Un Gascon chez les morts depuis peu descendu Crioit là-bas comme un pendu : Le diable emporte la Médée Et le fat qui l’a composée ! En un mot il crioit si fort Que le grand Corneille et Quinault A grands pas vers lui s’avancent Et curieux lui demandèrent Ce que signifioient ces cris ? C’est un chien d’opéra contre lequel je gronde Car il m’a fait sortir du monde. Vous y mourutes de plaisir ? Non messieurs de par tous les diables ! Les vers étoient si détestables Que ce fut de douleur qu’ils me firent mourir ! Ce maudit opéra me donna la migraine Ensuite à mon oreille il causa la cangrène Si bien qu’il m’en fallut mourir Jugez si ce fut de plaisir ! Et le nom de l’auteur ? Il se nomme Corneille Ce fat dans tout Paris se promettoit merveille ! Quinault, tout stupéfait du discours du Gascon Dit alors à son compagnon : Seroit-ce point de vous quelque ouvrage posthume Qu’on auroit mis en opéra ? Pour vous facher je ne dis point cela, Mais vous savez que la plus belle plume… Lorsque je partis de Paris Répond le grand Corneille Rien ne resta de mes écrits Qui ne fît peine à l’oreille. Mon frère est seul demeuré Dont la verve insipide Pourroit bien avoir procuré Un pareil homicide Citée par Parfaict, .Histoire de l’Académie Royale de Musique, depuis ses origines jusqu’à présent, éd. Renée Girardon-Masson, Paris, 1950, p. 227.
Cette chanson satirique anonyme, comme toute bonne chanson du genre, résume en quelques mots certaines idées en vogue à cette époque. On y retrouve ainsi la comparaison entre les deux frères, qui tourne comiquement au désavantage du second. Quinault lui-même, pourtant inventeur de la tragédie en musique, n’a jamais entendu parler de son confrère, piteusement présenté dans la chanson, et Thomas Corneille apparaît complètement méconnu, ce qui est contredit en réalité par le fait même qu’il est pris comme cible de la satire. Quel intérêt en effet de se moquer d’un illustre inconnu ? Cette image peu flatteuse du cadet du « grand Corneille », ainsi que l’appelait Thomas lui-même, si elle est peu courante de son vivant – Thomas Corneille était considéré par ses contemporains comme un auteur de grand talent – s’amplifia toutefois au cours des siècles suivants, et subsiste encore aujourd’hui.
Cependant, en ce qui concerne Médée, Thomas Corneille a tendu une perche aux satiristes que ces derniers ne pouvaient pas ne pas saisir. En effet, en choisissant ce thème à la fin de sa vie – il a alors soixante-huit ans –, il reprend le sujet de la première tragédie de son frère, écrite en 1635. Le rapprochement, et a fortiori la comparaison des deux frères, s’imposent donc d’eux-mêmes, même si nous verrons plus tard à quel point le cadet s’est éloigné du modèle de son aîné.
Médée, ou l’un des personnages les plus célèbres de la littérature antique : magicienne renommée, petite-fille du soleil, et nièce de Circé, épouse répudiée qui tua ses propres enfants pour se venger de son mari, Jason.
Le sujet de Médée ne retrace en réalité que la seconde partie des aventures de Jason et Médée, qui s’étaient rencontrés lors de l’expédition de la Toison d’OrLes Argonautiques, Paris, Belles Lettres, 1995.
Le mythe de Médée suit donc immédiatement celui de la Toison d’Or, et met en scène la nouvelle alliance de Jason et de la princesse des lieux, qui déclencha la fureur de Médée, et la conduisit à l’issue funeste si connue.
C’est ce sujet que Thomas Corneille, après tant d’autres, choisit de traiter, dans sa tragédie lyrique mise en musique par Marc-Antoine Charpentier.
Bien qu’il soit aujourd’hui presque méconnu, Thomas Corneille fut de son temps un écrivain à succès, très estimé de ses contemporains.
Né à Rouen le 20 août 1625, il était de dix-neuf ans le cadet de Pierre Corneille, dont il resta très proche toute sa vie. Il suivit la même formation de droit que son illustre aîné, se maria avec la sœur de la femme de ce dernier, et se tourna vers le théâtre, à l’instar de son frère. Il prit le nom de Corneille de l’Isle pour éviter les confusions. Auteur de quarante-quatre pièces écrites en quarante-huit ans, il s’illustra dans des genres très différents, auteur à la fois de comédies (L’Amour à la mode, Le Geôlier de soi-même), de tragédies (Timocrate, Ariane, Le Comte d’Essex), et de trois tragédies en musique (Psyché, Bellerophon, Médée).
Parallèlement à sa carrière de dramaturge, il codirigea le Mercure Galant avec Donneau de Visé à partir de 1681, et fut élu à l’unanimité à l’Académie française au siège de son frère, en janvier 1685. Il se retira aux Andelys à la fin de sa vie, et y mourut le 8 décembre 1709.
S’il fut de son temps un auteur à la mode – sa tragédie Timocrate resta à l’affiche durant quatre-vingt représentations successives, devenant ainsi le plus grand succès théâtral du siècle –, Thomas Corneille tomba rapidement dans l’oubli au cours des siècles suivants, très brièvement mentionné dans les histoires de la littérature jusqu’au début du XXe siècle. La critique contemporaine commence à le réhabiliterLa Dramaturgie de Thomas Corneille, Thèse de doctorat, Paris IV, 1977. e siècleThomas Corneille : sa vie et son théâtre, Genève, Slatkine Reprints, 1970.Histoire de la Littérature Française du XVIIesiècleHistoire de la littérature française du XVII e siècle, édition au format de poche, Paris, Albin Michel, 1997, tome 3.
Médée fut créée le 4 décembre 1693 à l’Académie royale de Musique, dans la salle du Palais-Royal(Marc-Antoine Charpentier, Paris, Fayard, 1988).Mercure Galant daté du même mois, qui indique que
Monsieur Charpentier qui a fait graver [sa musique] eut l’honneur de la présenter au Roy il y a quelques jours. Et sa Majesté lui a dit qu’Elle savoit qu’il y avoit de très belles choses dans son Opéra quoique l’on n’en ait donné encore que neuf ou dix représentations ; Monseigneur le Dauphin y est déjà venu deux fois. Et Son Altesse Royale Monsieur
Il s’agit du Duc d’Orléans, fils de Monsieur, le frère du roi, et futur régent. l’a vu quatre foisVoir .Le Mercure Galant, texte établi, présenté et annoté par Monique Vincent, Paris, Société des textes français modernes, 1996, p. 332.
Malgré la présence du roi et de sa famille, et en dépit du ton très élogieux de l’article de Donneau de Visé – il ne faut pas oublier l’amitié qui lie ce dernier à Thomas Corneille, et leur collaboration à la tête du Mercure Galant – l’opéra ne resta à l’affiche que le temps d’une dizaine de représentations. Selon Edmond Lemaître, auteur d’une édition critique de MédéeMédée, tragédie en musique, Paris, Éditions du CNRS, 1987, p. 4.
ce fut un échec. L’exiguïté des articles sur
Médéede Charpentier, dans les dictionnaires et histoires de l’opéra datant du début du XVIIIe siècle, ainsi que le manque de renseignements précis, comme la distribution complète des rôles, la composition des ballets, en témoignent.
En effet, le Mercure Galant ne détaille dans son compte-rendu qu’une partie de la distribution – on sait ainsi que les rôles de Créon et de Jason furent tenus par Messieurs Dun et Du Mesny, tandis que ceux de Créüse et de Médée furent interprétés par Mesdemoiselles Moreau et Marthe Le Rochois –, et indique le nom du décorateur et créateur des costumes, Berain. Donneau de Visé s’attarde cependant sur la performance de Mademoiselle Le Rochois :
[…] Mademoiselle Rochois, l’une des meilleures Actrices du Monde, et qui joue avec chaleur, finesse et intelligence, brille dans ce personnage, et en fait bien valoir les beautez. Tout Paris est charmé de la manière dont cette excellente actrice le joue, et on ne se lasse de l’admirer.
On peut avancer plusieurs hypothèses pour expliquer l’échec de Médée. Commençons tout d’abord par un petit rappel historique. Lorsque Marc-Antoine Charpentier et Thomas Corneille présentent en 1693 leur opéra sur la scène de l’Académie royale de Musique, celle-ci n’est plus dirigée par Lully, décédé six ans auparavant, mais l’influence du surintendant de la Chambre du roi reste omniprésente. En effet, Lully, qui a racheté le privilège de Perrin et Cambert en 1672, trois ans seulement après la fondation de l’institution, la supervise jusqu’à sa mort, en 1687. Avec la collaboration de Quinault presque exclusivement, il crée le genre de la tragédie en musique, synthèse de genres existants, tels que le ballet de cour, la pastorale, la comédie-ballet, la pièce à machines, et compose quatorze tragédies lyriques. Denise Launay, dans son article « Médée en son lieu et en son temps », nous indique que « quant au répertoire de l’Académie Royale, il comprend exclusivement les œuvres de Lully, et, dans une très faible proportion, celles de ses élèves préférés […] Comment s’étonner, en ces conditions, de ce qu’un compositeur de grand talent comme Charpentier ait été évincé des programmesMarc-Antoine Charpentier, Médée, Avant-Scène opéra, 1984, p 33.
Rentré d’Italie en 1672, il fit partie de l’entourage du duc d’Orléans, grand passionné de musique italienne. Imaginons donc l’effet que put produire cette œuvre d’un compositeur jugé italianisant sur la scène d’une institution encore toute acquise aux opéras lullystes. Comme l’explique Robert Fajon, dans la conclusion de son ouvrage L’opéra à Paris :
C’est le public et principalement le petit peuple qui a littéralement plébiscité Lully de son vivant – et peut-être plus encore après sa mort en faisant le succès de ses œuvres. C’est le public qui a donné à titre posthume, la victoire à Lully contre Charpentier lorsque celui-ci essaya en 1693 de faire représenter
Médée. […] Comme aujourd’hui les abonnés des théâtres et des concerts, le public de l’Opéra de Paris avait – déjà – à l’époque des réflexes très conservateurs. Nous l’avons vu, à plusieurs reprises, refuser les innovations les plus audacieuses des plus grands musiciensVoir R. Fajon, .L'Opéra à Paris, du Roi Soleil à Louis le Bien-Aimé, Genève, Slatkine, 1984, p. 387-388.
Conservatisme du public de l’Académie Royale, mais également des musiciens de l’orchestre. Ainsi, Claude et François Parfaict, dans leur Histoire de l’Académie royale de musique depuis ses origines, rapportent à propos de l’exécution de Médée l’anecdote suivante :
Cet ouvrage que les étrangers ont regardé comme un chef-d’œuvre n’eut aucune réussite en France. On ajoute que ce fut par la négligence des musiciens de l’orchestre et que, pour les punir de leur incapacité ou de leur malice, on leur retrancha pendant des années 50 livres par an
Voir C. et F. Parfaict, .op. cit., p. 227.
Enfin, un rapide aperçu de l’actualité musicale de l’année 1693 nous apprend que sur la scène de l’Académie Royale furent représentés AlcideDidonDidon, furent un grand succès. Peut-être peut-on supposer tout simplement que le public se lassa d’un troisième opéra sur le même thème.
Après cet échec de 1693–1694, l’œuvre fut reprise à Lille en 1700, mais un incendie se déclencha dès la première représentation, détruisant tous les décors. Cette catastrophe fut fatale à l’œuvre pendant des siècles. Cependant, le fait même qu’il y ait eu une volonté de recréer Médée dès 1700 permet de relativiser son échec, et qui sait si, sans cet incident malheureux, l’opéra n’aurait pas connu un triomphe ?
Médée eut autant de défenseurs que de critiques, et que les partisans de Lully et ceux de Charpentier s’affrontèrent violemment. Catherine Cessac rapporte ainsi dans sa biographie de Charpentier plusieurs chansons satiriques ayant pris pour cible Médée :
De Charpentier et de Thomas Corneille Venez tous voir l’opéra merveilleux ; N’y portez point ni d’esprit ni d’oreille, Il suffira que vous ayez des yeux Voir le .Chansonnier Maurepas, t. VII, p. 525, cité par Pierre Mélèse,Le Théâtre et le public à Paris sous Louis XIV, Paris, 1934, p. 266, repris par Catherine Cessac,op. cit., p. 382.A l’Opéra, Dieux, la belle machine Qu’a fait faire Franchine Francine était le directeur de l’Académie royale de Musique. Pour y prendre un rat, pauvre Jason ! Qu’as-tu fait à Corneille Pour te faire affront ? Point de chanson. La musique à l’oreille Ne vaut pas Didon.Jamais pour un opéra si mauvais On ne fit plus d’apprêt. Croit-on nous amuser Et nous charmer Avec si peu d’attraits ? Ainsi l’on est bientôt désabusé De ces colifichets Voir le .Chansonnier Maurepas, t. XXVII, p. 32, 1693, cité dans P. Mélèse,op. cit., p. 266-267, et repris par C. Cessac,op. cit., p. 283.Autrefois je chantais l’Achille De l’opéra de Campistron : Médée échauffe aussi ma bile : Chantons-la sur le même ton …………………………………………… Jason demeure sur la scène Dans un très cruel embarras Pouvait-on le tirer de peine Si la toile ne tombait pas ? Mais cette toile favorable Le vient tirer d’affaire enfin Et d’une pièce détestable Nous annonce l’heureuse fin Voir le .Recueil de chansons anecdotes, satyriques et historiques, t. V, p. 106, cité par E. Herz-Fischler,op. cit., p. 11.
N’oublions pas, pour finir notre inventaire des chansons satiriques de l’époque, celle que nous avons citée en ouverture.
Si Médée fut effectivement un échec à la scène, l’opéra fit toutefois couler beaucoup d’encre et occupa longtemps les esprits, comme en témoignent ces chansons satiriques. Tout d’abord, le style de Thomas Corneille et la pauvreté de son vocabulaire, lui furent beaucoup reprochés.Cahiers de Lexicologie, où il souligne la pauvreté du style et du vocabulaire du cadet de Pierre Corneille par rapport à Racine. Et selon Volker Kapp : « Ses critiques bienveillants admiraient sa capacité à construire une intrigue, ses détracteurs attaquaient sa versification » (« Corneille librettiste », in Les Ecrivains français et l’opéra, éd. J.-P. Papdevielle et P. Eckhard Knabe, Köln, 1986, p. 49).op. cit., p. 256, cités par C. Cessac, op. cit., p. 383.
le plus savant et le plus recherché de tous ceux qui ont été imprimez, du moins depuis la mort de Mr de Lully et quoyque par les caballes des envieux et des ignorants, il n’ait pas esté si bien reçeu du public qu’il le méritoit, du moins aussi bien que d’autres, c’est celuy de tous les opéras, sans exception, dans lequel on peut apprendre plus de choses essentielles à la bonne composition
Voir S. Brossard, .Catalogue des livres de musique, in Dictionnaire de musique, Paris, 1703, p. 227-228.
Plus tard dans le siècle, on trouve une mention succincte de l’opéra dans le Dictionnaire des Théâtres de Paris des Frères ParfaictDictionnaire des Théâtres de Paris des Frères Parfaict, t. III, p. 362.
Tragédie lyrique en cinq actes, avec un Prologue, de M.
Corneille de Lisle, Musique de M.Charpentier, représentée par l’Académie Royale de Musique, au mois de Décembre 1693. in 4°. Paris, Ballard, et tome V. du Recueil général des Opéra.Les rôles de
Créonet deJasonfurent représentés par les Sieurs Dun et Du Mesny et ceux deCréüseet deMédée, par les Demoiselles Moreau et Rochois.Cet Opéra n’a point été repris.
Claude et François Parfaict donnent davantage de précisions sur Médée dans leur Histoire de l’Académie royale de musique depuis ses origines que nous avons mentionnée précédemment, et citent en grande partie l’article du Mercure Galant de décembre 1693. Enfin, Maupoint, dans sa Bibliothèque des Théâtres, consacre une petite entrée à Médée :
Opéra – Tragédie de M. Thomas Corneille, mise en Musique par M. Charpentier, représentée en 1694 et imprimée. partition in 4°. La Victoire, Bellone et la Gloire forment le Prologue : cet Opera est de la composition de M. Charpentier grand Musicien qui ne cedoit à personne dans la Musique Latine, mais qui n’a pas également reüssi dans la Françoise, il étoit élève du Carissimi
Voir Maupoint, .Bibliothèque des Théâtres, 1733, p. 202.
Bien que représentée seulement une dizaine de fois lors de sa création, l’opéra de Thomas Corneille et de Marc-Antoine Charpentier marqua toutefois les esprits en son temps, avant de sombrer peu à peu dans l’oubli, jusqu’à ce que les Arts Florissants, sous la direction de William Christie, le recréent en 1984, puis que l’anniversaire du tricentenaire de la mort de Charpentier en 2004 remette à l’affiche cette œuvre magnifique.
Si Médée a toujours connu un grand succès en littérature, le personnage de la magicienne trahie n’apparaît pour la première fois en musique qu’en 1675, dans la tragédie en musique de Quinault et Lully, Thésée, qui raconte les amours contrariées de Médée (qui a oublié Jason) pour Thésée. L’opéra de Thomas Corneille et de Charpentier se situe donc chronologiquement avant l’intrigue de Thésée, et raconte en quelque sorte le premier volet du mythe. Il faut souligner les liens qui existent entre les deux opéras ; tout d’abord, Berain s’est occupé de la décoration dans les deux cas, et certains éléments, comme les chars de l’acte V, par exemple, présentent de nombreuses similitudes, ce qui assure une continuité entre les deux œuvres. Cette dernière est renforcée par la présence des mêmes chanteurs ; ainsi, Mlle Le Rochois, Duménil et Mlle Moreau, qui interprétaient respectivement les personnages de Médée, Thésée et Aeglé dans la reprise de Thésée de 1688, créent les rôles de Médée, Jason et Créüse en décembre 1693.
Cependant, s’il faut attendre 1693 pour que Médée occupe le devant de la scène de l’Académie royale de Musique, le personnage de la magicienne trahie constitue un sujet d’opéra très en vogue depuis Armide, que Lully et Quinault ont présenté en 1686. Nous avons déjà souligné que pour la seule année 1693 sont présentées sur la scène de l’Opéra trois œuvres ayant pour héroïne une enchanteresse ; en outre, une reprise de CircéMédée et Jason en 1713, et obtiendront un grand succès lors de la création.
Bergers et habitants des bords de la Seine invoquent la Victoire, la Gloire et Bellone, qui descendent sur terre chanter les victoires de Louis XIV contre l’Angleterre et la Hollande, et le retour à un paix prochaine.
Scène 1 : Médée se plaint à sa confidente Nérine de ce que Jason la délaisse au profit de la princesse de Corinthe, Créüse, chez qui le couple s’est réfugié après avoir fui la Thessalie, à la suite des crimes de Médée.
Scène 2 : Jason réussit à convaincre Médée de l’importance de se concilier les bonnes grâces de Créüse, et la persuade d’offrir à la princesse la robe qu’elle tient de son aïeul.
Scène 3 : Jason confie à Arcas son amour pour la princesse Créüse, malgré les liens sacrés qui le lient à Médée.
Scène 4 : Entrée de Créon, roi de Corinthe, qui annonce l’arrivée d’Oronte, le prince d’Argos, venu l’aider à combattre les Thessaliens.
Scène 5 : Jason et Oronte, par amour pour Créüse, proposent tous deux leur aide militaire à Créon, qui, ambigu, encourage Jason dans ses prétentions, mais ne détrompe pas Oronte.
Scène 6 : Corinthiens et Argiens encouragent Jason et l’exhortent à la victoire.
Scène 1 : Créon annonce à Médée son intention de ne pas la livrer à ses ennemis, bien qu’elle soit la cause de la guerre déclarée contre Corinthe par la Thessalie, mais lui ordonne, sur l’instance de son peuple, de partir, tandis qu’il retient Jason pour l’aider à combattre.
Scène 2 : Médée, qui a fini par céder, supplie Créüse de prendre soin de ses enfants.
Scène 3 : Créon et sa fille semblent avoir gagné : Médée accepte de s’éloigner, Jason et Oronte défendent Corinthe, et les noces de Jason et Créüse vont pouvoir être célébrées.
Scène 4 : Créon annonce à Jason le départ imminent de Médée.
Scène 5 : Premier duo de Jason et Créüse, qui se chantent leur amour et réitèrent leurs promesses de fidélité.
Scène 6 : Oronte déclare lui aussi, un peu tard cependant, sa flamme à la princesse et lui offre un divertissement qui clôt l’acte II.
Scène 1 : Médée révèle à Oronte l’amour réciproque de Jason et Créüse, et les deux amants trahis décident d’unir leurs forces.
Scène 2 : Duo de Médée et Jason, qui, lâche, s’emploie à convaincre la magicienne de son amour.
Scène 3 : Médée, restée seule, passe vite de la tristesse à la colère devant l’ingratitude de son amant en se remémorant tous les exploits qu’elle l’a aidé à accomplir.
Scène 4 : Nérine annonce à Médée les préparatifs des noces de Jason et Créüse ; la magicienne, furieuse, décide alors d’empoisonner la robe qu’elle destine à Créüse.
Scène 5 : Elle fait appel aux divinités des Enfers pour l’aider à accomplir ce sortilège.
Scène 1 : Cléone, la suivante de Créüse et Jason chantent la beauté de Créüse, qui vient de revêtir la robe offerte par sa rivale.
Scène 2 : Scène d’amour entre Créüse et Jason, qui s’interrompt avec l’arrivée d’Oronte, que Créüse fuit.
Scène 3 : Oronte fait part à Jason de ses doutes au sujet de l’amour que lui porte la princesse ; Jason tente de le rassurer, sans y parvenir.
Scène 4 : Oronte ressort convaincu de la fourberie des deux amants ; Médée lui promet vengeance.
Scène 5 : La magicienne, après avoir brièvement hésité devant l’horreur de son projet, décide d’accomplir sa vengeance.
Scène 6 : Elle défie Créon venu lui ordonner de partir sur-le-champ en exigeant le mariage de Créüse et d’Oronte, et, devant le refus du roi, qui appelle ses gardes, les fait se retourner contre lui d’un coup de baguette magique.
Scène 7 : Pour bien montrer l’étendue de ses pouvoirs, Médée fait apparaître des fantômes qui charment les gardes, et les entraînent à leur suite.
Scène 8 : Médée avertit Créon de sa puissance, mais ce dernier refuse de lui céder.
Scène 9 : L’acte s’achève sur le roi resté seul, qui sombre dans la folie.
Scène 1 : Nérine rapporte à la magicienne les agissements de Créon, devenu fou, tandis que celle-ci hésite, puis finalement se résout à sacrifier ses enfants pour blesser Jason au plus profond de sa chair.
Scène 2 : Créüse, qui ne supporte pas de voir la déchéance de son père, vient implorer la pitié de sa rivale, et se voit contrainte de renoncer à Jason.
Scène 3 : Au même moment, on apprend que Créon, après avoir tué Oronte dans un acte de folie, a ensuite retourné son arme contre lui.
Scène 4 : Créüse esquisse alors un mouvement de révolte contre la magicienne, qui d’un coup de baguette, déclenche les poisons contenus dans la robe.
Scène 5 : Tirade très émouvante de Créüse, qui souffre mille tourments.
Scène 6 : La princesse expire peu de temps après dans les bras de Jason, en exigeant de lui la vengeance.
Scène 7 : Jason, resté seul, fait le serment de se venger au plus vite afin de pouvoir rejoindre sa bien-aimée.
Scène 8 : Dans une dernière scène très spectaculaire, Médée, chevauchant sur un dragon, apprend à Jason la mort de ses enfants, vengeance ultime contre la trahison de son amant, et quitte la scène en s’éloignant dans les airs.
En choisissant Médée comme sujet de sa dernière tragédie en musiqueMédée d’Euripide et de Sénèque, traduite et présentée par Pierre Miscevic, Payot & Rivages, 1997.Héroïdes d’OvideLes Héroïdes, Paris, Belles Lettres, 1991. e siècle, et Emmanuel Minel, dans son excellente introduction à la Médée de LongepierreMédée de Longepierre, introduite et présentée par Emmanuel Minel, Paris, Honoré Champion, 2000.Médée de Sénèque a été par deux fois, au XVIe et au XVIIe siècle, un point de départ privilégié de la renaissance de la tragédie en France ». En effet, Jean de la Péruse, en 1553, puis Pierre Corneille, en 1635, choisirent tous les deux ce thème pour illustrer leur conception de la tragédie, à des époques où celle-ci reprenait son essor après être quelque peu tombée en désuétude. Enfin, Longepierre, en 1694, en fait également le sujet de sa première tragédie.
La comparaison des diverses versions de Médée met immédiatement en valeur les aménagements faits par chaque auteur à la progression dramatique de la pièce et au traitement des personnages, et retrace fidèlement l’évolution de l’esthétique tragique au fil du temps. Ainsi, La Péruse, puis Pierre Corneille s’inspirent davantage du modèle sénéquien que de la pièce d’Euripide, mais pour des raisons totalement différentes. Jean de la Péruse, en effet, contemporain de la Pléiade, amorce avec sa tragédie la redécouverte des thèmes de l’Antiquité. On retrouve dans sa pièce de grandes similitudes avec la tragédie de Sénèque, tant au niveau de la construction – les deux pièces commencent directement par un monologue de Médée qui se plaint de son infortune – que du fond : dans sa tirade finale, Médée, au moment de tuer ses enfants, invoque son frère, qu’elle a assassiné lors de sa fuite de Colchide, et lui dédie leur mort en offrande.Médée d’Euripide et de Sénèque, op. cit., p 246 : « Quelle est cette ombre qui s’avance, chancelante, le corps en morceaux ? … C'est mon frère ; il réclame vengeance : le lui donnerai son dû, mais dans sa totalité ! […] La victime par laquelle je vais apaiser tes mânes, la voici. (Elle tue l’un de ses enfants.) » Voir la tragédie de J. de la Péruse, Médée, in La Tragédie à l’époque d’Henri II et de Charles IX, d’E. Balmas et de M. Dassonville, Paris, PUF, 1995, p. 172 : « Quelle ombre démembrée ? Ha, ha, ha, c’est mon frère, / Je le vois, je l’entends, il veut prendre vengeance / De moi, cruelle sœur, il veut punir l’outrance, / Que je lui fis à tort, il est ores recors / Que trop bourrellement je démembrai son corps. / Non, non, mon frère, non, voici ta récompense. / Jason, traître, me fit te faire cette offense. / Voici, voici ses fils, renvoie les Furies, […] / La main qui te meurtrit même te vengera. / Pour mon frère tué, mon fils tué sera. »op. cit., p. 25.op. cit., p. 32.
Longepierre choisit d’écrire lui aussi une Médée, un an après celle de Thomas Corneille, en 1694. Pourtant, en fidèle partisan de Racine, auteur d’un Parallèle de Monsieur Corneille et de Monsieur Racine (1686), c’est davantage à l’aîné des Corneille qu’il cherche à s’opposer. Il se proclame dans sa préface l’héritier de Sénèque et d’Euripide à la fois, pour se démarquer de Pierre, qui avait nié ses emprunts à la tragédie du Grec, et reprend par exemple d’Euripide les nombreuses hésitations de la magicienne à sacrifier ses enfantsop. cit., p. 38.
Ainsi, bien qu’il existe, comme nous venons de le voir, de nombreuses tragédies sur le thème de Médée, c’est de celle de son frère que choisit de s’inspirer Thomas Corneille.
On ne peut manquer, en mettant côte à côte les deux tragédies, de remarquer immédiatement les modifications, minimes ou de taille, que Thomas Corneille apporte à la pièce de son frère aîné, écrite en 1635. Le personnage d’Egée, par exemple, disparaît de la version de 1693, au profit du prince d’Argos, Oronte, et Thomas Corneille supprime l’épisode empreint de magie au cours duquel Médée délivre Egée, emprisonné après avoir tenté d’enlever la princesse Créüse. Par ailleurs, le dramaturge sépare la punition que la magicienne réserve au roi Créon de celle destinée à sa fille, rompant là avec une tradition solidement établie d’Euripide à Longepierre. Enfin, Thomas Corneille, par la scène finale, se démarque également de son frère aîné. Il convient ainsi de s’interroger sur les motifs de ces changements, et les conséquences qui en découlent.
Dans la tragédie de Pierre Corneille, la scène d’introduction est prise en charge par Jason, qui raconte ses exploits à Pollux, tandis que la pièce de Thomas Corneille s’ouvre sur les confidences de Médée à sa suivante, Nérine, offrant ainsi une première scène construite sur le même modèle, mais symétrique à celle de son aîné. Les deux frères ont cependant fait des choix dramaturgiques différents de départ : Pierre met d’abord en scène Jason, qui hésite entre sa fidélité à Médée, et son amour, choix politique avant tout, pour la princesse de Corinthe, Créüse. L’acte I, scène 3 confirme la dimension politique de son acte : c’est avant tout pour protéger ses enfants, et se protéger lui-même, que Jason fait la cour à Créüse. Ce n’est qu’après ce premier face-à-face entre Jason et Créüse qu’apparaît Médée, seule sur scène, à l’acte I, scène 4. Thomas, quant à lui, a fait intervenir la magicienne dès le début de sa pièce. Le spectateur prend connaissance des faits par le récit de Médée, il est plus proche de la magicienne, qui semble profondément humaine par ses doutes d’amante délaissée, et les reproches qu’elle adresse à Jason.
Dans les deux tragédies, l’acte II est le lieu du premier face-à-face entre Médée et Créon, qui la bannit de la ville. Médée finit par céder, et Thomas reprend de son frère la scène où père et fille se réjouissent de leur victoire sur la magicienne. Suit dans les deux tragédies une scène d’amour entre Jason et Créüse, dont la fonction dramaturgique cependant diffère. En effet, dans le premier cas, c’est au cours de cette scène que la princesse exige de Jason la robe de Médée, en échange de la faveur qu’elle lui a accordé de sauver ses enfants de l’exil imposé à Médée. Thomas Corneille supprime toute dimension politique dans cette scène, pour ne garder que l’aspect galant et tendre en vogue à son époque. Il apporte une légère modification à l’intrigue : c’est Jason, de son propre chef, qui demande à sa femme, dès l’acte I, scène 2, d’offrir sa robe à la princesse, pour l’inciter à les protéger. Par ailleurs, dans la tragédie de Thomas, contrairement à celle de son aîné, Créüse et Oronte n’apparaissent jamais seuls. Le cadet des Corneille a préféré montrer l’évolution de l’état d’esprit du prince d’Argos par ses entretiens avec Médée, qui lui ouvre les yeux sur l’amour de Jason et Créüse, puis avec Jason.
Si l’acte III constitue naturellement dans les deux tragédies le pivot de la pièce, au cours duquel Médée se décide à accomplir ses projets de vengeance, après un face-à-face avec Jason qui lui ôte ses dernières illusions, on constate de grands écarts dans l’acte IV des deux tragédies. Thomas se démarque de son aîné, et apporte de nombreuses innovations à l’intrigue du Grand Corneille. Ainsi, il supprime entièrement l’épisode tragi-comique de l’enlèvement manqué de Créüse par Egée, puis la délivrance du vieux roi par Médée, scène empreinte de magie. Il choisit par ailleurs de séparer le sort de Créon de celui de sa fille. Le souverain de Corinthe ne succombe plus en tentant de sauver sa fille victime des poisons contenus dans sa robe ; la vengeance de Médée s’exerce d’abord à son encontre, dès la fin du quatrième acte, au cours d’un divertissement qui met en scène des fantômes charmant ses gardes, et qui provoque sa folie. Sa mort, précédée du meurtre d’Oronte, est rapportée dans l’acte V, scène 3, par Cléone, ce qui déclenche la fureur de Créüse, et finalement sa mort. Thomas Corneille a une fois de plus adapté l’intrigue aux exigences de son époque, en atténuant l’horreur d’une double mort sur scène, tout en mettant l’accent sur la vengeance de la magicienne sur Créon et sa fille, qu’il traite durant un acte et demi. Cette modification mise à part, la structure du dernier acte des deux tragédies est globalement similaire ; chacun s’ouvre sur le récit fait à Médée par un confident – Theudas ou Nérine – des effets de sa vengeance – Créüse souffrant le martyre après le déclenchement des poisons contenus dans sa robe, ou Créon qui a sombré dans la folie –, suivi d’un monologue où la magicienne hésite une dernière fois à sacrifier ses enfants. La suite de l’acte V suit également de très près la tragédie de 1635, puisqu’on retrouve dans les deux cas la scène de l’agonie de Créüse sur scène, dans les bras de son amant, à qui elle fait promettre de ne pas la rejoindre dans la mort avant de les avoir vengés, son père et elle, et la scène finale où Médée, triomphante, annonce le meurtre de ses enfants à un Jason désespéré. Ce parallélisme de structure souligne d’autant plus la divergence de la chute des deux tragédies : tandis que le héros de Pierre Corneille, dans un monologue qui clôt la pièce, explique qu’il est impuissant devant l’étendue des pouvoirs de Médée, et se suicide sans tenir la promesse faite à CréüseŒuvres complètes de Corneille, tome I, Paris, Gallimard, 1980, précise dans une note : « Ceci est encore une surenchère d’horreur : Jason commet par ce suicide le pire des péchés : homicide et péché contre l’espérance. »
Après cette étude comparée de la structure des deux tragédies, intéressons-nous maintenant au traitement des personnages.
En reprenant le sujet de Médée en 1693, Thomas Corneille a dû procéder à certaines modifications par rapport à la pièce de son frère afin d’adapter la tragédie à l’esprit de son temps, en retouchant notamment le caractère des différents personnages. Ainsi, il substitue le vaillant prince d’Argos, Oronte, au vieux roi d’Athènes, Egée. Pierre Corneille utilise en 1635 ce personnage de vieux bourbon ridicule afin d’introduire un épisode de tragi-comédie. Egée, éconduit par la princesse, qui se moque de lui
Pierre Corneille ne fait intervenir son héroïne qu’à partir de l’acte I, scène 4, dans une scène qui toutefois lui est entièrement consacrée. Médée prononce un monologue long et spectaculaire, où elle s’en remet tout d’abord aux « Souverains protecteurs des lois de l’Hyménée, / Dieux, garants de la foi que Jason m’a donnée », et apparaît ainsi en premier lieu comme une amante délaissée. En la faisant invoquer ensuite les « Filles de l’Achéron, Pestes, Larves, Furies, / Noires Sœurs », le dramaturge rappelle son statut de magicienne et de barbare, de même que le faisait Sénèque dans sa scène d’introduction. Dès cette première scène sont formulés tous les projets de Médée, tuer ses enfants pour se venger de Jason
Vos soins trop assidus devroient vous alarmer. Une douce habitude est facile à former ; Et voir souvent ce qui paraît aimable, C’est flater le penchant qui nous porte à l’aimer. Voir l’acte I, scène 2, v. 64-67.
Ce n’est qu’à la scène 3 de l’acte III, scène – pivot de la tragédie, qu’elle accepte enfin la vérité : « Quel prix de mon amour ! quel fruit de mes forfaits ! », et déclenche la catastrophe finale. Malgré le quadruple assassinat – Créon, Créuse, et les deux enfants –, Médée suscite la pitié des spectateurs. Thomas Corneille s’est privé du ressort pathétique utilisé par Euripide, et repris par Longepierre, à savoir la mise en scène des nombreuses hésitations d’une mère aimante, qui ne se résout à l’infanticide qu’en dernier recours. La seule évocation des deux enfants, si l’on excepte la dernière scène où la magicienne apprend son forfait à Jason, intervient très tard dans la pièce, à l’acte V, scène 5. Médée présente l’idée de l’infanticide comme une évidence : « Il aime ses enfants, ne les épargnons pas. » Elle change certes plusieurs fois d’avis au cours de la tirade, exprimant ses doutes à sa confidente, mais sa décision est assez rapidement prise
Dans la tragédie de Pierre Corneille, Jason apparaît dès la scène d’introduction comme un coureur de dots en quête de royaumes, plein d’assurance et de cynisme. Il explique à Pollux qu’il vient de retrouver, que c’est avant tout par opportunisme qu’il a chassé Médée de son lit pour séduire la princesse des lieux, Créüse, ainsi qu’il l’a déjà fait auparavant
L’amour de mes enfants m’a fait l’âme légère ; Ma perte étoit la leur, et cet hymen nouveau Avec Médée et moi les tire du tombeau : Eux seuls m’ont fait résoudre, et la paix s’est conclue.
C’est cette faiblesse, avouée immédiatementibid., indique en note, p. 1405 : « L'idée donnée un instant à Jason d’immoler ses propres enfants est de Corneille seul ; et cela marque bien comment il a voulu surenchérir d’horreur par rapport à Sénèque et Euripide. Il a pu prendre cette idée dans l’Ino d’Euripide, où l’on voit la mère faire périr l’un de ses enfants parce que le père avait tué l’autre. L'histoire d’Ino est évoquée dans la Médée d’Euripide. Corneille devait donc la connaître. »
Thomas Corneille n’apporte pas de modifications fondamentales aux personnages de Créon et de sa fille. Il conserve le caractère frivole de la princesse, qui transparaît lors de son premier duo d’amour avec Jason, où elle rassure son amant de la manière suivante :
Quand son amour seroit extrême, Vous n’avez rien à redouter : Mes yeux vous diront, je vous aime. Acte II, scène 6, v. 333.
Ce trait de caractère est renforcé dans le divertissement de l’acte II, qu’Oronte a ordonné pour elle. A son amoureux, qui l’exhorte à être sincère avec lui : « Parlez, belle Princesse, il s’agit en ce jour / D’avoir le cœur sincere et d’aimer qui vous aime », elle répond de manière sibylline :
Qu’un amant se fasse estimer Par tout ce que la gloire ajoûte au vray merite, Il est seur de se faire aimer. Acte II, scène 7, v. 456-458.
Il faut attendre le monologue final de la princesse pour lui voir conférer de la noblesse. Tout en retenue, conformément à la bienséance de l’époque, la princesse décrit de manière très atténuée ses souffrances.
Pour finir, les personnages secondaires de la tragédie lyrique ont perdu de l’importance par rapport à la pièce de 1635, réduits à des rôles de confidents passifs. En effet, dans cette dernière, Pollux, confident de Jason, est avant tout l’un des compagnons qui l’a accompagné lors de l’expédition de la Toison d’Or ; ami plus que serviteur, il lui prodigue ses conseils, l’aide à délivrer Créüse enlevée sur l’ordre d’Egée, et surtout, c’est lui qui met en garde Jason et Créon contre les desseins de vengeance de Médée, sans que ses avertissements soient pris en compte. Pierre Corneille utilise le personnage de Nérine en contrepoint de celui de Médée, et lui fait avouer, dans son monologue de l’acte III, scène 1, la crainte qu’elle a de sa maîtresse, et sa fidélité contrainte à la magicienne :
Moi, bien que mon devoir m’attache à son service, Je lui prête à regret un silence complice : D’un louable désir mon cœur sollicité Lui feroit avec joie une infidélité ; […] D’un mouvement contraire à celui de mon âme, La crainte de la mort m’ôte celle du blâme ; Et ma timidité s’efforce d’avancer Ce que hors du péril je voudrois traverser.
Ainsi, Thomas Corneille, tout en reprenant un sujet déjà traité par son frère, réussit cependant à conférer à sa pièce une empreinte très personnelle, en conformité avec l’esprit de son temps.
Médée comporte 1059 vers, qui se répartissent en 36 scènes. Les deux derniers actes se divisent respectivement en neuf et huit scènes, nombre légèrement supérieur aux trois premiers actes. On trouve dans cette tragédie en musique le traditionnel récit d’exposition dans la première scène de l’acte I, mais également de longues tirades devant un confident silencieux (I, 3 ; V, 5) ou seuls (III, 3), une scène de délibération (V, 1), et des divertissements à la fin de chaque acte, excepté le dernier. La plupart des éléments de la tragédie dramatique et lyrique se trouvent donc réunis dans cette pièce. En étudiant la structure des actes, on se rend compte de certaines corrélations ; ainsi, l’acte II est clairement celui de la victoire de Créüse sur sa rivale. La princesse apparaît dans six scènes des sept scènes. A cet acte correspond le dernier acte, qui témoigne de la chute de Créüse ; cette dernière vient supplier Médée de sauver son père, mais y échoue, et meurt des poisons contenus dans la robe offerte par la magicienne. De même, Créon, qui triomphe avec sa fille dans l’acte II, est totalement absent de l’acte III, où Médée décide d’accomplir sa vengeance contre « Corinthe, le Roy, la Princesse, Jason » (v. 623), et, après avoir tenu tête à la magicienne, dans l’acte IV, il est frappé de folie. La symétrie entre les actes II et IV est ici flagrante, puisque Créon apparaît dans les quatre premières scènes de l’acte II, et dans les quatre dernières de l’acte IV. Sa mort sera rapporté par la confidente de Créüse, Nérine, à l’acte V, scène 3. L’acte I est celui de Jason, qui y est présent cinq scènes sur six. C’est en effet dans ce premier acte que sont développées à la fois les intrigues amoureuses – la jalousie et les soupçons de Médée, et l’aveu de Jason concernant son amour pour Créüse – et politiques – le roi Créon, attaqué par Acaste, sera défendu par Jason et Oronte. La dimension politique s’estompe cependant au cours des actes suivants au profit du récit de la passion, puis de la vengeance de Médée. Les apparitions de Jason se raréfient – de cinq au premier acte, à quatre, puis à trois dans les derniers actes, au fur et à mesure que la magicienne acquiert toute son importance. C’est le drame de Médée qui se joue ici, Jason est réduit à un amoureux transi, acteur passif et impuissant à la fois à duper Médée, et protéger Créüse contre celle-ci. Si Médée n’apparaît que dans les deux premières scènes des actes I et II – c’est toutefois elle qui ouvre la pièce –, elle devient omniprésente à partir de l’acte III, qu’elle occupe entièrement. La scène – pivot de la pièce se trouve à l’acte III, scène 3, très bel air de lamentation d’une héroïne qui vient de prendre pleinement conscience de la fourberie et la lâcheté de son amant. A partir de là, sa décision de vengeance, puis son accomplissement se mettent inexorablement en place, et c’est elle qui conduit l’action, dessillant les yeux d’Oronte, mettant au défi l’autorité de Créon, et pour finir, empoisonnant Créüse et tuant ses propres enfants afin de faire souffrir Jason. Si l’on étudie pour finir la répartition des personnages, on s’aperçoit que la plupart des scènes fonctionnent selon le modèle de la confrontation entre deux personnages – confidences de Médée à Nérine, qui essaie de la détourner de ses projets funestes, face-à-face entre Médée et Jason, duos d’amour de Jason et Créüse, la princesse et son père qui se réjouissent de leur victoire sur Médée, la magicienne qui tient tête à Créon ou Créüse qui vient supplier la magicienne de délivrer son père. Les scènes de dialogues entre plusieurs personnages, telles que l’acte I, scène 6, qui fait intervenir Créon, Jason et Oronte, sont rares, et cette économie de moyens contraste d’autant plus avec la débauche d’intervenants dans les divertissements.
L’étude de la macrostructure et des relations entre les personnages illustre donc l’habileté de Thomas Corneille à écrire une pièce savamment construite selon des principes de symétries et d’oppositions.
Lorsque Thomas Corneille et Marc-Antoine Charpentier créent Médée en décembre 1693, l’opéra est devenu un genre à part entière, qui possède ses admirateurs et ses détracteurs, et dont la légitimité n’est plus contestée. Cependant, le genre de la tragédie en musique n’a pas été tout de suite accepté, et c’est grâce aux efforts conjugués de Lully et de Quinault qu’il s’est imposé progressivement. L’opéra, venu d’Italie, est importé en France par Mazarin, qui fait représenter en 1647 l’Orfeo de Luigi Rossi. Cette nouveauté provoque chez les Français l’envie de surpasser les Italiens, mais il faut attendre 1659 pour que soit composé le premier opéra français, La Pastorale d’Issy, de l’abbé Perrin et Robert Cambert, qui, dix ans plus tard, obtiennent de Louis XIV le privilège de fonder l’Académie royale de Musique. Cependant, la mauvaise gestion financière des deux associés les contraint à céder leur privilège à Lully seulement trois ans après l’avoir obtenu, et c’est le Florentin qui, avec la collaboration de Quinault, crée véritablement le genre et le développe, de 1673, date de la création de Cadmus et Hermione, à 1686, année de la composition d’Armide. Lully et Quinault synthétisent dans la tragédie en musique, ou tragédie lyrique, plusieurs genres déjà existants. Ils reprennent de l’opéra italien l’association de la musique, du théâtre à machines, de la pastorale et des sujets merveilleux, en y ajoutant un ingrédient typiquement français, alors très en vogue, la danse. Le surintendant du roi s’était déjà essayé auparavant à de nombreux genres, auteur de ballets, et de comédies-ballets, fruits en grande partie de sa collaboration avec MolièreL'Amour Médecin, Monsieur de Pourceaugnac ou Le Bourgeois gentilhomme, pour ne citer que quelques exemples parmi les plus célèbres.
Molière est, justement, attaché à la distinction dans ses comédies-ballets, entre la comédie parlée ressortissant au réel, et le chant, la danse ressortissant à l’imaginaire ; or [Lully] , avec l’opéra, veut mêler ces deux registres que le librettiste entend distinguer.
Voir La Tragédie lyrique, ouvrage collectif, Les Carnets des Champs-Elysées, Cicero, 1991
A partir de 1673, Lully, avec l’aide de Quinault essentiellementIsis, créé en 1677, déclenche une cabale à la cour contre Quinault, à qui l’on reproche d’avoir transposé les amours du roi dans cette tragédie en musique, et lui vaut une disgrâce de deux ans. Lully, durant cette période, collabore avec Thomas Corneille pour l’opéra Bellerophon.
Cependant, si l’opéra rencontre très vite un grand succès auprès du public, il se heurte également à de nombreuses critiquesLettre sur les opéras, in Œuvres en prose, Paris, Société des Textes Français Modernes, 1966. La Tragédie lyrique, op. cit. parallélisme inversé entre les deux tragédies », et elle répertorie les différentes catégories inversées. Tout d’abord, la règle de l’unité de lieu n’est plus du tout respectée dans la tragédie en musique, puisque chaque acte se déroule dans un lieu différent. De plus, le cadre général de l’intrigue est souvent à chercher dans les sujets mythologiques ou fabuleux, et non plus historiques, comme c’était le plus souvent le cas dans la tragédie classique. Le traitement du sujet est, lui aussi, complètement différent, puisque la tragédie lyrique privilégie, au contraire de la tragédie classique, l’intrigue galante à l’intrigue politique. Cependant, une fois ces inversions posées, les grandes lois qui régissent le théâtre classique, telles qu’elles sont définies par Corneille, nécessité, propriété, vraisemblance, s’appliquent aussi bien au théâtre dramatique qu’au théâtre lyrique. Enfin, la présence continuelle de la musique au sein d’une tragédie lyrique reste le dernier point à justifier dans la poétique opératique en train de s’établir. En effet, comment une action totalement chantée peut-elle apparaître vraisemblable aux yeux des spectateurs ? C. Kintzler nous donne la réponse :
La présence de la musique se justifie par la nature de l’action et par celle des personnages du théâtre lyrique : musique et danse trouvent dans le
merveilleuxun terrain favorable et quasiment naturel.Catherine Kintzler, « La tragédie lyrique et le double défi d’un théâtre classique », op. cit.
On voit donc se dessiner progressivement un système opératique cohérent susceptible de cohabiter avec le système dramatique classique.
Nous possédons aujourd’hui deux versions imprimées de Médée ; tout d’abord, la tragédie en musique écrite par Thomas Corneille, qui est datée de 1693, puis la partition, sortie des presses de Christophe Ballard en 1694Petite Académie, qui se réunissait souvent pour rectifier ou censurer certains passages, le texte définitif d’un opéra – c’est-à-dire, ce qui est chanté sur scène – résulte de la collaboration entre l’auteur et le compositeur, et des modifications peuvent avoir lieu à différentes étapes, de l’écriture de l’opéra jusqu’aux dernières répétitions avant la création de l’œuvre sur scène. Ainsi, certains détails ont pu être réglés alors que le texte de la tragédie était déjà envoyé sous presse. En effet, il était d’usage de vendre la tragédie imprimée aux spectateurs, afin qu’ils puissent suivre l’action sur scène plus facilement. Notre édition de texte porte cependant sur la tragédie en musique telle qu’elle a été écrite par Thomas Corneille, et imprimée en décembre 1693. Rappelons qu’au XVIIe siècle, le texte primait largement sur la musique, que l’auteur était beaucoup plus reconnu que le compositeur, même si cela est moins vrai dans le cas de Médée, en proie à la cabale des lullystes contre la musique italianisante de Charpentier.Médée, a effectué le relevé des divergences entre les textes de 1693 et de 1694, que nous citons en annexe, à titre indicatif.
Rappelons dans un second temps qu’une tragédie en musique comporte moitié moins de vers qu’une tragédie classique, même si le temps de représentation est deux fois plus long ; en effet, le même texte chanté et parlé n’a pas la même durée ; de plus, certains passages sont repris en duos ou par le chœur ; à tout cela s’ajoutent pour finir les morceaux instrumentaux, ouvertures, ritournelles ou symphonies qui ponctuent l’œuvre.
Enfin, contrairement à une tragédie parlée, la tragédie en musique est écrite en vers libres, qui se prêtent plus facilement à une mise en musique. Thomas Corneille, qui alterne octosyllabes, décasyllabes et quelques alexandrins, utilise également les vers impairs, faisant ainsi preuve d’une grande originalité.
On peut se demander si Médée a été perçue à l’époque comme une bonne tragédie en musique. En 1694, les critères lullystes font encore autorité à l’Académie royale de Musique, dont le directeur, Francine, est l’un des membres de la famille de Lully. Or Charpentier joue avec les caractéristiques lullystes de la tragédie en musique, mais s’en démarque délibérément. Deux exemples nous apparaissent aujourd’hui particulièrement originaux et audacieux, le divertissement en italien du IIe acte, et l’absence de divertissement à la fin du Ve acte, alors qu’on s’attend à une grande passacaille (en réponse à celle d’Armide, œuvre que Charpentier a beaucoup citée). L’œuvre a-t-elle cependant été perçue à l’époque comme novatrice, ou au contraire comme l’expression d’une démarche réactionnaire, un retour à ce dont Lully avait enfin réussi à se débarrasser ? Nombre de spectateurs de l’époque connaissaient toutes les œuvres présentées sur scène, et les avaient à l’esprit lors des créations d’opéras nouveaux. Il existait donc une intertextualité importante entre les œuvres qu’il nous faut redécouvrir aujourd’hui.
Catherine Kintzler et Laura Naudeix ont réfléchi dans plusieurs de leurs ouvrages sur la poétique de l’opéra, et ont dressé plusieurs critères définissant une bonne tragédie. Appliquons-en quelques-uns à Médée afin de tenter de comprendre les spécificités de cette œuvre.
Rappelons pour commencer que la tragédie en musique est née en grande partie de la pastorale, donc du genre tendre et galant, et en conserve par la suite le souvenir dans les divertissements et le prologue, qui mettent souvent en scène des bergers dans un décor champêtre et idyllique. Médée ne fait pas exception à la règle. On trouve ainsi mentionné pour le prologue : « Le théâtre represente un lieu rustique, embelly par la Nature, de Rochers et de Cascades. » L’amour se trouve donc au cœur de l’intrigue des tragédies lyriques, sujet qui supporte bien la mise en musique. De plus, le chant – l’intrigue est entièrement chantée, et non parlée – apparaît pour le public de l’époque comme le langage naturel des dieux, et du monde merveilleux. Ainsi, en choisissant le sujet de Médée, magicienne dont les pouvoirs peuvent se révéler redoutables, Thomas Corneille et Marc-Antoine Charpentier font preuve d’originalité – puisque ce sujet n’a jamais été traité auparavant à l’opéra – tout en adhérant parfaitement aux canons esthétiques de l’époque. Le personnage de l’enchanteresse, petite-fille du Soleil, et nièce d’Hécate, permet d’introduire certaines épisodes spectaculaires, tels que le divertissement du troisième acte, où Médée invoque les Enfers et fait surgir des démons qui l’aident à empoisonner la robe, ou celui du quatrième acte, où des fantômes apparaissent, qui charment les soldats du roi et les entraînent dans une danse. De plus, toutes les versions de la légende s’achèvent sur l’image de la magicienne s’envolant dans les airs sur son char ailé, après avoir révélé sa vengeance à Jason. Cette scène très frappante est bien entendu parfaite pour l’opéra, car elle conjugue à la fois l’utilisation des machines, de la musique et de la magie. En ce sens, Médée constitue un très bon sujet d’opéra.
La règle des trois unités s’applique de manière particulière au théâtre lyrique. En effet, il est d’usage dans une tragédie en musique de changer de lieu à chaque acte, afin de mettre en valeur les prouesses techniques des machines. Ainsi, l’intrigue de Médée, si elle se déroule entièrement à Corinthe, prend lieu successivement sur une « Place publique, ornée d’un Arc de Triomphe, de Statuës, et de Trophées sur des pied-destaux » (acte I), dans un « Vestibule, orné d’un grand Portique » (acte II), dans un « lieu destiné aux Evocations de Médée » (acte III), dans « l’avant-cour d’un Palais, et un jardin magnifique dans le fonds » (acte IV), et enfin dans le « Palais de Médée » (acte V). On constate donc que ces décors participent tous d’une architecture urbaine qui contraste avec le cadre bucolique et champêtre du prologue. L’Arc de Triomphe du premier acte, ainsi que le grand Portique du troisième acte, représentent des éléments de décors typiques de l’époque, car ils ordonnent la scène symétriquement, et lui confèrent de la profondeur. Quant aux unités de temps et d’action, elles sont ici respectées, et Thomas Corneille, par la bouche de Créon, fixe le cadre temporel de sa tragédie : « pour sortir de ma Cour / Je ne puis vous donner que le reste du jour. »
Descendant direct des prologues de tragédies antiques, le prologue introduit tous les divertissements de cour, et c’est pourquoi on le retrouve tout naturellement en ouverture des opéras. Situé avant le début de l’intrigue, il occupe une place particulière, appartenant à l’œuvre, mais tout en restant au seuil de celle-ci. Selon Laura Naudeixop. cit., p. 195-243.
Le prologue de Médée se présente dès les premiers vers comme une apologie du roi :
LOUIS est triomphant, tout cède à sa puissance, La Victoire en tous lieux, fait reverer ses Lois,
chantée par les habitants et les bergers, c’est-à-dire les humains, ainsi que par les allégories évoquées par ces derniers, la Victoire, Bellone et la Gloire.Regards sur l’opéra, Publication de l’Université de Rouen, PUF, p. 187-212.
Il [Le plus grand des Heros] vaincra tant de fois, sur la terre et sur l’onde, Que ses ennemis terrassez, Malgré tous leurs projets, seront enfin forcez De souffrir le repos qu’il veut donner au monde.
Le prologue esquisse une explication de la guerre, aventure dans laquelle le roi a été contraint de s’embarquer, et célèbre la paix, pour laquelle œuvre le monarque, et qu’il dispense, selon son bon plaisir, à ses sujets. C’est pourquoi Thomas Corneille fait dire à la Victoire :
Ne craignez pas que la Victoire, Favorise jamais les jaloux de la gloire. Ils ne cherchent à triompher Qu’afin de prolonger la guerre. LOUIS combat pour l’étouffer, Et rendre le calme à la terre.
Dédié au roi, l’opéra doit lui permettre, à lui et à ses sujets, de se délasser des inquiétudes de la guerre. Ainsi,
Le bruit des tambours, des trompettes, Ne viendra plus troubler vos jeux, Bergers, reprenez vos musettes, Chantez l’amour, chantez ses feux, La guerre, et ses dangers affreux, n’approchent point de vos douces retraites : Le plus grand des Heros, vous y fait vivre heureux.
Tout en renvoyant un portrait flatteur au roi, héros glorieux seul capable de ramener la paix, le prologue de l’opéra a également une fonction de transition entre le monde réel, et celui, merveilleux de l’opéra, préparant le public au spectacle qui l’attend, et évitant qu’il se heurte de manière abrupte à un univers radicalement différent. Selon L. Naudeix, « il consacre l’opéra comme un autre monde, merveilleux, lointain, mais cohérent et gouverné par ses propres règles. »Dramaturgie de la tragédie en musique, 1673-1764, Paris, H. Champion, 2004.
Enfin, le prologue, également écrit pour les spectateurs, sert de présentation de la tragédie lyrique, et développe le thème principal de la pièce. Si ni habitants, ni bergers ne réapparaîtront plus tard, certains de leurs passages chantés renvoient directement à la tragédie qui suit. Ainsi, le couplet que chante un berger à la fin du prologue
Les divertissements, à l’instar du prologue, occupent une place particulière au sein de l’opéra. En effet, ils représentent une pause dans l’intrigue, dédiée à la danse et à la musique mis en scène en tant que tels, qu’ils soient commandés et offerts galamment par un personnage – le divertissement de l’acte II, qu’Oronte dédie à Créüse –, entonnés spontanément par les peuples prêts au combat – premier acte – ou qu’ils servent de support aux pouvoirs de Médée –actes III et IV. Ces divertissements, traditionnellement l’apanage du compositeur, lui sont un espace de liberté qui lui permet de déployer des formations instrumentales ou vocales nouvelles, en faisant par exemple intervenir les chœurs ou en intercalant des ritournelles instrumentales. Maître du jeu, il n’est pas forcément assujetti lors des divertissements au respect de l’intrigue, et peut orchestrer des chorégraphies qui soit racontent une histoire autonome, soit s’intègrent à l’action. Rappelons l’importance extrême de la danse à la Cour, et au sein de l’opéra français, élément constitutif du genre, qui le distingue de son prédécesseur italien, puisque ce dernier ne comprend pas de ballets.
On peut distinguer avec Catherine Kintzler l’introduction « plate » des divertissements et leur introduction « générale par le merveilleux »op. cit., p. 358
Enfin, les divertissements permettent au dramaturge et au compositeur de mettre en valeur certains éléments laissés à l’arrière-plan au cours de l’acte précédent. Ainsi, les chants et danses guerriers des Argiens et Corinthiens rappellent au public la dimension politique et collective du drame, et tranchent avec un premier acte très intimiste présentant les doutes de Médée, puis les protestations peu convaincantes de Jason. De même, le divertissement du second acte souligne avec ironie la naïveté d’Oronte, qui déclare sa flamme alors même que Jason et Créüse viennent d’échanger des serments de fidélité.
A l’issue de cet examen, on comprend en quoi Thomas Corneille et Marc-Antoine Charpentier, tout en respectant les codes opératiques instaurés par Lully, ont signé une partition à quatre mains empreinte d’audace et d’inventivité. A la fois fidélité à la légende et jeu sur l’attente des spectateurs, respect des conventions et renversement des valeurs, Médée conserve aujourd’hui toute la modernité à l’origine de sa réputation.
La tragédie en musique de Thomas Corneille, Médée, a été publiée pour la première fois par Christophe Ballard en 1693. Il existe encore aujourd’hui plusieurs exemplaires de cette première édition.
Ceux conservés à la Bibliothèque nationale de France sous les cotes : RES – YF – 1179, RES – YF – 1180, RES – YF – 1448, et RES – YF – 144, et à la Bibliothèque de l’Arsenal sous la cote : THN – 151 < Ex. 1 >, ont été édités seuls.
D’autres ont été reliés en recueils factices, conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal, sous les cotes : 4 – BL – 3752 (6), et THN – 9724 < Ex. 2 >.
Enfin, l’exemplaire conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal sous la cote : GD – 32, appartient à un recueil.
Tous ces exemplaires sont identiques. Cependant, certains d’entre eux ont été l’objet de corrections sous presse.
Voici la description de l’exemplaire sur lequel nous avons travaillé, répertorié sous la cote RES – YF – 1179 :
« Medée, / Tragédie / en musique, / representée / par l’Académie royale / de musique. / [Vignette représentant deux anges portant un écusson orné de trois fleurs de lys] / On la vend, / A PARIS, / A l’Entrée de la Porte de l’Academie Royale de Musique / Au Palais Royal, ruë Saint-Honoré. / Imprimée aux dépens de ladite Academie. / Par Christophe Ballard, seul Imprimeur du Roy / pour la Musique. / M. DC. XCIII. / [Filet] / Avec privilege du Roy. » (In-4, 79 p.)
Cette édition in-4 est paginée comme suit :
p. 1 : Page de titre
p. 2 : Acteurs du prologue.
pp. 3-8 : Prologue.
pp. 9-10 : Acteurs de la tragédie.
pp. 11-79 : Médée, tragédie.
NB : La page de titre indique que l’édition de 1693 comporte le privilège du roi. Celui-ci est cependant absent de tous les exemplaires consultés. L’œuvre a vraisemblablement bénéficié du privilège général des imprimeurs Ballard.
Les exemplaires 4 – BL – 3752 (6), et THN – 9724 <2> ont été reliés en recueils factices.
Le recueil contenant l’exemplaire 4 – BL – 3752 (6) est intitulé Recueil / d’opera / 1687. Le titre apparaît uniquement sur la tranche du livre, qui ne possède pas de page de titre. Il contient dix tragédiesAchile, Enée et Lavinie, Zephire et Flore, Alcide, Didon, Medée, Cephale et Procris, Thetis et Pelée, Amadis de Grece et Renaud.
Le recueil factice dans lequel est relié l’exemplaire THN – 9724 <2>, dont on voit inscrit le titre sur la tranche : OPERA / REPERTOIRE. / 1690-1695, appartenait à M. Jean Nicolas de Tralange, dont l’ex-libris – qui représente le buste d’un chevalier casqué surmontant son écusson – orne chacune des tragédies du recueil, collée en dessous de la liste des « Acteurs du Prologue. » Il contient dix tragédiesEnée et Lavinie, Coronis, Astrée, Alcide, Didon, Cephale et Procris, Medée, Circé, Teagene et Cariclée, et Les Amours de Momus.
L’exemplaire GD – 32, quant à lui, appartient à un recueil dont nous reproduisons ci-dessous la page de titre :
« Recueil / General / des opera / representez / par l’academie royale / de musique, / depuis son établissement. / tome quatrième / A paris / chez Christophe ballard, Seul Imprimeur du Roy / pour la Musique, rüe Saint Jean de Beauvais, au Mont-Parnasse. / M. DCCXIV / Avec Privilege de Sa Majesté. »
La page de titre de la tragédie Médée contenue dans ce recueil diffère des autres exemplaires. Nous la reproduisons ici : « Medée, Tragédie, en cinq actes, imprimée en Musique : Partition in in-folio, se vend / 16 livres reliée. Les Paroles sont de M. T. Corneille, et la Musique de M. Charpentier ». Cependant, cette page de titre mise à part, l’exemplaire est identique aux autres.Medée a été imprimée sur un format plus court de trois millimètres environ en longueur que le reste du recueil. Comme elle se place au milieu de livre, on constate un décalage sur la tranche inférieure.
Une édition pirate de Médée est publiée en 1695, imprimée à Amsterdam chez A. Schelte, « suivant la copie imprimée à Paris ». La Bibliothèque nationale de France en a conservé plusieurs exemplaires, dont les cotes sont les suivantes : YF – 7798, 8 – RO – 1407 (5, 3), 8 – RO – 1408 (5, 3), 8 – RO – 1410 (1).
Voici la reproduction de la page de titre de cette édition :
« Medée, / Tragédie. / en / musique. / Representée par l’Académie Royale de Musique / [ vignette représentant un arbre] / Suivant la Copie imprimée à Paris. / A Amsterdam / Chez Antoine Schelte, Marchant / Libraire, pres de la Bourse. / CIO ioc xcv » (in-12, 69 pages).
Par rapport à l’édition originale de 1693, la pagination, les frises et écussons, et les caractères typographiques de l’édition d’A. Schelte ont été modifiés ; celle-ci comporte donc 69 pages au lieu de 79. De plus, les lettres en italiques et celles normales ont été inversées. Certains « I » mis à la place de « J » ont été remplacés, d’autres pas. Enfin, certaines coquilles ont été corrigées – par exemple, A. Schelte a rétabli le « Non », au vers 513, au lieu du « N » initial –, et d’autres pas – notamment l’absence d’espace entre « envain », au vers 455.
Une seconde édition pirate est publiée à Amsterdam en 1699 par Abraham Wolfgang, « suivant la Copie à Paris », et contient neuf piècesMedée, Cephale et Procris, Teagene et Cariclée, Les Amours de Momus, Balet des saisons, Ariane et Bachus, La naissance de Venus, Jason ou la Toison d’Or, et L'Europe galante.
Voici la reproduction de la page de titre de ce recueil :
« Recueil / des / opera, / des balets, / Et des plus belles Piéces en Musique, qui ont été re- / presentées depuis dix ou douze ans jusqu’à pre- / sent devant Sa Majesté Tres-Chrétienne. / Tome quatriéme. / [vignette représentant deux enfants] / Suivant la Copie à Paris. / A Amsterdam, / Chès Abraham Vvolfgang. / m. dc. XCIX. » (in-12, 56 pages)
La page de titre de Médée est très succincte :
« Medée, / tragedie / en musique. / Representée par l’Academie Royale de Musique. »
Par rapport à l’édition originale de 1693, la pagination, les frises et écussons, et les caractères typographiques de l’édition d’A. Schelte ont été modifiés ; celle-ci comporte donc 56 pages au lieu de 79. De plus, les lettres en italiques et celles normales ont été inversées. Tous les « I » mis à la place de « J » ont été remplacés. Pour finir, la plupart des coquilles ont été corrigées.
Enfin, de nombreuses éditions des Tragédies et Comédies de Thomas Corneille ou de son Théâtre Complet paraissent aux XVIIIe et XIXe siècles.
Le texte présenté ici suit fidèlement l’édition de 1693, dont nous reproduisons la pagination entre crochets à la droite du texte
Dans l’édition de 1693, la majeure partie de la tragédie se trouve en caractères italiques. Nous présentons ici les vers de la tragédie en caractères romains et les didascalies en italiques afin de nous conformer à l’usage actuel. Cependant, nous avons laissé les entrées des personnages en caractères romains.
Nous avons scrupuleusement respecté l’orthographe, ainsi que la ponctuation, même si l’usage de cette dernière a considérablement évolué, et peut aujourd’hui nous paraître à certains égards surprenanteŒuvres Complètes de Racine, Paris, Gallimard, 1999. Il y rappelle que la ponctuation actuelle correspond à un type de lecture particulier, la lecture silencieuse, qui n’existait pas au XVIIe siècle. A l’époque, « la ponctuation avait pour fonction de marquer les pauses dans le discours, en guidant la voix et le souffle : on ne se préoccupait du sens que lorsqu’il s’agissait du point – qui signale la fin d’une période considérée comme achevée –, du point d’interrogation et du point d’exclamation. »
Dans la « liste des acteurs du prologue » : Bellonne : est orthographiée avec deux n, seule fois dans l’ouvrage [cette coquille n’est pas rectifiée dans les éditions de 1695 et 1699]
aux vers 14, 18, 20, 24 : venez descendez
au vers 41 : tremblez fiers Ennemis
aux vers 53 et 55 : jaloux, / jaloux
Dans la « liste des acteurs de la tragédie » : déguisé en amour
aux vers 9, 23, 25 : Crëuse
au vers 30 : eût
au vers 61 : la Cour..
aux vers 96, 339 : aimê
au vers 135 : disparoissez inquietes alarmes
au vers 166 : jeune Heros ;
au vers 224 : réfuser
au vers 229 : abandonner
au vers 231 : rédouter
au vers 232 : justice [ponctuation mal imprimée : on ne voit que le point supérieur des deux points ou d’un point-virgule] . Les éditions ultérieures tranchent en optant pour le point final : justice.
p. 31 : Creu se. Cette coquille a été corrigé dans les exemplaires RES – YF – 1097, RES – YF – 1180, RES – YF – 1448, RES – YF – 1449, puis dans les éditions ultérieures.
aux vers 336 et 338 : empire. / empire :
première didascalie de l’acte II, scène 7 : amour (Si Antoine Schelte conserve le terme sans majuscule, Abraham Wolfgang, dans son édition de 1699, la rétablit, et en ajoute une à « char », quelques mots plus loin.)
au vers 242 : réproches
au vers 357 : Ah qu’il est doux (L’édition de 1699 présente : « Ah ! qu’il est doux » )
au vers 455 : envain (Les éditions ultérieures conservent cette coquille).
au vers 507 : dans mon cœur (Seule l’édition de 1699 présente ajoute le point final : dans mon cœur.)
au vers 513 : N
aux vers 580 / 587-598 : mon amour, / mon amour ! (L’édition de 1699 unifie la ponctuation)
au vers 595 : nouvean Cette coquille est rectifiée dans les éditions ultérieures.
au vers 599 : mon malheurs Cette coquille est rectifiée dans les éditions ultérieures.
au vers 623 : le Rroy Cette coquille est rectifiée dans les éditions ultérieures.
au vers 640 : feux invisibles..
p. 53 : FIN DU TROISIEME ACTE.
aux vers 834 et 838 : contre nous ? / contre nous.
aux vers 845 et 854 : fasse, / fasse ;
didascalie p 65 : Ies Gardes Cette coquille est rectifiée dans les éditions ultérieures.
au vers 893 : commande : absence de point.
p. 74 : MEDEE Le point est rétabli dans les éditions ultérieures.
au vers 933 : dessein….
p. 79 : JASON Le point est rétabli dans les éditions ultérieures.
au vers 1044 : art…..
au vers 1056 : innocence….
p. 79 : FIN DU CINQUIEME ET DERNIER ACTE.
Fin du Prologue.
Fin du premier Acte.
Le texte original se présentait ainsi :
« Comme dans nos adieux il faudra de l’adresse
A luy cacher, sous quel espoir,
Pour l’éloigner, j’use de mon pouvoir,
Prenez avis de la Princesse. »
Nous avons supprimé ces curieuses virgules, qui obscurcissent le sens.
Fin du second Acte.
Fin du troisième Acte.
Fin du quatriéme Acte.
Fin du cinquième et dernier Acte.
Les définitions sont tirées des dictionnaires suivants :
Académie Française, Dictionnaire, Paris, J.-B. Coignard, 1694 (Acad. Fr.)
A. Furetière, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers ; rééd. Paris, SNL-Le Robert, 1978 (3 vol.).
P. Richelet, Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise.... avec les termes les plus connus des arts et des sciences, Genève, J.-H. Widerhold, 1680 (2vol.).
G. Cayrou, Le Français classique. Lexique de la langue du XVII e siècle, Paris, Didier, 1923.
Lorsque ces mêmes termes sont pris dans une acception actuellement courante et sans ambiguïté, nous ne le signalons pas.
Les définitions sont tirées des dictionnaires suivants :
Commelin Pierre, Mythologie grecque et romaine, Paris, A. Colin, 2005
Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, Seghers, 1962
Grimal Pierre, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, PUF, 2002
Cette liste a été effectuée par E. Lemaître, dans son édition de Médée, tragédie en musique, Paris, Éditions du CNRS, 1987.
L’orthographe des passages cités a été modernisée.
1651 : Le feint astrologue, comédie
1652 : Don Bertran de Cigaral, comédie
1653 : L’amour à la mode, comédie
1653 : Le berger extravagant, pastorale burlesque
1656 : Le geôlier de soy-mesme, comédie
1658 : Timocrate, tragédie
1659 : La mort de l’empereur Commode, tragédie
1659 : Darius, tragédie
1661 : Poésies dramatiques
1662 : Maximian, tragédie
1662 : Les illustres ennemis, comédie
1664 : Stilicon, tragédie
1666 : Antiochus, tragi-comédie
1668 : Laodice, reyne de Cappadoce, tragédie
1669 : Le baron d’Albikrac, comédie
1670 : La mort d’Annibal, tragédie
1672 : Ariane, tragédie
1673 : Théodat, tragédie
1675 : L’inconnu, comédie meslée d’ornemens
1676 : Don César d’Avalos, comédie
1676 : Le triomphe des dames, comédie meslée d’ornemens
1678 : Le comte d’Essex, tragédie
1678 : Psyché, tragédie
1679 : Bellérophon, tragédie
1679 : La comtesse d’Orgueil, comédie
1680 : Le deuil, comédie par le sieur de Hauteroche
1680 : La devineresse, ou les faux enchantemens, comédie
1681 : La pierre philosophale, comédie par Donneau de Visé
1685 : La dame invisible, comédie par M. Hauteroche
1689 : Les engagemens du hazard, comédie
1690 : Camma, reine de Galatie
1690 : La mort d’Achille, tragédie
1690 : Le galand doublé, comédie
1690 : Persée et Démétrius, tragédie
1690 : Pyrrhus, roi d’Épire, tragédie
1691 : Le charme de la voix, comédie
1693 : Médée, tragédie en musique
1696 : Les dames vengées ou la dupe de soi-même, comédie par Donneau de Visé
1696 : Bradamante, tragédie
1704 : Observations de l’Académie françoise, sur les Remarques de M. de Vaugelas
1708