVIIe s’engagent enfin sur la voie d’une réhabilitation. Citons notamment les éditions récentes de certaines des pièces de Claude Boyer enfouies dans l’oubli, mais qui avaient connu en leur temps un franc succès et qui sont maintenant à nouveau à la disposition du grand public : Les amours de Jupiter et de Sémélé, tragédie, (1666), réimprimé en 1985, ainsi que deux éditions critiques, Oropaste ou le faux Tonaxare parue 1990 et Tyridate, tragédie [suivi de] Le fils supposé (1649), parue en 1998Artaxerce, qui comme nous le verrons n’est pas sans qualités.
Claude Boyer naît à Albi en 1618. Peu d’informations nous sont restées concernant ses origines sociales, sa parenté, mais nous savons qu’il fait ses études au collège jésuite de sa ville natale. Il se dote ainsi d’une solide culture en rhétorique et en littérature grecque et latine. Il possède donc les trois acquis fondamentaux selon Alain Viala : « une formation linguistique par la pratique du latin et de la traduction ; l’habitude des exercices d’éloquence, du jeu des figures et des citations ; enfin la familiarité avec l’histoire religieuse et antiqueNaissance de l’écrivain, Paris, Minuit, 1985, p. 265.
En 1645, alors âgé de 27 ans, il monte à Paris en compagnie de son ami Michel Leclerc. Il a déjà écrit une première tragédie, La Porcie Romaine. Paris est alors le centre de la vie culturelle du Royaume. La ville rassemble en son sein la Cour, les salons renommés, les éditeurs cotés, et se présente donc comme le lieu incontournable pour qui se destine à une carrière d’écrivain. Sur la recommandation de l’évêque d’Albi, Monseigneur Douillon de Ludes, Boyer se voit ouvrir les portes du prestigieux Hôtel de Rambouillet
Dans ses jeunes années, il trouva l’appui d’une noble famille, dont le nom nous sera toujours cher, qui sembla l’adopter, parce que tous les gens d’esprit paroissent naturellement en être
. Discours de réception de l’abbé Genest à l’académie française, prononcé le 7 septembre 1698, [in]Histoire de l’Académie française, tome II, p. 345.
L’année suivante, sa Porcie Romaine, jouée à l’Hôtel de Bourgogne, « enleva tout Paris », toujours selon l’abbé Genest. Boyer dédie cette première oeuvre à la Marquise de Rambouillet et, avant de lui adresser un sonnet, il en appelle à son bon jugement dans cette épître :
(…) il n’y a que vous, MADAME, en ce Royaume, qui se puisse vanter d’avoir avec son païs et son sexe une naissance et une vertu pareilles aux siennes ; c’est de vous seule, qu’elle [
La Porcie Romaine] veut sçavoir, si en quittant le langage de Rome, elle en a perdu les sentiments ; (…) c’est seulement par l’accueil que vous lui ferez qu’elle veut juger d’elle-mesme. La Porcie Romaine, tragédie, 1646, Bibliothèque de l’Arsenal, [Rf : 5626].
On voit donc comment le jeune auteur parvient habilement à entrer dans le cénacle. Fréquentant aussi les salons de Mme de DeshoulièresHistoire de la littératurefrançaise du XVIIe siècle, Domat, 1948-1952 ; réed. Del Duca, 1962 ; réed.Albin Michel, 1996, tome IV, p. 336, Mme de Deshoulières se situait au centre d’un petit groupe d’hommes du monde et d’académiciens comme Benserade et Quinault, Perrault et Charpentier, Boyer et Leclerc, les Tallemant, l’abbé de Lavau qui aimaient vers 1685 à se rassembler chez elle.op. cit., t. III, p. 37, Mme de Tallemant loge chez elle Boyer qu’elle soutint contre la cabale de Quinault, et Boursault était certainement de sa coterie.
Cependant, la Frondeop. cit. , tome II, p. 317-324 : « La tragédie avec son étalage de grands sentiments, avec ses attitudes d’une emphatique noblesse, dût paraître insupportable à des gens aigris, déçus, revenus de leurs espérances. Ce n’est pas la Fronde, c’est l’échec de la Fronde qui a tué la tragédie, qui plus exactement acheva de discréditer un genre vieilli, et dont les insuffisances avaient commencé d’apparaître quelques années plus tôt ».
Après ces temps troublés et le triomphe de Timocrate de Thomas Corneille en 1656, qui marque la renaissance de la tragédie classique selon Antoine Adamop. cit., t. IV, p. 199-203, souligne que cette renaissance est d’abord timide, la tragédie ancienne s’essaie à revivre parallèlement à l’essor d’une tragédie galante et romanesque. On peut citer outre la Clothilde de Boyer, les œuvres de Thomas. Corneille, comme la Mort de Commode (1658), de G. Gilbert, Arie et Petus (1659), qui retrouvent le ton de la tragédie cornélienne.Clothilde en 1659. Puis, il enchaîne les pièces et tente de protéger ses œuvres en les dédiant à des personnages hauts placés : Clothilde (1659) est dédiée à Fouquet, Frédéric (1659) au duc de Guise, La mort de Démétrius (1660) au chancelier Séguier, Oropaste ou le faux Tonaxare (1662) au duc d’Epernon, Policrite (1662) au comte Martel de Claire. Ces pièces, contrairement à ce qu’il en dit dans ses préfaces ne connaissent qu’un succès relatif, mais la presse semble pourtant lui être favorableLa Muze historique de Loret et au témoignage de Robinet.Op. cit. , tome III, p. 206-207.
Ce ne sont pas toujours les applaudissements de la foule qu’un auteur recherche, il veut aussi gagner les suffrages des esprits éclairés, des connaisseurs, des poètes, des littérateursHistoire littéraire de la ville d’Albi, Toulouse, 1879, ch. X, p. 245-283.
En 1662, Chapelain, plus haute autorité littéraire des deux premiers tiers du XVIIe siècle, compose un mémoire sur les gens de lettres de son temps destiné à servir de base l’année suivante à Colbert pour établir la liste des gratifications royales. Il écrit alors au sujet de Boyer :
BOYER.– Est un poète de théâtre qui ne cède qu’au seul Corneille de cette profession, sans que les défauts qu’on remarque dans le dessein de ses pièces rabattent son prix, car les autres n’étant pas plus réguliers que lui en cette partie, cela ne lui fait point de tort à leur égard. Il pense fortement dans le détail et s’exprime de même. Ses vers ne se sentent pas du vice de son pays quoiqu’il ne travaille guère en prose
Chapelain, .Liste de quelques gens de lettres français vivants en 1662, [in]Opuscules critiques, éd. A. Hunter, Paris, Droz, 1936, p. 343.
Ainsi, l’année suivante Boyer se voit gratifié d’une somme de huit cent livres. Son nom apparaît ensuite chaque année sur la liste sauf en 1667, mais il dût réapparaître par la suite comme en témoigne la dédicace à Colbert de sa tragédie du Jeune Marius (1670) :
(…) et je me suis dis sans cesse, qu’ayant été choisi pour estre un des sujets de gratifications du Roy, je devois soustenir, ou plûtost justifier un choix si honorable
. Le Jeune Marius, tragédie, 1670, Bibliothèque de l’Arsenal, [Rf : 5644].
Corneille est lui aussi élogieux à l’égard de notre auteur. Dans une lettre datée d’avril 1662, s’inquiétant du devenir du Théâtre du Marais, il cite seulement trois noms d’auteurs susceptibles de lui venir en aide par la caution de leurs pièces : Boyer, Quinault et lui-même :
Ainsi si ses M[essieu] rs [Boyer et Quinault] ne les secourent ainsi que moi il n’y a pas d’apparence que le Marais se rétablisse, et quand la machine qui est aux abois sera tout à fait défunte, je trouve que ce théâtre ne sera pas en trop bonne posture
. P.Corneille à l’abbé de Pure, lettre de 25 avril 1662, [in] Pierre, Corneille,Œuvres Complètes, éd. G. Couton, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, vol. III, 1987, p. 10.
De notre auteur, on loue le « feu » comme en témoignent, La pompe funèbre de Scarron qui déclarait déjà en 1659 : « M. Boyer a l’esprit tout plein de feu », ou encore Chappuzeau en 1664 qui écrit qu’il « est tout de feu dans ses versop. cit., tome IV, p. 238.Les Amours de Jupiter et de Sémélé, connaît un vif succès. Il dédie l’œuvre à Louis XIV qui assiste à une représentation au Théâtre du Marais
Puis-je laisser à la Postérité une idée plus avantageuse de la bonne fortune de ma Piece que celle d’avoir amusé agréablement le plus grand Roy du monde, d’avoir suspendu trois heures de suite ces glorieux soins et cette Royale inquiétude qu’il donne à la conduite de la première Monarchie de la terre
Claude, Boyer, … ?Les Amours de Jupiter et de Sémélé, tragédie, (1666), réimprimée dans [C.Delmas éd.],Recueil de tragédies à machines sous Louis XIV, Toulouse, Centre de recherches « Idées, thèmes et formes 1580-1660 », 1985.
Boyer avec cette œuvre s’essaie à un genre nouveau, la tragédie à machines. Ce genre se développe en effet à partir des années 1655 et il permet la renaissance du Théâtre du Marais qui se spécialise pendant environ vingt ans dans ce type de pièces préfigurant l’opéraop. cit., tome II, p.306 : « si le Théâtre du Marais échappa à la ruine, c’est d’abord qu’il chercha et trouva un certain succès dans les pièces à grand spectacle ». Le genre de la tragédie à machines se développe à partir des années 1655 avec Andromède, jusques aux années 1673, date de la fermeture du Marais (mais la situation était tout à fait redressée en 1672).Les pièces se multiplient surtout à partir de 1666, avec Les Amours de Jupiter et de Sémélé de Boyer, puis en 1669, La Feste de Vénus de Boyer, et Le Festin de Pierre de Rosimond, en 1670, Policrate de Boyer, et les Amours de Vénus et d’Adonis de Donneau de Visé, en 1671, les Amours du Soleil de Donneau de Visé.
Boyer qui avait modestement tâté du genre à l’époque des balbutiements, est ainsi l’auteur original d’une remarquable tragédie des Amours de Jupiter et de Sémélé, reprise en 1666-1667, et 1667-1668, puis d’une Feste de Vénus en 1669
Christian Delmas, éd. cit. , présentation non paginée. .
Lancaster quant à lui, le qualifie même de : « leader parmi les auteurs de pièces à machinesA History of French Dramatic Literature in the SeventeenthCentury, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1942, tomeV, p. 68-80: « [He] was a leader among authors of “machine” plays… »
Enfin, l’année 1667 voit le couronnement de la carrière de Boyer puisqu’il est élu à l’Académie française.
Cependant, à partir du début des années 70, la carrière de Boyer semble changer de face. D’une part, son protecteur Chapelain voit son propre crédit baisser, mais c’est surtout la montée d’un rival belliqueux, Jean Racine, qui triomphe avec Andromaque en 1667, qui met en péril le succès de notre auteur. Comme le remarque Lancaster, il semble qu’à l’ascension de Racine corresponde le déclin de Boyerop. cit., tome, p. 68-80: « As Racine’s star rose, Boyer’s began to be obscured. »Alexandre Le Grand, pièce qui est reprise tout de suite après par l’Hôtel de Bourgogne où elle connaît un fort succès. Face à cet événement, on réédite Porus ou la générosité d’AlexandrePorus ou la générosité d’Alexandre, tragédie, 1648.
Les attaques proviennent de Racine, mais également de ses amis. En tant que protégé de Chapelain, Boyer devient une des cibles privilégiées de Boileau, déjà auteur de Le Chapelain décoiffé (1665). Dans son Art Poétique (1674), ce dernier n’hésite pas à dénigrer totalement notre auteur qu’il qualifie de « froid écrivain [qui] ne sait rien qu’ennuyerl’Art Poétique de Boileau.Couches de l’Académie, et cet extrait de son Recueil de Factums contre l’Académie Française témoigne de sa méchanceté son égard :
Il [Boyer] n’a pas été assez heureux pour faire dormir personne à ses sermons, car il n’a point trouver de lieux pour prêcher. La nécessité l’a donc réduit à prêcher sur les Théâtres des Marais et de l’hôtel de Bourgogne ; mais il leur a porté malheur
Antoine, Furetière, .Recueil des Factums d’Antoine Furetière, éd. Charles Asselineau, Paris, Poulet-Malassis et de Boise, 1859 (2 vol.), in-16, d’après l’édition de 1694, p. 172. Après avoir été exclu de l’Académie française, Furetière écrivitLes Factums contre l’Académieen 1685-1688, puis lesCouches de l’Académieen 1688. Il s’en prenait à ses anciens collègues académiciens dont entre autres Boyer et La Fontaine, son ancien ami. Voir aussi l’épigramme de Furetière contre Boyer en annexe III.
Cependant, en cette fin du règne de Louis XIV, le contexte culturel change peu à peu. Le Roi, vieillissant, voit s’estomper son goût pour les grandes fêtes et il se tourne désormais vers le recueillement et vers davantage d’austérité, sous l’influence notamment de Mme de Maintenon. Cette dernière, sur les conseils du Père de La Chaise, confesseur du Roi, fait appel à notre auteur et lui commande une Jephté, pièce destinée à être jouée par les pensionnaires de Saint Cyr, deux ans après le succès de l’Esther (1689) de Racine qui attestait d’un engouement nouveau du public pour les tragédies sacrées. Notre auteur accepte la commande et avoue même apprécier de s’essayer à un genre nouveau. Ainsi, dans sa Préface, il déclare:
Mais l’attrait le plus engageant ce fut de voir combien ce travail convenoit à mon âge et à la situation où je me trouvois ; je ne pouvois m’imaginer rien de plus heureux que de me faire une occupation qui pouvoit rendre ma muse toute Chretienne (…)
Bibliothèque de l’Arsenal, Claude, Boyer, .Jephté, tragédie, 1692, [Rf.5651].
Jephté, est donc représentée en 1692 à Saint Cyr, devant le Roi et connaît un grand succès. Boyer semble content de lui malgré les cabales qui ne désemparent pas et il se consacre donc en fin de carrière à ce genre nouveau qui allie la poésie sacrée et la musique, par la présence des choeurs, musique qui est réalisée par MoreauEsther (1689) et Athalie (1691).Judith, représentée en 1695, qui connaît un succès énorme à la scène comme en librairieJudith de Boyer et sur l’Aspar de M. de Fontenelle où il est aussi question de Boyer.Judith, notre auteur renonce cette fois, définitivement au théâtre mais il ne dit pas adieu à la poésie. Il mène une fin de vie dans la méditation, il écrit un ouvrage en prose, Caractères des prédicateurs, des prétendants aux dignités ecclésiastiques, de l’ame délicate, de l’amour profane, et de l’amour saint, et il fait encore quelques lectures à l’Académie. Il meurt le 22 juillet 1698 à Paris.
Boyer connut donc une carrière en dents de scie. Il fut de son vivant un dramaturge reconnu par une partie de l’opinion publique, comptant dans le monde littéraire et estimé du grand Corneille et de Chapelain. Toutefois, son ascension rapide dans les lieux mondains parisiens, ses succès de dramaturge dans des genres variés : tragédies, tragi-comédies, tragédies à machines, pastorales…, furent freinés par les attaques incessantes d’ennemis de taille tels que Racine, Boileau, Furetière… En cela, la situation de Boyer en 1683, date de la parution d’Artaxerce, tragédie par Monsieur Boyer, de l’Académie Françoise avec sa critique, est bien révélatrice du grand malheur de notre auteur, pris tout au long de sa carrière au sein d’une lutte de clans, qui contribuera à le faire tomber et même à ternir son image pour la postérité.
Pour comprendre la situation de Claude Boyer en 1683, date de la parution d’Artaxerce, il nous faut revenir sur la Querelle des Anciens et des Modernes qui anime alors la vie intellectuelle. Cette querelle débute vers les années 1670 et divise le monde des Lettres en deux camps adverses. D’un côté, les Anciens, ou encore « les gens de Versailles », c’est-à-dire, Boileau, Racine et leurs admirateurs, et de l’autre, les Modernes, ou encore « les beaux esprits de Paris », c’est-à-dire, ceux qui se réunissent autour du Mercure Galantop. cit., t. III, p. 40-44, Le Mercure Galant, périodique fondé en 1672 par Donneau de Visé « sera de façon hypocrite mais avec ténacité pour les Modernes contre les Anciens, pour les Corneille et pour Quinault contre Racine, pour la galanterie et les mondanités contre ceux qui rappelaient aux lettres françaises le sens de la grandeur ».
En bon émule de Corneille, notre auteur, lui, se place résolument du côté des Modernes qui ne songent pas à nier les mérites des auteurs grecs et latins, mais qui soutiennent que l’histoire de l’humanité témoigne d’un progrès et qu’il ne faut pas sous-estimer les mérites des auteurs plus récents. Ainsi, dans notre préface, il dénonce ironiquement l’attitude de soumission excessive du clan des Anciens aux modèles antiques :
Tout chargez, et tout fiers de leurs dépoüilles, ils méprisent ce qui ne porte pas leur caractere, et veulent assujetir le goust de tout le monde, à leur goust particulier. (l.55-57)
A l’inverse, lui, n’hésite pas à faire l’éloge du siècle présent et de ses contemporains :
Ne doivent-ils [les admirateurs des Anciens] pas avoüer que la Tragédie et la Comédie modernes sont montées au plus haut point, et que les Autheurs François riches de leurs propre fonds, ont surpassé les Anciens sans les imiter, comme si la premiere gloire des belles Lettres, qui est celle du Théatre, estoit reservée au siecle du plus grand de tous les Roys ? (l.60-63)
Déjà en 1678, dans l’Avis au Lecteur du Comte d’Essex, Boyer exposait ce même point de vue en reconnaisssant les emprunts qu’il avait fait à un auteur récent comme La CalprenèdeLe Comte d’Essex, 1639, qui inspira aussi Thomas Corneille, et de romans héroïco-galants comme Cassandre, Cléopâtre. Voir aussi plus loin les emprunts à des auteurs récents pour Artaxerce (III Traitement des sources).
J’ay crû que puisque nos meilleurs Autheurs se picquent d’emprunter les sentimens et les vers des Anciens qui nous ont devancé de plusieurs siècles, que nous pouvions aussi emprunter quelque chose de ceux qui ne sont plus et qui nous ont précédé de quelques années (…)
Bibliothèque de l’Arsenal, Le Comte d’Essex, de C. Boyer [Rf : 5648= microforme R 116630].
Par cette prise de position ferme en faveur du clan des Modernes, Boyer se trouve donc en butte avec le clan racinien et doit faire face à des rivalités plus personnellesdédicace à Colbert du Jeune Marius (1670), il écrit :
Quoique la fortune et la cabale se meslent aujourd’huy de faire le bon et le mauvais destin des ouvrages de théâtre, celuy que je vous ay consacré n’a pas succombé sous leur injustice
Bibliothèque de l’Arsenal, Claude, Boyer, .Le Jeune Marius, tragédie, 1670 [Rf : 5644].
De même, plus tard, dans la préface d’Artaxerce, se refusant à répondre à ses détracteurs et même à les nommer, il déclare :
J’aime mieux épargner par un modeste silence, ceux qui m’ont fait du mal, et faire grace à ceux qui ne m’ont pas fait justice ; peut-estre l’honnesteté de mon procedé les fera repentir de l’injustice qu’ils m’ont faite (l. 112-115).
La dénonciation reste allusive, sous forme de simple avertissement au lecteur :
Je les prie sur tout de ne se laisser point prévenir par ces Messieurs qui se font Chefs de Party, et moins encore par ceux qui les suivent aveuglement, et qui présument d’avoir le mesme droit de decider souverainement, parce qu’ils ont eu quelque commerce de débauche et de plaisir avec eux (l. 252-256).
Toutefois, la dénonciation du clan racinien est tout à fait transparente pour un lecteur de l’époque notamment dans le madrigal final (l. 259-268), qui nous donne, selon Jules Rolland, une idée de la « tyrannie exercée par Racine contre les auteurs inférieurs ». En effet, Racine avait fondé l’ordre du Mouton blanc, un cabaret littéraire où l’on décidait de la chute ou du succès des ouvrages. Jules Rolland commente le madrigal ainsi :
Dans la préface d’
Artaxerce, Boyer fait allusion à ces réunions, un peu bien bachiques, d’où l’on sortait souvent dans un état douteux, c’est-à-dire entre deux vins. Il reproduit une épigramme que lui a envoyée l’auteur duFestin des Dieuxet qui flagelle vigoureusement certains de ces prétendus beaux esprits, plus capables de déguster un verre de vin que d’apprécier le mérite des piècesJules Rolland, .op. cit., p. 281-283.
Face à ces attaques, quelle stratégie notre auteur adopte-t-il ?
Boyer en vient à utiliser le pseudonyme de Mr. Pader d’Assezan, pour faire paraître certaines de ses pièces. Il nous dévoile ce stratagème dans la préface d’Artaxerce :
Agamemnon ayant suivy Le Comte d’Essex, et voulant dérober à une persécution si déclarée, je cache mon nom, et laisse afficher et annoncer celui de Mr. d’Assezan. Jamais pièce de théâtre n’a eu un succès plus avantageux
Il s’agit en fait du nom d’un poète contemporain de Boyer, d’origine toulousaine. Selon Jules Rolland, (l. 97-99).op. cit., p. 245-283, il a sans doute collaboré à la pièceAgamemnon, mais si elle lui avait appartenu en propre il n’aurait pas gardé le silence lors de la parution de la préface d’Artaxerce. Boyer aurait également publié uneAntigone, tragédie (1687) sous ce pseudonyme.
Mais, si Boyer se pose souvent en victime contrainte de cacher son nom, il n’en conserve pas moins un certain orgueil. Sa fausse modestie transparaît notamment lorsque, dans la préface d’Artaxerce, citant une épigramme de Martial (l. 41-44), il se compare indirectement à celui-ci en faisant siennes les paroles du poète latin dont nous proposons ci-dessous une traduction :
[…] Tu lisais encore Ennius, Rome, du vivant de Virgile, et l’aède lydien
Homère. a dû subir les railleries de son époque. Ce ne fut pas souvent que Ménandre se vit applaudir par l’assistance et couronner, et Corinne était seule à connaître Ovide son ami […]Il s’agit ici de la traduction de l’épigramme X extraite du livre V, proposée par la collection Budé qui nous a semblée satisfaisante. Martial, .Epigrammes, tome I ( livres I-VII ), texte établi et traduit par H.J. Izaac, 3eéd., Paris, 1969, Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé, Société Edition « Les Belles Lettres ».
A travers les vers de Martial, il se compare donc aux plus grands auteurs grecs et latins méconnus de leur vivant et célébrés par la suite comme des modèles. Martial évoque en effet les grands représentants des différents genres poétiques : Ennius, Virgile et Homère pour la poésie épique, Ménandre, pour la poésie comique et enfin Ovide, pour la poésie élégiaque. Par cette citation Boyer espère être reconnu par la postérité.
Cependant, face à l’abondance et à la virulence des attaques contre lesquelles notre auteur résiste, on peut s’interroger sur leur bien fondé et aussi sur leurs conséquences pour la postérité de Boyer.
Nous avons vu que Boileau dans son Art Poétique, affiche clairement son mépris pour notre auteur. Or cet ouvrage se présentant pour les siècles suivants comme l’unique criterium du bon goût classique, il est certain qu’il a contribué à faire tomber Boyer dans l’oubli. Ainsi, au XVIIIe siècle les Frères Parfaict, même s’ils reconnaissent la méchanceté de Boileau et de Racine envers leurs rivaux, ne réhabilitent pas pour autant notre auteur :
On ne sait qui des deux doit le plus surprendre, ou l’aveuglement de M. Boyer sur les défauts de ses ouvrages, ou l’acharnement ridicule de M.M. Racine et Boileau contre cet auteur. Cette persécution si peu convenable à de si grands hommes n’avançait que de quelques jours la chute des poèmes de leur adversaire (…)
Frères Parfaict, .Histoire du théâtre français des origines jusqu’à présent, tome XII.
Leur condamnation de Boyer reste sans appel, pour eux, « sa poésie est dure, chevillée, pleine d’expressions froides ou basses », « son dialogue n’exprime rien de ce qu’il doit dire, et c’est un perpétuel galimathias… »
Les siècles suivants ont continué à transmettre cette image d’un piètre rimeur, d’un auteur fade et austère, image que l’on tend aujourd’hui seulement à remettre en cause par les nouveaux travaux de recherches qui sont menés. En effet, si Racine s’est acharné à ce point sur notre auteur ne serait-ce pas parce qu’il risquait de nuire à sa gloire personnelle ? L’œuvre de Boyer ne serait donc pas sans certaines qualités…. Et c’est l’hypothèse que commence à émettre un critique comme Lancaster qui ose même formuler des jugements très positifs sur certaines pièces de Boyer comme Oropaste ou le faux Tonaxare, Agamemnon, ou encore Les Amours de Jupiter et de Sémélé. Quant à Artaxerce il déclare que la pièce « n’est pas sans mériteHis best work is found in Oropaste, Agamemnon, and, if we take into consideration the requirements of its genre, Jupiter et Sémélé », « Nor is his Artaxerce without merit… »Artaxerce, tragédie de Boyer tombée dans l’oubli.
Dans les années 1680, le genre de la tragédie perd de sa vitalité, phénomène en partie dû à la volonté de Louis XIV de privilégier l’unité en créant le Théâtre de la Comédie françaiseLe Théâtre en France, sous la direction de J. Jomaron, Encyclopédies d’aujourd’hui, La Pochothèque, A. Colin, 1992, p. 177-178 : « (…) le 22 octobre 1680, le Roi décide par ordonnance de fusionner l’Hôtel de Bourgogne et le Théâtre Guénégaud, et d’assurer le monopole du théâtre à une troupe unique, la Comédie française (…) Ainsi s’appauvrit la vie théâtrale, si intense depuis Louis XIII, et commence une époque nouvelle pour le théâtre en France. »
Artaxerce, tragédie en cinq actes, en vers, par Boyer, est jouée au Théâtre français pour la première fois le 22 novembre 1682 et ne donne lieu qu’à cinq représentationsComédie française de 1680 à 1900. Dictionnaire général des pièces et des auteurs, éd. Burt Franklin, New York, 1901, réed. 1971, dans lequel notre pièce est répertoriée.Préface sur l’accueil chaleureux reçu :
Le jugement des Personnes fort éclairées, et dont le nom est respecté de l’envie mesme, les applaudissemens que cette Piece reçeut dans les premieres Représentations, me répondoient d’un succés infaillible (l. 8-10)
La dernière représentation a lieu à Versailles le 6 décembre, et la pièce ne sera jamais jouée de nouveau. Selon Lancaster, ces faits appuient donc l’affirmation de Boyer selon qui c’est l’influence des critiques de Versailles qui a ruiné sa pièceop. cit., tome IV, p. 218-222: « But it was played at Versailles on Dec. 6. and was never put on again. These facts support Boyer’s contention that it was the influence of critics at Versailles that ruined the success of his play. »Préface : « Une chûte si prompte, et si surprenante, peut-[elle] estre naturelle ? » (l.10). La pièce tombe donc rapidement et selon Boyer, la raison de son infortune résiderait dans le fait qu’il a hasardé son nom
(…) je prens quelque confiance de ce dernier succés, et croy pouvoir hazarder mon nom en faisant paroistre Artaxerce. Il n’en fallut pas davantage pour lui attirer tout ce qui a contribué à le faire tomber. (l. 105-107)
Il semble d’ailleurs qu’il ne soit pas le seul à le penser puisque déjà, Le Mercure Galant daté de juin 1673, émettait la même hypothèse pour expliquer l’échec de Démarate :
(…) il faudrait que Monsieur Boyer, pour faire réussir ses ouvrages prît le nom d’un de ses auteurs heureux en faveur desquels on est si préoccupé qu’on ne croit pas qu’ils puissent mal faire.
Enfin, selon Jules Rolland, le parterre s’est souvent montré injuste envers Boyer et lui aurait reproché le stratagème du pseudonyme quand, deux ans après le succès d’Agamemnon, Boyer présente Artaxerce cette fois sous son nom :
Aussitôt le parterre de siffler à outrance et de pari pris, comme s’il avait voulu se venger de s’être laissé mystifier par un homme d’esprit
Jules, Rolland, .op. cit., p. 245-283.
Ainsi, l’échec d’Artaxerce ne serait pas dû à la valeur intrinsèque de la pièce mais plutôt aux préjugés négatifs d’une partie de l’opinion contre toute nouvelle création de notre auteur. Voyons à présent quels sont les reproches que formulés par les contemporains de Boyer.
Si la pièce connaît un certain succès auprès du public parisien et d’une partie de l’opinion, les critiques se déchaînent à Versailles. Toutefois, contrairement à ce que met en avant notre auteur, il ne s’agit pas simplement d’accusations visant sa personne, mais de reproches qui portent sur des éléments de poétique comme la construction de l’intrigue, la constitution des caractères, la conception du tragique. Concernant son action, Boyer déplore que l’acte II, mal compris à Versailles en raison des préjugés, ait nuit à l’éclat de l’acte III tant applaudi à Paris :
La prévention fut telle, que des Personnes équitables et bien intentionnées, en furent ébloüies, et ne trouverent plus dans le troisiéme Acte qu’on leur avoit tant vanté, ce qui avoit merité dans Paris une approbation universelle. (l.188-190)
Concernant les personnages, on dénonce la faiblesse du personnage du Roy, mais Boyer se justifie en s’appuyant sur Plutarque. On critique l’ingratitude de Darius envers son père à l’Acte III, et on condamne son changement de sentiment trop brutal à l’Acte IV, mais Boyer s’en défend en insistant sur les causes extérieures qui le poussent à agir de cette façon. Le personnage de Nitocris est critiqué comme étant un épisode inutile qui n’apporte rien à l’action principale. Ici encore, Boyer réplique, mettant en avant l’intérêt du personnage pour l’action puisque c’est Nitocris qui encourage son père à vouloir s’emparer du trône, mais aussi la beauté, le rôle ornemental de cet épisode. Enfin, on reproche plus généralement à la pièce de n’être pas assez touchante ce qui donne lieu à l’exposition par notre auteur de sa conception du tragique des passionsArtaxerce tragédie des passions.
(…) c’est de là que je tire une Réponse invincible, contre ceux qui ont dit que ma Piece n’estoit pas assez touchante (...) ne voit-on pas dans ma Piece de grands interests et de puissans mouvemens que font naistre les passions les plus violentes, l’amour, la haine, la jalousie, l’orgueïl, l’ambition ? (l. 234-239)
On voit donc que la préface d’Artaxerce qui est une réponse aux critiques formulées par les contemporains de Boyer satisfait bien au titre complet de l’œuvre, Artaxerce, tragédie avec sa critique. Boyer se livre en fait ici à une sorte d’autocritique de son œuvre, cherchant avant tout à se justifier, mais aussi à réfléchir sur son travail poétique et sur sa propre conception du tragique.
Les jugements des siècles suivants restent fortement influencés par les critiques de Boileau et du clan racinien
Cependant après deux années d’attente, il fit paraître Artaxerce, qui a les défauts de ses précédents Ouvrages. Le sujet en est puéril, les personnages ignoblement peints, la versification pitoyable
Frères Parfaict, .op. cit., t. XII, p. 183-184.
Ils critiquent le sujet comme étant indigne d’une tragédie notamment par l’amour du Roy pour une jeune femme sans naissance qu’ils n’hésitent pas à qualifier de « mince grisette », de « coquette assez méprisable, qui les joue tous deux », et ils condamnent ce roi qui veut abandonner son trône pour se livrer, selon eux, à une folle passion.
Toutefois, le jugement plus récent de Lancaster est plus favorable à Artaxerce. Pour lui, cette tragédie en accord avec les règles classiques dans sa construction de l’intrigue, des personnages, ce tragique soucieux des bienséances, aurait dû séduire le public du XVIIe siècle et tout particulièrement la Cour. Or, c’est là que la pièce a échoué ! Ainsi, Lancaster en déduit que l’incident d’Artaxerce révèle l’importance de Racine et sa méchanceté envers ses rivauxop. cit, tome IV, p. 218-222: « The tragedy is well constructed in accordance with the classical system. The characters and situations might have been supposed to appeal to a seventeenth-century audience, especially when the play was given at court, yet that is where it failed. »
Après la mort de Cyrus au cours de sa tentative d’attentat contre son frère le roi Artaxerce, Aspasie, jeune femme originaire d’Ionie qui avait été forcée de suivre Cyrus, est traitée avec beaucoup d’honneurs par Le Roy et gagne son amour ainsi que celui de son fils Darius, qu’elle aime en retour. Tiribaze, favori du Roy, aspire quant à lui à marier sa fille Nitocris au futur prince héritier pour se consoler du refus du Roy de lui donner en mariage la princesse Amestris. Nitocris aime Ariarathe, autre fils d’Artaxerce, mais elle est prête à sacrifier cet amour pour satisfaire les ambitions de son père. Le jour du choix de l’héritier au trône est arrivé. Artaxerce hésite entre son fils aîné, Darius, combattant remarquable, et Ariarathe, qui aime Nitocris et qu’il sait avoir le soutien de Tiribaze. Mais, Tiribaze décide finalement de jeter son dévolu sur Darius dont l’âge, les exploits, la popularité, en font un meilleur parti pour sa fille. Il obtient le consentement de celle-ci et lui commande d’enrôler Aspasie en leur faveur car il sait l’influence de celle-ci sur Le Roy (Acte I).
Quand Nitocris entretient Aspasie, elle l’informe de son mariage très probable avec Darius. La détresse d’Aspasie qui hésite entre son devoir envers son souverain et son amour pour Darius, la pousse à conseiller à Artaxerce de ne choisir aucun successeur pour le moment. Mais, Le Roy hanté par le remords causé par le meurtre de son frère Cyrus, aimerait quitter le trône et vivre en paix avec Aspasie. Mais, même s’il ne le fait pas, il pense devoir nommer un successeur pour mettre fin à la rivalité entre ses fils. Il dit à Tiribaze qu’il approuve le mariage de Darius avec sa fille et il choisit ce prince comme successeur (Acte II).
Darius cependant se refuse à épouser Nitocris et souhaite la céder à son frère Ariarathe car il sait leur amour mutuel. Comme c’est la coutume en Perse que le prince qui a été nommé successeur de l’Empire puisse obtenir du roi la faveur qu’il désire, Darius demande à son père de lui donner Aspasie en mariage. Artaxerce est bouleversé mais il accepte de laisser le choix à Aspasie et lui donne jusqu’à la fin du jour pour formuler sa réponse. Darius et Aspasie, une fois seuls, s’avouent réciproquement leur amour (Acte III).
Darius supplie son père et il le menace de se suicider s’il ne peut épouser Aspasie mais il ne parvient qu’à attiser la colère d’Artaxerce. Aspasie presse Darius de céder et de l’offrir au Roy car c’est leur devoir. Darius hésite et apprend de Tiribaze que Le Roy projette d’enlever Aspasie et de l’épouser le jour suivant. Il menace Tiribaze qui espère voir Le Roy et son fils se détruirent l’un l’autre, afin d’obtenir pour lui seul tout le pouvoir. Nitocris de son côté encourage vivement son père à s’emparer du trône (Acte IV).
Quand Darius tente d’enlever Aspasie afin d’empêcher le mariage de son père avec celle-ci, il blesse son frère, mais face à son père il cède, si bien qu’on l’arrête. Tiribaze, stimulé par sa fille, cherche à persuader Le Roy de condamner à mort son fils coupable d’une tentative de parricide, et il le menace de quitter la Cour s’il ne le fait pas. Artaxerce déclare à Darius qu’il lui laisse la vie sauve s’il accepte d’épouser Nitocris. Mais comme Darius se refuse à vivre sans Aspasie, il est condamné à mort. Aspasie accepte alors d’épouser Artaxerce et demande que Darius ait la vie sauve. Le Roy accepte non seulement d’épargner Darius mais, pour supplanter Aspasie en matière de générosité, il l’autorise à épouser son fils. Tiribaze pendant ce temps, poignarde Darius, puis il est tué par Oronte, après avoir avoué qu’il était responsable du conflit fatal entre Le Roy et son fils. Le dernier vœu de Darius avant de mourir, est qu’Aspasie épouse son père et on peut penser que c’est ce qui va se passer... (Acte V)
Au XVIIe siècle, toute œuvre littéraire peut être définie comme un travail de réécriture à partir de modèles anciens ou plus récentsop. cit., p. 38 : « (…) la tragédie emprunte ses sujets à un corpus constitué de textes qu’il s’agisse de chroniques, de récits historiques ou bibliques, de recueils de mythes (…) ou encore de textes dramatiques antérieurs. En ce sens, l’élaboration d’une tragédie peut être apréhendée à partir des concepts modernes de réécriture et d’intertextualité ».Artaxerce, il nous faut dans un premier temps réfléchir sur ses sources et voir ce qu’il en a retenu. Puis, analysant les modifications et inventions auxquelles il s’est livré, nous pourrons apprécier comment il a construit son intrigue autour d’un sujet ancien pour présenter une pièce neuve et adaptée au public de son temps.
Dans la Préface de sa pièce, Boyer, sans citer ouvertement ses sources se réfère à Plutarque à travers le récit de trois anecdotes extraites de la Vie d’ArtaxerxèsVie d’Artaxerxès, [in] La vie des hommes illustres, édition établie et annotée par Gérard Walter, traduction de J. Amyot, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1951, tome II, chap. V, p. 955-957.
(…) cette liberalité magnifique, qui luy fit donner une Coupe d’or de mille darigues, qui estoient des pieces d’or, à un Artisan qui ne trouvant point autre chose en son chemin pour offrir à son Roy, courut à la Riviere y puiser de l’eau dans ses deux mains, et alla la luy présenter ; cette modération admirable, qui luy fit écouter sans emportement, les paroles insolentes d’un Lacedémonien, nommé Euclidas ; cette clémence royale, qui pardonna à Cyrus son Frere, lors qu’il fut surpris voulant l’assassiner, dans le temps qu’il fut sacré par les Prestres dans le Temple de Minerve (l. 135-141)
Plutarque soulignait en effet ces traits de caractère qui contrastent avec la réputation habituelle de cruauté des souverains persesop, cit, chap. XLV : « Il fut estimé Prince doux et humain, et qui aimait son peuple et ses sujets ».op. cit., tome IV, p. 224-226: « Pour donner à la tragédie de la noblesse et de la grandeur, Corneille voulait l’appuyer sur l’Histoire. Il fallait que le sujet lui fût donné, qu’il ne fût pas invention pure et fantaisie. C’est par là que la tragédie se situait au dessus du romanesque et de sa gratuité. »
Chez le moraliste grec, Darios, fils aîné du roi Artaxerxès est nommé par celui-ci comme successeur au trône pour mettre fin à la rivalité qui l’oppose à son frère Ochos et ramener ainsi la paix dans le royaume. Selon la loi perse, l’héritier peut exiger une faveur de son roiop. cit., chap. XXXIX, p. 983 : « C’est l’usage en Perse que l’héritier désigné demande un présent à celui qui l’a désigné et qui doit, si cela est possible, lui accorder tout ce qu’il demande. »op. cit., p. 983-986 : « …et néanmoins quand son fils lui demanda celle-là [Aspasie], il répondit qu’elle était libre et franche et que si elle le voulait, il était content qu’il la prît ; mais si elle ne voulait aller de son bon gré avec lui, qu’il ne voulait point qu’il la forçât. »ibid., « Tiribaze se mit à l’aigrir et à l’irriter encore davantage », « Darius se laissa aller à conspirer contre la personne de son père avec Tiribaze ».ibid. : « Darius semblablement fut aussi pris et mené prisonnier (…). Il n’y eut pas un des juges qui ne se prononçât contre lui, et ne la condamnât à mourir. »
À la lecture de ce résumé on voit que Boyer retient essentiellement de Plutarque la rivalité du roi et de son fils pour une même femme, Aspasie, et l’élément clé de la loi perse fondée sur la faveur que le roi doit accorder à son successeur. Toutefois, notre auteur pour satisfaire aux bienséances recule le choix d’Aspasie à l’acte IV. Le Roy lui accorde en effet un délai pour se prononcer afin d’éviter l’outrage aux bienséances que constituait chez Plutarque l’aveu immédiat d’Aspasie de sa préférence pour Darius. Boyer garde aussi la tentative de parricide manquée de Darius et sa mort finale ainsi que celle de Tiribaze, traître assoiffé de pouvoir et de vengeance. Cependant, il opère de larges modifications concernant le dénouement car il introduit l’acte de générosité d’Artaxerce qui gracie son fils, alors que chez Plutarque, Darius meurt condamné à mort. Artaxerce apparaît comme beaucoup moins violent chez Boyer ; quant à Darius, il est en quelque sorte « blanchi » car il est tué par le traître Tiribaze dont notre auteur en revanche « noircit » les traits. En effet, dans notre pièce, Darius ne s’est pas compromis avec Tiribaze comme chez Plutarque, il ne voulait qu’enlever sa bien aimée et il se trouve poussé au parricide par les circonstances mais il ne peut commettre un tel acte, tandis que Tiribaze, lui, n’hésite pas à tuer le jeune princePassions tragiques et règles classiques. Essai sur la tragédie française, Paris, PUF, coll. « Perspectives littéraires », 2003, p. 103 : « (…) D’Aubignac est absolument indifférent à l’histoire, il offre à l’auteur une liberté absolue pour modifier un sujet historique jusqu’en sa trame ».
Les frères Parfaict dénoncent les emprunts faits aux pièces de Boisrobert et de Magnon par Boyer pour écrire sa tragédieHistoire du théâtre français des origines jusqu’à présent, tome XII : « (…) quelque faible que soit cette pièce, M. l’abbé Boyer a d’autant plus de tort de la défendre avec tant de vivacité, qu’il n’est l’inventeur ni du sujet, ni des caractères : il avoit trouvé le tout dans l’Artaxerxe de Magnon, et celui-ci s’estoit servi de la tragédie que M.l’abbé de Boisrobert avoit donnée quelques années auparavant sous le titre de le Couronnement de Darie. »
Résumons brièvement la pièce de Boisrobert. Elle débute le jour du couronnement de Darie nommé héritier de l’Empire perse par son père le roi Artaxerce. Darie accepte d’être couronné mais demande comme faveur, selon l’usage de la loi perse, qu’Aspasie enlevée par le roi qui l’aime aussi, lui soit rendue. Le roi se refuse à disposer de la volonté de celle-ci. On l’interroge, et elle choisit le prince. Le roi cède aux lois mais reporte toute sa colère jalouse sur Aspasie qui l’a outragé en lui préférant un autre. Il envoie Ariaspe, frère jaloux de Darie pour la récupérer mais celui-ci le menace de son fer. Alors le roi donne lui-même l’ordre d’emmener de force la jeune femme pour la donner à la déesse Diane.Tiribaze tente en vain de convaincre Darie de commettre un parricide. Devant le refus de celui-ci, il décide d’agir quand même en faisant croire aux autres conjurés qu’il suit les ordres de Darie. Darie de son coté parvient à s’entretenir en cachette avec Aspasie et projette de l’enlever. Le complot de Tiribaze est découvert et le roi croyant que Darie en fait partie donne l’ordre qu’on le tue. Darie mourant dénonce Tiribaze qui avoue ses crimes et est condamné à des supplices horribles par le roi désespéré de s’être mépris sur son fils. Heureusement Darie n’était que blessé, le roi lui cède Aspasie et partage son pouvoir avec lui, la pièce s’achève sur les projets de mariage.
On voit tout de suite que cette tragi-comédie présente une intrigue complexe que Boyer tend à simplifier. Il retient du personnage de Darie, héros éponyme de la pièce de Boisrobert, l’image du valeureux combattant qui fait naître l’amour d’Aspasie, et aussi sa volonté d’user de la prière pour convaincre son père de lui rendre Aspasie
Attachons-nous à présent à l’œuvre de Magnon. Chez Magnon, Artaxerxe, roi de Perse, choisit comme successeur Darius, son fils aîné qui, conformément à la loi perse, demande une faveur à son roi, la main d’ Aspasie. Il la demande d’abord pour son frère en compensation de la perte du trône mais, le roi qui aime Aspasie refuse. Darius la demande ensuite pour lui-même et cette fois Artaxerxe est obligé de la céder conformément aux lois et au choix d’Aspasie elle-même. Tiribaze encourage le roi à ne pas se soumettre aux lois prétextant le danger d’une alliance avec une étrangère pour l’Etat. Sur ordre du roi, Ochus enlève donc Aspasie. Cependant, il finit par la céder à nouveau à Darius dans un acte de générosité. La princesse Amestris encourage son père à faire de même afin de donner un bel exemple de générosité à la postérité. Mais Darius accusé à tort de projet de parricide par le traître Tiribaze, est arrêté sur ordre du roi et condamné à mort. Cependant, le prince découvre la trahison de Tiribaze qui finalement meurt suite à une intervention des dieux en avouant ses forfaits, mort dont Tissapherne nous fait le récit. Artaxerxe se repent d’avoir jugé son fils sur des apparences trompeuses et, s’en remettant à la volonté du ciel, il lui cède Aspasie.
On voit que Boyer s’inspire beaucoup de Magnon pour créer sa pièce. Du personnage du roi, il retient le désespoir de celui-ci face à sa condition de souverain et son désir de retraite loin des troubles qui menacent son trône et sa volonté de faire preuve d’une certaine clémence envers son fils, en tant que rival qui perd la femme aimée
Ainsi, bien que quarante années séparent les deux pièces, c’est bien l’œuvre de Magnon, qui relevant du même genre que notre pièce en constitue une des sources essentielles. Mais, les sources d’Artaxerce ne se limitent pas à ces deux pièces et puisent aussi consciemment ou non chez des contemporains de Boyer. Quelles autres influences peut-on percevoir dans cette œuvre ?
La trame de cette pièce est très différente des autres que nous avons étudiées auparavant, puisqu’il ne s’agit pas du même Darius et que la pièce est avant tout basée sur la question de l’identité. Toutefois on peut penser, comme le propose Lancaster qui s’appuie sur la thèse de Goldstein, que Boyer a puisé certains éléments chez Thomas Corneille comme la popularité du prince ou encore le projet de mariage d’un enfant du roi avec un enfant de Tiribazeop. cit., t. IV, p. 218-222 : « Goldstein thinks he owed to Thomas Corneille’s Darius the king’s plan of marrying his son to the daughter of Tiribaze and the prince popularity but there are many other sources from which those motifs might have come. »
Lancaster, souligne que dans les années 1680 à 1689, période de création de notre pièce, le genre tragique continue d’exister, suivant les règles classiques entérinées par Racineop. cit., t. V, p. 191-194: « (…) the genre was not put of existence and the work of minor authors was improved rather than injured by Racine’s example. »op. cit., tome V, p. 193 : « Perhaps the fear of criticism prevented the authors from seeking more frequently subjects that had not been tried before. In most cases an older play was employed either for the subject or for suggestions in regard to its amplification. »Suréna, Général des Parthes (1674), supprime toute évocation du luxe et de la sensualité orientale. Notons le choix d’une thématique fréquente à l’époque, celle du souverain généreuxDarius de Thomas Corneille.Cinna de Pierre Corneille (1642)Cinna [in] Œuvres Complètes, éd. G. Couton, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, vol III, 1987. Dans cette pièce, Auguste fait acte de clémence envers Cinna dont la conjuration a échoué, il le gracie et lui cède Emilie.Alexandre Le Grand de Racine (1665)Alexandre Le Grand, [in] Œuvres complètes vol. I (Théâtre Poésie), édition de Georges Forestier, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999. Dans cette pièce, Alexandre traite Porus, roi vaincu avec clémence, il lui rend ses états et lui cède Axiane.
Boyer s’applique en fait à combiner entre eux plusieurs schèmes tragiquesop. cit., p. 60, qui définit les différents schèmes que les auteurs de tragédies peuvent combiner pour élaborer leur matière tragique.Antigone. On retrouve ce schème dans Nicomède (1651) de Pierre Corneille, avec la haine réciproque que se vouent Prusias et son fils Nicomède, puis chez Racine dans Mithridate (1673), avec le projet du roi Mithridate de marier son fils Pharnace avec une autre femme pour l’éloigner de Monime qu’ils aiment tous les deuxMithridate la rivalité pour une même femme, Monime, est double, puisqu’elle se joue entre le père, le roi Mithridate, et ses deux fils, Pharnace et Xipharès. La mort d’Achille (1674) de Thomas Corneille. Boyer combine ce schème à un autre schème traditionnel qu’il développe toutefois beaucoup moins, celui des frères ennemis, tiré aussi de l’Antiquité. Songeons en effet à la rivalité des fils d’Œdipe, Etéocle et Polynice. On retrouve dans La Thébaïde (1664) de Racine cette lutte des deux frères pour le pouvoir que l’auteur justifie en faisant d’Etéocle et de Polynice des jumeaux ; Boyer lui, se sert du cadre perse pour poser ce problème de la successionAntigone de Sophocle où Créon gracie Antigone, mais trop tard, car elle est déjà morte. De la même façon, dans notre pièce, la mort de Darius ne peut être évitée. A l’inverse, dans Mithridate (1673), puis dans Iphigénie (1674) de Racine, cette même dramatisation s’achève sur un coup de théâtre in extremis qui assure la survie de l’enfant.
Enfin, Boyer choisit de traiter un sujet simple, où prédomine l’amourArtaxerce : une tragédie des passions.Andromaque (1667), mais qui remonte en fait à la tradition de la pastoraleAndromaque, Racine introduit ce motif de la chaîne amoureuse qu’on peut résumer par la phrase suivante : « j’aime qui me fuit et je fuis qui m’aime ». En effet, Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque.Bérénice (1670) de Racine, avec Titus qui se voit déchiré entre son devoir vis-à-vis des lois et son amour pour Bérénice. Aspasie par certains traits fait aussi penser à Junie dans Britannicus (1669), notamment lorsqu’elle éveille l’amour du roi, séduit par cette femme en pleursBritannicus, Néron se dit charmé à la vue de Junie en pleurs, mais à la différence de notre pièce où Le Roy pleure avec Aspasie la mort de la reine, Néron est seul responsable des pleurs de Junie.
Ainsi notre étude des sources nous révèle que notre auteur s’inscrit bien dans la tradition littéraire de l’imitation. Il fait preuve d’une grande liberté avec la source historique de son sujet tiré de Plutarque et s’inspire aussi d’œuvres dramaturgiques d’auteurs plus récents, Magnon essentiellement. De plus, il doit de tenir compte du public et de ses attentes mouvantes ce qui explique la volonté de présenter à la fois des éléments-types du genre de la tragédie, tirés de la tradition et dignes d’émouvoir, mais aussi des éléments plus récents comme le traitement d’un type d’amour particulier, traitement qui révèle l’influence exercée dans une certaine mesure, par le grand modèle en cette fin de siècle, Racine. Cependant, la pièce de Boyer apparaît comme originale car on observe de multiples changements et innovations par rapport à ces diverses sources. Ces modifications impliquent une transformation de la structure interne de l’action, action que nous proposons d’analyser à présent de manière plus approfondie.
Si l’on se réfère à la définition de Georges Forestier, « le sujet de la tragédie à crise est le dénouement lui-même, paradoxalement envisagé comme le point de départ de l’action tragique : un point de départ situé à la fin, impliquant que l’action soit construite à rebours »Œuvres complètes, éd. citée, Pléiade, vol. I, p. XL, et p. XLI: « (…) toute bonne tragédie (…) doit reposer sur un enchaînement de causes et d’effets qui conduisent d’une situation initiale à un dénouement (…) Mais dans sa mise en forme initiale, la tragédie à crise repose sur le processus inverse, un enchaînement causal qui va de la fin vers le début ».
Si on considère que le sujet d’une tragédie est son dénouement, alors le sujet d’Artaxerce serait la mort de Darius (V, 7). En effet, bien qu’Artaxerce donne son nom à la pièce et que son acte final de générosité soit fortement mis en valeur, ce geste ne constitue pas encore le dénouement de la pièce mais il en est plutôt la dernière péripétie
Tout d’abord, qu’est-ce qui conduit Artaxerce à gracier Darius et à lui céder Aspasie ? C’est l’intervention d’Aspasie qui promet d’épouser le Roy, et même de l’aimer, s’il gracie Darius. Le Roy, touché par la générosité de la jeune femme, veut en quelque sorte rivaliser en vertu avec elle et se donner lui même comme un exemple de générosité pour la postérité. C’est pourquoi il gracie son fils et lui cède Aspasie. Mais pourquoi Aspasie se décide-t-elle enfin à épouser Le Roy ? Il faut pour cela que Darius soit condamné à mort. Elle est alors prête à tous les sacrifices pour sauver son amant. Mais pourquoi Darius est-il condamné à mort ? Darius a failli commettre un parricide, mais surtout, il se refuse à accepter la condition du Roy, épouser Nitocris, pour être gracié. Pourquoi Le Roy veut-il absolument que Darius épouse Nitocris ? D’une part, parce qu’ainsi, il peut garder Aspasie pour lui, et d’autre part, pour apaiser la colère de Tiribaze en lui donnant une preuve de reconnaissance pour les services rendus à la couronne. Pourquoi Tiribaze est-il en colère ? L’ingratitude du Roy à son égard, l’affront subi par le refus de Darius d’épouser Nitocris, sont les causes de la colère de Tiribaze prêt désormais à tout pour obtenir le pouvoir. Pourquoi Darius se refuse-t-il à épouser Nitocris ? Parce qu’il aime Aspasie. Pourquoi a-t-il failli commettre un parricide ? Darius au cours de sa tentative d’enlèvement d’Aspasie a été trahi par Tiribaze et s’est retrouvé involontairement en armes face à son père. Pourquoi a-t-il tenté d’enlever Aspasie ? Parce que Artaxerce ne voulait pas la lui céder en dépit de la loi perse. Enfin, pourquoi Artaxerce ne veut pas céder Aspasie ? Parce qu’il aime Aspasie lui aussi…
On voit donc comment la rivalité du père et du fils pour une même femme est à la source de cette pièce. Tout s’enchaîne de manière logique à partir du refus du Roy de donner Aspasie à Darius. Dans les maillons de cette chaîne, s’intercalent les actions des personnages secondaires, Tiribaze et Nitocris, qui influencent l’action principale
Selon Aristote et les théoriciens classiques, toute action pour être crédible et complète doit avoir un commencement, un milieu, et une finDiscours du poème dramatique [in] Pierre Corneille, Œuvres Complètes, éd. G. Couton, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, vol III, 1987, expose ce principe et l’illustre en prenant l’exemple de Cinna : « Il faut donc qu’une action pour être d’une juste grandeur ait un commencement, un milieu et une fin. Cinna conspire contre Auguste et rend compte de sa situation à Emilie, voilà le commencement, Maxime en avertit Auguste, voilà le milieu, Auguste lui pardonne, voilà la fin ».Artaxerce, on peut en effet procéder au découpage suivant : Artaxerce se décide à choisir Darius comme successeur, voilà le commencement, Darius demande comme faveur la main d’Aspasie que son père jaloux lui refuse et le prince renonce alors de peu à commettre un parricide, voilà le milieu, Artaxerce pardonne à Darius et lui cède Aspasie mais trop tard car Darius meurt, voilà la fin. Au niveau dramaturgique, on peut étudier le déroulement de la pièce en suivant ce découpage. On désignera alors ces étapes successives par les termes : d’« exposition », de « nœud » et de « dénouement ».
L’exposition, selon Bénédicte Louvat peut se définir ainsi :
Premier moment de la tragédie, l’exposition, commence avec la première scène et couvre, au plus, la totalité du premier acte. Elle ne nécessite souvent qu’une à trois scènes, qui servent à présenter les personnages principaux (sans qu’ils soient nécessairement tous présents sur scène) et l’action principale autant que l’action secondaire
Bénédicte, Louvat, .op. cit., p. 75.
Ce premier moment de la pièce a donc un rôle essentiellement informatif. Toutefois, afin d’éveiller l’intérêt du spectateur, il doit aussi lancer le mouvement et donc savoir conjuguer information et action. Comment se présente l’exposition dans Artaxerce ?
On peut considérer que la scène 1 de l’acte I constitue presque à elle seule l’exposition car elle concentre la majeure partie des informations concernant les intrigues principale et secondaire, et elle évoque tous les personnagesop. cit., p. 51-61, souligne l’usage de « n’introduire certains personnages qu’à l’acte II » et prend l’exemple de l’entrée d’Hermione dans Andromaque (II, 1) ce qui amène souvent un renouveau d’exposition.
Analysons à présent cette première scène de l’acte I. Elle correspond à la forme canonique de la scène d’exposition, puisqu’il s’agit du dialogue de Darius avec son confident, Oronte. C’est la scène « la plus fréquente », celle qui « permet de faire passer commodément l’intrigue au confident par le héros »ibid.
Voicy ce jour pompeux si longtemps souhaité, Où pour rendre à l’Etat plus de tranquillité, Mon Pere va nommer l’Heritier de l’Empire (v. 5-8)
La pièce s’inscrit donc dans « un moment exemplaireop. cit., p. 83-84 : « (…) le respect de l’unité de temps passe d’abord par le choix d’un moment exemplaire où se joue le sort d’un ou plusieurs personnages, voire de tout un peuple ».
ORONTE Avez-vous oublié la disgrace d’Arsame ? Aspasie autrefois refusée à sa flâme… DARIUS. Ce malheureux Amant dans nos derniers Combats Blessé mortellement, et tombant dans mes bras ; Darius, me dit-il, reçois avec ma vie Ces soûpirs que je donne à l ’aimable Aspasie. (v. 51-55)
A la fin de cette scène l’action est prête à être lancée et Darius commence à s’entretenir avec Tiribaze pour gagner son soutien auprès du Roy.
Ainsi, la scène 1 contenant l’essentiel de l’exposition, la suite de l’acte repose sur un mélange d’exposition et d’action. La présentation des personnages secondaires, Tiribaze et Nitocris, est approfondie car ils paraissent sur scène. Tiribaze évoque son passé, son rôle de favori et la part qu’il prend dans le choix du successeur du Roy, Nitocris se révèle être aussi ambitieuse que son père. Les portraits d’Aspasie et du Roy sont aussi complétés par les discours de Tiribaze et de Nitocris notamment l’influence exercée par Aspasie, en dépit de son statut d’étrangère, sur les choix du Roy, indécis et lassé du trône
Ainsi, cette exposition, si on se réfère à Jacques Scherer, pour qui une exposition satisfaisante « doit être entière, courte, claire, intéressante et vraisemblableop. cit., se réfère ici au Manuscrit 559, section IV, chap.1, paragraphe 1.
Le nœud constitue la partie centrale de l’intrigue, la durée qui s’écoule entre l’exposition et le dénouement. Il concentre donc l’essentiel de l’action, il est ce qui sera « dénoué » à la fin de la pièce. Bénédicte Louvat définit ainsi le noeud :
Il met un ou plusieurs personnages aux prises avec un péril ou un obstacle et montre le conflit entre des volontés. Il comporte en son centre ou sa fin un coup de théâtre (une péripétie) qui a pour conséquence de modifier l’action des personnages
Bénédicte, Louvat, .op. cit., p. 75.
Claude Boyer déclare dans sa Préface que c’est dans le troisième acte de sa pièce que « le nœud du sujet se forme et brille davantage ». L’acte III contient en effet le moment clé du couronnement de Darius et de la demande d’Aspasie comme faveur (III, 3). C’est là que tout se noue car l’obstacle nécessaire du père qui s’oppose aux désirs personnels de son fils, se met en place : Artaxerce aime lui aussi Aspasie. On peut considérer qu’une fois que le nœud a été préparé par les actes I et II, il éclate à l’acte III, et se poursuit jusqu’au dénouement c’est-à-dire jusqu’à l’acte de générosité d’Artaxerce au milieu de la scène 6 de l’acte V (v. 1590) qui constitue donc la dernière péripétie du nœud.
Nous avons vu que l’intrigue de la pièce a été posée dès l’exposition : une action principale, la rivalité entre Darius et le Roy pour Aspasie, et un épisode ou action secondaire, celui de l’ambition de Tiribaze de régner à travers sa fille Nitocris en lui faisant épouser l’héritier. Les liens entre action principale et épisode se resserrent à l’acte III car Darius refuse d’épouser Nitocris et demande à la place la main d’Aspasie. Il entre ainsi en conflit avec Tiribaze et Nitocris qui vont vouloir se venger de cet affront, et avec son père en se posant comme un rival. La mort finale de Darius semble donc inévitable et, si son père le gracie, il ne réchappe pas à la condamnation du traître Tiribaze qui le tue. Tout au long de la pièce, action principale et épisode vont désormais être en interdépendance et s’influencer l’un, l’autre. En effet, c’est suite à l’affront du refus de Nitocris que Tiribaze et sa fille décide de monter le père et le fils l’un contre l’autre. Tiribaze encourage Darius à enlever Aspasie tout en avertissant Artaxerce. Il fait ensuite pression sur Le Roy pour qu’il condamne Darius pour son attentat. Mais Le Roy propose à Darius de le gracier à la condition qu’il épouse Nitocris. Encore une fois, l’épisode vient « embarrasserDiscours du poème dramatique, [in] Œuvres complètes, éd. G. Couton, Pléiade, vol III, p. 139 : « (…) [Les épisodes] doivent avoir leur fondement dans le premier acte, et être attachés à l’action principale ; c’est-à-dire, y servir de quelque chose, et particulièrement ces personnages épisodiques doivent s’embarrasser si bien avec les premiers, qu’un seul [sic] intrigue brouille les uns et les autres. »
(…) l’épisode, action secondaire et généralement inventée, qui doit si bien se combiner avec l’action principale que l’un et l’autre ne fasse qu’une intrigue et assurent l’enchaînement des causes et des effets
Voir Georges Forestier dans son introduction à Jean, Racine, .Œuvres complètes, éd. citée, Pléiade vol. I, p. XLIII.
Intéressons-nous à présent aux obstacles qui constituent le nœud. On trouve ici l’obstacle dit, selon Jacques Scherer, de « type primitif », celui où « la volonté du héros se heurte à celle d’une autre personne ou à un état de fait contre lequel il ne peut rien »op. cit., p. 62-80.Mithridate de Racine.
Mais on peut considérer que pour les personnages de Darius et d’Aspasie, cet obstacle du père d’ « extérieur » devient « intérieur » selon la définition qu’en donne Jacques Scherer :
Un obstacle n’est intérieur que si l’on veut bien qu’il le soit, il suffit que le héros en admette la légitimité et accepte de s’y soumettre ou de lutter contre lui, au lieu de se dérober en donnant à ses désirs un autre objectif, ou en le fuyant
Jacques, Scherer, .ibid.
En effet, Aspasie, elle, admet la légitimité de l’obstacle qui devient donc intérieur pour elle. Elle accepte de s’y soumettre ce qui la conduit à s’offrir généreusement au Roy (V, 6, v. 1462-1469). Mais faisant cela, elle devient elle même un obstacle intérieur pour Darius car en tant qu’amant il se heurte à la volonté de sa maîtresse de suivre son devoir. Darius, pour sa part, décide de lutter contre son père : il va le supplier, le menace de se suicider s’il n’obtient pas Aspasie (IV, 4, v. 968-977), tente d’enlever celle-ci mais, il finit par se soumettre car il ne peut se résoudre à l’unique solution qui lui reste, à savoir le parricide. Les scènes où les deux amants sont tous les deux seuls sont assez révélatrices de leur divergence d’attitudes face à un obstacle intériorisé notamment par l’usage final de la stichomythie (III, 6, v. 904-905 et IV, 6, v. 1120). Face à ces obstacles, on constate que finalement, peu de décisions sont prises par les personnages principaux eux-mêmes et ce sont plutôt les péripéties qui permettent de faire avancer l’actionArtaxerce une tragédie des passions avec notre analyse des monologues des personnages principaux qui met en avant les dilemmes tragiques auxquels ils sont confrontés, dilemmes qui bloquent toute prise de décision ou action émanant de leur seule volonté.
Les péripéties sont aussi appelées « coup de théâtre » ou « changement de fortune ». Ce sont, comme les obstacles, des éléments constitutifs du nœud. Il convient toutefois de distinguer « la péripétieLa Poétique, éd. M. Magnien, Paris, Le Livre de Poche classique, 1990, chap. XI, p. 101-102 : « La péripétie est, comme on l’a dit, le retournement de l’action en son sens contraire ; et cela, pour reprendre notre formule, selon la vraisemblance ou la nécessité ». op.cit., p. 86, prend l’exemple de Mithridate de Racine : « Quand Mithridate, dans Racine, décide de faire mourir Monime, cette décision est une péripétie pour Monime, parce qu’elle constitue un événement qui ne dépend pas d’elle, un accident qui modifie sa propre situation ».Artaxerce ?
En tant qu’événements qui font basculer l’action, les péripéties se concentrent dans l’acte III de notre pièce, au moment de la naissance du noeud, c’est-à-dire ce moment de bouleversement, où les relations entre les personnages changent pour devenir conflictuelles. On peut considérer alors trois péripéties successives : le refus de Darius d’épouser Nitocris (III, 2), la demande d’Aspasie comme faveur par Darius (III, 4), l’aveu du Roy de son amour pour Aspasie (III, 5). Ces événements inattendus, créateurs de surprise, sont mis en valeur par les exclamations des personnages qui les ressentent comme des péripéties pour eux
Toute dernière partie de la tragédie, le dénouement marque le moment où littéralement on « dénoue » les fils des intrigues. Alors, s’opère le basculement de l’action et le passage le plus souvent en tragédie, du bonheur au malheurCinna présente une fin heureuse.op. cit., p. 215-216 : « Chez Aristote (…) l’action simple est celle qui assure le passage du bonheur au malheur de façon continue, sans recourir à un coup de théâtre (…), l’action complexe, inversement, est celle dans laquelle le dénouement est provoqué par un coup de théâtre qui déjoue l’attente des spectateurs et suscite par là un violent effet de surprise ».Cinna de Corneille. On peut qualifier d’ailleurs la pièce de Corneille de « pièce simple à l’action complexe » selon Georges Forestier, avec le coup de théâtre constitué par l’acte de générosité d’Auguste qui gracie Cinna. Voir Georges, Forestier, ibid. Antigone de Sophocle : Créon gracie Antigone, mais trop tard, elle est déjà morte.
En fait, on peut considérer que dans Artaxerce, le dénouement est constitué par la mort de Darius malgré le coup de théâtre inutile car trop tardif de la clémence. La pièce ne se termine pas sur le moment heureux de l’acte de générosité du Roy car quasi simultanément nous sont annoncées deux événements, les morts de Darius tué par Tiribaze, et de Tiribaze lui-même, tué par Oronte prompt à venger son maître. Il semble donc que l’action secondaire rejaillisse sur l’action principale, c’est le traître Tiribaze qui, même s’il meurt, a le dernier mot. Il parvient à contrer la grâce royale et à conduire Darius à la mort. En effet, c’est parce que Tiribaze se refuse à voir Darius gracié, qu’il le tue de son propre chef. Une fois ce dénouement délimité, voyons si celui-ci répond à ce qu’on attend habituellement d’un dénouement de tragédie.
Selon Jacques Scherer, le dénouement dans la dramaturgie classique doit être : « nécessaire, complet, et rapideop. cit., p. 125-146.Attila pour préparer le dénouement. En effet, Attila meurt à la fin d’une hémorragie. Pour rendre cette mort vraisemblable, Corneille prend soin de souligner dès le début de sa pièce qu’Attila est sujet « chaque jour » à des hémorragies dont la violence est proportionnelle à sa colère. Ici Boyer souligne dès le début qu’Artaxerce se distingue des autres rois par sa générosité.
Aussi les poètes habiles préviennent leurs lecteurs, et pour les laisser avec quelque appetit, ils ne concluent pas entièrement leur pièce : ils mettent seulement les choses en tel état que le lecteur devine facilement le resteNouvelles réflexions sur l’art poétique, 1668, p. 148-149.
Enfin, le dénouement est rapide, puisqu’il est concentré à la fin de la pièce sur une scène (V, scène dernière). Ce dénouement est donc soucieux de répondre aux attentes du spectateur, et aussi de respecter les bienséances puisqu’une partie reste invisible. En effet, la violence étant proscrite de la scène on assiste au récit d’Oronte concernant les morts successives de Tiribaze (V, 7, v. 1543-1561) et de Darius (V, 7, v. 1563-1577), procédé fréquent en tragédie. Sa forme est également très classique car il rassemble sur la scène l’ensemble des personnages restants comme pour se soutenir et atténuer la tristesse de cette fin. On note en effet la tonalité funeste qui correspond bien à ce que l’on attend habituellement d’une fin de tragédie, les personnages allant se réfugier auprès des dieux : « Allons, Madame, allons fléchir les Immortels, / Et porter nos regrets au pied de leurs Autels » (V, 7 v. 1584-1585).
L’étude de l’action d’Artaxerce nous a donc montré combien cette pièce est conforme aux règles et au goût classique de l’époque. Construite sur le mode de la marche à rebours, elle nous présente son dénouement comme imprévisible et pourtant inexorable. Chaque moment de l’action : exposition, nœud, dénouement, tente de répondre aux attentes du public et de susciter son intérêt. Le rythme de la pièce contribue également à maintenir le spectateur en haleine comme nous allons le voir à présent.
Notre pièce correspond dans sa forme aux critères du goût classique définis par l’Abbé d’AubignacPratique du Théâtre, livre III, ch. V, p. 214.Artaxerce présente un total de mille cinq cent quatre-vingt cinq vers, chaque acte contenant environ trois cent vers, et le nombre de scènes par acte varie de cinq (acte I et II) à neuf (acte IV).crescendo, plaçant ainsi le sommet d’émotion, le climax, à la toute fin de la pièce, lors du dénouementibid., souligne l’importance des derniers actes : « [… que les derniers actes] aient toujours quelque chose de plus que les premiers, soit par la nécessité des événements, ou par la grandeur des passions, soit par la rareté des spectacles ».
Si l’on se réfère à la définition de Jacques Scherer, l’acte « n’est pas une division arbitraire de la pièce », il a « son unité et son individualité », « il tend à former un ensemble organiqueop. cit., p. 196-213.
Le plus souvent les actes classiques n’ont qu’une grande scène ; quand ils en ont deux, celles-ci « s’entreproduisent », si l’on veut, mais en un sens assez spécial : la seconde pourrait bien résulter de la première (…)
Jacques Scherer, .ibid.
Comment sont donc réparties les grandes scènes dans chacun de nos actes ?
Concernant les actes I et II qui sont des actes essentiellement d’exposition et qui lancent l’action, il n’y a pas vraiment de scène majeure qui se dégage. De même, l’acte IV où le nœud se resserre ne comporte pas de scène qui supplante les autres par son importance. Mais, pour l’acte III où le nœud éclate, on peut dire qu’on a trois grandes scènes (les scènes 2, 3, 4). La scène la plus importante est la scène 3, mise en valeur par sa position centrale dans l’acte et dans la pièce. C’est ce grand moment de tension où Darius demande comme faveur la main d’Aspasie et essuie un refus de la part du Roy. Cette scène a été préparée par la scène 2, autre grand moment de tension où Darius a refusé la main de Nitocris. Enfin, de cette scène 3 découle une autre scène importante, la scène 4 dans laquelle Le Roy avoue publiquement son amour pour Aspasie et lui laisse le choix. On peut ici dire les scènes 2, 3 et 4 « s’entreproduisent », au sens ou l’entend Scherer, c’est-à-dire que la scène 4 résulte de la scène 3 qui résulte de la scène 2. Ensuite, c’est à l’acte V que nous pouvons dégager deux scènes importantes, cette fois non pas centrales mais ramassées à la fin de l’acte et donc de la pièce puisqu’il s’agit des deux dernières scènes (V, 6 et 7). Tandis qu’Artaxerce décide de gracier son fils (V, 6), Tiribaze en colère assassine Darius et est tué lui-même (V, 7). On peut donc considérer que notre pièce connaît deux grands moments d’accélération du rythme en fonction de cette étude de la répartition des grandes scènes : le cœur de l’acte III et donc de la pièce, et la fin de la pièce sont les deux climax. Toutefois hors de ces grands moments, il est d’autres scènes qui ont une forte valeur dynamique, ce sont les dernières scènes de chaque acte.
La valeur dynamique des dernières scènes de chaque acte est primordiale car celles-ci sont suivies d’un moment de pause, l’entracte. Il faut donc éveiller la curiosité du spectateur, le mettre dans l’expectative pour qu’il ait envie de savoir ce qui va se passer. Dans Artaxerce, les fins des actes I, II, et III sont marquées par des prises de décisions : Nitocris suite au choix de son père de lui donner Darius comme époux, décide d’aller voir Aspasie pour gagner sa faveur et que celle-ci influence le Roy pour ce choix ( fin acte I), le Roy sur les conseils de Tiribaze, décide de couronner Darius et de lui donner Nitocris pour épouse (fin acte II), Darius décide d’aller supplier le Roy pour qu’il lui cède Aspasie (fin acte III). Toutefois, chaque prise de décision engendre en fait de nouveaux conflits et le point final n’est qu’apparent comme le souligne Jacques Scherer : « Le spectateur loin de considérer que le problème est réglé, ne peut que se demander quel sera le prochain problèmeop. cit., p. 196-213.
La scène d’explication ou de commentaire sur des événements dont le spectateur a été témoin mais dont il n’a pas pu comprendre la véritable portée parce qu’une donnée lui manquait
Jacques Scherer, .ibid.
En effet, Tiribaze dévoile ici son plan de vengeance à Nitocris, mais aussi au spectateur : il compte monter le fils et le père l’un contre l’autre :
TIRIBAZE Ton courage me rend une entiere assurance. Vangeons-nous promptement, perdons nos Ennemis, Faisons armer le Roy contre son propre Fils ; Mais envoyons au Fils des Amis infidelles, Qui feignant de servir ses fureurs criminelles, Par un zele trompeur, loin de le secourir, Aideront seulement à le faire périr. (IV, 9)
Ces révélations apportent pour le spectateur un éclairage nouveau sur la scène précédente. On comprend pourquoi Tiribaze a encouragé Darius à contrer son père en lui révélant le projet d’enlèvement d’Aspasie de ce dernier (IV, 8). Il conduit implicitement Darius à se révolter et à agir tout en projetant de le trahir en informant parallèlement Artaxerce. Cette forme de fin d’acte n’est donc pas tournée uniquement sur l’avenir, elle explique aussi le passé. Le spectateur qui est mis dans le secret, est satisfait et en même temps curieux et inquiet de l’avenir car il se demande si le personnage va parvenir à ses finsBritannicus de Racine où Narcisse révèle sa duplicité et met le spectateur dans la crainte concernant le sort du prince : « Et pour nous rendre heureux, perdons les misérables » (v. 757-760).
L’entracte correspond à l’intervalle entre deux actes, rien ne se passe sur scène et pourtant ce moment ne constitue pas un vide dans la pièce. En effet, certains événements ont souvent alors lieu hors scène et ils nous sont révélés à l’acte suivant. Il s’agit souvent d’actions violentes que proscrivent les bienséances, d’actions qui rompraient la règle de l’unité de lieu, ou encore d’actions ayant trop peu d’intérêt pour être représentées. Il faut justifier ce moment de pause et le « vrai entracte » doit donc véritablement instaurer une rupture entre les deux actes, c’est pourquoi remarque Jacques Scherer, « le même acteur qui ferme un acte ne doit pas ouvrir celui qui suit, à moins qu’on sache qu’il a agi ailleurs dans l’intervalle ou à moins que ses interlocuteurs n’aient changé au cours de l’acteop. cit., p. 196-213.Artaxerce nous n’avons que des « vrais entractes » puisqu’on a toujours au moins le changement d’un des personnages. Toutefois, la plupart du temps on observe une continuité événementielle, il semble que rien ne se soit passé pendant l’intervalle de deux actes
Pour les doctes, il convient en effet d’éviter à tout prix que le théâtre reste vide car cela conduirait le spectateur à se rappeler qu’il est au théâtreArt Poétique, chant III, v. 407-408, déclare : « Que l’action marchant où la raison la guide, / Ne se perde jamais dans une scène vide ».op. cit., p. 83.Artaxerce ?
Dans Artaxerce, la liaison de présence est respectée à chaque changement de scène. Elle constitue le type le plus fréquent à partir de 1650 et D’Aubignac la définit ainsi :
La liaison de présence est quand en la scène suivante, il reste sur le théâtre quelques acteurs de la précédente
Abbé d’Aubignac, .op. cit., livre III, ch.VII, p. 244.
On note le souci également constant tout au long de la pièce de justifier chaque entrée ou sortie de personnage. Ce souci se manifeste par l’emploi fréquent de notations visuelles pour souligner une arrivée
(…) lorsque la sortie des personnages est justifiée, et dans ce cas clairement formulé, parce qu’ils voient arriver un autre personnage ou un groupe de personnages
Bénédicte, Louvat, .op. cit., p. 83.
Il s’agit du moment où Aspasie tente de fuir à la vue du Roy mais que celui-ci la rattrape, on n’a donc pas une liaison de vue mais encore une fois une liaison de présence, puisqu’elle reste finalement sur scène :
ASPASIE. […] Mais le Roy vient icy.Que luy diray-je ? Helas ! Mon amour… mon dépit…Evitons sa présence. SCENE IV.LE ROY. Me fuyez-vous ? A qui puis-je avec assurance Confier mieux qu’à vous les troubles de mon coeur Chargé du nouveau soin de faire un Successeur ? (II, sc. 3-4).
Remarquons toutefois que la liaison de présence récurrente dans notre pièce s’autorise quelques entorses par rapport à sa stricte définition. En effet, alors qu’elle ne doit présenter qu’une seule entrée ou sortie de personnage à la fois comme le souligne Jacques Schererop. cit., p. 271-283, explique que « la liaison de présence implique qu’il n’y ait qu’une entrée ou qu’une sortie d’acteurs à la fois », car sinon on a affaire a une liaison de vue.
Le rythme des scènes est très varié. Nous avons des scènes plutôt statiques, au rythme assez lent comme les scènes maître-confident qui ouvrent souvent les actes, les monologues placés souvent avant ou après des moments de forte tension car ils permettent un retour au calme et à la réflexion après l’action, et surtout un approfondissement des conséquences psychologiques d’un nouvel événement sur le personnage
DARIUS. Que cherchez-vous icy ? TIRIBAZE. J’y cherchois Aspasie. C’est par ordre du Roy. DARIUS. Quelle est donc son envie ? TIRIBAZE. J’ignore son dessein. DARIUS. Ignorez-vous le mien ? TIRIBAZE. J’exécute son ordre, et n’examine rien. (IV, 8, v. 1130-1133) Pour les scènes d’aveux voir III, 4, v. 711-714, l’aveu public de Darius, voir III, 5, v. 792-794, l’aveu public du Roy ; le duo lyrique des amants qui s’achève en stichomythie (III, 6, v. 904-905). Pour les scènes de confrontation, voir aussi l’usage de la stichomythie entre Darius et Le Roy (IV, 4, v. 1024-1027), enfin pour les scènes de dénouement voir acte V, liaison 6-7, v. 1525-1529.
Cette étude de l’action d’ Artaxerce, puis plus particulièrement du rythme de cette pièce, nous révèle donc une œuvre qui, loin de s’enfermer dans les règles, sait tirer parti de sa forme très classique. En effet, elle se révèle être une pièce vivante, soucieuse de naturel pour maintenir le spectateur en haleine. Mais, si nous avons vu que la modification des sources entraînait la modification de la structure de l’action, elle entraîne alors aussi la modification des personnages puisque selon la définition de Saint Evremond, il faut faire « entrer les Caractères dans les sujetsLettre à Messieurs de ***, réunie avec d’autres lettres dans une « Défense de quelques pièces de théâtre de Mr. Corneille », [in] Œuvres en prose, éd. R. Ternois, vol. IV, Paris, STFM, 1969, p. 429 : « J’ai soutenu que pour faire une belle Comédie, il fallait choisir un beau sujet, le bien disposer, le bien suivre, et le mener naturellement à sa fin ; qu’il fallait faire entrer les Caractères dans les sujets, et non pas former la constitution des sujets d’après celle des Caractères (…) »Artaxerce : Comment entrent-ils dans le sujet de la pièce ?
Dans cette partie, nous nous proposons d’étudier comment les « Caractères entre [nt] dans les sujets
Artaxerce comporte neuf personnages. Pour établir une hiérarchie, on peut comparer leur importance respective en étudiant pour chacun d’entre eux à la fois leur temps de présence sur scène et leur volume de parole
Le personnage le plus présent est le Roy (15 sc. / 32 sc.), il est aussi celui qui parle le plus (383, 5 v. / 1585 v.). Personnage éponyme, il est bien le héros de notre pièce. Toutefois, on note que son fils Darius est quasiment autant présent (14 sc.), avec cependant un volume de parole moins élevé (315, 5 v.). Lui aussi est mis en valeur puisqu’il ouvre la pièce. Cet équilibre est au service du sujet de la pièce, à savoir, la rivalité du père et du fils. Nous avons vu l’importance des deux personnages au moment du dénouement constitué à la fois de l’acte de générosité d’Artaxerce et de la mort de Darius. On peut donc parler d’une pièce à « héros multiplesop. cit., p. 19-50, remarque qu’à la fin du siècle, « on se lasse de la technique du héros prodigué », « les auteurs désirent construire des pièces plus complexes, intéressant le public à plusieurs héros dont aucun ne peut s’effacer devant les autres ».
Le personnage de Tiribaze, quoique secondaire, se remarque par sa forte présence (11sc. / 32), et son volume de parole élevé (271, 5 v.). Il est donc davantage sur scène qu’Aspasie et n’est pas loin de son volume de paroles. Comme le souligne Jacques Scherer, « à l’époque classique, c’est à ses ennemis que le héros rare cède sa place », et il semble bien qu’ici Aspasie s’efface devant Tiribaze. De plus, Tiribaze occupe la scène 1 de l’acte III, place privilégiée qui ouvre l’acte et qui est habituellement réservée aux héros. Sa fille Nitocris quant à elle ouvre l’acte V, est présente sur neuf scènes, soit quasiment autant qu’Aspasie. Toutefois, son temps de parole est bien moindre que celui des autres personnages (188, 75 v.). Mais on voit ici que les ennemis tout autant que les héros sont mis en valeur dans notre pièce. Tiribaze et sa fille sont présents dans tous les actes et occupent à eux deux quatorze scènes de la pièce, soit autant de scènes que Darius !
Enfin, on distingue des personnages annexes qui n’apparaissent que très ponctuellement et parlent peu, ce sont les confidents. Parmi eux, notons la suprématie d’Oronte qui occupe seulement deux scènes mais les scènes qui ouvrent et ferment la pièce, et dont le volume de parole est très élevé par rapport aux autres confidents (90, 5 v.). Viennent ensuite les confidentes Barsine et Cleonne, et le capitaine des gardes Mindate, personnages qui n’aparaissent que très peu et ne prononcent pas plus d’une quinzaine de vers chacun. Enfin, la Suite du Roy, muette, mais présente dans les moments clés que sont le couronnement de Darius (III, 4) et la scène finale.
Parmi nos personnages, on peut dégager différents groupes selon les liens ou les types de relations, conflictuelles ou alliées, qui les unissent. On distingue divers couples maître-confident qui apparaissent d’une manière générale aux premières scènes des actes
Attachons nous maintenant aux couples de personnages qui s’opposent. Aspasie et Nitocris forment un couple féminin antithétique puisque à la sagesse d’Aspasie s’opposent l’orgueil et l’ambition de NitocrisPréface : « N’est-ce pas aussi un ornement bien naturel dans mon Ouvrage, d’y voir cette opposition de la sagesse d’Aspasie qui sacrifie sa passion à son devoir, et de l’orgueïl de Nitocris ? » (l. 228-230). Voir aussi leur dialogue en II, 2.
Enfin, on remarque dans cette pièce la primauté des relations triangulaires, propices aux conflits. Certains personnages sont comme « tiraillés » par deux autres qui les influencent dans des sens opposés. C’est le cas d’Aspasie, partagée entre son amour pour Darius et son devoir envers son roi. C’est le cas de Darius partagé entre son amour pour Aspasie et son respect pour son père. Mais le personnage le plus « tiraillé » est certainement le Roy. Il subit les influences contraires de ses deux conseillers, Tiribaze et Aspasie ; il est partagé entre son amour de père pour Darius et sa passion amoureuse pour Aspasie. Ce déchirement semble donc bien être le propre de nos personnages principaux
Artaxerce, personnage éponyme, bien qu’il soit toujours appelé Le Roy dans la pièce, est le plus présent et constitue à n’en pas douter l’un des héros si l’on se réfère à ce que nous en dit Jacques Scherer :
Il n’y a point de définition précise du héros. Mais le spectateur ni le lecteur ne s’y trompent : ils savent bien que les héros sont ceux qui les intéressent, qui font battre leur cœur ou qui séduisent leur esprit
Jacques, Scherer, .op. cit., p. 19-50.
En tant que roi et père, il est la figure même de l’autorité dans la pièce. Le roi est un personnage traditionnel du genre de la tragédie qui satisfait au goût de la « pompe » des contemporains de Louis XIV. De plus, c’est un moyen pour Boyer d’adresser un compliment à son roi comme il l’avoue lui-même dans sa Préface, et de tenter de gagner ainsi sa protection :
J’avoüe que j’ay flaté Artaxerce, et qu’ayant dessein, en faisant son Portrait, de faire celuy de Loüis le Grand, qui est seul semblable à luy-mesme, il falloit pour le faire ressembler à son Original, donner au Héros de ma Piece une sorte de grandeur qui appartenoit à un Héros plus achevé (…)
Voir lignes 126-129. Voir aussi Lancaster, .op. cit., t. IV, p. 218-222, qui souligne l’échec de la tentative de Boyer : « The attempt to praise Louis XIV in its text did not silence Boyer’s critics ». Soulignons que Racine avec sonAlexandre Le Granden 1665 avait déjà adopté cette stratégie. Il y vantait la clémence du roi envers Porus vaincu, s’inscrivant dans le contexte de la propagande des années 60-70 en faveur de Louis XIV.
On note la volonté de Boyer de retenir du personnage de Plutarque un trait essentiel, la générosité. Rappelons ici le portrait élogieux qu’Aspasie nous fait du souverain :
Libéral, tout le monde est plein de ses bienfaits, Et n’offre à ses regards que des cœurs satisfaits ; Juste et clément ensemble, adoré quoy qu’il fasse, Ou quand sa main punit, ou quand sa main fait grace ; Donnant tout, faisant tout, pour le bonheur d’autruy, Sans chercher, ny garder que la gloire pour luy. (II, 1, v. 350-370)
On pense bien sûr aussi à l’acte de générosité du dénouement où il gracie son fils qui a failli commettre un parricide et lui cède AspasieCinna de Corneille, qui gracie Cinna coupable d’une tentative de conjuration contre lui et qui lui cède Emilie. On pense aussi à Alexandre dans Alexandre Le Grand de Racine, qui rend à Porus vaincu ses états et lui cède Axiane.préface de Georges Forestier, p. 15-17, [in] Pierre, Corneille, Cinna, édition de Georges Forestier, Gallimard, coll. Folio, 1994.Bérénice de Racine, ou encore à Mithridate amoureux de Monime dans Mithridate de Racine.
Quelque nom que je prenne, ou de Fils, ou de Frere, Ou de Pere ou d’Amant, Ciel ! quelle est ma misere ! Fils, je voy dans ma Mere un cœur trop inhumain ; Frere, je fais périr un Frere de ma main ; Pere, je voy qu’un Fils veut m’oster ce que j’aime ; Amant…Ah c’est icy mon desespoir extréme. (IV, 5, v. 1054-1059)
Une fois, ce portrait complexe dégagé, on peut s’interroger sur la construction de ce personnage. Si l’on se réfère à Bénédicte Louvat, « quatre critères président depuis Aristote, à la constitution des personnages : la qualité, la convenance, la ressemblance et la constanceop. cit., p. 93.
Le premier critère, la « qualité » demande que l’auteur s’astreigne à « peindre des caractères purs et entiers qui suscitent par leur traitement même une forme d’admiration ». Or, nous avons vu que notre personnage se caractérise par son souci constant de faire le bien de ses sujets et que son acte de générosité final soulevait l’admiration du spectateur. On peut donc affirmer qu’il satisfait ce critère. Passons au second critère, la « convenance ». Appelé aussi critère de bienséance, ce critère demande que « chaque personnage ait le caractère et parle le langage qui convienne à son âge, son sexe et sa condition ». Artaxerce se doit d’agir en roi, c’est-à-dire conformément à l’image que le public de l’époque se fait du comportement d’un roi. Un roi ne doit pas se laisser aller à des soucis d’ordre personnel, il doit savoir commander à ses sentiments. Pour cette raison, Artaxerce un moment égaré par son amour pour Aspasie, reprend finalement conscience de ses devoirs et cède celle-ci à son fils. S’il est un moment tenté de quitter le trône (II, 4, v.556-557), conscient de son rôle à jouer auprès de son peuple, il abandonne bien vite ce projet. Par cette notion de contrat qui le lie à son peuple, consistant en des droits et devoirs respectifs, il se distingue bien du tyran. On peut cependant lui imputer une faute, à savoir sa faiblesse envers son favori Tiribaze qui le conduit à vouloir condamner son fils ce qui soulève par la même occasion un thème fréquent à l’époque, celui des mauvais conseillers qui gravitent autour du roi. Artaxerce se rend compte de cette faiblesse qui est indigne d’un roi, lors du dénouement : « Est-ce à luy que j’avois confié ma puissance ? » (V, 7, v. 1561). Toutefois on peut considérer comme Boyer dans sa Préface que cette faute ne contrarie pas la « convenance » du personnage et l’imputer justement à l’ethos de ce roi qui est fondamentalement généreuxPréface, l.152-157 : « C’est par là qu’il est aisé de répondre à ceux qui m’ont reproché d’avoir donné à un Roy que je peins avec tant de grandeur, un peu trop de facilité pour son Favory Tiribaze (…) Cette inclination genéreuse qu’il avoit à faire du bien, et à oublier le mal qu’on luy faisoit, justifie sa conduite ; il aima mieux se faire soupçonner d’avoir un peu de foiblesse, que de manquer à sa reconnoissance ».Marianne de Tristan L’Hermitte…Préface, l. 141-146: « C’est de ce mesme principe que venoit encore sa bonté envers ses Parens, et sa douceur envers ses Sujets ; Vertus rares et singulieres pour un Roy de Perse, dont les Roys ordinairement affectoient une majesté inaccessible, et une sevérité odieuse. Ce sont ces Vertus où je me suis attaché, et dont j’ay formé les principaux traits du caractere d’Artaxerce, parce qu’elles ont plus d’éclat, et plus de rapport avec tout ce qui se passe dans la principale Action de mon Sujet ». Voir aussi notre étude des sources.PréfacePréface, l. 172-177 : « (…) mais ne sçait-on pas qu’il est du caractere d’un Amant, quelque sage qu’il soit, de s’emporter quelquefois pour les interests de son amour, et que c’est une de ces foiblesses excusables qu’on pardonne aux plus grands Héros. Il suffit qu’apres de grands combats qu’il rend contre sa passion, il cede à cette genereuse bonté, qui est comme sa vertu dominante qui triomphe de son amour, et donne Aspasie à son Fils ».
On voit ainsi comment Boyer s’attache à créer un personnage conforme aux « bienséances » en choisissant comme trait de caractère essentiel la générosité du personnage, le rendant ainsi conforme à l’image que le public se fait d’un roi à l’époque. Toutefois, dans un souci de « ressemblance », il laisse son personnage céder à la colère, mais cette rupture de la « constance » du caractère est justifiée par sa passion amoureuse, elle reste éphémère et notre Roy révèle sa « qualité » dans son acte final de générosité.
Nous avons vu qu’il est l’autre grand héros de notre pièce. Darius est un jeune homme valeureux qui s’est illustré lors de la bataille contre les Grecs qui a eu lieu récemment, comme le souligne Oronte :
Le Roy doit couronner vostre âge et vos exploits, Mesme il semble, Seigneur, qu’en attendant son choix, Vous fustes par avance au milieu de l’Armée Nommé par la Victoire et par la Renommée. (I, 1, v. 17-24)
C’est lui le prince héritier, « Moy l’Héritier du Trône » (I, 1, v.83), et il fait preuve d’une grande noblesse, se refusant à toute forme de corruption pour accéder au pouvoir : « Mais s’il falloit rougir pour un Trône à gagner, / J’aimerois mieux cent fois obeïr que régner » (I, 2, v. 160-161). Il apparaît comme très respectueux envers son père ce qui explique son incapacité à commettre le parricide comme le souligne le récit du Roy (V, 3, v. 1333-1337)Antigone qui ne parvient pas à achever le parricide et à tuer Créon.op. cit., p. 19-50.
L’ambition n’est rien, j’écoute une autre voix. Le Trône ne vaut pas ce qu’on souffre de blâme A prier un Sujet qu’on déteste dans l’ame ; Mais l’amour qui nous rend plus foibles, plus soûmis, Descend jusqu’à prier nos plus grands Ennemis (…) (I, 1, v. 101-105)
Toutefois, se pose pour ce personnage le problème de l’entorse au critère de la « constance » car il cède à la colère contre son père et tente d’enlever Aspasie contre la volonté de celui-ci. Mais, comme le souligne Boyer dans sa PréfacePréface, l. 202-213.ethos de jeune homme. En effet, selon Aristote dans sa Rhétorique :
Les jeunes gens sont par caractère enclins aux désirs et portés à faire ce qu’ils désirent. Entre les désirs corporels, ils sont surtout asservis à ceux de l’amour et impuissants à les maîtriser (…) Ils sont changeants et propres au dégoût (…) Ils sont bouillants, emportés, enclins à suivre leur impulsion. Ils sont dominés par leur ardeur ; leur ambition ne leur permet pas de supporter le dédain, et ils s’indignent, s’ils croient subir une injustice
Aristote, .Rhétorique, éd. M. Dufour, Paris, Les Belles Lettres, 1967 [1re éd. 1938] (2 vol.)
De plus, il agit sous l’influence de causes extérieures. Il souffre une injustice car il apprend que son père projette d’enlever Aspasie en secret pour l’épouser, et il est trahi dans sa tentative d’enlèvement par des amis infidèles. Ainsi, la rupture de la « constance » du personnage n’est que temporaire et se justifie à la fois par son ethos de jeune homme, par des causes extérieures, et par sa passion à laquelle il cède temporairement. Darius par ce moment d’égarement qui le conduit à presque attenter sur son père représente l’image du héros imparfait. Il commet une faute et répond en cela à la définition du héros tragique selon Aristote dans sa Poétique :
Un homme qui sans être incomparablement vertueux et juste, se retrouve dans le malheur non à cause de ses vices ou de sa méchanceté mais à cause de quelque erreur
Aristote, .La Poétique, éd. M. Magnien, Paris, Le Livre de Poche classique, 1990.
Racine reprend lui aussi cette définition du héros imparfait et en cela, Darius peut-être comparé à un personnage comme Britannicus, qui faute lui aussi par excès de jeunesseBritannicus de 1670 : « Les autres se sont scandalisés que j’eusse choisi un homme aussi jeune que Britannicus pour le héros de ma tragédie. Je leur ai déclaré, dans la préface d’Andromaque, les sentiments d’Aristote sur le héros de tragédie ; et que bien loin d’être parfait, il faut toujours qu’il ait quelque imperfection. Mais je leur dirai encore ici qu’un jeune prince de dix-sept ans, qui a beaucoup de cœur, beaucoup d’amour, beaucoup de franchise et beaucoup de crédulité, qualités ordinaires d’un jeune homme, m’a semblé très capable d’exciter la compassion » (voir Jean, Racine, Œuvres complètes, éd. citée, Pléiade, vol. I).
Aspasie se caractérise tout au long de notre pièce par sa sagesse et sa modération, elle est la « modeste Aspasie » (I, 1, v. 65). Elle se distingue par sa beauté dont Darius souligne les charmes, « Tout plein de la beauté dont j’adore les charmes » (I, 1, v. 44), tout comme le Roy : « Et sa pitié donnant plus de force à ses charmes, / Me rendit trop sensible à de si belles larmes » (II, 5, v. 586-587). Jeune femme étrangère, « Du Païs d’Ionie en ces Lieux amenée » (II, 1, v. 326)ethos de jeune femme, elle est très soumise et soucieuse de respecter son roi. Elle ressent des remords de ne pouvoir l’aimer : « Oüy, c’est une fureur, une rage obstinée, / D’apprendre son amour, et de ne l’aimer pas » (III, 6, v. 867-870) et veut se punir de l’outrager en lui préférant Darius. Ainsi, après un certain déchirement car elle aime sincèrement Darius : « Oüy, Seigneur, je vous aime, et ce cœur qui soûpire, / Se voyant malgré luy forcé de vous le dire, /En devroit à vos yeux expirer de douleur » ( III, 6, v. 850-852), elle se décide dans un premier temps à avouer son amour au Roy pour qu’il l’en punisse (IV, 6), puis elle se résout même à l’épouser :« Me voila toute preste à vous donner la main » (V, 6, v. 1469).Ce sacrifice de soi provoque notre admiration et ainsi on peut qualifier Aspasie de personnage cornélien car son ethos parvient à soumettre son pathosArtaxerce une tragédie des passions.
Tiribaze est le favori du Roy, il exerce une grande influence sur son maître et se désigne lui même comme « l’Arbitre de son choix » (I, 4, v.213) pour décider du successeur au trône. Il est le type même de l’ambitieux, avide de pouvoir. S’étant vu refuser la main de la princesse Amestris en dépit des services rendus à la couronne : « Le Roy me refusa la Princesse Amestris » (I, 4, v.200)Alcionée de Du Ryer qui, au début de la pièce, se voit refuser la fille du roi en dépit des services rendus au royaume car au XVIIe une fille de roi ne peut épouser qu’un roi.
On sçait par quels conseils je sauvay cet Empire, Quand vostre Oncle Cyrus vint attaquer le Roy ; On sçait quels coups pour luy je détournay sur moy, Et qu’aux plus grands périls ma vie abandonnée, Par mon sang prodigué marqua cette journée. (I, 2, v. 131-135)
Le nouvel affront subi par le refus de Darius qui préfère Aspasie à Nitocris (III, 2), explique son accès violent de colère, il est désormais près à tout pour se venger de l’ingratitude dont fait preuve la famille royale à son égard et pour s’emparer du pouvoir. Ainsi, il laisse entrevoir au spectateur son plan de vengeance, monter le père et le fils l’un contre l’autre pour les perdre tous deux : « Vangeons-nous promptement, perdons nos Ennemis, / Faisons armer le Roy contre son propre Fils » (IV, 9, v. 1228-1229). En ce sens, il apparaît comme un traître, un personnage à double face qui s’entretient successivement avec le fils (IV, 8) et le père (V, 3), pour alimenter leur conflitBritannicus de Racine.
Nitocris, personnage inventé de toutes pièces par Boyer, est la fille unique de Tiribaze. Ambitieuse comme son père, elle le soutient dans ses projets et apparaît comme une sorte de reflet de celui-ci. Ainsi, à la mort de Tiribaze, elle tombe évanouie car elle n’est plus rien sans luiPréface : « N’est-ce pas elle, qui plus fiere et plus vindicative mesme que son Pere, voyant ses espérances trompées, soûtient son ressentiment, et combat les irrésolutions d’un Pere qui brûle de vanger par la perte de Darius, et par celle d’Artaxerce, les affrons qu’il a reçeus de l’un et de l’autre, mais qui craint de faire périr sa Fille par une entreprise si dangeureuse ? » (l. 220-223).
NITOCRIS. Ah ! c’est trop de prudence, où regne tant de haine ; Quand l’honneur parle, il faut prendre pour trahison Les timides conseils que donne la raison. Ou périssons tous deux, ou vangeons nostre offence TIRIBAZE. Ton courage me rend une entiere assurance (…) (IV, 9).
De plus, le personnage présente un autre intêret en raison de son aspect qui n’est pas conventionnel. Boyer élimine toute dimension amoureuse chez la jeune femme comme il le souligne dans sa Préface :
D’autres trouvent étrange que j’introduise sur la Scene une Fille sans amour ; mais ne voit-on pas que j’affecte de luy donner cette dureté, pour ne pas tomber dans ce caractere d’Amante vindicative, si rebatu sur la Scene Françoise (l. 230-233).
En effet, Nitocris semble n’éprouver aucun mal à sacrifier son amour pour Ariarathe au profit de son ambition et d’un mariage avec Darius qui la conduirait au trône (I, 5). Nitocris joue ainsi un rôle ornemental, présentant un personnage féminin assez nouveau, justement par son absence de féminité.
Oronte est le fidèle confident de Darius, il l’appelle « mon Maître » avec respect (V, 7, v. 1527). Ce personnage a plus de relief que les autres confidents bien qu’il ne soit présent que dans deux scènes. Dans le dialogue avec son maître (I, 1), il parle beaucoup (44 vers sur les 107 que compte la scène), il manifeste ses émotions. Tout d’abord sa surprise, lorsque Darius lui confie son amour pour Aspasie (v. 40) mais aussi, ses inquiétudes par rapport à l’avenir de cet amour pour une étrangère : « Etrangere, et d’un sang trop indigne de vous… » (v. 41), amour qui risque de contrarier les projets de mariage du Roy pour son fils. Ainsi, semblable à un gouverneur, il se permet de donner des conseils à Darius et n’hésite pas à se servir de nombreux impératifs à la fin de leur entretien : « Vous devez ménager, implorer la faveur / D’un Ministre insolent jaloux de sa grandeur » (v. 80-81), « Régnez par sa faveur, et bravez son couroux. / Ne perdez point de temps (…) / Forcez vostre fierté pour conserver vos droits » (v. 97-100). D’autre part, Oronte prend une part active à l’action puisque c’est lui qui intervient dans le dénouement et qui tue Tiribaze pour venger son maître : « (…) Frape le Prince ; et moy des mains de l’Assassin / Arrachant le Poignard, je luy perce le sein » (V, 7, v. 1540-1541). On peut donc considérer que, sans son intervention, la fin de la pièce aurait été différente et c’est ce que souligne le Roy : « Ton zele un peu trop prompt l’enleve à ma justice » (V, 7, v. 1542). En cela, on peut dire qu’il illustre cette nouvelle dimension qu’acquiert le confident à la fin du siècle, on ne peut le retirer de l’action sans changer la piècePhèdre et Hyppolite de Racine qui joue un rôle capital dans l’intrigue et qu’on ne saurait ôter sans changer toute la pièce.Phèdre et Hippolyte de Racine.
Barsine est la confidente d’Aspasie et Cleonne celle de Nitocris. Rarement présentes, elles parlent peu et représentent plutôt des faire-valoir de leur maîtresses dans des scènes qu’on pourrait qualifier de « faux monologues » selon la définition qu’en donne Jacques Scherer, c’est-à-dire ces « monologues déguisés en dialogues », des « monologues devant le confidentop. cit., p. 252-256.
Capitaine des gardes, Mindate apparaît lui aussi très peu mais, par sa fonction, il représente en quelque sorte la « vox populi », il tient le Roy au courant de l’opinion du peuple perse concernant les intrigues autour de la couronneBérénice de Racine (IV, 6 et 8) qui informe Titus de l’opinion de Rome sur son comportement.
Le Peuple est discret, Seigneur, mais quelquefois Le Ciel [le] fait parler pour avertir les Roys (IV, 1, v. 916-917)
Et plus loin :
MINDATE. Vous oseray-je dire Qu’on craint pour vostre gloire autant que pour l’Empire ? Qu’estant Rival d’un Fils, on croit que vos amours Peuvent des-honorer le reste de vos jours ? Les uns font éclater une audace indiscrete ; Les autres font parler une douleur muete. On murmure en tous lieux, et les plus emportez Semblent pour Darius à demy revoltez (…) (IV, 1, v. 918-925).
Reste la Suite qui ne parle pas mais qui est présente dans les moments solennels comme le couronnement de Darius (III, 4) et la scène dernière qui rassemble traditionnellement l’ensemble des personnages restants sur scène. La Suite permet de donner plus de dignité à ces scènes, de rappeler que dans la tragédie évoluent les puissants de ce monde.
Plusieurs personnages ayant un lien avec des événements passés sont évoqués dans la pièce. On pense au frère du Roy, Cyrus, qu’évoque Tiribaze : « Quand vostre Oncle Cyrus vint attaquer le Roy » (I, 2, v. 132), et qui revient comme une image obsédante chez le Roy qui nous fait part d’un présage qu’il a reçu (II, 4, v. 500-513). D’autres figures apparaissent ponctuellement : Arsame mort au combat, la mère du Roy, l’épouse du Roy dont Aspasie souligne la bonté (II, 4, v. 498-499), la princesse Amestris refusée à Tiribaze (I, 2, v. 200-201). Ces personnages servent essentiellement à situer l’action dans le temps et à rappeler les crises qui ont précédé. Distinguons toutefois le frère de Darius, Ariarathe qui appartient au temps présent, et dont les actions simultanées à notre intrigue sont évoquées mais sans qu’il n’apparaisse jamais sur scène. Il apparaît comme terne et effacé. Evincé du trône, il préfère l’exil (IV, 1, v. 640-644).
Enfin, on peut s’interroger sur la place accordée aux dieux dans notre tragédie. Ils sont surtout évoqués par Aspasie et le Roy. Le Roy rapporte le présage qu’il a vu en sacrifiant aux dieux : « C’estoit peu. Ce matin sacrifiant aux Dieux, / Un presage étonnant s’est offert à mes yeux (II, 4, v. 500-501). Aspasie quant à elle, craint des malheurs à venir suite à de mauvais présages ressentis : « Les Destins ont parlé. Que ne puis-je vous dire / Les maux que je prévois pour vous et pour l’Empire ! » (II, 4, v. 562-563). Ainsi, à la fin de la pièce le Roy considère l’accumulation de leurs malheurs comme l’accomplissement de la volonté des dieux qui réalisent les présages évoqués durant la pièce : « Vos présages, grands Dieux, / Sont enfin éclaircis. Quel Monstre furieux… (V, 7, v. 1528-1529). Enfin, Tiribaze lui même en mourrant s’en prend aux dieux : « Il blasphéme en mourant, et déteste les Dieux » (V, 7, v.1561). Si les dieux, éléments caractéristiques de toute tragédie, sont donc présents en arrière-plan et semblent prendre part à l’action, notons tout de même qu’ils se font très discrets dans un souci de rationalisation de l’intrigue.
De cette étude des personnages, on constate que Boyer utilise les types qu’on trouve traditionnellement dans la tragédie qui met en scène le monde des puissants. Boyer nous apparaît comme soucieux de faire entrer ses caractères dans son sujet. Pour cela, il privilégie plutôt tel ou tel trait qu’il tire des sources et qu’il met au service de son action. S’il vise également à satisfaire aux critères de l’époque sur la constitution des caractères, il accorde aussi une place privilégiée aux passions. Ainsi, il montre que leur emprise sur les personnages peut entrer momentanément en conflit avec la constance de leur caractère. C’est donc cette place accordée aux passions dans Artaxerce que nous nous proposons d’étudier à présent.
Au cours de notre étude des caractères, nous avons observé que ceux-ci étaient entraînés par leur passions, leur pathos allant parfois jusqu’à subvertir leur ethos et provoquant leur perte. Ainsi, on peut s’interroger sur le traitement qui est réservé aux passions dans notre pièce, et comment celles-ci renouvellent la notion même de « tragique ». En quoi peut-on qualifier Artaxerce de « tragédie des passions » ?
Si l’on se reporte au Dictionnaire de Furetière, « tragique » se définit traditionnellement au XVIIe, comme ce « qui appartient à la tragédie, [ce] qui est funeste, sanglantDictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reiner Leers ; rééd. Paris, SNL-Le Robert, 1978 (3 vol.).Bérénice, Racine a remis en cause cette définition :
Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une Tragédie ; il suffit que l’Action en soit grande, que les Acteurs en soient héroïques, que les Passions y soient excitées, que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la Tragédie
Jean, Racine, .Bérénice, Préface de 1671, [in] Racine,Œuvres complètes, I, éd. citée.
Ainsi, répudiant le préjugé qui veut qu’il y ait toujours du sang et des morts dans une tragédie, il en vient à redéfinir la notion de « tragique » comme ce qui doit susciter des émotions chez le spectateur autrement dit, ce que nous appellerions nous, lecteurs modernes, « le pathétique ». Ainsi, selon Georges Forestier :
Pour Racine, le tragique de la tragédie consiste donc dans l’excitation des émotions propres à la tragédie : pitié et frayeur comme nous disons aujourd’hui en traduisant Aristote (…)
Georges, Forestier, .op. cit., p. 313.
On peut à présent se demander quelle est la position de Boyer écrivant Artaxerce, quelle conception notre auteur a du « tragique ». Dans sa Préface, il tente de définir ce qu’il entend par « tragique » de la manière suivante :
Je sçay bien qu’elle [sa pièce] n’a pas ce Tragique qui est dans les horreurs d’Œdipe, et dans les fureurs de Cassandre ; mais ne voit-on pas dans ma Piece de grands interests et de puissans mouvemens que font naistre les passions les plus violentes, l’amour, la haine, la jalousie, l’orgueïl, l’ambition ? (l. 235-239)
Boyer se révèle donc ici très proche de Racine, il défend sa tragédie en mettant en avant l’importance des passions qui y sont représentées, passions qui, par les « puissants mouvements » qu’elles entraînent, font naître crainte et pitié chez le spectateur. Il prend l’exemple du personnage touchant d’Aspasie qui éveille la pitiéop. cit., p. 45, « la pitié peut-être définie comme le sentiment que l’on éprouve à voir quelqu’un souffrir, particulièrement lorsqu’il est vertueux et ne mérite donc pas son malheur ».
Quelle misere est plus illustre et plus touchante que celle d’Aspasie, qui estant prevenuë d’une estime infinie pour Artaxerce, penetrée de ses bien-faits, enchaînée par sa reconnoissance, se sent entraîner vers Darius par un panchant invincible, et qui cependant s’arrache à son amour pour se donner toute entiere à son devoir ? (l. 244-248)
Puis, l’exemple de Tiribaze dont l’ambition dévastatrice suscite la crainteibid., « la crainte désigne le sentiment qui gagne le spectateur lorsqu’il fait un retour sur lui-même et redoute que de tels malheurs lui arrivent ».
Quelle ambition, quelle haine, quelle vengeance est plus emportée que celle de Tiribaze, et de sa Fille, qui se croyoient deshonorez par le refus de Darius ? (l. 248-249)
Il s’agit donc bien pour Boyer de toucher le spectateur en lui montrant des passions violentes afin d’exacerber ses sentiments de crainte et de pitié. Mais ce dérèglement reste réglé et il se refuse aux flots de sang et de violence en se distinguant des modèles que sont les tragédies d’Œdipe ou du sacrifice d’Iphigénie par AgamemnonAgamemnon, sa tragédie précédente où ce personnage avait un rôle important. ethos qui doit lutter contre un pathos qui le submerge. Mais, selon Georges Forestier, cette difficulté des personnages à résister à leur passion n’est pas tragique en soi, c’est un fait de la nature humaine :
Ce n’est donc pas un enjeu tragique : c’est un élément fondateur qui permet de justifier la création de personnages en proie à ces passions humaines, dont la manifestation et les effets sont suceptibles de produire chez le spectateur les émotions les plus fortes en quoi réside le tragique
Georges, Forestier, .op. cit., p. 319.
Ainsi, quelles passions sont représentées, quel est leur rôle sur l’action, et comment parviennent–t-elles à créer le sentiment du « tragique » chez le spectateur ?
On peut se rapporter à Aristote pour tenter de définir le phénomène des passions. Selon lui, si tous les affects dont l’homme est touché et qui modifient son esprit sont appelés passions, deux passions seulement sont spécifiques à la tragédie, la crainte et la pitié que celle-ci doit susciter chez le spectateurop. cit., chap. VI, la tragédie est « l’imitation d’une action noble », « qui par l’entremise de la pitié et de la crainte, accomplit la purgation des émotions de ce genre ».op. cit., p. 247.
Tout est icy pour nous, trouble, confusion, Vengeance, jalousie, amour, ambition. (IV, 9, v. 1236-1237)
Il ne manque que l’ « orgueil » et la « haine » pour que la liste soit complète mais nous savons que si Tiribaze ne les mentionne pas, elles sont bien présentes dans la pièce et que ce personnage est justement sous leur emprise.
De plus, on peut distinguer pour chaque caractère de la pièce, la passion à laquelle il se soumet ou contre laquelle il tente de lutter. Si on observe les trois personnages principaux, on voit que c’est l’amour qui exerce son emprise sur eux. Le Roy avoue à Tiribaze son amour pour Aspasie, amour qui pour lui, se révèle supérieur à tout, et qui le conduit même à souhaiter de quitter le trône pour s’adonner en paix à sa passion. Il apparaît donc comme véritablement soumis à cette passion, il déclare : « (…) Et ma foiblesse est telle, / Que mon cœur ne respire, et ne vit que pour elle » (II, 5, v. 577-579). Darius pour sa part ne souhaite le trône que pour demander Aspasie, il est lui aussi sous l’emprise de l’amour : « Mais si d’un feu caché j’avois l’ame enflâmée (…) » (I, 1, v. 35) et exprime sa soumission de façon sentencieuse : « Mais l’amour qui nous rend plus foibles, plus soûmis, / Descend jusqu’à prier nos plus grands Ennemis » (I, 1, v. 104-105). Quant à Aspasie, elle confie à Barsine sa lutte vaine pour oublier Darius : « J’ay fait tous mes efforts, et suis preste à tout faire, / Pour m’arracher au Prince, et me rendre à son Pere. / (…) Mais l’amour disposant de moy, malgré moyméme… » (II, 1, v. 374-378). Les deux personnages secondaires, Tiribaze et Nitocris, sont quant à eux sous l’emprise de l’orgueil, de l’ambition, une ambition qui évolue même en passions de vengeance et de haine suite au nouvel affront lié au refus de Nitocris. Tiribaze se vante de cette ambition qui gouverne ses actes : « Et mon ambition ne pouvant plus monter, / N’aura plus rien à craindre, et rien à souhaiter » (I, 4, v. 256-257). Nitocris utilise des formules sentencieuses pour justifier sa soumission à la passion d’orgueil qui la pousse à sacrifier son amour pour Ariarathe au profit de l’héritier Darius : « L’orgueil fait tout, Cleonne, et pour dire encor plus, / La vanité souvent fait toutes nos vertus. / L’Amour n’est pas un Dieu tel qu’on l’a voulu faire; / L’Amour périt bientost, sa flâme est passagere ; / Le dépit, la raison, l’âge, éteint les ardeurs, / Mais la gloire jamais ne meurt dans les grands cœurs » (I, 5, v. 272-277). On voit donc bien comment Artaxerce met en scène l’ensemble des passions qu’aiment à représenter les tragédies du XVIIe. En ce sens, on peut la définir comme tragédie des passions, mais quel rôle jouent ces passions sur l’action ?
Pour bien saisir le rôle joué par les passions sur l’action de notre pièce, il convient d’analyser leur influence sur les caractères puisque ceux sont eux qui agissent. Pour cela, il est intéressant d’étudier les monologues des personnages du Roy (IV, 2 et V, 5) et de Darius (IV, 7) qui nous dévoilent l’intérieur de ces personnages
Tirade prononcée par un personnage seul ou qui se croit seul, ou bien par un personnage écouté par d’autres, mais qui ne craint pas d’être entendu
Jacques, Scherer, .op. cit., p. 437.
Scherer nous indique aussi que la fonction essentielle du monologue est d’ordre psychologique, « il s’agit de dire les élans du cœur, de permettre l’expression d’un sentiment ». L’étude des monologues du Roy et de Darius nous permet donc de mesurer quelle influence exerce la passion amoureuse sur leurs prises de décision ou leur non prises de décision. Comment l’amour motive-t-il ou entrave-t-il leurs actions ? Le premier monologue du Roy (IV, 2) nous présente son déchirement entre sa position de père et d’amant. Il ne parvient pas à prendre de décision concernant Aspasie : la céder ou non, à Darius ? Par la suite, c’est entre son rôle de juge et de père qu’il ne parvient pas à trancher : condamner ou non, son fils pour tentative de parricide ? (V, 5) Là encore, aucune décision n’est prise et la passion semble entraver toute action. Le Roy est partagé entre sa passion amoureuse pour Aspasie, ses devoirs de souverain et son amour de père. On assiste donc à deux véritables dilemmes tragiques, ces deux monologues du Roy pourraient se résumer en une interrogation du personnage : que faire ? De là, l’incertitude du spectateur, sa pitié face au déchirement du personnage et sa crainte sur le sort réservé à Darius. Dans un monologue à tonalité élégiaque, Darius (IV, 7) éveille la pitié du spectateur en dévoilant sa souffrance intérieure de fils qui se heurte à l’autorité paternelle, et d’amant confronté à un être aimé, Aspasie, qui veut sacrifier leur amour au devoir en se livrant au Roy. Aucune issue ne semble possible, reste comme dernier recours la mort, mais aucune décision claire n’est prise, la lamentation reste donc stérile. On note le fonctionnement rhétorique de ces monologues qui, pour exprimer le désordre de la passion conservent une forte structure logique. Comme le souligne Georges Forestier : « (…) c’est par l’ordre que l’on donne l’apparence du désordreop. cit., p. 159.op. cit., p. 251, souligne cet fonction de l’invocation : « Les auteurs obtiennent ainsi un effet de grandeur poétique, en même temps qu’ils peuvent, par cette forme d’écriture spéciale au monologue, parvenir à une analyse psychologique plus précise ; en outre grâce à cette sorte de dialogue qui s’établit entre l’abstraction ou le sentiment personnifié et le héros solitaire, le mouvement s’introduit dans la scène qui risquait d’en manquer ».
Le rôle joué par la passion est différent chez les personnages secondaires. Pour eux, pas de dilemme tragique, la passion est d’emblée et exclusivement motrice de leurs actions. En cela, ils présentent une psychologie beaucoup moins complexe. Tiribaze et Nitocris, types même des scélérats, sont seulement animés par l’orgueil, l’ambition et la vengeance. Pour cette raison, ils ne monologuent pas, mais s’encouragent mutuellement. Ainsi, à la fin de l’acte IV, élaborant leur plan pour anéantir la famille royale, ils marquent leurs prises de décisions à l’aide d’impératifs multiples : « Vangeons-nous promptement, perdons nos Ennemis, / Faisons armer le Roy contre son propre Fils ; / Mais envoyons au Fils des Amis infidelles, (…) » (v. 1229-1236), à l’aide de sentences : « Quand l’honneur parle, il faut prendre pour trahison / Les timides conseils que donne la raison » (v. 1224-1225), de recours à des allégories : « Noble ardeur de régner que je voulois suspendre, / Parle, parle à mon cœur, tu peux te faire entendre » (v. 1203-1206). L’action motivée ici par la passion suscite la crainte du spectateur sur la suite des événements.
Dans cette pièce, les passions, qu’elles entravent ou motivent les actions des personnages conduisent inexorablement à leur perte. En ce sens, on peut parler pour Artaxerce, d’un tragique des passions. Comme le souligne Georges Forestier : « ce n’est plus le malheur en soi qui est le fondement du pathétique, mais la marche vers le malheur, une marche rythmée par le choc des passions – ou par le conflit du devoir et de la passionop. cit., p. 238.
L’amour est la passion qui occupe la plus grande place dans la pièce. Nous avons vu que nos trois personnages principaux sont soumis à son emprise. Les scènes d’aveux sont d’ailleurs nombreuses dans la pièce. Aux actes I et II on assiste en quelque sorte à un concert d’aveux : Darius avoue son amour à Oronte, Aspasie à Barsine et Le Roy à Tiribaze. A l’acte III, on assiste à une sorte de récapitulatif des aveux de chacun : Darius avoue son amour publiquement, puis c’est au tour du Roy, et enfin Aspasie avoue son amour à Darius. Enfin, on note, reculé à l’acte IV, un dernier aveu, celui d’Aspasie au Roy. On a donc véritablement un phénomène d’écho qui se met en place d’un acte à l’autre, c’est à qui avouera le plus tôt son amour. On note que ces aveux se font en trois temps : au confident, à l’être aimé, publiquementPhèdre et Hippolyte de Racine, c’est celui qui sied le mieux aux convenances notamment pour les femmes qui ne doivent pas avouer leur amour directement à leur amant.Timocrate de Corneille, Alcionée de Du Ryer, et Astrate de Quinault qui se fait le spécialiste de ce nouveau genre.Artaxerce est-elle une tragédie galante ?
Dans Artaxerce, si l’on observe l’omniprésence de l’amour, cette passion n’asservit pas pour autant les autres passions. Bien au contraire, nous avons vu que l’amour est victime d’autres passions comme l’ambition, la haine, la vengeance à travers le personnage de l’amant Darius qui meurt des emportements violents de l’ambitieux Tiribaze. On ne peut donc qualifier la pièce de tragédie galante, puisque bien que l’amour soit très présent, ce n’est pas à proprement parler « une religion de l’amourMorales du Grand Siècle, Paris, Gallimard, 1948, p. 178).
En fait, la conception de l’amour que nous propose Boyer dans Artaxerce emprunte également aux deux grands modèles de son siècle que sont Corneille et Racine. On reconnaît pour une part une conception cornélienne de l’amour avec des traces de l’idéal chevaleresque dans le personnage de Darius qui tente d’enlever sa bien aimée. Darius semblable à un Rodrigue souffre d’un conflit entre devoir et passion. Il se doit de respecter son père et de se soumettre à sa volonté, comme Rodrigue par respect pour son père se doit de le venger, mais l’un comme l’autre sont déchirés par leur passion amoureuse. Aspasie, quant à elle rappelle les héroïnes cornéliennes par son sens du devoir. La sagesse est en effet inscrite dans l’ethos de son personnage, elle est la « modeste Aspasieop. cit., p. 57, définit ainsi le couple cornélien : « Le couple cornélien le plus commun est donc constitué par une héroïne d’une vertu stricte et un chevalier soupirant qui récrimine seul contre la rigueur du devoir ».ethos parvient à vaincre son pathos. Or, comme le souligne Georges Forestier, c’est ce qui distingue les héros de Corneille de ceux de Racine :
Chez Corneille, ce qui domine dans l’articulation conflictuelle de l’
ethoset dupathos, c’est – sauf pour Chimène – la victoire de l’ethos, lepathosne paraissant n’avoir fait que traverser temporairement l’ethos: de là chez les critiques l’oubli du conflit au profit de la victoire, de là l’admiration pour la seule réponse héroïqueGeorges, Forestier, .op. cit., p. 301.
Toutefois, on retrouve aussi les marques d’une conception racinienne de la passion amoureuse. L’amour présenté ici est un amour qui n’est jamais satisfait comme nous l’avons vu par le motif de la chaîne amoureuseMithridate de Racine, aveuglé par la jalousie, qui est incapable de distinguer le fils fidèle du fils infidèle et qui se trouve à deux doigts d’empoisonner Monime innocente.pathos et même s’ils se reprennent, Darius demandant pardon, et Artaxerce graciant son fils, il est déjà trop tard…Ils sont en ce sens semblables aux personnages de Racine, comme le souligne Georges Forestier :
Racine (…) prend ses personnages au moment où ils sont déjà habités par le
pathos, face auquel l’ethos, joue, en somme, le rôle du retour du refoulé : ce qui le place du côté du « touchant »Georges, Forestier, .op. cit., p. 301.
Artaxerce, met donc en scène diverses passions et nous présente une conception du tragique comme le sentiment qui naît chez le spectateur à la vue des effets dévastateurs sur les personnages que provoquent les passions. En ce sens, on peut bien parler de tragédie des passions pour Artaxerce. Une tragédie des passions qui a la particularité de mettre en avant l’amour sans pour autant y assujettir toute son action car elle emprunte aux différents modèles du temps que sont non seulement la tragédie galante, mais surtout, les modèles cornélien et racinien.
Pour conclure, on peut dire qu’étudier Artaxerce nous conduit à nous étonner de l’échec d’une telle pièce. En effet, écrivant sa tragédie, Claude Boyer se veut en tous points conforme au goût de son époque. Il choisit un sujet à crise, digne d’émouvoir, mais l’adapte soigneusement aux exigences des bienséances du temps. Construisant son action comme une marche à rebours, il nous présente une pièce dont le dénouement apparaît ainsi inexorable. Il crée également des personnages de façon à ce qu’ils s’inscrivent dans son sujet tout en restant conformes aux critères de constitution des caractères à l’époque. De plus, Boyer emprunte à différents modèles contemporains en vogue : la tragédie galante dont le grand maître est Quinault, et les modèles des tragédies cornélienne et racinienne. On peut dire qu’il se livre à une sorte de synthèse de ces modèles pour nous proposer une tragédie des passions qui met en valeur l’amour. Il propose donc une œuvre riche, digne de plaire à son public. Comment alors expliquer l’échec ?
Bien sûr, on peut concéder à notre auteur qu’il a été injustement la cible des cabales du clan racinien tout au long de sa carrière mettant celle-ci sans cesse en péril. Mais, pour tenter d’expliquer son échec, on peut aussi avancer l’idée qu’il a eu du mal à se dégager des modèles en vogue à son époque et à trouver une voie qui lui soit propre. Notre pièce reflète bien ce mélange de diverses tendances, mais on peine à dégager une originalité hors de ces modèles. Boyer ne serait donc pas parvenu à se créer une singularité parmi ses contemporains, à sortir de la simple copie pour faire une œuvre d’imitation véritable c’est-à-dire, l’imitation au sens de création personnelle à partir de modèles préexistants. On peut conclure en citant Georges Forestier qui souligne cette faiblesse chez Boyer :
(…) un Claude Boyer, a su quelquefois, dans ses meilleurs moments, jouer de manière éblouissante sur le rapport entre
ethosetpathos. Mais Boyer, malgré tout son talent, n’a jamais su s’engager sur une voie propre, se mettant à l’écoute tour à tour de la tragédie cornélienne, de la tragédie galante, et pour finir, de la tragédie racinienne. Ibid., p. 299.
C’est peut-être là ce qui fait toute la différence entre un bon auteur comme Claude Boyer qui mérite d’être redécouvert, et des génies tels qu’un Corneille ou Racine que trois siècles n’ont pu oublier.
Il n’existe qu’une seule édition d’Artaxerce, imprimée en 1683, à Paris, par C. Blageart [Bibliothèque Arsenal : Rf.5650].En voici la description :
12ff. non chiffrés : [1-1 bl-20-1 bl-1] -69p. ; in-12.
(I) : ARTAXERCE, / TRAGEDIE. / PAR MONSIEUR BOYER, / de l’Académie Françoise. / AVEC SA CRITIQUE. / (Vignette) / A PARIS. / Chez C.Blageart, Court-neuve du / Palais, au Dauphin. / M.DC.LXXXIII. / AEC PERMISSION.
(II) : verso blanc.
(III-XXII) : PREFACE.
(XXIII) : recto blanc.
(XXIV) : ACTEURS.
69 pages : le texte de la pièce, précédé d’un rappel du titre en haut de la première page (en dessous d’un bandeau gravé sur bois).
Trois autres exemplaires de la même édition sont aussi disponibles :
Pour l’établissement du texte, nous nous sommes livrés à quelques rectifications d’usage qui nous ont parues indispensables pour une parfaite compréhension du texte :
Cette tragédie est entièrement écrite en alexandrins. Notons toutefois que deux vers présentent une faiblesse métrique. Le vers 917 ne présente que 11 syllabes, mais nous avons pu le corriger par l’ajout d’un monosyllabe dont l’emplacement était signalé par un blanc sur l’édition d’origine ; le second, le vers 593 qui présente 13 syllabes a été corrigé par le retrait d’un monosyllabe (nous renvoyons aux notes de bas de page correspondantes).
Une astérisque à la fin du mot renvoie le lecteur au glossaire situé en fin de notre édition, pour une définition de ce mot en usage au XVIIe, dont l’acception actuelle différerait. Certains mots étaient présents sous deux orthographes différentes, nous les avons conservées : suffrage/sufrage ; courroux / couroux ; soufrir / souffrir ; offence /ofence ; obéïr / obeïr ; orgueïl / orgueil…
Nous avons mentionné en gras les deux uniques notes de l’auteur dans sa Préface pour les distinguer des nôtres.
Nous donnons ici la liste des erreurs et coquilles qui ont été corrigées dans le texte que nous proposons. Pour ce travail, nous avons aussi confronté les quatre exemplaires existants de notre édition qui se sont révélés identiques tant par la présentation (bandeaux, lettrines, pagination…), que par le texte présenté. Cependant, notre exemplaire comportait par endroits des lettres effacées ou des tâches gênant la lecture, que nous avons pu corriger à l’aide de ces autres exemplaires.
Préface
ligne1 (lettres en marge effacées) Piece / po / l.22 c / l.49 exan iner / l.198 cette / l.216 une / laquelle / l.232 rebatusur / l.239 idoltâre /
L’indication en note de l’auteur du chiffre du livre de Martial d’où est tirée l’épigramme 10 était illisible, mais nos recherches nous ont révélé qu’il s’agissait d’un extrait du livre 5.
Acte I
v.67 cette / v.186 vous-mesuue /
Acte II
v.362 qnoy / v.593 Et c’est /
Acte III
v.690 sur tout / v.702 vous céder / v.752 a / v.862 gloi e /
Acte IV
v.986 deuant / v.1011 auez / vers 1125 offrir. / v.1126 â /
Acte V
v.1340 partd’un / v.1384 voit / v. 1463 cruelle. / v.1470 cet / v.1545 rang / v.1565 yoir.
/ [IV] / Il ne suffit pas toûjours aux Pieces de Théatre d’estre bonnes, pour estre heureuses* ; beaucoup de choses, comme les Acteurs, la saison, le goût du siecle, la disposition des Spéctateurs, contribuënt à faire valoir, ou à faire tomber cette sorte d’Ouvrages ; ainsi chaque Autheur est en droit de justifier le sien, quand il se croit en état de le pouvoir faire. Jusqu’icy j’ay negligé ce secours, que je devois peut-estre à la justification de quelqu’unQuelqu’un mis pour « quelques uns ».
Le Modelle des Roys, et l’Image des Dieux,
Quel Vers eut jamais euà même temps et en même temps. (Remarques nouvelles sur la langue française, 1647, tome II, p. 190). Voir aussi ligne 187.
Ennius est lectus salvo tibi, Roma, Marone, Et sua riserunt saecula Maeoniden. Rara coronato plausere Theatra Menandro ;
Norat Nasonem sola Corinna suum.
Cependant il est assez fâcheux de s’exposer à ces Censeurs impertinens, et d’atendre que la Postérité nous en fasse justice apres nostre mort; mais il faut bien obeïr à mes Amis, qui veulent que puis qu’Artaxerce n’a pas eu assez de temps pour se faire voir sur le Théatre
Pour satisfaire exactement à ce qu’on exige de moy, il faudroit remonter à la naissance des premiers désordres du Théatre
Je sçay ce que nous devons aux Anciens ; et peut-estre que ceux qui ont suivy le chemin qu’ils nous ont tracé, ont suivy le plus sûr et le plus commode ; mais ce chemin n’est pas le seul, et le plus glorieux. Ne doivent-ils pas avoüer que la Tragédie et la Comédie modernesAller à la Comédie s’emploie au XVIIe pour signifier « aller au théâtre ».Formidable possède un sens très fort au XVIIe, il signifie : « Qui fait peur, qui est à redouter » (Furet.).
Avant que cette tempeste s’élevast, plusieurs de mes Pieces avoient réüssy sur tous les Théatres de ParisLes Amours de Jupiter et de Sémélé, représentée devant le Roi au Théâtre du Marais, en 1666. Voir en annexe II de notre édition le témoignage de Robinet sur la présence du Roi. Le Comte d’Essex de Thomas Corneille, connaît un grand succès à l’hôtel de Bourgogne en 1678.
Je n’ay garde de fatiguer le Public par un détail indigne de son attention. J’aime mieux épargner par un modeste* silence, ceux qui m’ont fait du mal, et faire grace à ceux qui ne m’ont pas fait justice ; peut-estre l’honnesteté* de mon procedé les fera repentir de l’injustice qu’ils m’ont faite.
Pour le faire voir clairement, et satisfaire à ce qu’on attend de moy, examinons les défauts qu’on attribüe à cet OuvrageArtaxerce, tragédie par Monsieur Boyer, de l’Académie Française. Avec sa critique.Les Sentiments de l’Académie Française en 1637, lors de la querelle du Cid : « leurs esprit [des spectateurs] flatté par quelques endroits agréables est devenu aisément flatteur de tout le reste, et les charmes éclatants de quelques parties leur ont donné de l’amour pour tout le corps » (Pierre, Corneille, Œuvres Complètes, éd. G. Couton, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1987, t. I, p. 812).Loüis le GrandEpistre au Roy de sa pièce Les Amours de Jupiter et Sémelé,, où Boyer se défendait de toute comparaison avec Louis XIV. Il visait alors à détromper ceux qui : « s’imagineront sans doute, que je veux m’attacher à ces belles comparaisons qu’on peut faire du plus grand des Rois avec le plus puissant des Dieux et que cherchant la vérité dans la fable j’en veux tirer un grand fonds de loüanges pour la gloire de Vostre Majesté ; mais ce n’est pas mon dessein de m’engager dans une carrière si vaste et si difficile… » (Les Amours de Jupiter et de Sémélé, tragédie, Paris, Guillaume de Luyne, 1666, in-12, [in] [Christian Delmas éd.] Recueil de tragédies à machines sous Louis XIV, Toulouse, Centre de Recherche « Idées, thèmes et formes 1580-1660 », 1985).
C’est de là que luy venoit cette liberalité* magnifique, qui luy fit donner une Coupe d’or de mille darigues, qui estoient des pieces d’or, à un Artisan qui ne trouvant point autre chose en son chemin pour offrir à son Roy, courut à la Riviere y puiser de l’eau dans ses deux mains, et alla la luy présenter ; cette modération admirableAdmirable a un sens très fort au XVIIe : « qui est surprenant, merveilleux, qu’on ne peut comprendre » (Furet).Vies de Plutarque (Voir en introduction notre étude du traitement des sources).Histoires philippiques, I, IX, 11 : « … chez les Perses, pour imprimer le respect de leur majesté, les rois cachent leur personne ».Où mis ici pour « auxquelles ».Facilité a le sens de « faiblesse, molesse ». à tandis que le XVIIe siècle, l’envisageant comme une cause, le construit avec de : ainsi après se résoudre.
Mais la Critique ne s’est pas arrestée aux objections qui peuvent avoir quelque fondement, et quelque vray-semblance ; elle a supposé ce qui n’estoit pas. Voyant qu’Artaxerce montroit dans le second Acte quelque legere tentation de quiter la Couronne, quoy qu’il prenne une rêsolution toute contraire ; ils disent qu’il la cede à son Fils au mesme temps qu’il le choisist pour son Successeur. Par cette suposition artificieuse*, il leur est aisé de faire voir qu’Artaxerce soûtient* mal le caractere d’un grand Roy. C’est par là qu’on le peut accuser de trop de foiblesse, et Darius son Fils d’une dureté ingrate et condamnable, lors qu’en recevant la Couronne de son Pere, il ose luy disputer la possession d’Aspasie, qui devoit estre la consolation de / [XVIII] / sa retraite, et le prix de l’Empire qu’il cedoit à son Fils. Ceux qui eurent soin de décrier ma Piece quand elle fut joüée à Versailles, ne manquerent point de répandre cette erreur. La prévention* fut telle, que des Personnes équitables et bien intentionnées, en furent ébloüies, et ne trouverent plus dans le troisiéme Acte qu’on leur avoit tant vanté, ce qui avoit merité dans Paris une approbation universelle ; et c’est icy qu’il faut déplorer le destin de ceux qui travaillent pour le Théatre. Ils n’ont pas seulement à redouter les Censeurs indiscrets*, chicaneurs et malins
Passons aux objections qu’on a faites contre le caractere de Darius. On prétend qu’il se dément* dans le quatriéme Acte, lors que ce Prince qui paroist si respectueux envers son Pere, et qui ne veut pas se servir de cette Loy si ancienne et si sacrée dans la Perse, qui vouloit que celuy qui estoit nommé Successeur à la Couronne, pût demander la faveur qu’il souhaitoit, passe tout d’un coup à cet emportement
Pour finir cette Preface, qui peut-estre n’est déja que trop longue, je n’ay qu’à répondre à l’objection qu’on m’a faite touchant le Personnage de Nitocris. Les uns disent que c’est un Episodeop. cit., p. 71-72 : « […] l’épisode constitue, dans la tragédie classique, une action secondaire qui, comme l’action principale, doit avoir un commencement, un milieu et une fin, et qui s’étend sur toute la durée de la pièce. » En ce sens, l’épisode fait partie intégrante de la tragédie et entretient des liens organiques avec l’action principale. Voir notre étude de l’action pour cette réflexion sur l’utilité de l’épisode de Nitocris.Episode est un substantif masculin chez Furetière, aussi nous corrigeons le genre de l’article indéfini et du pronom relatif qui étaient au féminin dans l’édition originale (voir notre liste des rectifications).Fille a ici le sens de « celle qui n’a point été mariée » (Furet.).Andromaque (1667), ou encore à Roxane dans Bajazet (1672).
Voila ce que j’avois à dire pour la justification d’Artaxerce ; et c’est de là que je tire une Réponse invincible, contre ceux qui ont dit que ma Piece n’estoit pas assez touchante. Je sçay bien qu’elle n’a pas ce Tragique qui est dans les horreurs d’ŒdipePréface donnée en 1675 par Racine à sa pièce La Thébaïde (1664), qui justifiait le choix de son sujet comme « le Sujet le plus Tragique de l’Antiquité » en raison de son caractère extrêmement sanglant. (Jean, Racine, Œuvres complètes vol. I (Théâtre Poésie), édition de Georges Forestier, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999).Agamemnon, (1680), la précédente pièce de Boyer.op. cit., chap. XIV).
C’est dequoy pourront juger ceux qui liront ma Piece avec attention. Je les prie / [XXIII] / sur tout de ne se laisser point prévenir par ces Messieurs qui se font Chefs de PartyCommerce selon Furetière, « se prend aussi en mauvaise part, pour dire vilain négoce, une fréquentation illicite ».
L’Autheur du Festin des Dieuxop. cit., p. 281-283, qui garde l’appellation : « l’Auteur du Festin des Dieux ».madrigal se définit comme : « …une espece d’épigramme amoureuse composée le plus souvent de vers inégaux. Elle a pour matiere l’amour. Son caractere est d’être tendre, polie et délicate » (Dictionnaire de Richelet). En fait, la dimension amoureuse et galante caractéristique du madrigal étant inexistante ici, il semble qu’il s’agisse plutôt d’une épigramme, petite pièce de vers qui se caractérise par sa tonalité satirique.
Furie a ici le sens de « fureur » c’est-à-dire une forme de passion faisant agir avec de grands emportements. Le verbe traverser est employé dans le sens de « Faire obstacle, opposition, apporter de l’empeschement »
(Furet). Le Roy accuse donc Darius et Aspasie de s’opposer à son bonheur.
FIN.
Permis d’imprimer. Fait ce 13. Janvier 1683. DE LA REYNIEExtrait du Privilège du Roy, mais simplement cette permission d’imprimer de La Reynie, lieutenant général de police.
Nous donnons ici la définition des mots lorsque celle-ci diffère du sens actuel.Toutefois, certains termes qui n’apparaissent qu’une fois ont été expliqués dans les notes de bas de page, ceci dans un souci de clarté et de lisibilité. L’orthographe des mots est celle donnée par les différents dictionnaires consultés, et nous indiquons quand celle-ci diffère dans notre texte. Nous mentionnons les numéros de lignes renvoyant à la Préface de l’auteur, et les numéros de vers renvoyant à la pièce elle- même.
La carrière de Boyer est l’une des plus longues de son siècle : vingt-trois pièces en cinquante ans de carrière, de La Porcie Romaine (1645), à Judith (1695).Ainsi, comme le souligne Lancaster, Boyer auteur de second plan débute peu de temps après que Corneille soit considéré comme le maître de la tragédie classique et il achève sa carrière quand Corneille est déjà mort et que Racine a cessé d’écrireop. cit., p. 68-80: “His life as a dramatist extends over a longer period than that of any other man who wrote for the French stage in the seventeenth century. His first play appeared in 1645, shortly after Corneille had become recognized as the master of classical tragedy; his last play was acted, in 1695, when Corneille was dead and Racine has ceased to write.”
(Les œuvres sont classées selon l’ordre de leur publication, non de leur représentation.)
Tigrane, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne, le 31 décembre 1660.
Atalante, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1671.
Démarate, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en décembre 1673.
Oreste, tragédie représentée à Fontainebleau, en présence du Roi, en 1681.
Enfin, les Oeuvres de M. l’abbé Boyer parurent en 1685, ouvrage qui marque un aboutissement et, d’une certaine manière aussi, la consécration de notre auteur.
Boyer s’essaie également à des genres autres que l’art dramatique. Il publie un roman, La Comtesse de Candale, en 1672, et sa poésie paraît dans divers recueils, le Recueil de Furetière en 1687, les Recueils de l’Académie française en 1689, 1691, 1693, 1697, enfin toutes sortes d’ouvrages divers se référant à l’actualité de l’époque comme la Harangue faite à la Reine d’Espagne, au nom de l’Académie françoise par M.B.(1679), le Compliment fait à Mgr le Chancelier, au nom de l’Académie françoise (1685), etc.
La Muze historique de Loret était une gazette de l’époque qui se faisait l’écho de la vie et des divertissements de la CourLa Muze historique ou Recueil des lettres en vers contenant les nouvelles du temps, écrites à son altesse Mademoizelle de Longueville, depuis Duchesse de Nemours (1650-1665), Bibliothèque de l’Arsenal [8° N.F.81754]
La Muze historique, datée du 24 mai 1659, rend compte de la représentation de la Clothilde, tragédie, de C. Boyer, à Berny, lors d’une fête que M. Le Comte de Lyonne donna au Roi, le 18 mai 1659 :
(…) La Clothildereprésentèrent,Que les auditeurs admirèrent, Pièce digne d’un grand loyer, Dont est auteur le sieur Boyer, Qui, dit-on, d’une force extrême, A réussi dans ce poëme, Bref, qui fut lors en vérité, A merveille représenté (…).
La Muze historique, rend compte de la représentation de La Mort de Démétrius, jouée pour la première fois à l’Hôtel de Bourgogne, le 20 février 1660 :
(…) Avant de finir ce discours, Je dirai que depuis quelques jours, Dans l’Hôtel de Bourgogne on joue Un sujet que la troupe avoue Un des plus forts et mieux traités, Qu’on ait vus depuis dix étés. Boyer, habile personnage, Est l’auteur de ce grand ouvrage, Intitulé Démétrius,Et qui tient le supériusEntre plusieurs pièces nouvelles Si l’on en croit bien des cervelles.
La Muze historique, datée du 15 novembre 1659, rend compte de la représentation de Frédéric, tragi-comédie, de C. Boyer, donnée au théâtre de l’Hôtel de Bourgogne le 14 novembre 1659 :
Les grands comédiens du Roy, Hier en assez bel arroy, Jouèrent eux et leur séquelle, Une pièce fraîche et nouvelle, Tout à fait au gré du public, Sous le titre de Frédéric.Je ne l’ai pas encore vue, Mais pourtant je la crois pourvue D’esprit, d’agréments et d’appas, Car son auteur ne manque pas De toutes les belles lumières Qu’il faut pour de telles matières.
Nous présentons ci-dessous une lettre en vers de Robinet datée du 16 janvier 1666Les Continuateurs de Loret. Lettres en vers de La Gravette de Mayolas, Robinet, Boursault, Perdou de Subligny, Laurent et autres (1665-1689), Paris, 1881, édition Damascène Morgand et Charles Fatout, tome II (années 65-66).Les Amours de Jupiter et de Sémélé, pièce qui fut jouée au commencement de janvier 1666, au Théâtre du Marais et qui connu un grand succès.
Sa Majesté, le même jour, Presqu’avec toute la cour, Fut voir sans mouiller la semelle Comment JupiteretSemeleSe font l’amour sur nouveaux frais Dans les machines du Marais. Ce sont, ce dit-on, des merveilles Pour les yeux et pour les oreilles. Pour les oreilles, je le crois, Ainsi qu’un article de foi Car Boyer qui sur le théâtre Fait du bruit presque autant que quatre, De ce poëme a fait les vers, Et Molière Il ne s’agit pas du célèbre dramaturge, mais du musicien Mollier. a fait les concerts.
Ces différentes épigrammes rédigées à l’encontre de notre auteur rendent bien compte de l’esprit de cabale régnant à l’époque et dont a souffert l’ensemble de la carrière de Boyer.
Qui dit froid écrivain dit détestable auteur. Boyer est à Pinchêne égal pour le lecteur ; On ne lit guère plus Rampale et Mesnadière, Que Magnon, du Souhait, Corbin, et La Morlière. Un fou du moins fait rire, et peut nous égayer ; Mais un froid écrivain ne sait rien qu’ennuyer Boileau, .Art Poétique, chant IV, v. 33-38, éd. J.-P. Collinet, Paris, Galllimard, coll. « Poésies », 1985, p. 253.
Quand les pièces représentées De Boyer sont peu fréquentées Chagrin qu’il est d’y voir peu d’assistants, Voici comme il tourne la chose : Vendredi, la pluie en est cause, Et dimanche, c’est le beau temps Antoine, Furetière, .Recueil des Factums d’Antoine Furetière, éd. Charles Asselineau, Paris, Poulet-Malassis et de Boise, 1859, (2 vol.), in-16, d’après l’édition de 1694.
Sur la Judithde Boyer.A sa Judith, Boyer par aventure,Etait assis près d’un riche Caissier. Bien aise était ; car le bon Financier S’attendrissait, et pleurait sans mesure. Bon gré vous sais, lui dit le vieux Rimeur ; Le beau vous touche, et ne seriez d’humeur A vous saisir pour une Baliverne. Lors le Richard en larmoyant, lui dit, Je pleure, hélas ! de ce pauvre Holopherne, Si méchamment mis à mort par Judith Racine, .Œuvres complètes, vol. I (Théâtre et poésies), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 1104.[Sur l’ Asparde M. de Fontenelle]Ces jours passés chez un vieil histrion, Un chroniqueur mettait en question, Quand à Paris commença la méthode De ces sifflets qui sont tant à la mode ; Ce fut, dit l’un, aux pièces de Boyer, Gens pour Pradon voulurent parier. Non, dit l’Acteur, voici toute l’histoire, Que par degrés je vous vais débrouiller ; Boyer apprit au parterre à bâiller. Quant à Pradon, si j’ai bonne mémoire, Pommes sur lui volèrent largement, Or quand sifflets prirent commencement, C’est, j’y jouais, j’en suis témoin fidèle, C’est à l’ Aspardu Sieur de FontenelleRacine, .Œuvres complètes, vol. IThéâtre et poésies, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 1089.
Nous signalons en gras la première entrée en scène de chaque personnage et nous indiquons pour chaque apparition le nombre de vers prononcés.
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