Plus qu’un auteur, Thomas Corneille fut un fournisseur, et de ce point de vue il est excellent, parce qu’il gagne à tous coup.
A. Cioranescu, Le Masque et le visage, p. 280.
Il est surprenant d’observer combien la « canonisation » de Molière par la postérité a eu tendance à éclipser tout un pan de l’histoire de la comédie au XVIIe siècle. Il faut dire que la critique traditionnelle a contribué à construire puis à entériner une image biaisée de la production théâtrale du XVIIe siècle. Tout se passe comme si le genre comique tel que nous le concevons aujourd’hui, nourris comme nous le sommes de lectures moliéresques, avait surgi « ex nihilo » en 1659 avec les Précieuses Ridicules. A peine sait-on par exemple que Pierre Corneille fut d’abord un auteur comique qui a débuté sa carrière par cinq comédies et une tragi-comédie qui lui valurent entre 1629 et 1636 la célébrité qu’on lui connaît aujourd’hui et que Le Cid en 1637 puis ses tragédies à partir de 1640 (date de création d’Horace) ne firent que confirmer et amplifier. On oublie ainsi bien souvent que la France de la première moitié du siècle fut un véritable « laboratoire du genre comique » où s’élabora peu à peu, au sein d’un jeu d’influences disparates, le modèle de la comédie « classique » telle que Molière l’incarne à présent pour nous. L’extraordinaire vogue des comédies imitées de l’espagnol dont d’Ouville lança la mode en 1640 avec L’Esprit Follet et dont le public raffola jusque dans les années 1650, témoigne à cet égard de ce mouvement d’expérimentations dramaturgiques et d’élaboration d’une formule « comique » propre au théâtre français dans les deux premiers tiers du XVIIe siècle. D’un point de vue quantitatif, d’Ouville, Scarron, Boisrobert, Thomas Corneille et dans une moindre mesure Pierre Corneille, furent les principaux représentants de ce courant. Leurs adaptations d’œuvres espagnoles rencontrèrent pour la plupart un succès durable auprès des contemporains et cristallisèrent le goût particulier d’une époque. Pourtant ces comédies à l’espagnole sont aujourd’hui encore souvent peu connues, négligées voire méprisées, en dépit de l’intérêt certain qu’elles présentent d’un point de vue historique et dramaturgique et même, pour beaucoup d’entre elles, littéraire.
C’est précisément par ce genre de comédie imitée de l’espagnol que Thomas Corneille débuta sa carrière théâtrale. Parmi elles Le Feint astrologue, seconde pièce de l’auteur, s’inscrit donc dans cette mode des pièces à l’espagnole et connaît à ce titre le discrédit qui frappe aujourd’hui les imitations relativement conventionnelles des modèles tirés du répertoire étranger, et plus généralement les œuvres dont le principe d’écriture nous semble souvent relever du simple pillage régi par la recherche d’un succès facile. Il faut dire que les critères de littérarité ont profondément changé depuis le XVIIe siècle, en particulier depuis l’époque romantique qui consacra l’« originalité » comme critère d’évaluation essentiel de la valeur artistique d’une œuvre. La prégnance de ce principe d’« originalité » hérité du XIXe siècle dans notre conception de l’art et dans notre sensibilité nous porte naturellement à considérer ces comédies imitées de modèles étrangers comme de simples plagiats, fruits d’un pillage sans scrupules, nous faisant parfois oublier que la réécriture était au cœur de l’esthétique classique et que dans cette perspective, la notion de plagiat est anachronique et qu’il conviendrait au contraire d’opérer un certain décentrement pour apprécier à leur juste valeur, si ténue soit-elle, des œuvres telle que Le Feint astrologue.
Si l’on ne peut donc nullement parler d’originalité pour cette pièce, elle reste néanmoins digne d’intérêt pour nous, et cela à plusieurs égards. On pourra ainsi observer au cours de cette étude qu’en dépit de sa grande proximité avec son modèle principal, El Astrologo fingido de Calderón, la comédie de Thomas Corneille n’en est pas pour autant une simple imitation. Elle témoigne en effet d’un souci d’adaptation au goût et à l’esthétique qui prévalent alors en France. En outre, le travail de réécriture auquel Thomas Corneille procède dans Le Feint astrologue semble se caractériser par la réutilisation pragmatique des sources, non seulement dans la perspective d’une adaptation au goût du public français, mais aussi souvent dans la perspective d’une plus grande efficacité dramatique et scénique ayant malheureusement parfois pour corollaire une certaine sécheresse à la lecture, dont l’auteur évoque lui-même le risque dans l’épître dédicatoire de la pièce :
Ainsi j’ay sujet d’apprehender que cette Comedie dont la representation vous a diverty tant de fois, ne vous semble froide sur le papier, et que vous n’ayez peine à y remarquer les mesmes naïfvetés qui vous ont fait rire, accompagnées de la grace de l’action.
Si de l’aveu même du dramaturge la pièce n’échappe pas au « proverbe », il n’en demeure pas moins vrai qu’avec Le Feint astrologue Thomas Corneille parvient à élaborer une comédie qui n’est pas dénuée de charmes, souvent amusante quoique peu originale et d’un comique assez superficiel. Du reste sa valeur littéraire nous importe bien moins ici que les choix dramaturgiques qui ont présidé à son élaboration. S’il ne s’agit donc pas de crier au « coup de maître », ni même de revendiquer pour Le Feint astrologue le statut de pièce innovante en matière de dramaturgie et inventive du point de vue thématique, cette étude s’attachera néanmoins à souligner le caractère exemplaire de cette comédie au regard de la production comique et des tendances dramaturgiques et esthétiques d’une époque qui tatonne au milieu de multiples influences, à la recherche d’une « formule » comique originale.
Dans le contexte général d’une production comique durablement éclipsée par l’éclat de l’œuvre de Molière, Le Feint astrologue comme le reste de l’œuvre de Thomas Corneille subit en quelque sorte un second « handicap » lié à la figure même de son auteur. Pour beaucoup de commentateurs il semble en effet difficile de considérer Thomas Corneille autrement que comme le frère cadet du « Grand Corneille », le double dégradé de Pierre. La constante et inévitable comparaison avec son brillant aîné ne pouvait évidemment que le desservir. Pour ce dramaturge qui jouissait pourtant d’une grande renommée au XVIIe siècle, le statut de « petit frère » de Pierre Corneille a contribué à favoriser la plongée de son œuvre dans l’oubli ou le mépris, Thomas Corneille incarnant souvent la « médiocrité littéraire »L’Amour à la mode de Thomas Corneille (Paris, Nizet, 1973), p. 7.e siècle, Timocrate, tragédie qui fut jouée durant près de six mois, ce qui est tout à fait exceptionnel pour l’époque. Trois de ses pièces connurent en outre un succès durable et furent rejouées jusqu’au XVIIIe voire jusqu’au XIXe siècleComte d’Essex, d’Ariane, et du Festin de Pierre, adaptation en vers édulcorée de la comédie de Molière qui fut représentée à la place de la pièce de ce dernier jusqu’au XIXe siècle.Commentaires sur Corneille (The Voltaire Foundation, p. 979), Voltaire se montre en effet particulièrement élogieux à l’égard de Thomas Corneille en affirmant que « si vous exceptez Racine, auquel il ne faut comparer personne, il était le seul de son temps qui fût digne d’être le premier au dessous de son frère ».
Thomas Corneille est peut-être le premier écrivain notable qui ait si complètement sacrifié les exigences de l’art à celles du succès.
A. Adam, Histoire de la literature française du XVIIesiècle(1948-1952), t. II, p. 346.
En effet, l’image qui revient le plus souvent de Reynier à Lancaster (pourtant plus modéré sur ce point) est celle d’un auteur « à la mode » doué mais sans génie. On retrouve ainsi chez la plupart des commentateurs le paradoxe d’une figure d’auteur très populaire à son époque et doté d’une « habileté technique »A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, part II , vol. II, p. 753.Thomas Corneille, sa vie et son théâtre.Darius dont il n’est pas satisfait mais qu’il n’a plus le temps de modifier, Reynier écrit ainsi :
Pouvait-il jamais être inquiété par cet éternel souci du mieux, dont les vrais artistes sont possédés, ce poète qui dès la jeunesse, s’était ainsi
asserviC’est nous qui soulignons. aux exigences du métier et dont la première préoccupation était d’arriver à temps ?Reynier, op. cit., p. 19.
Le lexique témoigne ici de la perspective qui traverse l’ouvrage de Reynier : la valeur artistique semble s’établir à partir d’un critère d’autonomie de l’art selon lequel le « vrai artiste » ne serait pas « asservi » à des contraintes ou à des exigences extérieures à l’œuvre d’art elle-même. Reynier aborde ainsi l’œuvre de Thomas Corneille au moyen de critères typiques du XIXe siècle et sa lecture, informée par les valeurs de son siècle, explique en partie sa sévérité à l’égard d’une production dramatique qu’il considère comme médiocre. Ce que le commentateur déplore en général, c’est l’hétéronomie d’une œuvre qui serait essentiellement tournée vers le public, c’est-à-dire ce qu’il estime être un opportunisme indigne d’un véritable artiste, une recherche du succès qui se ferait au détriment de l’art véritable. Or c’est oublier que la contrainte est indissociable de la création théâtrale (que l’on pense à Molière, qui dans plusieurs Préfaces et Avis au lecteur évoque la précipitation qui a présidé à la production de plusieurs de ses œuvres de commandeFâcheux par exemple, Molière écrit : « Jamais entreprise au théâtre ne fut si précipitée que celle-ci, et c’est une chose, je crois, toute nouvelle, qu’une comédie ait été conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours. […] Mais dans le peu de temps qui me fut donné, il m’était impossible de faire un grand dessein, et de rêver beaucoup sur le choix de mes personnages, et sur la disposition de mon sujet. Je me réduisis donc à ne toucher qu’un petit nombre d’importuns ; et je pris ceux qui s’offrirent d’abord à mon esprit […] et pour lier promptement toutes ces choses ensemble, je me servis du premier nœud que je pus trouver. »e siècle. Pour autant il ne s’agira évidemment pas dans cette étude de chercher à réhabiliter Thomas Corneille comme auteur de génie, mais en tout cas d’éviter des jugements simplistes sur son œuvre et sa dramaturgie, fondées sur l’idée d’une opposition entre valeur littéraire et recherche du succès, comme si Corneille, Racine ou Molière, érigés au rang d’auteurs de génie par la postérité, avaient pour leur part négligé la recherche du succès dans une sorte d’ascèse artistique.
S’il n’est pas non plus de notre propos de développer ici une biographie exhaustive de Thomas Corneille qui nuancerait de façon systématique et rigoureuse les partis-pris de la critique traditionnelle dont on retrouve des traces jusque dans les analyses qu’A. Adam ou A. Cioranescu ont consacrées à notre auteurop. cit., et A. Cioranescu, Le Masque et le visage, p. 279 et suivantes. Ce dernier avance ainsi au sujet de notre auteur cette terrible alternative: « Il fait l’impression de se diriger [vers] un public que nous appellerions aujourd’hui massifié : ou bien son sens du théâtre lui dit qu’il faut se maintenir dans une honnête médiocrité, pour pouvoir plaire, ou sinon, il ne sait pas faire autre chose. Il est évident en tous cas qu’il cherche le succès ; son intérêt pour le théâtre espagnol ne s’explique pas autrement. » (p. 279). Et plus loin, ce jugement sans appel : « Plus qu’un auteur, Thomas Corneille fut un fournisseur » (p. 280).Feint astrologue dans son fonctionnement propre ainsi qu’un examen des principes d’écriture qui ont présidé à son élaboration, indépendamment de considérations morales, de jugements de valeur ou de procès d’intention dont notre auteur à souvent fait les frais. Et si la notion de « pragmatisme » souvent avancée à propos de la dramaturgie de Thomas Corneille sera parfois reprise au cours de cette étude, elle le sera vidée des connotations péjoratives dont elle se teintait chez la plupart des commentateurs et ne sera ainsi plus entendue comme un « opportunisme » mais plutôt comme la recherche d’une efficacité dramaturgique et scénique et comme un travail sur les effets.
Il semble d’autant plus difficile d’établir un tableau objectif des années de jeunesse de Thomas Corneille, de ses débuts de dramaturge et même de sa vie entière que les légendes et les anecdotes attachées à la figure de son frère, paraissent bien souvent s’y mêler et jeter ainsi un voile d’incertitude sur certains aspects de son existence. Comment distinguer la réalité des reconstructions rétrospectives voire des légendes ? Certaines informations nous viennent en effet de témoignages contemporains, parfois de l’auteur lui-même, mais il convient peut-être quelquefois d’en nuancer la portée lorsque ceux-ci sont postérieurs de plusieurs années aux événements qu’ils rapportent et en particulier lorsqu’ils apparaissent a posteriori dans le cadre d’éloges susceptibles de faire la part belle au mythe et au compliment complaisant, ou à l’inverse, lorsqu’il s’agit de présenter Thomas Corneille comme repoussoir du « Grand Corneille » ou de Racine. On citera à cet égard la célèbre anecdote rapportée par Voisenon et citée par Reynierop. cit., p. 33.
Ils logeaient ensemble, Thomas travaillait bien plus facilement que Pierre et, quand celui-ci cherchait une rime, il levait une trappe [qui selon la légende aurait fait communiquer leurs appartements] et la demandait à Thomas, qui la donnait aussitôt (
Œuvres, t. IV, p. 35,Anecdotes littéraires)
Dans cette anecdote qui semble anodine au premier abord, on sent poindre la tendance précédemment évoquée à considérer Thomas Corneille comme l’ombre de son aîné : sa facilité à composer et ses talents de versificateur y sont en effet présentés comme contrepoint du génie laborieux de son frère.
Thomas Corneille est né à Rouen le 20 août 1625. Son père était maître particulier des eaux et forêts de la vicomté de Rouen. Comme son frère Pierre, de dix-neuf ans son aîné, il fit ses études de rhétorique au collège des Jésuites de Rouen. Dans son ouvrage consacré au dramaturge, G. Reynier se plaît à signaler que ce dernier « s’y fit remarquer par cette étonnante facilité qui devait être le trait distinctif de son talent »op. cit., p. 2. Il rapporte à ce sujet une anecdote tirée de de Boze (Éloge de M. Corneille, prononcé à l’Académie des Inscriptions en 1710) qui, selon lui, la tenait sûrement de T. Corneille lui-même : les maîtres jésuites du jeune Thomas Corneille auraient choisi de faire représenter lors de la distribution des prix une tragédie en vers composée par l’adolescent et qu’ils auraient trouvée meilleure que celles que comptait le répertoire du collège. C. Cosnier rapporte également cette anecdote (op. cit., p. 42). Toujours est-il qu’en 1641, il obtint le prix du Miroir d’Argent au concours de poésie des Palinods de Rouen.Le Menteur et La Suite du Menteurop. cit., p. 748-9.Le Feint astrologue.
Après le collège, il fit son droit à l’université de Caen où il obtint sa licence en 1646 et fut « reçu avocat »Registre secret du Parlement de Rouen recueillie par M. Gosselin et citée par F. Bouquet dans Points obscurs de la vie de Pierre Corneille, Paris, Hachette, 1888, appendice I, p. 333 : « Registre secret, 21 octobre 1649 – Thomas Corneille […] est reçu avocat » ). A la différence de son aîné qui abandonna ce titre pour occuper la fonction d’avocat du roi dans deux juridictions entre 1629 et 1650, Thomas Corneille n’acheta aucune charge royale et se consacra exclusivement à sa carrière théâtrale. Il semble d’ailleurs qu’à l’instar de son frère il n’ait jamais plaidé au barreau de Rouen (cf. F. Bouquet, op. cit., p. 102 : « Au dire de Fontenelle, Pierre n’aurait plaidé qu’une seule fois ; Thomas pourrait bien n’avoir jamais plaidé, car son nom fait défaut sur toutes les listes d’avocats du parlement de Rouen et sur les registres des diverses juridictions » ).Feint astrologue en dépend. Elle tient principalement au fait que les différents commentateurs et biographes ne s’entendent pas sur les dates de création des premières pièces du dramaturge. En effet, G. Reynier se fonde sur les dates avancées sans preuves par les frères Parfaict dans leur Histoire du Théâtre françaisHistoire du Théâtre français, vol, II.Engagements du Hasard, première pièce de Thomas Corneille, en 1647, tandis que H. C. Lancaster considère pour sa part que cette datation est douteuse, et estime que le dramaturge a probablement débuté sa carrière en 1649op. cit., part. II, vol. II, p 750.Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, vol. 2, p. 65.Feint astrologue, et nous tenterons alors d’évaluer la pertinence des arguments avancés par les différents critiques pour dater les débuts de Thomas Corneille au théâtre.
Toujours est-il que Thomas Corneille délaissa le droit pour se consacrer au théâtre. Qu’il ait commencé à écrire pendant la période de la Fronde comme le suppose Lancaster, ou peu de temps avant comme l’affirment G. Reynier et Sophie Wilma Deierkauf-Holsboer, il devint en tout cas très rapidement un dramaturge à succès, en vue dans les milieux galants des salons. Reynier estime d’ailleurs que les relations et les appuis que le jeune auteur acquit avec ses premiers succès dramatiques dans les cercles galants qu’il fréquentait lors de ses séjours parisiens « peuvent en partie expliquer la continuité et l’éclat de ses succès »op. cit., p. 13. Thomas Corneille fut en effet apprécié très tôt dans les milieux mondains. Il fut en particulier le protégé de la comtesse de Noaille, de la comtesse de Fiesque et de la duchesse de Montpensier. Mais dans ses dernières années, il s’éloigna peu à peu de ces cercles qu’il avait si longtemps fréquentés.Timocrate, qui fut créé en 1656.
On note une interruption de sa production théâtrale entre 1663 à 1666, que Reynier explique par les difficultés que connut le dramaturge durant cette périodeCid suspendu, ainsi que les privilèges qui lui étaient attachés. Mais dès 1665, ils obtinrent du roi un traitement exceptionnel et ils reçurent la confirmation de leur noblesse en 1669 (Reynier, op. cit., p. 34).op. cit., p. 35), Pierre Corneille témoigne ainsi de l’intense production de son jeune frère: « Mon frère vous salue et travaille avec assez de chagrin. Il ne donnera qu’une pièce cette année. »
En 1673, Thomas Corneille composa plusieurs pièces à machines pour la troupe de Molière après la mort de ce dernier, à une époque ou ce genre de divertissement à grand spectacle était fort prisé du public. Il s’essaya aussi au genre lyrique en composant quelques opéras : ce furent Bellérophon (1679), fruit d’une collaboration avec Lulli et Médée (1693) dont Charpentier composa la musique. La fin de sa carrière dramatique fut en particulier marquée par la multiplication d’œuvres coécrites avec son ami Donneau de Visé, notamment la Devineresse (1679) qui fut l’un de ses derniers succès au théâtre. En effet, à partir de 1680, le public se détourna des œuvres du dramaturge qui n’apparaît plus dès lors comme l’auteur à succès tant apprécié qu’il avait été. 1680 constitue donc un tournant dans la carrière de Thomas Corneille dont le succès commença à marquer le pas et qui en outre réduisit sa production théâtrale pour se tourner vers d’autres activités.
En effet, à la fin de sa vie, son activité littéraire se diversifia puisqu’il devint journaliste, géographe, grammairien, traducteur, lexicographe ou encore encyclopédiste, se livrant à des travaux d’érudition qui l’occupèrent jusqu’à sa mort. À partir de 1677, il collabora régulièrement au Mercure Galant, gazette mondaine dont il fut l’un des rédacteurs durant vingt-trois ans avec son ami Donneau de Visé qui l’avait fondée en 1672. Les deux hommes s’associèrent d’ailleurs en 1681 par un contrat qui fixait leur part respective dans la rédaction ainsi que dans les profits de cette entreprise dont les publications connurent un grand succès et qui s’avéra particulièrement rentable pour les deux associés.
Après la mort de Pierre Corneille en 1684, Thomas fut reçu à l’Académie Française en 1685 pour lui succéder. Élu à l’unanimité des suffrages pour occuper le fauteuil de son frère, il fit en ces termes l’éloge de ce dernier dans son discours de réception :
J’avoüe, Messieurs, que quand aprés tant d’épreuves, vous m’avez fait la grace de jetter les yeux sur moy, vous m’auriez mis en péril de me permettre la vanité la plus condamnable, si je ne m’estois assez fortement étudié pour n’oublier pas ce que je suis. Je me serois peut-estre flatté, qu’enfin vous m’auriez trouvé les qualitez que vous souhaitez dans des Academiciens dignes de ce nom […]. Mais, Messieurs, l’honneur qu’il vous a plû de me faire, quelque grand qu’il soit, ne m’aveugle point. Plus vostre consentement à me l’accorder a été prompt, et si je l’ose dire, unanime, plus je voy par quel motif vous avez accompagné vostre choix d’une distinction si peu ordinaire. Ce que mes défauts me défendoient d’esperer de vous, vous l’avez donné à la memoire d’un Homme que vous regardiez comme un des principaux ornemens de vostre Corps. L’estime particuliere que vous avez toûjours eüe pour luy, m’attire celle dont vous me donnez des marques si obligeantes. Sa perte vous a touchez, et pour le faire revivre parmy vous autant qu’il vous est possible, vous avez voulu me faire remplir sa place, ne doutant point que la qualité de Frere qui l’a fait plus d’une fois vous solliciter en ma faveur, ne l’eust engagé à m’inspirer les sentiments d’admiration qu’il avoit pour toute vostre illustre Compagnie. Ainsi, Messieurs, vous l’avez cherché en moy, et n’y pouvant trouver son merite, vous vous estes contentez d’y trouver son nom.
Jamais une perte si considerable ne pouvoit estre plus imparfaitement reparée […]
Discours prononcez à l’Académie Françoise le 2. Janvier 1685, p. 9-11.
Outre la part éventuelle de posture dans cette modestie affichée, avait-il lui-même déjà conscience que le fauteuil de son frère serait trop « grand » pour lui et que son illustre nom susciterait toujours une inévitable comparaison avec son génial aîné dont il ne serait jamais perçu que comme l’ombre ? De Boze l’entrevoit déjà en 1710 lorsqu’il évoque son élection à l’Académie française comme un « honneur qui sembloit achever le parallele des deux freres »Éloge de M. Corenille, Prononcé dans l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres, à la rentrée publique d’après Pâques 1710.Dictionnaire de l’Académie destinés à enrichir l’ouvrage qui était alors menacé par la concurrence du dictionnaire de Furetière, lequel, plus complet, proposait des articles encyclopédiques là où celui de l’Académie se présentait comme un simple dictionnaire de langue. Son Dictionnaire des termes d’arts et de sciences parut en 1694 et il débuta dans le même temps la rédaction d’un Dictionnaire universel géographique et historique qui l’occupa presque exclusivement durant les dernières années de sa vie et qui parut en 1708. Thomas Corneille publia en outre une édition critique des Remarques de Vaugelas en 1687 ainsi qu’une traduction des Métamorphoses d’Ovide en 1697
Auteur particulièrement prolifique, Thomas Corneille composa en tout, nous l’avons dit, quarante-deux pièces qui recouvrent la plupart des genres théâtraux ainsi que quelques opéras. Comédies, tragédies romanesques ou historiques, pièces à machines : notre auteur a exploré tous les genres avec une grande variété de tons. Il est néanmoins possible de dégager quelques tendances majeures dans sa production. On pourra par ailleurs se reporter à la liste chronologique exhaustive des œuvres dramatiques de Thomas Corneille établie dans l’annexe 1.
Thomas Corneille débuta sa carrière dans le genre comique avec une série de comédies « à l’espagnole », genre qui, comme nous l’avons déjà dit, était en vogue à l’époque et qui puisait dans le riche répertoire des comedias espagnoles. À l’exception du Charme de la voix (1656 ? ) tiré de Moreto et qui fut un échec, toutes ces comédies connurent un certain succès. Ainsi, après la réussite des Engagements du hasard (1647), pièce adaptée de Los Empeños de un acaso de Calderón, Thomas Corneille poursuivit dans cette veine avec Le Feint astrologue (1648), également imité de Calderón. Puis suivirent la comédie burlesque Don Bertran de Cigarral (1651), tiré de Rojas et qui fut un vif succès, L’Amour à la mode (1651) emprunté à Antonio de Solis et Les Illustres ennemis (1655) qui fut bien accueillie en dépit de la double concurrence des pièces de Scarron et de Boisrobert qui avaient entrepris dans le même temps de traiter le même sujet emprunté à Francisco de Rojas et Calderón. De même, sa comédie burlesque Le Geôlier de soi-même (1655) imitée de Calderón fut préférée à la pièce concurrente de Scarron (Le Gardien de soi-même) et son succès fut durable puisque la pièce fut régulièrement reprise jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Seule exception au milieu de cette production comique « à l’espagnole » : Le Berger extravagant (1652), comédie pastorale parodique dont le sujet est tiré du roman de Charles Sorel.
Mais à partir de Timocrate en 1656, c’est vers la tragédie que Thomas Corneille orienta durablement sa plume. Pour G. Reynier comme pour H. C. Lancaster, la raison de ce changement est simple : depuis 1653, Pierre Corneille avait provisoirement renoncé au théâtre après l’échec retentissant de sa tragédie Pertharite. En l’absence d’une concurrence sérieuse, ce fut donc probablement l’occasion pour Thomas de s’essayer au « Grand genre » et de tenter de s’y illustrer à la suite de son aînéop. cit., p. 15). Lancaster propose la même explication (op. cit., part. II, vol. II, p. 749).op. cit., p. 749.Don Sanche d’Aragon, comédie héroïque créée en 1649, la dernière comédie à proprement parler de Pierre Corneille est La Suite du Menteur qui date de la saison 1644-1645. D’après Lancaster, tout se passe comme si l’aîné des Corneille avait volontairement cédé à son jeune frère le genre plus léger qu’était la comédie, probablement perçu comme plus abordable pour un débutant qui devait faire ses armesTimocrate, le jeune dramaturge se détourna durablement de la comédie vers laquelle il ne revint que de manière ponctuelle entre 1656 et 1672 avec Le Galant doublé (1660), Le Baron d’Albikrac (1667) dont le succès dura deux siècles, et La Comtesse d’Orgueil (1670) qui fut en revanche un échec.
L’année 1673 marque le retour de Thomas Corneille au genre comiqueDon César d’Avalos (1674), le dramaturge ne composa plus de comédies « à l’espagnole », dont la vogue était alors retombée et dont le public avait finit par se lasser, raffolant désormais de comédies moliéresques. Thomas Corneille se lança alors dans le genre fastueux des divertissements à grand spectacle que le public appréciait particulièrement à l’époque en livrant au théâtre Guénégaud plusieurs comédies à machines composées en collaboration avec Donneau de Visé : ce furent L’Inconnu (1675), Le Triomphe des dames (1676), et dans un registre plus satirique assez nouveau chez notre auteur, la célèbre Devineresse (1679), inspirée d’un sujet qui défrayait alors la chroniqueL’Inconnu et La Devineresse furent des succès financiers pour leurs auteurs. La Pierre philosophale (1681) qui connut en revanche un échec retentissantL’Usurier (1685) et avec Le Baron des Fondrières (1686) qui si l’on en croit le Manuscrit de Tralage cité par Reynierop. cit., note 1, p. 64.Les Dames vengées (1695), connut en revanche un certain succès. Notons également qu’à la demande d’Armande Béjart, Thomas Corneille livra une version versifiée et « expurgée » du Festin de Pierre de Molière, si bien que la pièce put être reprise à la scène en 1677.
Entre 1656, date de création de Timocrate et 1678, date de représentation du Comte d’Essex, Thomas Corneille composa seize tragédies, dont une à machines (Circé, 1675), sans compter son ultime pièce, Bradamante (1695).
Face à la diversité que recouvre l’ensemble de l’œuvre tragique de Thomas Corneille, nous ne fournirons ici qu’un aperçu succinct de cette production qui d’ailleurs n’intéresse pas notre étude au premier chef, quoiqu’à l’instar de D. Collinsop. cit.La Mort d’Achille, mémoire de maîtrise sous la direction de G. Forestier, bibliothèque dramatique du CRHT, 2000.op. cit., p. 348.
Elle est inaugurée par l’éclatant succès de Timocrate (1656) qui fut le triomphe théâtral du siècle. Fait exceptionnel au XVIIe siècle et qui à ce titre mérite d’être souligné, la pièce fut jouée lors de quatre-vingts représentations successives. Ce fait est d’autant plus extraordinaire que Timocrate fut représenté pendant plusieurs mois simultanément par les deux troupes rivales du Marais et de l’Hôtel de Bourgogne qui, devant l’ampleur du succès que rencontrait la pièce, avait décidé de l’inscrire à son répertoire. Cette première tragédie constitue donc pour le jeune dramaturge un « coup d’essai » particulièrement heureux dans le « Grand genre ». Finalement assez proche de la tragi-comédie, cette pièce qui fait la part belle au sentiment galant et multiplie les péripéties sans grand souci de vraisemblance, cristallise sans doute le goût romanesque d’une époque. Dans la même veine, Thomas Corneille composa Bérénice (1657) dont le sujet, loin d’être antique comme le laisserait supposer le titre, est en fait tiré d’une histoire du Grand Cyrus de Mlle de Scudéry. Cette pièce connut un certain succès. Puis suivirent Darius (1659), Persée et Démétrius (1662), Pyrrhus (1663), Antiochus (1666), Théodat (1672) et enfin Bradamante (1695), tragédie héroïque et galante. Intrigues invraisemblables, nombreuses péripéties, identités cachées, feintes, beaux sentiments, rafinements galants et personnages stéréotypés : telles sont les caractéristiques communes à toutes ces pièces traditionnellement identifiées par la critique comme relevant d’une influence romanesque.
Cette catégorie établie par Reynier regroupe un ensemble de tragédies à dominante politique et historique et faisant la part belle aux « grands sentiments », qui sont les caractéristiques couramment utilisées par la critique traditionnelle pour qualifier l’esthétique tragique de Pierre Corneille. Au-delà de la question de sa pertinence, cette dénomination de Reynier révèle une nouvelle fois la propension d’un certain nombre de commentateurs à considérer l’œuvre de Thomas Corneille comme fondamentalement « sous influence ». Cette veine « cornélienne » trouve selon Reynier son illustration dans La Mort de l’empereur Commode (1657), Stilicon (1660), Camma (1661), Maximian (1662), Laodice (1668) et enfin dans La Mort d’Annibal (1669).
Cette tendance concernerait en particulier les dernières œuvres tragiques de notre auteur : Ariane (1672) et Le Comte d’Essex (1678). Ces tragédies tardives se caractérisent par leur simplicité d’action et une tonalité nettement pathétique et élégiaque dans l’expression des sentiments. Là encore, la dénomination de Reynier est discutée par certains critiques. D. Collins parle ainsi plus volontiers de « tragédies du sentiment »tragedies of feeling pour ces quelques tragédies (op. cit.).Ariane et Le Comte d’Essex, comptent parmi les succès les plus durables de Thomas CorneilleArianne et le Comte d’Essex sont toujours demandés ; on en sait les plus beaux endroits par cœur, ils plaisent comme s’ils avoient le mérite de la nouveauté ; on y verse des larmes comme s’ils avaient encore l’avantage de la surprise. »e siècle ; quant au Comte d’Essex, il demeura au répertoire de la Comédie-Française jusqu’au début du XIXe siècle. N’est-ce pas là encore un signe de l’influence « racinienne » qui traverse ces œuvres ? Le public des siècles suivants, dont la sensibilité et le goût ont été formés à la lecture d’un Racine érigé au rang de génie tragique, ne fut-il pas précisément sensible à cette veine « racinienne » chez notre auteur ?
Par quelque aspect qu’on l’aborde, l’œuvre de Thomas Corneille semble donc toujours devoir être perçue comme « imitation de » et comme fondamentalement hétéronome. À cet égard, Le Feint astrologue ne déroge pas à la règle aux yeux de la critique.
Le Feint astrologue dont la première publication date de 1651, est la seconde pièce de Thomas Corneille mais la première qu’il a publiée. Elle revêt à ce titre un statut particulier au sein de l’œuvre de notre auteur puisque c’est avec elle que ce dernier « entre en publication » en 1651. En effet, Thomas Corneille ne consentit à faire imprimer sa première pièce, Les Engagements du hasard, qu’en 1651, date à laquelle son frère obtint un Privilège d’impression pour Nicomède et Andomède, mais aussi pour Le Feint astrologue et Les Engagements de Thomas et cette dernière pièce ne fut effectivement publiée pour la première fois qu’en 1657, soit près de dix ans après la date supposée de sa création et après avoir subit de profonds remaniements.
La lecture de l’épître dédicatoire du Feint Astrologue est particulièrement éclairante à cet égard. Adressée à un certain « MONSIEUR B. Q. R. I. », dédicataire très certainement fictif, sa fonction est essentiellement préfacielle
Le Theatre luy a donné des graces qu’il est bien difficile qu’il conserve dans le cabinet, et ces sortes de Poëmes ne pouvant estre soustenus ny par la majesté des vers, ny par la beauté des pensées, l’on en voit fort peu qui ne perdent presque tous leurs advantages hors de la bouche de ceux qui sçavent en relever la simplicité du style. Ainsi j’ay sujet d’apprehender que cette Comedie dont la representation vous a diverty tant de fois, ne vous semble froide sur le papier, et que vous n’ayez peine à y remarquer les mesmes naïfvetez qui vous ont fait rire, accompagnées de la grace de l’action.
En lisant ces quelques lignes, on ne peut s’empêcher de penser à la préface des Précieuses Ridicules de Molière, mais aussi à l’« Adresse au lecteur » de Mélite, première pièce de Pierre Corneille, qui présentent toutes deux à certains égards une grande proximité avec cette épître :
Je sais bien que l’impression d’une pièce en affaiblit la réputation : la publier, c’est l’avilir ; et même il s’y rencontre un particulier désavantage pour moi, vu que ma façon d’écrire étant simple et familière, la lecture fera prendre mes naïvetés pour des bassesses. (Pierre Corneille,
Mélite, « Au lecteur », 1632)Ce n’est pas que je veuille faire ici l’auteur modeste, et mépriser par honneur ma comédie. J’offenserais mal à propos tout Paris, si je l’accusais d’avoir pu applaudir à une sottise : comme le public est le juge absolu de ces sortes d’ouvrages, il y aurait de l’impertinence à moi de le démentir ; […] Mais comme une grande partie des grâces qu’on y a trouvées dépendent de l’action et du ton de voix, il m’importait qu’on ne les dépouillât pas de ces ornements, et je trouvais que le succès qu’elles avaient eu dans la représentation était assez beau pour en demeurer là. (Molière, Préface des
Précieuses Ridicules, 1660)
Comme pour notre auteur, il s’agit ici pour Molière de justifier une première publication et sa préface, tout comme l’ « Adresse au lecteur » de Mélite, présente les mêmes considérations au sujet de la spécificité d’un langage théâtral lié de façon intrinsèque à l’action scénique, c’est à dire indissociable du phénomène concret de la représentation. Certes, il s’agit là d’un topos préfaciel dont la portée analytique serait dès lors à nuancer. Mais il n’en demeure pas moins intéressant d’observer que même si ce propos fonctionne avant tout comme une justification topique et modeste, avec tout ce que cela peut impliquer de posture possible, il semble que le pragmatisme que Thomas Corneille déploie dans Le Feint astrologue témoigne en effet d’une certaine conscience de la spécificité du fait théâtral et d’une grande attention portée aux effets scéniquesStratégie des regards. Voir et être vu dans le théâtre de Thomas Corneille (1647-1695), Thèse, Paris X-Nanterre, janvier 2007.
Le Feint astrologue fut probablement créé en 1648 à l’Hôtel de Bourgogne. Nous ne disposons à vrai dire d’aucune source contemporaine indiquant avec précision la date de création de la pièce. Les frères Parfaict, près d’un siècle plus tard, ont accolé la date de 1648 à leur présentation de la pièce, sans donner plus de détailsHistoire du Théâtre Français, tome II, p173. op. cit., part. II, vol. II, p. 749.Le Feint astrologue.
On l’a vu, Thomas Corneille passe sa licence de droit en 1646. Or il n’est reçu avocat que trois ans plus tard, en 1649. Reynierop. cit., p. 4-5.ibid., p. 4). Reynier reprend ainsi l’argument de F. Bouquet (op. cit., p. 102) selon lequel « ces essais dramatiques, venant immédiatement après sa licence en droit, expliquent les trois années de retard mises par Thomas Corneille à se faire recevoir avocat en 1649, titre qu’il ne prit jamais ».Les Engagements du hasard, créée à l’Hôtel de Bourgogne. Puis en 1648 selon Reynier, qui semble encore suivre en cela les indications des frères Parfaict, Thomas Corneille aurait fait représenter Le Feint astrologue, sa seconde comédie. Or cet argument du biographe nous semble difficilement recevable dans la mesure où sa « réception » au barreau de Rouen à l’issue de ses études de droit n’empêchait nullement Thomas Corneille de se lancer parrallèlement dans une carrière de dramaturge
Outre le fait que Reynier reprenne les dates des frères Parfaict sans les justifier, Lancasterop. cit., part. II, vol. II, p. 749-50.Les Engagements du hasard date de 1657 et le Privilège est daté du 12 mars 1651 (ce même Privilège a aussi été accordé au Feint Astrologue ainsi qu’à deux autres pièces de Pierre Corneille, Andromède et Nicomède). Or selon Lancaster, « il est peu probable qu’un long temps se soit écoulé entre la création et le Privilège des Engagements » (obtenu en 1651) d’une part, et entre la composition de la première pièce et la composition de la seconde d’autre part, l’argument de l’historien consistant à dire que Thomas Corneille ayant beaucoup écrit, il a dû composer ses œuvres rapidement. Lancaster estime donc que la création de sa première pièce a eu lieu en 1649 et suivant son raisonnement, il situe la première représentation du Feint Astrologue, sa seconde pièce, au début de 1650.
Or à la suite de Sophie Wilma Deierkauf-HolsboerLe Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, vol. II, Le Théâtre de la troupe royale, 1635-1680 (Paris, Nizet, 1970), p. 61-65.Le Théâtre professionnel à Paris. 1600-1649, Paris, Archives nationales, 2000, p. 171).Feint Astrologue. Le texte même de la pièce présente en outre un autre indice qui, même s’il n’est pas déterminant, pourrait nous permettre de préciser cette date : en effet, dans un morceau de bravoure où le valet Philipin déploie toute sa verve pour dresser un inventaire des différents types de « diables », on trouve une allusion à la Fronde :
Il en est de village, il en est du grand monde, Il en est à la mode, il en est à la fronde (V, 7)
Le Feint astrologue pourrait donc avoir été créé à partir d’août 1648, date du début de la Fronde. Toutefois, il reste possible que Thomas Corneille ait modifié le texte de sa pièce ultérieurement, avant de la faire imprimer, et cet indice doit donc être considéré avec prudence, ne pouvant aucunement constituer une preuve absolue.
L’ensemble des commentateurs s’accorde en tout cas à dire que Le Feint astrologue fut créé à l’Hôtel de Bourgogne. Ce fait n’est guère discutable dans la mesure où de ses débuts à 1655, Thomas Corneille ne compose que pour la Troupe Royale. Mais le signe le plus évident que Thomas Corneille a écrit Le Feint astrologue pour l’Hôtel de Bourgogne est que le rôle du valet dans la pièce est destiné à l’acteur Philipin alias Villiers, qui était attaché à l’Hôtel de Bourgogne et qui était spécialisé dans les rôles comiques de serviteur balourd imité du type espagnol du gracioso, comme l’était Jodelet au Marais. Pour ce qui est du reste de la distribution, il nous demeure inconnuop. cit., p. 59-60).
Quant à la réception de la pièce, si l’on en croit son auteur, Le Feint astrologue a été un succès :
Pour moy, je me serois contenté du succez qu’elle a eu au Theatre, sans l’abandonner à la Presse, si je n’avois voulu détromper beaucoup de personnes qui en ont crû mon Frere l’Autheur, à cause de la conformité du nom qui m’est commun avec luy (épître du
Feint Astrologue).
Nous ne disposons comme seul témoignage de l’accueil de la pièce par les contemporains que de cette brève allusion que l’auteur nous livre dans l’épître. Toutefois, plusieurs indices semblent aller en ce sens. D’abord, il semble douteux que Thomas Corneille se soit permis d’enjoliver la réalité sur ce point dans le cadre d’une épître même si trois ans environ se sont alors écoulés depuis la création de la pièce. Il est donc fort probable que la comédie ait été bien accueillie par le public, ce que les multiples rééditions successives de la pièce ainsi que les nombreuses éditions pirates hollandaises
La postérité immédiate ne fait guère état du Feint Astrologue qui ne semble pas avoir été repris après sa création ni au cours des siècles suivants. Ainsi la pièce n’est pas mentionnée dans le répertoire de la Troupe RoyaleMémoire de Mahelot, édition critique établie par Pierre Pasquier, Paris, Champion, 2005. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le Jodelet Astrologue de d’Ouville figure en revanche dans la liste des pièces au répertoire de la Troupe Royale à partir des années 1670 alors qu’il avait initialement été créé au Marais. La comédie de d’Ouville aurait-elle alors eu un succès plus durable que notre pièce ?Le Baron d’Albikrac, qui en raison du vif succès qu’elle rencontra auprès du public en 1962 fut reprise en 1970 et connut le même accueil, Le Feint astrologue qui avait unanimement déplu en 1964 ne figura plus dans la programmation du festival les années suivantesLe Feint astrologue de « comédie-vaudeville » et à propos de l’accueil réservé à la pièce en 1964 il écrit plus loin : « sévérité générale pour Le feint astrologue ! La pièce se révèle très inférieure à d’autres comédies de Thomas telles que Le baron d’Albikrac […] ». Il cite encore un extrait d’un article de Steve Passeur paru dans « l’Aurore » du premier juin 1964 : « au reste, l’œuvre est bien peu serviable. Il s’agit d’une farce échevelée ne gardant guère de nos jours le pouvoir de dérider le spectateur le plus indulgent. L’intrigue est longue, beaucoup trop longue et il a fallu des Zappy Max, Jean-Pierre Leroux et Nadia Barentin pour soutenir l’attention. » (A. Andrieu-Guitrancourt, Le festival Corneille. Vingt ans de théâtre à Barentin 1956-1975, p. 58).
Dans leur Histoire du Théâtre français, les frères Parfaict évoquent Le Feint astrologue de façon relativement succincte, en mettant l’accent sur la proximité de la pièce avec ses différentes sources et en particulier avec le Jodelet Astrologue de d’Ouville :
C’est même intrigue, même conduite, mêmes personnages dans les deux pièces, à l’exception que dans celle-cy, ce n’est point un valet qui fait le rôle du Feint astrologue, c’est son maître à qui M. Corneille de l’Isle donne l’idée de ce stratagème, et c’est ce qui met plus de vraisemblance à tous les incidents de la pièce. Au reste, quoiqu’elle ne soit pas sans mérite, on peut cependant dire, que les Acteurs y sont peints un peu trop crédules aux discours du prétendu Astrologue.
Frère Parfaict, Histoire du Théâtre français(1734-1749) Tome II, vol., p. 173.
Ce commentaire des deux historiens reflète de façon exemplaire le goût étroit du XVIIIe siècle, siècle qui inventa la notion « classicisme » et qui contribua à ensevelir les œuvres du siècle précédent qui n’étaient pas canoniques. Leur jugement se fonde en effet ici sur un critère étroit de vraisemblance : selon eux, si la pièce de Thomas Corneille gagne en vraisemblance par rapport à celle son prédécesseur en réservant le rôle du faux savant à un maître plutôt qu’à un valet, les deux commentateurs estiment néanmoins que la crédulité des personnages constitue un défaut du point de vue de la bienséance des caractères.
C’est aussi ce critère d’invraisemblance que Reynierop. cit., p. 191 et suivantes.Le Feint astrologue ? Dans la même perspective, le critique déplore le caractère embrouillé des intrigues et l’absence de peinture de caractères chez des personnages aussi conventionnels que les situations. Ce commentaire de Reynier s’explique probablement par le fait que depuis le XVIIIe siècle, on a pris l’habitude d’évaluer les œuvres comiques au regard du modèle moliéresque que l’on estime être un modèle de comédie de « caractères » et la « peinture de caractères » apparaît ainsi comme un gage de qualité aux yeux de la plupart des critiques. Et si le commentateur relève l’effort du dramaturge pour adapter les originaux espagnols aux règles françaises selon un principe de concentration de la matière dans un souci de clarté et de simplicité, c’est pour en déplorer immédiatement le résultat :
Il ne reste plus qu’un sommaire froid et méthodique, rédigé en une langue pâle, pénible, abstraite. […] Tout est sacrifié à l’intrigue. Les spectateurs ne s’en plaignaient pas, mais les lecteurs n’y trouvent pas leur compte.
Reynier, ibid., p. 198.
Martinenche y voit au contraire le principal mérite de la pièce et de la démarche d’adaptation de Thomas Corneille et estime pour sa part que
Le Feint Astrologue(1648) a au moins le mérite de nous montrer chez Thomas Corneille une juste préoccupation de clarté et de simplicité. […] La contrainte des règles l’amène […] à une assez heureuse concentration.E. Martinenche, La « Comedia » espagnole en France de Hardy à Racine(1900), p. 344.
Pour autant, le critique n’accorde pas à cette imitation de Calderón le statut de « création » et voit finalement dans cette comédie une « recherche superficielle de la simplicité ». Mais alors que le jugement que la plupart des commentateurs modernes ont porté sur la pièce, si sévère soit-il, révèle que ces derniers ont souvent cherché à dégager voire à valoriser le travail d’adaptation auquel Thomas Corneille a procédé en composant Le Feint astrologue, A. Adam se montre encore une fois particulièrement virulent lorsqu’il considère ses comédies imitées de l’espagnol dont il évoque « le dessin vague des caractères, et la faiblesse d’un dialogue sans relief, sans nerf, sans poésie »op. cit., p. 348.Le Feint astrologueIbid., p. 348.
Mais le jugement le plus dur au sujet des imitations espagnoles de Thomas Corneille revient sans conteste à A. Cioranescu pour qui
Il est évident, en tout cas, qu’il cherche le succès ; son intérêt pour le théâtre espagnol ne s’explique pas autrement. Pour être sûr qu’il trouve ce qu’il cherche, il le prend là où le succès est déjà prouvé :
Les Engagements du hasardetLe Feint Astrologuefont la concurrence à Ouville […]. Quant à son souci des unités, qui est visible, cela paralyse des actions que leur premier auteur avoit voulu complexes, et dont la limitation accentue la pauvreté de l’ensemble.A. Cioranescu, op. cit., p. 279-80. C’est nous qui soulignons.
Enfin D. Collinsop. cit., p. 29-30.Le Feint astrologue comme dans les premières imitations espagnoles de Thomas Corneille les premiers pas d’un dramaturge débutant s’initiant aux règles de l’art dramatique et de ce fait obsédé par les questions de techniques dramatiques. Ces pièces révèleraient une technique qui ne serait pas encore affinée, qui tatonnerait par expérimentations successives, ce qui expliquerait selon le critique que les ficelles de la construction des premières pièces de notre auteur nous semblent si apparentes :
En apprenti impatient de faire siennes les règles de l’art dramatique, Thomas Corneille travaillait bien trop consciencieusement à rendre la saveur de ses modèles, si bien que sa méthode dramatique se faisait elle-même trop visible dans la structure de ses pièces.
« Still an apprentice eager to learn the rules of dramatic art, Thomas Corneille labored all too conscientiously to capture the flavor of his models with the result that his dramaturgical method made itself unduly conspicuous in the fabric of his plays. » (D. Collins, ibid., p. 30).
Concernant notre pièce en particulier, Collins y reconnaît une certaine souplesse dans le style, une vivacité dans le passage des personnages d’une situation équivoque à une autre. Mais ces caractéristiques expliquent aussi selon lui le caractère momentané et superficiel du rire que le dramaturge parvient à susciter au cours de cette pièce : « the humor is such that it requires constant renewal with each successive scene »ibid., p. 30.
Absence d’originalité, technicité et recherche superficielle d’une simplicité et d’une concentration qui ont pour effet de rendre l’œuvre sèche et froide, langue pâle et plate en dépit d’une certaine vivacité : tels sont les principaux jugements portés avec plus ou moins de nuances par la critique sur Le Feint astrologue depuis le XVIIIe siècle. Il est en outre amusant de constater que même lorsque certains critiques cherchent à valoriser Le Feint astrologue, c’est souvent en y cherchant des signes précurseurs de la comédie et des personnages moliéresques. Il en est ainsi chez A. Steiner, pour qui Don Fernand annonce un Don Juan et Philipin est digne d’un Scapin. Ou bien ce peut être encore dans une perspective finaliste, comme c’est le cas dans l’étude de Collins qui cherche dans les premières comédies de notre auteur les signes annonciateurs de pratiques et d’œuvres à venir et les balbutiements d’une technique dramatique appelée à s’affiner avec le temps... Nous nous bornerons pour notre part à analyser les procédés, les effets scéniques et plus généralement les options dramaturgiques retenues par l’auteur lors de l’imitation de ses sources et qui ont présidé à l’élaboration de la pièce.
Cherchant à découvrir la raison des mépris de Lucrèce à son égard, Don Fernand charge son valet Philipin d’interroger à ce sujet Beatrix, la suivante de cette dernière. Après avoir témoigné quelque résistance à trahir sa maîtresse, celle-ci finit par avouer à Philipin que Lucrèce brûle d’un autre feu. La soubrette va même jusqu’à lui livrer le détail de ses amours secrètes avec Don Juan, un cavalier peu fortuné que chacun croit parti pour la guerre en Flandre mais qui se cache en réalité à Madrid chez son ami Don Lope sans que ce dernier en sache la véritable raison. Beatrix explique ainsi comment les deux amants ont convenu de feindre ce départ et évoque les modalités de leurs entrevues nocturnes qui ont lieu à la fenêtre de Lucrèce avec la complicité de la suivante. Bien qu’ayant promis à Beatrix de garder le silence, Philipin ne tarde pas à faire son rapport à son maître qui décide sur le champ de se venger de Lucrèce et fait part de toute l’affaire à son ami Don Louis. Persuadé que Don Juan aime Léonor et non Lucrèce, ce dernier a peine à croire Don Fernand et s’enquiert de la situation auprès de son ami Don Lope. Lui-même épris de Léonor, il est convaincu que son ami Don Juan aime aussi la jeune femme et suppose que ce dernier ne se cache chez lui que par jalousie, pour éprouver l’amour que Léonor lui porte. Don Lope se désole ainsi de devoir par amitié étouffer la passion qui le ronge mais espère que le sort finira par lui être favorable. Mais pour le moment, la jeune femme amoureuse de Don Juan ne reçoit le pauvre amoureux que pour l’entretenir de cet amant parti sans lui dire adieu et dans l’espoir d’en obtenir quelque nouvelle.
Piqué par l’attitude de Lucrèce qui continue de le repousser en affichant une modestie et une indifférence à l’amour dont il sait désormais qu’elles sont feintes, Don Fernand ne peut s’empêcher de laisser entendre à la jeune femme qu’il connaît son secret : par une série d’allusions transparentes l’amant éconduit évoque le détail des entrevues nocturnes secrètes de Lucrèce et Don Juan. Mais pour disculper Béatrix et empêcher qu’elle ne soit chassée par sa maîtresse à cause de ses indiscrétions, Philipin prétend que Don Fernand est un grand astrologue et qu’il n’a découvert le secret des deux amants que grâce à ses pouvoirs surnaturels. Don Fernand qui avait demandé à son valet d’inventer un mensonge pour le tirer d’embarras ne dément pas les propos de ce dernier et parvient à persuader Lucrèce de leur véracité en reconnaissant lui-même qu’il dispose effectivement de ce haut savoir. Mais en acceptant d’adhérer à cette fourbe initiale, Don Fernand s’engage dans « un véritable engrenage »Thomas Corneille : L’amour à la mode, op. cit., p. 49.
Alors que grâce au zèle de Don Louis, la renommée du feint astrologue s’accroît à travers Madrid et que tous s’empressent de venir le consulter persuadés qu’il détient des pouvoirs magiques, Léonor se présente et demande à l’imposteur de lui faire apparaître Don Juan qu’elle croit toujours être en Flandre. Mis en difficulté, Don Fernand réussit à se tirer d’embarras et grâce au stratagème d’un faux billet écrit par Léonor sous sa dictée, il parvient à faire en sorte que Don Juan rende visite à la jeune femme le soir-même. Cette visite nocturne provoque l’effroi de Léonor et de sa suivante Jacinte qui sont persuadées d’avoir affaire à un fantôme. Ce quiproquo donne lieu à une scène savoureuse où les deux jeunes femmes épouvantées fuient devant Don Juan qui, se croyant démasqué, pense pour sa part devoir cet accueil à sa trahison.
Don Juan feint d’être de retour de Flandre auprès de Léonard qui vient d’interrompre un entretien amoureux avec Lucrèce au cours duquel celle-ci a donné un diamant à son amant comme gage de son amour pour lui. Pour justifier le chagrin qu’elle ne parvient pas à dissimuler devant son père, Lucrèce lui avoue la perte du bijou. Le vieillard croit alors la rassurer en lui annonçant qu’il va consulter Don Fernand à ce sujet. Alors même que lassé par la feinte, ce dernier commence à s’inquiéter des proportions que prend la fourbe et craint qu’elle ne finisse par causer du tort à sa réputation, Léonor se présente à lui : elle a appris par Don Lope que Don Fernand se trouvait en réalité à Madrid et en aimait une autre et vient se plaindre auprès de Don Fernand qui le lui a caché. Mais ce dernier parvient à la convaincre que Don Juan l’aime et qu’il n’a feint son voyage en Flandre que pour éprouver l’amour qu’elle a pour lui. Le défilé des importuns se poursuit avec Léonard qui vient consulter le feint astrologue au sujet du bijou perdu. Don Fernand saisit l’occasion pour avouer son ignorance au vieillard, mais celui-ci ne voit dans cette aveu qu’une posture d’humilité commune aux vrais savants. Informé par Beatrix du sort du diamant, Philipin vient tirer son maître d’embarras en lui apprenant que le bijou est entre les mains de Don Juan, et devant l’entêtement du vieillard à croire en ses pouvoirs, Don Fernand finit par lui apprendre ce qu’il veut savoir.
Il s’ensuit une scène de quiproquo d’une grande saveur comique au cours de laquelle Léonard réclame en des termes équivoques son diamant à Don Juan qu’il prend pour un voleur, tandis que ce dernier, persuadé que le vieillard a découvert la vérité et sait que c’est Lucrèce elle-même qui lui a donné le bijou, lui demande la main de sa fille en guise de pardon. La fin de la pièce est également l’occasion de développer un épisode de fausse magie : Philipin fait croire à Mendoce, le vieux valet de Léonard, qu’il le fait porter dans sa province natale par les airs, sur le dos d’une mule endiablée qui est en réalité une palissade du jardin de son maître ! Alors qu’ils s’entretiennent également dans le jardin de Léonard, les deux amants sont interrompus par l’arrivée du vieillard accompagné par Don Fernand. Don Juan est contraint de se cacher. C’est alors que survient Léonor qui, finallement désabusée par Don Lope, annonce à Léonard que l’amant de sa fille se cache dans son jardin et réclame vengeance pour son infidellité. Don Juan sort alors de sa cachette pour avouer la vérité. Soucieux de sauver son honneur, Léonard demande conseil au feint astrologue qui l’incite à autoriser un mariage qu’il lui avait lui-même prédit et qu’il affirme être un décret céleste. L’imposture finit ainsi par favoriser le mariage des amants. Finalement, la supercherie n’est pas découverte, sauf par le personnage de Léonor, mais cette dernière quitte la scène face à la crédulité des autres personnages, en annonçant qu’elle accepte d’épouser Don Lope. Quant à Don Fernand, on ne sait s’il est vraiment décidé à renoncer à l’astrologie.
Avant de procéder à l’examen dramaturgique du Feint Astrologue nous présentons ici un aperçu général du contexte de sa création afin de rapprocher cette comédie de la production dramatique dans laquelle elle s’inscrit et dont elle semble illustrer les tendances et les enjeux.
À cette époque, la comédie n’est pas le genre le plus à la mode, et la production comique est relativement réduiteop. cit., t. II, p. 319). Voir également l’appendice IV dans La Dramaturgie classique en France de J. Scherer (p. 457-459).La comédie de l’âge classique, 1630-1715, Paris, Le Seuil, 1995).Poétique, et toute leur réflexion se porte sur le genre « noble » qu’est la tragédie. En outre, le phénomène du rire reste un mystère et son pouvoir de transgression et de subversion potentiel est encore considéré avec méfiance. Le rire ne constitue pourtant pas alors un critère définitoire du genre. Au contraire, il semblerait même que la plupart des auteurs comiques de la première moitié du siècle aient cherché à s’en abstraire afin de se distinguer du genre méprisé de la farce et acquérir ainsi une certaine légitimité théorique.
En l’absence d’une poétique explicite pour en définir les contours avec précision, c’est son dénouement heureux (pas d’échec final du héros, encore moins la mort d’un personnage), son style moyen, sa trame amoureuse (aucun enjeux grave tel que la raison d’Etat de la tragédie), ses personnages de condition moyenne ou basse, et la banalité et le prosaïsme de la réalité qu’elle met en scène qui distinguent la comédie de l’époque de la tragédieop. cit.op. cit., p. 12).
Sur vingt et une comédies qui ont été représentées de 1640 à 1649 et qui sont parvenues jusqu’à nous une seule est tirée d’un roman français, quatre s’inspirent de comédies italiennes et les autres ont une origine espagnole. Ecrire une comédie à cette époque équivaut donc à être un adaptateur ou un traducteur.
C. Cosnier, op. cit., p. 15.
Alors que la comédie romanesque inspirée des comédies italiennes de type ancien, avec ses situations et ses personnages de convention, n’est plus guère goûtée par le publicClarice (1641) et La Sœur (1645) de Rotrou, ou encore Aymer sans sçavoir qui (1647) de d’Ouville, appartiennent à cette catégorie des comédies d’inspiration italienne. Ce type de comédie éclipsé à partir des années 1640 par le modèle espagnol ne retrouvera que ponctuellement la faveur du public avec L’Etourdi ou Les Fourberies de Scapin de Molière, au moment même où la comédie « à l’espagnole » commencera à tomber en désuétude.
Le comique prit aussi des beautés singulieres entre les mains de M. Corneille. Il commença par mettre au théatre quantité de
piéces Espagnoles, dont on ne croyoit pas qu’il fût possible de conserver l’esprit et le sel, si l’on vouloit les dégager des licences et des fictions qui leur sont particulieres, et que notre scéne n’admet pointC’est nous qui soulignons. . De ce comique ingénieux, mais outré, il a sû, dansl’Inconnu, et dans plusieurs autres piéces, revenir à un comique simple, instructif et gracieux, qui les a déjà presque fait survivre au siécle qui les a vûes naître.De Boze, Éloge de M. Corneille, Prononcé dans l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres, à la rentrée publique d’après Pâques 1710.
Comme nous l’avons déjà dit, Le Feint astrologue fut créé dans le contexte de la vogue des comédies « à l’espagnole » initiée par d’Ouville en 1639 avec L’Esprit Folet, pièce imitée de Calderoncomedia remonte à La Bague de l’Oubli de Rotrou, représentée en 1629, la mode des comédies imitées de l’espagnol ne commence véritablement qu’avec d’Ouville.Timocrate de Thomas Corneille assura le triomphe d’un genre nouveau, la tragédie ou la tragi-comédie galantes » (op. cit., p. 336).
Nous sommes […] en présence, non pas d’une influence littéraire s’exerçant sur l’inspiration de nos écrivains, mais d’une mode du public, à laquelle nos auteurs s’efforcent de satisfaire. Les spectateurs veulent qu’on les transporte par l’imagination en Espagne […]
A. Adam, .op. cit., p. 330.
Tout comme Le Feint astrologue, il s’agit essentiellement de comédies d’intrigues romanesques dont la dimension galante et burlesque était en affinité avec le goût mondain de l’époque. Comme leurs modèles espagnols, ce sont des comédies « de cape et d’épée » qui sont en général plus proches de la tragi-comédie que de la comédie telle que nous la concevons aujourd’hui. L’ambiguïté du terme comedia ne doit d’ailleurs pas tromper : comme le rappelle G. ConesaOp. cit., p. 85.gracioso espagnolgracioso dans notre étude des procédés comiques à l’œuvre dans Le Feint astrologue. l’imbroglio de l’action […]. Il est vrai en effet […] que presque toujours la comédie comporte deux intrigues parallèles, et qu’elle se plaît à tirer de leur interférence des effets curieux ou comiques. Mais si l’on compare la comédie espagnole aux pièces italiennes de la même époque, […] on se rendra compte de la relative simplicité des pièces imitées de l’espagnol » (op. cit., p. 331-332).
Outre ces traits généraux on distingue deux tendances principales dans les adaptations de comedias espagnoles dont l’une fait la part belle au comique. On peut qualifier la première de « romanesque »op. cit., p. 22 et 35).Le Feint astrologue relève plutôt de cette veine romanesque. La seconde tendance est davantage orientée vers le comique avec une tonalité burlesque nettement plus marquée. Scarron est l’initiateur et le principal représentant de ce versant burlesque et parodique de la comedia qui rencontra un vif succès auprès du public. Il fut le premier à exploiter de manière systématique le potentiel burlesque et bouffon du gracioso, le valet balourd de la comedia espagnole, en en faisant le personnage « vedette » des ses productions dans les années 1640. C’est d’ailleurs ainsi que naquit le type de Jodelet, valet balourd dont la poltronnerie n’avait d’égal que sa gloutonnerie et qui était interprété par l’acteur Julien Bedeau que ce rôle avait rendu célèbre.
Mais quelle qu’en soit la veine, les personnages de ces comédies sont conventionnels, sans profondeur psychologique, non individualisés. Ils se réduisent à des types aux traits récurrents, tels l’amant fougueux toujours prêt à croiser le fer et flanqué d’un serviteur grossier, au bon sens populaire. La trame est globalement toujours la même, toute aussi stéréotypée que les personnages : sur fond d’une Espagne de convention, où les amours sont passionnées et où l’attachement à l’honneur est poussé à son paroxysmeL’Honneur au théâtre. La Conception de l’honneur dans le théâtre espagnol et français du XVII e siècle, 1994.
Et c’est ainsi que se pose au dramaturge français qui entreprend l’adaptation d’une comedia la délicate question de l’équilibre entre l’exigence de satisfaire aux règles d’un classicisme naissant et théorisé depuis les années 1630e siècle érigés en règles.Le Masque et le Visage, p. 261.Éloge de M. Corneille, Prononcé dans l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres, à la rentrée publique d’après Pâques 1710, cité plus haut.comedia comme Thomas Corneille.
En confrontant ainsi les dramaturges aux problèmes techniques liés à la transposition d’œuvres qui n’entrent pas dans les canons esthétiques naissants du théâtre français de l’époque mais dont la veine plaît au public, l’apport espagnol va participer au renouvellement du genre comique en France en conduisant la plupart des auteurs qui l’ont pratiqué à « digérer » les diverses influences de la tradition dramaturgique et théorique nationale et des modèles étrangers, et à chercher ainsi une formule dramatique spécifique. Et c’est dans cette perspective que la suite de cette étude s’attachera à examiner quelles réponses ou quelle formule dramaturgique Thomas Corneille a privilégiées pour adapter sa source espagnole dans Le Feint astrologue. Nous montrerons comment cette comédie, loin d’être une simple imitation de son modèle espagnol comme elle semble l’être au premier abord, en est en réalité une véritable adaptation, peu originale il est vrai. La grande proximité du Feint astrologue avec la comedia de Calderón fait d’ailleurs précisément saillir les différences entre ces deux pièces et par suite, révèle les changements opérés par le dramaturge et les procédés mis en œuvre par ce dernier pour obtenir ou accentuer tel ou tel effet.
Inutile de chercher des innovations thématiques ou dramaturgiques dans Le Feint astrologue. On y trouve peu d’inventions personnelles de la part de notre auteur qui suit d’assez près son modèle principal. L’intérêt de la pièce et les enjeux de son examen se situent ailleurs. Plus éclairante est en revanche l’étude comparée de la comédie et de ses sources, dans la mesure où elle fait clairement apparaître les problèmes dramaturgiques liés à toute adaptation et auxquels le jeune Thomas Corneille s’est trouvé confronté en transposant son modèle espagnol, ainsi que les choix qu’il a opérés et les solutions techniques qu’il a adoptées pour y répondre. Le dramaturge a en effet puisé à plusieurs sources selon le principe d’écriture antique de la « contamination ». Le fait est que la plupart des éléments du Feint astrologue sont déjà présents chez ses prédécesseurs qui fournissaient ainsi à notre auteur une matière déjà amplement traitée, qu’il ne restait plus en quelque sorte qu’à « digérer ». Or c’est précisément ce processus de « digestion » des apports, autrement dit la réécriture des modèles que la suite de cette étude s’attachera à examiner. Cependant, l’absence d’étude d’ensemble sur les pratiques et les procédés d’adaptation des pièces espagnoles par les auteurs du temps rendent difficiles cette approche et l’évaluation des phénomènes intertextuels qui travaillent la pièce de Thomas Corneille : comment évaluer la part de singularité d’une technique d’adaptation, comment expliquer le choix d’un modèle plutôt qu’un autre et selon quels critères s’effectue ce choix ? C’est à cette difficulté que notre investigation dramaturgique va se heurter. Nous tenterons néanmoins de dégager certaines tendances dans la technique d’adaptation de notre auteur.
Le sujet de l’astrologue supposé est donc tiré de plusieurs sources dont la principale est espagnole : il s’agit d’El Astrólogo fingido de Calderón dont la première édition date de 1632 et dont Le Feint astrologue est une adaptation assez fidèle. Cette pièce espagnole avait déjà été adaptée par d’Ouville dans son Jodelet Astrologue (dont la première édition date de 1646). Dans un article de 1926, Arpad SteinerAstrólogo fingido in France », in Modern Philology, vol. 24 (1926), p. 27-30.Bibliothèque universelle des Romans (janvier 1777, vol. 2, p. 89-120) et les frères Parfaict (op. cit., tome II, p. 173) évoquent déjà cette source.Ibrahim ou l’Illustre BassaIbrahim ou l’Illustre Bassa, part. II, livre second, « Histoire du feint astrologue », éd. établie par Antonella Arrigoni, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2003.Ibrahim à Georges ou à Madeleine, voir l’introduction de l’édition de l’œuvre établie par Antonella Arrigoni (ibid., p. 9 et suivantes). Les Fausses vérités de d’Ouville pour remanier sa première pièces, Les Engagements du hasard, avant de la faire imprimer. Mais cette fois, le dramaturge reconnaissait l’apport de son prédécesseur dans l’épître à la pièce publiée en 1657. Jodelet Astrologue, cette comédie est loin d’en constituer une source véritable et Thomas Corneille s’est bien davantage inspiré de la pièce de Calderón ainsi que du roman de Scudéry.
Pour illustrer notre propos en dégageant quelques phénomènes intertextuels présents dans Le Feint astrologue, on a fait figurer dans l’annexe 4 qui suit cette étude une mise en regard (non exhaustive) de différents passages de la pièce et de ses sources. D’autre part, afin de faciliter l’étude comparative que nous nous proposons d’esquisser ici, l’annexe 3 présente la liste des noms des personnages du Feint Astrologue et ceux des personnages correspondants chez Calderón, Scudéry et d’Ouville.
Avant toute chose, il est nécessaire de déterminer quelle version de la pièce de Calderón Thomas Corneille a eu entre les mains afin de pouvoir évaluer les phénomènes d’intertextualité à l’œuvre dans Le Feint astrologue en évitant l’écueil qui consisterait pour le commentateur à considérer certains éléments de la pièce française comme des variantes introduites par Thomas Corneille lorsque celles-ci ne constituent en réalité que l’une des versions de la comedia de Calderón. En effet, les différentes éditions d’El Astrólogo fingido parues avant Le Feint astrologue présentent de nombreuses variantes dont quelques unes nous intéressent au premier chef dans la mesure elles révèlent quelle version a servi de support au travail d’adaptation du dramaturge. OppenheimerEl Astrólogo fingido, p. 7 et suivantes.El Astrólogo fingido (c’est-à-dire qui présentent des variantes significatives témoignant de corrections et de remaniements opérés par l’auteur) antérieures à 1651, date de publication de notre pièce : la première figure dans le recueil de comedias intitulé Parte veinte y cinco de Comedias recopiladas de diferentes autores, é illustres poëtas de España, Zaragoça, 1632. La seconde véritable réédition apparaît dans Segunda Parte De Las Comedias De Don Pedro Calderón de la Barca, Madrid, 1637. Les analyses d’OppenheimerEl Astrologo fingido », Revue de Littérature comparée, 1948, p. 547-560.Feint astrologue, peut-être en partant du principe que l’édition de 1637 mentionnée par Thomas Corneille dans l’épître de sa pièce était nécessairement celle qui avait servi de support à sa compositionParte Veinte y Cinco de Comediascomedia de Calderón signale en effet que le valet Moron dérobe à Otañez sa bourse avant d’être finalement prié par son maître de la lui restituer. Le commentateur recense également un grand nombre de passages du Jodelet Astrologue qui n’ont pu être repris - parfois simplement traduits - que de la version de la pièce qui apparaît dans la Parte Veinte y Cinco de Comedias qui est la seule à présenter des passages équivalents (op. cit., p. 550-1).Feint astrologue. L’examen comparé des deux versions de 1632 et 1637 du texte de Calderón avec Le Feint astrologue nous a en effet permis de conclure que Thomas Corneille a lui aussi utilisé l’édition de 1632 pour composer sa comédie. Les passages suivants ne laissent ainsi aucun doute sur leur origine : ce sont des traductions quasi littérales d’extraits figurant exclusivement dans l’édition de Sarragoce de 1632 d’El Astrólogo fingido et qui en outre n’apparaissent pas chez les autres adaptateurs de Calderón ou qui présentent dans les adaptations de ces derniers une proximité moindre avec le texte du modèle espagnol, ce qui confirmerait que Thomas Corneille a bel et bien utilisé la version de la comedia publiée dans la Parte Veinte y Cinco de Comedias de 1632 :
No es muy seguro capricho, Vive Dios, q por aora que no ai otra a de servir [Don Diego] Yo te ayudarè a mentir. ( El Astrólogo fingido, IIème « journéee », v. 1141-4)Monsieur, j’ay grande peine à bien mentir pour l’heure, Celle-cy passera faute d’une meilleure. [D. FERNAND.] Bonne ou mauvaise enfin, parle, je t’ayderay. ( Le Feint astrologue, II, 2, p. 35-6, v. 459-61)vos tenedme por criado, que a los hombres ingeniosos les soi mui aficionado, mayormente a los que son tan principales que tienen la ciencia por guarnicion de la sangre, y que previenen ingenio, y estimacion. tambien yo en mi mocedad, si he de deziros verdad, alguna cosa estudiè, y con deseos pèque en esta curiosidad ( El Astrólogo fingido, IIème « journéee », v. 1418-30)Quoy qu’il en soit enfin, Monsieur, je suis à vous J’eus tousjours grande ardeurpour ceux dont la science Releve le bon sang qu’ils ont de leur naissance, Et s’il faut librement vous en faire l’adveu, Dans mon jeune âge aussi je m’en mesloisun peu ( Le Feint astrologue, II, 3, p. 42, v. 570-4)Scudéry avait déjà repris ce passage mais dans une formulation plus éloignée du texte espagnol qui ne reprenait pas par exemple l’image du « sang » noble ( Ibrahim, op. cit., p. 415).Si ya es cierto que previene su estrella pobre marido, dime señor con quien puedes cumplir el ado mejor ? ( El Astrólogo fingido, IIIème « journéee », v. 3306-9)Je vous en ay tantost desja dit ma pensée, Que d’un semblable Hymen elle estoit menacée : Puisqu’un homme sans biens doit estre son époux, Pour faire un meilleur choix, où le chercherez-vous ? ( Le Feint astrologue, V, 11, p. 139-40, v. 1871-6)
Il n’est donc guère étonnant qu’étant probablement toutes trois fondées sur la même version du texte d’El Astrólogo fingido les adaptations françaises de la comedia de Calderón présentent de si nombreuses similitudes et qu’il soit bien souvent difficile de déterminer l’apport respectif de chaque œuvre dans la composition du Feint Astrologue qui présente des phénomènes d’intertextualité fort complexes dont l’annexe 4 donne un aperçu.
Dans l’ensemble, notre auteur a en tout cas assez fidèlement suivi son modèle espagnol tout en pratiquant massivement la contaminatio. Mais comme tous les dramaturges français imitateurs de comedias, il a procédé à une adaptation culturelle, esthétique et dramaturgique, à une réorganisation de la matière selon un principe d’allègement et d’unification conformes aux nouvelles exigences classiques.
Pour l’essentiel, la plupart des éléments de l’action sont repris et les personnages sont les mêmes que dans la pièce espagnole. Pour ce qui est de l’intrigue, l’analyse dramaturgique de la pièce sera l’occasion d’une comparaison détaillée des deux œuvres, c’est pourquoi nous ne nous y attarderons pas ici. Du point de vue du contenu langagier qui nous intérresse ici, la proximité est telle qu’il s’agit parfois de simple traduction. Pour apprécier cette proximité du Feint astrologue avec son modèle espagnol, on pourra se reporter à l’annexe 4 qui présente de nombreux exemples d’emprunts quasi littéraux à la comedia de Calderón.
Du point de vue du contenu et surtout de la tonalité générale de l’œuvre, la plupart des changements notables que l’on peut relever dans Le Feint astrologue par rapport à El Astrólogo fingido ne sont pas de l’invention de l’auteur. En effet, la plupart de ces modifications semblent avoir été inspirées par l’épisode que Scudéry avait déjà tiré de la comedia de Calderón dans son roman Ibrahim ou L’Illustre Bassa (1641)Ibrahim ou l’Illustre Bassa (1641), « Histoire du feint astrologue » dans « Aventures du Marquis François », part. II, livre second. Scudéry y suit d’ailleurs déjà assez fidèlement sa source espagnole, allant parfois jusqu’à reprendre des vers entiers de Calderón dans son roman. Voir l’annexe 4 qui présente quelques uns des nombreux passages d’El Astrólogo fingido repris quasi littéralement par Scudéry.
D’aucuns auraient tendance à affirmer à la suite de Martinenche que
Le Feint astrologuen’est pas simplement une traductionfacile et naturelle. Malheureusement, cela n’est pas dû au génie de Thomas Corneille. […] Corneille n’a pas directement pris l’intrigue de Calderón, mais l’a combinée avec une version de […] Scudéry. […] La couleur française que Martinenche porte au crédit de Corneille doit être attribuée […] à Scudéry. […] La comédie entière a reçu une atmosphère typiquement française.« One is likely to agree with Martinenche that the Feint Astrologueis not merelyune traduction facile et naturelle. Unfortunately, however, this is not due to the genius of Thomas Corneille. […] Corneille did not take the plot immediately from Calderón, but combined it with a version of […] Scudéry. […] The couleur française with which Martinenche credits Corneille must be ascribed to […] Scudéry. […] the entire comedy received a thoroughly French atmosphere. » (A. Steiner,op. cit., p. 28-9).
L’influence du roman de Scudéry sur Le Feint astrologue est en effet considérable. On verra par exemple dans la suite de cette étude que le Don Fernand de Thomas Corneille est beaucoup plus proche du Marquis français que de son modèle espagnol. Le dramaturge semble également avoir accentué la dimension comique de sa pièce en s’inspirant de certains passages d’Ibrahim, mais il y a surtout recréé l’atmosphère enjouée de légèreté galante qui donnait à l’épisode de Scudéry sa saveur spécifique. Nous étudierons ces différents aspects dramaturgiques de l’apport de Scudéry dans l’œuvre de Thomas Corneille lorsque nous nous pencherons sur les procédés de réécriture de l’auteur et sur les choix dramaturgiques et esthétiques qu’ils révèlent.
Comme le rappelle LancasterOp. cit., p. 753.Ibrahim, Scudéry crée un personnage qui n’existait pas dans El Astrólogo fingido et le place au centre d’un épisode comique : il s’agit de Vespa, le valet de Valere, qui avoue à La Roche qu’il a dérobé de l’argent à son maître tandis que ce dernier écoute amusé la confession de son serviteur ingénu dans la pièce attenante en compagnie du Marquis françaisIbrahim, op. cit., p. 436-8.Feint astrologue, l’introduction de cet épisode purement gratuit de MendoceLe Feint astrologue comme dans Ibrahim et Jodelet Astrologue, Léonor accepte finalement d’épouser don Lope alors que chez Calderón, seuls Don Juan et Doña Maria se marient à l’issue de la pièce.
Parfois même, l’auteur cite littéralement des passages du roman de Scudéry en n’y apportant bien souvent que les changements rendus nécessaires par les besoins de la versification. La comparaison des deux passages suivants est particulièrement éclairante à cet égard :
Au lieu de son Fantosme et d’une illusion, Si quoy qu’il se cachast avec un soing extréme, A vous aller trouver je l’ay contraint luy-mesme, Puis-je mieux témoigner la force de mon Art ( Le Feint Astrologue, IV, 6, p. 95, v. 1270 et suivants)Que si au lieu de son phantosme, elle avoit veu le veritable Hortense, c’estoit une marque indubitable de la force de mon Art : qui l’avoit contraint de l’aller trouver, bien qu’il voulust être caché. (
Ibrahim, II, 2,op. cit., p. 439)
Il ne faut donc pas se laisser abuser par l’épître du Feint Astrologue qui semble minimiser l’apport de Scudéry en le réduisant à un épisode. Thomas Corneille a en réalité largement puisé à cette source romanesque. On pourra d’ailleurs en juger en se reportant à l’annexe 4 qui présente de nombreux exemples d’emprunts quasi littéraux au roman de Scudéry.
Il est certain que les emprunts au Jodelet Astrologue de d’Ouville sont beaucoup moins nombreux et plus superficiels, ne concernant ni la structure, ni la tonalité d’ensemble de la pièce. D’ailleurs, l’adaptation de d’Ouville est si proche de son modèle espagnol, tant du point de vue de la structure de l’intrigue que des caractères et même des répliques, que l’on pourrait parler à son sujet de simple imitation, et cela en dépit du transfert du rôle de l’astrologue supposé du maître à son valet, seule divergence notable qui étrangement ne modifie pas en profondeur l’intrigue espagnole. Néanmoins on ne peut douter à la suite de LancasterOp. cit., p. 753.
On retrouve en outre dans Le Feint astrologue quelques passages directement inspirés de Jodelet Astrologue, qui n’ont pas d’équivalent chez Calderon ou Scudéry, et qui témoignent de l’influence de d’Ouville bien que Thomas Corneille ne mentionne pas l’apport de ce dernier dans l’épître de sa pièce. LancasterIbid.Jodelet Astrologue, IV, 5 et Le Feint astrologue, IV, 1). L’historien relève également les passages suivants :
« J’ay désiré vous voir, et non pas vous parler. » (JA, IV, 4) et « J’ai souhaité le voir, et non pas lui parler » (FA, III, 6).
« Blasmez-moy seulement, je suis le seul coupable. » (JA, V, 7), « Je suis le seul coupable, et le seul à blâmer. » (FA, V, 2)
« Il est caché céans. / Un homme ici caché ? » (JA, V, 11 et FA, V, 10).
Ou encore :
« Chacun te montre au doigt à présent dans la ruë » (JA, III, 6), « Peu s’en faut qu’en la ruë on ne me monstre au doigt » (FA, IV, 5).
Pour plus de détails, on pourra se reporter à l’annexe 4 où nous avons fait l’inventaire des quelques citations littérales de la pièce de d’Ouville.
nostre Theatre ne souffre rien d’inutile
Épître du Feint Astrologuetelle qu’elle apparaît à partir de l’édition de 1661 (b).
Les divergences essentielles par rapport à la source principale relèvent de la transposition culturelle, esthétique et dramaturgique et concernent aussi bien le contenu que la structure de la pièce. Mais les principales différences touchent moins l’intrigue et la structure d’ensemble de la pièce (si l’on excepte la première « journée » de Calderón, largement réduite et remaniée) que « les détails et l’atmosphère de la comédie »op. cit., p. 27.
Martinenche évoque pour le louer le « désir de franciser [l] a matière » qui semble avoir présidé à la composition du Feint astrologue qui présente selon le critique « une couleur plus française »Op. cit., p. 345.comediaEl Astrólogo fingido, notamment en estompant les détails trop spécifiquement espagnols qui risquaient de ne pas trouver d’écho auprès d’un public français qui ne s’attendait finalement à retrouver au théâtre que la peinture d’une Espagne stéréotypée. Le traitement du thème de l’honneur est exemplaire à cet égardL’Honneur au théâtre, Paris, Klincksieck, 1994.
Comme l’a analysé Losada-Goya, la conception et le principe de l’honneur étaient au cœur des préoccupations de la société espagnole au XVIIe siècle. Si l’on ne peut bien évidemment pas résumer la production littéraire de l’Espagne de l’époque, comme toute production littéraire d’ailleurs, à des caractéristiques « nationales » ni considérer ces œuvres de fiction comme le miroir fidèle d’une société donnée, il est néanmoins légitime de tenter d’y déceler des traits de mentalité spécifique de l’Espagne du temps qui relèvent d’un climat culturel particulier et qui ne trouve pas forcément d’écho en deçà des Pyrénées où le système de représentations et les valeurs ne sont pas toujours les mêmes. Sans entrer dans les détails de l’histoire fort complexe des mentalités espagnoles au XVIIe siècle, histoire qui révèle les origines de l’importance de la notion d’honneur dans la société espagnoleEl Astrólogo fingido et le traitement que Thomas Corneille leur réserve dans Le Feint astrologue.
Une première approche indique qu’à plusieurs reprises, le traitement du thème de l’honneur présente de grandes similitudes dans Le Feint astrologue et dans l’original espagnol. Ces analogies fonctionnent à plusieurs niveaux, tant du point de vue de la structure de l’action que de celui du discours des personnages. En premier lieu, on retrouve dans Le Feint astrologue des traces de ce que Losada-Goya nomme l’« honneur-réputation » et qui consiste en ce qu’il n’y a de déshonneur que publicopinión de la famille » (op. cit., p. 326).Le Feint astrologue comme dans El Astrólogo fingido. Dès l’ouverture de sa comédie Thomas Corneille reprend ainsi ce motif sous la forme d’une allusion furtive dans la bouche de Philipin :
Et si le bon vieillard ne fut point survenu, J’allois sçavoir, Monsieur, tout au long le mystere ( Le Feint astrologue, I, 1, v. 10-11)
Ce surgissement intempestif du père jaloux de l’honneur de sa fille et qui guette jusqu’au commerce de la servante de cette dernière avec un autre domestique faisait l’objet d’une scène dans la première « journée » d’El Astrólogo fingido. En supprimant la majeure partie de la première « journée » de Calderón pour des raisons que nous examinerons plus loin, Thomas Corneille a néanmoins conservé sous une forme narrative cette évocation de la surveillance du vieillard. La menace paternelle oblige en outre le prétendant à user de tous les subterfuges possibles pour s’entretenir avec celle qu’il aime en toute discrétion : chez Calderón, Don Diego profite ainsi de la sortie de Doña Maria qui se rend à la messe pour lui parler (Ière « journée », v. 1009-10). Thomas Corneille met également en scène la prudence de don Fernand :
[…] cours avec adresse T’informer d’un voisin si je puis voir Lucrece, C'est à dire… PHILIPIN. J’entens. Vous craignez le vieillard. (I, 4, v. 191-3)
Enfin, dans Le Feint astrologue comme dans El Astrólogo fingido (IIème « journée », v. 1356-62), le vieillard survient au milieu d’un entretient entre sa fille et Don Diego/Don Fernand :
BEATRIX. Madame, brisez-là, j’apperçois vostre Pere. D. FERNAND. Ah, que cette rencontre estoit peu necessaire ! [scene 3] LEONARD. Quelle affaire avez-vous avec ce Cavalier ? (II, 2-3, v. 539-41)
Dans la pièce de Calderón, la première conséquence de cette surveillance du père ainsi que de l’intériorisation par la jeune fille de ce code de l’honneur, est qu’elle oblige dans un premier temps cette dernière à lutter contre ses sentiments au nom d’un honneur lié à la réputation. Mais elle y cède rapidement, sans quoi il n’y aurait évidemment pas d’intrigue. Et c’est là qu’apparaît la première divergence nette entre la pièce espagnole et la pièce française du point de vue du motif de l’honneur. Cette divergence est essentielle dans la mesure où elle détermine dans chaque cas la nature exacte de l’obstacle qui traverse l’intrigue amoureuse principale. Dans la pièce espagnole, la raison invoquée par Doña Maria pour justifier son long silence au sujet de ses sentiments pour Don Juan réside dans la sauvegarde de son « honneur-réputation » : à sa servante qui s’étonne de son intérêt soudain pour Don Juan qu’elle a jusque là dédaigné, elle avoue finalement qu’elle aime le jeune homme depuis le premier jour mais que jusque là, elle lui a caché ses sentiments car elle craignait le jugement que les gens porteraient sur son inclination (« la opinion de mi opinion », Ière journée, p. 52, v. 80). L’argument avancé par Doña Maria est que l’honneur d’une jeune fille est vite menacé par l’indiscrétion d’un jeune amant : ayant connaissance de son amour, il ne pourrait peut-être pas tenir sa langue. Le risque de perdre son honneur est ainsi présenté par la jeune fille comme l’enjeu essentiel et comme l’obstacle principal à l’intrigue amoureuse. La pièce espagnole insiste d’ailleurs sur ce point en poursuivant par une très longue entrevue entre Don Juan et Doña Maria qui donne lieu à une scène d’aveu au cours de laquelle la jeune femme finit par admettre qu’elle l’aime. Cet aveu est sans cesse retardé, interrompu par les scrupules et les hésitations de Doña Maria qui rappellent que la question de la sauvegarde de l’ « honneur-réputation » est ici l’enjeu principal. Cette dernière justifie une nouvelle fois son silence et son apparent dédain par la crainte du déshonneur et de la honte (« De mi silencio la causa … », Ière « journée », p. 64 v. 315 et suivants). Comme dans la première scène où elle expliquait les raisons de son silence à Beatriz, elle développe à nouveau longuement les risques pour une femme de perdre son honneur par l’indiscrétion de quelque serviteur, ou ami (vers 324 et suivants) : c’est que l’honneur est aussi facile à perdre qu’il est difficile à reconquérir (« y que yà la opinion es / tan dificil de ganar, / quanto facil de perder », vers 320 à 323).
Au contraire, la pièce de Thomas Corneille semble adopter très vite une toute autre perspective et la modification de la structure de la pièce espagnole y est sans doute pour quelque chose : elle s’ouvre à un moment où la jeune fille s’est déjà abandonnée à sa passion et où le temps de la résistance appartient au passé, à un avant de la pièce. Il est rapporté sous forme de récit par Lucrèce mais cette dernière avance des arguments bien différents de ceux de son modèle espagnol :
Dés l’instant qu’il me vit, s’il m’ayma, je l’aymay, Mais jugeant que mon pere en ayant cognoissance, Pour un homme sans biens auroit peu d’indulgence, J’accusay fort long-temps mes yeux de trahison, Cent fois à mon secours j’appellay ma raison.C’est nous qui soulignons. Helas, combien en vain me suis-je défenduë Avant qu’aymer en luy la vertu toute nuë ! Quels effort n’ay-je faits, jusqu’à forcer mon cœur D’affecter des mépris et s’armer de rigueur ! (II, 1, v. 362-70)
La raison avancée ici par Lucrece pour justifier ses feints mépris à l’égard de don Juan n’est plus la crainte de perdre son « honneur » et par là de déshonorer son père comme c’était le cas dans la pièce espagnole mais l’obstacle que représente la pauvreté de don Juan, relayé par le père. Certes, la pauvreté de Don Juan était également mentionnée dans la pièce espagnoleEl Astrólogo fingido, Beatrix s’étonne en effet que sa maîtresse préfère l’amoureux désargenté au riche Don Diego et qualifie plaisamment cette attitude d’attitude extravagante et invraisemblable, digne des pièces de théâtre (Ière « journée », p. 54, vers 116).Feint astrologue présentent également un souci de discrétion qui relève de la nécessité de conserver sa réputation intacte mais cet aspect est moins appuyé dans le discours des personnages français que chez leurs modèles espagnols. Ainsi les longs développements sur la sauvegarde de l’honneur avancés par Doña Maria notamment au sujet de la malveillance de certains voisins prompts à ruiner la réputation d’une jeune fille par leurs indiscrétions (Ière « journée », p. 68, v. 403-10), apparaissent également dans Le Feint astrologue mais il n’y en est fait qu’une brève mention dans le discours des valets :
Mais ne craint-elle point qu’un voisin la diffame ? Car enfin il en est qui pendant tout un mois Comme des loups garous ne dorment qu’une fois. Leur curieuse humeur tousjours les inquiete, Et si dans le quartier il est quelque amourete, Du soir jusqu’au matin ils demeurent au guet Pour tenir bon papier de tout ce qui s’y fait. BEATRIX. Pour s’en mettre à couvert, l’accord est fait de sorte, Qu’il va droit au jardin par une fausse porte (I, 2, v. 128-34)
Entre El Astrólogo fingido et Le Feint astrologue, on est ainsi passé d’un obstacle présenté comme principalement lié à la sauvegarde de l’« honneur-réputation » à un obstacle typique de la comédie essentiellement fondé sur une inégalité de fortune relayée par un père peu enclin à souffrir la mésalliance. Il s’agit bien évidemment d’une nuance de degré puisque tous ces motifs sont présents à la fois dans les deux pièces et ce n’est que l’importance que les dramaturges leur accordent dans l’une ou l’autre œuvre qui diffère.
On peut se demander pourquoi Thomas Corneille a fait subir cet infléchissement particulier à sa pièce par rapport à la comedia de Calderón. Un élément de réponse réside probablement dans la volonté de présenter clairement et directement l’obstacle à l’intrigue amoureuse sans s’appesantir dans de longues et subtiles dissertations sur l’« honneur-réputation », et de rendre cet obstacle d’emblée plus concret, plus fort, et donc plus vraisemblable que la crainte pour la réputation, c’est-à-dire pour les manifestations uniquement extérieures de l’honneur. En outre, d’un point de vue dramaturgique, même s’il restait possible pour Thomas Corneille de transposer dans la scène II, 1 certaines considérations sur l’« honneur-réputation » développées par Doña Maria au début de la comedia, le fait d’avoir supprimé la majeure partie de la première « journée » de la pièce de Calderón entraînait logiquement la suppression de la plupart des enjeux qui y étaient attachés et qui relèvent désormais d’un hors-scène dont l’évocation est inutile du point de vue de la compréhension de l’intrigue telle qu’elle se présente au début de la pièce de Thomas Corneille. En réalité, ce serait donc moins par volonté de transposition culturelle que pour des raisons de logique dramatique que l’auteur aurait gommé quelques uns de ces traits si typiques des mentalités espagnoles telles qu’elles sont mises en scène dans la comedia.
On peut également noter que le dramaturge ne met pas l’accent sur un détail significatif présent chez Calderón. À la différence de la pièce espagnole qui insiste à plusieurs reprises sur le costume de Doña Violante qui ne rend visite à Don Diego que voilée et dissimulée sous un long manteau, Le Feint astrologue néglige ce détail exemplaire de la conception espagnole de l’« honneur-réputation » des jeunes-filles qui ne peuvent avoir commerce avec des hommes sans risquer de susciter la suspicion.
En ce qui concerne les situations de « perte de l’honneur »op. cit., p. 335.comedia et conduit à plusieurs réactions : selon Losada-Goya, il s’agit d’abord de faire en sorte que le déshonneur qui touche le personnage demeure secret, toujours dans la perspective d’un « honneur-réputation » fondé sur le jugement d’autrui : cela explique la réaction de Leonardo/Léonard qui à l’issu du quiproquo au sujet du diamant promet à don Juan de garder « le secret » sur cette affaire, c’est-à-dire de ne pas le déshonorer publiquement en divulguant son vol supposé (El Astrólogo fingido, IIIème « journée », p. 230, v. 3016-17 et Le Feint astrologue, V, 2, v. 1633-4). Mais si la honte est publique, il s’agit alors de venger à tout prix cet honneur perdu, de réparer l’outrage subi. C’est ainsi l’honneur du père et celui de l’amante trahie qu’invoque Violante/Léonor lors du dénouement de la pièce, en réclamant vengeance pour l’affront subi à Leonardo/Léonard :
Je n’y viens, Leonard, que pour chercher un traistre, Et pour vous advertir qu’au mépris de ses feux Un parjure insolent nous affronte tous deux. S’il ayme vostre fille, il est adoré d’elle, Ce reciproque amour me le rend infidelle, Il est caché céans ce lâche suborneur, Faites-m’en la raison et vangez vostre honneur. (V, 10, v. 1828-34)
Lors du dénouement de la pièce espagnole justement, Leonardo apporte une autre réponse possible à la menace du déshonneur : l’« accommodement »Ibid., p. 338.Le Feint astrologue, cette question de la sauvegarde de l’honneur semble également déterminante au moment du dénouement qui comme chez Calderón, repose aussi sur la confiance aveugle du vieillard à l’égard de celui qu’il considère comme un astrologue. La comparaison des deux dénouements ne révèle donc pas de divergence essentielle du point de vue de l’honneur, si ce n’est que celui de Thomas Corneille semble édulcoré par rapport à l’original espagnol où, menacé de déshonneur, Leonardo illustre le « coup de sang » à l’espagnole et se montre particulièrement virulent vis-à-vis de sa fille dont il soupçonne la vertu (IIIème « journée », p. 244-46). Le père de la pièce française semble un peu plus mesuré et malgré ses menaces, il laisse d’abord à sa fille le bénéfice du doute avant de s’emporter :
Sois sans crime, autrement redoute mon couroux. Mais je veux me purger de ce soupçon infame, Il faut chercher par tout, allons, venez, Madame. Voyons tout le jardin. (V, 10, v. 1838-41)
Un dernier aspect lié à la conception espagnole de l’honneur apparaît de façon furtive dans la troisième « journée » de la pièce de CalderónOp. cit., p. 222.op. cit., p. 334.Ibid.
aunque vos en esta vida Mas vezes aveis temido Aspa y fuego, que apa y nieve. [Otañez] Mentis, que no soi Iudio. [Moron] Pues que, Moro ? [Otañez] Vos soys Moro, Y aun Moron, pues es lo mismo Que moro grande ( op. cit., p. 222, v. 2913-19).
La comparaison avec ces différents types d’ « infidèles », Juifs ou Maures, sonne comme une insulte aux oreilles des deux serviteurs et est ici l’occasion d’un jeu de mot fondé sur l’homophonie du nom du valet Moron avec le terme de « Moro ». Mais ce n’est probablement pas par condamnation idéologique et dans un souci de tolérance que Thomas Corneille a supprimé ce passage : outre que le jeu de mot n’était plus transposable en français dès lors que notre auteur avait changé le nom du serviteur en celui de Philipin, cet échange n’aurait renvoyé le spectateur français à aucune réalité familière et ce dernier n’aurait certainement pas saisi la portée du propos. Si bien que ce trait de mentalité spécifique de l’Espagne de l’époque et de son système de représentations propre et en outre parfaitement inutile du point de vue de l’intrigue, n’a pas été retenu par Thomas Corneille.
Globalement donc, le thème de l’honneur semble occuper un rôle moins considérable que chez Calderón, même si Thomas Corneille en exploite tout de même dans une large mesure le potentiel dramatique, en particulier lors du dénouement. Ces légères inflexions dans le traitement de ce thème contribuent à « acclimater » la pièce à la scène française par la suppression ou l’atténuation de tous les éléments susceptibles de ne pas créer d’effet auprès du spectateur français, révélant ainsi un souci d’efficacité scénique chez Thomas Corneille. Or on verra dans la suite de cette étude que ce changement d’ « atmosphère », de tonalité par rapport au modèle espagnol trouve principalement sa source dans les options dramaturgiques privilégiées par notre auteur, en particulier sous l’influence du roman de Scudéry qui avait déjà opéré une sorte de transposition de la matière caldéronienne dans le goût français.
L’intertextualité compliquant l’investigation dramaturgique, nous procèderons à une comparaison étroite du Feint astrologue avec ses sources pour pouvoir apprécier les partis-pris dramaturgiques de Thomas Corneille.
Comme dans la pièce espagnole ainsi que dans la plupart des comédies de l’époque, le sujet du Feint astrologue consiste en un amour contrarié par une série d’obstacles qui seront finalement surmontés et dont les principaux sont le père, probable opposant à une mésalliance et soucieux de son honneur, ainsi que le/la rival(e) jaloux(se) qui entreprend de se venger. Toutefois, déjà chez Calderón, mais encore plus nettement chez Thomas Corneille, cette trame amoureuse stéréotypée du genre comique passe en réalité au second plan et constitue plutôt le prétexte au déploiement de situations scéniques plaisantes qui sont autant de micro-séquences qui valent davantage pour elles-mêmes que pour leur fonction dans la progression d’une action principale à laquelle elles sont plus ou moins bien rattachées et dont nous donnerons un aperçu plus loin. Ces situations s’enchaînent à un rythme allègre et visent à divertir le spectateur par des effets de surprise ou des effets comiques.
La pièce compte 1914 vers répartis en cinq actes et quarante-sept scènes. Chaque acte compte respectivement huit, sept, huit, douze et douze scènes. D’un point de vue quantitatif, Le Feint astrologue présente une composition et une répartition de la matière assez équilibrée et homogène dans l’ensemble, puisque trois des actes de la pièce comptent entre 370 et 390 vers. Mais l’on peut toutefois noter que le premier acte est légèrement plus court avec 346 vers et l’acte quatre nettement plus long que les autres avec 428 vers
Feinte, mensonges, quiproquos, coïncidences qui plongent les personnages dans des situations embarrassantes, jalousie, obstacle du père, du rival ou de la rivale, dénouement heureux lors duquel les obstacles tombent : tels sont les modes de progression de l’action qui sont autant d’« ingrédients » dramaturgiques traditionnels repris par Thomas Corneille au dramaturge espagnol. La structure du Feint Astrologue est globalement la même que celle de la comedia de Calderón. La plupart des éléments de l’intrigue principale comme des intrigues secondaires et le déroulement de l’action y sont repris, mais la matière est parfois redisposée, surtout en ce qui concerne le début de l’œuvre. Nous en donnons un aperçu dans le tableau suivant qui compare la structure et les modes de progression de l’action dans les deux piècesEl Astrólogo fingido, l’accès au texte espagnol et l’analyse qui suit nous a été facilitée grâce à l’aide précieuse de Marie de Wever que nous tenons ici à remercier.
La pièce de Calderón ne présentant pas de division en scènes, nous en indiquerons le découpage scénique au sein de chaque « journée » en le délimitant par les vers correspondants (se reporter à l’édition établie par M. Oppenheimer, op. cit.). Nous ferons également figurer dans ce tableau les scènes ou les séquences des deux pièces qui ne modifient pas la situation dramatique et ne font pas progresser l’action (épisode gratuit, annonce de l’entrée en scène d’un personnage, simple commentaire de l’action de la scène précédente, etc.). Nous les signalerons par le signe ♦. Le signe ] indiquera qu’une intrigue est dénouée. Pour la correspondance des noms des personnages, on pourra se reporter à l’annexe 3.
Chaque intrigue sera signalée par une lettre :
a) L’intrigue amoureuse principale concernant Lucrèce/Doña Maria et Don juan.
b) L’intrigue secondaire reposant sur le conflit amoureux initial entre Don Fernand/Don Diego et Lucrèce/Doña Maria, et dont est issue l’intrigue B).
B) L’intrigue « astrologique ».
c) L’intrigue amoureuse secondaire qui concerne Don Lope/Don Carlos et Léonor/Doña Violante.
d) L’intrigue amoureuse secondaire qui concerne Léonor/Doña Violante et Don Juan.
e) L’épisode de Philipin/Moron et Mendoce/Otañez.
Du point de vue de la structure de la pièce, quelques éléments-clés se dégagent de la comparaison des deux œuvres : d’abord le nombre des intrigues est assez important chez les deux auteurs et les rapports que ces intrigues entretiennent entre elles sont relativement complexes au premier abord. En outre, les péripétiesLa Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 2001 [1ère éd. 1950], p. 85-6).Feint astrologue est plus courte que celle de la pièce espagnole. Elle s’opère principalement sous une forme narrative à travers les discussions des maîtres avec leurs serviteurs et confidents et s’étend jusqu’au début de l’acte II, alors qu’elle s’effectuait en action dans la première « journée » d’El Astrólogo fingido. Le dénouement est aussi rapide que dans le modèle espagnol et ne s’effectue que dans les deux dernières scènes de la pièce.
Quant au nœud de l’action, chaque intrigue principale ou secondaire se cristallise autour d’un conflit initié par un rapport d’opposition entre des personnages : l’intrigue a) se noue tout au long du premier acte et en II, 1 autour de l’obstacle du père et de la pauvreté de l’amant qui constituent des obstacles traditionnels de comédie facilement levés au dénouement. La fourbe astrologique initiée par l’amant éconduit et qui correspond à l’intrigue B) constitue jusqu’au quatrième acte un troisième obstacle au sein de a). L’intrigue b) se noue en I, 2 et I, 3 lorsque par l’aveu de Béatrix, Don Fernand apprend que Lucrèce s’est jouée de lui et qu’il décide alors de se venger d’elle. Les intrigues amoureuses secondaires c) et d) sont introduites dès le premier acte et sont reliées entres elles et au fil d’intrigue a) suivant le schéma traditionnel de la chaîne amoureuse : Don Lope aime Léonor qui aime Don Juan qui aime Lucrèce qui l’aime en retour. De ce point de vue, on voit déjà que Don Fernand occupe une place à part au sein de l’action générale de la pièce. Enfin l’intrigue B) qui est issue de l’intrigue b) et qui est rendue possible par la péripétie que constitue la révélation du secret de Lucrèce consentie par la servante Béatrix à Philipin (I, 2), se noue en II, 2 par un concours de circonstances plus que par un enchaînement logique au sein de l’action dramatique puisqu’elle est principalement motivée par une maladresse de Don Fernand et par sa volonté d’innocenter la servante indiscrète. Rebuté, mais surtout piqué dans sa fierté après avoir été joué par Lucrèce, Don Fernand ne peut en effet s’empêcher de montrer à la jeune femme qu’il connaît son secret et afin d’éviter que Béatrix ne soit congédiée pour sa trahison, il demande à Philipin d’inventer quelque fourbe. Ce sera la feinte astrologie. Enfin dans les deux pièces, l’intrigue e) des deux valets est épisodique et se développe indépendamment de l’action principale.
Comme dans la pièce espagnole, B), a) et d) sont les intrigues les plus développées de la pièce. Néanmoins, si l’intrigue a) reste primordiale dans Le Feint astrologue, elle y est pourtant nettement moins développée que chez Calderón où elle occupe pas moins de dix-huit séquences scéniques dont certaines sont particulièrement longuesEl Astrólogo fingido.
Un examen attentif de l’action révèle que malgré sa complexité, celle-ci s’avère finalement être assez cohérente une fois décomposée.
Afin d’approfondir l’analyse de l’action du Feint astrologue, nous reprendrons ici les catégories essentielles de l’analyse actantielle établie par UbersfeldLire le théâtre I, Belin, 1996, p. 49-79.Sémantique structurale.Les deux cent mille situations dramatiques (Paris, 1950), en particulier les p. 29-30 et 55 : « Une situation dramatique, c’est la figure structurale dessinée, dans un moment donné de l’action, par un système de forces […] » (p. 55).Le Baroque et le Classique dans le théâtre espagnol et français du XVII e siècle, p. 66 et suivantes. L’auteur y livre le schéma structural détaillé de l’action d’
Globalement, Thomas Corneille reprend à la pièce de Calderón ses configurations fonctionnelles nombreuses et relativement complexes et qui connaissent parfois des renversements singuliers propres à flatter le goût de la surprise du public de l’époque. Une divergence déterminante entre les deux pièces et relevée par M. Falska apparaît cependant dès le début de ces œuvres. Elle consiste en ce que Don Fernand est posé d’emblée, dès la première scène du Feint astrologue, comme le « sujet » de l’action principale alors que son équivalent espagnol n’apparaissait que comme « opposant » dans un schéma situationnel initial dont le « sujet » était Don Juan et l’« objet » de son désir Doña Maria. Dans cette nouvelle configuration des forces dramatiques, Don Juan devient donc un « opposant » à l’action de Don Fernand. M. Falska y voit « un renversement du point de vue par rapport à la pièce de Calderón »Ibid., p. 68.El Astrólogo fingidoEl Astrólogo fingido.
Le schéma actantiel caldéronien est aussi sensiblement différent quant à la nature du rapport fonctionnel entre les personnages de Don Juan et Don Diego. En effet, au début de la pièce espagnole, les deux hommes étaient opposés dans un rapport de rivalité amoureuse, rapport qui a disparu dès les premières scènes du Feint astrologue dans la mesure où Don Fernand y annonce d’emblée qu’il n’est plus amoureux de Lucrèce (« Aujourd’huy cet amour n’est plus rien qu’un caprice », I, 1, v. 32) et que loin de chercher à obtenir les faveurs de la jeune femme, son action consistera simplement à se venger d’elle (« Non pas que sa personne en effet me soit chere, / Mais parce que je prends plaisir à lui déplaire, / Et me vanger sur elle, en la persecutant, / De la honte que j’ay qu’on m’estime constant », I, 1, v. 35-8). Autrement dit, Lucrèce ne constitue pas pour lui l’« objet » d’un « désir » amoureux, mais vengeur.
Le schéma fonctionnel se complexifie dès le début de la pièce : M. FalskaOp. cit., p. 67.Ibid., p. 69.
Comme l’a montré M. FalskaIbid., p. 69 et suivantes.
Puis à la scène V, 3, Don Juan devient l’« opposant » de Léonor en lui avouant qu’il ne l’aime pas, même si cette opposition ne devient effective qu’à la scène V, 5, au moment où Léonor en prend réellement conscience après avoir été pour la seconde fois désabusée par Don Lope à ce sujet. Cette dernière devient alors l’« opposant » au désir de Don Juan dans la scène V, 5, et l’« adjuvant » de Don Lope en décidant de l’épouser alors que chez Calderón, la jeune femme ne consent jamais à donner sa main à Don Carlos (v. 1718-24 : « Leonor est à vous, je vous promets ma foy, / Mais pour servir ma hayne, et vanger mon injure, / Je ne vous la promets que devant ce parjure, / Ruinant son amour, et vous donnant la main, / Je veux qu’il se repente, et se repente en vain, / Qu’il me voye à regret entre les bras d’un autre, / Que son bonheur détruit establisse le vostre » ). Si bien qu’au seuil du dénouement, le dramaturge crée comme son modèle espagnol un certain effet de suspens ménagé par les deux menaces incarnées par les opposants au mariage que sont le père et Léonor, l’amante éconduite et bafouée qui désire se venger.
Au cours du dénouement, cette situation critique pour les amants se dénoue comme on l’a vu par un renversement de situation : suivant les conseils de Don Fernand, devenu « adjuvant » de Don Juan, Leonard accepte finalement d’accorder la main de sa fille à ce dernier, abandonnant ainsi sa fonction d’« opposant ». Don Juan obtient donc l’« objet » de son désir tout comme Don Lope qui, à la différence de son modèle espagnol épousera Léonor dont la tentative de ruiner le bonheur de Don Juan restera vaineIbid., p. 70.
Ce rapide aperçu des grandes lignes du schéma actantiel de la pièce analysé par M. Falska et repris ici, révèle qu’en dépit de certaines modifications dans les configurations fonctionnelles, Le Feint astrologue présente comme son modèle espagnol une grande complexité de situations dans lesquelles les personnages peuvent parfois assumer plusieurs fonctions à la fois ou encore changer brusquement de fonction (Don Fernand en est l’exemple le plus représentatif et le plus singulier), modifiant ainsi le rapport de force et faisant passer de manière inattendue d’une situation dramatique à une autreibid., p. 71).
Comme l’a fait apparaître Oppenheimer à propos d’El Astrólogo fingido dans l’introduction de son édition critique de la pièce espagnoleOp. cit., p. 12 et suivantes. Nous reprenons ici certains éléments de l’analyse d’Oppenheimer qui nous semblent parfaitement applicables au Feint astrologue du fait de la grande proximité de structure entre les deux œuvres.burla espagnole), qu’elle soit réelle ou potentielle, à tel point que l’on peut dire que la pièce entière comme son modèle espagnol repose sur le principe de la feinte généralisée, à la fois comme motif et comme ressort de l’action.
Le Feint astrologue débute ainsi par l’intrigue secondaire (b) qui concerne la relation entre Don Fernand et Lucrèce. Celle-ci ne cesse de le repousser en le trompant sur la véritable raison de ses mépris, qui n’est autre que son amour pour Don Juan. Il s’agit donc bien d’une fourbe dans la mesure où Don Fernand est la dupe de la jeune femme qui lui cache qu’elle en aime un autre. Lorsque ce dernier saura qu’il a été trompé, il cherchera à se venger et de là naîtra indirectement l’intrigue B) qui correspond à la fourbe principale de la fausse astrologie.
La seconde intrigue qui se met en place dans la pièce concerne l’amour de Don Juan et de Lucrèce. Il s’agit de l’intrigue amoureuse principale (a), qui constitue une sorte de toile de fond, de trame sur laquelle viendra se greffer l’intrigue « astrologique » B). Selon OppenheimerIbid., p. 12.
À la suite d’Oppenheimer, on remarque que les deux autres intrigues amoureuses secondaires apparaissent également liées dès le premier acte à des fourbes réelles ou potentielles. La première, c), qui concerne l’amour secret de Don Lope pour Léonor repose sur le fait que l’amant est persuadé que son ami Don Juan est aussi épris de la jeune fille, de sorte qu’il est sans cesse tiraillé entre sa fidélité à son ami et la possibilité de le trahir pour obtenir les faveurs de sa belle. C’est pourquoi Oppenheimer voit ici une fourbe potentielle. Nous précisons que cette fourbe devient effective à partir de la scène II, 7 où Don Lope cherche à trahir indirectement son ami auprès de Léonor, ainsi qu’à la scène IV, 6 où Léonor fait allusion à une révélation par Don Lope du secret de Don Juan qui a eu lieu hors-scène. Enfin, la dernière intrigue amoureuse secondaire d) qui concerne l’amour de Léonor pour Don Juan s’articule également autour d’une feinte. Ignorant son amour pour Lucrèce, Léonor est maintenue dans l’erreur par Don Juan qui prend soin de lui laisser croire qu’il l’aime.
À l’acte II, la fourbe de la feinte astrologie (B) est mise en place et elle absorbeengloutir) pour désigner ce phénomène (op. cit., p. 12).El Astrólogo fingido, B) est en effet à l’origine de multiples séquences et fourbes secondaires qui sont autant de conséquences directes de la crédulité des personnages. Parmi ces fourbes secondaires découlant de la supercherie initiale et englobante de la feinte astrologie, on relève par exemple la séquence du faux spectre. De la même façon, l’affaire du bijou perdu que Don Fernand feint de retrouver grâce à sa science constitue une supercherie secondaire au sein du stratagème englobant de l’intrigue B). Autre mensonge qui repose sur l’adhésion des personnages à la fourbe « astrologique », mais d’une moindre importance dramatique cette fois, celui de Don Fernand qui en IV, 6 fait croire à Léonor qu’elle est aimée de Don Juan dont l’indifférence ne serait qu’une feinte destinée à éprouver son amour. Comme on l’a vu précédemment, Don Fernand mettra finallement sa fourbe au service des amours de Lucrèce en dénouant heureusement l’intrigue a) après l’avoir traversée à maintes reprises au cours de l’action.
À la suite d’OppenheimerIbid, p. 15.Le Feint astrologue comme dans son modèle espagnol, la « clé de voûte » de l’action de la pièce : du point de vue de la macro-structure comme des micro-structures et du contenu verbal, son emploi est systématisé dans les deux pièces
En quel estonnement aujourd’huy me trouvay-je ? A peine puis-je encor rassembler mes esprits Tant mes sens sont ensemble et confus et surpris. (II, 7, v. 716-718) Quelle confusion, et quel charme est-ce cy ! (III, 8, v. 1089) Resvay-je […] ? (V, 2, v. 1625) Vit-on jamais une telle surprise ? (V, 2, v. 1635)
Les personnages égrènent ainsi au cours de la pièce ces éternelles questions ou exclamations que J. RoussetLa Littérature de l’âge baroque en France, Circé et le Paon, Paris, Corti, 1954, p. 66.
Il est couramment admis par la critique traditionnelle que le théâtre espagnol du XVIIe siècle relève de l’esthétique baroque tandis que la production dramatique française de la même période est dominée par l’esthétique classique. Or cette bipartition est loin d’être effective en ce qui concerne le théâtre français du premier XVIIe siècle qui présente un grand nombre de traits baroques qui coexistent selon un équilibre variable d’une pièce à l’autre avec le souci naissant des règles classiques globalement fixées à partir de 1640. Comme le souligne d’ailleurs J. Rousset, entre baroque et classique, « les oppositions […] sont plus tranchées [dans la doctrine classique] que dans les œuvres où le partage des eaux ne se fait pas toujours avec nettetéIbid., p. 245.Le Feint astrologue où souci des règles et traits « irréguliers » s’entremêlent souvent. On pourra ainsi observer que la pratique dramaturgique de Thomas Corneille est exemplaire de la porosité de toutes ces tendances et qu’elle témoigne de la grande liberté qui régit encore la production théâtrale de l’époque et surtout de l’écart entre doctrine affichée et pratiques réelles. La deuxième version de l’épître de la pièce est révélatrice à cet égard : tout en manifestant sa conscience des règles, Thomas Corneille y admet avoir prolongé la scène IV, 12 d’une séquence superflue du point de vue de l’action. Suivant le principe de la captatio benevolentiae l’auteur cherche à justifier auprès de son lecteur cet écart par rapport aux exigences classiques du temps en invoquant l’héritage de Scudéry dont il a tiré l’épisode de Vespa auquel il fait ici référence :
j’espère […] que vous me pardonnerez plus facilement l’incident de Mendoce, qui n’estant qu’un Episode superflus, semble n’être pas assez considérable pour occuper un moment l’attention de l’Auditeur. Aussi, comme je sçay que nostre Theatre ne souffre rien d’inutile, je ne l’aurois pas hazardé avec tant de confiance, si je n’avois eu pour moy l’exemple d’un de nos plus Illustres Autheurs, qui ayant accomodé le sujet de cette agreable Comedie dans son Illustre Bassa aux galanteries du Marquis Français, n’a pas dédaigné d’y employer la fourbe d’un valet qui abuse de la simplicité de l’autre. Il est vray que la narration blesse moins qu’un spectacle de cette nature, mais aussi tout le monde n’a pas le discernement si juste que vous l’avez, et ce qui est effectivement un defaut, quoy qu’il ne manque jamais de l’être pour vous, l’est souvent pour peu de personnes.
Épître de la pièce telle qu’elle apparaît à partir de l’édition de 1661. Losada-Goya précise que Thomas Corneille « [s’y] défend d’une liberté qu’il a prise par rapport aux exigences qui étaient alors celles du théâtre français, et non par rapport à son modèle. En effet, cette scène se trouvait déjà dans El astrológo fingido[…]. » (Losada Goya,Bibliographie critique de la littérature espagnole en France au XVII, Genève, Droz, 1999, p. 86)esiècle
Même si l’auteur choisit ici d’invoquer le passage de sa pièce qui est certainement le plus représentatif de la liberté qu’il a prise à l’égard des règles, il est amusant de mesurer la distance entre cette justification ponctuelle et conventionnelle et la réalité de l’œuvre dans son entier qui comme nous l’avons déjà entrevu présente bien plus d’un aspect « irrégulier ». Car s’il atténue quelque peu la dimension baroque de son modèle espagnol en l’adaptant au goût classique, Thomas Corneille en conserve par ailleurs un grand nombre de traits.
Nous ne prétendons évidemment pas fournir ici une définition fixe et définitive des notions de baroque et de classique dont la plupart des critiques s’accordent d’ailleurs à reconnaître le caractère mouvant et complexe. Comme l’écrit ainsi Rousset, « [l] ’idée de baroque est de celles qui vous fuient entre les doigts ; plus on la considère, moins on l’appréhende » tant « la notion [est] confuse et mal délimitéeL’intérieur et l’extérieur. Essais sur la poésie et sur le théâtre au XVIIe siècle, rééd. 1976, p. 248.Feint astrologue, selon le mot de Rousset. Nous tenterons plutôt d’évaluer le degré de présence et l’importance esthétique et dramaturgique au sein de la pièce d’un ensemble de traits traditionnellement identifiés comme baroques à une époque où s’affirment en France un ensemble de préceptes qui semblent relever d’une esthétique toute contraire.
Pour caractériser la catégorie du baroque, on retiendra par exemple les principes de mouvement, d’instabilité, de contrastes, d’illusion, d’inconstance, d’imprévisibilité, de métamorphose ou encore d’abondance. Du côté de l’esthétique classique, on retrouvera à l’inverse des notions telles que la stabilité, la cohérence, la simplicité, la clarté ainsi que la « régularité ». Tous ces thèmes qui manifestent différentes tendances esthétiques et idéologiques trouvent leur expression dans notre pièce à travers des motifs, des procédés et des structures dramaturgiques caractéristiques qui permettent de parler à propos du Feint Astrologue d’un « entre-deux » esthétique entre baroque et classique dont nous examinerons les implications dramaturgiques.
Nous reprenons globalement ici les analyses et les critères retenus par M. Falskaop. cit. Voir en particulier les pages 21 à 23 et le chapitre III (« Les catégories du baroque et du classique dans les comédies de Calderón et ses imitations par Thomas Corneille » ) p. 27 à 53.Le Feint astrologue, en sélectionnant ceux qui nous semblent les plus judicieux et opérationnels pour l’analyse dramaturgique qui nous occupe.
Du point de vue de la structure de l’action dans Le Feint astrologue, on relève d’abord à la suite de M. FalskaIbid., p. 31.Feint astrologue sont non seulement nombreuses, mais aussi complexes. En outre, le rythme accéléré de l’enchaînement des péripéties peut être considéré comme l’expression du principe baroque de dynamisme dans la pièce. Cet enchaînement dynamique des péripéties observé au cours de l’étude de la structure et du déroulement de l’action du Feint astrologue est principalement suscité par l’intrusion incessante du hasard dans la comédie.
Le hasard constitue un autre motif typique du baroque et caractéristique de la comedia. Il se manifeste dans le déroulement de l’intrigue à travers l’imprévu et la coïncidenceIbid., p. 29 et 32.Le Feint astrologue où il favorise les situations inattendues et embarrassantes. C’est le cas en général à chaque apparition imprévue d’un personnage, qu’elle soit inopportune ou au contraire providentielle. Comme dans El Astrólogo fingido, c’est le plus souvent le père jaloux de l’honneur de sa famille (II, 3 ou encore IV, 2), la rivale jalouse (par exemple en V, 3 avec le personnage de Léonor), mais aussi l’arrivée du valet qui dispose d’informations permettant de tirer son maître des situations les plus embarrassantes (c’est le cas par exemple à la scène IV, 9). À la fin de la pièce les péripéties que constituent les entrées en scène successives du père et de la rivale jalouse précipitent d’ailleurs le dénouement. Ainsi, excepté lors de la décision finale de don Diego/Don Fernand de favoriser le mariage des deux amants, l’action ne progresse presque jamais par des décisions prises par les personnages mais plutôt par des évènements imprévus qui leurs sont extérieurs, comme c’était d’ailleurs traditionnellement le cas dans la plupart des comédies d’intrigue « à l’espagnole ». En tout cas, ces péripéties issues du hasard et fondées sur les apparitions imprévues de personnages qui changent la donne et font ainsi progresser l’action devait assurément flatter le goût de la surprise du public de l’époque.
Comme illustration du motif baroque de l’illusion, on peut dégager à la suite de M. Falska tous les procédés dramatiques relevant de la distorsion entre apparences trompeuses et réalité fuyante, tels que les feintes et les mensonges, les méprises et autres malentendus en tous genres ainsi que les personnages qui se cachent et les phénomènes de théâtre dans le théâtre que nous qualifierons de « surthéâtralité baroque ». Tous ces procédés ressortissant au principe de l’illusion sont à l’œuvre dans Le Feint astrologue comme dans son modèle. Les jeux de la vérité et du mensonge y sont constants et revêtent plusieurs aspects.
En ce qui concerne le procédé du personnage caché pour épier ou pour éviter d’autres personnages, il apparaît à plusieurs reprises dans la pièce, mais comme chez Calderón, il n’a pas d’implication dramatique déterminante. Si par exemple Don Louis assiste caché à plusieurs scènes (en III, 1 par exemple), ce n’est que pour permettre l’économie d’une scène répétitive où il s’agirait pour les besoins de l’action de rattraper le retard informationnel du personnage. Quant à la dissimulation de Don Juan dans le jardin à partir de la scène V, 8, elle ne fait que retarder le dénouement de quelques scènes sans profondément modifier la situation.
C’est d’abord à travers les motifs du mensonge et de la feinte qui consiste à dissimuler ce que l’on est vraiment en se faisant passer pour ce que l’on n’est pas, que le motif de l’illusion apparaît au cœur de la pièce, comme en témoigne son titre. Comme on l’a vu précedemment à travers les analyses d’Oppenheimer, la structure de la pièce repose d’ailleurs entièrement sur ce procédé de la feinte, qui plus qu’un simple motif a ici une importance dramatique de premier plan. On l’a vu, chaque fil d’intrigue repose sur une ou plusieurs fourbes relayées par un grand nombre de mensonges secondaires et celle de la fausse astrologie absorbe progressivement tous les aspects de la pièce jusqu’à constituer la matrice de l’action toute entière. Mais si cette feinte est abandonnée et révélée au dénouement dans El Astrólogo fingido, tel n’est pas le cas dans la comédie de Thomas Corneille ou la mystification semble devoir se prolonger après la fin de la pièce. Sur ce point, nous ne souscrivons donc pas à l’analyse de M. Falska selon laquelle le dénouement de Thomas Corneille laisserait présager « une transition du plan du faux à celui du vrai parce que le protagoniste s’applique à étudier l’astrologie »op. cit., p. 37.
Le procédé dramaturgique de la méprise est également largement utilisé par les deux auteurs. Le Feint astrologue présente ainsi comme son modèle une grande variété de mises en œuvre du procédé. La pièce livre le spectacle de personnages plongés dans l’erreur et s’obstinant dans la crédulité, aveuglés par les apparences qu’ils sont prompts à prendre pour la réalité, non pas dans une perspective instructive de réflexion autour de la vanité des apparences, mais plutôt pour faire de ce manque de discernement le support et le moteur de situations divertissantes. À la suite de M. FalskaIbid., p. 38.El Astrólogo fingido comme dans Le Feint Astrologue : Don Juan se rend chez Doña Violante/Leonor qui croît avoir affaire à un spectre, et il interprète à tort comme l’expression du ressentiment de la jeune femme après sa trahison, ce qui est en réalité une réaction de terreur de la part de cette dernière (III, 8 dans Le Feint Astrologue). Puis ce sont Don Juan et Leonardo/Léonard qui se méprennent lors d’un double quiproquo au sujet du diamant perduAulularia de Plaute.Le Feint Astrologue). Enfin, doña Violante/Leonor se méprend sur sentiments de don Juan quand elle interprète le mépris de ce dernier à son égard comme le signe de sa jalousie et d’une mise à l’épreuve de son amour pour lui (V, 3, dans Le Feint Astrologue). Le clin d’œil métathéâtral constitue également l’une des manifestations du motif de l’illusion dans la pièce.
le monde est un théâtre où tout change et rechange, et l’homme, un Protée jamais semblable à lui-même
J. Rousset, La littérature de l’âge baroque en France, p. 49.
Cette caractérisation de la pensée baroque avancée par J. Rousset souligne l’importance de la notion de théâtre comme paradigme privilégié de l’esthétique baroque. Dans cette perspective on peut imaginer que le procédé de dédoublement métadiscursif si courant dans le théâtre de l’époque et reposant sur un jeu de miroirs plus ou moins subtil, devait être en affinité avec le goût baroque du public de l’époque. Dans Le Feint astrologue, il consiste le plus souvent à jouer sur l’équivoque de termes tels que « pièce » ou « rôle » qui peuvent renvoyer à la fois à la fourbe menée par certains personnages, mais également aux acteurs réels et à l’œuvre théâtrale qui se joue sur scène. Cette réflexivité topique du théâtre sur sa propre pratique relève du clin d’œil complice adressé au spectateur. On retrouve sans cesse des allusions aux pièces que les personnages montent à l’intérieur de la pièce-cadre. Dans la scène I, 1 par exemple, le dédoublement opéré dans la réplique de Philipin fonctionne comme clin d’œil complice adressé au public (« Je sçay quel est mon roole, et je le joüeray bien. » ). Ou encore en II, 5 où Don Louis exhorte son ami à prolonger la fourbe tout en insistant sur sa dimension théâtrale (« Faites la piece entiere, il admirera tout ; / Il vous seroit honteux qu’elle fust imparfaite » ). De ce point de vue, c’est la comédie dans son ensemble qui se trouve perçue comme une feinte : le motif de la tromperie de la fausse magie apparaît ainsi clairement dans la pièce comme métaphore du théâtre et le personnage de Don Fernand comme métaphore sur scène du dramaturge, grand agenceur des effets de feinte. Si l’on excepte l’impulsion initiale donnée par Philipin au mensonge, c’est en effet Don Fernand qui manipule dans toute la pièce la réalité des personnages qu’il abuse et qui domine les situations qu’il agence au gré de ses humeurs, tel un metteur en scène. En un mot, c’est lui qui, secondé par ses complices, détient le pouvoir de manipulation : il est créateur d’illusions dans un processus de mise en abyme de la pratique théâtrale. Il partage d’ailleurs cette supériorité avec le spectateur témoin des ficelles de la fiction qu’il construit sous ses yeux. Certes, la feinte théâtrale est un genre de fiction librement consentie et en cela le spectateur n’en est jamais véritablement la dupe. Mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit dans les deux cas d’introduire à une réalité fictive, manipulée, de construire un monde virtuel à l’intérieur du monde réel. Le plaisir spécifique de ce type de clin d’œil métadiscursif naît en tout cas de la complicité qu’il introduit entre le spectateur et le trompeur, seuls capables de distinguer le vrai du faux, la réalité des apparences trompeuses. L’impression de supériorité et de perspicacité par rapport aux personnages trompés suscite chez le spectateur un sentiment de satisfaction. Ce mécanisme est d’autant plus opérant dans Le Feint astrologue que la feinte ne fait finalement l’objet d’aucune condamnation morale et se trouve au contraire valorisée par son association au plaisir galant de la gageure, comme nous le verrons plus loin.
Avec la pièce qu’il joue à Mendoce à partir de la fin de l’acte IV, Philipin apparaît en outre comme une sorte de troisième figure de dramaturge dans la pièce, après son maître et l’auteur lui-même. La pièce est ainsi en quelque sorte « triplée » de l’intérieur puisque la fourbe du valet « s’emboîte » dans celle de son maître qui s’intègre elle-même dans la pièce-cadre. Ces « représentations intérieures »La littérature de l’âge baroque…, p. 70).
Du point de vue de la structure, les éléments superfétatoires tels que les séquences gratuites qui ne font pas progresser l’action et qui sont principalement liées aux frasques du valet peuvent être rattachées à une vision baroque de l’œuvre où le décor primerait. Lorsque la fonction de telles séquences était purement divertissante chez Calderón, Thomas Corneille les a souvent reprises. L’exemple le plus représentatif se situe à la scène IV, 11 et à partir de la scène V, 6 jusqu’au dénouement : il s’agit de l’épisode burlesque de fausse magie au cours duquel Philipin joue un mauvais tour au valet Mendoce en lui faisant croire qu’il va l’envoyer par enchantement jusque dans son pays. Thomas Corneille va même jusqu’à intégrer à cette séquence superflue déjà fort étendue dans sa pièce l’épisode comique de Vespa précédemment évoqué et emprunté à Scudéry, qui était tout aussi inutile pour la progression de l’action.
S’il reste le plus souvent très proche de la comedia de Calderón, Thomas Corneille réorganise néanmoins la matière dans le sens d’une réduction et d’une plus grande concentration et semble chercher bien souvent à adapter son modèle à l’esthétique classique qui se manifeste à travers la série de « règles » formulées depuis les années trente par différents théoriciens. Mais des caractéristiques classiques comme baroques apparaissant mêlés dans les deux œuvres, on ne peut voir dans l’adaptation de Thomas Corneille la manifestation d’un processus de « classicisation » d’une œuvre qui serait purement baroque, car la pièce de Calderón présente déjà de nombreux traits considérés comme « réguliers » en deçà des Pyrénées et celle de Thomas Corneille va parfois jusqu’à amplifier la dimension baroque du modèle comme on a pu l’observer à propos de l’amplification de l’épisode de Mendoce ou encore au sujet du dénouement ouvert de la pièce là où l’usage classique privilégierait un dénouement bouclé sans débordement de l’action hors des limites de la pièce. Encore une fois, on remarque bien que la dimension baroque comme la dimension classique ne se trouve pas exclusivement d’un côté ou de l’autre des Pyrénées.
Les principaux critères de la doctrine classique qui serviront de point de référence à cette analyse sont l’unité (d’action, de lieu, de temps) et la cohérence avec dans le cas idéal un strict enchaînement logique des scènes, sans épisode gratuit, sans recours à des évènements imprévus pour faire avancer l’action jusqu’au dénouement et avec des intrigues liées entre elles et à l’action principale.
Par unité d’action, la doctrine classique entend moins action unique qu’ensemble d’actions subordonnées à l’action principale. C’est en ce sens que J. Scherer préfère parler d’ « unification de l’action » plutôt que d’ « unité d’action »La dramaturgie classique en France, Nizet, p. 92-4.Feint astrologue présente à cet égard une certaine complexité déjà amplement évoquée plus haut, en dépit de l’affirmation de Martinenche selon laquelle « Le Feint Astrologue (1648) a au moins le mérite de nous montrer chez Thomas Corneille une juste préoccupation de clarté et de simplicité »op. cit., p. 344.El Astrólogo fingido était déjà constituée de plusieurs fils d’intrigue le plus souvent liés entre eux et dépendants de l’intrigue principale de la feinte astrologie.
Dans cette perspective d’« unification » de l’action, l’auteur retranche la majeure partie de la première « journée » d’El Astrólogo fingido, dont les longues scènes d’ouverture essentiellement axées sur l’intrigue amoureuse de Don Juan et Doña Maria, font désormais l’objet de récits qui ponctuent l’exposition jusqu’à l’acte II. Par le récit que fait Lucrèce en II, 1 dont le caractère synthétique est justifié par le fait que Beatrix a assisté à l’entretien des deux amants (« Tu l’as veu, tu le sçais », « Mais à quoy m’arrester, tu vis nostre entretien » ), le dramaturge fournit au spectateur dans le cadre de l’exposition les informations nécessaires à la compréhension de la situation, tout en évitant les longues scènes initiales de la pièce de Calderón. Dans la même perspective de concentration de l’action, les nombreux développements poétiques de la pièce espagnole, inutiles du point de vue de l’action, ont été évacués par l’auteur, ainsi que les éléments répétitifs. À titre d’exemple, tandis que Moron livre à son maître la troisième version de la description des rendez-vous nocturnes des deux amantsEl Astrólogo fingido, v. 861-942), Thomas Corneille évite que Philipin n’en révèle les détails à Don Fernand sur scène, probablement pour éviter une répétition inutile des modalités de ces entrevues, déjà détaillées dans la scène I, 2 par Beatrix. On devine que Philipin livrera ces informations à son maître hors-scène, puisque ce dernier y fera allusion auprès de Lucrece en II, 2 (v. 430-437). De même, chez Calderón et d’Ouville, la servante Beatriz/Nise fait le récit sur scène de l’affaire du diamant perdu à Moron/Jodelet afin que ce dernier prévienne son maître en lui épargnant ainsi un nouvel embarras. Chez Thomas Corneille au contraire, cette séquence est évoquée par Philipin comme ayant eu lieu hors-scène (IV, 9), ce qui évite une scène répétitive du point de vue d’un contenu informationnel dont les spectateurs disposent déjà à l’issue de la scène IV, 4. On peut également noter que Thomas Corneille n’a pas repris un procédé comique purement gratuit de la pièce espagnole. Au début de celle-ci, Calderón procède à une amplification comique du mensonge au sujet du début des rendez-vous nocturnes des amants. Ainsi, dans le détail que Moron livre à son maître des entrevues des deux amants, il falsifie quelque peu la vérité, en affirmant que ce commerce nocturne dure probablement depuis plus d’un an (vers 894-895) alors qu’il vient juste de se mettre en place ! son maître modifie à son tour la vérité en affirmant auprès de son ami Don Antonio que les rendez-vous nocturnes des deux amants durent depuis deux ans. Enfin Don Carlos confirme ces informations à Don Antonio, mais il affirme qu’en réalité, les deux amants se rencontrent la nuit chez Doña Maria depuis trois ans et demi. Le mensonge poursuit donc sa progression par propagation et amplification dans la pièce espagnole. Thomas Corneille fera l’économie de ce procédé d’amplification comique parfaitement superflu du point de vue de l’intrigue, probablement afin de ne pas disperser l’attention du spectateur dans une exposition déjà chargée en informations du fait du rattrappage informatif rendu nécessaire par la suppression du début de la pièce espagnole.
Dans la même perspective de réduction des éléments non nécesssaires à l’intrigue, les dialogues se trouvent aussi expurgés des nombreux passages poétiques et galants du modèle espagnol dont la fonction était purement « ornementale ». À titre d’exemple, on peut noter que lorsque le Don Diego de la pièce espagnole aborde Doña Maria au début de la seconde « journée », il se lance dans un long développement poétique topique où il compare sa passion pour la jeune femme à un feu qui, sans cesse éteint par le vent, se rallume toujours tel le Phoenix renaissant de ses cendres. Et à l’instar du papillon qui s’obstine à voler autour de ce feu en dépit du risque de s’y voir consumer, il affirme que son amour aveugle tourne autour du soleil présenté comme métaphore de la dame aimée (v. 1021-1035). Thomas Corneille ne reprend pas ces développements poétiques qui occupent le début de la scène chez Calderón. Le dramaturge français les remplace en effet par un vif échange stichomythique entre les deux personnages dont les répliques se répondent par des jeux de rebondissement sur les termes qui traduit la tension de leurs rapports au seuil d’une péripétie déterminante pour la suite de l’action (II, 2). En éliminant les éléments poétiques purement ornementaux de la pièce espagnole, Thomas Corneille met donc davantage l’accent sur la tension dramatique au sein de cette scène pivot du point de vue de l’intrigue.
En somme, comme on a pu le voir dans l’examen de la structure, l’intrigue est nettement plus resserrée que dans la pièce espagnole, concentrée autour de l’action principale de la fourbe du feint astrologue, qui capte l’attention là où Calderón développait longuement une intrigue amoureuse et romanesque qui passe au second plan chez Thomas Corneille, évacuant ainsi une grande partie de la comedia de Calderón qui ne dédaignait pas de s’attarder sur les scènes d’échange entre les amants qui laissaient libre cours à des développements poétiques et galants purement gratuit au regard de l’action.
Ce « resserrement » général des fils de l’intrigue, cette plus grande cohérence, n’empêchent pas cependant notre auteur de maintenir et même de développer certains épisodes gratuits et superfétatoires par rapport à l’action principale, comme nous avons pu le constater précédemment avec l’épisode de Philipin et Mendoce qui est sans incidence sur le déroulement de l’action principale. En dépit du caractère gratuit de l’épisode plaisant, le dramaturge « ne résiste pas au plaisir d’une ‘scène à faire’ »op. cit., p. 91.Le Feint astrologue comme son modèle espagnol présente une structure d’action qui fait la part belle au hasard : les deux pièces accordent en effet un rôle déterminant à l’imprévu et à la surprise dans le déroulement de l’action qui progresse par un assez grand nombre de péripéties. En outre, comme chez Calderón, ce déroulement s’avère parfois discontinu chez Thomas Corneille comme en témoignent par exemple les atermoiements qui agitent l’intrigue b) dans les deux pièces et auxquels on assiste au cours de l’acte IV du Feint astrologue avec les trois revirements successifs de Don Fernand.
Il n’en demeure pas moins vrai que Thomas Corneille a manifestement cherché, à conformer sa pièce aux exigences des « règles » et que si l’on peut difficilement parler d’unité d’action stricte dans Le Feint astrologue, on peut néanmoins y constater une tentative dans cette voie. Mais dans la mesure où le choix de la reprise d’un tel modèle avec sa matière fondamentalement baroque, vouait d’emblée toute entreprise de « classicisation » à rester somme toute assez superficielle, on sent bien que la démarche de « régularisation » en tant que telle ne constituait pas le principe recteur du travail de réécriture de Thomas Corneille qui manifeste au contraire une grande liberté à cet égard en privilégiant toujours les effets scéniques aux exigences de la doctrine.
Ce dernier semble également chercher une plus grande concentration temporelle, puisqu’il réduit la durée de l’action de la pièce à environ vingt-quatre heures réparties en deux journées, là où Calderón faisait tenir l’intrigue en trois jours, qui, comme le souligne M. FalskaOp. cit., p. 50.comedias espagnoles. La mise en récit de l’action qui occupe la majeure partie de la première « journée » chez Calderón contribue à cette concentration temporelle. L’auteur réalise donc ici l’« l’unité de temps » que les théoriciens classiques ont formulée et qui consiste en une action ne dépassant pas vingt-quatre heuresop. cit., p. 50.
Là où Calderón multipliait les changements de lieu (cf. plus haut le tableau de comparaison du déroulement de l’action dans les deux pièces), et donc les décors, Thomas Corneille a plutôt tendance à les restreindre et propose un lieu relativement concentré, le plus souvent une rue de Madrid, près de la maison de l’héroïne et de son jardin, même si certaines scènesOp. cit., p. 51-52.
On l’a vu, Thomas Corneille suit assez fidèlement son modèle. Or le recours récurrent chez Calderón au motif du hasard comme ressort de la progression de l’action constitue d’emblée un obstacle structurel à la vraisemblance. Mais dans la mesure où c’était alors précisément l’extravagance des intrigues et les surprises qui charmaient le public, il n’était bien évidemment pas question pour l’adaptateur Thomas Corneille de gommer la fantaisie de son modèle de ce point de vue. En revanche, il semble qu’il ait tenté d’atténuer l’extravagance du comportement de certains personnages en le motivant davantage par rapport à la pièce espagnole. Le cas le plus révélateur est sans nul doute celui de Don Fernand dont Thomas Corneille semble avoir tenté de motiver plus solidement les revirements inattendus.
La vraisemblance : les situations dramatiques, bien souvent fruits du hasard, demeurent donc tout aussi extravagantes que dans la comedia de Calderón. Une invraisemblance importante demeure en particulier dans Le Feint astrologue : toute l’action principale, celle de la fourbe de l’astrologie feinte, n’est justifiée par le héros contre toute vraisemblance que par la crainte de porter préjudice à la suivante indiscrète qui risquait d’être renvoyée si sa maîtresse avait appris sa trahison. L’acte inaugural de l’intrigue principale de la pièce (B) contrevient donc à la vraisemblance. En outre, Thomas Corneille ne reprend pas un détail présent chez ses prédécesseurs, qui motivait pourtant avec plus de vraisemblance la présence en scène du personnage de Don Fernand lors du dénouement : ceux-ci justifiaient en effet l’irruption finale du faux astrologue dans le jardin par une invitation à « dîner » formulée par le vieillard au cours de la pièce ou du roman.
Malgré tout, le dénouement du Feint Astrologue constitue incontestablement une version « améliorée » des dénouements présents chez les prédécesseurs du point de vue de la vraisemblance et de la cohérence de l’intrigue. Chez d’Ouville comme dans Ibrahim, il n’y est pas question de prophétie et le choix du vieillard d’accorder la main de sa fille au jeune amant ne se fonde que sur le conseil du Marquis/Timandre, seulement par amitié pour ce dernier et non en vertu d’un savoir astrologique dont ce personnage ne dispose d’ailleurs pas dans Jodelet Astrologue puisque c’est son valet qui y assure le rôle de faux astrologue. Ce choix final du père est donc bien faiblement motivé chez d’Ouville qui ayant choisi de confier le rôle de l’astrologue supposé à un serviteur, ne pouvait plus dès lors utiliser le ressort de la prédiction du mauvais mariage comme justification de la décision du vieillard, dans la mesure ou il aurait été contraire à la vraisemblance et à la bienséance que celui-ci demande conseil à un valet dans une telle situation. Si bien que chez d’Ouville, cette décision ne se fonde que sur l’amitié du vieillard pour Timandre dont il suivra les conseils :
[ARIMANT
à Timandre.] En cette extremité, Monsieur, que doy-je faire ? / [TIMANDRE] Puisqu’ils s’aiment si fort, il les faut satisfaire, / Approuvez leurs amours et secondez leurs vœux. / [ARIMANT] Bien, pour l’amour de vous, Timandre, je le veux. (Jodelet AstrologueV, 11, p. 138)
Au contraire, chez Thomas Corneille comme chez Calderón, le choix de Leonard est d’autant plus motivé qu’il se fonde simultanément sur le conseil d’un ami astrologue et sur une prédiction que ce dernier a formulée dès le second acte de la pièce. Mais cet avis a bien plus de poids dans la pièce française dans la mesure où le savoir « astrologique » de Don Fernand n’y sera pas remis en doute jusqu’à la fin de la pièce.
Globalement on observe tout de même que du point de vue de la vraisemblance, Le Feint astrologue révèle une certaine liberté par rapport au stricte respect de la règle. Il faut dire qu’en reprenant à Calderón le recours fréquent au hasard comme ressort de l’action, Thomas Corneille plaçait d’emblée sa pièce hors des exigences de vraisemblance et flattait plutôt le goût du public pour la surprise.
Bienséances et caractères : En ce qui concerne la bienséance des caractères qui découle naturellement du principe de vraisemblanceLa formation de la doctrine classique en France, Paris, Nizet, 1966, p. 216).ibid., p. 216 : « Du ressort [des bienséances internes] sont les rapports entre les caractères attribués aux personnages et les situations ou circonstances dans lesquelles se trouvent ces personnages, ou encore entre tel trait du caractère et tel autre. Du ressort des bienséances externes sont les rapports entre les caractères, les sentiments, les gestes représentés par le poète et le goût du lecteur ou de l’auditeur ». Feint astrologue sont-ils conformes à leur type de référence et conservent-ils le même caractère d’un bout à l’autre de la pièce conformément au principe de bienséance des caractères ? On relève de ce point de vue un effort certain du dramaturge pour unifier et crédibiliser certains comportements.
Pour ce qui est des bienséances externes, Thomas Corneille s’en est tenu à la modération de son modèle, notamment en ce qui concerne le personnage du valet, comme on le verra plus loin.
Comme chez Calderón, les personnages correspondent à des types plutôt qu’à de véritables caractères : leur psychologie se résume le plus souvent à quelques grands traits principaux qu’ils conservent tout au long de la pièce et qui sont conformes à la typologie traditionnelle des caractères de comédie. La comédie d’intrigue reposant naturellement sur le principe de la subordination des personnages à l’action d’ensemble, elle suppose en effet une psychologie simplifiée de ces derniers qui n’ont d’existence que relativement à une intrigue au sein de laquelle ils ont un rôle purement fonctionnel. C’est en ce sens que R. Guichemerre indique à propos des comédies de la période que « ce sont avant tout des comédies […], où l’on s’intéresse moins aux personnages, toujours les mêmes […], qu’aux situations piquantes où les mettent leurs aventures amoureuses »La Comédie classique en France, Paris, PUF, 1978, p. 34.
Les personnages féminins Lucrèce et Léonor se caractérisent par leur audace en amour, leur caractère jaloux et passionné à l’égard de leur amant et dédaigneux pour les prétendants qu’elles éconduisent. Les personnages d’amants sont tout aussi stéréotypés, parfois jusqu’à frôler la caricature. Si l’on regarde par exemple les échanges entre les amants, on peut peut-être même y déceler une tonalité légèrement ironique car leurs tirades galantes et élégiaques sont caricaturales et sans cesses avortée ou interrompues, comme si l’amorce de tirade constituait un signal suffisant pour indiquer au spectateur la teneur d’une situation sans lasser ce dernier avec les poncifs éculés de l’échange amoureux de comédie. C’est ce qui semble apparaître par exemple à la scène V, 8 : Thomas Corneille y abrège les paroles d’amour développées chez Calderón pour les remplacer par un échange amoureux mécanique et caricatural, d’ailleurs immédiatement interrompu par l’arrivée de la soubrette qui rappelle ainsi la primauté de l’intrigue par un retour à l’action (« [D. JUAN.] Ainsi le ciel pour vous en miracles fertiles… », V, 8 v. 1808). Le monologue de Don Louis à la scène I, 7 suscite le même effet. Véritable concentré de monologue tragique de déploration il frôle la parodie par son caractère éxagéremment synthétique :
En quel fascheux estat me trouvay-je reduit ! Tout le soin que je prens m’est contraire et me nuit, O cruauté du Ciel qui n’eut jamais d’exemple ! Mais ne la voy-je point qui vient icy du Temple ? (I, 7, v. 294-296)
Un emploi en particulier est purement fonctionnel : il s’agit de Don Louis qui n’intervient que pour commenter les situations, servir d’interlocuteur à Don Fernand, évitant ainsi à ce dernier des monologues délibératifs trop statiques ou des dialogues trop nombreux avec son valet. N’étant en rien concerné par l’intrigue, il ne sert que de médiateur, commente l’action et a une fonction de diffuseur du mensonge. L’examen du personnel de la pièce révèle donc l’absence de souci d’originalité ou d’individualisation du type dans la transposition des personnages de la pièce de Calderón. Le dramaturge semble avoir repris assez fidèlement les personnages espagnols qui se présentaient déjà comme des caractères conformes à leur type de référence et qui étaient par ailleurs relativement unifiés dans leur comportement, à l’exception de Don Diego et dans une moindre mesure de Don Juan. Or il semble que pour ces deux personnages qui présentent quelques défauts du point de vue des bienséances, Le Feint astrologue présente une « amélioration » par rapport à son modèle espagnol.
Thomas Corneille va par exemple introduire une plus grande cohérence entre le comportement de Don Juan et le type du jeune cavalier noble auquel il appartient. Le dramaturge ne cesse en effet de multiplier les allusions à une aide financière que Léonor aurait prodiguée au jeune gentilhomme désargenté. Il s’agit d’un motif totalement absent chez Calderón comme chez ses imitateurs. Par la mention récurrente (v. 225-8, v. 316-322 et v. 1551-2) et appuyée de cette information à première vue anecdotique du point de vue de l’intrigue, on sent bien que le dramaturge cherche à motiver un aspect du comportement de Don Juan propre à contrevenir aux bienséances externes comme à la bienséance interne du personnage. En effet, il semble que seul le sentiment de reconnaissance du personnage pour sa bienfaitrice (V, 1) puisse justifier du point de vue des bienséances la tromperie que le gentilhomme maintient à l’égard de la jeune femme tout au long de la pièce en lui faisant croire qu’il est amoureux d’elle (on pense par exemple au subterfuge des fausses lettres de Sarragoce ou encore à sa visite nocturne chez Léonor destinée à prolonger le mensonge de son amour pour elle : « Moy qui vient tout exprés vous donner asseurance / Que sur mon cœur vous seule avez toute puissance ? » v. 1091-2 et « Je suis tousjours le mesme, et ma foy n’est point fausse. » v. 1095). La goujaterie d’une telle fourbe ne pouvait en effet être seulement motivée par sa volonté de cacher sa relation avec Lucrèce sans contrevenir à la noblesse du caractère du gentilhomme, si jeune et fougueux soit-il par ailleurs.
Mais c’est surtout le caractère de Don Fernand qui subit quelques inflexions déterminantes du point de vue la vraisemblance de l’intrigue par rapport à son modèle espagnol. On peut en effet dire que l’action du Feint Astrologue est en grande partie fondée sur une certaine forme de psychologie du personnage de Don Fernand, non pas dans la perspective d’un approfondissement du caractère d’imposteur en tant que tel, mais plutôt pour motiver l’imposture. Il semblerait que le dramaturge ait cherché à rétablir une certaine cohérence dans le comportement de ce personnage d’un bout à l’autre de la pièce tout en ménageant l’instabilité et les revirements inattendus de ce dernier qui étaient nécessaires à la progression de l’action. Pour ce faire, il introduit chez celui-ci avec plus de force que chez ses prédécesseurs les traits de caractère de l’inconstance et de l’extravagance. Dans la pièce espagnole, la logique de l’attitude de son modèle don Diego échappe complètement, même au lecteur le plus attentif. Au début de la pièce ce personnage ne renonce pas à poursuivre Doña Maria de ses assiduités, paradant sous ses fenêtres et la suivant partout, et cela en dépit du dédain affiché de la jeune femme à son égard. À cette dernière qui se plaint du comportement de ce prétendant importun, celui-ci expose en ces termes les raisons de son entêtement :
Je sais bien que mon amour constant face à tes mépris ne peut avoir un seul atome d’espoir : mais voyant ta forte rigueur, je t’aimerai davantage pour ainsi tirer vengeance. Moins tu mettras d’efforts à me plaire, plus grande deviendra ma vengeance, car plus tu viendras à m’abhorrer, plus je ferai pour t’aimer.
El Astrólogo fingido, v. 449-58 (p. 72 dans l’édition établie par Oppenheimer). La traduction que nous livrons ici est proposée par Losada-Goya (op. cit., p. 314).
Thomas Corneille ne retiendra pas ces complications poétiques subtiles et cherchera au contraire à justifier sur un mode plus rationnel et discursif l’extravagance du comportement de l’amant éconduit dès les premiers vers de sa comédie :
D. FERNAND. […] Aujourd’huy cet amour n’est plus rien qu’un caprice,Son peu de complaisance à flatter mon espoir Est l’unique raison qui m’oblige à la voir ; Non pas que sa personne en effet me soit chere, Mais parce que je prends plaisir à lui déplaire, Et me vanger sur elle, en la persecutant, De la honte que j’ay qu’on m’estime constant.C’est nous qui soulignons. […] Je la sers seulement par obstination, Et si quand je luy dis le secret de mon ame Avec moins de rigueur elle eust traité ma flame, Dans ma façon de vivre et suivant mon humeur Une autre eust eu bien-tost le present de mon cœur : Mais voir qu’à contre-temps on prenne un front severe, Qu’un soupir, qu’un regard fasse entrer en cholere, C’est lors que je m’obstine à faire les yeux doux.
En introduisant ce trait de caractère d’inconstant, le dramaturge motive de façon plus vraisemblable le comportement de son personnage principal. Comme le souligne LancasterOp. cit., p. 752.
Faut-il voir pour autant chez Don Fernand une ébauche de caractère ? C’est en tout cas certainement le seul personnage véritablement digne d’intérêt dans la pièce. LancasterIbid.la Place Royale de Pierre Corneille. À la suite de Scudéry le dramaturge en fait un personnage plein d’esprit et galant, mais surtout une figure d’amoureux inconstant, une incarnation du type de l’extravagant, tout comme l’était son modèle romanesque : si comme chez Calderón, le personnage poursuit ses assiduités auprès de Lucrece, non pas parce qu’il en espère quelque succès, mais pour l’importuner et ainsi se venger d’elle, Don Fernand n’est toutefois pas l’amoureux bafoué et jaloux déplorant amèrement les mépris de la femme aimée qu’était son équivalent espagnol. Dans la comédie de Thomas Corneille, Don Fernand est d’emblée sans amour et même sans jalousie réelle
Au regard des personnages stéréotypés qui peuplent par ailleurs Le Feint astrologue mais aussi les autres pièces de tradition romanesque imitées de l’espagnol, il est donc effectivement tentant d’y voir une ébauche de caractère. D’autant que son ultime revirement et l’ambiguïté du dénouement fait qu’il échappe dans une certaine mesure à l’analyse : malgré ses scrupules et ses inquiétudes quant aux conséquences de la supercherie dont l’ampleur croissante semble l’effrayer dans toute la pièce et malgré son intention maintes fois affichée de mettre fin à la fourbe, le personnage ne dévoilera finalement pas la supercherie, peut-être dans une sorte de griserie de la fourbe, qui jette une note légèrement inquiétante sur le caractère. Il est donc doté d’une psychologie plus élaborée, et ce n’est pas un hasard si d’aucuns y ont vu les germes d’un certain don juanismeop. cit., p. 315).La Place Royale de Pierre Corneille, amant inconstant et « extravagant », comme l’indique le sous-titre de la comédie. Si l’on doit d’ailleurs chercher une parentée au personnage de Don Fernand, c’est sans nul doute du côté de la comédie de Pierre Corneille qu’il faudra chercher. Mais Don Fernand ne présente en aucun cas la complexité de l’amant de La Place Royale en comparaison duquel il paraît bien pâle et bien lisse. Le caractère reste somme toute assez conventionnel. Nous n’irons donc pas jusqu’à affirmer à la suite de Losada-Goya et d’A. Steiner que le Don Fernand de Thomas Corneille présente des traits d’un « don juanisme » avant la lettreop. cit., p. 27. Steiner voit dans le dénouement en suspens de la pièce une « anticipation de la nature du héros de Molière » dans la mesure où Don Fernand n’y rompt pas avec l’astrologie comme le faisaient clairement ses équivalents chez ses prédécesseurs. Steiner analyse ainsi cette divergence par rapport au modèle espagnol et ses imitations successives comme une façon pour le personnage de prolonger le plaisir de la fourbe (p. 28-9)op. cit., p. 27 : “Thomas Corneille’s version came very near the character comedy.”
Le Feint astrologue nous semble être une pièce plus comique que celles de ses prédécesseurs Calderón et d’Ouville. Le comique y est souvent plus prononcé, il y paraît moins superficiel, même si l’on reste bien loin de la veine burlesque d’un Scarron. Lancasterop. cit., p. 752-3.Op. cit., p. 28.contaminatio in his adaptation, he closely follows his model yet produces an almost original work, more thoroughly a comedy than Calderón’s comedia or d’Ouville’s tragic-comedy » (M. Oppenheimer, introduction à son édition critique d’El Astrólogo fingido, p. 28).Le Feint Astrologue est plus profondément, plus fondamentalement comique que les deux pièces précédentes sur le même sujet, par ailleurs si proches. Le critique souligne à cet égard que le traitement du thème de la revanche de l’amoureux éconduit semble plus proche de celui que l’on retrouvera dans les Précieuses Ridicules de Molière que de ce que l’on trouve dans les pièces de Calderón ou d’Ouville qui, « avec leurs intrigues plus sentimentales, ressemblent davantage à des tragi-comédies comportant des épisodes comiques »op. cit., p. 752.comedia de Calderón, mais c’était dans une version bien moins amusante. Thomas Corneille gagne en vivacité et en effets comiques en empruntant à Scudéry les détails et les jeux de scène dont ce dernier avait agrémenté l’épisode espagnol dans son IbrahimOp. cit., p. 434-6.
Comment expliquer cette accentuation, même légère, du comique dans la pièce par rapport à ses modèles ? Encore une fois, la réorganisation structurelle de la comedia espagnole y est sans aucun doute pour beaucoup : le dramaturge en déplaçant légèrement le point de vue, a fait passer l’intrigue de l’imposture astrologique au premier plan, si bien que les nombreuses situations comiques qui en découlent apparaissent moins comme des épisodes en marge de l’action principale que constituait l’intrigue amoureuse de Don Juan et Doña Maria. Il n’en reste pas moins que l’on sent bien à la lecture de la pièce que la trame de l’action dans Le Feint astrologue comme dans son modèle espagnol ne sert que de prétexte aux séquences comiques qu’elle suscite et dans lesquelles résident l’intérêt et le charme de la pièce.
Comme dans les autres pièces de l’époque, le comique semble au premier abord comme surajouté à l’intrigue galante. Or comme on l’a vu précédemment en examinant l’action du Feint astrologue, l’intrigue galante y est précisément mise au second plan par rapport à la fourbe « astrologique » et aux séries d’effets scéniques comiques et plaisants qu’elle suscite. Et c’est en cela que le comique du Feint astrologue semble moins superficiel : il naît de situations qui découlent directement de l’intrigue B) de l’astrologie feinte mise au premier plan. Dans l’ensemble, c’est d’ailleurs la fourbe de la fausse astrologie qui assure l’essentiel du comique de la pièce.
Il est vrai néanmoins que le comique lié aux facéties du valet Philipin reste clairement épisodique et superfétatoire
Mais c’est surtout par l’approfondissement et l’exploitation maximale de certaines situations comiques que la pièce se distingue de ses modèles et le dramaturge fait preuve à cet égard d’un grand pragmatisme dans l’utilisation des sources. Ce pragmatisme consiste à réutiliser la matière puisée chez ses prédécesseurs en la redisposant selon les besoins, dans la perspective d’en tirer un maximum d’effets comiques ou plaisants. Mais Thomas Corneille ne se contente pas de procéder à cette synthèse habile de ses modèles : quelques séquences sont en effet à porter à son crédit, toujours dans la perspective d’obtenir un effet comique accru. Ainsi, dans l’épisode du bon tour que Philipin joue au serviteur Mendoce dans la scène V, 7, on verra que la fantaisie verbale que le valet y déploie est sans équivalent chez les prédécesseurs de Thomas Corneille.
Un renversement de situation comique consiste dans le changement de fortune inattendu du menteur soudain mis en difficulté et menacé d’être découvert. Ces situations comiques d’embarras du personnage de fourbe sont nombreuses dans Le Feint astrologue et toujours empruntées à Calderón. Toutefois, Thomas Corneille exploite et approfondit à deux reprises ce procédé en enrichissant d’effets nouveaux ces situations où l’assurance de l’imposteur est brusquement mise à mal et que son prédécesseur développait avec une moindre ampleur. C’est d’abord la scène d’embarras de Don Fernand (II, 3) soumis à l’interrogatoire de Léonard qui menace de tourner à sa confusion et au cours duquel le savoir astrologique du feint astrologue est convoqué sous la forme comique du galimatia pseudo-scientifique. Chez Calderón au contraire, cette confrontation des savoirs entre les deux hommes n’avait finalement pas lieu et le potentiel comique d’une telle scène était donc peu exploité (voir dans le tableau présenté plus haut la comparaison de l’action de cette scène II, 3 avec celle de la scène espagnole correspondante). C’est aussi la scène III, 2 au cours de laquelle Léonor met notre imposteur dans une situation délicate. Cette séquence s’organise en deux temps où l’on assiste à l’accumulation comique des difficultés et une gradation de l’embarras du menteur. Léonor sollicite d’abord Don Fernand sans dire un mot de ce qu’elle attend de lui tant elle est convaincue que ses pouvoirs lui permettent de deviner sa pensée, puis elle lui demande de servir ses desseins grâce à ses pouvoirs surnaturels, le mettant ainsi dans une situation délicate. Le spectateur rit alors de bon cœur de voir le fourbe se débattre pour sauver son stratagème et il se demande combien de temps l’imposture pourra encore durer sans être découverte (là encore, on pourra se référer au tableau établi plus haut qui fait apparaître l’exploitation comique maximale à laquelle procède Thomas Corneille dans sa pièce par rapport à Calderón).
Comme chez Calderón, les situations comiques résultent bien souvent d’une feinte, d’un quiproquo, ou de toute autre interprétation erronée des apparences. Le plaisir du spectateur réside dans la satisfaction qu’il ressent de détenir les clés de lecture de ces apparences dont ne dispose pas le personnage qui se méprend. Connaissant la vérité, il rit de la crédulité du personnage trompé et admire l’habileté du trompeur. Le procédé du quiproquo est récurrent dans Le Feint astrologue qui comme comme la pièce de Calderón en présente une grande variété de réalisations.
Parmi les apparitions du procédé dans la pièce, la scène III, 8 du faux spectreL’Etourdi où le vieil Anselme, persuadé par Mascarille de la mort de son ami Pandolfe, le voyant apparaître devant lui, pense avoir affaire à un spectre. Une autre occurrence de cette séquence comique apparaît également dans L’Esprit follet.comedia de Calderón indiquait clairement dans une réplique de Don JuanEl Astrólogo fingido, op. cit. p. 176, v. 2175
Dans l’ensemble Le Feint astrologue se situe donc bien dans un registre comique plus appuyé que celui de son modèle espagnol. Et même si en donnant le rôle du feint astrologue au valet, d’Ouville avait conféré à sa pièce des accents plus burlesques, l’inspiration était sensiblement la même que chez Calderón, plus proche de la tragi-comédie agrémentée d’épisodes comiques.
Le burlesque consiste en la dissonance des registres. Le rire naissant dans ce cas du traitement « bas » d’un motif sérieux, on comprend donc aisément pourquoi le personnage du valet était chargé de ce type de comique dans les comedias et leurs imitations.
R. GuichemerreOp., cit., p. 182.gracioso, personnage de valet caractérisé par sa grossièreté, sa gloutonnerie, son goût pour la boisson, sa couardise, son « incontinence verbale »ibid., p. 187.gracioso espagnol et du valet comique français que la transposition du type espagnol dans la version française s’opère en général à cette époque selon une « logique d’homogénéisation restrictive »Du gracioso au valet comique, contribution à la comparaison de deux dramaturgies (1610-1660), p. 394 et suivantes.gracioso à la fois bouffon et débrouillard, dans un souci de vraisemblance conforme aux exigences de l’esthétique classique. À l’issue de ce processus, les dramaturges français ne conservent donc bien souvent du gracioso que ses caractéristiques les moins nobles. C. Dumas distingue alors deux tendances principales : soit cette « homogénéisation » s’effectue dans le sens du burlesque, comme c’est le cas chez Scarron, et ce sont alors les caractéristiques bouffonnes du type (gloutonnerie, grossièreté outrée…) qui sont retenues et amplifiées, soit elle s’opère dans la perspective de créer un valet plus policé avec un parti pris de modération et de bienséance (les impertinences et les propos grivois étant alors gommés). La tendance globale est donc à « l’unification vraisemblable » à une époque où selon C. Dumas, le valet comique français « cherche sa formule »Ibid., p. 399. En somme selon C. Dumas « les infléchissements simplificateurs » appliqués au personnage du serviteur comme à l’ensemble de la matière de la pièce source, sont « les indices d’une dramaturgie qui se cherche, d’un théâtre en voie de se créer, pour lequel l’adaptation de la comedia aura constitué une étape » (ibid., p. 398).Le Feint astrologue le valet Philipin présente dans l’ensemble les mêmes caractéristiques que son modèle espagnol qui correspondait lui-même à une réalisation déjà assez « modérée » et unifiée du type du gracioso.
C. Dumas souligne qu’une autre tendance, sorte de troisième voie promise à un bel avenir avec le Scapin de Molière, se profile dans la distribution des rôles entre maître et valet en France, « tendant à revaloriser indirectement, le serviteur, en cantonnant le maître dans un univers plus élevé et sérieux »Ibid., p. 397.Ibid.Jodelet Astrologue de d’Ouville, œuvre pour laquelle C. Dumas parle de valet érigé au rang de « serviteur vedette »Ibid.Ibid.Jodelet Astrologue, l’intrigue et la structure de l’action diffèrent curieusement assez peu de celles du modèle. Ainsi, Jodelet semble souvent n’être que l’instrument assez passif de son maître et les personnages ne lui soumettent jamais directement leurs requêtes astrologiques et s’adressent d’abord à son maître qui plus qu’un simple « complice » assume tout au long de la comédie la reponsabilité de la fourbe et en ordonne le plus souvent la mise en scène, Jodelet n’apparaissant alors bien souvent que comme exécutant. Certes dans la scène II, 2, c’est Jodelet qui se prétend astrologue mais son maître prend immédiatement le relai de l’explication embrouillée du valet dans une tirade beaucoup plus longue (75 vers contre 30 vers pour le valet). D’ailleurs Liliane (l’équivalent du personnage de Lucrèce) s’adresse ensuite à Timandre plutôt qu’à Jodelet dans le reste de la scène. En III, 2, c’est aussi Timandre qui dit à son ami Acaste qu’il faut continuer à publier le mensonge ; en d’autres termes c’est lui qui organise la mise en scène de la fourbe. Au cours de la scène III, 7, Jacinte (l’équivalent du personnage de Léonor) s’adresse à lui et c’est lui qui argumente pour justifier l’impossibilité pour son valet de faire apparaître son amant absent. D’Ouville reprend ainsi la démonstration présente chez Calderón en ne faisant subir au discours du maître qu’un changement de personne grammaticale, qui passe de la première à la troisième. Enfin à la scène V, 1, c’est Timandre qui se plaint de la situation à Acaste et qui exprime sa lassitude au sujet de la poursuite de la feinte. Si bien qu’à la différence de C. Dumas, il nous semble qu’en dépit d’une certaine amorce d’autonomisation du serviteur (du reste tardive, puisqu’elle n’apparaît qu’au début de l’acte V), ce transfert de rôle du maître au valet dans Jodelet astrologue a somme toute assez peu d’implications dramaturgiquescomedia de Calderón est un indice du fait que cette modification du rôle du personnage n’est pas déterminante d’un point de vue dramaturgique.Feint astrologue, présente déjà une réelle complémentarité-complicité entre le maître et son valet.
Comme dans la pièce de Calderón, le comique est souvent assuré par le valet qui est traditionnellement dans la comédie « le[…] personnage[…] chargé[…] du commentaire burlesque des événements qui intéressent [son] maître[…] »La fantaisie verbale, p. 201.Dom Bertran de Cigarral. Ainsi, dans la scène I, 2, Philipin qui s’étonne de ce que Lucrèce aime un homme sans biens associe par exemple de façon plaisante l’abstrait et le concret dans une exclamation burlesque savoureuse, typique du bon sens populaire du valet à l’espagnole : « Et la galanterie échauffe la cuisine ! ». On relève par ailleurs quelques facéties du valet dans les scènes II, 3 et II, 4 qui présentent un jeu de scène comique de Philipin qui, comme son modèle espagnol, près d’exploser, tente en vain de tenir sa langue :
PHILIPIN. Monsieur, laissez-moy faire. D. FERNAND. Dy donc ce que tu fais. PHILIPIN. Je tâche de me taire, On me l’a commandé, mais pour ne rien cacher, Des-ja, loing d’obeyr, je suis las de tâcher Le jeu de mot plaisant sur le terme « faire » est de l’invention de Thomas Corneille. (I, 4)
Avec la scène V, 7, la comédie se situe également clairement dans le registre burlesque : le rusé et facétieux Philipin fait croire au domestique Mendoce qu’un démon familier va le transporter avec ses économies dans son pays natal par voie aérienneEntremés de la Hechizera.
Pourtant, on l’a entrevu, le valet du Feint astrologue comme son modèle espagnol est relativement « sage » et comme chez Calderón, le burlesque ne constitue pas la tonalité dominante de la pièce de Thomas Corneille, alors qu’à la même époque chez Scarron le valet prenait le rôle principal et reléguait ainsi les personnages « sérieux » au second plan en imposant une dominante burlesque à l’ensemble de la comédie. C’est probablement d’ailleurs ce que d’Ouville avait cherché à faire quelques années plus tôt en donnant le rôle du feint astrologue au valet Jodelet. Malgré cette tentative, on a vu que la pièce de d’Ouville restait très proche de son modèle caldéronien et sa dimension burlesque y était finalement à peine plus accusée que dans la comedia espagnole, dans une sorte de « fausse » mise en vedette du valet qui a plus certainement une valeur publicitaire qu’une réalité dramaturgique effective dans la comédie de d’Ouville. Si le Philipin du Feint astrologue relève bien de la tradition espagnole, ses traits bouffons sont donc nettement atténués et l’accent est davantage mis sur son inventivité. Cela explique que Steiner voit précisément chez Philipin des caractéristiques d’un Scapin qui relève de l’autre tradition des valets de comédie : “The rascality of the servant[…] is more pronounced : Philipin, Fernand’s valet, is a worthy rival of Scapin”Op. cit., p. 28.commedia dell’arte.
Il faut rappeler que cette « mise en sourdine » des caractéristiques les plus bouffonnes du type n’est pas de l’invention de Thomas Corneille. Déjà chez Calderón, le caractère burlesque de Moron était peu prononcé : aucune allusion à sa gloutonnerie, son ivrognerie. Son caractère bavard n’apparaît également que de manière furtive à l’occasion d’une courte scène plaisante où il annonce qu’il ne pourra tenir sa langue (v. 848-860 et sc I, 3 dans Le Feint astrologue), puis dans l’énumération comique et gratuite de la scène V, 7 du Feint astrologue. En outre, son caractère « débrouillard » est déjà mis en valeur dans la pièce espagnole où il est aussi l’instigateur de la fourbe de fausse astrologie et où son ingéniosité est vantée par son maître lui-même (v 1451-1480). De même dans Le Feint astrologue, Don Fernand confie à son valet le soin de le tirer d’embarras en évoquant son habileté (« Tâche à remedier à ce desordre extresme, / Tu n’es que trop adroit pour en venir à bout, / Invente, fourbe, ments, jure, j’advoüeray tout », II, 2, v. 452-454). On a ainsi l’ébauche d’une réelle complémentarité-complicité entre le maître et son valet. Dans les deux pièces, le valet présente donc les traits généraux du gracioso, mais les caractéristiques les plus bouffonnes du type y sont absentes où du moins atténuées pour privilégier son ingéniosité. Cette perspective est d’ailleurs accentuée par Thomas Corneille qui ne reprend pas, par exemple, l’avidité du gain qui caractérisait son modèle espagnol toujours enclin à réclamer à son maître une récompense pour ses bons services rendus. Le dramaturge met également en valeur sa verve qui se déploie dans la séquence comique de l’inventaire « endiablé », passage de virtuosité gratuit, absent chez Calderon et d’Ouville (IV, 12).
Quant aux quelques traits comiques typiques de la comédie « à l’italienne », ils renvoient à la tradition de la commedia dell’arte qui fournit un panel de situations et de jeux de scène comiques stéréotypiques. C’est le cas de la scène burlesque III, 8, imitée de Calderón : la terreur et la panique que manifestent Léonor et sa suivante lors de la visite nocturne de Don Juan qu’elle prennent pour un fantôme est nettement plus comique dans la version de Thomas Corneille qui reprend à Scudéry le procédé de la table renversé au cours du mouvement de panique de Jacinte qui s’était cachée sous la table pour échapper au spectre, ainsi que le détail de la lampe qui s’éteint dans la panique.
Le comique lié à l’intrigue et aux situations qu’elle génère est agrémenté chez Thomas Corneille de séquences de fantaisie verbale issues d’une tradition médiévale perpétuée par les farceurs du début du XVIIe siècle et qui renaît sous la plume des auteurs comiques français de l’époqueibid.Ibid., p. 219.Ibid., p. 207.
Le procédé du néologisme participe également du comique verbal de la pièce en une occurrence où il crée un effet de dissonance burlesque savoureux. Mis à la mode par Scarron, il est couramment employé dans le théâtre comique de la période. Le spectateur s’amuse ainsi en II, 1 du néologisme burlesque « Astrologissime » avancé fièrement par le valet pour désigner son maître. Par son caractère emphatique ce long terme forgé sur le modèle de la formation des mots savants contraste de façon comique avec la qualité du personnage qui l’emploie. Comme l’explique R. Garaponop. cit., p. 200.
L’emploi comique du jargon, sans dimension satirique, est un autre procédé qui apparaît dans Le Feint astrologue, mais dont le dramaturge n’abuse pas, sans doute pour ne pas lasser le public avec un procédé éculé. Dans la scène II, 3, le langage obscur pseudo-scientifique de Don Fernand donne lieu à une séquence plaisante. Là où Calderón ne présentait aucun développement jargonnesque dans les discours pseudo-astrologiques de Don Diego, et là où le Jodelet de d’Ouville s’en tenait à quelques notions furtives, le feint astrologue de Thomas Corneille se lance pour sa part dans des considérations embrouillées et hermétiques proches de la fatrasie :
Dites-moy cependant. Auriez-vous pour suspect Saturne regardant Venus d’un trine aspect, Et peut-on justement tirer un bon augure De la conjonction d’Hecate avec Mercure ? […] [D. FERNAND…] Venus aux amoureux promet beaucoup de biens, Et Saturne peut tout sur les Saturniens : Mais la triplicité de cette conjoncture Ainsi que l’union d’Hecate avec Mercure Combinant leurs aspects, ou les retrogradant Sur l’horizon fatal d’un bizarre ascendant, Pourroit paralaxer sur un cerveau si tendre… LEONARD. Ce discours est si haut que j’ay peine à l’entendre […] D. FERNAND. Ce sont termes de l’Art. (II, 3)
Le ressort comique du jargon astrologique et de la fatrasie est néanmoins utilisé avec parcimonie, quoique de manière plus développée que chez les prédécesseurs. Absent chez Calderón et peu développé chez d’Ouville, le galimatias pseudo-astrologique que l’imposteur déploie dans cette scène a été largement inspiré par le roman de Scudéry : on y retrouve disséminés certains termes techniques directement repris au romancier par Thomas Corneille, ce qui illustre une nouvelle fois la tendance du dramaturge à la réutilisation pragmatique de la matière tirée des différentes sources selon le principe de la contaminatio (cf. annexe 4). Cet exposé fantaisiste s’inscrit en tout cas dans la tradition de la parodie du jargon savant des pédants de la comédie italienne ou des comédies françaises qui l’imitent : ignorant en la matière, Don Fernand s’applique à éblouir Léonard par un discours improvisé émaillé de termes savants, cautionné par l’autorité « du grand Nostradamus » et dont il ne comprend pas lui-même la signification.
Du point de vue du comique dans la pièce, on peut donc déjà dresser un premier bilan : par rapport à son modèle, déjà modéré sur ce point, Thomas Corneille évite globalement le registre grossier et les scènes trop bouffonnes. On pourrait d’ailleurs davantage parler à propos du Feint astrologue d’une dimension ludique, liée aux situations et aux traits de langage plaisants, plutôt que d’un registre franchement comique comme on le trouve clairement assumé chez Scarron.
Lorsque Thomas Corneille compose Le Feint astrologue, et sans même parler du Jodelet Astrologue de d’Ouville, le théâtre français a déjà son lot de faux astrologues et autres sorciers et Don Fernand ne fait nullement figure de précurseur en la matière. En effet l’astrologie est un thème en vogue et un sujet assez fréquent dans la littérature de l’époque qui apparaît dans plusieurs œuvres dramatiques comme par exemple Le Campagnard de Gillet de la Tessonnerie, et que Thomas Corneille continuera d’exploiter par la suite, notamment en 1679 dans La Devineresse, sa comédie inspirée de la célèbre affaire des poisons de la Voisin.
Mais Le Feint astrologue est une comédie d’intrigue, non une satire des mœurs du temps, et à ce titre, le thème de l’astrologie n’y apparaît que comme moteur de cette intrigue et source de comique : telle est sa fonction dans cette comédie, et nous ferions un contresens en y cherchant une quelconque visée critique et démystifiante du thème. C’est d’abord en tant que fourbe que la fausse astrologie importe dans la pièce, en tant qu’elle génère des situations plaisantes et en dépit des commentaires d’ailleurs succincts sur la crédulité des personnages, il ne s’agit pas ici de railler la mode de l’occultisme. Tous les personnages qui ne sont pas complices de la fourbe (en particulier les serviteurs) craignent ainsi les pouvoirs de l’astrologue, ce qui donne lieu a plusieurs scènes comiques assez savoureuses, fondées sur leur crédulité. C’est par exemple Jacinte qui à la scène III, 2 se couvre le visage de ses mains car elle craint que Don Fernand ne lise en elle
La thèse avancée par A. Gutierrez-LaffondThéâtre et magie dans la littérature dramatique du XVIIe siècle en France, p. 246.Feint astrologue, selon laquelle la pièce poursuivrait une « démystification de la magie commencée par Corneille » dans l’Illusion Comique nous semble donc excessive. Le fait que Don Fernand se défende de manière récurrente et avec insistance de l’amalgame entre l’astrologie entendue comme pratique se fondant sur la science astronomique et magie considérée comme superstition et imposture (v. 496 et suivants, v. 893-896, v. 1225-1229, etc.), indique clairement que la pièce adopte un discours univoque où les formes « inférieures » et superstitieuses de l’astrologie comme les prédictions et les horoscopes ainsi que la magie sont d’emblée posées comme des impostures et des croyances fausses en dehors de toute volonté démonstrative et démystifiante, puisque leur condamnation est présentée comme un présupposé, comme une évidence partagée par le public et non comme une conclusion du discours de la pièce. Le scepticisme critique affiché par exemple par Don Louis dans les scènes II, 5 et IV, 5 au sujet de l’astrologie est ainsi ponctuel : « Le hazard fait souvent prophetiser fort bien » et « Le meilleur Astrologue est le plus grand menteur ». D’ailleurs, cette dernière affirmation souligne encore une fois la fonction assignée à l’astrologie dans la pièce : la feinte, le mensonge comme ressort de l’action.
Le goût pour le rire qui caractérise les personnages complices de la fausse astrologie est révélateur de la dimension comique du motif. Si l’on reprend la distinction entre « magie savante » et « magie populaire » observée par A. Gutierrez-LaffondIbid., p. 256.Le Feint astrologue, on peut distinguer deux types de comiques associés suscités par ces deux aspects du thème de la fausse astrologie : le premier type de comique de situation est attaché au personnage du maître et repose sur un ensemble de situations générées par la croyance des autres personnages en ses pouvoirs occultes. Il en est ainsi par exemple dans la scène II, 3 où le vieillard crédule est la dupe du brillant terminologique de l’imposteur. Le second type de comique est burlesque et repose sur la version caricaturale et parodique du savoir astrologique dans sa version populaire et superstitieuse, telle que la résume bien la formule de Philipin « astrologogissime ». Ce comique est comme on l’a vu assuré par les personnages de domestiques, en particulier par Philipin. Celui-ci livre la version dégradée de l’astrologie du maître. Ainsi, en II, 2, il inaugure la fourbe en formulant de façon ridicule tous les lieux communs « astrologiques » qu’il connaît :
Dedans l’Astrologie il n’a point son semblable, Enfin c’est un prodige, ou plustost un vray diable, Rien pour luy n’est secret, et sans de grands efforts, Je pense qu’il feroit mesme parler les morts. […] Il contemple le Ciel mesme aux nuicts plus obscures, Il feuillette un grand livre, et fait mille figures, C’est sans doute par là qu’il a sçeu vos amours. […] Ne me fistes-vous pas encore hier au soir Remarquer un jardin dedans un grand miroir (II, 2)
Don Fernand prend bien soin d’ailleurs de rectifier les propos de son valet ignorant en soulignant la distinction entre l’astrologie savante, encore perçue par certains comme relevant des sciences astronomiques, et celle que les croyances populaires associent à la sorcellerie et à la magie noire (II, 2).
Toute une gestuelle caricaturale comique est en outre associée à la pratique magique : elle apparaît en particulier dans deux jeux de scènes : c’est d’abord Don Fernand qui examine les yeux et la main de Léonor dans une mise en scène visant à simuler l’action magique. Une autre occurrence de ces gesticulations comiques censées traduire une activité magique apparaît au début de la scène V, 7 à partir de l’édition (b) du Feint astrologue où elle est décrite dans une didascalie : « PHILIPIN faisant un cercle avec une baguette, et prononçant en suite quelques mots barbares à demy bas. ». Dans les deux premières versions de la pièce, ce jeu de scène de fausse magie n’est qu’évoqué de manière allusive à travers le discours des valets : « [PHILIPIN.] Mets-toy dedans ce rond. [MENDOCE.] Qu’est-ce que tu marmotes ? ».
Le comique du Feint astrologue reflète donc bien le statut de comédie d’intrigue de la pièce. Il repose essentiellement sur des situations plaisantes qui semblent être au cœur de l’intérêt et du travail du dramaturge qui en soigne les effets en se souciant bien peu de ménager les transitions entre ces différentes séquences
Plus généralement, comme souvent dans les comédies d’intrigue de l’époque imitées de l’espagnol, les effets comiques sont suscités par des situations qui mettent en scène plusieurs personnages, et non par un caractère ridicule qui occuperait à lui seul le devant de la scène. En somme, nulle étude de mœurs autour d’une satire sociale dans Le Feint astrologue, ni comique de caractères.
Jamais plus galamment homme ne fut dupé. ( Le Feint astrologue, II, 5, v. 646)
Cette formule de Don Louis au sujet du tour joué au vieux Léonard semble programmatique et fonctionner comme un signal à l’intention du spectateur invité à considérer la fourbe avant tout comme un jeu galant au sens mondain, esthétique et idéologique du terme (et non pas amoureux). C’est ce que fait apparaître la syllepse de sens sur l’adverbe « galamment » qui signifie à la fois habilement et conformément aux valeurs et aux usages mondains. Plus généralement, il nous semble que la tonalité d’ensemble du Feint Astrologue prend une inflexion galante sous l’influence du roman de Scudéry, et que la fourbe y semble principalement perçue comme une gageure galante. C’est en tout cas comme cela que Don Louis paraît la présenter au début de la pièce.
De grace achevez donc, joüez-le jusqu’au bout, Faites la piece entiere, il admirera tout ; Il vous seroit honteux qu’elle fust imparfaite (II, 5, v. 637-639) Et quand mesme on sçaura que ce soit raillerie, Le tout ne passera que pour galanterie. (II, 5, v. 651-652)
Pour se convaincre de la dimension éminemment galante du Feint astrologue, il suffit d’examiner la supercherie de la feinte astrologie non plus sous l’angle de l’action ou des mécanismes comiques qui y sont associés, mais plutôt du point de vue des personnages qui s’organisent en deux catégories distinctes : d’un côté les dupes, de l’autre le trompeur et ses complices. C’est ce deuxième groupe qui nous intéresse dans la mesure où il introduit la notion de plaisir au cœur de la pièce par l’intermédiaire de la feinte. Le plaisir associé au rire est en effet une composante essentielle de la fourbe et il peut être rapproché du principe d’ « enjouement » galant. Ce plaisir lié au rire est sans cesse rappelé par les trompeurs à l’occasion du commentaire des scènes de fausse astrologie (v. 620, 761). La scène III, 1 dans son entier manifeste ainsi le plaisir pris à la supercherie et au récit de sa diffusion. Et même lorsque Don Juan prévoit de renoncer à l’imposture, il annonce qu’il ne le fera pas sans avoir préalablement parfait son œuvre :
Je suis las d’un mestier où je ne cognois rien, Mais afin d’en sortir avecque plus de gloire, Puisque je vois le pere en humeur de tout croire, Je veux faire si bien, loing d’en estre jaloux, Que D. Juan de Lucrece aujourd’huy soit l’époux (IV, 10, v. 1430-1434)
Si Le Feint astrologue perd une grande part de la galanterie amoureuse qui parcourt son modèle espagnol, il gagne donc en revanche une atmosphère d’enjouement galant nettement plus prononcéeIbrahim à la pièce de Thomas Corneille.
C’est d’ailleurs la dimension galante qui du point de vue des bienséances concilie moralement la fourbe, susceptible d’être considérée comme tromperie condamnable, avec le code d’honneur des personnages nobles qui s’y livrent. C’est même précisément par là que le personnage du fourbe gagne la la sympathie et la complicité du spectateur. On peut voir un indice de cette volonté de créer une complicité avec le spectateur autour de la fourbe dans le fait qu’il n’y ait pas de punition finale de l’imposteur : le dramaturge n’invite pas à rire de sa déconvenue, mais au contraire, à admirer son habileté et à partager le plaisir que procure le sentiment de supériorité et de perspicacité de voir la crédulité des autres. Ainsi, malgré son imposture et la série ininterrompue de mensonges qu’il profère ou qu’il cautionne, le personnage n’est pas rendu détestable aux yeux d’un spectateur qui reste indulgent, voire qui admire « la pièce », la virtuosité du personnage mise à l’œuvre dans ce qui semble être une gageure galante. Et lorsque le personnage qui ne manifeste pas toujours l’assurance tranquille et le brio du trompeur en pleine possession de ses moyens, formule en II, 5 ses scrupules à prolonger une fourbe indigne d’un gentilhomme et qui risque de le déshonorer, cette possibilité est vite évacuée dans le discours de D. Louis qui situe nettement la fourbe sur le plan de la galanterie en la valorisant ainsi aux yeux des spectateurs (voir les vers 637 à 652).
Une nouvelle fois, le dénouement de la pièce s’avère révélateur : Thomas Corneille va plus loin que ses prédécesseurs dans la gageure avec son dénouement ouvert, plus ambigu. Steinerop. cit., p. 28).
Brisons-là je vous prie, Je vous entretiendray de mon Astrologie, Mais il faut que ce soit avec plus de loisir. (V, 12, v. 1907-1909)
Cela apporte en tout cas une touche ambiguë, légèrement inquiétante au dénouement, là où chez Calderón comme chez ses imitateurs français, le dénouement voyait la fourbe révélée et le fautif sermonné. Même dans l’épisode éminemment galant de Scudéry, le Marquis français était mis en cause puis finalement pardonné en vertu du caractère plaisant que prenait l’aventure considérée a posteriori. Ces dénouements avaient finalement un côté plus rassurant puisque tout y rentrait dans l’ordre. Cet aspect de la comédie de Thomas Corneille indiquerait ainsi la prééminence accordée par le dramaturge au principe de plaisir et de jeu par rapport à celui d’instruire. Entre les deux visées que tend à se donner la comédie de l’époque, d’un côté « plaire », de l’autre « instruire », Thomas Corneille trancherait clairement : il n’y pas de sanction morale de l’imposteur qui ne se repent pas. C’est au contraire la virtuosité dans le jeu de masque qui est mise en valeur. De ce point de vue aussi Le Feint astrologue devait se trouver en affinité avec les goûts et l’idéal galant du public de l’époque.
L’exemplaire du Feint Astrologue qui a servi de base à la réalisation de cette édition est conservé sur le site de Tolbiac de la Bibliothèque nationale sous la cote RES-YF-704 (nous le désignerons par la suite comme l’exemplaire A). Il s’agit du texte de la première édition de l’œuvre, imprimée pour la première fois en 1651 à Rouen par l’imprimeur de prédilection des frères Corneille Laurens Maurry. Les exemplaires se vendent à Paris chez le libraire Charles de Sercy. L’achevé d’imprimer est daté du 31 mai 1651 et le Privilège du 12 mars 1651. Il faut noter que ce privilège porte également sur la première pièce de notre auteur, Les Engagements du Hasard, mais aussi sur Andromède et Nicomède de Pierre Corneille qui semble avoir été l’auteur de la demande.
On a recensé trois autres exemplaires de cette première édition de 1651 : l’un est également conservé sur le site de Tolbiac de la Bibliothèque Nationale sous la cote RES-YF-705 (nous l’appellerons B), un autre sur le site Richelieu de la Bibliothèque nationale sous la cote 8-RF-2671 (nous l’appellerons C) et un dernier contenu dans un recueil factice conservé à la Bibliothèque municipale de Lyon sous la cote Rés 360835 (nous l’apellerons D). Nous n’avons pour le moment pas consulté ce dernier exemplaire.
Il s’agit d’un ouvrage in-4° de IV-144 p. comprenant la page du privilège non chiffrée. Le volume se présente comme suit :
L’exemplaire A qui sert de base à cette édition présente quelques différences, notamment concernant certaines gravures, par rapport aux deux autres exemplaires consultés (B et C) qui sont semblables en tous points si l’on excepte l’absence dans l’exemplaire B de l’épître et de la liste des acteurs, autrement dit de l’un des feuillets non chiffré.
Dans B et C, le cahier A est noté « A » sur la p. 1 ; p. 28 : le bandeau de l’acte II de A est différent de ceux de B et C : la gravure au centre y représente trois fleurs de lys ; p. 56, les bandeaux de l’Acte III sont les mêmes dans les trois exemplaires (trois fleurs de lys au centre), mais dans A la gravure centrale est en partie recouverte par un petit « papillon » (morceau de papier découpé ajouté après un tirage) vierge ; p. 83, en tête de l’acte IV, on retrouve les trois fleurs de lys au centre du bandeau dans B et C.
En ce qui concerne les différences de bandeaux, l’exemplaire A comporte donc des « papillons » collés au centre des bandeaux utilisés par l’imprimeur aux pages 28, 56 et 83. A. Riffaud émet l’hypothèse d’un propriétaire de l’exemplaire qui à l’époque de la Révolution française aurait cherché à masquer les marques de la monarchie que constituent les fleurs de lys de ces bandeaux.
En outre, on constate que le cahier A de l’exemplaire A présente une composition différente de celle de B et C. A. Riffaud y voit le signe d’un incident de fabrication et évoque à ce sujet la probabilité d’une impression insuffisante du cahier A qui aurait nécessité un nouveau tirage et donc une seconde composition de ce cahier. Cependant, dans l’hypothèse d’un déficit du cahier A, le petit nombre d’exemplaires dont nous disposons ne nous permet pas de savoir avec certitude si notre exemplaire de base reflète le premier état du cahier ou sa deuxième version et on ne peut déterminer la chronologie des compositions successives.
p. 4 : « secert » dans A, mais « secret » dans B et C ; p. 8 (toujours dans le cahier A) : B et C présentent « A personne ? » là où l’on peut lire dans A : « A personne ».
P. 5 (dans le cahier A) B et C présentent : « il a quitté la ville, et doit passer en Flandre » (cette virgule figure également dans toutes les éditions ultérieures).
Nous n’avons relevé aucune différence de contenu entre les différents exemplaires de la première édition, si ce n’est que ni l’épître dédicatoire ni la liste des acteurs suivie de la didascalie initiale ne figurent dans l’exemplaire B où l’on passe directement de la page de titre à la pièce.
Elles sont nombreuses si l’on compte les éditions pirates et les éditions successives des œuvres de Thomas Corneille dans lesquelles figure notre pièce, mais trois seulement constituent de véritables rééditions de l’œuvre avec des variantes et des corrections apportées par l’auteur. Nous les indiquerons en gras dans la liste qui suit et nous leur attribuerons une lettre pour faciliter leur désignation dans le reste de cette étude. Nous indiquerons à l’aide d’un sigle particulier les éditions qui présentent un état du texte analogue. Enfin, nous signalerons par une *astérisque les exemplaires auxquels nous n’avons pu avoir accès.
Les variantes significatives des différentes éditions ultérieures figurent en note dans le texte de notre édition, à l’exception de la deuxième version de l’épître qui apparaît dans l’annexe 2. On a constaté que la plupart des variantes apportées dans l’édition (b) résultent d’une volonté de prononcer « D. Juan » en diérèse, ce qui suppose un réajustement des vers où figure ce nom. Quant aux variantes de graphie, trop nombreuses pour être signifiantes, nous ne les avons pas relevées. On peut enfin remarquer que le découpage scénique est variable d’une édition à l’autre : les actes I, II et III de l’édition (a) comptent ainsi respectivement sept, six et six scènes et les actes I, II et III des éditions (b) et (c) comptent tous sept scènes.
Nous avons respecté la graphie de l’édition originale, y compris l’accentuation ou l’absence d’accentuation. Nous avons également fait la distinction entre i et j et entre u et v. L’usage des tildes qui notent la nasalité d’une voyelle en permettant un gain d’espace pour les imprimeurs est restreint dans notre texte : on en compte dix (cinq figurant dans des didascalies et cinq dans des répliques, réparties comme suit : deux dans le cahier F, un dans le cahier I, un dans le cahier K, un dans le cahier O, deux dans le cahier P, un dans le cahier R et un dans la cahier S). Dans chaque cas nous avons rétabli la graphie courante correspondante, c’est-à-dire une voyelle + une consonne nasale. En outre, nous avons systématiquement développé les & en et.
Nous avons relevé un certain nombre de coquilles orthographiques que nous avons corrigées entre crochets [ ] dans le texte de la présente édition : v. 43 : « secert » corrigé en « secret » (cette coquille n’apparaît d’ailleurs pas dans les exemplaires B et C, ni dans les éditions ultérieures) ; v. 283 : « elle mesme » corrigé en « elle-mesme » ; v. 1017 : « vus » corrigé en « vous » ; v. 1704 : « moy mesme » corrigé en « moy-mesme ».
De même, dans le « Privilege », nous avons rectifié « mandons » là où l’on pouvait lire « mandos » dans tous les exemplaires de la première édition, ainsi que « des presentes » là où le texte de 1651 présentait « de présentes ».
Nous avons respecté la ponctuation, y compris lorsqu’elle semblait contrevenir à l’usage courant. Lorsqu’il s’agissait clairement d’une coquille, nous l’avons rectifiée : v. 69 : « Et malgré tout cela tu veux qu’ils soient d’accord. » : nous avons remplacé le point par un point d’interrogation, conformément au sens interrogatif de la phrase ; v. 111 : « Luy-mesme, » : nous avons remplacé la virgule par un point-virgule ; v. 193 : « Vous craignez le vieillard. » : nous avons remplacé le point par un point d’interrogation (c’est d’ailleurs un point d’interrogation qui figure dans les éditions ultérieures) ; v. 268 : « C’est d’un peuple grossier l’ordinaire foiblesse, » : nous avons remplacé la virgule par un point à la fin de cette phrase (c’est d’ailleurs un point qui figure dans les éditions ultérieures) ; v. 284 et 286 : « à la voir me convie ; » et « j’en attends le succez, » : nous avons inversé les ponctuations de ces deux vers ; v. 515 : « Du trop heureux D. Juan j’ay sçeu la feinte absence, » : nous avons remplacé la virgule par un point à la fin de cette phrase ; v. 1462 : « Depuis que je le sers, je suis demy Sorcier, » : nous avons remplacé la virgule par un point à la fin de cette phrase (même coquille dans A, B et C, rectifiée dès la seconde édition, de 1653) ; v. 1524 : « Cours viste de ce pas dresser ton équipage, » : nous avons remplacé la virgule par un point à la fin de cette phrase ; v. 1667 : « Il meurt d’amour pour vous, vous le croyez encore. » : nous avons remplacé le point par un point d’interrogation, conformément au sens interrogatif de la phrase ; v. 1732 : « A peine bien souvent y gagne-t’on le double, » : nous avons remplacé la virgule par un point à la fin de cette phrase ; v. 1848 : « Et pour nous dérober vous vous cachiez peut-estre. » : nous avons remplacé le point par un point d’interrogation, conformément au sens interrogatif de la phrase.
p. 78 : la scène présente une numérotation erronée : « SCENE VI » rectifiée en « SCENE VII ». Dès la scène suivante, la numérotation reprend normalement.
MONSIEUR,
Je crains bien de me rendre un mauvais office* en voulant m’acquiter d’une debtedette. On retrouvera ce terme également graphié debte au vers 255.recognoistre signifie plutôt « [e] tre reconnaissant d’une grace. Avoir de la gratitude de quelque faveur qu’on a reçüe » (R). Si l’on considère en revanche que « la » renvoie à la « debte », il s’agit alors plutôt de l’image de la reconnaissance de dette.livre, mais le sens plus général de production par les mains de l’homme) quand je m’efforce, en vous l’offrant, de vous en (l’estime, la bonne opinion) être reconnaissant. majesté, quand ils sont graves, pompeux, et quand ils contiennent un grand sens » (F).titre (H).El Astrologo Fingidoauteur.
Vostre tres-humble serviteur,
T. CORNEILLE.
Pilier : « On dit […] en mauvaise part, C’est un pilier de cabaret, de jeu de paume, etc. pour dire, qu’il hante perpetuellement en ces lieux-là. » (F).
Academie : maison de jeu. « [S] e dit abusivement du berlan [maison de jeu], ou des lieux publics où l’on reçoit toutes sortes de personnes à joüer aux dez et aux cartes, ou à d’autres jeux deffendus. » (F).
Melancholique : « se dit figurément des choses qui peuvent apporter, ou causer de la melancolie. » (F).
Dans la théorie des « humeurs », la mélancolie est une « [e] spece de délire sans fiévre, accompagné de crainte et de chagrins sans raison aparente à cause que l’imagination et le jugement sont blessez par l’abondance d’une bile noire […]. Tristesse. » (R).
LOUIS PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE France ET DE NAVARRE : A nos amez et feaux Conseillers les Gens tenans nos Cours de Parlement, Maistres des Requestes ordinaires de nostre Hostel, Baillif, Seneschaux, Prevosts, leurs Lieutenans, et à tous autres nos Justiciers et Officiers qu’il appartiendra, Salut. Nostre cher et bien amé LE SIEUR CORNEILLEAndromède et Nicomède, ainsi que pour les deux premières comédies de son frère (cf. Lancaster, op. cit., part. II, vol. 2, note 1, p. 679, et l’édition d’Andromède établie par Christian Delmas, Paris, M. Didier, 1974, en particulier l’« Établissement du texte » p. 105 et 106).Andromede, Nicomede, le feint Astrologue, et les Engagements du hazard ; ce qu’il ne peut faire sans avoir nos Lettres de permission sur ce necessaires. A CES CAUSES, et desirans gratifier et favorablement traitter ledit SIEUR CORNEILLE, en consideration de ses services, Nous luy avons permis et permettons par ces presentes de faire imprimer, vendre et debiter en tous les lieux de nostre obeyssance, lesdites Quatre pieces de Theatre intitulées Andromede, Nicomede, le feint Astrologue, et les Engagements du hazard, par tel Imprimeur ou Libraire qu’il voudra le choisir, conjointement ou separément, en un ou plusieurs volumes, en telles marges, en tels caracteres, et autant de fois que bon luy semblera durant dix ans, à compter du jour que chaque piece ou volume sera achevé d’imprimer pour la premiere fois. Et faisons tres-expresses defenses à toutes personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, d’imprimer, faire imprimer, vendre et debiter lesdites pieces de Theatre en aucun lieu de nostre obeyssance sans le consentement de l’exposant, ou de ceux qui auront droit de luy, à peine de deux mil livres d’amende payables sans deport par chacun des contrevenans, et applicables un tiers à Nous, un tiers à l’Hostel-Dieu de Paris, et l’autre tiers audit Exposant, ou au Libraire dont il se sera servy, de confiscation des Exemplaires contrefaits, et de tous despens, dommages et interests. A condition qu’il sera mis deux exemplaires de chaque volume, qui sera imprimé en vertu des presentes, en nostre Bibliotheque publique, et un en celle de nostre tres-cher et feal le Sieur Marquis de Chasteauneuf Chevalier, Garde-des-Seaux de France ; à peine de nullité des presentes. Du contenu desquelles Nous voulons, et vous mando[n] s que vous faciez joüyr plainement et paisiblement durant ledit temps l’exposant, et ceux qui auront droit de luy, sans souffrir qu’ils y reçoivent aucun empeschement. Voulons aussi qu’en mettant au commencement ou à la fin de chacune desdites Pieces ou Volumes, un Extrait des presentes, elles soient tenuës pour deuëment signifiées, et que foy y soit adjoutée, et aux copies collationnées par un de nos amez et feaux Conseillers et Secretaires comme à l’original. Mandons au premier nostre Huissier ou Sergent sur ce requis de faire pour l’execution de[s] presentes tous Exploits necessaires, sans demander autre permission. CAR TEL EST NOSTRE PLAISIR, nonobstant clameur de Haro, Chartre Normande, et autres lettres à ce contraires. Donné à Paris le 12. jour de Mars l’an de grace 1651. et de nostre regne le huictiesme.
PAR LE ROY EN SON CONSEIL.
CONRART.
Dictionnaires cités :
Ces termes sont marqués d’une double astérisque** dans le texte.
Mises à part les dates des deux premières pièces de Thomas Corneille, pour lesquelles nous avons suivi S. W. Deierkauf-Holsboer (voir à ce sujet l’introduction), nous reproduisons ici la liste établie par D. Collins qui, lorsque la date de création est hypothétique, choisit de retenir celle avancée par Lancaster suivie d’un point d’interrogation. Comme l’auteur, nous indiquerons le genre auquel se rattache chaque pièce ainsi que les collaborateurs éventuels.
1647 : Les Engagements du hasard, comédie.
1648 : Le Feint astrologue, comédie.
1651 : Don Bertrand de Cigarral, comédie.
1651 : L’Amour à la mode, comédie.
1652 : Le Berger extravagant, comédie.
1655 : Les Illustres ennemis, comédie.
1655 : Le Geôlier de soi-même, comédie.
1656 ? : Le Charme de la voix, comédie.
1656 : Timocrate, tragédie.
1657 : Bérénice, tragédie.
1657 : La Mort de l’empereur Commode, tragédie.
1659 : Darius, tragédie.
1660 : Stilicon, tragédie.
1660 : Le Galant doublé, comédie.
1661 : Camma, tragédie.
1662 : Maximian, tragédie.
1662 : Persée et Démétrius, tragédie.
1663 ? : Pyrrhus, tragédie.
1666 : Antiochus, tragi-comédie.
1667 : Le Baron d’Albikrak, comédie.
1668 : Laodice, tragédie.
1669 : La Mort d’Annibal, tragédie.
1670 : La Comtesse d’Orgueil, comédie.
1672 : Ariane, tragédie.
1672 : Théodat, tragédie.
1673 : Le Comédien poète, comédie (avec Montfleury).
1673 : La Mort d’Achille, tragédie.
1674 : Don César d’Avalos, comédie.
1675 : Circée, tragédie à machines (avec Donneau de Visé).
1675 : L’Inconnu, comédie à machines (avec Donneau de Visé).
1676 : Le Triomphe des Dames, comédie à machines (avec Donneau de Visé).
1677 : Le Festin de Pierre, comédie de Molière mise en vers et modifié par Thomas Corneille.
1678 : Le Comte d’Essex, tragédie.
1678 : Psyché, opéra (musique de Lulli).
1679 : Bellérophon, opéra (probablement avec la participation de Fontenelle et Boileau, Musique de Lulli).
1679 : La Devineresse, comédie à machines (avec Donneau de Visé).
1681 : La Pierre philosophale, comédie à machines (avec Donneau de Visé).
1685 : L’Usurier, comédie (avec Donneau de Visé).
1686 : Le Baron des Fondrières, comédie.
1693 : Médée, opéra (musique de Charpentier).
1695 : Les Dames vengées, comédie en prose (avec Donneau de Visé).
1695 : Bradamante, tragédie.
A MONSIEUR***
MONSIEUR,
Je crains bien de me rendre un mauvais office en voulant m’acquiter d’une debte, et je doute si je ne détruis point l’estime que vous m’avez témoigné faire de cet ouvrage, quand je tâche de la recognoistre par le present que je vous en fais. Le Theatre luy a donné des graces qu’il est bien difficile qu’il conserve dans le cabinet, et ces sortes de Poëmes ne pouvant estre soustenus ny par la majesté des vers, ny par la beauté des pensées, l’on en voit fort peu qui ne perdent presque tous leurs advantages hors de la bouche de ceux qui sçavent en relever la simplicité du style. Ainsi j’ay sujet d’apprehender que cette Comedie dont la representation vous a diverty tant de fois, ne vous semble froide sur le papier, et que vous n’ayez peine à y remarquer les mesmes naïfvetez qui vous ont fait rire, accompagnées de la grace de l’action. Si vous avez la curiosité de la lire en original, et de voir si j’ay bien exactement suivy mon guide Espagnol, vous la trouverez dans la seconde partie de celles de Calderon, qui l’a traitée sous le mesme tiltre de El Astrologo Fingido, et je vous invite d’autant plus à cette lecture, que j’espère que ce sera par elle que vous me pardonnerez plus facilement l’incident de Mendoce, qui n’estant qu’un Episode superflus, semble n’être pas assez considérable pour occuper un moment l’attention de l’Auditeur. Aussi, comme je sçay que nostre Theatre ne souffre rien d’inutile, je ne l’aurois pas hazardé avec tant de confiance, si je n’avois eu pour moy l’exemple d’un de nos plus Illustres Autheurs, qui ayant accomodé le sujet de cette agreable Comedie dans son Illustre Bassa aux galanteries du Marquis Français, n’a pas dédaigné d’y employer la fourbe d’un valet qui abuse de la simplicité de l’autre. Il est vray que la narration blesse moins qu’un spectacle de cette nature, mais aussi tout le monde n’a pas le discernement si juste que vous l’avez, et ce qui est effectivement un defaut, quoy qu’il ne manque jamais de l’être pour vous, l’est souvent pour peu de personnes.
Je suis, Monsieur, Vostre tres-humble Serviteur,
T. Corneille.
On fera apparaître les noms des personnages dans l’ordre chronologique de création des œuvres : d’abord ceux de Calderón, puis ceux de Scudéry, enfin ceux de d’Ouville et Thomas Corneille.
Cette mise en regard de certains passages de ces différentes œuvres ne prétend pas être exhaustive, mais donner un aperçu des principaux emprunts de Thomas Corneille et de la grande proximité entre tous ces textes.
FA, I, 1, p. 1 v. 2 : Beatrix me l’a dit.
AF, Ière « journéee », v.748 : Aquesto Beatriz me dixo.
FA, I, 1, p. 2 v. 10-12 : Et si le bon vieillard ne fut point survenu, / J’allois sçavoir, Monsieur, tout au long le mystere, / Estre fille suffit pour ne se pouvoir taire
AF, Ière « journéee », v. 753-5 : Si su amo no viniera / pienso que me lo dixera, / que Beatriz es muy muger
FA, I, 2, p. 6, v. 76 : Mon maistre n’ayme plus, je n’ayme plus de mesme. / […] Un valet suit tousjours la fortune d’un maistre : / Fay qu’on ayme le mien, et tu verras qu’apres, / S’il faut mourir pour toy, je mourray tout exprés.
AF, Ière « journéee », v. 550-4 : Yo tras mi amo he de dir, / quanto el amare amarè, / que un criado siempre fue / en la tabla del amor, / contrapeso del señor […] / Si quisieras / Beatriz, que asistiera à verte, / tu huuieras hecho desuerte, / que este impossible vencieras, / entonces tu me tuuieras / aqui denoche y de dia.
FA, I, 2, p. 9, v. 102 : Si je meurs pour l’oüyr, tu meurs pour le conter
AF, Ière « journéee », v. 573 : tu por dezillo mueres
FA, I, 2, p. 9, v. 104 : Parle sans préambule.
AF, Ière « journéee », v. 797 : Con preambulo tambien ?
FA, I, 2, p. 10, v. 111 : il est galand, noble, de bonne mine.
AF, Ière « journéee », v. 803-4 : un hombre / tan pobre como galan.
FA, I, 2, p. 12, v. 128-134 : Mais ne craint-elle point qu’un voisin la diffame ? / Car enfin il en est qui pendant tout un mois / Comme des loups garous ne dorment qu’une fois. / Leur curieuse humeur tousjours les inquiete, / Et si dans le quartier il est quelque amourete, / Du soir jusqu’au matin ils demeurent au guet / Pour tenir bon papier de tout ce qui s’y fait.
AF, Ière « journéee », v. 402-410 : don Iuã, de lo que has de hazer, / no reparen los vezinos / de verte en la calle, que es / uno mal intencionado, / de toda la vida juez, / todo lo saben, que mucho, / si ay vezino, que por ver / lo que passa en una noche, / no se acuesta en todo un mes.
FA, I, 3, p. 13, v. 149-152 : C’est donc là cet honneur qu’elle nous vantoit tant ! / Ah combien en est-il de ce sexe inconstant / Qui contrefont de jour une vertu parfaite, / Et la laissent de nuict dormir sous leur toilete !
AF, Ière « journéee », v. 837-840 : Mas este es el santo honor / que tan caro nos vendia ; / quantas con honor de dia, / y denoche con amor
FA, I, 4, p. 15, v. 167-172 : Ce Cavalier poly, galand, honneste, / Qui ne vous a jamais donné martel en teste, / Ce D. Juan dont tantost je vous avois parlé, / Qui fait croire par tout qu’en Flandre il est allé, / Par l’ordre de Lucrece, et sans qu’aucun le sçache, / En secret dans Madrid chez D. Lope se cache.
AF, Ière « journéee », v. 876-882 : aquel pobre Cavallero / don Juan de Medrano, aquel, / que apenas te daba zelos. / Aquel que dixo, que a Flandes / iba, se quedò encubierto / en la Corte, y en la casa de don Carlos de Toledo
A propos du personnage de Leonor et de son équivalent chez Scudéry :
FA, I, 5, p. 19, v. 224 : elle vit chez un Oncle
Ibr, p. 448 : vivant seulement sous la conduite d’un oncle
FA, II, 2, p 32, v. 414 : Que je hay le Soleil qui fait que je vous voy !
Ibr, p. 411 : Il est vray, me respondit-elle, que je hay le Soleil, puis que c’est par luy que je vous voy.
FA, II, 2, p 32, v. 415 : [D. FERNAND.] Ouy la Lune en effet vous est plus favorable, / Et vous fait voir sans doute un objet plus aymable.
AF, IIème « journéee », v. 1059-60 : [Moron] El Sol no, pero la Luna, / si, entre las doze y la una.
FA, II, 2, p. 33-34, v. 424 et suivants : Malgré vous toutefois je vous les veux apprendre. / C’est un procez d’amour où j’ay quelque interest, / Je vous en fais le Juge, et j’attends vostre Arrest ; / Mais ayant à loisir écouté [s] a partie, / Et peut-estre du fait estant mal advertie, / J’ose vous demander audience à mon tour, / Puisqu’il l’a bien de nuict, je puis l’avoir de jour. / Je ne dis pas pourtant que de la mesme sorte / On me fasse couler par une fausse porte, / Qu’on la laisse le soir entr’ouverte, et qu’enfin / Tout bas par la fenestre on me parle au jardin, / Que Beatrix au guet rompe toute surprise, / Qu’un galand quoy qu’absent vienne à l’heure promise, / Qu’un voyage à dessein soit long-temps publié.
AF, IIème « journéee », v. 1077-91 : Es fuerça que me escucheis ? / que siendo pleito de amor, / es justo darme un oido / à mi, pues aueis oido / despacio al competidor, / que si en la justicia mia / bien enterada no estais, / serà bien que nos oigais, / a èl de noche, a mi de dia, / no quiero yo que a este fin / aya lienço por señal, / Beatriz que baxe al portal, / rexa que caiga al jardin, / puerta al parecer cerrada, / galan que està ausente, y viene.
Ibr, p. 411-412 : il faut que vous m’entendiez malgré vous, car puisque c’est un procès d’amour, il est bien juste, puisque vous avez déjà escouté mon Rival, que vous m’escoutiez aussi : et que pour estre bien informée de la justice de nostre cause, vous luy donniez audience la nuict, et à moy le jour : car je ne veux pas qu’à ma consideration on mette un mouchoir à la jalousie, que Lucrece descende au jardin, qu’il y aye une porte qui semble fermée et qui soit ouverte ; ny estre un galant absent, qui se trouve pourtant à l’assignation qu’on lui donne.
FA, II, 2, p. 34, v. 438 : Il a bonne memoire, il n’a rien oublié
AF, IIème « journéee », v. 1092-3 : Que linda memoria tiene, / no se le ha oluidado nada ?
FA, II, 2, p. 34, v. 441 : Monsieur, qu’avez-vous fait ?
AF, IIème « journéee », v. 1113 : señor, q has hecho ?
Ibr, p. 412 : Hé, Monsieur, qu’avez-vous fait ?
FA, II, 2, p. 34, v. 444-5 : Tay-toy, tu m’as venduë. / Malheur à qui se fie à de pareils esprits.
AF, IIème « journéee », v. 1117 et 1120-1 : Tu Beatriz tu me has vendido. / […] mal aya, amen, quien se fia / de criadas.
FA, II, 2, p. 35, v. 447-9 : Pleust au Ciel que vous-mesme avec vostre cholere / N’eussiez pas advoüé ce que j’avois sçeu taire
Ibr, p. 412 : et plûst au Ciel que vous ne vous fussiez pas trahie davantage, en venant d’avoüer ce que je n’ay jamais revelé.
FA, II, 2, p. 35, v. 452 : Tache à remedier à ce desordre extresme
Ibr, p. 412 : mais si tu peux, racommode tout ce desordre.
FA, II, 2, p. 35-6, v. 459-61 : [PHILIPIN à D. Fernand.] / Monsieur, j’ay grande peine à bien mentir pour l’heure, / Celle-cy passera faute d’une meilleure. / [D. FERNAND.] Bonne ou mauvaise enfin, parle, je t’ayderay.
AF, IIème « journéee », v. 1141-4 : No es muy seguro capricho, / Vive Dios, q por aora / que no ai otra a de servir / [Don Diego] Yo te ayudarè a mentir.
FA, II, 2, p. 36, v. 464 : Vous me faites en vain signe que je me taise.
Ibr, p. 413 : c’estoit en vain que je luy faisoit signe qu’il se teust.
FA, II, 2, p. 36, v. 474 : [PHILIPIN …] Je pense qu’il feroit, mesme parler les morts.
AF, IIème « journéee », v. 1638-9 : Y tã cierto, / que fuera lo mismo un muerto.
FA, II, 2, p. 37, v. 479-81 : Je sçay qu’en l’advoüant je perds tous mes service, / Mais j’ayme Beatrix Reyne des Beatrices, / De tout soupçon icy j’ay deu la dégager.
AF, IIème « journéee », v. 1176-8 : Siempre la verdad te enfada, / mas no ha de quedar culpada / la Beatriz de las Beatrizes
FA, II, 2, p. 37, v. 482 et suivants : Depuis plus de huict jours il me fait enrager, /
Ibr, p. 413 : il y a huit jour qu’il passe les nuicts à regarder les Astres, et à feuilleter ses livres, pour en découvrir la cause : et c’est sans doute par ce moyen qu’il a sceu ce qu’il vous a dit.
FA, II, 2, p. 37, v. 489-90 : Ne me fistes-vous pas encore hier au soir / Remarquer un jardin dedans un grand miroir, / Et quelque temps apres n’y vis-je pas paroistre / Un homme qu’attendoit Madame à sa fenestre ? / [à Lucrece.] Je ne le pûs entendre alors qu’il vous parla
AF, IIème « journéee », v. 1187-91 : y yo en un espejo vi / un jardin adonde estava, / y alli una muger que hablava / con èl, aunque no la oì / lo que dixo, esto es verdad.
Ibr, p. 413 : Il m’a mesme fait voir, poursuivit-il, le jardin où vous estiez dans un grand miroir, sans que j’aye pû entendre pourtant ce que vous disiez.
FA, II, 2, p. 38, v. 496-7 : Il me perdra d’honneur s’il en dit davantage, / Et bien-tost à l’oüyr vous me croirez Sorcier
Ibr, p. 413 : Mais comme je vis qu’il allait confondre les choses, et que d’Astrologue il me feroit bien-tost passer pour Magicien
FA, II, 2, p. 38, v. 499 et suivants : Madame, j’advoüeray qu’en mon voyage en France / Du grand Nostradamus j’acquis la cognoissance, / Avec tant de bonheur qu’il m’enseigna son Art, / Et n’eut point de secrets dont il ne me fit part. / Ce fut donc à hanter ce rare et grand Genie / Qu’en assez peu de temps j’appris l’Astrologie
AF, IIème « journéee », v. 1250-2 : tan inclinado me vi / a su ciencia, como èl / a mi inclinacion. […]
Ibr, p. 413-4 : Je luy dit encor, qu’estant party de la Cour de France, j’avois passé par la Provence, où m’estant trouvé logé proche du grand Nostradamus, si admirable en cette science, […] j’avois été si heureux que de toucher son inclination, et d’acquerir son amitié jusques au poinct de m’apprendre une partie des belles choses qu’il sçait
FA, II, 2, p. 38, v. 505 : Je cognoy trop le peuple et son déreglement, / Il hait cette science, et croit que qui l’exerce / Doit avec les démons avoir quelque commerce ; / Ainsi craignant sa langue et d’en faire l’essay, / J’ay tousjours avec soing caché ce que je sçay
Le même argument est déjà présent chez Calderón (v. 1238-43 et 1202-10), mais sous une forme moins synthétique et pas exactement dans les mêmes termes.
Ibr, p. 413 : une chose que je ne voulois pas qui fust sceuë, à cause de la brutalité du peuple qui s’imaginoit que l’on [ne] pouvoit observer les Astres sans avoir commerce avec les demons : et ne sçavoi[t] point mettre de difference entre l’Astrologie et les enchantemens.
FA, II, 2, p. 38, v. 511 à 514 : Tant que las de souffrir vostre rigueur extresme, / J’en ay voulu sçauoir la cause de moy-mesme, / J’ay consulté le Ciel, et l’ay trouvée enfin, / J’ay trouvé la fenestre avecque le jardin
AF, IIème « journéee », v. 1286-99 : que despreciado de ti, / como pudo el mas humilde / hombre, el mas baxo, el mas vil / de tus desprecios la causa, / y de mi desdicha el fin, / por no preguntarla a otro / la quise saber de mi / y anoche con esse loco, / que se atrevio a descubrir / tan gran secreto, […] / hallè el paño, hallè la rexa, / hallè la puerta, el jardin / hallè
FA, II, 2, p. 38, v. 522-5 : La verité, Madame, enfin prend mon party. / Pour moy j’avois bien sçeu par un confus murmure / Qu’il se mesloit un peu de la Bonne-advanture ; / Mais je vous ay venduë, il a tout sçeu de moy. / [LUCRECE] J’avois assez de peine à soupçonner la foy
AF, IIème « journéee », v. 1317- 20, v. 1322-3 et 1351-5 : Señora ! / jamas oiste dezir, / que era Astrologo don Diego / otras vezes, pues yo si. / […] Quexa te agora de mi, / y di, que yo te he vendido. / […] [maria] Nunca de ti lo crei. / [Beatriz] Estava al fin inocente, / bolivo la verdad por mi.
FA, II, 3, p. 42, v. 570-4 : Quoy qu’il en soit enfin, Monsieur, je suis à vous. / J’eus tousiours grande ardeur pour ceux dont la science / Releve le bon sang qu’ils ont de leur naissance, / Et s’il faut librement vous en faire l’adveu, / Dans mon jeune âge aussi je m’en meslois un peu
AF, IIème « journéee », v. 1418-30 : vos tenedme por criado, / que a los hombres ingeniosos / les soi mui aficionado, / mayormente a los que son / tan principales que tienen / la ciencia por guarnicion / de la sangre, y que previenen / ingenio, y estimacion. / tambien yo en mi mocedad, / si he de deziros verdad, / alguna cosa estudiè, / y con deseos pequè / en esta curiosidad
FA, II, 3, p. 42, v. 575 : l’embarras des affaires
Ibr, p. 415 : l’embarras des affaires domestiques
FA, II, 3, p. 43, v. 577-80 : Auriez-vous pour suspect / Saturne regardant Venus d’un trine aspect, / Et peut-on justement tirer un bon augure / De la conjonction d’Hecate avec Mercure ?
Ibr, p. 418 : Je sçavois dire encor, que Saturne regardant Hecate d’un trine aspect […] ne pronostique […] rien de bon.
FA, II, 3, p. 43, v. 595 : Ce sont termes de l’Art
JA, IV, 8 : ce sont termes de l’art.
FA, II, 5, p. 47, v. 631-2 : Les belles questions cependant qu’il m’a faites / A moy qui ne cognois ny Signes ny Planettes !
AF, IIème « journéee », v. 1437-8 : porque no se / nombre de signo, ni estrella
Ibr, p. 415 : Je vous laisse à juger, Madame, en quel estat se trouvoit un homme qui ne sçavoit pas seulement les noms des Signes et des Planettes.
FA, II, 5, p. 48, v. 640 : De vostre haut sçavoir je seray le trompette
AF, Ière « journée », v. 857-60 : Porque trompa de metal, / la vos de un criado es. / que hablando en el Labapies / le han de oyr en Foncarral.
JA, I, 5, p. 22 : La langue d’un valet est pire qu’un trompette.
FA, II, 5, p. 49, v. 658-61 : [Philipin] Qu’importe ? vous direz tantost ouy, tantost non, / Vous aurez quelque esgard à l’âge, à la personne, / Et du reste, Monsieur, Dieu la leur donne bonne, / Jamais un Astrologue est-il garand de rien ? / [D. Louys :] Le hazard fait souvent prophetiser fort bien. / Vous devez seulement mettre beaucoup d’estude / A ne rien affirmer auecque certitude, / Du present, du passé discourir rarement, / Tousjours de l’advenir parler obscurement, / Examiner la chose, en peser l’importance.
AF, IIème « journée », 1548-53 : Lo que todos responder, / una vez si, y otras no, / sea de gusto, ò de pena, / Dios se la depare buena, / pues que Astrologo acertò / cosa ninguna
Ibr, p. 416 : Ce que vous répondrez, me dit mon Agent, vous répondrez comme les autres, poursuivit-il, tantost oüy, et tantost non, soit favorablement ou funestement, et du reste, Dieu la leur donne bonne, car enfin, un Astrologue ne demeure jamais garand de rien. A ce discours, Valere se mit à rire, et me dit encor pour appuyer cette opinion, que cette science estant aussi difficile qu’elle estoit, il pourroit estre que le hazard me feroit plutost prophetiser, que toutes les reigles et les speculations Astrologiques. Que je n’avois qu’à parler tousjours obscurement ; n’affirmer jamais rien avec certitude ; considerer un peu la qualité et l’âge des personnes ; ne parler guere du passé, ny du present, sans en estre bien informé ; et pour l’advenir, en discourir tousjours par Emblesmes et par Enigmes, et prédire d’ordinaire plus de bonheur que d’infortune.
FA, II, 6, p. 50, v. 670-1 : Qui l’auroit pû penser ? / O surprenant prodige ! incroyable merveille !
Ibr, p. 419 : je n’eussent jamais pensé qu’un homme eust pû faire de si grand prodiges. Qu’à cela Leandre l’avoit arresté, et luy avoit demandé ce qu’il avoit veu de si merveilleux.
FA, II, 6, p. 51-2, v. 682 et suivants : Je ne cognus jamais un esprit si parfait. / Dans un degré si haut il sçait l’Astrologie / Que je l’accuserois volontiers de magie. / Il a sçeu de ma vie, et presque en un moment, / Ce qu’on n’en peut sçavoir que par enchantement ; / Et cela, de ma main tirant des conjectures, / Et puis sur du papier traçant quelques figures. / Qui croiroit à le voir si galand… [D. LOPE] N’est-ce pas / Cet esprit enjoüé, D. Fernand Centellas Dont on prise à l’envy les graces nompareilles ?
AF, IIème « journée », v. 1604-20 : el hombre mas docto es, / que tiene la Astrologia, / en este punto lo vi, / aunque el tiene para mi / gran ramo de hechizeria, conmigo se declarò / esta tarde, y me ha contado / cosas, que a mi me han passado / conmigo, y que Dios, y yo / las sabemos solamente, / no se como pudo ser, / que el lo llegasse a saber / en dos rasgos de repente / hizo la figura alli, / teniendome a mi delante, / como en menos de un instante. / [Carlos] Don Diego de Luna ? [Antonio] Si.
Ibr, p. 419-420 : Sçachez donc, répondoit Valere, puisque vous le voulez, que cet homme que vous voyez si enjoüé et si galant, est le plus grand Astrologue qui fut, ny qui sera jamais : s’il est vray qu’il n’y ait point d’enchantement à ce que j’ay veu, comme il m’en reste quelque soupçon ; il s’est déclaré à moy ce matin (poursuivoit-il) et m’a dit des choses si particulières de ma vie, que moy seul les pouvois sçavoir. Et ce que je vous dis, il l’a sceu presque en un instant, en traçant quelques figures sur du papier, et en me regardant la main […] N’est-ce pas le Marquis François (interrompoit Leandre) […] ?
FA, II, 6, p. 52, v. 694-7 : Je crois deux ou trois fois l’avoir entretenu, / Mais je remarquois bien, non qu’il eust cognoissance / De cette merveilleuse et divine science, / Mais du moins qu’il estoit homme de grand esprit.
AF, IIème « journée », v. 1621-9 : En mi vida no le he hablado, / sino es un avez, ò dos, / y en estas solas por Dios, / no se bien que aire me ha dado, / que aunque no de Astrologia, / que esto era mucho saber, / en èl he echado de ver, / que era hombre que sabia ; / pero que es tan eminente.
FA, II, 6, p. 52, v. 698 et suivants : Vous serez donc encor beaucoup plus interdit / Si vous m’accompagnez un jour chez ce rare homme / Qu’il me doit faire voir une Dame de Rome, / Qui pendant que j’y fus me voulut quelque bien. / [D. LOPE.] Se peut-il qu’en effet… [D. LOUYS.] Ce n’est encor là rien ; / Car pour vous dire au vray toute mon advanture, / Il a fait devant moy parler une peinture, / C’est ce qui me confond au point que vous voyez.
AF, IIème « journée », v. 1630-7 : Un dia te he de Ilevar, / que dize me ha de enseñar / una muger que està ausente, / y esto es lo menos que el haze ; / porque si verdad te trato, / he visto hablar un retrato, / que de aquesto Carlos nace / tanta confusiõ.
Ibr, p. 420 : Vous serez donc encor bien plus surpris, repliquoit Valere, si je vous y mene un jour, qu’il m’a promis de me faire voir une femme qui demeure à Rome, et que j’ay aimé du temps que j’y estois : Et cela encor est une des moindres choses qu’il sçait faire. Car s’il faut vous dire la vérité, j’ay veu et entendu parler un portrait, et c’est ce qui cause la confusion où vous me voyez.
FA, II, 6, p. 53, v. 713-5 : Adieu, mais prenez garde à ne parler de rien, / On pourroit l’accuser d’estre Magicien. / En voicy du moins un desja dedans le piege.
AF, IIème « journée », v. 1646-52 : pero el callar te conviene, / por el peligro que tiene / aquesto de lo hechizero. / […] Pues a Dios, este es el necio / primero que me ha creído.
FA, III, 1, p. 56, v. 737 : Astrologue excellent
AF, IIème « journée », v. 1795 : Astrologo excelente
FA, III, 1, p. 57, v. 751 et suivants : Je cognois mesme encor le Zenith, l’Ecliptique, / Le Tropique du Cancre, et le Pole Antarctique, / Ces termes de Jupin s’opposant à Venus, / Grace à mon Almanach, ne m’épouvantent plus
Ibr, p. 418 : les deux Tropiques de Cancer et de Capricorne, et les deux Cercles Polaires, Artique et Antartique. Je connoissois […] le Zenith, l’Hemisphere […]. Je sçavois dire encor […] Que Venus recevant les opposites radiations de Jupiter […] ne presage que des desordres. Enfin je connoissois les Paralelles, l’Ecliptique […].
FA, III, 1, p. 58, v. 761-4 : J’ay sçeu trouver d’abord une maison de jeu, / Où j’ay tout debité dans une troupe amie / De ceux qu’on nomme là piliers d’Academie
Ibr, p. 420 : il me conta comme il estoit allé à l’Academie
FA, III, 1, p. 58, v. 776 : Un amy m’a conté ma propre menterie
AF, IIème « journée », v. 1818 : por verdad me contaron mi mentira
FA, III, 1, p. 58-9, v. 783-4 : je m’approche, et pour rire / J’ay sur ce qu’il disoit voulu le contredire
Ibr, p. 421 : comme il n’avoit pû s’empescher de rire, il s’estoit mis à le contredire assez plaisemment
FA, III, 2, p. 61-2, v. 820 et suivants : Vous pourriez m’espargner la honte de le dire. / Puisque ce haut sçavoir dont chacun est jaloux / Vous fait cognoistre assez ce que je veux de vous. / [D. FERNAND.] Et par cette raison vostre raison est vaine, / Car enfin si je sçay le sujet qui vous méne, / Ce que vous me direz en cette occasion / Ne sçauroit augmenter vostre confusion. / [LEONOR.] Mais que vous servira d’entendre ma foiblesse ? / Vous ne sçavez que trop le desir qui me presse, / Me monstrer à vos yeux, c’est vous ouvrir mon cœur : / Ne me traitez donc point avec tant de rigueur, / Et puisqu’à vous parler je suis si peu hardie / Faites ce que je veux sans que je vous le die.
Ibr, p. 426 : si vous vouliez, il vous seroit aisé de m’épargner la peine de vous dire ce que je desire de vous, puisque sans doute vous le savez déjà. […] c’est par cette raison, luy-dis-je, que vostre modestie ne doit pas vous empescher de parler, car puisque c’est un secret que je n’ignore pas, ce que vous m’en direz ne doit rien adjouster à vostre confusion. […] Ne soyez donc point si rigoureux et s’il est possible, faites ce que je veux sans que je vous le die.
FA, III, 2, p. 62-3, v. 839 et suivants : Mais sçachez que pour vous je m’employerois en vain, / Si vous ne témoigniez par un recit sincere / Vostre consentement à ce qu’il faudra faire. / Peut-estre tâchez-vous de voir par cet essay / Si je suis ce qu’on dit, et si ce bruit est vray, / Mais gardez d’empescher l’effet de ma science, / Car enfin il y faut beaucoup de confiance, / J’ay mes règles à part, et n’agis pas tousjours / Selon qu’apparemment les Astres ont leur cours. / La force de mon Art passe un peu l’ordinaire, / Et pour vous en donner une preuve bien claire, / Je vay vous découvrir, si vous le souhaitez, / Quelle est vostre pensée, à quoy vous la portez, / Si vostre cœur est libre, ou quel objet l’enflame, / Et ce que vous avez de plus caché dans l’ame : / Mais cela fait aussi, ne me demandez rien, / Je ne puis rien pour vous.
Ibr, p. 427 : mais si par un recit simple et fidele, vous ne témoignez le consentement que vous apportez à ce que vous voulez qu’on fasse pour vous, il me sera impossible de vous servir. Et prenez garde, luy dis-je, […] que ce que vous appelez modestie, ne soit un effet du doute que vous avez en ma science ; et que par cet essay vous ne veüillez vous en asseurer. Il faut de la confiance en ce mystere, poursuivois-je, car je n’agy pas seulement par les voyes ordinaires de l’Astrologie, et je pense avoir acquis quelques connoissances extraordinaires qui vont encor au-delà. Et pour vous le témoigner, je m’en vay vous dire presentement si vous le desirez, toutes les plus secrettes pensées de vostre ame : mais après cela, n’attendez plus rien de moy.
FA, III, 2, p. 65, v. 900 : D’ailleurs, la vision est fort melancholique / D’un esprit enfermé dans un corps fantastique, / Cette apparition pleine d’horreur en soy / Fait pâlir bien souvent les plus hardis d’effroy
AF, IIème « journée », v. 1756-7 : el que desta suerte ves, / cuerpo fantastico es
Ibr, p. 427 : l’aparition des esprits, qui n’estoient lors que dans un corps fantastique, donnoit toujours quelque frayeur ; […] j’estois ravy de voir une personne de son sexe, avoir l’esprit assez ferme pour une entreprise qui faisoit trembler les plus hardis.
FA, III, 2, p. 66, v. 905-6 : Dans cette vision, dans ce charme trompeur, / J’auray plus de plaisir que je n’auray de peur.
Ibr, p. 428 : Et ne craignez pas qu’une si agreable vision m’épouvente : car je vous asseure qu’elle me donnera plus de plaisir que de frayeur.
FA, III, 2, p. 68, v. 943-944 : Regardez-moy l’œil fixe. [LEONOR.] O fille fortunée ! / [D. FERNAND.] Monstrez-moy vostre main. Quel jour estes-vous née ? / [LEONOR.] / L’onziesme de Juillet.
Ibr, p. 429 : Après cela, je voulus encor luy voir la main, et qu’elle me regardast fixement : je luy demandé l’heure et le jour de sa naissance
FA, III, 2, p. 68-9, v. 948 et 952 : [D. FERNAND.] Il me faut faire un pacte avecque son Idée, / Ce charme est innocent, mais pour un tel dessein / J’ay besoin d’un billet écrit de vostre main. / […] Je le déchireray ma figure estant faite.
Ibr, p. 428 : pour la faire reüssir, il falloit qu’elle écrivist un billet, selon les termes que je luy dicterois ; et qu’elle me permist de l’emporter pour faire mes figures dessus, l’asseurant que je le déchirerois, aussi-tost que le mystere seroit achevé ; et que cela parmy les sçavants, s’appeloit faire un pacte avec les idées.
FA, III, 2, p. 71, v. 973 et suivants : [JACINTE se cachant le visage.] Faut-il qu’il me regarde ! Helas, je meurs de peur. / [D. FERNAND à Jacinte.] Tu te caches les yeux, et je vois dans ton cœur. / [JACINTE.] Si vous sçavez, Monsieur, le secret où je pense, / Que ma maistresse au moins n’en ait point cognoissance, / Elle feroit chasser Fabrice asseurément.
Ibr, p. 429 : je pris garde que Camille se cachoit le visage avecques grand soin, de peur que je ne connusse le secret de son ame dans ses yeux. […] je luy dit en riant pour finir la Comedie, c’est en vain, […] que vous vous cachez les yeux, si je voiy vostre cœur à descouvert. Et de grace, me dit cette fille toute surprise, […] si vous sçavez mon secret, ne le dites point à ma Maistresse, car elle feroit chasser le pauvre Nastage hors du logis.
FA, III, 3, p. 72, v. 984-6 : J’avois beaucoup de peine à m’empescher de rire, / Et sur tout mon plaisir ne se peut exprimer / Alors qu’elle a détruit vostre obstacle de mer.
AF, IIème « journée », v. 2028-31 : Yo os confiesso, / que ya perdido me vi / de risa quando os cogio / en lo del mar.
FA, III, 3, p. 73, v. 1001-2 : D. Juan, je sçay bien où vous estes, / Venez me voir dés cette nuict.
AF, IIème « journée », v. 2013-5 : Don Juan ya se. […] / Adonde estais, venid / aquesta noche a hablarme
FA, III, 3, p. 73, v. 1003 et suivants : Et vous pouvez beaucoup avecque cette lettre. / [D. FERNAND.] Dans les mains de D. Juan il faudra la remettre, / Qui sans doute croyant qu’on l’a fait espier / Ira voir Leonor pour se justifier, / Se trahira luy-mesme ; ainsi par cette adresse / Je me vange, et détruis les plaisirs de Lucrece. / Si d’ailleurs Leonor trop credule en ce point / Le prend pour un Fantosme et ne l’écoute point, / On ne peut inventer fourbe plus accomplie / Pour confirmer le bruit de mon Astrologie.
Ibr, p. 429-30 : quel dessein, luy dis-je ; celuy qu’elle tombe aux mains d’Hortense, qui croyant qu’Aurelia sçait qu’il est caché chez Leandre, puis qu’elle luy escrit, ne manquera pas de se trouver à l’assignation qu’elle luy donne par sa lettre, pour essayer de se justifier : et de cette sorte elle apprendra qu’il est effectivement à Gennes, fera esclater la chose, destruira les plaisirs cachez de Livie, et me vangera. Que s’il arrive qu’elle le prenne pour un phantosme, la reputation que vous m’avez donnée en augmentera encore.
FA, III, 3, p. 74, v. 1022 : Cet advis en effet est le meilleur de tous.
Ibr, p. 430 : cet advis nous semblant le meilleur que nous puissions prendre, nous ne songeasmes plus qu’à l’executer
FA, III, 6, p. 77, v. 1045-6 : Quel Démon ennemy, quel infidelle esprit / A pû lui découvrir que je suis à Madrid ?
Ibr, p. 431 : quel demon a découvert à Aurelia que j’estois icy ?
FA, III, 7, p. 78-9, v. 1060-78 : [JACINTE.] Mais croyez-vous encor qu’il tienne sa promesse, / Et qu’en si peu de temps D. Fernand au besoing / Puisse obliger D. Juan à venir de si loing ? / [LEONOR.] Pauvre esprit ! esprit foible ! avec ton ignorance / Voudrois-tu limiter cette haute science, / Qui pourveu que la mer ne fust point entre-deux /Produiroit des effets cent fois plus merveilleux ? / Sans doute qu’il viendra, non luy mais son Image, / Un spectre tout pareil de port et de visage. / [JACINTE.] Et quel plaisir, Madame, aurez-vous de le voir ? / Pourquoy le souhaiter ? / [LEONOR.] Tu ne le peux sçavoir / Si tu ne sçais qu’Amour, ce charmant adversaire, / Luy-mesme est la raison de tout ce qu’il fait faire. / [JACINTE.] Et bien, vous le verrez, je veux vous l’accordez. / Mais si c’est un Fantosme, un corps qui n’est que d’air, / N’aurez-vous point de peur ? [LEONOR.] Point du tout : mais on frappe. / [JACINTE.] Vous pâlissez, Madame, un soûpir vous échape ! / Vous croyez que c’est luy peut-estre ? [LEONOR.] Aucunement, / Mais va voir ce que c’est.
AF, IIème « journée », v. 2127-59 : Es possible que has creido / que aya de venir a casa / en esta noche don Juan, / y no creas que te engaña / tu deseo, como puede / venir, quien de leguas tantas / oi te ha escrito. [Violante] Necia estàs, / quieres tu con tu ignorancia / poner limite a las ciencias, / que tanto poder alcançan, / como no aya mar en medio, esso es cosa averiguada, / que vendra, mas no don Juan, / sino sombra que retrata / al mismo de la manera / que allà estuviere. [Quiteria] y q sacas / de verle, assi. [Violante] Solo verle, / y no me preguntes nada, / sino sabes que es amor, / que ya se que ai muchas damas / que se entretienen en ver, / en que los ausentes passan. / [Quiteria] Y quando fuera possible. / el verle, no te causara / miedo pensar que era sombra. / [Violante] Ningun temor me acobarda, / anîmo tengo. […] / Mira, que a la puerta llaman, / toma essa luz, y abre presto. / [Quiteria] La color tienes turbada, / has creîdo que es don Juan. / [Violante] No lo creo, pero acaba.
Ibr, p. 433-4 : cette fille luy demanda si elle pouvoit bien croire que cette nuit-là elle veroit Hortense ? car disoit-elle, le moyen qu’un homme qui est si esloigné de vous vous puisse venir trouver en si peu de temps ? la maistresse, qui pensoit bien estre plus habile, sousrioit en l’entendant parler ainsi : et prenoit grand soin de luy faire comprendre que cette science estoit au dessus de son esprit : et luy disoit encor, que ce ne seroit pas effectivement Hortense qu’elle verroit, mais quelque chose qui luy ressembleroit si parfaitement, qu’il n’y auroit nulle difference. Mais, luy disoit Camille, qu’esperez-vous de le voir ainsi ? Quel divertissement ? quelle satisfaction en attendez-vous ? le voir seulement, répondit Aurelia ; et si tu es sage, disoit-elle, ne demande jamais pourquoy l’Amour fait faire quelque chose, car il est luy-mesme la raison de ce qu’il nous force à faire. […] Mais, repliquoit Camille, n’aurez-vous point de peur ? point du tout, repondoit Aurelia. Comme elles en estoient-là, Hortense […] se mit […] à frapper tout doucement à la fenestre. Ce qu’Aurelia ayant entendu, elle changea de couleur. Vous croyez peut-estre, luy dit Camille, que c’est Hortense qui fait ce bruit […] je ne le croy pas, répondit Aurelia, mais pourtant ouvre la fenestre
FA, III, 8, p. 80, v. 1082-6: [LEONOR.] Ah Ciel, Ah ! […] / […] Ma curiosité ne sert qu’à me confondre, / C’est la voix de D. Juan, mais je ne puis répondre, / Et quand j’ay pris dessein de le faire appeler / J’ay souhaité le voir, et non pas luy parler.
Ibr, p. 434 : Ha Dieu, dit Aurelia, c’est la voix d’Hortense ! mais je ne sçaurois luy respondre : et ce n’est pas pour luy parler, que j’ay souhaité de le voir.
JA, IV, 4 : J’ay désiré vous voir, et non pas vous parler.
FA, III, 8, p. 81, v. 1096: Fantosme, laisse-moy, retourne à Sarragoce.
AF, IIème « journée », v. 2214-5 : Fantasma / buelbete alla a Zaragoça.
JA : Fantosme, promptement retourne en Italie
FA, IV, 1, v. 1154-56 : Pour gage de ma foy prenez ce Diamant, /Seur que je suis à vous, et que quoy qu’il advienne / Jamais sa fermeté n’égalera la mienne.
JA, IV, 5 : « c’est chose très certaine / Que le mien le surpasse encor en fermeté !
FA, IV, 6, p. 95, v. 1270 et suivants : Au lieu de son Fantosme et d’une illusion, / Si quoy qu’il se cachast avec un soing extréme, / A vous aller trouver je l’ay contraint luy-mesme, / Puis-je mieux témoigner la force de mon Art
Ibr, p. 439 : Que si au lieu de son phantosme, elle avoit veu le veritable Hortense, c’estoit une marque indubitable de la force de mon Art : qui l’avoit contraint de l’aller trouver, bien qu’il voulust être caché.
FA, IV, 5, p. 92, v. 1229 : Peu s’en faut qu’en la ruë on ne me monstre au doigt.
Ibr, p. 439 : le peuple commençoit déjà de me regarder et de me monstrer au doigt
JA, III, 6 : Chacun te montre au doigt à present dans la ruë
FA, IV, 5, p. 92, v. 1233 : Dequoy vous plaignez-vous ?
Ibr, p. 440 : et puis dequoy vous plaignez-vous ?
FA, IV, 6, p. 95, v. 1275 : Cette raison l’emporte, il faut que je luy cede
AF, IIIème « journée », v. 2534-6 : Razon / es essa, a quien yo no hallo / respuesta
FA, IV, 6, p. 96, v. 1293-5 : son esprit jaloux / A voulu se guerir en se cachant de vous, / Pour vous faire observer il a feint ce voyage
AF, IIIème « journée », v. 2570-3 : que la ocasion / de estar do Juan en Madrid / fuiste tu, y el se quedò / por zelos que de ti tuvo
Ibr, p. 439 : estant devenu jaloux d’elle, il avoit feint un voyage à Naples, afin de faire observer toutes ses actions exactement
FA, IV, 8, p. 99, v. 1320-1 : Daignez en ma faveur faire quelque figure, / Pour découvrir au vray ce qu’il est devenu.
AF, IIIème « journée », v. 2685-8 : quisiera que me dixerais / donde està, y ansi os suplico / que me estudieis con cuidado / esta figura.
Ibr, p. 441 : il me conjuroit de vouloir faire quelques figures, pour découvrir qui pourrait avoir une bague d’émeraude qui s’estoit perduë chez luy.
FA, IV, 8, p. 99, v. 1322 : [D. LOUYS. à D. Fernand.] O qu’en bonne saison le vieillard est venu !
AF, IIIème « journée », v. 2690 : A buen tiempo el viejo vino.
FA, IV, 8, p. 100-1, v. 1339-56 : Je ne le cele point, j’ay bien quelque principe / De cette Astrologie où tant de monde pipe, / Et sur ce fondement mes amis indiscrets / Ont feint d’en avoir veu de merveilleux effets ; / Mais quoy qu’on en publie, et quoy que l’on en pense, / Aucun n’en vit jamais la moindre experience, / Et si par leur exemple à cette feinte instruit / Moy-mesme quelquefois j’ay confirmé ce bruit, / Ce n’a jamais esté que quand la raillerie / Loin de passer pour crime estoit galanterie : / Mais icy qu’il s’agit de vous parler sans fard, / Quel que soit le renom que m’ait acquis cet Art, / La reputation ne m’en est point si chere, / Que pour la conserver je vueille vous rien taire. / Ainsi croyez qu’en vain touchant ce diamant / Vous attendez de moy quelque éclaircissement, / En quelque main qu’il soit, et quoy qu’il en puisse estre, / Par le peu que je sçay je n’en puis rien cognoistre.
AF, IIIème « journée », v. 2713-31 : señor Leonardo, eschudad, / yo tuue algunos principios / de Astrologia, es verdad, / de donde tomè motivo, / para tener opinion / acreditada de amigos, / todos dizen, que la se ; / Pero ninguno lo ha visto, / y es verdad, pues no se tanto / como alguna vez he dicho ; / porque entonces no importò / con poca causa fingirlo, / mas oi que ya llega a veras ; / porque no penseis que estimo / mas la opinion, que el trataros / verdad, la verdad os digo, / yo no se de Astrologia / tanto, que pueda deziros / de essa joya.
Ibr, p. 441 : je pris un visage serieux, pour luy dire qu’il estoit vray, qu’autre-fois j’avois sceu quelques principes d’Astrologie (car je ne pouvais pas me resoudre de me confesser tout à fait imposteur) que sur ce fondement, mes Amis m’avoient donné la reputation d’y sçavoir quelque chose : mais qu’aucun d’eux n’en avoit jamais veu nulle experience. Qu’il estoit vray aussi, que je m’estois dit quelquefois moy-mesme plus sçavant que je ne l’estoit, en quelques occasions où la fainte estoit plutost une galaterie qu’un crime, mais que pour luy, je voulois lui témoigner, que la reputation que j’avois acquise, ne m’estoit pas si chere que son amitié, puis que je luy confessois ingenuëment que je ne sçavois pas assez à l’Astrologie, […] pour luy dire ce qu’il souhaittoit de moy.
FA, IV, 8, p. 100-1, v. 1357-61 : Quand je n’aurois pas sçeu par le raport d’autruy / Que vous estes l’honneur des sçavants d’aujourd’huy, / Et que l’on fait de vous par tout un cas extresme, / Cette humilité seule à parler de vous-mesme / Me persuaderoit de ce que vous sçavez.
AF, IIIème « journée », v. 2731-7 : Quando yo / jamas huviera tenido / noticia de que vos sois / hombre docto, averos visto / hablar con tanta humildad, basta para aver creìdo / q sabeis mucho.
Ibr, p. 442 : quand je n’aurois jamais sceu par le rapport d’autruy, que vous este un homme docte, vostre humilité suffiroit, pour me persuader que vous sçavez beaucoup.
FA, IV, 8, p. 101, v. 1365-6 : Ainsi les plus sçavants, ainsi les plus parfaits / Doivent estre tousjours modestes et discrets
AF, IIIème « journée », v. 2738-42 : Esso mismo / que dezis, es lo que mas / os acredita conmigo, / ansi han de ser los que saben, / mui modestos, y encogidos
Ibr, p. 442 : C’est de cette sorte, poursuivoit-il, que doivent estre modestes et discrets, ceux qui sçavent beaucoup
FA, IV, 8, p. 102, v. 1384 : Il va me rendre fou, si je n’y prends bien garde.
AF, IIIème « journée », v. 2761-2 : Vive Dios, / que quiere quitarme el juizio
FA, IV, 8, p. 102, v. 1385-9 : Ce diamant perdu sembloit d’autant plus beau / Qu’il servoit de cachet aussi-bien que d’anneau, / Je l’avois fait graver. Et s’il est d’importance / Que vous sçachiez encor cette autre circonstance, / C’est entre neuf et dix qu’on croit l’avoir perdu.
Ibr, p. 442 : souffrez que je vous die que cette emeraude est gravée, et peut servir de cachet aussi bien que de bague. […] Et pour faciliter la chose, me disoit-il encor, il faut que vous sçachiez, que cette bague a été perdue entre dix et onze heures du matin.
FA, IV, 9, p. 103 : PHILIPIN tout haut, presentant un papier à D. Fernand.
Ibr, p. 442 : je vis entrer la Roche un grand papier à la main, qui me dit tout haut […]
FA, IV, 9, p. 104-5, v. 1408-14 : De peur de vous fâcher je voulois m’en défendre, / Mais vous m’y contraignez. […] / Oyez donc ce qu’en vain j’ay voulu vous cacher, / Et sçachez que desja resvant à vostre affaire / J’ay fait en mon esprit ce qu’il a fallu faire. / Celuy qui ce matin vous a fait compliment / En habit de campagne, a vostre diamant.
AF, IIIème « journée », v. 2808-19 : Yo he pretendido / dissimula roi con vos / mi ciencia, por no deziros / cosas que os han de pesar, / mas puesto que aveis querido / saberlo, yo esta mañana, / la misma figura he visto, / que su prima me avisò / de como se avia perdido, / un hombre que en vuestra casa / oy vestido de camino / ha entrado, tiene la joya
Ibr, p. 443 : jusques icy j’ai fait ce que j’ay pû, pour dissimuler le peu que je sçay, afin de ne vous dire rien qui vous pust déplaire : mais puisque vous le voulez sçavoir, je vous avoüeray franchement, que j’ay déjà fait la figure necessaire pour cela, en ayant été prié par une parente de Livie : de sorte que pour ne déguiser plus la verité, je suis obligé de vous dire, qu’un homme que vous avez veu ce matin chez vous en habit de campagne, est celui qui a en ses mains la bague que vous me demandez.
FA, IV, 9, p. 105, v. 1419-22 : Vous voyez, D. Fernand, qu’en vain vous vouliez taire / Ce dont sur vostre front je vois le caractere. / Quand je dis une fois, Cet homme a de l’esprit, / C’est un sçavant du siecle, il l’est sans contredit
AF, IIIème « journée », v. 2808-19 : veis don Diego, como yo / nunca me engaño, si digo / un avez, este hombre sabe, / es cierto
FA, IV, 10, p. 106, v. 1426-8 : Qu’importe s’il le prend pour gendre, ou pour larron ? / C’est bien la mesme chose, et l’un et l’autre en somme / Pour en avoir le bien veut la mort du bon-homme.
AF, IIIème « journée », v. 2855-9 : El enredo es lindo, / si el le prende por ladron, / ò por yerno, que es lo mismo, / pues de la hazienda, y la vida, / entrambos son enemigos.
FA, IV, 11, p. 107, v. 1439-41 : Ah, Monsieur, en faveur de Lucrece, / Lucrece nostre bonne et commune maistresse, / Si j’osois vous prier.
AF, IIIème « journée », v. 2865-8 : a suplicaros me atrevo / un poco, por aver sido / criado de una señora / que vos amais, y yo servo.
FA, IV, 11, p. 107, v. 1456: Monsieur, je m’en défie.
F, IIIème « journée », v. 2895-6 : Señor, / deste Moron no me fio.
FA, IV, 10, p. 107, v. 1437-8 : [D. LOUYS.] Quel est ce bon vieillard ? / [D. FERNAND.] Depuis plus de trente ans il sert chez Leonard.
Ibr, p. 444 : il vint un vieil homme qui servoit depuis trente ans chez Leonard
FA, IV, 11, p. 108, v. 1452-3 : Il suffira de moy sans employer mon maistre, / J’en sçay trop pour cela, je t’y feray porter.
Ibr, p. 444 : J’en sçais assez pour cela, dit lors mon Agent, sans que mon Maistre s’en mesle
FA, IV, 12, p. 111, v. 1481-91 : [MENDOCE.] Tu n’oserois d’ailleurs, quoy qu’avec gens discrets, / Ny médire de luy, ni conter ses secrets, / Ou s’il arrive enfin quand sa bile le presse / Qu’à bons coups de baston il te fasse carresse, / Tu n’oserois t’en plaindre, et dire à quelque amy / Qu’il est fantasque, et plus que Lutin et demy, / Ou si le cas escheoit, avecque ses semblables / Le donner de grand cœur à trente mille Diables. / Quelques coups dont jamais j’aye esté regalé, / Quand j’avois fait cela j’estois tout consolé. / [PHILIPIN.] Le mien est indulgent.
Ibr, p. 437 : Vous ne sçauriez encor, disoit Vespa, avoir le plaisir de conter ses secrets. […] et ce qui est le pis, s’il nous a mal traité […], vous n’oseriez vous en plaindre à vos Amis : pour moy, ce serait me priver d’une grande consolation, que de m’empescher de dire à quelqu’un, il est plus fantasque qu’une mule ; plus extravagant qu’un lutin : et de l’envoyer à tous les demons quand il est meschant. […] Pour moy, disoit la Roche, le mien n’est pas des plus mauvais.
FA, IV, 12, p. 112, v. 1517 : [PHILIPIN.] As-tu bien dérobé ? [MENDOCE.] Peu de chose à la fois.
Ibr, p. 438 : je n’ay jamais pris à mon Maistre que peu de choses à la fois.
FA, V, 2, p. 116-117, v. 1561-7 : [LEONARD.] Je vous cherchois, D. Juan. / [D. JUAN.] Mes vœux sont satisfaits, / Et l’heur de vous servir fait mes plus grands souhaits, / Que me commandez-vous ? [LEONARD bas.] Ah, que c’est grand dommage / Que cette lâcheté noircisse un bon courage, / Et qu’un homme sorty d’un sang dont on fait cas / L’ose deshonorer par un vice si bas ! / Qui le prendroit jamais pour voleur à la mine ?
Ibr, p. 444 : Il l’avoit pourtant abordé civilement, et s’estoit contenté de luy dire qu’il l’avoit cherché depuis une heure. Car la mine d’Hortense ressembloit si peu à celle d’un voleur, qu’il avoit mesme eu quelque crainte de luy parler. Hortense répondit à cela qu’il s’estimeroit heureux, si c’estoit pour luy commander quelque chose. Qu’il est courtois (pensoit Leonard en luy-mesme […] ) et que c’est grand dommage, qu’un homme si bien fait ait une si mauvaise inclination.
FA, V, 2, p. 117-8, v. 1579-86: [LEONARD bas.] Le voilà tout confus. [D. JUAN bas.] Que je suis miserable ! / [LEONARD.] Je ne dis pas, D. Juan, que vous soyez coupable, / Mais la main seulement de qui vous le tenez. / […] Non, je ne doute point, quoy qu’on m’ait voulu taire, / Que qui vous l’a donné n’ait eu droit de le faire, / Cessez de prendre soing de vous justifier, / Vous l’estes avec moy.
AF, IIIème « journée », v. 2957-9 : No digo yo, que vos aveis tenido / culpa, sino aquella / mano de quien la huvisteis.
Ibr, p. 444-5 : Et comme ce discours surprenoit Hortense, il en paroissait si confus, que Leonard ne doutoit plus du tout qu’il ne fut coupable. […] je ne dis pas, repliquoit Leonard, que vous soyez coupable, mais ouy bien la personne dont vous la tenez. […] ne vous affligez point, repliquoit Leonard, car enfin la main qui vous l’a donnée a seule fait cette faute et de cette sorte vous estes justifié auprès de moy.
JA, V, 6 : Je ne vous tiens, Monsieur, aucunement coupable, / Je me plains de la main de qui vous la tenez.
FA, V, 2, p. 118, v. 1590 : Je suis le seul coupable et le seul à blâmer.
Ibr, p. 445 : il l’assuroit que luy seul estoit coupable
JA, V, 7 : Blasmez-moy seulement, je suis le seul coupable.
FA, V, 2, p. 118, v. 1595 : A quel point son erreur le seduit et l’abuse !
AF, IIIème « journée », v. 2978 : Tanto su error le ciega
FA, V, 2, p. 119, v. 1596 : Je tâche à l’excuser, et luy-mesme s’accuse.
Ibr, p. 445 : plus je le veux excuser, et plus il s’accuse !
FA, V, 2, p. 119, v. 1605-8 : Pour ma défence au moins sçachez que malgré moy / D’un Astre dominant j’ay reconnu la loy, / Dont la necessité m’a mis dans la contrainte / De vous donner enfin juste sujet de plainte.
Ibr, p. 445 : j’ay été contraint, par une necessité inévitable à vous donner sujet de plainte.
FA, V, 2, p. 119, v. 1611-3 : Non, non, je ne suis point un juge inexorable, / Je cognoy trop dequoy la jeunesse est capable, / Et que l’occasion force la volonté.
AF, IIIème « journée », v. 2999-3000 : Disculpas son forçosas, / moço fui, no me espanto dessas cosas.
Ibr, p. 445 : Je sçais assez, repliquoit Leonard, ce dont la jeunesse est capable, et ce que la necessité oblige à faire.
FA, V, 2, p. 119-20, v. 1614-8: Puisque vous l’excusez avec tant de bonté, / Pour me justifier authorisez mon crime, / Rendez de mes erreurs la cause legitime, / Et daignez consentir qu’à Lucrece demain / En qualité d’époux D. Juan donne la main.
AF, IIIème « journée », v. 3001-6 : Pues que mi bien dispones, / por quitarnos de tales ocasiones, / honra la humildad mia / con tu hija, señor, doña Maria, / y cessàra con esto la ocasion / que en tal lance nos ha puesto tu mismo.
Ibr, p. 445 : Puisque vous sçavez, luy dit-il, excuser mes erreurs, veüillez les rendre légitimes, en me donnant la permission d’épouser Livie.
FA, V, 2, p. 120, v. 1626-8: Trouvant trop de peril au mestier de larron, / Aux dépens de mon bien il veut se rendre sage, / Et m’ose demander ma fille en mariage.
AF, IIIème « journée », v. 3008-10 : porque el ladron no sea, / quiere que yo le case, ai quien tal crea, / con mi hija
FA, V, 2, p. 120, v. 1632-4: Mais qu’il n’espere pas estre jamais mon gendre. / D. Juan, je vous promets, quoy que vous m’ayez dit… / [D. JUAN.] Vostre fille, Monsieur ? [LEONARD.] Le secret, il suffit
AF, IIIème « journée », v. 3013 : que casar con mi hija, no lo esperes / [passage de l’édition de Sarragoce 1632 ? ] don Juan, yo te prometo. [don Juan] A tu hija, señor. / [Leonardo] Basta el secreto.
FA, V, 3, p. 122, v. 1661: Avec combien d’adresse il feint pour m’éprouver !
AF, IIIème « journée », v. 3042-3 : Que bien / sabe fingir un desden.
FA, V, 4, v. 1667 : Il meurt d’amour pour vous, vous le croyez encore ?
JA, V, 7 : Avec tous ces mespris il meurt d’amour pour moy.
FA, V, 6, p. 127, v. 1727: Adieu, Madrid, Adieu, sans regret je te quitte
AF, IIIème « journée », v. 3115-6 : A Dios Madrid, desta vez / no pienso bolver a verte
FA, V, 7, p. 129, v. 1745: Il est donc, Philipin, des Diables muletiers ?
AF, IIIème « journée », v. 3132-4 : No entendi que hasta este dia / moços de diablos avia, / como de mulas.
FA, V, 7, p. 131, v. 1779-80: Je sens bien que je vole, / Car à peine j’entens le son de sa parole.
AF, IIIème « journée », v. 3160-1 : Yo siento que voi bolando, / que la voz se va quedando.
FA, V, 7, p. 131, didascalie : PHILIPIN en prenant sa bourse.
AF, IIIème « journée », p. 238, didascalie : y quitale el dinero de la alforja.
JA : Il luy bande le visage, et luy oste son argent, et s’en va.
FA, V, 8, p. 134, v. 1812-3 : [D. JUAN.] Ne puis-je m’échaper ? [LUCRECE.] Non pas sans qu’on vous voye, / Cachez-vous promptement
Ibr, p. 447 : Hortense fut contraint de se cacher dans un coin du jardin où ils estoient, luy estant impossible de sortir sans estre veu.
FA, V, 10, p. 136, v. 1827-34: [LEONOR.] Ne vous estonnez point si j’ose icy paroistre, / Je n’y viens, Leonard, que pour chercher un traistre, / Et pour vous advertir qu’au mépris de ses feux / Un parjure insolent nous affronte tous deux. / S’il ayme vostre fille, il est adoré d’elle, / Ce reciproque amour me le rend infidelle, / Il est caché céans ce lâche suborneur, / Faites-m’en la raison et vangez vostre honneur.
AF, IIIème « journée », v. 3229-39 : No te espantes de que entre / ansi Leonardo en tu casa, que si licencias tiene / en los hombres el engaño, / y el desprecio en las mugeres, / yo vengo siguiendo a un hombre, / que es el que a tu hija quiere, / y està dentro de tu casa, / escondido desta suerte, / quiero avisarte, intentandu, / que tu por los dos te vengues.
Ibr, p. 448 : ne vous estonnez pas, luy dit-elle, Leonard, de voir que cette visite soit plûtost à vous qu’à vostre fille, puisque c’est de vous que je dois attendre la vangeance que je désire. Vous estes trompé, Leonard, et je suis méprisée par un homme que Livie aime, et qui présentement est caché céans ; j’ay voulu vous en advertir, afin que vous nous vangiez tous deux à la fois.
FA, V, 10, p. 136, v. 1835: J’entens la voix plaintive
AF, IIIème « journée », v. 3241 : Las vozes son lastimosas
Ibr, p. 448 : que ces voix sont plaintives !
FA, V, 10, p. 137, v. 1837-41 : [LEONARD regardant Lucrece.] Un homme icy caché ! [LUCRECE.] Dequoy m’accusez-vous ? / [LEONARD.] Sois sans crime, autrement redoute mon couroux. / Mais je veux me purger de ce soupçon infame, / Il faut chercher par tout, allons, venez, Madame. / Voyons tout le jardin.
Ibr, p. 449 : un homme caché dans ma maison ! il faut chercher par tout, car je ne veux pas que ce soupçon puisse rester à personne
JA, V, 11 : Il est caché céans. / Un homme ici caché ? »
FA, V, 11, p. 137, v. 1842 : Ne cherchez plus D. Juan, Madame, le voicy.
Ibr, p. 449 : ne cherchez pas davantage
FA, V, 11, p. 138, v. 1846 : Je rencontre un voleur en cherchant son amant. / […] Vous pretendiez encor joüer un tour de maistre, / Et pour nous dérober vous vous cachiez peut-estre.
AF, IIIème « journée », v. 3296-98 : Pues q quieres, / no te bastò la de oi, / que hurtarme otra joya quieres ?
Ibr, p. 449 : je cherche un Amant de ma fille, et je trouve un voleur. Vous pretendiez peut-estre, luy dit-il, me dérober encor quelque autre bague
FA, V, 11, p. 139-40, v. 1871-6 : Je vous en ay tantost desja dit ma pensée, / Que d’un semblable Hymen elle estoit menacée : / Puisqu’un homme sans biens doit estre son époux, / Pour faire un meilleur choix, où le chercherez-vous ?
AF, IIIème « journéee », v. 3306-9 : Si ya es cierto que previene / su estrella pobre marido, / dime señor con quien puedes / cumplir el ado mejor ?
FA, V, 12, p. 142, v. 1896 : O ma terre natale, il faut que je te baise.
AF, IIIème « journée », v. 3267-8 : Ya he Ilegado ha patria mia ! / dexa que tu tierra besse