Cependant toute la gloire du moi, ainsi démentie par la faiblesse de l’homme au sein de l’univers, pourrait trouver refuge dans le désir même que la gloire inspire, s’il était prouvé que ce désir fût noble.
Bénichou, Paul, Morales du grand siècle, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1988, p. 133.
À un moment de l’histoire du théâtre où le genre comique est un peu en reflux, paraît sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne une pièce de Thomas Corneille intitulée La Comtesse d’Orgueil. Cette comédie à l’espagnole dont on sait seulement qu’elle est créée en 1670 et dont l’intrigue est fondée sur l’opposition psychologique de deux frères ne semble pas connaître le succès avant le siècle suivant. Or, quelques années avant, en 1668, la pièce Le Baron d’Albikrac, elle aussi d’inspiration espagnole, est une réussite, à tel point que presque tout le monde la connaissait d’une manière ou d’une autre. Le plus étonnant dans le croisement des destins de ces deux pièces, c’est qu’elles avaient une intrigue quasiment identique. Il semble qu’il soit plus facile d’expliquer l’échec d’une pièce comme La Comtesse d’Orgueil que le triomphe du Baron d’Albikrac, notamment à la lumière du contexte historique et théâtral. En effet, la mode de la comédie à l’espagnole qui a fait les beaux jours de plusieurs dramaturges dont Thomas Corneille date des années 1650 et n’entre plus dans les attentes du public. Dans la décennie 1660, le genre comique commence à être moins représenté au profit de la tragédie et, surtout, la concurrence d’une personne comme Molière n’aide en rien la réussite des pièces des dramaturges des autres théâtres. Il nous semble donc que tous les éléments soient réunis pour faire en sorte qu’une comédie à l’espagnole jouée en 1670 ne soit pas un très grand succès pour son auteur. Toutefois, Thomas Corneille avait réussi à adapter la pièce au goût du public français en la disposant en cinq actes et en supprimant tout élément espagnol. Seule était conservée l’intrigue qui opposait un riche et fourbe marquis à son pauvre frère dans la conquête d’une jeune femme. Finalement, comment expliquer que deux pièces si proches aient eu une fin si différente ? Nous pouvons supposer que les pièces concurrentes, jouées au même moment ont une part de responsabilité à ce sujet. Ajoutons aussi les goûts d’un public exigeant voire capricieux dont l’intérêt pour le théâtre se situe plus dans le plaisir et le divertissement que dans le fait de voir couronner une nouvelle fois un dramaturge qu’il connaît déjàTimocrate en 1656 et ses quatre-vingt représentations.
Fils d’un maître particulier des eaux et forêts à Rouen, Thomas Corneille naît en 1625. Il suit ses études au collège des jésuites de Rouen avant de rentrer à l’université de Caen afin d’étudier le droit et à terme de devenir avocat. Son père meurt en 1639 et c’est ainsi que Pierre Corneille, son aîné de dix-neuf ans, devient son tuteur. L’auteur du Cid prend son rôle de guide au sérieux ; c’est notamment grâce à lui que Thomas apprend l’espagnol, qui lui sera tant utile dans sa carrière, et qui lui donne le goût du théâtre. En 1647, Thomas Corneille fait représenter Les Engagements du hasard, comédie reprise de Calderón, à l’Hôtel de Bourgogne avec l’appui du comédien Floridor, grand ami de la famille Corneille. La pièce est appréciée du public. Sa carrière d’auteur dramatique lancée, il propose deux nouvelles comédies au public du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne : Le Feint Astrologue en 1648 et Don Bertrand de Cigarral et 1650 qui sont toutes deux des réussites. Entre temps, Thomas s’est marié avec la sœur de la femme de Pierre, Marguerite de Lampérière avec qui il aura trois enfants, les deux familles s’installant dans la même maison à Rouen. En 1651, Thomas Corneille reprend une pièce d’Antonio de Solis qu’il intitule L’Amour à la mode.
L’année 1653 marque un léger tournant dans la carrière de Thomas Corneille avec Le Berger extravagant suivant la mode de l’époque pour des comédies pastorales. La même année, il essuie son premier échec au théâtre avec Le Charme de la voix. Le succès des Illustres ennemis en 1654 s’explique notamment grâce aux relations de Thomas avec des dames influentes qui n’hésitent pas à mettre sa pièce en avant plutôt que celles de Scarron ou Boisrobert inspirées aussi de la même œuvre de Rojas. En 1655, Thomas Corneille se tourne une nouvelle fois vers Calderón, qui deviendra son auteur fétiche, pour composer Le Geolier de soy-mesme dont le grand succès a été dû à la participation de Jodelet. Il s’agit là de la dernière pièce du premier cycle dans la carrière de Thomas Corneille, entièrement consacré aux comédies.
Le retrait de Pierre Corneille de l’activité théâtrale parisienne en 1653 va entraîner un changement de direction dans la carrière de Thomas Corneille. En effet, dès lors, il y a une place à prendre sur la scène tragique, considérée comme supérieure au comique. Les comédies ne constituaient qu’un choix par défaut pour ne pas entrer sur le terrain de son frère ; le problème résolu, Thomas écrit sa première tragédie qui est jouée en 1656 au théâtre du MaraisThomas Corneille, sa vie et son théâtre, Hachette, 1892) le changement de salle de théâtre correspondant au changement de genre ne trouve pas de justification précise.Timocrate, sans doute le plus grand succès théâtral du XVIIe siècle, resté à l’affiche pendant six mois de suite. Informé de la réussite de la pièce, le roi se déplace au Marais pour voir la pièce. Le public parisien voit même la troupe rivale de l’Hôtel de Bourgogne se mettre à jouer la pièce à son tour, certaine de faire de bonnes recettes avec cette affiche. Ce succès s’explique en partie car la pièce est le type même de la tragédie galante, très appréciée à l’époque, avec ses sentiments raffinés, ses thèmes habituels dont l’amante ennemie, le prince déguisé et sa fin heureuseDictionnaire encyclopédique du théâtre, dirigé par Michel Corvin, Bordas, 1990, t. I, p. 408-409.Bérénice, La Mort de Commode ou encore Darius que le public goûte plus ou moins.
Pour être agréable aux « Grands Comédiens » qui n’avaient pas d’auteur comique de grande valeur, Thomas Corneille change une nouvelle fois de théâtre et retourne à l’Hôtel de Bourgogne. Cependant, précisons que ce retour est parallèle à l’embauche des meilleurs comédiens du Marais afin de convaincre l’auteur de Timocrate. Selon les modalités proposées en premier lieu à Pierre par Fouquet pour son retour au théâtre, Thomas fait représenter deux nouvelles tragédies que sont Stilicon, créée en 1659, et Camma, datant de 1660. Les deux pièces rencontrent un franc succès et ce, malgré la cabale du Marais pour faire tomber Stilicon. Le retour à la comédie se fait par Le Galant doublé que l’on joue seulement quelques fois avant la création de Camma. De 1660 à 1662, se succèdent Pyrrhus, roi d’Epire, Maximian et Persée et Démétrius que Gustave Reynier juge comme l’œuvre la plus faible de Thomas CorneilleOp. cit., p. 30.
À Paris depuis 1662, les frères Corneille se séparent pour habiter chacun de leur côté. Cette période reste comme un arrêt temporaire de Thomas Corneille en ce qui concerne la composition de pièces. En effet, il s’agit d’un moment où il semble plus préoccupé par l’affaire des lettres de noblesse qui vise à supprimer tous les titres accordés en Normandie depuis trente-quatre ans. L’anoblissement du père rentrant dans le délai couvert par la mesure, les Corneille se retrouvent sans un titre précieux à leurs yeux. Finalement, ils récupèrent le titre sur ordre du roi quatre ans plus tard, ainsi que leurs terres. On ne sait pas précisément laquelle de ses terres a incité Thomas à signer « Sieur de Lisle » ; signature dont Molière se moquerait dans L’Ecole des femmesL’École des femmes, 1662, acte I, scène 1, v. 175-182.Baron d’Albikrac va connaître un énorme succès, à tel point que la pièce sera jouée jusque deux siècles plus tard régulièrement. En 1669 et 1670, La Mort d’Hannibal et La Comtesse d’Orgueil passent sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne. En 1672, Thomas Corneille part à la campagne et rédige la tragédie Ariane sur le modèle racinien, le tout en quarante jours ; c’est, d’ailleurs, en partie de cette pièce que Racine s’inspirera pour PhèdreHistoire de la littérature française du XVIIe siècle, Paris, Domat, 1948-1952, p. 367.Théodat suit à la fin de l’année mais n’obtient qu’une faible réussite.
L’année 1673 marquée par la mort de Molière devient aussi l’occasion pour Thomas Corneille de changer une nouvelle fois d’horizon au théâtre. L’ancienne troupe de Molière et les comédiens du Marais lui proposent par l’intermédiaire de De Visé de lui écrire des pièces afin d’enrichir son répertoire centré sur les seules pièces de Molière. Les trois premiers essais : Le Comédien-poète, La Mort d’Achille et Don César d’Avalos ne sont que peu concluants. C’est ainsi que Thomas et la troupe décident de se tourner vers les pièces à machinesop. cit., p. 45).Circé est représentée pour la première fois le 17 mars 1675. Le succès est tel que les spectateurs donnent de l’argent en plus afin de pouvoir entrer dans la salle ou obtenir les places qui les intéressentMercure galant, janvier 1710, p. 270.Inconnu avec De Visé et Le Triomphe des dames en 1676 qui reconstitue un tournoi entre chevaliers. Les bénéfices des deux pièces sont satisfaisants. C’est en 1677 que Thomas Corneille procède à la mise en vers du Festin de Pierre que Molière avait écrit. Cette forme de la pièce rencontre un succès plus net que la première. La même année, Racine ayant décidé de renoncer au théâtre, Thomas Corneille accepte d’écrire une nouvelle tragédie intitulée Le Comte d’Essex. Même si la troupe de Guénégaud tente de faire tomber la dernière pièce de Thomas, le succès qu’elle a rencontré face au public montre l’échec de la vengeance. À la suite de cet épisode, Thomas accepte de devenir collaborateur de LullyPsyché en 1678 décourage Thomas. Le roi réussit à le convaincre de renouveler l’expérience, ce qu’il fait avec Bellérophon, entreprise pour laquelle il sera aidé par Quinault. La pièce que l’on joue en 1679 attire le public mais Thomas cède définitivement sa place à Quinault en 1680. Peu avant, à la fin de 1679, Thomas Corneille s’associe une nouvelle fois avec la troupe de Guénégaud dans le but de créer une pièce basée sur l’affaire des poisonsLe Siècle de Louis XIV (p. 620 à 623), Voltaire explique les détails de cet épisode qui perturbe la cour pendant plusieurs années. L’épouse Monvoisin, surnommée La Voisin, aurait fourni des poisons aux épouses de membres du Parlement ou de hauts personnages, ce qui aurait causé plusieurs morts. C’est au cours de l’épisode de la mort de Madame en 1670, attribuée par certains à un empoisonnement, qu’une enquête fait éclater le scandale. Mercure galant, janvier 1710.La Devineresse s’inscrit comme l’un des plus prodigieux succès du XVIIe siècle ; David Collins confirme les dires de De Visé en plaçant La Devineresse comme celle ayant fait la meilleure recette pour son auteur de tout le siècle avec cinq mille six-cents francs de bénéficesThomas Corneille : protean dramatist, Mouton & CO., Londres, 1966, p. 19.La Pierre philosophale, L’Usurier, Le Baron des Frondières, Bradamante et Les dames vengées, comédie qui connaît malgré tout un succès éphémère.
Le fait que les dernières pièces de Thomas Corneille ne suscitent plus l’engouement que ses œuvres avaient dans le passé peut aussi s’expliquer par sa collaboration active au Mercure galant de De Visé à partir de 1677, dont il devient l’associé le 18 janvier 1682op. cit, p. 413.
En 1684, Pierre Corneille décède, laissant libre son siège à l’Académie. En toute logique, Thomas est élu à la place de son frère le 2 janvier 1685 à l’unanimité. À cette occasion, il prononce un discours incluant un éloge pour son défunt frère. Racine, qui préside alors l’Académie, répond par un éloge vibrant de Pierre Corneille. Il prend d’ailleurs cette nouvelle occupation très au sérieux : il a une grande importance dans les travaux réalisés pour le dictionnaire de 1672. En ce sens, il est considéré comme académicien modèle. En 1688, Thomas Corneille prend part à la fameuse querelle des Anciens et des Modernese siècle doit être basée sur une imitation de la littérature de l’Antiquité ; ils pensent que la création littéraire de l’époque avait atteint la perfection absolue. Face à eux, les Modernes, parmi lesquels Perrault, Thomas Corneille, Fontenelle, Quinault, estiment que la création artistique contemporaine doit innover, prouvant que les auteurs antiques ne doivent pas être pris comme modèles de toute littérature.Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots français tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts, etc. qui a été publié à La Haye et Rotterdam car l’Académie avait fait retiré son privilège en 1685.Dictionnaire de l’Académie un autre Dictionnaire des termes des arts et des sciences, confié à Thomas Corneille et qui paraît en 1694. Dans les dernières années de sa vie, il continue d’aller aux séances de l’Académie, mais se consacre aussi à des projets personnels comme la traduction des Métamorphoses d’Ovide ou de certains textes d’Esope. Cependant, la dernière grande occupation de sa vie reste la rédaction du Dictionnaire universel géographique et historique qui lui prend tout son temps de 1694 à 1708. Il réussit à terminer l’ouvrage bien qu’il soit devenu aveugle et qu’il ait eu recours à un lecteur personnel pour travailler. L’argent obtenu par avance de l’éditeur lui permet de rembourser l’emprunt contracté pour le mariage de sa fille. En 1704, l’Académie lui donne le titre de vétéran, créé spécialement pour lui et on allège toutes ses charges à l’Académie. En 1706, sa femme meurt et il décide d’aller finir sa vie seul dans sa maison aux Andelys en 1708. Fontenelle est l’un des seuls à aller lui rendre visite régulièrement. C’est le 8 décembre 1709 qu’il meurt. Le mois suivant, De Visé rédige de lui un portrait élogieux dans le Mercure galant.
La décennie qui va de 1660 à 1670 constitue une période durant laquelle la comédie se place comme le genre majeur sur le théâtre, même si, sur la fin, vers 1668, la tendance semble évoluer du côté de la tragédie qui finit par compter quelques pièces de plus par an que la comédieLa Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 1950, p. 457-459.La Comédie de l’âge classique 1630-1715, Paris, Seuil, 1995, p. 109.Op. cit., p.113-118.castigat ridendo mores, corriger les mœurs par le rireOp. cit., p.125-127.Tartuffe de 1664 à 1669 car étant visés par Molière. Cette querelle dépasse largement le simple cadre des dévots en traitant aussi la question de la moralité du théâtre, et le problème de la représentation du sacré au sein de quelque chose de profane. C’est dans ce climat chargé en querelles et débats que Molière va imposer sa vision de la comédie et à redorer l’image d’un genre qui était vu comme forcément inférieur à la tragédie, et ce, depuis la Poétique d’Aristote. Molière, qui a fait évoluer l’entreprise comique en en « désencombrant l’horizon »Lire la Comédie, Dunod, p. 98.Le Baron d’Albikrac en 1668.
Finalement, malgré le retour de la tragédie à la toute fin des années 1660, le genre comique continue de bien se porter jusqu’aux environs de l’année 1680. Le déclin de cette période est entraîné par une atmosphère pesante en France en raison des guerres internes, externes, des conflits sociaux et religieux.
Avant de se lancer dans l’analyse des sources à proprement parler, il convient de s’intéresser au type de comédie auquel elles appartiennent et à celui qui en découle en France. Les sources de La Comtesse d’orgueil sont œuvres de dramaturges espagnols du Siècle d’Or ; on peut ainsi dire que ce sont des comedias. Ce terme de comedia mérite qu’on s’y attache car il n’est pas l’exacte traduction de « comédie » en français. Selon Jean SentaurensDictionnaire encyclopédique du théâtre, dir. Michel Corvin, Bordas, 1990, t. I, p. 355-357.comedia. L’élément dominant que nous devons prendre en compte dans cette définition est sans aucun doute la mixité de ton que l’on rencontre dans ces pièces. En effet, cette variété entre comique et tragique existe par reflet de la réalité faite de mélange. Il s’agit donc d’un souci de paraître naturelle aux yeux du public ; les comedias ne sont donc pas nécessairement comiquesLa Comédie, Paris, Armand Colin, 1964, p. 61.comedia n’est pas dénuée de règles. Elle est toujours composée de trois journées qui correspondent chacune à une sorte d’acte, le lieu et le temps sont modulables au gré du dramaturge. On accorde de l’importance simplement à ce que l’action domine sur les autres éléments de la pièce. Ceci peut expliquer pourquoi ce sont souvent des pièces avec des rebondissements et de nombreuses péripéties, c’est pour cette raison que Michel Gilot et Jean Serroy affirment que le romanesque, avec ses situations à rapprocher de la tragi-comédie, fait partie des caractères essentiels de la comediaLa Comédie à l’âge classique, Paris, Belin, 1997, p. 71.gracioso en reste le plus représentatif et le plus connu ; il constitue la face bouffonne et grotesque de la pièceIbid., p. 72.comedia, il n’est donc pas question d’unité de temps et de lieu comme c’est le cas chez nous depuis que les théoriciens se sont mis d’accord sur ces questions théoriques. En d’autres termes, les principales différences entre ces deux types de comédie se situent dans le respect des règles classiques ou non (que se soit les trois unités ou bien la règle de l’unité de ton). Il faudra s’intéresser à la façon dont Thomas Corneille a procédé pour gommer ces différences et les faire rentrer dans le moule du système comique français.
La spécificité de ce modèle comique ne se limite pas aux aspects théoriques que nous venons d’aborder. Comme l’explique Alexandre Cioranescu, la comedia transmet une philosophie de la vie relative à l’identitéLe Masque et le visage. Du baroque espagnol au classicisme français, Genève, Droz, 1983, p. 298.comedia se pose comme le point d’inflexion entre deux pôles opposés, notamment au niveau des registres, mais aussi au niveau de l’identité des personnages. On verra donc se développer les thèmes de l’hypocrisie, de la tromperie, du déguisement dans les comedias car ils sont porteurs de cette conception double de la vérité et de la vie humaine. Quant à l’intrigue des comedias, on se rend compte que très souvent elle repose sur l’opposition de deux galants qui s’affrontent pour conquérir la fille courtisée, et à l’arrière-plan on retrouve une fille déshonorée, des duels et des mortsop. cit., p. 60.op. cit., p. 326-327.op. cit., p. 60.comediasop. cit., p. 332-335.comedia qui peut d’un acte à l’autre passer de la timidité à l’audace ou de la fidélité à la trahison, ce qui participe aux péripéties et aux coups de théâtres. Tellement appréciée par le public français, l’inconstance devient le nec plus ultra des modèles de personnages et le marqueur d’un changement de goût dans la société qui était jusque là bornée à un amour plus proche de la tradition.
En ce qui concerne l’histoire de la comedia sur le sol français, c’est l’influence qu’elle a eue sur nos comédies que l’on retiendra. Dans un premier temps, on ne suit pas le modèle espagnol bien qu’il plaise au public. Ensuite, plutôt que de simplement traduire les pièces espagnoles, les dramaturges s’attachent à les adapter pour les rendre régulières. Les spécialistes du théâtre donnent même plus de mérite à celui qui réussit à tirer une pièce non régulière vers le haut. La phrase de La Mesnardière, citée par Alexandre Cioranescu, résume bien l’idée : « les œuvres espagnoles ne sont pas assez régulières pour apporter de l’honneur à ceux qui les ont inspirées »Ibid., p. 262.comedia va servir de base à de nombreuses adaptations durant le XVIIe siècle. Ces adaptations ont pu se faire sous des formes diverses en raison de la nature de la comedia. Alexandre Cioranescu indique que « la comedia ignore les inhibitions et traite sur un pied d’égalité les sujets historiques, mythologiques ou sacrés, la vie courtisane ou pastorale, les jeux du hasard et les astuces des amoureux, la grossièreté du gracioso et le drame du salut »Ibid., p. 267.comedias ont pu donner en France aussi bien des comédies que des tragi-comédies, voire, parfois, des tragédies ; elles ont une différence de nature par rapport à la comédie de France dans le sens où la matière qu’elles exploitent pour leurs intrigues est beaucoup plus large qu’en France et correspond donc à un panel comprenant différents genres.
Pour ce qui est des adaptations en elles-mêmes, on en un compte un nombre élevé et d’importance relative selon les cas. La première d’entre elles n’est autre que La Bague de l’oubli de Rotrou, représentée pour la première fois en 1629, et tirée de La sortija del olvido de Lope de Vega. Rotrou, dans la suite de sa carrière, reprend douze autres fois des œuvres espagnoles. Cette matière espagnole n’est pas sans apporter une certaine nouveauté dans la façon de concevoir des comédies, que la source soit issue du théâtre ou non. Dans cette optique, Le Cid semble être représentatif. C’est par ce goût du romanesque espagnol que Pierre Corneille donne à son public une pièce qui sort de l’ordinaire avec une structure ne correspondant pas aux habitudes et règles prônées par les doctes. On y rencontre un contraste entre « la joie de vivre, la jeunesse des personnages (…) et le traquenards du hasard ou du destin »op. cit., p. 273.
Moins connus, certains auteurs de théâtre ont tellement pratiqué l’influence espagnole qu’ils ont fini par créer une sorte de mode. Ils deviennent en quelque sorte des professionnels de l’adaptation. Parmi eux d’Ouville, Boisrobert, Scarronop. cit., p. 60) estime que Scarron, avec ses nombreuses adaptations, est le fournisseur le plus célèbre de ce type de comédie.op. cit., p. 274.Ibid., p. 279.Le Baron d’Albikrac et La Comtesse d’Orgueil. Parmi ses modèles, Calderón, Rojas, Aragón et Moreto occupent des places de choix.
En somme, durant toute une période, le théâtre d’influence espagnole a connu un grand succès en France. Il convient désormais d’étudier les mécanismes de l’adaptation au goût français par les dramaturges d’une littérature qui n’était pas destinée à ce public. À ce sujet, nous pouvons ajouter que la qualité de l’adaptation mais aussi celle du modèle sont les facteurs essentiels de la réussite d’une comédie à l’espagnole en France. Nous ne débattrons pas ici de la qualité d’un texte source. Nous allons seulement évoquer brièvement les techniques auxquelles ont recours les dramaturges lorsqu’il s’agit de rendre un texte espagnol conforme aux exigences du public français. Tout d’abord, précisons les rapports qu’entretient la comedia avec le lieu, le temps et l’action. Pour ce qui est du lieu, il s’agit dans la plupart des cas de Madrid dans son ensemble ; c’est-à-dire que l’on peut d’un moment à un autre se déplacer dans cet espace. En quelque sorte, la comedia respecte l’unité de lieu seulement si on la comprend dans son sens large. En effet, il est clair qu’au sens strict ce n’est pas le cas : d’un acte à l’autre, voire d’une scène à l’autre, l’action peut se déplacer d’un point de la ville à un autre. En ce qui concerne le temps, nous pouvons dire qu’il se cale sur le déroulement de l’action. Cette dernière peut nécessiter autant de temps qu’il convient au dramaturge ; il n’y a pas de contrainte à ce niveau pour les dramaturges. Précisons que l’intervalle de temps entre les actes est lui aussi très variable. Quant à l’action elle-même, elle se divise en deux composantes et démarre toujours par une péripétie. La fin de la pièce comporte souvent des mariages mais elle n’est pas forcément heureuse. Il y a une sorte de « justice poétique La Comédie espagnole (1600-1680), Paris, PUF, 1966, p. 136.ars bene moriendiIbid., p. 137.comedia. Finalement, nous avons pu nous rendre compte que le théâtre espagnol ne répond pas très bien aux exigences de régularité connues sur le sol français. Toute la construction d’une pièce espagnole de cette époque repose sur une action tirée de sources qui peuvent être diverses, comme la pastorale, les livres de chevalerie, la Bible, le romanIbid., p. 10-11.ibid., p. 2-3) explique que la structure du spectacle, et notamment les extrémités, refuse la création de l’illusion en restant proches du réel. Cette structure se divise en cinq éléments qui sont : la loa, la comedia, les entremeses, le baile et enfin le mojiganga. Les entremeses et le baile se situent dans les deux intérruptions entre les journées de la comedias. La loa sert à présenter la comédie, son auteur et la compagnie des acteurs. Le mojiganga peut finalement être réduit à une danse en fin de spectacle, ce qui est censé ramener progressivement le spectateur à la réalité.comedia ne soit pas aussi stricte que la comédie à ce sujet. Au niveau du lieu, certains dramaturges gardent Madrid car le dépaysement leur plaît, tout comme au publicop. cit., p. 281.comedia doit aussi gommer, en partie au moins, tous les usages qui semblent trop espagnols et les adapter aux coutumes françaisesibid., p.282) prend l’exemple des crinières que l’on doit transformer en perruques pour
être en phase avec les goûts français. Il évoque aussi le fait que tous les rapports avant le mariage sont atténués par les adaptateurs.comedia espagnole.
Aucun document n’apporte la date précise de création de la pièce. Sophie Wilm Deierkauf-Holsboer précise simplement qu’elle s’inscrit dans un cycle de pièces jouées à l’Hôtel de Bourgogne en 1670 comprenant quatre comédies et Bérénice de Racineop. cit., p. 21.op. cit., p. 812.Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne 1548-1680, Nizet, 1968-1970, vol. 2, p. 21.Op. cit., p. 39.La Comtesse d’Orgueil, la recette qu’elle a engendrée, la réputation qu’elle a eue. Il semble, cependant, que dans sa période de création la pièce n’ait pas connu le succès et que sa bonne réputation auprès du public soit faite bien plus tardivement. Par ailleurs, voici la liste des acteurs qui jouaient à l’Hôtel de Bourgogne au moment de la création de la pièce en 1670 : la troupe était composée de Floridor, sa femme, Hauteroche, Belleroche et sa femme, Brécourt et sa femme, Beauchasteau, Dennebault, Lafleur, Champmeslé et sa femmeop. cit., p. 18.
Lyse, la suivante de la comtesse d’Orgueil, apprend à Carlin, le valet de marquis de Lorgnac, que sa maîtresse est absente de chez elle depuis un mois. Carlin fait la cour à Lyse bien qu’il se soit déjà promis à Virgine, la suivante d’Olympe. Carlin explique qu’il sert le marquis afin d’être utile à son frère, le chevalier qui, bien que noble, ne possède aucun bien. Il doit l’aider à conquérir Olympe en mettant Virgine au courant. Le marquis se plaît à raconter que son frère n’a pas d’argent car il le hait (sc. 1). Le marquis apprend que Lyse vient de la part de la comtesse d’Orgueil : elle voudrait le rencontrer. Lyse lui fait croire que la comtesse a été impressionnée de la voir. Lyse part avertir sa maîtresse (sc. 2). Le chevalier croise son frère avec Carlin. Le marquis montre un grand mépris à son égard, notamment en ce qui concerne son manque d’argent et sa gueuserie alors que le chevalier tente d’expliquer qu’il n’en est pas moins noble. Selon le marquis, c’est cet argument qui doit servir à son frère pour combler Olympe, la fille d’Anselme, riche bourgeois de la ville. Le chevalier explique que son rang pourrait compléter la fortune d’Anselme et qu’il est bel et bien épris d’Olympe. Le marquis propose son aide afin de faire réussir l’alliance (sc. 3). Carlin pense que son soutien n’est pas sincère. Arrive Oronte, l’amant de de la nièce d’Anselme, Lucrèce (sc. 4). Oronte va se marier avec Lucrèce. Cependant, Anselme veut attendre le retour de la comtesse d’Orgueil, qui est la sœur d’Oronte, pour célébrer le mariage. Voyant l’arrivée de Lucrèce et d’Olympe, le chevalier décide de partir avec Carlin afin de ne pas être confronté à elle (sc. 5). Olympe apprend à Oronte qu’elle et sa cousine ont dû écouter le discours de galants et que cela ne lui plaît guère (sc. 6). Virgine vient apprendre à Olympe que son père la destine à un marquis. Celle-ci trouve étrange de ne pas être consultée dans cette affaire et explique qu’elle donne beaucoup de crédit à l’esprit d’un homme. Oronte fait part des moqueries que le marquis suscite et vante les mérites du chevalier qu’Olympe à déjà vu. Il lui semble qu’il manque d’esprit. Elle décide de parler au marquis pour le connaître avant de s’engager et charge Virgine de le faire venir le soir même à sa fenêtre. Oronte doit se renseigner plus en détails sur le marquis (sc. 7).
Après avoir conclu un accord avec le marquis pour un mariage avec Olympe, Anselme vante les mérites de sa fille. Le choix du marquis pour gendre est fort honorable pour sa famille. Le marquis explique qu’il a devancé son frère pour la demande en mariage. Les deux hommes décident finalement de signer un dédit. Anselme explique au marquis qu’il doit se charger de la noce de sa nièce Lucrèce avec Oronte qui se fera en la présence de la comtesse d’orgueil. Un duc tenterait de courtiser la comtesse, ce qui rend le marquis jaloux (sc. 1). Carlin rentre chez Anselme et demande à parler au marquis seul à seul (sc. 2). Carlin lui apprend qu’une marquise est passée chez lui mais que ne le trouvant pas, elle se laissera courtiser par un abbé. Ensuite, le marquis se vante d’avoir réussi à faire céder Anselme en sa faveur. Il précise qu’il lui a parlé en son propre nom pour désespérer son frère. Carlin est outré de la conduite du marquis. Il est déjà trop tard car le dédit signé engage dix mille écus à celui qui annule (sc. 3). Virgine demande à parler au marquis. Olympe l’attend le soir même sur son balcon afin de s’entretenir (sc. 4). Virgine fait l’éloge de sa maîtresse au marquis. Ce dernier profite de l’occasion pour faire des compliments à la suivante qui s’en va juste après car elle a entendu du bruit signalant l’arrivée de quelqu’un (sc. 5). Il s’agit du chevalier qui se rendait chez le marquis. Celui-ci apprend à son frère qu’Anselme a accepté la demande. Le marquis tente de faire partir le chevaleir plus loin ; mais il vient de voir Olympe paraître sur son balcon (sc. 6). Olympe charge sa cousine d’occuper son père pendant qu’elle s’entretient avec le marquis et promet de lui en faire le portait ensuite (sc. 7). Virgine tente de faire comprendre à sa maîtresse que le marquis reste quelqu’un d’important et qu’il n’a pas tous les défauts qu’on lui donne. Selon elle, Oronte le méprise car il ne veut pas voir Olympe acquérir un rang plus élevé que celui de Lucrèce (sc. 8). Le chevalier déclare son amour à Olympe, croyant qu’Anselme à accepté sa demande. Olympe, croyant qu’il s’agit du marquis, insiste sur le fait que cet amour est nouveau. Le chevalier semble surpris car il a passé beaucoup de temps à la suivre, chose dont Olympe ne semble pas se rappeler. Virgine déclare que celui qu’elle pense le marquis n’est qu’un sot. Olympe explique au chevalier qu’elle est préoccupée par un autre amour. Ce à quoi il répond en disant qu’il est déçu mais qu’il accepte sa décision. Finalement, le chevalier se rend compte qu’Olympe le prend pour son frère. Il lui demande donc son avis sur lui-même. Celle-ci raconte qu’elle le trouve idiot. Le chevalier manifeste discrètement sa déception, puis du bruit vient interrompre la conversation (sc. 9). Le marquis arrive avec Carlin et ses domestiques. Le marquis tente de faire partir son frère qui refuse, ayant pris connaissance de la traîtrise de son aîné. Le chevalier provoque donc le traître en duel. Celui-ci s’enfuit alors qu’Olympe et Virgine pensent que le chevalier est le lâche. Olympe avoue son inquiétude à propos du duel car elle aime le marquis.
Oronte apprend à Lucrèce qu’il doit partir pour quelques jours. Il est inquiet pour Olympe à propos de son probable mariage avec la marquis. En effet, celui-ci à dit à Oronte que la comtesse attendait sa visite alors qu’il ne la connaît pas ni ne l’a jamais vue (sc. 1). Oronte demande à Olympe de prendre soin de Lucrèce pendant son absence (sc. 2). Lucrèce fait le résumé à Olympe des défauts qu’Oronte prête au marquis. Olympe tente de le défendre. Elle propose que Lucrèce le juge sur sa prochaine visite et commence à lui raconter ses exploits contre son frère (sc. 3). Virgine avertit Olympe que le frère du marquis, le chevalier, vient lui rendre visite. Olympe rechigne à le recevoir puis accepte. Virgine se dirige vers la pièce d’à côté pour bloquer Anselme au cas où il compterait venir (sc. 4). Le chevalier vient féliciter Olympe de son prochain mariage avec son frère. Il annonce aussi de manière douce et discrète son amour déçu et son départ prochain de Paris (sc. 5). Olympe le trouve fort agréable et charmant bien qu’elle désapprouve son attitude passée. Elle ne comprend pas pourquoi le chevalier croit qu’elle le méprise puisqu’elle ne lui avait jamais parlé auparavant. Lucrèce conclue en disant qu’il doit aimer quelqu’un d’autre (sc. 6). Carlin annonce la venue du marquis à Olympe. Ce sera l’occasion pour Lucrèce de le juger (sc. 7). L’entretien permet de voir la grossièreté, l’intolérance à l’amour ainsi que le côté ridicule du marquis. Olympe et Lucrèce apprennent que le rendez-vous de la veille s’est passé avec le chevalier. Le marquis explique la machination au sujet du mariage avec Olympe. Le marquis fait la cour à Lucrèce et montre du mépris pour Anselme. Olympe ne se montrant pas intéressée par le marquis, celui-ci décide de l’épouser pour la faire enrager (sc. 8). Malgré l’arrivée d’Anselme, le marquis garde son comportement ridicule. Les deux hommes sortent afin de discuter de la dot du mariage (sc. 9). Olympe déclare que le chevalier lui plaît et se lamente de devoir épouser le marquis à cause du dédit. Virgine songe à un stratagème pour annuler ce mariage mais ne le dévoile pas (sc. 10).
Lucrèce apprend au chevalier qu’Olympe l’aime aussi et qu’il y avait erreur sur la personne. On s’apprête à jouer un tour au marquis. On l’a prévenu que la comtesse l’attend chez elle. Or, il s’agira de Virgine. Elle devra faire croire au marquis qu’elle souhaite l’épouser afin qu’il rompe le dédit et paie les dix mille écus, laissant le chevalier se marier avec Olympe (sc. 1). Virgine paraît vêtue en comtesse. Lucrèce craint que le marquis la reconnaisse. Lyse ajoute qu’elles ne se ressemblent pas du tout. Selon Virgine, le marquis ne le remarquera pas (sc. 2). Carlin vient avertir Virgine que le marquis arrive. Ce dernier pense que la comtesse rentre de voyage simplement pour lui. Lucrèce et le chevalier sortent par la porte de derrière (sc. 3). Le marquis se vante auprès de Lyse d’avoir quitté trois marquises pour rendre visite à la comtesse (sc. 4). Carlin avertit le marquis que la comtesse a de l’esprit ce qui le ravit car il pense en avoir davantage (sc. 5). Le marquis complimente la fausse comtesse en lui disant qu’il l’imaginait comme elle est. Le marquis fait la cour à Virgine. Il veut se marier au plus vite. Virgine décide de programmer la noce au lendemain. Lyse vient avertir la fausse comtesse qu’un duc, ami d’Oronte, veut la voir. Elle refuse de le recevoir et détourne la conversation au sujet d’Oronte et de Lucrèce en expliquant qu’elle n’aime pas les bourgeois. Virgine rajoute qu’Olympe est pire que Lucrèce car elle n’a pas de bien. Selon elle, tout le monde se moque d’un campagnard qui projette de sa marier avec elle alors qu’elle est malade, n’a rien et à mauvais caractère. Carlin demande à son maître comment il compte faire pour se décharger des dix mille écus et épouser la comtesse. Oronte arrive ; on fait donc croire au marquis qu’elle doit se cacher car la comtesse n’est venu que pour lui seulement. Oronte est surpris de trouver le marquis en arrivant. Le marquis, parlant de la comtesse, fait d’elle un portrait qui ne correspond pas, ce qu’Oronte trouve étrange (sc. 7). Anselme vient saluer son futur gendre. Lyse demande discrètement au marquis de faire partir Anselme (sc. 8). Le marquis refuse de parler à Anselme dans la maison de la comtesse de son engagement avec Olympe. Or, le vieillard évoque cette affaire. Le marquis a donc peur que la comtesse ait entendu la conversation. Carlin l’avertir qu’elle arrive en pleures (sc. 9). Le marquis lui explique qu’il s’est engagé pour empêcher son frère de le faire mais qu’il peut faire annuler le dédit et se marier avec elle à la place d’Olympe. Virgine accepte et précise qu’elle peut payer l’annulation si besoin est. Virgine feint de s’inquiéter qu’Olympe tente de séduire le marquis quand il viendra annuler le contrat. Le marquis propose de laisser la place à son frère et promet de ne pas trahir la comtesse (sc. 10).
Anselme a fini par être dégoûté du marquis et semble apprécier le chevalier qu’il va rencontrer. Olympe reste inquiète bien que Virgine tente de la rassurer grâce au tour (sc. 1). Carlin vient avertir Olympe et Virgine que le marquis n’est plus jaloux de son frère puisqu’il est amoureux de la comtesse. Forte du prochain succès du tour, Olympe accepte que Virgine se marie avec Carlin (sc. 2). Lucrèce vient avertir Olympe que son père et le chevalier sont d’accord pour un prochain mariage. On attend son avis (sc. 3). Virgine craint de rencontrer le marquis en habit de suivante, ce qui mettrait la machination au grand jour. Carlin lui rétorque qu’il ne verra rien car elle a bien joué son rôle ; cela lui a plu de la voir dans cette noble position (sc. 4). Le marquis voit Virgine mais ne comprend pas qu’elle n’est qu’une suivante. Elle lui fait croire qu’elle est venue déguisée afin de savoir si Olympe tente de le charmer. Le marquis essaie d’obtenir un baiser de Virgine (sc. 5). Anselme n’apprécie pas que le marquis veuille la suivante à la place de sa fille. Le marquis accepte d’annuler le contrat et demande à Virgine de faire venir Olympe pour annuler le mariage. Il explique discrètement qu’il s’agit d’un tour pour tromper le vieillard (sc. 6). Il pense savoir qu’Anselme se vante d’être riche alors que l’argent fait partie de l’héritage de Lucrèce. Anselme ne comprend pas de quoi le marquis veut parler (sc. 7). Le marquis avoue qu’il méprise le statut d’Olympe autant que sa personne. Anselme et le marquis déchirent le dédit. Le marquis n’accepte pas qu’Anselme commande Virgine qu’il croit comtesse. Cela surprend le vieillard (sc. 8). Anselme propose officiellement au chevalier de devenir son gendre. Le marquis est ravi du choix car il pensait à lui quand il avait proposé un nouveau prétendant. Lucrèce apprend à tous que la comtesse veut se marier avec le marquis. Anselme révèle le statut de Virgine qui n’est qu’une simple servante. Le marquis n’y croit pas et demande des explications (sc. 9). Oronte vient annoncer l’arrivée de la comtesse d’Orgueil et la possibilité du mariage avec Lucrèce. Le marquis veut le surprendre en faisant venir Virgine. Elle demande à être mariée à Carlin et avoue sa condition de servante ainsi que le tour joué au marquis. Ce dernier est furieux contre Carlin ; il maudit son frère et Olympe avant de quitter la pièce. Anselme propose de payer les futurs mariages (sc. 10).
Plusieurs documents qui permettent de rétablir l’histoire de l’écriture de La Comtesse d’Orgueil et les sources utilisées par Thomas Corneille sont à notre disposition. Premièrement, en ce qui concerne les textes sources, nous disposons de trois documents. Alexandre CioranescuIbid., p. 279.La Comtesse d’Orgueil tire son histoire de la pièce El Señor de noches buenas de Álvaro Cubillo de Aragón. Il s’agit de l’information qui se retrouve le plus souvent dans les études sur la comedia ou sur Thomas Corneille. C’est ce que remarque Henry Carrington LancasterA History of French Literature in the Seventeenth Century, Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1929-1942, p. 810.Le Baron d’Albikrac à ce niveau. Thomas Corneille a donc pu utiliser l’une de ses propres pièces pour construire la fin de celle-ci. Cependant, dans son travail, Lancaster ne fait que proposer une hypothèse sans pour autant avoir tous les éléments en main pour affirmer quel texte est à la base des deux derniers actes. Dans cette optique, l’étude des sources de la pièce par Joseph F. PriviteraModern language Notes, vol. 56, nº 3, mars 1941, p. 211-214.El Señor de noches buenas de Cubillo. Il ajoute que ceux qui comme Von SchackGeschichte der dramatischen Literatur ud Kunst in Spanien, Frankfurt, 1854, II, supplement, p. 104.El Lindo Don Diego de Á. Moreto. Il finit par nous donner les proportions d’influence des deux pièces. Sur trente-quatre scènes, vingt viennent de chez Moreto et douze de chez Cubillo de Aragon. Les deux tiers des trois premiers actes sont inspirés de la pièce de Cubillo de Aragon avec quatorze scènes. Pour la pièce de Moreto, on compte six scènes soit un tiers des trois premiers actes, mais surtout les actes quatre et cinq entiersOp. cit., p. 214.El Lindo Don Diego de Moreto est la source principale de La Comtesse d’Orgueil alors que El Señor de noches buenas de Cubillo de Aragon n’en est que la source secondaire. Il semble important de préciser que ces statistiques ne sont pas les seules informations qui prouvent cela. En effet, la consultation de l’ouvrage de Georges Forestier sur la génétique théâtraleEssai de génétique théâtrale. Corneille à l’œuvre, Klincksieck, 1996, p. 126-134.El Lindo Don Diego de Moreto comme source principale et El Señor de noches buenas de Álvaro Cubillo de Aragón comme source secondaire.
Au sujet de cette pièce qui date de 1662, malheureusement, peu d’éléments d’analyse sont disponibles. Nous avons réussi à trouver une analyse très sommaire au début de l’édition de la pièce utilisée comme référenceEl Lindo Don Diego, Madrid, Biblioteca clásica Ebro, 1966.los lindosIbid., p. 17.
Deux soeurs rusées et volontaires, leurs cousins (l’un discret et prudent, l’autre vaniteux) sont les personnages principaux. Une soubrette se fait passer pour une comtesse veuve et reçoit pour mission de séduire et donc d’éliminer le sot, qui tombe dans le piège. Il ne reste plus au père qu’à écarter le maladroit et ainsi à consentir aux mariages voulus par les deux jeunes filles.
Ibid., p. 77.
Certes, le résumé est succinct, mais il nous permet déjà de voir les éléments qui ont attiré l’attention de Thomas Corneille et qu’il a réutilisés dans sa propre pièce. En accord, avec la théorie développée précédemment et qui considère El Lindo Don Diego comme la source principale de La Comtesse d’Orgueil, c’est la fin de la pièce de Moreto qui va nous intéresser. Le dénominateur commun des deux pièces n’est autre que la ruse du déguisement de la servante en comtesse qui constitue le moment fort, la clé de voûte de l’action dans les deux cas. La fin véritable chez Moreto n’est en fin de compte qu’anecdotique puisqu’elle suit un schéma classique de dénouement nuptial après effacement de l’obstacle. Au sujet des personnages, ils ne semblent pas correspondre à ceux de Thomas Corneille, mais le faible développement sur le sujet ne permet pas de conclure sur ce point. En somme, Thomas Corneille aura puisé sa matière principale chez celui qui a été prêtre à la cour de Philippe IV. Notons que les remarques de C.-V. Aubrun sur le théâtre de Moreto, à savoir que les conflits dans ses pièces viennent d’une inadaptation des hommes à la société, ainsi que, très souvent, le « caractère » d’un personnage tourne au comique en devenant un « entêtement ridicule
À l’inverse, il existe plus de travaux sur cette pièce que sur la précédente. Nous précisons que notre développement sera en majeure partie fondée sur la thèse de Elena Elisabetta MarcelloLas comedias de costumbres de Alvaro Cubillo de Aragón. Edition et étude, Thèse de la faculté de Lettres de Castilla-La Mancha, soutenue le 13 décembre 2002. El Señor de noches buenas. La pièce a été créée à Grenade à une date inconnue, puis représentée à Madrid le premier juin 1634 et le 22 avril 1635. Elle aurait été écrite entre 1630 et 1632. Il s’agit de l’une des pièces les plus connues de son auteur. Selon E. E. Marcello, la pièce évoque son temps puisqu’il y est question du roi de l’époque, à savoir Gustavo Adolfo IIIbid., p. 113.
À la différence des pièces françaises, le titre a ici une importance vraiment considérable. En effet, il n’est que la résultante de la fin de l’action au cours de la troisième journée ainsi que la marque de l’utilisation répétée d’expressions comme « a buenas noches » (dans l’ignorance), « dejar a buenas noches » (laisser dans le doute et l’ignorance) ou encore « quedrase a buenas noches »Ibid., p. 117.
Après avoir insisté sur quelques détails, il convient de proposer un résumé précis
Première séquence : Les serviteurs décrivent et annoncent leurs maîtres.
(v. 1-120) : Roberto, serviteur du marquis, commente avec Copete la situation de pauvreté d’Enrique, le frère du marquis. Ils comparent aussi les qualités et les défauts de leur maître respectif : si l’un (Enrique) est pauvre mais fidèle et courageux, l’autre (le marquis) est riche mais stupide, dédaigneux et lâche.
Deuxième séquence : Les frères face à face. La beauté de Porcia. La ruse se profile.
(v. 121-192) : Les deux frères arrivent sur scène et leurs action confirment les dires de leurs serviteurs. L’aîné est très ennuyé par Enrique car il a perdu au jeu contre lui. Il le dédaigne et l’écrase, malgré tout le respect et la loyauté que lui manifeste son frère. (v. 190-341) : Enrique demande à Carlos de présenter sa proposition de mariage à Marcelo, le père de Porcia, femme que l’on loue pour sa beauté et sa discrétion, confiant dans le fait que l’antipathie que son frère lui manifeste, ainsi que la possibilité de le faire partir de Valence le pousseront à l’aider pour une fois. Après avoir écouté et accepté la demande de son frère, le marquis Carlos lui demande que Copete reste avec lui pour l’aider. (v. 342-388) : Le gracioso exprime de manière bouffonne son aversion pour le marquis. (v. 389-426) : Seul avec son serviteur, le marquis confie son intention de vérifier les qualités de Porcia et, si elles sont conformes à son goût, de la demander en mariage pour lui-même.
Troisième séquence : L’amour. Porcia et Dorothea. Le mariage.
(v. 427-512) : Porcia et Dorotea, cousines, discutent à propos de la nature de l’amour et de la prétention de Porcia qui désire découvrir et expérimenter les vertus de ses prétendants. À ce propos, la jeune fille manifeste son irritation pour la façon dont Enrique la courtise, pendant tout ce temps, il ne lui a jamais parlé ; alors que Dorotea, qui défend le pauvre galant, lui démontre la discrétion et la galanterie de ce dernier ainsi que de sa grande nécessité. (v. 513-598) : Aldonza, suivante, avertit les demoiselles du fait que le marquis négocie son mariage avec Porcia, et celle-ci est décidée à vérifier la discrétion du futur marié en lui donnant rendez-vous pendant la nuit au niveau de la haie du jardin.
Quatrième séquence : La confiance et les confidences d’Enrique.
(v. 599-698) : Enrique confie à son ami Leonardo, prétendant de Dorotea, et à Copete ses espérances de la bonne réussite de l’intervention du marquis. Le scepticisme avec lequel l’écoutent ses amis n’arrive pas, cependant, à le contrarier.
Cinquième séquence : La confiance trompée.
(v. 699-737) : Tous trois rencontrent le marquis et Marcelo qui sortent de leur entrevue et leurs dires aboutissent à une confusion. (v. 738-782) : Enrique, sans connaître toute la vérité, se réjouit de la réussite de la demande en mariage, sous le regard suspicieux de Copete et la joie de Leonardo, qui est sur le point d’officialiser son mariage avec Dorotea.
Sixième séquence : Le rendez-vous nocturne. La révélation.
(v. 783-961) : Comme il avait l’habitude de le faire toutes les nuits silencieusement, Enrique arrive au Balcon. La demoiselle, le prenant pour le marquis Carlos, reste satisfaite de sa tendresse et de sa galanterie, mais en l’appelant, elle lui révèle indirectement la méprise.
Septième séquence : L’escarmouche.
(v. 962-997) : En voyant arriver le marquis au rendez-vous, Enrique est convaincu de sa trahison et se lance dans un combat contre lui.
Première séquence : L’amour de Leonardo et Dorotea.
(v. 998-1095) : Dorotea et Leonardo parlent d’un amour qui surpasse les difficultés et s’étonnent que Porcia considère courageux et sage celui qui a toujours montré de grandes preuves d’entêtement et de lâcheté. Avant de quitter sa bien aimée, Leonardo l’informe qu’il accompagnera Enrique qui quitte Valence, durant deux ou trois jours.
Seconde séquence : Les félicitations pour le mariage de Porcia.
(v. 1096-1119) : Marcelo et sa fille se félicitent du mariage et se dépêchent de faire les préparatifs.
Troisième séquence : Encore des félicitations. La discrétion du marquis.
(v. 1119-1167) : En tête à tête avec Dorotea, Porcia reçoit aussi de sa cousine les félicitations pour son choix et son soudain coup de foudre. Dorotea fait l’éloge du langage discret et galant du futur mari de sa cousine.
Quatrième séquence : Enrique dit au revoir à Porcia.
(v. 1168-1323) : Obligé par son frère de partir en Flandre, Enrique dit au revoir à Porcia, en la félicitant pour ses prochaines noces. Celle-ci lui révèle qu’elle est malheureuse car son amour est sans retour, tandis que Dorotea tente de la convaincre que c’est elle l’objet de l’amour d’Enrique. Au moment de son départ définitif, Enrique reçoit des compliments de la part de Dorotea.
Cinquième séquence : Porcia rencontre le marquis. La déception.
(v. 1324-1499) : Enfin, Porcia a l’occasion de parler avec son fiancé et s’étonne que celui-ci n’ait pas les qualités tant vantées jusqu’alors. En effet, le marquis, durant la rencontre, fait preuve de grande vanité et de grossièreté.
Sixième séquence : Les frères se quittent. La révélation.
(v. 1500-1559) : En écoutant une conversation entre les frères, Porcia découvre la raison de son erreur.
Septième séquence : Les amants, Porcia et Enrique, se déclarent leur amour. La ruse de Copete : le départ.
(v. 1560-1783) : Porcia déclare son amour à Enrique quand celui-ci dit au revoir depuis le balcon, qui a été le témoin de son malheureux amour. Ensemble, ils décident de résoudre cet imbroglio. Ils planifient, avec l’aide de Leonardo et Copete, de feindre le départ d’Enrique, qui se cacherait dans la maison de son ami. Les amants se donnent rendez-vous durant la nuit.
Première séquence : Les trois couples se quittent.
(v. 1784-1841) : Les couples (Porcia et Enrique, Dorotea et Leonardo, Copete et Aldonza), complices de la ruse, se quittent dans la nuit.
Deuxième séquence : Des essais pour retarder le mariage. La ruse d’Aldonza : l’« erreur » du marquis.
(v. 1842-1981) : Porcia essaie de retarder le mariage auprès de son père qui s’étonne de l’inconstance de sa fille. C’est avec art qu’Aldonza met en doute la virilité du marquis, faute impardonnable pour un futur époux.
Troisième séquence : La rencontre avec le marquis. Les doutes se confirment. La ruse de Porcia : Don Enrique du Coin (Don Enrique del Rincón).
(v. 1982-2155) : L’arrivée du fiancé permet à Marcelo de vérifier les erreurs du futur gendre : il prouve ainsi, non seulement son entêtement, mais aussi son dégoût envers les femmes. Pour retarder la cérémonie, Porcia trouve comme excuse l’absence de son cousin, un certain « Enrique del Rincón, seigneur des Bonnes Nuits ». Le marquis accepte.
Quatrième séquence : Nouvelle rencontre nocturne des couples.
(v. 2156-2189) : Le soir, les amants se rencontrent sur le balcon pour discuter de l’évolution des événements.
Cinquième séquence : Promenade de nuit.
(v. 2190-2219) : Après avoir laissé leurs compagnes, Enrique, Leonardo et Copete se racontent leurs sentiments pendant qu’ils prennent le chemin du retour.
Sixième séquence : Rencontre avec le marquis. La ruse de Copete : Enrique del Rincón.
(v. 2220-2344) : Les trois complices se heurtent au marquis qui pour la première fois rôde vers le balcon de Porcia. Pour ne pas se faire reconnaître et pour sortir de l’embarras, Copete présente Enrique comme étant le fameux cousin de Porcia.
Septième séquence : Enrique rentre dans la maison de Porcia pendant la nuit.
(v. 2345-2355) : Enrique, selon ce qui a été dit, entre de nuit dans la maison de Porcia, sans savoir que le marquis, qui le croit Enrique del Rincón, l’a vu.
Huitième séquence : Le marquis fait irruption dans la maison de Porcia.
(v. 2356-2434) : Bien qu’il soit tard, le marquis se présente chez Marcelo pour convenir du mariage.
Neuvième séquence : Le dénouement.
(v. 2435-2486) : L’arrivée de Porcia puis celle de ses complices révèle la tromperie. On décide ainsi de planifier les mariages d’Enrique et Porcia, de Leonardo et Dorotea, et de Copete et Aldonza.
Nous avons vu que Thomas Corneille tire sa pièce d’une origine espagnole dont il doit adapter la matière aux goûts et aux règles du théâtre français et de son public. Pour ce faire, il est dans l’obligation de se plier aussi bien aux contraintes théoriques que matérielles. Nous allons voir ici dans quelle mesure la pièce est rendue conforme à ces contraintes. Nous notons, par ailleurs, que pour ce qui est du temps, la pièce ne pose aucun problème puisque les sources, et notamment le pièce de Cubillo, tiennent en vingt-quatre heures avec une nuit dans ce laps de temps.
Une question importante dans ces conditions se pose en ce qui concerne le décor et sa structure. Comment Thomas Corneille va-t-il représenter sur scène une pièce dans laquelle se déroulent des scènes de rue et diverses scènes d’intérieur (chez la comtesse et chez Anselme ? Il nous faut, tout d’abord, écarter l’idée du changement de décor à vue qui, bien qu’en vogue dans les années 1660, ne convient pas vraiment au style de notre pièce car c’est une manipulation qui entretient de meilleures relations avec les pièces à machines. À en croire D. A. CollinsThomas Corneille : protean dramatist, Mouton & Co, Londres, 1966, p. 49.Don Bertrand de Cigarral. C’est donc bien le cas pour La Comtesse d’Orgueil. Il faut donc que la pièce comporte un décor unique du début à la fin et qui réunisse tous les endroits précis où les scènes se déroulent. En clair, le décor en question doit pouvoir accueillir la maison de la comtesse, ainsi qu’une sortie à l’arrière, la maison d’Anselme comprenant la chambre d’Olympe à l’étage avec un balcon et un cabinet, la rue. En outre, il faudra situer ces lieux au cœur de la ville. Pour satisfaire à toutes ces conditions, nous proposons un décor qui convient et qui se rapproche de ce qu’il a pu être lors de la création de la pièce. Ce décor se compose, d’abord, d’un panneau à l’arrière qui représente la ville de Paris où se déroule l’action. Sur un côté est disposée la maison de la comtesse, alors qu’en face nous retrouvons celle d’Anselme. Dans cette disposition les personnages au centre de la scène sont dans la rue ; ceux qui arrivent des côtés et derrière les maisons donnent l’illusion de venir d’un endroit quelconque de la ville. À ce stade, le décor ne résout qu’une partie des difficultés liées à la représentation. Comment à la fois montrer ce qu’il se passe dans la rue et dans les maisons ? La première réponse concerne le balcon. Pour les scènes de dialogue entre un personnage de la rue et un personnage de la maison, il suffit de créer une fenêtre d’où peut sortir le personnage accédant ainsi au balcon de l’étage. Le dernier point à éclaircir n’en reste pas moins le compliqué. Etant donné que les moments où l’action principale passe de la rue à l’intérieur d’une maison et inversement ne se situent pas forcément entre les actes, ce qui auraient finalement permis de faire un changement de décor à chaque acte et de respecter l’unité de lieu dans son sens large, une autre solution doit être trouvée. Cette solution est expliquée par Pierre Pasquier dans son édition du Mémoire de MahelotLe Mémoire de Mahelot, Champion, Paris, 2005, p. 194-195.La Comtesse d’Orgueil, notamment pour la chambre d’Olympe située à l’étage dont les personnages communiquent avec d’autres à l’extérieur, puis entre eux à l’intérieur ; ainsi que le cabinet situé derrière. Ce type de décor semble ne pas être très en vogue en 1670 ; cependant, comme dans notre cas, il est toujours utilisé car des comédies espagnoles sont encore adaptées.
À en croire le résumé des deux pièces ainsi que la thèse d’Elena Marcello, l’intrigue consiste bien en une adaptation simple des deux pièces sources. Les trois premiers actes de La Comtesse d’orgueil correspondent parfaitement à ceux de la pièce El Señor de noches buenas de Cubillo, comme nous l’avons constaté. L’élément principal dans l’adaptation française réside dans le remplacement de la ruse de la pièce de Cubillo par celle de Moreto. En effet, dans la pièce de Cubillo la ruse consiste à feindre l’attente d’un cousin pour officialiser le mariage avec le marquis. Le héros profite de l’occasion pour se déguiser en ce cousin et rejoindre Dorotea. Les voyant, le marquis va se plaindre au père de la jeune fille ce qui entraînera l’annulation du mariage avec le marquis, remplacé par un autre avec Enrique, le jeune frère du marquis. Dans la pièce française, c’est la notion d’argent qui est centrale : la ruse de Virgine consiste à attirer l’attention du marquis pour qu’il rompe un contrat de mariage et qu’il paie cette annulation, car Anselme ne semble pas contre le fait de laisser sa fille se marier avec le chevalier à la place du marquis. En fait, le déguisement permet d’annuler la différence de patrimoine entre les deux frères, l’aîné payant pour son cadet sans le savoir. Par ce moyen, le marquis finit par faire ce qu’il n’a jamais voulu faire pour son frère, allant jusqu’à se moquer de lui à cause de son manque de moyens. On peut donc dire que l’adaptation faite par Thomas Corneille consiste à utiliser l’intrigue de la pièce de Cubillo, El Señor de noches buenas, à savoir la traîtrise d’un frère aîné à son cadet et qui consiste à demander une jeune fille en mariage pour lui-même au lieu de le faire pour son frère, et d’y ajouter un contrat de mariage nécessitant un paiement pour l’annuler. Dans ce contexte, il est obligatoire d’incorporer une ruse qui aura pour but d’amener la marquis à rompre ce contrat en détournant son attention d’Olympe, ce qui laisserait la place libre pour le chevalier.
Cette adaptation montre bien que certains éléments thématiques ont un rôle central dans la dramaturgie de la pièce ainsi que dans la psychologie des personnages.
Plusieurs scènes de la pièce mettent en jeu cette notion qui est centrale dans l’esthétique théâtrale de l’époque.
Tout d’abord en ce qui concerne les combats sur scène, l’une d’entre elles montre un début d’affrontement entre les deux frères
La bienséance entre aussi en jeu lorsque la pièce donne à voir sur scène des personnages potentiellement amoureux. Afin de ne pas choquer les bonnes mœurs, les deux personnages ne sont pas laissés seuls en scène. Nous retrouvons cette configuration entre le chevalier et Olympe, au moment où le chevalier vient féliciter Olympe pour son futur mariage avec son frère et que, finalement, elle se rend compte qu’elle avait pris le chevalier pour le marquis
Un dernier exemple en fin de pièce nous montre l’importance de la présence d’une tierce personne dans une situation amoureuse
Une simple remarque sur la disposition des personnages peut nous faire apprécier le degré de similitude des deux pièces. On retrouve dans chaque cas deux couples d’amants, un vieux père de famille (Anselme et Marcelo), un couple de serviteurs, un riche frère têtu. Les adaptations françaises du marquis, du valet et de la servante présentent des différences notables avec leurs modèles d’origine. Ces traits spécifiques seront abordés pendant l’étude des caractères. Thomas Corneille s’est donc contenté d’adapter des personnages sans modifier le schéma relationnel propre à l’œuvre d’origine.
Occupant une place à part dans l’œuvre espagnole, le marquis mérite que nous nous arrêtions un instant sur lui. Ses traits distinctifs en font l’un des premiers ridicules du théâtre du siècle d’or. Voici ceux qui le définissent
En fin de compte, le personnage du marquis incarne l’archétype du précieux ridicule. Ses défauts ne développent au fur et à mesure que l’œuvre avance. Quelques personnages ignorent ces manques du personnage mais les découvrent quand même au dénouement.
Parmi les thèmes les plus récurrents, certains revêtent un aspect plus important du fait que leur présence fait avancer la pièce. C’est le traitement de ces thèmes que nous nous proposons d’étudier.
La question des relations amoureuses entre les personnages occupe une part importante dans l’étude thématique des pièces de Thomas Corneille ; Eliane Herz-Fischler considère, d’ailleurs, que ce thème (ainsi que celui de la feinte) est un maître mot dans le théâtre du dramaturgeLa Dramaturgie de Thomas Corneille, Université Paris III, 1977, p. 70.La Comtesse d’Orgueil ne déroge pas à la règle, puisque l’amour y occupe une place de premier plan, comme c’est souvent le cas dans les pièces à l’italienne et à l’espagnole.
Dans notre cas, nous pouvons constater que l’amour se manifeste de façons différentes selon la psychologie des personnages. La première façon de l’exprimer, que l’on retrouve souvent dans les comédies, relève du type du coup de foudre. Au troisième acteibid., p. 73.
Ce n’est que d’hier au soir que tu le peux connoistre, L’entretien dura peu, tu parlas sans le voir, Et déja sur ton coeur l’amour a tout pouvoir ? (v. 822-824) Finalement, Olympe résume elle-même son sentiment : Voilà ce que sur moy fait l’esprit, c’est mon charme. Quoy que fiére, par luy ma fierté se desarme, Et pour estre le prix d’un don si precieux, Mon coeur n’a pas besoin du conseil de mes yeux (v. 825-828).
Nous sommes en présence d’une sorte d’amour aveugle qu’un bel esprit et un beau discours suffisent à faire naître.
La deuxième forme essentielle d’amour est à mettre en relation avec la galanterie. Cet amour galant est porté par le chevalier car il en respecte les règles de base. Il fait preuve de discrétion, comme nous le montre sa réplique au deuxième acte :
Je brûle dés long-temps pour vos divins appas, Le respect, il est vray, jusqu’icy m’a fait taire, Mais je n’en ay pas eu moins d’ardeur de vous plaire, Et mes yeux ont trahy les ordres de mon coeur S’ils ne vous ont cent fois parlé de ma langueur. A vous chercher par tout leur soin estoit extréme, Au Temple, Dans le ruë, à vostre balcon mesme, Et les vostres souvent par un regard rendu Ont semblé m’avertir que j’étois entendu Acte II, scène 9. (v. 660-668).
La deuxième règle consiste à tout accepter de la part de celle que le galant aime en vertu de son respect pour elle. Au troisième acte, le chevalier va être totalement en accord avec ce principe. Il accepte qu’Olympe ne l’aime pas et lui rend visite seulement pour « prendre part au bonheur de [son] Frere »
Le chevalier va jusqu’à faire passer son propre bonheur après celui d’Olympe ; il s’agit de la troisième marque de l’amour précieux que nous pouvons voir dans l’extrait suivant :
Ah non, quoy qui m’arrive, Qu’elle ait tout le bonheur dont sa rigueur me prive, Par là mon desespoir peut estre soulagé, Et tout ce que je crains c’est d’en estre vangé. OLYMPE. Tant de respect gardé fait voir.... LE CHEVALIER. Adieu, Madame, A trop d’emportement j’abandonne ma flame, Et sans doute j’ay tort de mesler mes chagrins Aux sensibles douceurs de vos heureux destins (v. 909-916).
Finalement, le principe de l’amour galant vécu par le chevalier est énoncé plus tôt par ce dernier au début de la pièce :
LE CHEVALIER. Sur tout autre devoir l’amour toûjours l’emporte Acte I, scène 5. (v. 269).
Comme le précise Eliane Herz-Fischler, ce principe est applicable à tous les amoureux du théâtre comique.
Comme très souvent, le traitement de l’amour dans La Comtesse d’orgueil ne se limite pas aux sentiments de deux jeunes gens ; l’attirance des deux héros nécessite au niveau dramaturgique que des obstacles s’opposent à leur union. Ces obstacles qui peuvent être de trois types (naturels, familiaux ou sociaux) ne sont pas nécessairement tous développés dans la même pièce. Dans notre cas, l’obstacle est avant tout familial : c’est le frère aîné du chevalier qui utilise sa position sociale et sa fortune pour parler pour lui-même et non pour le chevalier au père d’Olympe. Le passage suivant montre bien quelles sont ses intentions :
LE MARQUIS. Tu l’entens. Quel Cerveau ! J’aurois parlé pour luy ? CARLIN. Pour qui donc ? LE MARQUIS. Pour moy-mesme. CARLIN. Ah, le traître ! Quoy donc vous aimez ? LE MARQUIS. Moy, si j’aime ? Point du tout, mais mon Frere ayant ce vilain mal, Pour le desesperer je me fais son Rival Acte II, scène 3. (v. 500-504).
Plus que d’être un véritable rival, le marquis décide de demander Olympe en mariage pour marquer sa supériorité vis-à-vis de son frère. Nous y voyons ici un véritable conflit familial et social, qui se dessinait déjà au tout début de la pièce et qui continue au travers de ce thème de l’amour.
Largement développé dans notre pièce, le thème de l’argent est au cœur du l’intrigue, notamment pour ce qui est du rapport entre les deux frères. Il est évident que le personnage qui présente le plus d’intérêt à ce niveau et qui semble se préoccuper de ces questions plus que les autres est sans conteste le marquis. Dès la scène 3 du premier acte, il nous démontre à quel point le domaine financier tient un place de choix dans sa vie. Cette scène contient la première rencontre entre le marquis et le chevalier. C’est l’occasion pour le premier des deux de marquer son mépris pour son jeune frère et de se moquer de sa situation financière :
LE CHEVALIER. Au moins, si par le droit d’aînesse, Vous avez de grands biens, j’ay la mesme Noblesse. LE MARQUIS. Vous estes Chevalier, mais quand il faut manger, Vostre Chevalerie est un mets bien leger, Et souvent la machoire est fort mal occupée, A qui n’a comme vous que la cape et l’épée. LE CHEVALIER. Et la cape et l’épée auront toûjours dequoy Faire considérer des gens faits comme moy. Joüissez de vos droits, l’aînesse vous les donne. Je n’y demande rien (v. 141-150).
Il s’agit là de la première occurrence de la critique du manque d’argent du chevalier par le marquis, critique que le marquis va être amené à reformuler plusieurs fois. En effet, étant l’aîné, le marquis a hérité de la fortune familiale. Il n’a aucun complexe à tout garder et à ne rien donner à son frère. Il semble, d’ailleurs, que plus qu’un motif de raillerie, le manque d’argent du chevalier soit un motif de mépris voire de haine, comme dans les vers suivants où le marquis montre son envie de finir la conversation au plus vite :
LE CHEVALIER. Toûjours injure sur injure ? Vous estes mon aisné, je me tais, et j’endure. LE MARQUIS. Et bien, n’endurez point, qu’est-ce que vous ferez ? Vous me chanterez poüille, et vous retirerez, C’est-là ce que je veux. LE CHEVALIER. Grace à vostre injustice, Me voir et me parler est pour vous un suplice, J’en suis trop convaincu. LE MARQUIS. Ne l’ignorez donc pas. J’en suis content. LE CHEVALIER. Ma peine a pour vous des appas, Et plus vous connoissez que le malheur m’accable... LE MARQUIS. Il est vray, vostre vie est gueuse et miserable, Mais enfin sans appuy, sans resource, sans bien, Vous dévriez mourir, et vous n’en faites rien. Est-ce ma faute ? (v. 129-141)
Ce morceau de conversation nous livre une information importante : la condition sociale et financière prévaut sur les rapports du marquis avec ceux qui l’entourent, et en priorité avec le chevalier. Finalement, comme le chevalier est dans le besoin, il n’a aucune importance aux yeux du marquis qui préfère le voir mourir plutôt que de subir sa présence. Nous pouvons relever d’autres exemples qui montrent de quelle manière la condition financière va influencer sur les rapports du marquis avec un personnage, sur l’idée qu’il s’en fait et, par là, sur le respect qu’il va lui témoigner. Par exemple, la conversation avec Anselme au sujet de la comtesse d’Orgueil en est une démonstration :
LE MARQUIS. Nous la gouvernerons. Elle est riche ? ANSELME. Et tres fort. Un Vieillard a tout fait pour elle avant sa mort. Comme sur ses vieux ans il l’avoit épousée, Avec luy sa fortune à faire fust aisée, Son revenu, du moins, monte à dix mille escus. LE MARQUIS. Dix mille escus de rente ! ANSELME. Et peut-estre encor plus. LE MARQUIS. On fait florés à moins. Peste, quelle Commere ! (v. 463-469)
Ce passage montre bien l’étonnement suivi de l’intérêt du marquis pour la comtesse dès lors qu’il apprend le revenu de la comtesse d’Orgueil.
Un dernier passage nous permet de voir que le rapport du marquis à l’argent est plus compliqué qu’il n’y paraît. On peut se rendre compte qu’à partir d’un certain niveau de revenu, ce n’est plus forcément la seule valeur qui compte pour lui à propos d’un personnage ; en témoigne le passage de la scène 6 de l’acte IV :
CARLIN. Sans les meubles elle a dix mille écus de rente. Vous pourriez trouver mieux. LE MARQUIS. J’en trouverois cinquante. Mais l’esprit ? (v. 1317-1319)
Il est clair que dans l’esprit du marquis le fait de posséder beaucoup d’argent et de biens s’impose comme une condition sine qua non à sa bonne entente avec la personne ainsi qu’au respect qu’il lui témoignera. Cependant, on voit clairement apparaître ici que la vivacité d’esprit lui importe quand même. C’est ce critère qui est déterminant pour lui, une fois les conditions de base acquises, comme nous le montre le fait qu’il préfère la fausse comtesse alors qu’elle est censée avoir un bien équivalent à celui d’Olympe.
Cependant, nous devons relativiser notre dernier propos puisqu’un autre critère rentre en ligne compte (en plus du fait qu’il ait demandé Olympe en mariage juste pour contrarier son frère). En effet, le niveau social, à savoir être noble ou non semble influencer la représentation que se fait le marquis de quelqu’un. Dans cette perspective, il se montre intéressé par la comtesse dès l’évocation de son titre (Acte I, scène 2) et explique son dégoût pour les bourgeois dont Anselme et Olympe font partie (Acte I, scène 3 ; v. 166-180).
Plus qu’un simple élément montrant les motivations du marquis, l’argent joue un rôle essentiel dans la construction de l’intrigue, à la différence de la pièce de Cubillo El señor de noches buenas où ce motif n’est pas développéop. cit., p. 125.
L’obstacle le plus fort vient des dix mille escus. Il est grand, mais enfin nous ne le craindrons plus, Si Virgine pour vous poussant le stratagême, Peut forcer le Marquis à rompre de luy-même (v. 1175-1178).
L’obstacle évolue donc pour passer du marquis lui-même à sa fortune car c’est le manque de moyens du chevalier et d’Olympe qui nécessite la création d’un tour par la servante. L’argent tient donc une place centrale dans la conception de l’intrigue car il s’agit de l’un des thèmes sur lesquels repose la pièce
Beaucoup de comédies du XVIIe sont basées sur le principe de la feinte. Le déguisement que nous retrouvons dans La Comtesse d’Orgueil en constitue un sous-ensemble. Il repose sur le concept du personnage qui se fait passer pour un autre, créant ainsi la notion de double identité. L’utilisation de cette ruse sert à tromper quelqu’un pour arriver à ses fins, qu’elles soient louables ou non. Dans notre cas, le motif principal de déguisement de la servante n’est autre que servir l’intérêt des maîtres en dépit du frère extravagantop. cit., p. 106.
En premier lieu, il convient de s’arrêter sur la fonction dramaturgique du déguisement dans la structure de La Comtesse d’Orgueil. Au niveau de l’agencement des actes, le déguisement occupe la place centrale de l’acte IV tout en restant influant au dernier acte (notamment parce qu’il est repris d’une pièce de Moreto, El Lindo Don Diego, qui est à la base de ces deux actes). Au moment où l’idée du déguisement et de la tromperie survient, nous sommes dans la situation où le marquis a acquis le mariage avec Olympe en acceptant un contrat avec Anselme obligeant à payer celui qui annulera. Olympe a, de son côté, découvert que celui qu’elle aime n’est pas le marquis mais le chevalier et que celui qui lui est destiné ne lui plaît pas du tout. Dans ces conditions, le déguisement de Virgine pour tromper le marquis et le détourner d’Olympe et ainsi permettre au chevalier de se marier avec elle intervient en premier lieu pour faire avancer l’action et aboutir à un dénouement heureux. Cependant, sous couvert de faire avancer l’action, le déguisement entraîne un certain nombre de complications, ce qui est souvent le cas dans les pièces qui l’utilisentEsthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680) : le déguisement et ses avatars, Genève, Droz, 1988, p. 346-347.comedias, doublée d’une complication par rebondissement. Ce qui crée un lien entre le déguisement et le rebondissementIbid., p. 347-350.
N’ayant plus le temps de se cacher, le marquis doit entretenir une conversation avec Oronte à propos de la comtesse et de sa présence chez elle. C’est au cours de cette discussion (Acte IV, scène 7) que la complication par confusionIbid., p. 350-353.
LE MARQUIS. Je ne la connais pas dites vous ? par exemple, Elle a les cheveux bruns, le nez court, le front ample, Les sourcils bien taillez, l’air fripon, l’oeil perçant, Le teint des plus unis, le regard languissant, La gorge... ORONTE. Ce portrait est le plus beau du monde, Mais si je vous disois que la Comtesse est blonde ? LE MARQUIS. Et si je vous disois que j’ay l’oeil de travers, Le visage de singe, et la mine à l’envers, L’équipage et l’habit d’un pauvre Gentilhomme, Vous ne me croiriez pas, mon tres-cher ? C’est tout comme (v. 1401-1410).
En somme, c’est le bonne idée de Virgine d’avoir choisi d’usurper l’identité d’un personnage réel qui engendre une complication par confusion car chacun de deux personnages de la scène 7 de l’acte IV connaît une « version » différente de la comtesse qu’il croit exacte.
Dans un autre ordre d’idées, il est intéressant de voir comment se met en place le rôle de comtesse que joue Virgine ainsi que son rapport à ce rôleEsthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680) : le déguisement et ses avatars, aux chapitres qui traitent des signes du déguisement (p. 228-270).
VIRGINE. La Comtesse d’Orgueil seroit assez heureuse Pour meriter le choix... LE MARQUIS. Ouy, ma belle Orgueilleuse, Mon coeur de tous les coeurs l’inévitable écueil, Ne veut s’énorgueillir qu’aprés de vostre Orgueil (v. 1303-1308).
Tellement ébloui par le fait qu’une comtesse s’intéresse à lui, le marquis est prêt à accepter presque tout d’elle ; c’est, d’ailleurs, par ce moyen que Virgine va réussir à lui faire annuler le mariage avec Olympe. Sachant cette prédisposition du marquis quant au titre de faux personnage, il accepte sans problème le déguisement de Virgine à un tel point qu’il ne remarque même pas qu’il s’agit d’une personne qu’il a déjà vue. C’est ce dont débattent les personnages à la scène 2 de l’acte IV :
LYSE à Virgine. Autre embarras, qui peut mettre à bout ton adresse. Depis hier qu’au Marquis je nommay la Comtesse, Sur ce qu’il croit pour luy qu’elle brûle en secret, S’il s’en estoit fait faire à peu prés le portrait ? Adieu ton étalage en prétendu merite. Elle est grande, fort blonde, et toi brune et petite. Quoy qu’elle ait l’air galant, tu l’as plus dégagé. VIRGINE. C’est à quoy je répons qu’il n’aura pas songé (v. 1205-1212).
Pour preuve de ce qu’avance Virgine, à sa première rencontre avec elle, le marquis prétends qu’il avait une idée de ce à quoi elle ressemblait, et qu’elle correspond parfaitement à cette idée. Or, le marquis ne savait rien sur la fausse comtesse et ne reconnaît même pas Virgine. Cela montre qu’il s’agit plus d’un compliment et que ce n’est pas spécialement son physique qui l’intéresse. Prédisposé par les informations qu’il a sur elle, il ne fait pas vraiment attention à son apparence. On peut donc dire que c’est en accord avec le principe qui fait qu’au théâtre, un personnage déguisé ne peut pas être reconnu, même si ce sont seulement ces habits qui changent ou ses paroles. Il y a clairement un jeu de la part de Thomas Corneille à ce sujet lorsqu’il fait s’inquiéter ses personnages de la découverte de la tromperie. Par là, il permet aussi à la situation d’être plus vraisemblable.
Le deuxième point à évoquer concerne la relation dramatique entre l’identité fictive et l’identité réelle du personnage déguisé. Nous pouvons considérer qu’aux scènes 7 et 10 de l’acte IV il y a adéquation parfaite entre les deux identités de Virgine : rien ne laisse transparaître au marquis que la comtesse à qui il parle possède des traits qui caractérisent sa véritable identité de servante. Au cinquième acte, Virgine retrouve son état de servant et craint une arrivée du marquis (scène 4) car s’il la voyait dans son habit de suivante, peut-être se douterait-il du tour qu’on lui a joué. À la scène suivante, le marquis arrive et voit Virgine en suivante. Cette dernière, aidée par Carlin, trouve une excuse à ses habits : elle explique que sa jalousie l’a poussée à se faire engager comme servante pour suivre les discussions entre le marquis et Olympe. Bien que le marquis, malgré son étonnement, en reste à croire que Virgine est une comtesse, nous notons là une distorsion entre les deux identités. Les marques vestimentaires laissent bien transparaître la véritable identité du personnage déguisé. À cela s’ajoute la façon dont elle s’exprime dans les dernières scènes ainsi que le traitement que lui réserve Anselme aux scènes 6, 8, 9 et 10 (il s’adresse à elle de façon adéquate vu sa position de maître). Ces marques de distorsion n’empêche pas la réalisation du tour puisque Virgine adapte son discours à ses deux rôles : elle s’exprime en servante à Anselme (ce qui est sa véritable condition ainsi que le rôle que le marquis croit qu’elle joue) et en comtesse au marquis lorsqu’elle s’adresse à lui tout bas. Ces scènes permettent à Virgine de jouer de ses identités au même moment sans que personne ne s’en aperçoive. Cette dernière remarque nous donne l’occasion d’insister une dernière fois sur la crédulité de certains personnages de théâtre qui n’arrivent pas à repérer le déguisement alors que des signes le mette à jour ; cela dénote la puissance du déguisement théâtral qui reste potentiellement véritable pour ceux à qui il s’adresse, par delà les signes extérieurs de vérité.
Largement débattues au XVIIe siècle, les questions théoriques définissent l’esthétique théâtrale de l’époque. Parmi elles, l’études des caractères vise à regarder avec précision des éléments de détails sur les personnages afin de voir s’ils correspondent au caractère qu’il est censé avoir selon son âge, son sexe, sa condition sociale, son inclination vers le bien ou le malPassions tragiques et règles classiques, Paris, PUF, coll. Perspectives littéraires, 2003, p. 269.
Dans cette catégorie, quatre personnages de la pièce peuvent être inclus, à savoir les chevaliers, Olympe, Lucrèce et Oronte. À leur manière, chacun illustre des aspects différents du caractère qu’Aristote attribue à la jeunesseRhétorique, Paris, Gallimard, coll. Tel, p. 147-149.
Étant perçu comme le protagoniste de la pièce, le chevalier, bien que déjà en partie étudié, nous intéresse particulièrement. Il illustre parfaitement plusieurs éléments importants chez un personnage jeune. Pour commencer, il ne s’intéresse pas à l’argent à proprement parler. Ce qui ressort de la scène 3 de l’acte I, c’est que le chevalier ne fait pas de l’argent un critère primordial dans son choix amoureux, mais, sachant qu’Anselme, le père d’Olympe, a un grand bien, il ne cache pas que la coïncidence pourrait lui faciliter la vie. En fin de compte, le fait que le chevalier soit noble et Anselme riche donne un argument supplémentaire dans le but fixé du mariage avec Olympe. C’est, d’ailleurs, ce qu’il explique :
Puis que malgré moy mesme on a lû dans mon ame, Il est vray, mon dessein est de prendre une Femme, Et comme Anselme est riche, et qu’il manque d’appuy, Ma naissance m’a fait esperer tout de luy. La sienne, je l’avouë, est basse et fort commune (v. 173-177).
Le chevalier ne s’intéresse qu’à ces questions de rang et d’argent qu’en tant qu’elles peuvent l’aider à obtenir celle qu’il aime. C’est principalement cela qui le préoccupe réellement durant toute la pièce, ce qui est en accord avec ce que décrit Aristote lorsqu’il explique que les jeunes gens « sont surtout asservis [aux désirs] de l’amour »Ibid., p. 147.
Ouy, mais me voir sans bien luy donne quelque peine, Et craignant d’en avoir un jour de l’embarras, Si mon feu touche Olympe, il ne me nuira pas (v. 234-236).
Pour ce qui est des personnages d’Olympe, Lucrèce et Oronte, ils partagent une caractéristique commune et donnée comme habituelle chez les jeunes par AristoteIbid., p. 148.
LUCRECE. Vous, Oronte, Rendez-moy du Marquis un plus fidelle compte, Informez-vous par tout en quelle estime il est. ORONTE. Il suffit, vous sçavez si j’y prens interest. (v. 377-380)
D’après tous ces éléments, les personnages que nous venons d’aborder correspondent bien à des traits distinctifs des jeunes, que ce soit le désintérêt pour l’argent, la naïveté, l’importance accordée aux relations amicales. Il est évident que tous ces personnages possèdent des traits qui permettent de donner du relief au caractère et d’en faire un individu unique. Nous ne les avons pas abordés car ils ne correspondent pas aux catégories de traits indispensables pour que le personnage soit vraisemblable et sur lesquels nous nous sommes concentré.
Nous possédons peu d’informations sur ce personnage, si ce n’est le fait qu’il possède tous les biens de la famille Lorgnac, étant l’aîné et donc l’héritier légitime. Cependant, il n’est jamais fait allusion à son âge donc il semble difficile de pouvoir l’intégré à la catégorie des jeunes. Toutefois, vu sa situation de recherche d’une femme, il pourrait être intégré soit aux jeunes, soit à une catégorie de personnages caractérisés par la maturité. Malgré tout, le marquis ne possède pas vraiment les traits typiques de l’homme mature que l’on peut résumer par une sorte de caractère intermédiaire relevant de la tempéranceIbid., p. 152.
Le caractère du marquis s’adapte mieux avec des catégories sociales comme les nobles ou les riches. À ce propos, le marquis possède l’orgueil du riche en ce qui concerne ses biens. La vie est pour lui comme une sorte de classement pour savoir qui possède le plus. Dès le début du deuxième acte (Acte II, scène 1), le marquis fait éclater ce caractère en voulant prouver à Anselme, son futur beau-père, que son bien est meilleur que celui d’Olympe :
ANSELME. La dépence est petite, Plus de cent mille escus dont elle seule herite, Tant en maisons, effets, comme en argent comptant... LE MARQUIS. Ma terre de Lorgnac en vaut dux fois autant. Qu’elle est belle ! grands parcs pour vaches, boeufs, genices, Grandes foires au Bourg, grandes hautes Justices, Grands moulins, sans compter de grands fossez pleins d’eau Qu’on passe en ponts-levis pour entrer au Château (v. 405-412).
Il est intéressant de remarquer à quel point le marquis à recours à l’adjectif « grand » régulièrement pour valoriser son domaine et ainsi le placer au-dessus de celui des autres. Cette volonté de se valoriser relève à la fois du caractère du riche et de celui du noble. Nous sommes ici dans un cas proche de la vanterie attribuée à la noblesseIbid., p. 153.
Un dernier aspect du caractère du marquis le rapproche, encore une fois, du comportement que l’on attribue au riche, notamment parce qu’Aristote déclare : « le caractère propre à la richesse est celui d’un homme heureux dépourvu de bon sens »Ibid., p. 154.
LUCRECE. Et que vous a-t’il dit ? ORONTE. Sottise sur sottise, Qu’un Abbé luy fait piece avec une Marquise, Et que ma soeur jaùais le luy pardonnera S’il néglige à la voir dés qu’elle arrivera. LUCRECE. Il connoit la Comtesse ? ORONTE. Il se le persuade. Où l’auroit-il pû voir ? pure fanfaronnade ! Le bon homme luy-mesme en est scandalisé (v. 781-787).
Oronte dénote ici le manque d’intelligence dans le discours du marquis, ainsi que sa crédulité à propos de la comtesse qu’il ne connaît même pas. Cette crédulité va de pair avec son orgueil qui le pousse à croire qu’il est aimé de tout le monde. En somme, ce qui domine dans le caractère du marquis c’est son orgueil et son amour des biens qui le poussent à trahir son frère et qui l’aveuglent à un tel point qu’il est ensuite très facile pour Virgine de mettre au point la tromperie pour empêcher son mariage avec Olympe.
Nous abordons un personnage dont la présence sur scène est moindre que celle des personnages principaux. Son rôle se limite à sa fonction parentale, dans le sens où il décide de l’avenir de Lucrèce et Olympe en ce qui concerne les prétendants au mariage. Il appartient au type de personnage qui constitue l’opposant traditionnel dans la comédie : celui du père qui s’oppose aux vœux amoureux de ses enfants en choisissant lui-même un prétendant. Étant peu présent sur scène, son caractère n’est pas beaucoup développé ; seuls certains traits caractéristiques sont clairement mis en avant et relèvent plus de la vieillesse que de l’opposition aux vœux des jeunes amoureux. Nous insistons ici sur la manière d’agir d’Anselme qui relève essentiellement de l’intérêt du gain qu’Aristote dénote comme une attitude propre à la vieillesseIbid., p. 150-151.
Concernant le rapport à l’argent, le passage le plus important n’est autre que la scène 1 de l’acte II dans laquelle Anselme propose de signer un dédit pour être sûr qu’il ne perdra rien quoi qu’il arrive : si le marquis se marie avec sa fille, elle pourra profiter de son bien ; si le mariage est annulé, il récupérera dix mille écus. Finalement, plus qu’un appas du gain, Anselme développe une acceptation à la dépense qui se limiterait aux nécessités, comme le montre la fin de la pièce où il affirme qu’il paiera pour les différents mariages. On se rend compte au fil de la pièce que le problème lié à l’argent est dirigé par le problème sous-jacent du rang social. Pour revenir su la question du dédit, plus qu’une peur de ne rien perdre, il s’agit d’une façon d’obliger un noble à sa marier avec sa fille et être ainsi tranquille pour l’avenir et le rang de sa famille. Nous voyons donc que ces deux questions sont liées, bien qu’il y ait une prédominance de la question sociale, comme nous le montre le passage suivant (Acte IV, scène 1) :
LE CHEVALIER. Mais par où me flater Qu’Anselme à son defaut daignera m’écouter ? Les grands biens de mon Frere auront touché son ame. LUCRECE. Ce n’est pas ce qui doit allarmer vostre flâme, N’ayez point là-dessus l’esprit inquieté, Tout Gendre luy plaira s’il est de qualité, Et l’estime d’ailleurs qu’il a pour vous conçeuë, De nos prétentions facilite l’issuë (v. 1167-1174).
Lucrèce montre bien la prédominance de la question du rang social, de la noblesse dans l’esprit d’Anselme au chevalier qui craignait que son manque de moyens l’aurait desservi dans la conquête d’Olympe. Voici donc les éléments les plus remarquables du caractère de la vieillesse visibles chez Anselme.
Selon ce que dit Eliane Herz-Fischlerop. cit., p. 204.op. cit., p. 48.La Comtesse d’Orgueil ne s’éloigne pas de ce que l’on peut attendre de l’utilisation de ce type de personnage secondaire. Du fait que le valet, la servante possèdent un vrai statut de personnage actif, il est alors possible de les exploiter de façons différentes dans le schéma de l’œuvre. Eliane Herz-Fischler nous rappelle que Thomas Corneille use de ce type de personnages dans cinq casop. cit., p. 206-216.Ibid., p. 208.
Concernant Carlin, il convient de préciser d’emblée qu’il remplit, comme on pouvait s’y attendre, une fonction dans l’exposition ; il nous informe sur le conflit qui existe entre les deux frères à propos de leurs biens (I, scène 1). Son caractère se dévoile ensuite dans le fait qu’il reste fidèle à son maître, le chevalier, dans la bonne ou la mauvaise fortune, comme c’est souvent le cas dans les pièces de Thomas CorneilleIbid., p. 216-217.gracioso qui se chargeait déjà de cela, bien que Ernest Martinenche affirme que le comique des valets chez Thomas Corneille est adaptée au public françaisLa Comedia espagnole de Hardy à Racine, Paris, Hachette, 1900, p. 343.
LYSE. Tu te sens donc pour moy d’amour bien travaillé ? CARLIN. Ma foy, je n’en dors point quand je suis éveillé, Et si ton coeur sensible à la friponnerie... (v. 19-21)
Nous remarquons, par ailleurs, que Thomas Corneille utilise la même plaisanterie dans Les Engagements du hasard en 1689 (Acte I, scène 5), ce qui montre qu’il y a une certaine régularité du caractère comique du valet. Autre élément comique, la création de portraits par le valet vise à parodier une mode très pratiquée dans les salons à l’époqueop. cit., p. 219.
Jamais on ne fut sot si methodiquement. Comme il est de naissance et fort riche, il croit estre L’homme le plus parfait qu’on ait encor veu naistre, Et dans cette folie il est persuadé Qu’on meurt d’amour pour luy dés qu’on l’a regardé. Aussi fait-il le beau, le plaisant, l’agreable, Vain s’il en fut jamais, contrariant en diable, Grand parleur, curieux des affaires d’autruy (v. 40-47).
Nous l’avons dit, c’est la servante Virgine qui a l’idée du tour joué au marquis. Cette action permet de débloquer la situation. Virgine se place donc en meneuse, elle agit et réagit à la place de sa maîtresse pour servir l’amour de cette dernièreIbid., p. 215.
VIRGINE. Attendant son retour, Il me tombe en l’esprit un assez plaisant tour, Je cours chercher Carlin. OLYMPE. Fais agir ton adresse. VIRGINE. Ma frayeur est de voir arriver la Comtesse, Elle gasteroit tout. LUCRECE. Qu’est-ce que tu prétens ? VIRGINE. Allons, vous le sçaurez quand il sera temps (v. 1135-1140).
Ce passage met en avant la vivacité d’esprit de Virgine qui se révèle lorsqu’elle joue le rôle de la comtesse. Le dernier acte est l’occasion de montrer son aptitude à se sortir d’une situation difficile, surtout quand le marquis arrive chez Anselme pour rompre le contrat, elle réussit à ne pas éveiller les soupçons ni de l’un ni de l’autre (Acte V, sc. 5-9).
Un dernier élément comique caractérise les personnages secondaires dans le fait qu’ils parodient le langage de leurs maîtres en matière d’amour dans leurs propres relationsIbid., p. 219.
Et depuis cette nopce oû tu me fis tant boire, Je me suis si bien mis ta largesse en memoire, Qu’aussi-tost que la soif commence à me presser, Pour en guerir plûtost je voudrois t’embrasser. (v. 13-16)
Tous ces éléments permettent de mettre en valeur le fait que les personnages secondaires prennent des places essentielles dans l’œuvre, comme souvent chez Thomas Corneille, bien qu’il soit possible d’être plus réservé en ce qui concerne le personnage de Lyse. Son faible temps de parole ainsi que sa faible présence en scène ne lui permettent pas de jouer un rôle crucial dans l’action ni de développer sa personnalité. Le plus grand intérêt de ce personnage se limite à sa fonction de servante de la comtesse car elle prête la maison de cette dernière pour jouer le tour au marquis. Lyse est donc un personnage secondaire qui garde une fonction secondaire sur le plan de l’action à la différence de Carlin et Virgine qui ont une place de choix dans le déroulement de la pièce.
Le texte que nous publions est celui de l’édition originale. L’exemplaire qui a servi de base à la réalisation de cette édition est conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal sous la cote GD-7913. Le privilège du roi fut accordé le 21 janvier 1671 et le texte fut achevé d’imprimer le 7 mars 1671 par le rouennais Antoine Maurry et cela aux seuls frais de l’auteur. La pièce fut diffusée à Paris par le libraire Guillaume de Luyne.
Il s’agit d’un ouvrage in-12 de XII-120 pages qui se présente de la manière suivante :
[I] : page de titre : LA / COMTESSE / D’ORGUEIL / COMEDIE. / Par T. CORNEILLE. / [fleuron du libraire représentant une corbeille de fleurs] / A ROVEN, Et se vend / A PARIS, / Chez GUILLAUME DE LUYNE, au Palais, / dans la Salle des Merciers à la Justice. / [filet] / M. DC. LXXI. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.
[II] : verso blanc.
[III-X] : épître à MONSIEUR DE***.
[XI] : Extrait du Privilege du Roy
[XII] : ACTEURS.
1-120 : le texte de la pièce.
Nous avons conservé la graphie de l’édition originale, notamment dans le cas de l’accentuation ou de l’absence d’accentuation. L’usage des tildes qui note la nasalité d’une voyelle en permettant aux imprimeurs de faire des économies d’espace et donc d’argent a été modifié. Nous avons donc rétablie la graphie courante en une voyelle suivie d’une consonne nasale. Par ailleurs, les & ont systématiquement été changées en et.
Nous avons relevé un certain nombre de coquilles orthographiques que nous avons par la suite corrigées dans le texte de la présente édition :
V.425 : « archiqueux » corrigé en « archigueux » ; v.431 : « rieux » corrigé en « rieur » ; v.492 : « chatüan » corrigé en « chahütan » ; v.560 : « St » corrigé en « Si » ; v.1252 : « imagination » corrigé en « imaginative » ; v.1381 : « L’e » corrigé en « Je » ; v.1385 : « l’a » corrigé en « là » ; v.1464 : « m’empescher » corrigé en « mes peschez » ; v.1701 : « droit » corrigé en « droite »
En ce qui concerne la ponctuation, nous avons respecté celle de l’édition originale sauf dans le cas d’une coquille bien identifiée :
V. 560 : « Si. Elle me connoit ? » corrigé en « Si elle me connoit ? »
V. 584 : « Le bon homme éblouy n’a pû me dire, non » corrigé en « Le bon homme éblouy n’a pû me dire non »
V.724 : « D’où vient que tant de soins ne vous ont pû toucher. » corrigé en « D’où vient que tant de soins ne vous ont pû toucher ? »
V.887 : « Mais l’absence où je suis, tout prest à recourir » corrigé en « Mais l’absence où je suis tout prest à recourir »
V.1554 : « On luy dira, neant ? » corrigé en « On luy dira neant ? »
V.1746 : « Quand vous commanderez se mettront à vos gages ? » corrigé en « Quand vous commanderez se mettront à vos gages. »
Nous avons modifié la liste des personnages qui apparaissent en scène lorsque cela était nécessaire et résultait clairement d’une erreur. De plus, nous avons attribué leurs répliques aux personnages qui convenaient :
Acte I, scène 2 : Le personnage de Casquaret est supprimé de la liste, sa réplique au vers 82 est attribué à Carlin.
Acte III, scène 9 : Le personnage de Clarice est supprimé. Il n’avait aucune réplique sur scène.
MONSIEUR,
Vous l’échaperez pour cette fois, & quoy que ce soit à vous que j’en vueille, je vous le laisseray ignorer. Peut-estre le devinerez-vous ; Si cela arrive, vous n’aurez qu’à vous garder le secret, ce sera la mesme chose que s’il n’en estoit rien, & du moins le Public ne sçaura point encor que je vous aye accablé d’une Epistre Dédicatoire. Ce n’est pas que vous vous en puissiez garantir* long-temps, je suis sensible à la gloire, & je m’en fais une si forte de l’amitié dont vous m’honorez, qu’il sera difficile que je me contraigne, & que je ne cède bientost à l’impatience de faire connoistre à tout le monde que vous ne m’en avez pas jugé indigne. Ce qu’il y aura en cela de moins terrible pour vous que pour les autres à qui on s’avise de dédier des livres, c’est qu’on ne le fait presque jamais que pour leur demander des graces qu’ils n’ont aucune envie d’accorder, au lieu que celles que vous m’avez déjà faites de la maniére du monde la plus genereuse, m’obligeant à une entiére reconnoissance, ne vous doivent faire attendre de moy qu’une suite de remerciements. J’auray de ma part cét avantage que si on est le plus souvent embarassé à chercher des flateries qui puissent estre au goust de ceux dont on tâche à gagner l’esprit, je ne le seray que sur le choix des véritez que j’auray à dire de vous. Alors, Monsieur, ne croyez pas que ce soit par la dignité de vos charges que je m’attache à faire valoir ce qui vous rend aussi considerable que vous l’estes. Quoy que l’éclat avec lequel vous avez long-temps paru dans une des plus Augustes Compagnies de France redouble par le nouveau rang où vous venez de monter, c’est à d’autres qu’à vous qu’il faut faire honneur de ces sortes d’élevations, où la fortune a souvent plus de part que la vertu.
Jugez, Monsieur, si ayant l’honneur de vous connoistre autant que je fais, je n’auray pas dequoy puiser abondamment dans cette source. Je m’en fais d’avance une joye des plus sensibles, mais je vous rends trop de justice pour ne pas attendre à la gouster ouvertement, que je sois en pouvoir de vous offrir quelque chose que j’estime plus que cette Comedie. L’approbation qu’elle a receuë au Theatre ne m’éblouit point assez pour ne me la pas laisser toûjours regarder comme une bagatelle à qui on a voulu faire grace, & quel que soit l’empressement* du zele* que j’ay pour vous, il ne sçaurait faire oublier que j’ay besoin pour le satisfaire d’une occasion plus favorable que celle-ci. J’espere, Monsieur, que je seray assez heureux pour la voir naistre dans peu telle que je me la souhaite. Cependant je ne me lasseray point de dire par tout qu’il est rare de trouver un amy qui vous ressemble, & qui sçache unir aussi avantageusement que vous la beauté de l’ame à la force & à la delicatesse de l’esprit. Si je rencontre des incrédules, ils cesseront aisément de l’estre quand j’ajousteray que vous avez la gloire de posseder les bonnes graces d’un des plus Grands Hommes que nous ayons. Son nom suffira pour leur fermer la bouche, & on convient si generalement pour luy des surprenantes & extraordinaires qualitez qui le rendent l’admiration de nostre Siecle, que comme rien ne manque à la justesse de son discernement, c’est un tître incontestable pour prétendre à l’estime de tout le monde, que d’avoir dans la sienne autant de part que vous y en avez. Quelle douceur ce seroit pour moy de m’étendre sur une si illustre matiere s’il m’estoit permis de l’approfondir, ou plûtost s’il y avoit des termes qui fussent de la force des sentiments qui me sont communs là-dessus avec tous ceux qui ont l’honneur de l’approcher.
Vous mesme chaque jour n’estes-vous pas surpris Des brillantes vertus qu’à nos yeux il étale ? Qui veut en parler les ravale, Et l’on n’en peut jamais connoistre assez le prix. De ses riches Talents le pompeux assemblage Offre du vray merite une éclatant image, Dont le charme attirant engage autant qu’il plaist. De la gloire sur luy tout l’effort se consomme, Et pour estre tout ce qu’il est Il faut estre au dessus de l’homme.
Je dis si peu pour ce que je pense qu’il vaut mieux que je me contente d’admirer avec respect ce que je trouve au dessus de toutes sortes d’éloges. Je ne doute point que ce sentiment ne vous fasse approuver mon silence. Je le rompray toûjours avec plaisir quand il s’agira de publier l’ardente passion avec laquelle je suis,
MONSIEUR,Vostre tres-humble, & tres-obligé serviteur,
Par Grace et Privilege du Roy donné à Paris le 21 Janvier 1671. Signé Par le Roy en son Conseil, VILLET. Il est permis au sieur THOMAS CORNEILLE de faire imprimer une Piece de Theatre de sa composition, intitulée La Comtesse d’Orgueil, pendant cinq années ; Et défences sont faites à tous autres de l’imprimer sans le consentement dudit sieur de Corneille, à peine de Cinq cens livres d’amende, de tous dépens, dommages et interests, comme il est plus amplement porté par lesdites Lettres.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois, à Roüen, chez Antoine Maurry, aux dépens de l’Autheur, le 7. de Mars 1671.
Et ledit sieur de Corneille a traité de la presente Impression, et de son Privilege, avec Guillaume de Luyne, Libraire juré à Paris, pour en joüir suivant l’accord fait entr’eux.
Les Exemplaires ont esté fournis.
Registré sur le Livre de la Communauté des Imprimeurs et Marchands Libraires de la ville de Paris.
Signé LOUIS SEVESTRE, Syndic.