Après la mort de Molière en 1673 la comédie semblait être hantée par sa mémoire. Non
seulement ses pièces continuèrent pour quelques années à constituer le principal élément
dans le répertoire de ses compagnons, mais aussi on chercha à ramener ses personnages
sur la scène comme le firent Brécourt (dans L’Ombre de Moliere),
Champmeslé (dans Les Fragmens de Moliere), ou encore Thomas Corneille,
à la demande d’Armande Béjart, veuve de Molière, il est vrai, avec la réécriture en vers
du Festin de Pierre. Beaucoup d’autres auteurs imitèrent Molière et sa
mémoire était si forte que Dufresny fit déclarer par un personnage de son Négligent en 1692 qu’il était difficile d’écrire une comédie car elle serait
considérée soit comme une imitation médiocre de Molière soit comme une pièce qui, ne
l’ayant pas imité, serait par conséquent sans valeur. Néanmoins, beaucoup s’y essayèrent
et tentèrent d’associer à la fois imitation et innovation.
Comme il était difficile d’accepter le fait qu’après février 1673 il n’y aurait plus de nouvelles comédies écrites de la main de Molière, les trois auteurs cités plus haut cherchèrent à capitaliser sa popularité dans des pièces écrites en son honneur, reproduisant de célèbres scènes qu’il avait composées ou rendant possible la représentation d’une œuvre interdite. Assez étrangement, ce fut la troupe rivale, celle de l’Hôtel de Bourgogne, qui chercha la première à rappeler sa mémoire.
C’est ainsi qu’en mars 1674 Guillaume Marcoureau, sieur de Brécourt, produisit pour la
première fois à l’Hôtel de Bourgogne L’Ombre de Moliere, pièce qu’il
espérait voir être une « espèce de table » des comédies de Molière et donc largement
inspirée de ses pièces et de ses personnages. Dans cette optique, la pièce est quelque
peu incomplète mais elle rappelle bon nombre de pièces majeures et montre que Brécourt
les admirait grandement. La seconde pièce qui rend hommage à Molière requiert encore
moins d’esprit inventif : il s’agit des Fragmens de Moliere de Charles
Chevillet, sieur de Champmeslé, qui fut probablement composée à la fin de l’année 1674
après la représentation et la publication de L’Ombre. Le fait que Le Festin de Pierre n’avait pas été publié à ce moment-là encouragea
Champmeslé à reproduire quelques unes de ses scènes, en prenant soin d’éviter celles qui
avaient fait scandale en 1665.
De fait, une telle entreprise de la part de comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, la
troupe rivale de celle de Molière, peut surprendre, car la concurrence entre les
troupes était, au XVIIe siècle, virulente et se trouva renforcée
à la mort de Molière.
Du vivant de Molière, trois troupes étaient en compétition : la troupe de l’Hôtel de Bourgogne, ou Troupe royale, celle du Marais, les « petits comédiens », et celle de Molière au Palais Royal, appelée la Troupe du roi depuis 1665. À la mort de Molière en 1673, La Grange, comédien et régisseur de la troupe (qui a laissé un précieux registre où il a consigné les événements marquants et tenu les comptes de la compagnie), regroupa les comédiens autour d’Armande Béjart, veuve de Molière, et assura la fusion avec le Marais. Désormais il n’y avait plus que deux troupes en compétition : celle de l’Hôtel de Bourgogne et celle qui résultait de la fusion des compagnons de Molière avec le Marais et qui se produisit désormais au Théâtre Guénégaud.
Or à la mort de Molière une querelle débuta entre les troupes pour savoir qui pouvait reprendre son répertoire. On sait que la plupart des comédies de Molière connurent un grand succès et que sa mémoire hantait toujours la comédie à cette période-là. Ses pièces demeuraient à l’affiche des théâtres et le public prenait plaisir à venir revoir les personnages et les intrigues qui l’avaient tant fait rire. Il y avait donc beaucoup d’intérêt pour chaque troupe à reprendre ce répertoire pour attirer le plus grand public possible et faire recette. Mais qui pouvait prétendre posséder légitimement son répertoire ? Il y avait ceux qui se disaient ses héritiers, c’est-à-dire les compagnons de Molière, et ceux qui estimaient, comme leurs rivaux, que Molière n’appartenait à personne. Or le répertoire de Molière n’était pas la propriété de ses successeurs et c’est pourquoi l’Hôtel de Bourgogne se réserva le droit de représenter toutes ses pièces qui étaient désormais, parce que publiées, du domaine public.
Par ailleurs, La Grange entendait conserver pour ses compagnons le répertoire et l’esprit de Molière. Les deux troupes possédaient alors quasiment le même répertoire comique. Il s’agissait donc d’innover pour attirer le public tout en lui donnant à voir ce qui lui plaisait. C’est dans ce contexte de compétition et d’âpres luttes opposant les troupes rivales que l’on peut comprendre la démarche de Brécourt et de Champmeslé. L’heure était à la concurrence et c’était à celui qui saurait tirer profit du succès de Molière à son avantage propre et à celui de sa troupe. Ces auteurs cherchèrent donc à capitaliser sa popularité dans des pièces écrites en son honneur. Si la démarche honorifique pouvait sembler réelle au départ, elle ne deviendrait ici plus qu’un prétexte pour faire ressurgir plusieurs personnages de Molière, ou reproduire de célèbres scènes qu’il avait composées, les uns et les autres étant bien connus du public et encore très présents dans sa mémoire. Ainsi, les deux auteurs étaient-ils d’emblée presque assurés du succès de leur pièce : ils ne pouvaient être accusés de plagiat, puisque leur démarche honorifique les légitimait, et l’attente et le plaisir des spectateurs seraient satisfaits. Brécourt le certifie lui-même dans le prologue de sa comédie comme pour assurer sa démarche et faire comprendre son intention au public :
Allez, Oronte, quelque chose que ce soit, le seul sentiment qui vous l’a fait entreprendre, vous doit assurer de la eüssite de vostre Ouvrage ; et rien n’est plus honneste à vous, que de montrer au Public avec quelle justice vous estimiez un si grand Homme
Brécourt, .L’Ombre de Molière, Prologue, p. 11-12.
De plus, il était bon pour un auteur comique d’associer son nom à celui de Molière, la référence en matière de comédie. On pourrait y voir aussi une sorte de revendication : le désir d’être reconnus comme de véritables auteurs comiques en montrant que, s’ils n’étaient pas Molière, ils étaient capables d’écrire du Molière.
Cependant, on ne peut évaluer la démarche de ces deux auteurs sur les seuls enjeux historiques, car ce serait réduire leur volonté honorifique à la simple recherche de profit personnel et cela amoindrirait leur désir de rendre mémoire à cet illustre comédien dramaturge. Il faut considérer leurs rapports personnels avec Molière.
En ce qui concerne Brécourt, ce lien personnel est évident puisqu’il a été comédien de la troupe de Molière. Même s’il n’y resta que deux années, Brécourt faisait partie des excellents comédiens de la troupe et des amis de Molière. Il put donc admirer de près aussi bien le comédien que le dramaturge et apprécier son style, sa verve, son succès à plaire et à divertir le public tout en corrigeant les vices de son siècle. Par la suite, s’il quitta la Troupe du Roi pour la Troupe royale de l’Hôtel de Bourgogne, cela n’empêcha pas Brécourt de continuer à admirer ce grand homme qui avait su « révolutionner » la comédie et mettre ce genre à l’honneur. C’est cette admiration que Brécourt cherche à montrer dans son prologue même si celui-ci contient sans aucun doute une dimension rhétorique. Il commence d’abord, à travers le personnage d’Oronte, par redire son amitié pour ce grand homme :
Vous sçavez que j’estimois Moliere ; et cette Piece n’est autre chose qu’un Monument de mon amitié que je consacre à sa mémoire
Brécourt, .L’Ombre de Moliere, Prologue, p. 9.
Il continue ensuite en dressant un portrait élogieux de Molière pour prouver la constance de son éthos, dans sa vie privée comme dans sa vie d’auteur et de comédien :
Il estoit dans son particulier, ce qu’il paroissoit dans la Morale de ses Pièces ; honneste, judicieux, humain, franc, généreux ; et mesme, malgré ce qu’en ont crû quelques Esprits mal faits, il tenoit un si juste milieu dans de certaines matières, qu’il s’éloignoit aussi sagement de l’excés, qu’il sçavoit se garder d’une dangereuse médiocrité. Mais la chaleur de nostre ancienne amitié m’emporte, et je m’apperçoy qu’insensiblement je ferois son Panegyrique, au lieu de vous demander quartier ; j’ay plus besoin de grace, que sa mémoire de loüanges
. Ibid., p. 10-11.
Par une pirouette rhétorique, Brécourt rappelle donc que Molière n’a pas besoin de
cette petite « bagatelle » pour que sa mémoire soit louée, et montre ainsi qu’il ne
peut soutenir la comparaison avec ce grand dramaturge. Il ne veut d’ailleurs pas
parler, à propos de L’Ombre, de pièce ou de comédie, il leur
préfère les notions de « petit ouvrage », ou de « chose » qu’il a, dit-il, « dédiée
à la seule mémoire de son ami ». Mais par cette fausse modestie, Brécourt laisse
suggérer le contraire de ce qu’il écrit, peut justifier sa démarche en la plaçant
uniquement sur le mode de l’éloge à un grand homme, et s’assurer ainsi l’assentiment
du public.
Néanmoins, si l’hommage n’est qu’un moyen pratique pour s’attirer les bonnes grâces des spectateurs et de l’opinion, l’admiration de Brécourt pour Molière est sincère et le portrait qu’il esquisse prouve qu’il a bien compris ce grand homme et son œuvre.
Connaître le rapport que Champmeslé aurait pu avoir avec Molière est beaucoup moins
aisé car il ne fut jamais membre de la Troupe du Roi. Néanmoins, Molière étant le
grand auteur comique, il ne pouvait pas ne pas remarquer l’engouement général qui se
manifestait pour ses comédies, de son vivant même, mais aussi encore après sa mort.
Lui-même fut forcé de se mettre « à la mode » lorsqu’il écrivit des comédies pour
plaire au public et répondre à ses attentes et à ses exigences. C’est pourquoi, avec
les Fragmens de Moliere, ce n’était pas la première fois que
Champmeslé s’inspirait de Molière. On peut prendre pour exemple Les
Grisettes (1671). Mais il faut avant tout replacer le contexte pour expliquer
les raisons d’une telle influence.
À partir des années 1660 et jusque dans les années 1670, quand les grands comédiens virent que Molière attirait la foule au Petit-Bourbon, puis au Palais-Royal, Villiers, Poisson et le fils de Montfleury fournirent l’Hôtel de Bourgogne d’un répertoire de petites comédies et de farces pour concurrencer la Troupe du Roi, ce que certains leur reprochèrent :
On vit tout à coup, écrit Gabriel Guéret, ces comédiens graves devenir bouffons, et leurs poètes héroïques se jeter dans le goguenard
Dans Adam, Antoine, .Histoire de la littérature française du XVII, Domat, 1948-1952 ; rééd. Del Duca, 1962 ; rééd. Albin Michel, 1996.esiècle
D’autres, comme Robinet, s’indignèrent, au cours de la querelle de L’Ecole des femmes, de voir l’unique et incomparable Troupe royale obligée
de « renoncer »
Champmeslé rejoignit les Comédiens du Roi en 1670. La rivalité demeurait forte avec
la troupe de Molière et tout était bon, même les intrigues, pour concurrencer ses
adversaires et avoir la préférence. La Troupe royale chercha donc à se fournir un
répertoire complet tant dans le genre tragique que dans le genre comique pour être
la référence et avoir l’exclusivité du public. Elle avait déjà obtenu la Champmeslé,
la meilleure actrice de tragédie, et l’interprète préférée de Racine, et cinq de ses
acteurs étaient parmi les plus en vue de l’époque. Villiers, Poisson, Hauteroche,
Brécourt et Champmeslé fournissaient à l’Hôtel une bonne partie de son répertoire.
C’était un avantage pour la troupe d’avoir Brécourt qui avait joué sous l’autorité
de Molière, mais aussi Champmeslé, « comédien qui réunissait les talents de la
représentation et de la composition », comme le notera MaupointBibliothèque des théâtres,
1733.
Et de fait, Champmeslé commença sa carrière d’auteur après son entrée à l’Hôtel de
Bourgogne, et sa première pièce fut une comédie en trois actes, Les
Grisettes. Or cette pièce s’inspirait en grande partie des sujets et des
personnages moliéresques. Selon LancasterA History of French Dramatic Literature in the
Seventeenth Century, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1929-1942.George
Dandin, mais imite, en tout cas, largement les Précieuses
ridicules dont elle reprend le schéma. De fait, il s’agit d’un bourgeois qui
désire marier ses deux filles à des hommes de leur propre classe, mais celles-ci
sont décidées à n’avoir que des amants gentilshommes. Lorsque Champmeslé édita la
pièce pour la seconde fois en 1671, il la réduisit en un acte et changa le titre
en : Les Grisettes ou Crispin Chevalier. On retrouvait, dans le
titre, le personnage de Crispin que Poisson avait opposé au personnage de
Sganarelle, et Lancaster estime que ce changement était probablement dû au désir de
Champmeslé d’imiter davantage Les Précieuses ridicules et de
donner une plus grande unité à sa pièce.
Cet exemple parmi d’autres prouve que Champmeslé connaissait bien les œuvres de
Molière, qu’il les appréciait et qu’il ne pouvait s’empêcher de s’en inspirer pour
la composition de ses propres comédies. On peut comprendre alors sa démarche,
lorsqu’il composa, après la mort de Molière, Les Fragmens : il
rendait hommage au grand dramaturge chez qui il avait abondamment puisé. Cependant,
la démarche honorifique est quelque peu amoindrie par le fait qu’il profita de ce
que Le Festin de Pierre n’avait pas été publié pour reproduire des
fragments de la pièce interdite. Il offrit ainsi en exclusivité à l’Hôtel de
Bourgogne des scènes reprises intégralement au Festin de Pierre,
encadrées par des scènes de sa propre composition, sans que l’on puisse l’accuser de
plagiat puisque son intention était honorable. Dans le jeu des rivalités et de la
concurrence la Troupe royale y trouva un avantage non négligeable.
Après L’Ombre de Moliere de Brécourt, c’est Champmeslé qui lui
emboita le pas pour rendre hommage à Molière en représentant pour la première fois à
l’Hôtel de Bourgogne, en 1674, Les Fragmens de Moliere. La pièce fut
reprise par la suite par la troupe de la Comédie Française au théâtre Guénégaud en 1681
et dans une série de représentations au théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain en
1701.
La date de composition est inconnue, ainsi que la date précise de sa représentation,
mais comme elle était mentionnée dans Le Mercure Galant d’octobre 1677
parmi les pièces récemment jouées à la cour, on pourrait croire qu’elle ne parut qu’à ce
moment-là. Or, selon LancasterA History of French Dramatic Literature in the Seventeenth
Century, Part. III et IV, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1929-1942.Le Mercure se référait seulement aux
nouvelles pièces, il est possible qu’elle ait été composée plus tôt. Il la date ainsi de
la fin de l’année 1674 après la première représentation et la publication de L’ombre de Moliere. Le fait que Le Festin de Pierre
n’avait pas encore été publié à ce moment-là encouragea Champmeslé à reproduire
quelques-unes de ses scènes en prenant soin de ne pas reproduire celles qui avaient fait
scandale à sa première représentation de 1665. Champmeslé y ajoute un passage de Scapin et quelques scènes de sa propre invention qui fournissent un
cadre et une structure aux fragments empruntés et apporte une conclusion relativement
heureuse à la pièce.
La pièce ne fut publiée qu’en 1682 à Paris chez Jean Ribou, mais il ne figure aucune
date d’achevé d’imprimer dans l’exemplaire. Cependant, la gazette de Leyde datée du 10
février 1682 annonçait la mise en vente chez Ribou des Fragmens de
Moliere de Champmelé. Il ne figure pas non plus de privilège, bien que la mention
« Avec Privilege du Roy » apparaisse sur la page de couverture. À ce
sujet on peut émettre plusieurs hypothèses, nous retiendrons celle-ci : il est dit dans
le privilège d’une autre pièce de Champmeslé, Les Parisiens, daté de
1682, la même année que la publication des Fragmens, que « ledit Sieur
de Champmeslé a cédé et transporté son droit de privilège à Jean Ribou, Marchand
libraire, pour en jouir suivant l’accord fait entre eux ». L’édition des Fragmens ayant été réalisée par Jean Ribou, comme la plupart de ses autres
pièces, il a pu y avoir un report automatique du privilège sans que celui-ci ait été
retranscrit. Il est probable qu’il n’y ait plus d’exemplaire de l’édition de 1682 car on
trouve en fait la pièce dans Les Œuvres de Monsieur de Champmeslé,
imprimées à Paris chez Jean Ribou en 1692. Une autre édition de ses œuvres fut effectuée
en 1696 chez T. Guillain. Jean Ribou les réédita par la suite en 1735 et en 1742 après
la mort du dramaturge. En résumé, s’il y a eu publication de la seule pièce des Fragmens, ce serait donc seulement en 1682.
Champmeslé reprend donc, par fragments, des sènes du Festin de pierre
de Molière ainsi que ses personnages pour recomposer une petite comédie en deux actes et
en prose, basée sur une nouvelle intrigue : ce n’est plus tant l’histoire de Dom Juan,
mais celle de Pierrot et Charlotte, deux paysans et personnages secondaires de la pièce
de Molière, dont le mariage est devenu incertain depuis l’arrivée de Dom Juan.
Pierrot, paysan, est fiancé à Charlotte, la fille du juge du village. Au début du premier acte, Pierrot a sauvé Dom Juan et son valet Gusman d’un naufrage en mer et les a emmenés chez lui. Dom Juan rencontre Charlotte, la séduit et lui montre tous les avantages qu’il y aurait à être une dame de condition : mais pour cela, elle doit renoncer à Pierrot et s’enfuir avec lui. Elle se laisse facilement fléchir, mais Pierrot arrive sur ces entrefaites, découvre tout et va se plaindre au juge de l’inconstance de sa fille. De son côté, Gusman rassure son maître : il lui obtiendra Charlotte en faisant pression sur le juge, grâce à une petite mise en scène. Mais le procédé échoue et le juge menace d’ameuter tout le village contre Dom Juan. Gusman conseille à son maître de fuir, devant le nombre et la fureur des villageois, et de revenir plus tard pour donner suite à ses projets avec Charlotte s’il le souhaite. Un malheur n’arrivant jamais seul, Dom Juan et Gusman ont la déplaisir de voir arriver Monsieur Dimanche, créancier à qui ils doivent tous deux de l’argent et qu’ils fuyaient lorsqu’ils ont fait naufrage. Ils parviennent sans mal à le chasser sans le payer. Gusman doit alors raccommoder le désordre provoqué par Dom Juan. Il parvient à calmer le juge et Pierrot, en train de donner l’alarme, en leur apprenant que Dom Juan ne s’oppose plus au mariage de Pierrot et Charlotte, et qu’au contraire il payera le festin et désire être le parrain de leur premier enfant. Pierrot, tout heureux, va boire à la santé de Dom Juan.
Par rapport à L’ombre de Molière, la pièce requiert encore moins
d’esprit d’inventivité car il ne s’agit plus seulement de reprendre ici des personnages
moliéresques avec quelques unes de leurs répliques et leurs attributs, et nous verrons
que Champmeslé modifie certains traits, il s’agit avant tout de reprendre des passages,
voire des scènes entières, d’une comédie de Molière qui n’a pas encore été publiée.
Peut-être faut-il rappeler les raisons de cette non publication.
Le Festin de Pierre fut créé par Molière en février 1665, mais dès sa
première représentation la pièce fit scandale, et l’on prit soin de l’étouffer car elle
survenait après la querelle déchaînée par Tartuffe qui était déjà
assez virulente pour ne pas en commencer une nouvelle. La pièce disparut donc au
lendemain de Pâques et ne fut jamais reprise. En 1677, la veuve de Molière demanda à
Thomas Corneille de faire une adaptation en vers du Festin de Pierre.
Une autre version apparut en 1682 dans le receuil des Œuvres de Monsieur de
Molière édité à Paris : il s’agissait de la pièce modifiée par La Grange qui
l’intitula Dom Juan. La version complète de la pièce de Molière, que
l’on disait être telle qu’elle avait été jouée la première fois, fut publiée à Amsterdam
en 1683. Les éditions actuelles intitulées Dom Juan sont donc de pures
fabrications faites à partir de l’édition de 1682 à laquelle on a rajouté des parties
manquantes piochées dans l’édition d’Amsterdam. Il ne s’agit donc pas du Festin de Pierre, pièce sulfureuse en prose de Molière disparue depuis toujours,
mais d’une pièce refabriquée qui, elle, ne fait pas scandale. En résumé, il y a deux Festin de Pierre qui courent sous le nom de Molière : celui réécrit par
Thomas Corneille et qui porte le même titre, et le Dom Juan édité par
La Grange, ancien compagnon de Molière.
Charles Chevillet, sieur de champmeslé, naquit le 20 octobre 1642 à Paris et y mourut
le 22 août 1701. Il était le fils d’un marchand de rubans sur le Pont-au-Change. Il
commença probablement sa carrière théâtrale en 1665 en jouant dans la troupe de François
Serdin qui se produisait à Rouen. C’est là qu’il épousa le 9 janvier 1666 Marie
Desmares, jeune comédienne qui prit le nom de la Champmeslé par son mariage et allait
devenir l’une des plus célèbres comédiennes de tragédie et l’interprète favorite de
Racine. Il aspira bientôt à paraître sur le théâtre de la capitale et, s’étant aquis de
la réputation en province, il ne lui fut pas difficile de se faire recevoir en 1668 avec
sa femme au théâtre du Marais où il établit, entre autres, le rôle de Policrate dans la
comédie héroïque de l’abbé Boyer qui porte ce titre, ou le rôle de Mars dans Les Amours de Vénus et d’Adonis de Donneau de Visé. À Pâques 1670 il
passa avec sa femme dans la troupe de l’Hôtel de Bourgogne où il créa notamment le rôle
d’Antiochus dans la Bérénice de Racine, de Métellus dans le Régulus de Pradon, ou d’Arsace dans le Tiridate de
Campistron. Il joua à la fois des rois de tragédie et des paysans de comédie. Mais à
Pâques 1679, Champmeslé alla, sur la demande de La Grange, retrouver ses anciens
camarades du Marais, réunis sur le théâtre Guénégaud à la troupe de Molière, dont La
Grange faisait partie, avant de participer à la création de la Comédie Française en
1680. Il mourut subitement le 22 août 1701 devant un cabaret, d’autres disent en en
sortant, ce qui porta préjudice aux cérémonies de sa sépulture.
Il était réputé pour être un fort bon acteur, et même Lancaster dit à son sujet qu’« il
devint si célèbre comme acteur que les auteurs le consultaient au sujet de leurs pièces
et qu’il amassa une fortune considérableA History of French Dramatic Literature in the Seventeenth
Century, Part. III et IV, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1929-1942.Galerie historique des
acteurs de théâtre français depuis 1600 jusqu’à nos jours, Paris, J. Chaumerot,
1810, t. I, p. 181.
Champmeslé ne commença pas sa carrière d’auteur avant son entrée à l’Hôtel de Bourgogne
et il écrivit d’agréables pièces sans prétention en prose ou en vers et de un, trois ou
cinq actes. Il composa essentiellement des comédies comme Les
Grisettes (1671) reprise et modifiée la même année sous le titre Les
Grisettes ou Crispin chevalier ; L’heure du Berger, pastorale
en cinq actes (1672) ; La Rue Saint-Denis et Le
Parisien (1682) ; Ragotin (1684), dérivé du Roman
Comique et parodie de la Cléopâtre de La Chapelle ; La Veuve, pièce non publiée (1699) ; et on prétend qu’il écrivit avec La
Fontaine les quatre petites pièces suivantes, : Le Florentin, 1685,
La Coupe enchantée, 1688, Le Veau perdu, 1689, et
Je vous prends sans verd, 1693. Il a composé également ces comédies
qui n’ont pas été publiées et qui ont été perdues : La Bassette, 1680,
Les Joueurs et Le Divorce, 1683.
Il s’inspire beaucoup des pièces de Molière dans le choix de ses personnages et de ses
sujets pour composer ses comédies. On pense bien sûr aux Grisettes qui
imitent les Précieuses ridicules, aux Fragmens de
Molière, évidemment, mais aussi au Florentin qui ressemble à
L’Ecole des femmes, mais en un acte seulement.
Les Fragmens de Moliere reprennent donc, comme le titre l’indique,
des fragments du Festin de Pierre que Champmeslé lie avec des scènes
de sa propre création pour fournir la charpente d’une petite comédie en deux actes qui
repose sur une intrigue tout à fait différente de celle de Molière. La pièce n’a plus
les mêmes enjeux que Le Festin de Pierre car elle n’ambitionne pas
de condamner, dans une intention moralisante, l’impiété, l’immoralité et la conduite
scandaleuse de Dom Juan, même si celui-ci demeure volage et séducteur. En effet, la
pièce propose une intrigue de comédie puisque l’enjeu est de savoir si le mariage de
Pierrot et Charlotte, deux paysans, pourra avoir lieu, Dom Juan constituant l’obstacle
majeur à sa réalisation. On peut donc affirmer qu’il s’agit-là du schéma typique de la
comédie : deux amants en parfaite intelligence séparés par un obstacle, Dom Juan et sa
séduction, et réunis à la fin par un mariage. Néanmoins, le terme d’amants est un peu
excessif parce que Pierrot et Charlotte sont loin des amants en parfaite intelligence
que l’on peut rencontrer par exemple chez Molière. Charlotte est fiancée à Pierrot par
la volonté de son père et non la sienne, ainsi que cela se fait couramment à cette
époque. D’ailleurs cette décision ne tient qu’à peu de chose car Charlotte explique à
Dom Juan :
Oh, Monsieur, mon pere me vouloit marier au gros Lucas, mais ma mere n’a pas voulu, à cause qu’il me falloit aller demeurer à trois lieuës d’icy avec luy
Champmeslé, .Les Fragmens de Moliere, Acte I, scène IV, p. 26.
Elle est donc fiancée à Pierrot qui « demeure auprès de chez eux ». En outre, comme chez Molière, le manque de ferveur de Charlotte est exprimé par Pierrot dès la scène III du premier acte dans laquelle il se plaint qu’elle ne montre pas assez les marques de son amour et qu’elle ne lui rend pas l’affection qu’il a pour elle. Ainsi, lorsque Pierrot lui dit que « quand l’an a de l’amitié pour les personnes, on en donne toûjours queuque petite signifiance », elle lui répond :
Hé bien, laisse-moy en repos, et va en chercher quelque autre
. Ibid., Acte I, scène III, p. 22.
Et lorsque Pierrot lui demande un peu plus d’amitié elle réplique que « cela viendra sans y songer ». Le manque d’ardeur de Charlotte pourrait constituer l’un des obstacles au mariage, mais il devient rapidement un faux obstacle relayé par un nouveau fondamentalement plus majeur : l’arrivée, à la fin de la scène, de Dom Juan qui préoccupe trop Charlotte pour qu’elle puisse promettre à Pierrot de faire des efforts pour l’aimer d’avantage.
Par cette nouvelle intrigue, Champmeslé opère un changement de protagoniste par
rapport au Festin de Pierre puisque les deux paysans, personnages
secondaires chez Molière, se trouvent, avec Champmeslé, basculés au centre de
l’intrigue, et Dom Juan, en jouant le second rôle, n’est plus que l’obstacle qui nuit
à la réunion des deux fiancés. En outre, d’autres personnages secondaires du Festin de Pierre ont, dans Les Fragmens, un rôle
décisif et notamment le juge, le père de Charlotte, substitué au personnage de la
tante dans Le Festin, présent dans plusieurs scènes et dont la
menace de faire sonner le tocsin contre Dom Juan le fait fuir, détruisant ainsi le
principal obstacle qui empêchait le mariage. Il permet même de précipiter ce mariage,
qui ne semblait pas prévu dans un avenir aussi proche au début de la pièce, car il est
question, à la dernière scène, du festin que Dom Juan va offrir, même s’il n’est pas
dit clairement que le mariage va avoir lieu à la fin de la journée. De fait, devant
l’heureuse nouvelle de la possibilité de son mariage, Pierrot ne va pas chercher le
notaire ou le curé, il s’en va « boire chopine » ! On pourrait croire, aussi, que le
rôle de Monsieur Dimanche est décisif et que son arrivée concourt à faire fuir Dom
Juan –et c’est ainsi que Champmeslé aurait pu présenter la scène pour mieux l’intégrer
dans l’action de la pièce– mais, étant donné que la décision de fuir est déjà prise
avant que Gusman ne soit informé par son maître de son arrivée, la scène avec le
créancier n’a pas de véritable incidence sur l’action et ne fait que renforcer ce qui
a été décidé à la scène précédente.
Champmeslé offre donc une simplification très nette de l’intrigue du Festin puisqu’il n’en reprend que quelques fragments, mais aussi parce que la
pièce se déroule uniquement sur deux actes, ce qui ne lui confère pas forcément, pour
autant, une plus grande unité. Il n’y a pas, par exemple unité de lieu, puisque la
scène représente plusieurs lieux différents. À ce sujet, l’absence de didascalies
n’aide pas le lecteur à s’y retrouver, s’il ne peut pas être spectateur également. Il
est nécessaire, pour le spectateur comme pour le lecteur, de garder à l’esprit la
scénographie du Festin de Pierre pour identifier l’espace de la
pièce. Arrêtons-nous donc un instant pour redéfinir la scénographie et les lieux de la
pièce en nous basant sur le Dom Juan, la version actuelle que nous
avons de la pièce de Molière.
Pour le décor de l’acte I, on se réferre à l’acte II du Dom Juan où
sont reprises les scènes entre Pierrot et Charlotte, Gusman et Dom Juan. Le théâtre
représente un hameau de verdure, avec une grotte au travers de laquelle on voit la
mer : il s’agit donc d’un décor de campagne en bord de mer. La maison de Pierrot,
ainsi que celle de Charlotte et du juge doivent également être représentées. À
l’ouverture de la scène I, les deux pasteurs Lignon et Jourdain déclament leur amour
probablement devant la porte de la demeure de Charlotte. En effet, à la scène II,
Lignon déclare :
nous sommes deux pauvres Amans nécessiteux, qui viennent à vostre Porte vous demander l’aumône de vos bonnes graces
Champmeslé, .Les Fragmens de Moliere, Acte I, scène II, p. 9.
Ils se retirent à la fin de la scène en voyant venir, depuis la mer, Pierrot qui
entre à la scène III, une rame à la main d’après Le Mémoire de
Mahelot, puisqu’il arrive après avoir sauvé Dom Juan naufragé. Pierrot et
Charlotte se tiennent probablement toujours devant la maison de celle-ci, avec la mer
en perspective pour que Pierrot puisse la désigner lorsqu’il raconte à Charlotte le
sauvetage. Dom Juan et Gusman entrent à la scène IV, tandis que Pierrot va « boire
chopine ». Ils sortent sans doute de la maison de Pierrot, qui les avait emmenés chez
lui après le sauvetage, et la scène se déroule toujours devant la maison de Charlotte
puisque Dom Juan la désigne en lui disant qu’il faut qu’elle quitte « une si triste
demeure ». Pierrot entre à la scène V et le décor reste inchangé. Les personnages se
tiennent toujours devant la maison de Charlotte où Pierrot entrent à la fin de la
scène, probablement suivi par Charlotte, pour aller voir le juge. Dom Juan et Gusman
restent seuls devant la maison, complotent pour obtenir Charlotte, puis s’en vont, à
la fin de la scène et donc du premier acte, « faire un doigt de collation ».
Le deuxième acte s’ouvre avec le même décor : à la scène I, le juge et Charlotte se
tiennent devant leur maison puisque le premier dit à sa fille de « rentrer au logis »,
ce qu’elle fait. Arrive, à la scène II, Gusman qui s’entretient avec le juge devant la
maison de ce dernier. Puis, c’est l’entrée de Silvestre, à la scène III, pour la
petite scène que Gusman a préparée pour terrifier le juge. Gusman demande au juge de
se tenir « un peu à l’écart », ce qui signifient qu’ils s’écartent sans doute de la
maison du juge, et s’avancent probablement sur le devant de la scène. Silvestre sort
après son petit numéro à l’épée, et à la fin de la scène, le juge rentre sans doute
chez lui « pour consulter ce qu’il a à faire », laissant Gusman seul. Un changement de
décor est opéré pour les scènes IV et V puisque l’on se trouve dans la maison de Dom
Juan que Gusman vient retrouver pour lui donner l’issue de son complot. Dom Juan lui
apprend l’arrivée de Monsieur Dimanche qui entre à la scène V dans ses appartements.
Cela est confirmé par la didascalie qui indique que Dom Juan « repousse insensiblement
M. Dimanche jusques à ce qu’il soit contre la porte », puis par le fait qu’il
appellent ses gens pour que l’on apporte des flambeaux et pour que soit reconduit M.
Dimanche. L’auteur laisse libre court à l’imagination du lecteur pour savoir dans
quelle maison se trouve Dom Juan. Néanmoins on sait qu’il n’a pas quitté le village,
contrairement à la pièce de Molière, puisque Gusman lui propose d’enlever Charlotte
« à la première occasion d’une barque qui partira »L’Ombre de Molière, Acte II, scène IV, p. 47.
Il reste à émettre des hypothèses sur la façon dont est placé le décor sur la scène,
pour justifier que le changement radical de décor aux scènes IV et V de l’acte II ne
soit pas justifié par une didascalie. On peut ainsi penser que la demeure ou la
chambre d’hôtellerie que Dom Juan occupe dans le hameau est placée au centre du
théâtre sur le mur du fond et qu’un décor coulissant permet de faire voir les
appartements de Dom Juan pour ces deux scènes. Sur le côté gauche se trouvent
probablement la maison de Pierrot et, sur le devant de la scène, la grotte avec la mer
en perspective. Sur le côté droit se trouvent sûrement la maison du juge et de
Charlotte, au-devant de la scène, et peut-être, au fond, une auberge où Pierrot va
boire à plusieurs reprises. Mais cela reste une hypothèse car il n’y a jamais
désignation de ce lieu dans le texte. Il peut n’y avoir qu’un décor de façade de
maison pour compléter le décor villageois. Cependant, tout ce décor reste du domaine
de l’hypothèse, car Le Mémoire de Mahelot montre qu’il n’y a pas
mention de logis dans la liste des accessoires et du décor de la pièce. L’article
attribué aux Fragmens dit, en effet, ceci :
Il faut deux crosses, une rame ou baton à deux bouts, l’épée et l’habit du brave, un deuil noir, des habits de paysans.
Et Lancaster précise :
Les crosses sont probablement pour les acteurs qui représentent les fleuves du Jourdain et du lignon, acte I, scène I ; la rame pour Pierrot, qui arrive en scène après aboir sauvé Don Juan naufragé, I, 3 ; le costume du brave pour Silvestre, II, 3 ; le deuil pour le juge, II ; les habits de paysan pour Charlotte et Pierrot, I, 3. On omet II, 1, logis.
[Lancaster Henry Carrington, éd.], Le Mémoire de Mahelot, Laurent et autres décorateurs de l’Hôtel de Bourgogne, Paris, Champion, 1920, p. 136.
Le fait que Champmeslé pioche des fragments du Festin de Pierre
pour les assembler avec ses propres scènes peut expliquer le difficile enchaînement
entre certaines scènes et le manque de clarté, voire de cohérence, à différents
moments de l’action. C’est le cas, notamment, pour les deux premières scènes qui ne
présentent aucune utilité pour l’action, mise à part le seul fait que la scène I
informe le spectateur que Charlotte est promise à Pierrot ; cela concerne également la
scène V de l’acte II, puisque l’arrivée de Monsieur Dimanche n’a pas de rapport direct
avec l’action des Fragments et ne l’influence aucunement. À ce
sujet, Champmeslé est donc contraint de préciser tardivement, à travers Gusman,
pourquoi il introduit ce personnage et il en fait ainsi la cause principale de la
fuite de Dom Juan et de Gusman qui précède leur naufrage, tout ces éléments ayant eu
lieu avant le début de la pièce.
Quel diable d’embarras ! On dit bien vray, qu’un mal-heur ne vient jamais sans l’autre. Nous partons joyeux d’un païs où nous sommes endebtez, pour aller employer nostre credit ailleurs ; un maudit banc de sable nous fait faire naufrage ; l’amourette vous prend pour une fille promise à un autre ; on nous menace d’amenter tout le village sur nous ; et pour comble de maux nous trouvons M
rDimanche.Champmeslé, Les Fragmens de Moliere, Acte II, scène IV, p. 50.
Le manque de clarté touche la scène III de l’acte II où entre Silvestre. De fait, lorsque ce personnage entre sur la scène, il n’y a aucune information sur son identité et aucune indication expliquant qu’il fait partie du complot dressé par Gusman. Ce dernier mentionne cependant, à la scène précédente, le fait qu’un « drosle » menace de tuer le juge. L’arrivée de Silvestre à la suite de ce propos doit suffir à prouver qu’il s’agit du drôle en question. Le spectateur doit suggérer la connivence des deux hommes par le jeu des acteurs sur la scène, mais pour le lecteur il est moins évident de le deviner, d’autant plus que Gusman ne donne aucune explication à l’acte I à propos du stratagème qu’il a imaginé pour conquérir Charlotte et ne mentionne pas celui qui va l’aider à le réaliser. Silvestre est, en fait, un autre valet de Dom Juan et compagnon de Gusman. Cela est prouvé par les propos de Gusman qui dit au juge à son sujet :
C’est un drosle qui prend avec un peu trop de chaleur les interests de mon Maistre contre vous, touchant vostre fille
Champmeslé, .Les Fragmens de Moliere, Acte II, scène II, p. 39.
Plus loin, Silvestre dit « mon Maistre », ce qui est une référence à Dom Juan.
Cependant, si l’identité du personnage est floue dans la pièce, le spectateur, comme
le lecteur, reconnaît aisément le personnage que Champmeslé tire des Fourberies de Scapin, car la scène imite encore une fois en grande partie
celle de Molière où Silvestre intervient. Reconnaissant donc le personnage, le
spectateur peut alors aisément deviner qu’il est complice de Gusman et qu’il s’agit-là
de la « fourberie » imaginée au premier acte.
À côté de la multiplicité du décor, l’unité de temps est, en revanche, respectée. En effet l’action se déroule en une seule journée, débutant, avant la levée du rideau, par le sauvetage de Dom Juan le matin, le mot est prononcée par Charlotte lorsqu’elle mentionne « le coup de vent da matin », et s’achevant le soir, puisque Dom Juan fait demander des flambeaux.
Si l’unité de temps est incontestable, il n’en va pas de même, semble-t-il pour
l’action. De fait, bien que la pièce soit courte, peut-on parler d’unité d’action ?
Lancaster estime que la pièce est particulière parce qu’elle ne se compose que de deux
actes et que, malgré cela, l’unité de l’action n’est pas préservée puisque les
épisodes de Lignon, Jourdain et M. Dimanche n’ont pas d’effet sur l’intrigueA History of French
Dramatic Literature in the Seventeenth Century, Part. III et IV, Baltimore,
Johns Hopkins Press, 1929-1942.
En ce qui concerne M. Dimanche, nous l’avons vu, ce n’est pas son arrivée qui fait fuir Dom Juan. Il n’est donc pas celui qui permet de détruire l’obstacle empêchant le mariage.
Peut-on alors dire, comme pour L’ombre de Molière, que l’intrigue
ne devient plus qu’un prétexte pour permettre de faire succéder les scènes de Molière
et leur donner une certaine cohérence entre elles ? De fait, Champmeslé met l’accent
sur les fragments du Festin de Pierre au détriment de la continuité
de l’action, de sa cohérence et de sa clarté.
Sur les douze scènes qui composent Les Fragmens de Moliere,
Champmeslé en reprend cinq à Molière, dont quatre au Festin de Pierre
et une aux Fourberies de Scapin, auxquelles il va fournir un lien en
les mêlant à sept scènes de sa propre composition.
Les scènes III, IV et V de l’acte I, et V de l’acte II sont donc largement reprises
au Festin de Pierre de Molière. L’imitation est généralement très
étroite mais on note quelques modifications infimes soit d’ordre lexical comme par
exemple, pour la première réplique de Charlotte à la scène III, la substitution de
« Nostre-dinse » par « Pargué », ou encore l’emploi de « Pierrot » à la place de
« Piarrot », de « Parguenne » à la place de « Parquienne » ; soit d’ordre syntaxique
avec la suppression ou le rajout de mots ; ou encore des modifications dans la
ponctuation, etc.
Pour ce qui est de ces changements on ne sait s’ils sont dus au choix de l’auteur
ou au fait qu’il aurait suivi un manuscrit qui comportait une leçon différente de
celui de l’édition posthume des Œuvres de Molière ou de celui de
l’édition d’Amsterdam. Nous établirons la comparaison à partir du Dom
Juan.
Les trois scènes du premier acte correspondent aux trois premières scènes de l’acte
II du Dom Juan où la scène se situe dans le village de Pierrot et
Charlotte, dans le décor de campagne en bordure de mer. Dom Juan vient d’y arriver
après avoir fait naufrage avec son valet SganarelleLes Fragmens de Molière, Champmeslé substitue Gusman à
Sganarelle.
En ce qui concerne les scènes III et V des Fragmens, les
changements sont insignifiants, excepté ceux requis par l’intrigue. Champmeslé
conserve le langage paysan, ce qui fait toute la saveur et le comique de ces scènes,
car il est en décalage complet avc le langage galant et raffiné de Dom Juan. La
scène III est intégralement reprise à Molière et l’on observe très peu de
changements. On peut simplement noter que chez Molière, Charlotte promet à Pierrot
qu’elle fera tout ce qu’elle peut pour l’aimer davantage avant que Dom Juan
n’arrive, tandis que dans Les Fragmens elle paraît bien plus
intéressée par l’arrivée de Dom Juan qu’elle trouve tout à fait à son goût. La scène
V est presque en tout point semblable à la scène correspondante du Festin de Pierre, excepté le fait que Gusman n’intervient pas pour demander
à son maître de ne plus battre Pierrot et « de laisser-là ce pauvre misérable », car
cela ne correspond plus au nouveau personnage du valet que Champmeslé a modifié.
Gusman ne prend pas non plus le soufflet que Dom Juan destine à Pierrot. La fin de
la scène est modifée : après que Pierrot soit parti pour se plaindre au père de
Charlotte, et non à sa tante, de ce qui s’est passé, Gusman et Dom Juan restent
seuls en scène, Charlotte ayant dû sortir à la suite de Pierrot. Dom Juan persuade
son valet que les sentiments qu’il a pour Charlotte sont véridiques, ce que croit
Gusman, et ce dernier assure à son maître qu’il va « servir sa passion » et l’aider
à conquérir sa belle par quelque ruse. L’idée du valet aidant son maître est bien
évidemment absente dans Dom Juan, la scène se termine par les
nouvelles cajoleries de Dom Juan envers Charlotte, mais il est interrompu par
l’arrivée de Mathurine.
Pour ce qui est de la scène IV des Fragmens, on note plus de
changements : les répliques d’ouverture sont modifiées, ce qui tient au fait que
l’intrigue a elle-même été modifiée : il faut donc accorder la scène et la première
apparition de Dom Juan et Gusman avec le début de la pièce. On note également un
changement dans l’ordre de quelques unes des répliques. Chez Molière, Dom Juan
commence d’abord par demander à Charlotte son nom, puis il la séduit et la flatte en
la décrivant des pieds à la tête, et enfin lui demande si elle est mariée pour la
convaincre ensuite de son amour et de renoncer à Pierrot. En outre, chez Molière,
Charlotte est plus réticente à croire Dom Juan, accusant les courtisans d’être des
« enjôleurs qui ne songent qu’à abuser les filles », même si finalement elle se
laisse convaincre après avoir cherché à s’assurer de la bonne foi de Dom Juan dont
elle ne perçoit pas l’hypocrisie. Chez Champmeslé, l’ordre est inversé : Dom Juan
persuade d’emblée Charlotte qu’elle doit quitter « une si triste demeure »,
s’enquiert sur l’identité de son père, puis lui demande si elle est mariée, la
convainc de renoncer à Pierrot pour partir avec lui et, enfin, en fait le portrait
physique par son discours galant et libertin. Les deux scènes s’achèvent sur la
demande de Dom Juan de recevoir, ou de donner, un baiser, ce que Charlotte refuse,
lui abandonant seulement sa main. Il faut aussi noter que chez Champmeslé, Dom Juan
ne prononce pas le mot « mariage », alors que, chez Molière, il fait croire à
Charlotte qu’il désire l’épouser. C’est bien parce que le Dom Juan de Molière
apparaît comme l’épouseur à tout va, ce qui rend sa conduite et son immoralité
encore plus scandaleuses. Mais l’intrigue étant simplifiée dans Les
Fragmens, Champmeslé n’a pas les moyens de présenter toutes les facettes du
personnage, que le public connaît bien de toute façon. La pièce est avant tout un
hommage à Molière et ne cherche pas à condamner à nouveau les abus scandaleux de la
conduite de Dom Juan, car Molière s’est déjà merveilleusement acquitté de cette
tâche.
La scène V du deuxième acte est façonnée librement sur l’entretien avec M. Dimanche
que l’on trouve à la scène III du quatrième acte de Dom Juan.
Champmeslé reprend le même procédé que Molière : utiliser le langage flatteur de Dom
Juan et faire montre d’une politesse excessive à l’égard de M. Dimanche pour éviter
ainsi, par ces flatteries qui piquent la vanité du créancier, de payer ses dettes.
Champmeslé simplifie quelque peu la scène, en retranchant quelques répliques mais
l’essentiel est là. M. Dimanche paraît cependant moins flatté par les attentions de
Dom Juan dans Les Fragmens. En revanche, l’originalité de
Champmeslé est montrée principalement à la fin de la scène lorsque Gusman, à qui le
créancier demande également de payer ses dettes, imite la sollicitude de son maître
envers la famille de M. Dimanche. Cela crée un écho comique, voire satirique, avec
les répliques de Dom Juan dont le langage flatteur noble est pastiché par un
valet.
Champmeslé imite, pour la scène III de l’acte II, la scène VI du deuxième acte des
Fourberies de scapin. Le procédé et les répliques sont quasiment
identiques, mis à part le fait que le juge ne sait rien de Silvestre, qu’il ne
tremble pas devant lui, ni ne cède à ses menaces et s’en va chercher de l’aide.
Si les deux premières scènes des Fragmens n’ont aucun effet sur
l’intrigue, les autres scènes composées par Champmeslé offrent une structure aux
fragments empruntés à Molière et assurent leur continuité en les rattachant à la
nouvelle intrigue créée. Il s’agit donc principalement des scènes de l’acte II.
À la fin de l’acte I, Pierrot quitte la scène pour aller se plaindre au juge de l’inconstance de sa fille et du désordre causé par Dom Juan. L’acte II s’ouvre donc sur l’altercation entre le père et la fille : le juge refuse catégoriquement qu’elle épouse Dom Juan car, lui dit-il, « les Monsieur ne sont pas pour vous, et vous n’êtes pas pour eux ».
À la scène II, le juge, seul sur scène, est rejoint par Gusman qui commence à mettre en place les éléments de sa ruse pour intimider le juge. Il s’agit de la « pièce assez plaisante » qu’il évoque à la fin de la dernière scène de l’acte I modifiée par Champmeslé pour servir l’intrigue. Cette petite pièce se déroule donc à la scène III avec l’entrée en scène de Silvestre.
À la scène IV, Gusman va rendre compte à son maître de l’échec de sa fourberie et de la nécessité pour eux de fuir puisque le juge les menace du tocsin. Dom Juan lui apprend qu’il a vu M. Dimanche descendre de la « barque marchande » qui vient de mouiller ici et qu’ils ne vont pas être longtemps sans le voir car celui-ci s’est informé auprès des villageois de l’endroit où demeure Dom Juan. D’où l’entrée en scène du créancier à la scène suivante.
Une fois M. Dimanche renvoyé, il reste encore à Gusman la nécessité d’aller
raccommoder le désastre causé par Dom Juan et par sa fourberie. Alors que le Juge et
Pierrot sont en train de « crier alarme » à la scène VI, Gusman arrive tout juste pour
les calmer, à la scène suivante, et leur assurer que Dom Juan ne s’oppose plus au
mariage. La pièce s’achève sur le revirement soudain de Pierrot qui qualifie Dom Juan
d’honnête hommehonnête homme, Champmeslé pousse l’ironie à son comble car les mœurs de Dom
Juan son à l’opposée de l’éthos de l’homme vertueux et moral.
Malgré le changement de protagoniste dans Les Fragmens, les
personnages de Charlotte, Pierrot, Dom Juan et M. Dimanche sont exactement tels qu’ils
sont dans les scènes correspondantes du Festin de Pierre, excepté le
fait que Pierrot est plus intrépide et plus audacieux. Néanmoins, Champmeslé a
introduit des changements dans les personnages et a modifié certains de leurs
traits.
Il a, tout d’abord, substitué le personnage du père à celui de la tante de Charlotte.
Le juge est présent dans plusieurs scènes et permet, par son initiative, d’annuler
l’obstacle au mariage de Pierrot et Charlotte. Il acquiert ainsi un rôle décisif dans
le dénouement de la pièce qui devient relativement heureux par rapport au Festin de Pierre. Ce personnage du juge s’illustre par son courage, puisqu’il
ne montre aucune peur devant Silvestre, accueillant ses remarques en silence. Il ne se
laisse pas non plus duper par la petite comédie que lui joue Gusman, avec l’aide de
Silvestre, et il prend alors la meilleure des décisions en choisissant de lutter
contre le perturbateur qu’est Dom Juan qui a introduit tant de désordre dans le
village. Il est présenté sous les traits de l’homme censé et raisonnable, mais aussi
du parent autoritaire et du fonctionnaire rural et se montre prêt à résister contre
les abus de l’aristocratie.
Le personnage de Gusman est également substitué à celui de Sganarelle. De fait,
Champmeslé choisit de prendre, comme valet de Dom Juan, le personnage de Gusman qui
est, chez Molière, l’écuyer d’Elvire. On peut peut-être expliquer ce changement par le
fait qu’ayant radicalement modifié les traits de son valet, pour l’économie de la
pièce, Champmeslé n’ait pas jugé bon de reprendre le nom de Sganarelle. Cela aurait
pu, en effet, lui attirer quelques critiques qui l’auraient accusé de placer sous le
même nom de Sganarelle un personnage qu’il a totalement modifié et qui n’a, par
conséquent, plus aucun lien avec celui de Molière. Et de fait, Gusman ne se présente
pas du tout comme le personnage moralisateur, critiquant l’attitude scandaleuse de son
maître. Il n’est pas non plus le personnage superstitieux, naïf et couard que l’on
connaît. Au contraire, il est le type même du valet rusé qui aide à la réalisation des
projets amoureux de son maître, même si dans le cas de Dom Juan ces projets sont
dépourvus de morale. C’est lui qui imagine la petite comédie qu’il joue au juge pour
le duper et faire pression sur lui afin d’obtenir Charlotte pour son maître. Gusman a
davantage l’audace et la ruse d’un Scapin que d’un Sganarelle et l’une de ses
répliques le confirme : « Vous sçavez que j’ai accoûtumé d’entreprendre bien des
chosesLes Fragmens de
Moliere, Acte I, scène V, p. 35.
Il faut aussi noter l’ajout du personnage de Silvestre que Champmeslé emprunte aux
Fourberies de Scapin. Comme pour les autres personnages que
Champmeslé reprend à Molière, exception faite de Gusman, il apparaît tel qu’il est
dans la scène correspondante des Fourberies de Scapin.
Comme pour la pièce de Brécourt, Les Fragmens de Moliere puise
essentiellement son succès de la renommée de Molière. Le public prend, en effet, plaisir
à venir voir représentés des fragments d’une pièce qui a été interdite et qui n’a jamais
été reprise. La pièce connaît donc un certain succès. Elle est reprise en 1681, 1682,
puis réapparaît dans une série de représentations à la Comédie Française où elle est
jouée soixante-six fois, restant dans le répertoire jusqu’en 1701.
C’est peut-être l’utilisation faite dans cette pièce des scènes du Festin
de Pierre qui suggère à la veuve de Molière et ses associés le désir de faire
reparaître cette pièce interdite. Molière se voit interdire sa pièce parce que son
personnage principal incarne l’impiété, la défiance envers la religion et la morale.
L’intrigue représente la damnation qu’attire cette conduite scandaleuse : fable
parfaitement morale, puisqu’elle figure le châtiment divin d’un athée. Pourtant, sous ce
couvert de moralité, Molière transforme son sujet pour le rendre ambigu, et même
provocant : sans modifier la trajectoire de l’intrigue, qui condamne sans ambiguïté la
conduite du libertin, il pare son personnage d’une séduction oratoire qui donne quelque
poids à ses discours scandaleux ; cependant qu’en face de ce sophiste redoutable, il
assigne le rôle de défenseur de la religion à un valet ridicule, naïf et superstitieux.
Enfin, Molière ajoute une péripétie originale à l’histoire classique de Dom Juan : on ne
s’étonne pas, après la querelle du Tartuffe, que cette péripétie soit
une attaque violente contre le parti dévot. Il était considéré comme désirable, pour sa
veuve de revoir certaines positions du Festin de Pierre et de réécrire
la pièce en vers, forme habituelle des pièces en cinq actes présentées au public. C’est
Thomas Corneille qui produit cette version modifiée et versifiée, utilisant le même
titre par lequel la pièce de Molière avait été connue à l’origine.
Nous connaissons trois éditions des Fragmens de Molière du vivant
de l’auteur. La première est éditée à Paris chez Jean Ribou en 1682 ; la deuxième se
trouve dans Les Œuvres de Monsieur de Champmeslé, imprimées à Paris
chez Jean Ribou en 1692 ; la troisième se trouve également dans une édition de ses Œuvres effectuée en 1696 chez T. Guillain. Il s’agit de recueils
factices, il n’y a donc pas de variantes avec l’édition de 1682. On connaît également
une édition des Fragmens de Moliere, comédie par Monsieur de
Brécourt, publiée à la Haye chez Adrian Moetjens en 1682. Il s’agit en réalité
de la pièce de Champmeslé, il y a eu confusion avec L'Ombre de
Moliere de Brécourt.
L’édition originale se présente comme suit :
In-12, II-58 pages.
[I]. LES / FRAGMENS / DE / MOLIERE / COMEDIE / [fleuron du libraire] / A PARIS, /
Chez JEAN RIBOU, sur le Quay des / Augustins, au dessus de la Grand’Porte / de
l’Eglise, à la descente du Pontneuf , / à l’Image Saint Loüis. / [filet] / M. DC.
LXXXII. / Avec Privilege du Roy.
[II]. Page blanche.
[III]. Personnages.
1-58 : Texte de la pièce, avec rappel du titre en haut de la page 1.
Bibliothèque nationale de France : Site François Mitterrand : Rez-de-jardin : Yf 3624, Yf 8566. Site Richelieu : Manuscrits occidentaux : ROTHSCHILD SUPPLEMENT- 811.
Bibliothèque de l’Arsenal : GD- 527 (2).
En règle générale nous avons conservé l’orthographe de l’édition originale, à quelques réserves près :
Cette comédie est entièrement en prose.
Nous avons constaté une coquille dans la numérotation de la page 9 désignée comme la page 6.
Il est indiqué, dans la page de titre, que l’édition comporte un Privilège du Roy, or, il ne figure aucune trace de ce privilège dans aucune
des éditions des Fragmens de Moliere consultées. Cependant, Jean
Ribou avait un droit de privilège sur l’ensemble des œuvres de Champmeslé, comme il
est notifié dans le privilège des Parisiens, et il est possible que
le privilège n’ait pas été retranscrit pour cette pièce.
Egise corrigé en : Eglise.
Il manque, dans la liste, le personnage de Silvestre.
Page 4 : de tant peines corrigé en : de tant de peines / 13 : n’ageant en : nageant ; pasanguenne en : palsanguenne / 16 : angin en : angins / 17 : riban en ribans / 18 : scais en : sçais / 19 : m’aime en : m’aimes / 20 : m’aime en : m’aimes, t’allé en : t’aller, m’aime en m’aimes / 22 : hymur en : hymeur / 23 : Et bien bien va en : Et bien va / 25 : sauvage produire en : sauvage peut produire / n’estes point pour en : n’estes point faite pour / 28 : Et si il en : Et il / 29 : ca en : ça / 32 : t’est en : t’és / 33 : t’escoute en : t’escoutes, morguienne en : Morguienne / 34 : garcon en : garçon / 35 : facon en : façon.
Page 36 : oh corrigé en : or / 37 : fera en : sera / 38 : qui a-t-il en : qu’y
a-t-il / 39 : Et ce n’est en : Eh, ce n’est / 42 : la sang en : le sang / 44 :
comment marauts en : Comment marauts / 45 : pierrot en : le juge / 46 : on void en : on voit / 49 : guére en : guéres / 58 :
Et qui a-t-il en : Et qu’y a-t-il, nopce en : noce, lamour en : l’amour, jallons
en : j’allons, lallarme en : l’allarme.
Page 5 : [Oüy ?] corrigé en [Oüy.] / 13 : [Parsanguenne çay-je] en [Parsanguenne,
çay-je] / 14 : [gager ; çay-je] en [gager, çay-je], [icy ; çay-je fait morguienne]
en [icy ? çay-je fait ; morguienne], [dix sols, que, si, je] en [dix sols que si ?
Je] / 15 : [justement Charlote comment] en [justement, Charlote, comment] / 18 : [à
te dire moy.] en [à te dire, moy.] / 23 : [donc là Charlote] en [donc là, Charlote]
/ 24 : [Ah la jolie] en [Ah ! la jolie] / 25 : [La peste le joly tendron.] en [La
peste, le joly tendron !], [Regarde Gusman qu’elle est bien prise.] en [Regarde,
Gusman, qu’elle est bien prise.] / 28 : [Ah les belles dents,] en [Ah ! les belles
dents,] / 30 : [Ah que de brüit.] en [Ah ! que de brüit.] / 31 : [veux pas moy.] en
[veux pas, moy.], [notte barbe ;] en [notte barbe ?], [Hein.] en [Hein !] / 34 :
[plus que. la] en [plus que la] / 37 : [non sera, non sera, vostre Monsieur le
Monsieur] en [non sera, non sera vostre Monsieur, le Monsieur], [Ah voicy] en [Ah,
voicy] / 43 : [Juge. Eh ?] en [Juge ? Eh ?] / 44 : [Comment marauts,] en [Comment,
marauts,], [bon pied ; bon œil.] en [bon pied, bon œil.] / 45 : [oh je me mocque] en
[oh, je me mocque] / 46 : [là-dessus. J’iray] en [là-dessus, j’iray] / 49 : [dedans.
Le premier] en [dedans, le premier] / 55 : [Mais Monsieur.] en [Mais Monsieur…] /
56 : [vous Mr Gusman ?] en [vous, Mr
Gusman ?] / 58 : [Oh pargué vela] en [Oh, pargué, vela].
O Amour, que tu agites mon esprit de diverses inquiétudes !
Charlote, Belle Charlote !
Pourquoy, cruel Amour…
Si l’ardeur de la flâme…
Faut-il que tu mettes la joye…
Que tes beaux yeux par leurs lumieres…
A tourmenter les cœurs…
Ont jetté dans mon ame…
Que tu soûmets à ton empire…
Peut estre assez heureuse…
Si…..
Pour….
Si tu veux montrer ton pouvoir…
Pour obtenir de tes bonteze
siècle, le pluriel en –és, pour les substantifs comme pour les participes passés,
est fréquemment rendu par une terminaison en –ez.
En nous forçant d’aimer…
Le bonheur où j’aspire…
Pourquoy ne fais-tu pas…
Les plus heureuses destinées…
Qu’on aime avec plaisir…
N’égaleront point ma fortune…
Et par quelle….
Mais si toute….
Et par quelle raison, dy-moi…
Mais si toute mon ardeur…
Veux-tu que tes moindres plaisirs…
Tous mes soins et tous mes respects…
Soient achetez
Ne peuvent te fléchir…
Que les douc…..
Oste-toy de là, ne vois-tu pas bien que tu m’interromps ?
Je voy que tu m’interromps de mesme.
Oüy ; mais je suis un Amant qui ay besoin de cette place pour soûpirer.
Je suis aussi un Amant qui ay affaire de ce lieu-cy pour resver à mon amour.
Vous estes Amant ?
Oüy.
Peut-on vous demander, Pasteur, qui est la Bergere que vous aimez ?
Helas ! Pasteur, la Personne la plus aimable qui soit en ce Païs.
Vous l’appellez ?
La Nymphe Charlote.
Eh ?
Comment ?
Vous vous moquez.
Moy !
Oüy.
Plust au Ciel que je me moquasse, et que cela ne fust point vray !
Vous aimez la Nymphe Charlote, Fille du Notaire du Village ?
Fille du Juge du Village.
Promise au Marinier Pierrot ?
Au Marinier Pierrot.
Ah !
Quoy ?
Je l’aime aussy.
Vous l’aimez aussi, Pasteur ?
Oüy, Pasteur ; mais puis-je sçavoir le nom de mon Rival ?
Je m’appelle Lignon.
Et moi, Pasteur, je m’appelle Jourdain.
Helas ! faut-il que deux Fleuves
Et pourquoy cela ?
Pour voir qui de nous deux demeurera son Amant.
Il y a des Remedes plus humains que cela, si nous voulons nous en servir.
Et quels ?
Ouy, avez-vous declaré votre amour ?
Non.
Allons chercher ce rare Objet, pour le prier de choisir de nous deuxChoisir de nous deux : au XVIIe siècle, on rencontre fréquemment le verbe choisir construit avec le de partitif. Au lieu de : choisir de nous deux,
on dirait aujourd’hui : choisir entre nous. Haase, A., Syntaxe française du XVII e siècle.
Je consens à cela. Mais la voicy.
Belle Nymphe, vous voyez icy deux Fleuves tous deux amoureux de vous.
Oüy, nous sommes deux pauvres Amans nécessiteux, qui viennent à vostre Porte vous demander l’aumône de vos bonnes graces.
Nous venons mettre entre vos mains nostre diférent amoureux.
Vous pouvez regarder, Bergere, qui de moy ou de luy vous voulez accepter.
N’avez-vous point veu Pierrot ? Je ne sçay où il est depuis ce matin qu’il s’est mis en Mer avec la Chaloupe.
Ah, trois et quatre fois belle et trop belle Beauté, nous n’avons rien veu icy que le mérite des perfections de vos avantages.
Cela est vray, belle Nymphe.
Pierre ne veut point que j’entende tout cela, et il m’a dit qu’il battra tous ceux qui m’en parleront.
Cela seroit bien cruel, belle Nymphe, que nous fussions battus pour vos beaux yeux.
Cela est vray, belle Nymphe.
Pasteur, pour ne point faire de jalousie entre nous, baisons-luy chacun une main.
Pour ne point faire de jalousie entre vous, voila chacun un soufflet.
Ah, Bergere, le Ciel vous a-t-il
Ah, mon pauvre Lignon !
Ah, mon pauvre Jourdain !
Pauvres Fleuves méprisez !
Il se faut pendre aprés cela.
Tu as raison, mon pauvre Fleuve, vien que je te pende le premier, et tu me pendras aprés.
Non, ne nous pendons point. Je trouve que pour nostre disgrace ce n’est pas assez de se pendre.
Ah ! voicy nostre Rival ; retirons-nous, Pasteur, de peur de quelques demeslez.
Cela est vray, Pasteur.
Pargué*Dom Juan de Molière, imite le jargon
et l’accent des paysans. Se reporter au glossaire. Le lecteur est invité à lire le
texte à voix haute : sa compréhension et la pleine appréhension de ses effets
comiques en seront facilités.
Parguenne* il ne s’en est pas fallu l’époisseur d’une éplingue* qu’ils ne se sayent
nayez tous deuxDom
Juan de Molière, le théâtre représente un hameau de verdure, avec une
grotte au travers de laquelle on voit la mer : c’est donc un paysage de campagne
en bord de mer.
C’est donc le coup de vent da matin qui les a renvarsez dans la Mar.
Aga quienAga quien : regarde,
tiens.Tout fin droit : tout net.Par foüas : parfois.Dictionnaire
Universel d’Antoine Furetière. Cette expression étrange est en fait la
traduction fautive d’une expression catalane inspirée d’un rite de carnaval :
« aller à l’enterrement de l’ivrogne » (del gato : le chat),
c’est-à-dire : boire un coup de trop.Pièces tapées : sols marqués
d’une fleur de lys, dont la valeur est augmentée d’un quart ; Pierrot engage donc
ici cinq sols, soit la moitié de l’enjeu du pari, et complète avec de la petite
monnaie (les doubles) pour l’autre moitié : il faut trente doubles pour faire cinq
sols. Pour avoir une idée de l’enjeu de pari, il faut savoir qu’au XVIIe siècle, un pain de quatre livres valait quatre sols et qu’un
ouvrier était payé huit sols par jour.Hazardeux : intrépide, audacieux.Queuque gniais : expression elliptique :
un imbécile (quelque niais) n’en aurait pas fait autant.Tout à plein : tout à fait,
parfaitement.e siècle, il n’y a pas systématiquement l’accord avec l’auxiliaire être.
Il y en a donc un, Pierrot, mieux fait que les autres.
Oüy, c’est le Maistre. Il faut queStanpandant :
cependant.
Ardez un peu.
Oh, parguenne* sans nous il en avoit pour sa mene de feuveEn avoir pour sa mene de feuve : expression
imagée signifiant « en avoir son compte ». La mine était en mesure de grain
(feuve : fève).
Est-ce qu’il est encore tout nud, Pierrot ?
Nanain, ils l’avon r’habillé devant nou. Mon Dieu, je n’en avois jamais veu
s’habiller, que d’histoire et d’angins gorniauxEngins gorniaux : ornements compliqués, accessoires de costume.
Filasse : « Filaments qu’on
tire de certaines plantes, comme en France, du chanvre, du lin, des orties, pour
après être battus et préparés les mettre en une quenouille, et en faire du fil ».
Dictionnaire Universel d’Antoine Furetière. Pierrot décrit
ainsi la perruque de Dom Juan.Tout brandy : tout
droit (comme une épée brandie ?) ; le sens est conjecturale.haut-de-chausse est
la partie de l’habit qui va de la taille aux genoux ; il est si ample dans le
costume de Dom Juan, qu’il ressemble à un tablier (garderobe).pourpoint est
la partie de l’habit qui va du cou à la ceinture ; Dom Juan, lui, porte une sorte
de chemise courte (la brassière est une chemise de femme) qui
descend seulement jusqu’au sternum (bréchet).Brichet : « Brechet, quelques uns disent brichet. Le devant de la
poitrine où aboutissent les sept vraies côtes. En terme de Médecine on l’appelle
le sternum ». Idem.cou « se dit de quelque partie des
habits qui se mettent sur le cou, ou autour du cou. Un mouchoir de cou, c’est le
mouchoir que mettent les femmes sur leur cou pour cacher leur gorge ». Idem. Ce
mouchoir est un grand collet de dentelle (risiau : réseau) garni de houppes, qui
prend la place du rabat que l’on trouve sur des costumes moins
ornés – linge uni qu’on attache au cou du pourpoint.Houppe : « Petit nœud ou
assemblage de plusieurs brins de soie ou de laine qu’on met par ornement en
plusieurs endroits. On fait des boutons, des glands à houppe. On met des houppes
sur les bonnets carrés. On met des houppes qui pendent sur les têtières des
chevaux de carosse, quand on va en cérémonie. On se sert de houppe à se poudrer
les cheveux. Quelques uns dérivent le mot du Latin upupa, à
cause de la ressemblance qu’elle a avec celle que porte la huppe ». Idem.
Il faut que j’aille voir un peu ça.
Oh, écoute un peu auparavant, Charlote, j’ay queuque chose à te dire, moy.
Qu’est-ce que c’est ?
Vois-tu Charlote, il faut, comme dit l’autre, que je debondeDebonder : « Lâcher ou ôter la bonde d’un
étang ». On rappelle que Pierrot est marinier. « Se dit aussi figurément des
choses morales ». Se décharger le cœur. Idem.
Qu’est-ce donc qu’il y a ?
Il y a que tu me chagrines l’esprit, franchement.
Comment donc ?
Testedienne*, tu ne m’aimes point.
N’est-ce que ça ?
Oüy ce n’est que ça, et c’est bian assez.
Mais tu me dis toûjours la mesme chose.
Je te dis toûjours la mesme chose, parce que c’est toûjours la mesme chose, et si ce n’estoit pas toûjours la mesme chose, je ne te dirois pas toûjours la mesme chose.
Que veux-tu ?
Jernidienne* je veux que tu m’aimes.
Est-ce que je ne t’aime pas ?
Non, tu ne m’aimes pas ; et siVielleux : « Qui joue de la vielle. Les vielleurs vont jouer de porte en
porte pour faire danser les servantes, les enfants, les paysans ». Dictionnaire
Universel d’Antoine Furetière. La vielle est un « instrument de Musique pour
réjouir les gens du peuple, et dont jouent ordinairement de pauvres gens ». Dictionnaire universel d’Antoine Furetière.
Mais je t’aime aussi.
Oüy, tu m’aimes d’une belle dégaine
Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ?
Je veux que l’on fasse comme on fait quand on aime comme il faut.
Mais je t’aime comme il faut.
Non, quand ça est ça se voit, et l’an fait mille petites singeries, quand on les
aime du bon du cœur. Regarde la grosse Thomase, comme elle est assotéeEtre assoté de quelqu’un, c’est en être follement
amoureux.Groüiller : « Ne se dit
qu’avec le pronom personnel. Se remuer. » Idem.
Dame, c’est mon hymeur, on ne peut pas me refondre.
Il n’y a hymeur qui tienne, quand l’an a de l’amitié pour les parsonnes, on en
donne toûjours queuque petite signifianceSignifiance : petit signe, marque, témoignage (d’amour), dans le patois de
Pierrot.
Hé bien, laisse-moy en repos, et vas en chercher quelque autre.
Hé bian, vela pas mon contee siècle de distinction orthographique entre compte et conte.
Qu’est-ce que tu viens aussi me tarabuster l’esprit ?
Morgué*, queu mal te fais-je ? je
Eh bien va, ça viendra sans y songer.
Touche donc làTouche-là marque
l’accord : « parce qu’on a coutume de se toucher dans la main pour conclure un
marché, ou en signe de bienveillance » précise le Dictionnaire
Universel de Furetière.
Eh bien, tien.
Promets-moy que tu tascheras de m’aimer d’avantage.
Hé, Pierrot, est-ce là ce Monsieu ?
Oüy, le vela.
Helas, c’eust esté dommage qu’il eust esté noyé.
Je revian toute à l’heureToute à
l’heure : tout de suite.Boire chopine : boire un coup.Se rebouter :
se remettre.
Par ma foy il semble que nous n’ayons jamais bû que du vin, et nous voila aussi
bien remis que si de rien n’avoit esté ; mais, Monsieur, dites-moy un peu, s’il vous
plaist, tous ces vœux que nous avons faits avec tant d’ardeur dans le péril sur la
Mer, seront-ils executez avec la mesme
Tais-toy. Ah ! la jolie Personne, Gusman.
La peste, le joly tendronTendron :
« Se dit figurément des filles au-dessous de vingt ans. Ce vieillard s’est marié à
un tendron de quinze à seize ans ». Dictionnaire Universel
d’Antoine Furetière.
Il faut l’aborder. Comment ma belle, un lieu si sauvage peut produire une personne
comme vous ? Ah, vous n’estes point faite pour habiter les deserts. Regarde, Gusman,
qu’elleprise : être bien pris signifie être bien fait, bien proportionné, mais il
peut aussi être compris ici dans son sens littéral, c’est-à-dire attrapé − par
quelque fourberie. D. Juan va essayer de « l’attrapper » par ses beaux discours et
ses flatteries. La tirade suivante de Gusman se justifie alors pleinement : non
seulement D. Juan est bien mis mais aussi bien attrapé car épris, ou du moins
tombé dans les filets de Charlotte à cause de sa beauté.
Et vous aussi.
Est-ce que vous voudriez, ma belle, demeurer toute vostre vie dans un lieu pauvre et inhabité comme celui-cy ?
Ho, Monsieur, il y a bien des filles et des garçons dans notre hameau.
Il faut que vous quittiez une si triste demeure.
Ho, Monsieur, mon pere me vouloit marier au gros Lucas, mais ma mere n’a pas voulu, à cause qu’il me falloit aller demeurer à trois lieuës d’icy avec luy.
Sa simplicité me charme : Et qui est-t-il votre pere ?
Il est Juge d’icy.
Vous estes fille asseurément à vostre âge.
On me va marier.
Et à qui, ma belle ?
A Pierrot qui demeure auprés de cheux nous.
Quoy, Pierrot aura ce bonheur-Brave : « signifie une personne bien vêtue. Les bourgeois ne sont braves
que les fêtes et dimanches. » Dictionnaire universel d’Antoine
Furetière. Comprendre que D. Juan en fera une dame de condition.
Charlote, Monsieur.
Fy, il faut qu’on ne parle à vous qu’avec respect, et qu’on vous appelle
MadameMadame : terme réservé aux
femmes de la noblesse.
O Monsieur, vous ne voudriez pas aimer une petite fille comme moy.
Si fait, si fait, je vous en répons.
Mais, Monsieur, il faut demander à ma mere.
Il est homme d’ordre, et fera les choses dans les formes.
Et il ne faut pas que Pierrot le sçache, car il se fâcheroit.
Mon Maistre est secret.
Pour moy je suis enchanté, quelle taille ! tournez-vous un peu, elle est charmante.
O Monsieur, quand j’ay mes habits des Dimanches.
Ah ! les belles dents, montrez-les-moy encore de grace ; quel rang de perles,
quelles mains, elles sont faites au tourTour « se dit de l’atelier d’un Tourneur, de la machine qui se meut
circulairement, et sert à arrondir les ouvrages. Cet ouvrage est si poli, qu’il
semble qu’il soit fait au tour ». Dictionnaire Universel
d’Antoine Furetière.
O Monsieur, si j’avois sçeu ça, je les aurois lavées ce matin avec du sonSon : « C’est la peau du blé moulu,
qu’on sépare de la farine par le moyen d’un blutoir ou sas ou tamis fort déliés ».
Idem.
Ma belle enfant, souffrez qu’un baisé….
O Monsieur, ma mere m’a dit qu’il ne falloit pas baiser les hommes, je ne baise pas
seulement
Tant mieux, ma belle, tant mieux, abandonnez-moy seulement vostre main ; je ne me sens pas de joye et rien n’égale le ravissement où je suis.
Tout doucement, Monsieur, tenez-vous, s’il vous plaist, vous vous échaufez trop, et
vous pourriais gagner la puresiePuresie : pleurésie, dans le patois de Pierrot.
Qui m’amene icy cét impertinent ?
Je vous dis qu’ou vous teniais, et que vous ne caressiais pas nos accordéesAccordées : « Qui s’est engagé par un
traité pour mariage ». Dictionnaire universel d’Antoine
Furetière. Accordée : jeune femme promise à quelqu’un. Les accordailles
précédaient les fiançailles.
Ah ! que de brüit.
Jernidienne*, ce n’est pas comme ça qu’il faut pousser les gens.
Laisse-le faire aussi, Pierrot.
Comment, que je le laisse faire ; je ne veux pas, moy.
Ah…
Testedienne*, parce que vous estes Monsieu, vous viendrez caresser nos femmes à notte barbe ? Allez-vous-en caresser les vostres.
Hen
Hen ? Tastigué* ne me frapez pas. Oh, jarnigué*, ventregué*, palsangué*, mordienne*,
ça n’est pas bien de battre les gens, et ce n’est pas là la récompense de vous avoir
Pierrot, ne te fasche point.
Je me veux fascher, et t’és une vilaine, toy, d’endurer qu’on te cajolle.
Il n’y a pas de quoy te bouter* en colére.
Quement
Est-ce que tu és fasché, Pierrot, que je devienne MadameQue je devienne Madame : que je devienne une femme de qualité
(en épousant un Monsieur de bonne naissance). Cf. note 2 p. 97.
Jarnigué*, oüy, j’aime mieux te voir crever, que de te voir à un autre.
Va va Pierrot, tu porteras des fromages cheux nous.
Ventredienne*, je n’y en porteray jamais quand tu m’en poirois
Qu’est-ce que vous dites ?
Jarniguenne*, je ne crains parsonne.
Attendez-moy un peu.
Je me mocque de tout, moy.
Voyons cela.
J’en avons bian veu d’autres.
Eh ! laisse-le faire, mon pauvre garçon, et ne luy dis rien.
Je veux luy dire, moy.
Te voila payé de ta charité.
Jarny*, je vas dire à ton pere tout ce ménage-cyTout ce ménage-cy : toute cette affaire.
Ah, Gusman, que je suis épris de cét aimable enfant ; mais que je crains qu’elle ne reçoive quelque rude reprimande pour moy.
Tout de bon, vous tient-elle au cœur ?
Oüy, Gusman, et je craindrois plus que la mort qu’elle fust querellée par son pere.
Ecoutez, pour servir vostre passion, vous sçavez que j’ay accoûtumé d’entreprendre
bien des choses ; laissez-moy faire, j’ay déja beu avec son pere, et ce sont de ces
bonnes gens qui font connnoissance en deux verres de vin. J’imagine une piece assez
plaisante pour l’intimider et l’empescher de quereller sa fille. Reposez-vous sur
moy ; je luy vay mettre mon camarade en teste
Mon pere, pourquoy me tourmentez-vous ? Est-ce ma faute si j’aime mieux ce Monsieur que ce gros vilain Pierrot que vous me voulez donner ?
Allons, petite baboüine, allons, vous aimez donc les Monsieur ; or je vous
apprendray que les Monsieur ne sont pas pour vous, et que vous n’estes pas pour eux.
Rentrez au logis, et qu’il ne vous arrive plusGodeluriaux : « Jeune fanfaron, glorieux, pimpant et coquet qui se pique
de galanterie, de bonne fortune auprès des femmes, qui est toujours bien propre et
bien mis sans avoir d’autres perfections. Les vieux maris ont sujet d’être jaloux
de ces godelureaux qui viennent cajoler leurs femmes ». Dictionnaire
Universel d’Antoine Furetière.Muguets : « Galant, coquet, qui fait l’amour aux
Dames, qui est paré et bien mis pour leur plaire. Le Cours, les Tuilleries sont
les rendez-vous de tous les muguets. » Idem.
Monsieur Gusman, je suis le vostre Je suis
le vostre : formule de politesse : je suis votre serviteur.
Fort bien, Monsieur, je vous cherchois.
Qu’y a-t-il pour vostre service ? Vous estes un brave homme, vous ; et de toute vostre bande, vous estes celuy que j’aime le mieux.
Monsieur, je vous suis bien obligé, et aussi en récompense je vous viens avertir de quelque petite chose qui vous touche.
Moy !
Vous-mesme.
Et qu’est-ce que ce seroit ?
Eh, ce n’est qu’une bagatelle ; mais il est toûjours bon d’y prendre garde.
Dites-moy donc, je vous prie, ce que c’est.
C’est que l’on vous veut tuer.
Me tuer !
Oüy ; mais cela ne sera rien : c’est un drosle qui prend avec un peu trop de
chaleur les interests de mon Maistre contre vous, touchant vostre fille ; mais je
luy ay bien dit sonDire
son fait à quelqu’un : lui dire ses quatre vérités.Dictionnaire
universel d’Antoine Furetière.
Et oüy da ; mais s’il m’alloit tuer sans vous avertir, je ne laisserois pas que d’estre mort.
Chut, ne faites point semblant de rien
Gusman, fay-moy connoistre un peu le Juge de ce lieu, qui est le pere de cette jolie Charlote.
Pourquoy, Monsieur ?
Je viens d’apprendre qu’il veut empescher que mon MaistreMon Maistre désigne D. Juan. Silvestre est donc
un de ses valets et le compagnon de Gusman.
Il est vray qu’il ne veut pas consentir à ce mariage, parce que sa parole est engagée à un autre.
Par la mort, par la teste, par le ventre, si je le trouve, je le veux échigner, deussay-je estre roüé tout vif.
Hé, Monsieur, c’est un honneste homme, peut-estre ne vous craindra-t’il point.
Luy, luy ? Par le sang, par la teste, s’il estoit là, je luy donnerois de l’épée dans le ventre. Qui est cét homme-là ?
Ha, Monsieur, ce n’est pas luy.
N’est-ce point quelqu’un de ces amis ?
Au contraire, c’est son ennemy capital.
Son ennemy capital ?
Oüy.
Ah ! parbleu j’en suis ravy. Vous
Ouy, ouy, je vous en réponds.
Touchez-là, touchez ; je vous donne ma parole, et vous jure sur mon honneur par l’épée que je porte, par tous les sermens que je sçais faire, qu’avant la fin du jour je vous déferay de ce maraut fiéfé, de ce faquin de Juge ; reposez-vous sur moy.
Monsieur, ces sortes de choses ne sont guéres souffertes, et il y a bonne Justice en cas…..
Je me mocque de tout, et je n’ay rien à perdre.
Monsieur, ce n’est pas un homme sans amis, et il pourroit trouver
C’est ce que je demande, morbleu ; c’est ce que je demande : ah, teste ; ah,
ventre ; que ne le trouvay-je à cette heure, avec tout son secours ; que ne
paroist-il icy à mes yeux au milieu de trente personnes ; que ne le vois-je fondre
sur moy les armes à la main ? Comment, marauts, vous avez la hardiesse de vous
attaquer à moy ?*Allons, morbleu ; tüe, point de quartier ; donnons ferme ;
poussons ; bon pied, bon œil. Ah, canaille, vous en voulez par là, je vous en feray
tâter vostre saoul. Soûtenez, marauts, soûtenez. Allons, à cette botteBotte : « En terme d’escrime, est un coup qu’on
porte avec un fleuret, une estocade ». Dictionnaire Universel
d’Antoine Furetière.
Nous n’en sommes pas.
Voilà qui vous apprendra à vous oser joüer à moySe joüer à quelqu’un ; C’est-à-dire, se prendre à quelqu’un,
l’attaquer ». Dictionnaire François par P. Richelet.
Voilà bien du sang répandu pour une bagatelle. Et bien, Monsieur, vous voyez quel diable d’homme c’est là.
Oüy, oh, je me mocque de toutes ses menaces.
Ah ventre, jarny*, que ne le puis-je trouver ?
N’y est-il plus ?
Non, non, il est party tout à fait, ne craignez plus rien.
Qui, moy ? Oh, en bien faisant
Oh, je n’en doute pas ! on voit bien que vous estes un homme ferme.
Je m’en vais un peu consulter ce que j’ay à faire, et si on ne me conseille rien de
bon là-dessus, j’iray assembler le Village, et on sonnera le toxinTocsin : Alarme qu’on sonne avec quelque
cloche ». Dictionnaire françois par P. Richelet. Par cette
alarme, on appelle tout le village à la poursuite de quelqu’un.
La peste soit le vieux fou, il nous va attirer icy quelque défluxionDéfluxion : Fluxion : « Ecoulement d’humeurs
nuisibles sur quelques parties du corps ». Idem.
Et bien, Gusman, qu’as-tu fait ?
Ma foy, Monsieur, rien qui vaille ; nostre vieillard s’est mutiné, il nous menace
du toxin, et cela ne sent rien de bon. Si tous ces diables de Mariniers se mettoient
une fois sur nous, garre les coups d’aviron. Si vous m’en croyez, Monsieur, évitez
ce désordre, nous ne serions pas les plus forts icy ; rengainez vos amours pour
quelque temps, et à la première occasion d’une Barque qui partira nous enleverons
vo-
Va donc, j’abandonne tout à ta conduite ; mais tu ne sçais pas, Gusman, le malheur qui nous accompagne ?
Et qu’y auroit-il de nouveau ?
Une Barque marchande vient de moüiller icy, et comme la curiosité
Ma foy, Monsieur, je ne suis point Sorcier.
Monsieur Dimanche.
Monsieur Dimanche ! Quoy ? ce persecuteur de Chrestiens ; ce maudit Marchand qui ne sçauroit laisser vivre en repos ceux qui luy doivent ?
Luy-mesme.
Par ma foy, Monsieur, il vaudroit presque autant nous estre noyée siècle il n’y a pas systématiquement
l’accord avec l’auxiliaire être.
Je ne l’ay point abordé, je n’ay pas voulu qu’il me parlast devant d’autres Marchands qui estoient là avec luy ; mais je ne crois pas estre long-temps sans le voir ; il m’a veu : et comme je m’esquivois, j’ay bien oüy qu’il s’est informé de moy, en me demandant par mon nom à quelques habitants d’icy.
Quel diable d’embarras ! On dit bien vray, qu’un mal-heur ne vient jamais sans
l’autre. Nous partons joyeux d’un païs où nous sommes endebtez, pour aller employer
nostre crédit ailleurs ; un maudit banc de sable nous fait faire naufrage ;
l’amourette vous prend pour une fille promise à un autre ;Amenter :
ameuter.r Dimanche ; mais ma foy, Monsieur, bon pied, bon œil, le
voicy, je le reconnois, vous n’avez qu’à vous bien tenir.
Paix, paix ; ne dis mot, écoute seulement, je vay payer d’une monnoye toute nouvelle.
Ah, que vois-je ? Mr Dimanche icy ! quelle heureuse
rencontre !
Monsieur….
Que je vous embrasse, Mr Dimanche.
En verité c’est moy, Monsieur, qui suis trop heureux de vous trouver icy, et j’ay bien de la joye que cela serve d’occasion à vuider…
Vrayement j’ay bien du plaisir à vous voir.
Monsieur, c’est beaucoup d’honneur que vous me faites ; mais si vous y vouliez joindre une grace, je me trouve icy dans quelque besoin, et….
Comment se porte Madame Dimanche vostre femme ?
Fort à vostre service, Monsieur. Je voudrois donc vous prier….
Je suis son serviteur.
Monsieur, je disois donc que si vous aviez la commodité…
Et vostre fille Mademoiselle Marion ?
Elle est en bonne santé aussi, Monsieur ; mais….
C’est une aimable enfant.
Elle est bien vostre petite servante, Monsieur ; je…
Et qui est vrayement bien sage.
Oh, Monsieur, vous vous moc-
Et vostre petit garçon fait-il toûjours bien du brüit avec son tambour ?
Oh, Monsieur, il est assez semillantSemillant : « Qui est remuant, éveillé, qui ne se peut tenir en place. Il
ne se dit guère que des enfants qui sont toujours en action, qui font quelque
petite malice. Ce n’est pas un mauvais signe quand les enfants sont sémillants,
c’est une marque d’esprit ou de cœur ». Dictionnaire Universel
d’Antoine Furetière.
Il vous ressemble comme deux goutes d’eau.
Voyez-vous, Monsieur, dans le negoce si nous ne payons à jour nommé, on proteste d’abord contre nous ; c’est ce qui fait, Monsieur, que nous importunons quelquefois nos debiteurs ; et comme vous m’avez fait l’honneur de prendre….
A propos, vostre petit Chien est-il encore en vie ?
Il s’interesse pour toute la famille.
Monsieur, tout se porte fort bien.
En vérité j’en suis fort joyeux, et je vous veux prier de les embrasser tous deux pour l’amour de moy, quand vous retournerez chez vous.
Monsieur, si auparavant vous trouvez bon que nous….
Adieu Mr Dimanche, que je vous embrasse.
Monsieur…
Je ne vous laisseray point là.
Mais Monsieur…
Je sçay trop ce que je vous dois.
Et oüy Môsieur, d’accord, mais le besoin…
Allons, allons, permettez-moy de vous conduire.
Monsieur, la necessité de payer…
Je ne vous laisseray point là, vous dis-je.
Mais si…
C’est perdre le temps.
Je…
Vous vous moquez.
Point du tout.
Hola, hé ? des Flambeaux, et reconduisez Mr Dimanche.
Quel diable d’homme est ce cy ? Orça, me payerez-vous de la même monnoye, vous,
Mr Gusman ?
Plaist-il, Monsieur ?
Je vous demande s’il vous souvient bien
Comment se porte Madame Dimanche ?
Oh je n’entens pas raillerie, et…
Et vostre petit Chien ? Il vous ressemble comme deux goutes d’eau. Allons donc, je
ne vous laisseray point là. Je vous reconduiray, je sçay trop mon devoir. Vous vous
moquez. Sortez donc, s’il vous plaist, ou que le Diable vous emporte. Bonsoir et
bonne nuit. Belle maniere de payer ses Creanciers. On ne nous rapporte ny argent
faux, ny Pistoles légeresPistoles
légeres : « On appelle un écu d’or léger, de la monnaie légère, quand elle
n’est pas du poids requis par les règlements du pays ». Dictionnaire
universel d’Antoine Furetière.
Pour moy je ne trouve rien de meilleur pour nos affaires que de crier haro
Et qu’y a-t-il, Messieurs ? à quoy bon tout ce vacarme ? Vous inquietez-vous ? J’ai
tourné l’esprit de mon Maistre tout comme vous le souhaitez ; il ne s’oppose plus à
vostre mariage, au contraire il prétend estre de la noce. Il en payera le Festin, et
mesme il se retient pour estre le Compere
Oh, pargué*, vela un honneste homme cela. Oh bian vous ly diré pour l’amour de cela que je sommes son sarviteur, et que j’allons décrier l’allarme et boire à sa santé. Venez payer chopaine.
Il est entendu que ces jurons n’ont plus de sens précis dans les dialogues, où ils servent seulement à mettre l’accent sur une affirmation, à marquer la colère, l’impatience, etc.
Champmeslé reprend le procédé du Dom Juan où Molière recourt au
pittoresque de l’accent et des tournures rurales qui donne sa couleur aux discours de
Pierrot et de Charlotte tout au long de l’acte II, ce qui apparaît comme un ressort
comique assez simple. Mais, comme le dit Boris Donné, « intégrer cette veine dans les
procédés de la comédie n’allait pas de soi. Molière s’est probablement inspiré d’une
pièce qu’il appréciait, Le Pédant joué (1654) de Cyrano de Bergerac.
Une bonne part des effets de cette comédie quasi expérimentale reposait déjà sur les
tirades piquantes d’un paysan, Gareau ». Dans cet hommage qu’il rend à Molière à travers
Les Fragmens de Moliere, Champmeslé réintroduit donc presque à
l’identique la célèbre scène entre Pierrot et Charlotte où l’essentiel des procédés
comiques mis en œuvre dans le discours passent par la prononciation déformée par le
patois, les jurons paysans, les expressions imagées, l’étonnement naïf du rustre devant
la mise d’un « Monsieu ». Mais la densité des termes de patois dans le discours de
Pierrot ne décourage pas la compréhension, comme c’est le cas du Gareau de Cyrano de
Bergerac : Molière a pris soin, en composant le langage des paysans, d’en doser les
effets pittoresques afin qu’il soit piquant sans être impénétrable.
Les particularités les plus évidentes du parler de Pierrot sont les déformations qui
affectent la prononciation. Sans entrer dans le détail des mécanismes phonétiques, on
peut inventorier les principales variantes qui distinguent ce patois de l’usage courant.
Ce sont d’abord les nombreuses transformations des voyelles qui donnes au texte sa
couleur particulière : le e ouvert est souvent remplacé par a : revarsés pour renversés, barlue pour berlue… Dans d’autres contextes, il est remplacé par un son œ :
queuque pour quelque. De même, le o ouvert
est parfois remplacé par œ : quement pour comment.
La voyelle nasale in devient parfois an, notamment
dans bian pour bien. A la voyelle u se substituent quelquefois les sons a ou i :
da pour du, hymeur pour humeur. Les finales
en -eau s’enrichissent d’une semi-consonne (yod) : risiau pour réseau, liau pour l’eau.
Bien évidemment, de semblables déformations affectent aussi les consonnes :
Transformation de t en qu ou squ :
j’esquions pour j’étais, jequions pour jetons,
piquié pour pitié. Interversion de consonne dans un même mot :
éplingue pour épingle.
Du point de vue morphologique, on relève de nombreuses variations sur les formes
conjuguées des verbes : ce sont parfois de simples variantes résultant de la
prononciation : je sis pour je suis, ils ant pour
ils ont. D’autres fois ce sont des substitutions de personne : j’esquions, ou l’emploi du participe présent pour une forme conjuguée :
nageant pour nagent, ou encore la création de
formes aberrantes, notamment à la première personne du singulier et à la troisième du
pluriel, calquées sur la première personne du pluriel : j’avons, j’avieme,
ils avons ; ils appellons pour ils appellent, portons pour portent…
Il faut signaler enfin les formes contractées : vla pour voilà, pû pour plus, pis pour puis ; les
expressions populaires – expliquées en note – et la présence insistante des jurons
variés – cf. lexique. Ces interjections qui ponctuent de façon piquante les discours des
paysans sont souvent des déformations de formules blasphématoires.