Le e
Charles Vion d’Alibray fait partie de ces auteurs oubliés. En 1637, il décide d’« habiller à la française » une pièce italienne de Prosepero Bonarelli : Il Solimano. Alors que la querelle du Cid bat son plein et que les théoriciens classiques cherchent à imposer leurs règles, notre auteur décide de faire de la tragédie de Bonarelli une tragi-comédie, ou plutôt, selon d’Alibray lui-même, une « tragédie à fin heureuse » en modifiant le dénouement funeste de la pièce. Alors qu’à cette époque la concurrence entre tragédie et tragi-comédie est rude, ce choix peut paraître étonnant voire ambitieux. Toutefois, d’Alibray s’appuie sur les Anciens dans son avis Au Lecteur qui précède la pièce, afin de prouver que son Soliman est avant tout porteur de valeurs morales.
Cette œuvre de d’Alibray, tout comme celle de Bonarelli, comporte deux intrigues. Il s’agit donc d’une pièce complexe.
Alors que les Turcs et les Perses se livrent une guerre sans merci, Soliman confie à son fils aîné, Mustapha, le commandement de l’armée. Rustan, jaloux du choix du sultan met en place un complot. Il utilise les sentiments et les craintes de la Reine vis à vis de ce fils bâtard afin de convaincre Soliman que le prince s’est allié à l’ennemi pour renverser son pouvoir.
En parallèle se met en place une intrigue amoureuse entre le fils du Sultan et Persine, fille du Roi de Perse. La jeune femme avoue à son père nourricier son amour pour Mustapha. Contrarié, Alvante tente de raisonner Persine, mais rien n’y fait. Désespéré, il déchire la lettre destinée au jeune prince et fait croire à la princesse que Mustapha l’a reniée. Osman, conseillé de Rustan, retrouve les papiers et les donne à son maître qui les utilise à ses fins. Le sultan convoque donc Mustapha à la Cour afin d’y voir plus clair. Pendant ce temps, Persine, qui veut se venger de son amant, s’abandonne aux mains des ennemis. Lorsque Mustapha aperçoit la jeune femme conduite au cachot, il demande à son père de faire preuve de clémence envers elle. Soliman, manipulé par Rustan, y voit la marque du complot dont on lui a tant parlé. Malgré ses sentiments paternels, il accomplit son devoir de souverain en condamnant à mort les deux amants.
Mais un retournement de situation inespéré et une reconnaissance insoupçonnée vient bouleverser le sort tragique de Mustapha et de Persine.
Les informations biographiques sur la vie de Charles Vion d’Alibray (aussi reconnu et graphié sous le nom Vion Dalibray) sont peu nombreuses et la chronologie de sa vie assez floue. Même si l’auteur dans ses vers se peint avec fidélité et nous permet de connaître le milieu dans lequel il évolue, nous ne disposons pas de témoignages précis sur sa vie.
Nous ne savons rien de sa naissance dans les années 1590 et de sa jeunesse probablement parisienne. Il était le fils de Marguerite le Mazurier et d’un auditeur des comptes : Pierre de Vion, Seigneur d’Oinville et de Gaillonnet. Il était donc issu d’une riche famille du Vexin français appartenant à la noblesse de robe. Cependant sa lignée est bâtarde puisque son arrière grand-père qui était prêtre eut quatre enfants. Ces derniers ont été légitimés par faveur royale en 1552. D’Alibray avait deux frères : Jean de Vion, Seigneur d’Oinville et Pierre de Vion, sieur de Gaillonnet mais l’auteur resta surtout attaché tout le long de sa vie à sa sœur, Marguerite Vion, plus connue sous le nom de Madame de SaintotLes Œuvres de Monsieur de Voiture, nouvelle édition revue et corrigée par Amédée Roux, Toussainct Quinet, 1856.Roland furieux de l’Arioste auquel il joignit une lettre d’amour.
C’est par l’intermédiaire de sa sœur que d’Alibray fréquenta à son tour le milieu mondainLe Dictionnaire des précieuses, Sieur de Somaize, t. 2, Paris, P. Jannet, 1856.Discours sur le sonnet et ses Vers amoureux qui comportent des éléments de poésie galanteŒuvres poétiques du Sr Dalibray. Divisées en vers bachiques, satyriques, heroïques, amoureux, moraux, & chrestiens, Paris, Jean Guignard / Antoine de Sommaville, 1653, in-8°, p. 5 -35) cet art d’écrire avec spontanéité, tel que l’on parle, un recours régulier à la métaphore, à la comparaison et à l’hyperbole mais aussi une connaissance parfaite des codes amoureux.Historiettes de Tallemant des Réaux, t. 2, Paris, Alphonse Levavasseur, 1834, p. 273 : « Il y avait eu assez de scandales pour que les frères de madame de Saintot, lui fissent une insulte, car une fois ils ne vouloient seulement que le jeter par les fenêtres. Cela esloigna Voiture pour quelques temps […] ».
Les archives fournissent peu d’éléments sur la vie amoureuse de notre auteur. Certains critiques pensent que d’Alibray connut des déceptions sentimentales mais ne vécut jamais d’amour passionnel à l’instar de son frère Pierre. Cependant, dans sa correspondance, Madame de Saintot fait part des sentiments de son frère pour une de ses jeunes amies dont le nom est inconnuManuscrits de Conrart, Bibliothèque de l’Arsenal, p. 7 : « […] Je ne finirois pas encore si mon frère d’Alibray ne me pressoit de vous faire un compliment pour luy ; mais il ne veut pas permettre de vous parler d’autre chose que du ressentiment que luy donne votre souvenir. Il est si ayse d’estre dans une de vos lettres et de voir son nom écrit de votre main, qu’il ne trouve point de paroles qui puissent vous en remercier dignement. Il a recours à moy pour cela, à cause, comme je croy, qu’il connoit bien que l’amitié supplée à l’éloquence ; mais c’est seulement pour exprimer ce que l’on ressent… ».Œuvres poétiquesop. cit., « Vers amoureux ».
En 1632, notre auteur refusa, malgré de nombreuses sollicitations, à s’engager dans une carrière administrative en tant que lieutenant général au bailliage de Meudon. Alors que ce titre était depuis longtemps porté dans sa famille, d’Alibray préfèra se consacrer essentiellement à l’écritureOeuvres poétiques, op.cit. « Vers bachiques » : « Je ne vay point aux coups exposer ma bedaine / Moy qui ne suis connu n’y d’Armand ni du Roy ; / Je veux sçavoir combien un poltron comme moy / Peut vivre n’estant point Soldat ny Capitaine. ».
Il mourut en 1652 au moment où ses dernières productionsOeuvres poétiquesdu Sr Dalibray. Divisées en vers bachiques, satyriques, heroïques, amoureux, moraux, & chrestiens, Paris, Jean Guignard / Antoine de Sommaville, 1653, in-8° .
J’ay toujours estimé les vers de ta façon De ton syle coulant mon âme fut éprise, D’Alibray, tu vivois en généreux garçon, Mais si j’aymay tes vers, j’aymay mieux ta franchise. Nouveau recueil de poésie. héroïques, satiriques et burlesques, Paris, veuve Loyson , 1652.
Bien que totalement méconnu à notre époque, d’Alibray semble pourtant posséder une place non négligeable parmi les poètes et les dramaturges du e
Malgré son titre d’écuyer, Charles Vion d’Alibray fit le choix de vivre modestement. Passionné d’art, il appartenait au monde libertin et fréquentait les cabarets. Il logea d’abord dans une chambre bruyante à L’auberge du faubourg près de la Foire Saint Germain qu’il quitta ensuite pour se rendre au Bel Air mais aussi au Riche LaboureurOeuvres poétiques, « Vers bachiques », Sonnets, L’auberge p. 112. « Ce fut de jadis un cabaret parfait / Le Riche Laboureur, nul vivant ne l’ignore […] / Un poéte jamais n’est ennemi du vin […] / Vraiment je suis bien où je suis […] ».
C’est d’ailleurs, au cabaret du Bel Air qu’un de ses sonnets « Je ne vous quitte point pour quelque amour nouvelle »Œuvres Poétiques, « Vers amoureux » publié dans Recueil des plus beaux airs qui ont esté mis en chant : tant des Airs que des Paroles, Bénigne de Bacilly, de Sercy, 1661, première partie, p. 192. « Je ne t’impute point l’amour que je te porte, / D’un objet tout divin mes sens y sont forcez, / Je sçay ce que tu vaux, Phyllis, et c’est assez, / Et je sçay ce que c’est d’un Amant de ma sorte. // N’apprehende donc point qu’un vain desir m’emporte, / Ny que je vueille voir mes maux recompensez ; / Je ne demande rien pour ceux qui sont passez, / Je ne demande rien pour ceux que je supporte. // Non, je n’approuve point ces superbes Esprits / Qui pensent captiver l’objet qui les a pris, / J’entends qu’absolument, ton cœur du mien dispose, // Phyllis, sans nul espoir je me veux consumer, / Car je t’estime tant, et moy, si peu de chose, / Que je t’aimerois moins si tu pouvois m’aimer. »Œuvres Poétiques, « Vers bachiques », Œuvres poétiques, nous aide à nous faire une idée de l’ambiance qui y régnait et nous donne un aperçu des mets qui y étaient servis :
Bon-Puis est-il vraiment ce bon hoste d’eslite, Puisque chez luy, bien mieux qu’au puis de Démocrite, Dans le fond d’une tasse on rencontre le vray Puisse-t-il tousjours préparer la grillade La tranche de jambon avecques la salade, Pour Pailleur, Bensserade et le gros Dalibray. D’après Oeuvres Poétiquesde Charles Vion Dalibray, notice d’Ad. Von Beuer sur un poète de cabaret, Paris, E. Sansot, 1906.
Mais peut-on croire tout ce que confie cet auteur à la verve bouffonne qui acquit le qualificatif de « bon gros » ? Ce titre, donné à celui qui représentait au mieux les poètes légers et les bons vivants de son époque, vise à le représenter comme un homme franc, joyeux et amateur de bonne chair. Le dictionnaire des Précieuses le qualifie même de « débauché » dans l’article qu’il consacre à Madame de Saintot. En 1752, Mouhy parla de lui en ses termes « Il y a de la force dans ses ouvrages. Il aimoit la table et le plaisir, et il ne s’occupait que du présent »
Dans cette période, il se peignit lui-même avec légèreté et ironie comme un buveur invétéré :
Je me rendrai du moins fameux au cabaret On parlera de moi comme on fait de Faret Qu’importe-t-il, ami, d’où nous vienne la gloire ? Je la puis acquérir sans beaucoup de tourment ; Car, graces à Bacchus, déjà je sçais bien boire ; Et je bois tous les jours avecque Saint Amant. Œuvres Poétiques, op.cit, « Vers amoureux », p.130.
D’Alibray cultiva son goût pour la poésieHistoire du théâtre françois, depuis son origine jusqu’à présent, Claude Parfaict, t. 5, Paris, Le Mercier, 1745).Illustres BergersUn professionnel des lettres au xvii, Nicolas Schapira, Epoques, Champ Vallon, 2003).
Sa poésieLes Œuvres poétiques du sieur Dalibray, divisées en vers bachiques, satyriques, héroïques, amoureux, moraux et chrétiens, publiées en 1653 à Paris, Jean Guignard / Antoine de Sommaville, 1653, in-8°.el’Astrée. Ces fervents admirateurs de Ronsard et Malherbe cherchent à allier dans la littérature leur respect de la religion ainsi qu’un certain classicisme, avec une littérature galante. C’est sûrement dans cette perspective que d’Alibray publia en 1634 sa pastorale : La Pompe funèbre, ou Damon et Cloris. Bruzen de la Martinière le compare alors à DiogèneNouveau recueil Des Epigrammatistes François Anciens et Moderne : « D’Alibray ressembloit assez à Diogène par bien des endroits », Amsterdam, Les Frères Wetstein, 1720, Livre
acquit de la réputation par ses vers ; quoi qu’à proprement parler ce qu’il a fait n’ait rien d’exact. Ce fut un de ces Poëtes qui doivent presque tout à leur génie. On a de lui quelques petits ouvrages où il y a du naturel et de la verve poëtique.
Ibid., p. 223.
D’Alibray appréciait aussi l’esthétique de l’épigramme et écrivit à la suite de Furetière, Scarron, l’Abbé de la Mothe ou encore Balzac, soixante-treize épigrammes contre MontmaurMétamorphose de Gomor en marmite (figure gravée représentant Gomor en marmite). On les trouve réimprimées dans les Œuvres poétiques, édition cité de 1653 (Vers satyriques,
Notre auteur mena donc une vie légère, pleine de plaisir. D’ailleurs, selon les critiques, on trouve dans ses Œuvres poétiques des vers amoraux dans des pages profanes qui n’ont pas été massicotées. Il écrivit aussi des poèmes mis en musiqueParoles de musique (1658-1694), Anne-Madeleine Goulet, Centre de musique baroque de Versailles, Mardaga, 2007.
Mais d’Alibray ne s’est pas contenté du genre poétique, il s’est aussi passionné pour le théâtre. L’ensemble de son œuvre théâtrale compte surtout de multiples traductions et adaptations de textes italienL’Aminte et Le Torrismon du Tasse, La Pompe funèbre ou Damon et Cloris de César Crémonin ainsi que bien évidemment Le Soliman de Prospero Bonarelli. La Réforme du Royaume d’amour est la seule œuvre théâtrale de sa composition. Toutefois ce n’est qu’un intermède, en musique et en prose, joué pendant la pastorale de La Pompe Funèbre.L’Aminte et du TorrismonSoliman. Toutefois, la critique ne semble pas l’avoir considéré. Sa rareté dans les exemplaires consultés peut éventuellement expliquer cet oubli.SolimanTorrismon. L’auteur qui préférait la clarté de la pensée au travail des vers y critique le style enflé et les pointesTorrismon, Paris, Denis Houssaye, 1635). « Tu n’y trouveras point, pour ainsi parler, ces riches canaux de cristal et de marbre qui ravalent le prix et l’éclat des eaux qu’ils reçoivent, mais bien des pensées qui coulent d’une veine naturelle. Tu n’y verras point briller d’un costé et d’autre ces petites estincelles d’esprit qui donnent dans la veuë ; mais tu y reconnoistras par tout une grande splendeur et lumiere de jugement » (Vion d’Alibray, « Au Lecteur », Le Soliman Paris, Toussainct Quinet, 1637).Torrismon, op. cit. : « tu peux voir aisément que je ne cesse point de rechercher parmy les meilleurs Autheurs quelque chose d’excellent, ou en Vers, ou en Prose, affin de te l’offrir. En quoy tu m’as double obligation, puisque non seulement je te donne, mais que je vay mandiant pour te donner. Les autres dans leurs ouvrages qu’ils mettent au jour ne songe qu’à leur propre reputation, et moy qu’à ta satisfaction ; » ou « pour me divertir je m’amuse à ce mestier, lors que je suis retiré à la campagne, ou je ne trouve rien de plus utile que cét Art qui n’a rien d’utile, ny rien de plus agreable que de traduire, qui est le labeur le plus ingrat de tous […] ». « Je m suis approché le plus pres que j’ay pû de son stile et de ses pensées tant pour les raisons que je viens de declarer, que parce que j’estime qu’il faut estre aussi religieux et fidele à rendre l’autheur que nous traduisons […] je t’avouë franchement qu’encore que j’aye resserré beaucoup de choses en nostre Autheur, et que je sois demeuré partout au dessous de sa naïveté, neantmoins j’ay tousjours imité sa façon, mesme quand je me suis escarté de luy […] » : Adresse « Au Lecteur » du Soliman, op. cit.
[…] ces récits longs et historiques qui viennent souvent à bout de la patience de quelques Auditeurs, sont trouvez admirables alors qu’on les considère et qu’on les lit attentivement. Ce n’est donc pas l’oreille qu’il faut prendre pour souverain Juge en ces occasions, mais seulement la veuë, c’est à dire la lecture.
Avis Au Lecteur du Torrismon. Sitation relevée par A. Riffaud dansLa ponctuation du théâtre imprimé auxvii esiècle, Droz, 2007.
Il ajoute que pour comprendre une pièce il faut la « lire plus d’une fois ». Ainsi le lecteur est soumis à sa propre interprétation et non à celle proposée par l’acteur qui peut aussi commettre des erreurs lors de sa récitation.
Dans ses pièces et particulièrement dans Le Torrismon qu’il considérait comme « un sujet agréable à lire », il pensait que l’intérêt était plutôt dans les « belles peintures [que dans] les Scenes commodes et plaisantes à la veuë ». L’auteur ponctue donc son texte d’indications pour le lecteur, et non pour le spectateur, à propos des personnages, du contexte…
A quoy serviront de beaucoup l’argument que j’ay fait mettre à la marge, qui suppléent aucunement à ce qui sembleroy devoir estre plus eclaircy : Ce qui est un avantage que sa représentation ne pouvoit pas avoir […]
Dans Le Solimanon trouve aussi des indications tels que « In Bruto », « Osman estoit du party de Rustan, et loue Mustapha pour le rendre suspect à Soliman », « S’il espousoie Persine, mais Osman le prend à la lettre ».
Dans son avis Au Lecteur du Soliman d’Alibray développe et justifie ses choix esthétiques en s’appuyant sur les Anciens comme Homère, Aristote, Euripide et bien d’autres. Il renouvelle aussi son point de vue sur la tragi-comédie qui n’est autre qu’une tragédie à fin heureuse :
C’est à dire quand au lieu d’une Tragedie pure, nous en faisons une meslée, que nous nommons Tragi-Comedie, (car les anciens n’y mettoient point de difference) ainsi je l’ay pratiqué en ramenant par une heureuse reconnoissance […]
Les liens qui unissent Faret, Saint Amant, membres de l’Académie française, et d’Alibray renforcent l’inscription de notre auteur dans le milieu littéraire français. L’absence de postérité de Charles Vion d’Alibray, peut éventuellement s’expliquer par le grand succès de ses deux amis mais aussi en raison du discrédit que lui a apporté sa vie insouciante, proche du monde des cabarets et du libertinage. Il ne semble donc pas avoir réussi à se détacher de sa première image de poète léger.
La bonne vingtaine d’œuvresgallica (catalogue.bnf.fr)e
Toutefois, il semble que ses Œuvres Poétiques, publiées en 1653 aient marqué un grand nombre de ses contemporains et de critiques. La publication des recueils poétiquesLa Musette (1647) reprise dans Les Oeuvres poétiques, op. cit., 1653.Soliman, en 1637, dans lequel l’auteur prévenait qu’il quittait le théâtre pour se consacrer à la poésie :
J’espere qu’apres tant de Tragedies et de Comedies qui ont cours maintenant, les meslange ou l’essay Poëtique que je te veux desormais preparer, aura dequoy contenter la curiosité des plus diffciles. Je te declaire neantmoins que ces vers estant les premiers, et peut-estre les seuls que tu verras de mon invention, je n’ay pas envie de rien precipiter.
C’est donc peut-être en remettant au goût du jour ses œuvres et plus particulièrement ici Le Soliman, traduction et adaptation de la pièce du dramaturge italien Prospero Bonarelli, que l’on peut en partie réaliser le rêve de d’Alibray qui voyait dans la littérature un moyen de continuer à vivre dans les générations futures :
Cher et parfaict amy qui vis naistre ma Muse Et qui de tes conseils la daigna secourir Je voudrois par mes vers t’empescher de mourir Mais comment te donner ce que l’on me refuse, Quoiqu’il arrive donc, je te rends ce devoir Et commettrois un crime, et trop lasche et trop noir, En laissant des vertus dignes de tant de gloire : Si je vis, tu pourras revivre avecques moy. Si je meurs (et cecy doi-je bien plustot croire) Je me consoleray de mourir avec toy. Lettre à de la Crevaille ( Oeuvres poétiques, « Vers héroïques », p. 52, 1653).
Le Soliman de Bonarelli (1619) a été traduit par deux auteurs français. D’Alibray, en 1637, est le premier à publier anonymement, cette tragédie italienne à succès. Deux ans plus tard, Mairet « habille [à son tour] à la française » une tragédie intitulée Le Grand et dernier Solyman ou la mort de Mustapha. Il précise dans son avis Au Lecteur que « le Solyman qu’on a mit en lumière il y a deux ans n’est point de [lui] » et annonce ironiquement que l’auteur du premier Soliman est « plus honnête homme et avancé dans le Parnasse » que lui.
Nous pouvons donc nous demander lequel de ces deux auteurs a eu le premier l’idée de faire représenter et de publier cette traduction du texte de Bonarelli qui a eu un grand succès en France,L’arte dell’interpretare, Cuneo, L’Arciere, 1984, p. 261-275 (traduction) : « Prospero Bonarelli, Mairet, Vion d’Alibray [représentent] un moment crucial de l’italianisme français du e
Selon Corneille dans L’Avertissement au Besançonnais Mairet en 1637La Datazione del teatro di Jean Mairet, Paris, Nizet, 1973, p. 67.Le Grand et dernier Solyman aurait donc pu déjà être lu en 1636. D’ailleurs Mairet lui-même avait annoncé son intention d’adapter la pièce de Bonarelli dans l’avis Au Lecteur de La Sophonisbe en 1635 :
Et pour les modernes, qu’ils aient la curiosité de me voir justifier dans les deux discours que le comte Prosper Bonarelli adresse à un de ses amis nommé Antoine Brun, pour son Soliman, que j’espère habiller un de ces jours à la française
. La Sophonisbe, « Au Lecteur », dans Jean Mairet,Théâtre complet, t. 1, édition critique sous la direction de Georges Forestier, Paris, Champion, 2004, p. 104
Dans Les Galanteries du duc d’OssoneÉpitre dédicatoire, comique et familière précédant la pièce publiée en 1636.l’Avertissement aux Besançonnais Mairet, 1637 ; A. Gasté, La Querelle du Cid, Paris, Welter, 1898, p. 325.Solyman de Mairet.
Il ne faut toutefois pas oublier que d’Alibray est un spécialiste des traductions et adaptations italiennes. Après l’Aminte et Le Torrismon du Tasse, il ne semble donc pas si étonnant qu’il se soit penché sur la pièce de Bonarelli. Pour répondre à certaines accusations de son rival, d’Alibray présente son Soliman dans l’avis Au Lecteur du Torrismon (1636) comme « un fruit du dernier Automne »A History of french dramatic litterature in the Seventeeth Century, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1945, vol. 2, p. 36 « Dalibray’s tragi-comedy was given at the Marais ».Mariane de Tristan l’Hermite l’obligea à renoncer à sa profession et marqua le déclin de la troupe de la rue Vieille du Temple.
Dans les années 1630-1640, les troupes de l’Hôtel de Bourgogne et du Marais entretiennent une vrai rivalité. Toutefois la période de 1635 à 1641 est « la période de gloire du Marais »Le théâtre professionnel à Paris. 1600-1649, Centre historique des Archives nationales, 2000, chapitre ibid.).
Sophie-Wilma Deierkaupf-Holsboer a aussi déduit de ses recherches que Pierre Petitjean (dit La Rocque), André Boyron (dit Baron) Philibert Robin (dit le Gaulcher) et Bellemore étaient aussi comédiens du Marais. Toutefois, il semblerait qu’après la première représentation de La Marianne de Tristan l’Hermite, Des Oeilets ait quitté la troupe et que Mademoiselle Beaupré (dit Madeleine Lemeine) l’ait rejoint. Les critiques ont aussi des doutes sur la carrière de Petitjean au Marais après l’année 1635.
Certains critiques comme Marc Villermoz pensent que les deux auteurs ont eu en même temps l’idée d’adapter la pièce italienne de Bonarelli. Ils se seraient respectivement inspirés du travail de l’un et de l’autre. Mais cela ne justifie pas le retard de représentation et de publication de Mairet. On peut s’appuyer sur l’hypothèse de Lancaster qui suggère que, puisque d’Alibray avait déjà fait monter sa pièce par Montdory, Mairet aurait fait représenter la sienne par la troupe Royaleop. cit., p. 36 : « That Dalibray’s tragi-comedy was given at the Marais is shown by the fact that Mairet’s was acted by the rival company ».Galanteries du duc d’Ossone, il aurait rencontré certaines complicationsA History of French Dramatic Litterature in the Seventeeth Century, Henry Carrington Lancaster, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1942, vol. 2, p. 37 « is shown by the fact ? ». Selon S. W. Deierkauf-Holsboer, le départ de Mairet pour la troupe rivale « a profondément vexé le grand chef de troupe qui s’est alors détourné de ces jeunes auteurs » (Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, Paris, Nizet, 1968, vol. 1, p. 165).Le Grand et dernier Solyman de Jean Mairet (Théâtrecomplet, t. 1, édition critique sous la direction de Georges Forestier, Champion, 2004).Jean Mairet et ses protecteurs, une oeuvre dans son milieu, Paris, Seattle, Tübingen Biblio 17, 1983, p. 298-299.
Mais si les indications de d’Alibray sont exactes et que Mairet eût bien eu d’abord le dessein d’écrire une tragi-comédie, il serait peut-être légitime de supposer que, par suite du mauvais succès de Cléôpatre et de l’imprudence de l’auteur, qui a peut-être mécontenté Montdory, par suite également du transfert des meilleurs comédiens du Marais à l’Hôtel de Bourgogne, surtout de Lenoir, dont le comte de Belin s’était entiché, Mairet ait bien eu l’intention dès le début de donner sa pièce à Bellerose plutôt qu’à Montdory, le public de l’Hôtel de Bourgogne aimant mieux les tragi-comédies que les tragédies.
D’autres critiques ont par ailleurs pensé que ce retard était consécutif au travail de réécriture. Mairet aurait d’abord eu l’idée de faire du Solimano, une tragi-comédie à l’instar de son rival, comme l’indique d’Alibray dans son avis Au Lecteur du Torrismon : « s’il a persisté tousjours dans le dessein qu’il avoit d’accommoder aussi le Soliman en Tragi-Comédie ». Mais, selon Marc Villermoz, cette hypothèse n’est pas plus valable que les autres puisqu’on « on voit mal comment un auteur capable d’écrire trois pièces majeures en deux ans aurait pu avoir besoin d’autant de temps pour en remanier une seule »Grand et dernier Solyman de Jean Mairet, op. cit.Le Torrsimon (1636) :
Que si, comme on m’a fait accroire depuis, il a mieux aymé le laisser en Tragedie ;
ce sera le moyen de rendre chacun content : car quoy que la plus-part des evenemens soient semblables, neantmoins la contrarieté des conclusions, dont l’une suivra le verité, et l’autre la vraysemblance, mettre une entiere diversité entre les deux pieces. Au moins je t’asseure bien que tu y reconnoistras tousjours à ma conclusion la grande difference qu’il y a d’un mauvais versificateur à un bon Poëte.
Cette conclusion du « Au Lecteur » montre assez ouvertement que la tension entre les deux hommes est déjà palpable.
L’adresse Au Lecteur du Soliman qui répond à la promesse faite par l’auteur dans Le Torrismon
Il est bien vray pourtant que [les vers] que je te donne eussent aucunement esté plus accomplis, sans le malheur qui en a fait perdre l’exemplaire entre les mains de ceux qui l’avoient en garde ; On m’a voulu persuader que celuy dont je viens de parler pouvoit bien l’avoit fait soustraire, et que j’avois dit de luy par un esprit de prophetie, que la plume de l’Aigle devoreroit la mienne
Cette métaphore rappelle l’avis Au Lecteur du ; mais j’ay tousjours respondu à cela, qu’il n’estoit pas croyable que cét Aigle n’eust peu souffrir le petit éclat que mon Soliman a rendu, et qu’encore qu’il conversast depuis quelque temps avec les Turcs, neantmoins il estoit trop bien nay pour imiter leur damnable coustume de faire mourir leurs freres afin de regner tout seuls ; Quoy que c’en soit je desirerois que cet inconvenient qui m’a fait haster l’impression de cette Tragi-Comedie […].Torrismon« je ne doute point que mon Soliman qui peut-estre estoit assez bon de soy, ne se trouve mauvais par accident, et lors qu’il sera comparé au sien, et que la plume de l’Aigle ne dévore la mienne ».
Si on se reporte à la préface du Torrismon, on comprend fort bien que la métaphore de l’Aigle désigne Mairet :
C’est un bon-heur qui m’arrivera dans le malheur que j’ay de m’estre rencontré avec lui ; car d’un autre costé je ne doute point que mon Soliman qui peut-estre estoit assez bon de soy, ne se trouve mauvais par accident, et lors qu’il sera comparé au sien, et que la plume de l’Aigle ne devore la mienne.
Dés lors, si on en croit d’Alibray, son adaptation du Soliman serait malencontreusement tombée aux mains de Mairet. À l’aide de la métaphore du fratricide chez les Turcs du e
Les tensions engendrées par cette adresse Au Lecteur ont probablement contribué à pousser Toussaint Quinet, à qui d’Alibray avait cédé son Privilège, à supprimer cette adresse Au Lecteur dans une seconde émission du texte, et à la remplacer par un Argument pour Le Soliman.
Toutefois, notre découverte de ce texte dans le cahier liminaire de certains exemplaires vient quelque peu éclairer les conditions de publications de ces deux pièces. Nous supposons que c’est à la suite de cette incrimination que Mairet a modifié les derniers actes de sa pièce pour faire de sa tragi-comédie une tragédie. De plus, il est possible qu’il ait préféré patienter avant de faire jouer sa pièce et de la publier afin de ne pas être accusé de plagiat par les critiques et le public. Il aurait sinon perdu de son capitale spécifique et de sa crédibilité. Cela explique peut être aussi pourquoi Mairet ne considère pas sa pièce comme une réussite, alors que Sarasin dans l’une de ses lettres à l’auteur affirme qu’elle a réjoui le publicLe Théâtre de Mairet. Une dramaturgie de l’existence, thèse de doctorat d’État, soutenue à l’Université Paris III, La Sorbonne nouvelle, 1978, p. 299.
Monsieur mon cher ami, il est raisonnable que ma lettre soit une des bouches de la renommées, qui vous apprendra que vous avez triomphé. J’ai vu le Solyman autant de fois qu’on l’a représenté, et autant de fois j’ai loué avec les sages et battu des mains avec le peuple.
Le Solyman de Mairet n’a cependant connu qu’une seule édition ce qui prouve son succès relatif en librairie. Elle a sans doute été éclipsée par la réussite de ses autres pièces comme La Sophonisbe.
À l’inverse, il reste encore aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de France, un certain nombre d’exemplaires de la pièce de d’Alibray qui a été rééditée en 1642Soliman de notre auteur, les lecteurs semblent l’avoir apprécié; les admirateurs de d’Alibray savaient probablement que l’auteur préférait la lecture de ses pièces à leur représentation
À partir des années 1620 et jusqu’au e
C’est Selim Ier qui, le premier, chercha à agrandir la puissance ottomane en annexant des provinces voisines. Soliman le Magnifiqueerer et Soliman : « Connus sous le nom de « Capitulations », les textes conclus offrent à la France un droit de représentation permanente avec Ambassade et Consulats ainsi que des avantages pour le commerce avec la Sublime Porte ; privilèges complétés par la protection des pèlerins se rendant en Terre Sainte. » (source http ://www.ambafrance-tr.org).
L’Orient avec ses sérails, synonymes d’exotisme et d’érotisme, fascine en raison de ses mœurs, de sa religion et de ses lois. Toutefois le fanatisme religieux et la politique qui y règnent révulsent. Auteurs et artistes construisent donc une représentation de l’ennemi et un contre-modèle du souverain occidental. L’Occident a besoin d’un autre pour se construire et « L’Orient [n’] est [rien d’autre qu’] une idée qui a une histoire et une tradition de pensée, une imagerie et un vocabulaire qui lui ont donné réalité et présence en Occident et pour l’Occident »L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Seuil, 2005, p. 23.
la dominante du pouvoir mahométan est […] l’absolutisme « monarchique », « despotique », « tyrannique », ces adjectifs reviennent systématiquement dans les textes. Mais, comme s’ils ne suffisaient pas, on leur associe sans cesse des adverbes d’intensité, qui suggèrent que ce pouvoir n’a rien de comparable à celui que l’on connaît en France […]. Certes l’absolutisme est une notion qu’il n’est guère besoin de développer aux lecteurs du
xvii , mais il convient de définir celui des monarques orientaux, de préciser où se situe la ligne de démarcation avec son homologue français […]. Dans le cas du mahométisme, l’inspiration du Seigneur est évidemment inexistante, faisant place à l’intervention du Mal intrinsèque à la religion ; l’ombre de Satan plane sur la féroce iniquité du souveraineD. Carnoy, .Représentation de l’Islam dans la France duxvii esiècle. La ville des tentations, Paris, 1998, p. 279.
En 1748 dans l’Esprit des Lois, Voltaire stéréotypera ce phénomène en osant dire « que le gouvernement modéré convient mieux à la religion chrétienne et le gouvernement despotique à la mahométane ».
De Bounin, auteur de La Soltane (1561) à Desmares et sa Roxelane (1643) un grand nombre d’auteurs se sont intéressés au règne de Soliman le MagnifiqueLittératures classiques, nº 51, 2004, p. 133-151.
Plus largement, on relève environ 24 tragédies ou tragi-comédies à sujet turcibid. À noter que le célèbre Bajazet de Racine (1672) est probablement la pièce à sujet turc la plus connue et que pour cette pièce l’auteur s’est sans doute inspiré des pièces de d’Alibray et Mairet.
Ces œuvres, majoritairement construites à partir des récits de voyageurs « temoign[ent] des excès de ce pouvoir omnipotent : […] un homme de guerre turc porté à la plus haute fonction de l’État par son souverain puis brutalement disgracié et exécuté suite à un revirement de fortune ; […] un fils du sultan soupçonné de trahison et expédié à la mort par son père sans aucune pitié ; […] une histoire de machination politique mise en place par des comploteurs pour perdre un héros en vue à la cour du sérail »
Sylvie RequemoraLittératures classiques, nº 51, 2004, p. 133-151.eIbid., p. 135.
De surcroît, les pièces à sujets turcs permettent aux dramaturges de nourrir leur réflexion sur le meilleur type de sujet tragique et sur l’importance de la violence au sein des alliances énoncée par Aristote dans sa PoétiqueLa Poétique, chap.
Nous pouvons donc dire à la suite de Michèle Longino que « figurativement et littéralement, l’Orient est un espace de théâtre »eCid », dans Littérature et exotisme, D. de Courcelles (éd.), Paris, Champion, « Études et rencontres de l’École de Chartres », 1997, p. 35-39.
Il Solimano de Bonarelli représente sur scène les complots machiavéliques de Rustan et de Roxelane qui s’appuient sur la libido dominandi du sultan afin de faire périr Mustapha. C’est en effet cette passion du pouvoir et la peur d’être détrôné qui conduit le sultan à condamner injustement son fils. Lancaster considère que les deux pièces adaptées du Soliman italien s’inspirent historiquement de la mort de Mustapha exécuté par Soliman II en 1533. Autour de cet événement les dramaturges ont brodé deux motifs romantiques, l’amour entre Persine et Mustapha et l’échange d’enfants entre Roxelane et Circasseop.cit., p. 36 « The fate of Mustapha, a highly gifted pince, executed en 1533 by his father, Solyman II, as the result of a palace intrigue, conduced by the young man’s stepmother and the grand vizier, Rustan, had been Bonarelli’s theme. To the historical events had added two romantic motifs, the love of Mustapha for the daughter of the King of Persia, and the exchange of infants, resulting in the fact that the prnce is done to death by his own mother, who believes him to be the son of a rival Sultana and opposed to the interests of her second son. »
Il faut préciser qu’en raison du dénouement tragi-comique de sa pièce, l’intrigue du Soliman de d’Alibray ne s’achève pas par la mort de Mustapha.
Prospero Bonarelli (1582-1639) est le frère cadet de Guidobaldo Bonarelli, célèbre auteur de Fillis de Sciro (1607) et membre fondateur des Intrépides de FerrareIntrépides, qui subsiste toujours, et dont le fondateur fut Jean-Baptsite Aléotti d’Argenta, fameux ingénieur et homme de lettres. L’objet de cette institution fut la belle littérature et la gymnastique ou exercice d’arme et d’adresse. […]. Les magistrats de Ferrare, qui en reconnurent les avantages, l’affermirent et la rendirent durable, en destinant, pour le bien de cette institution, un revenu tiré des fonds publics » : Histoire des journeaux françois et étrangers. Par une Société de Gens de Lettres, Paris, Vallade, t. VII, juillet 1784.Il Solimano pour le duc de Toscane et la Cour de Vienne et souhaite avec cette pièce composer une tragédie dans les règles en adéquation avec les goûts du public. Il soumet d’ailleurs les scènes les unes après les autres à des critiques.
C’est une réussite puisque sa pièces est considérée comme « une des meilleures de son temps »Biographie universelle classique, ou Dictionnaire historique portatif, vol. 1, Charles Théodore Beauvais de Préau, Antoine-Alexandre Barbier, Paris, Charles Gosselin, 1929.Discours, Bonarelli résume l’intrigue de son Soliman comme l’histoire d’un père juste et aimant poussé par quelques-uns à faire assassiner son fils :
en raisons des intrigues menées par la Rossa et des soupçons que Rusteno avaient fait naître en lui, Solimano, qui ne voulait pas priver son fils du trône, ni de la vie, en vint à faire périr celui-ci misérablement.
Les deux discours de Bonarelli correspondent en fait aux lettres que l’auteur a envoyé à Antonio Bruni pour défendre son œuvre. Due lettere del signor comte Prospero Bonarelli al signor Antonio Bruni dans Il Solimano-Tragedia del co Prospero Bonarelli[…], Roma, F. Corbeletti, 1632 « Gli universali della Storai di Mustafà, se non m’inganno, son questi ; chez Solimano suo Padre per arti della Rossa, e di Rusteno insospettito, ch’egli non lo volesse privar del Regno, e della vita lo fece meseramente morire » :ibid., p. 4.
Toutefois l’auteur subit des critiques de la part d’Antonio Bruni, qui lui reproche d’avoir choisi un sujet moderne déjà traité par l’historien Natale Conti. L’auteur lui répond dans deux lettres apologétiquesPoétique d’Aristote et sont repris par d’Alibray dans son adresse Au Lecteur. Certains passages laissent même à penser que notre auteur a par endroit directement traduit Bonarelli :
J’ay pourtant obmis quelques autres raisons que tu pourras voir dans les deux lettres apologetiques que nostre Autheur adresse à Bruni, et dont je n’ay point fait de difficulté d’emprunter ce que j’ay trouvé de meilleur pour une seconde deffense de mon Soliman.
C’est pourquoi, nous utiliserons en grande partie ce texte pour mettre en avant les arguments de Bonarelli sur les conditions de modifications de l’Histoire.
Comme d’Alibray le rappelle il y a différents types d’histoires : « les unes sont anciennes, et les autres modernes ». Il distingue encore celles « arrivées en un païs esloignée, ou comme arrivées en un païs proche ». Il est alors admis de modifier les histoires anciennes ou encore les histoires qui se sont déroulées dans un pays étranger, la distance temporelle étant palliée par la distance spatiale
La seconde lettre de Bonarelli, ainsi que l’adresse Au Lecteur de d’Alibray, se placet dans la continuité du chapitre Poétique d’Aristote. Ils y développent les différences entre la Poésie et l’Histoire :
L’histoire […], est une narration selon la vérité, d’actions humaines memorables et arrivées ; la Poësie est une narration selon la vraysemblance d’actions humaines memorables et qui pouvoient avenir ; la matiere de l’une doit estre pareille à celle de l’autre, je l’avouë, mais pareille et non pas la mesme ;.
Voir note 37 du « Au Lecteur » de d’Alibray.
La Poésie et l’Histoire n’ont pas le même but et ne peuvent donc pas rentrer en concurrence. Bonarelli évoque tout d’abord les faits contra historiam recherchés par l’historien. Il s’agit de faits véritables et universels, même si, comme le rappelle d’Alibray en reprenant les exemples du dramaturge italien, certains historiens ne respectent pas toujours la véritépraeter historiam, plus anecdotiques. C’est prioritairement ceux qui sont utilisés par le poète puisqu’il peut y introduire ses inventions propres en s’appuyant davantage sur la vraisemblance que sur la véracité des faits.
D’Alibray reprend aussi l’idée de Bonarelli sur le crédible merveilleux ou le merveilleux vraisemblable. C’est la combinaison d’éléments véritablement tirés de l’histoire et d’éléments inventés qui produit le meilleur effet sur le public et est le plus à même de purger les passions. D’Alibray résume en disant que :
Le Poëte ne doit pas perdre à la vérité le croyable pour le merveilleux, mais aussi ne doit-il pas mespriser le merveilleux pour le croyable, d’autant que les deux joints ensemble, forment le sujet de la Poësie, et que l’un ne peut estre sans l’autre dans un bon Poëme.
. Le Solimande d’Alibray, « Au Lecteur ».
Selon les dramaturges, c’est la notion d’inventio, largement développé par Aristote au chapitre La Poétique, qui les autorise à modifier les événements secondaires de l’Histoire ou ceux qui ont été rapportés par des historiens mineurs
Bonarelli respecte alors dans sa pièce l’action première et modifie les éléments secondaires. On trouve dans Il Solimano six changements par rapport à l’Histoire.
Il a tout d’abord réduit en une journée « ce que l’Histoire dit être advenu en plusieurs mois et années ». Certes, cet élément s’accorde avec la question de l’unité de temps mais prouve aussi selon d’Alibray l’immense génie du poète italien à faire croire vraisemblable le complot contre Mustapha en un temps si court. Le travail sur le caractère des personnages a donc du être établi avec perfection
La seconde modification concerne la relation qu’entretient Despine (ou Persine selon les auteurs) avec le fils de Soliman. Même si quelques lettres suggérant cette relation ont été retrouvées, leur liaison n’a jamais été avérée par les historiens :
on intercepta certaines lettres du Bassa d’Amasie, qui faisaient vaguement mention d’une sorte de mariage entre Mustafà et la fille du Roi de Perse, lesquelles lettres, présentées par la Reine à Soliman, produisirent l’effet désiré. Mais moi, à partir de cette petite graine historique, j’ai pensé pouvoir faire naître la plante fabuleuse des amours de Mustapha avec Despine et des actions de la jeune fille, en la greffant de telle sorte sur le tronc de la fable principale, que l’une ne puisse se tenir, ou finir sans l’autre.
« […] del Bassà dell’ Amasia furono intercette alcune lettere, nelle quali era un non so ’che di maneggio di nozze trà Mustafà, e la figliuola del Rè di Persia, le quali lettere appresentate dalle Rossa a Solimano, oprorono l’effetto da lei desiderato, io pero’ da questo picciol seme Istorico ho’ pensato poter far’ nascere la favolosa pianta de gli amori, e de gli altri effetti di Despina, inestandola in modo col tronco della favola principale, che l’una non possa reggersi, ne finir senza l’altra. », Due lettere del signor comte Prospero Bonarelli al signor Antonio Bruni dans Il Solimano-Tragedia del co Prospero Bonarelli […], Roma, F. Corbeletti, 1632, p. 5-6
Quoi qu’il en soit, cet élément permet à l’auteur d’apporter un caractère romanesque aux faits historiques. Cette intrigue constitue un épisode au sens aristotélicien du terme
Faire de Roxelane la mère de Mustapha est une pure invention du dramaturge puisque le jeune homme est reconnu historiquement comme le fils de Circasse, l’autre femme du sultan
Bonarelli modifie aussi quelque peu la fin tragique des amants. Il reprend à son compte l’imagerie d’horreur et de violence rattachée à l’Orient au point que certains critiques comme Lancaster ont vu un côté ridicule à la description de la mort de Persineop. cit., p. 38 : « He [Mairet] avoids the ridiculous description given by Bonarelli of the heroine’s death ».
La décapitation des amants est en effet un prétexte à une scène très spectaculaire, dans laquelle la tête coupée du prince passe des mains de la Reine à celles de Solimano (V, 4) et à un récit macabre riche en hypotyposes relatant l’exécution de Despina (dont la tête coupée parle encore en tombant de l’échafaud, et rebondit de marche en marche jsuqu’aux pieds de Mustafà (V, 1).
D’après Marc Villermoz dans son introduction critique du Grand et dernier Solymande Mairet,Théâtre complet, t. 1, Honoré Champion, Paris, 2004, p. 405-406.
Enfin, Bonarelli déplace doublement le lieu de l’action. Il situe son intrigue dans la ville d’Alep alors que l’Histoire situe la guerre des Turcs contre les Perses dans les « campagnes »op. cit., p. 18.Soliman p. 82.
Dans son second Discours, Bonarelli précise qu’Alep est une ville fort éloignée et que de ce fait les informations que l’on peut en avoir sont sujettes à caution. Ce changement apparaît donc aussi comme un prétexte supplémentaire pour introduire des éléments fictifs dans la pièce.
Quoiqu’il en soit, le pari de Bonarelli est réussi puisqu’il semble que sa pièce ait connu un fort succès. C’est avec l’art d’un vrai Poète qu’il a fait de son Soliman une tragédie complexe à reconnaissance. Les ressorts de la catharsis y sont mis en place afin que le spectateur tremble pour Mustapha et ait pitié de Soliman. Par la perte de son fils et le suicide de sa femme, qui découvre trop tardivement que le jeune prince est bien son fils et non celui de Circasse, le sultan connait un véritable changement de fortune et doit être considéré comme le vrai héros de la pièce. Son destin horrible est d’ailleurs le sujet de la morale d’Acmat à la fin de l’acte v.
Puisque Mairet et d’Alibray ont tous les deux traduit la pièce de Bonarellie et l’ont adapté adapté aux règles dramaturgiques françaises, il nous a paru intéressant de mettre leur pièce en parallèle.
Nous avons numéroté les scènes de chacune des deux pièces en indiquant, selon les conventions le numéro de l’acte en chiffre romain (I, II, III, IV, V) suivi de celui de la scène. Les actes et scènes correspondant à la pièce de d’Alibray sont indiqués en gras et ceux de la pièce de Mairet en italique. Afin que le parallèle entre les deux pièces soit mis en évidence, nous avons pris soin d’indiquer après chaque résumé de scène la concordance avec la pièce concurrente (par exemple : // I, 5 ou II, 3…).
La comparaison formelle des pièces permet de mettre en évidence les différences entre Le Soliman italien et les deux pièces « habillées à la française » par Mairet et d’Alibray. Si les deux auteurs ont transposé Il Solimano en alexandrins ils se sont aussi engagés par des partis pris esthétiques et dramaturgiques.
D’une part, les dramaturges français ont choisi de resserrer la pièce d’origine. Comme le montre les tableaux de présence
Nous pouvons éventuellement noter le jeu de mot opéré par d’Alibray qui modifie le nom de Despine en Persine. La jeune femme est alors d’emblée caractérisée par son pays d’origine.
La liste des « Acteurs » est présentée par les dramaturges selon un ordre différent. Habituellement,
on nomme d’abord […] les personnages doués d’autorité ou de prestige ; les suppléent ou les suivent d’autres héros de la pièce, ceux dont les tourments vont émouvoir ou les aventures amuser le spectateur, après eux, leurs frères, sœurs, parents, « maîtresse » ou « amants », dont la présence autour du héros est déjà un commencement d’exposé de la situation ; enfin les comparses [..] qui n’ont pas l’honneur d’être nommés mais dont la présence est requise sur scène […]. Cette hiérarchie, on le voit, s’inspire de l’échelle sociale du
xvii siècle et ne coïncide pas nécessairement avec l’ordre des préoccupations techniques de l’auteur dramatique […]e. La Dramaturgie classique en France, Jacques Scherer, Paris, Nizet, 1991, p. 19
Cependant, nous sommes surprise de constater que d’Alibray et Mairet qui se livraient à une adaptation de la pièce italienne aient pris soin de modifier l’ordre de cette liste. Il faut donc en conclure qu’elle révèle tout de même quelque chose sur les choix dramaturgiques. Les deux dramaturges français ont laissé la première place au sultan Soliman et les dernières aux personnages subalternes qui ne sont, parfois, même pas dotés de noms.
La place de Mustapha est, elle, particulièrement intéressante. Chez Mairet le personnage est placé sous le nom de son père, Soliman, ce qui laisse directement penser qu’il est de naissance noble et digne et ce qui annonce implicitement son destin tragique. Il acquiert en effet immédiatement sa place de héros tragique comme l’annonçait d’ores et déjà le titre de la pièce, Le Grand et dernier Solyman ou la mort de Mustapha. L’auteur va même jusqu’à lui accorder la même présence scénique que le sultan. Le personnage est présent durant 13 scènes tandis que chez Bonarelli on ne le retrouve qu’à 6 reprises (contre 13 toujours pour Soliman) et il apparaît dans 9 scènes chez d’Alibray (contre 16 pour le sultan).
Chez notre auteur, Mustapha est placé dans la liste des acteurs, juste avant les personnages insignifiants. Le doute sur sa position sociale persiste donc. Il se distingue alors de Persine, fille du roi de Perse située juste après les personnages proches de Soliman. On peut aussi noter que Mairet comme Bonarelli présentent les hommes avant les femmes. Cela met au jour un autre type de hiérarchie sociale dans laquelle les hommes ont davantage de pouvoir que les femmes.
L’étude des tableaux de présence, avant même une lecture de la pièce, permet de déceler les alliances entre les personnages et de montrer que d’Alibray comme Mairet ont respecté les choix de Bonarelli. Les affinités entre Soliman et ses conseillers à savoir Rustan et Acmat sont fortement visibles et il en de même pour Persine et son père nourricier Alvante. On peut aussi constater que des liens se nouent entre Roxelane, Séline, Rustan et son conseiller Osman.
D’Alibray est celui qui semble rester le plus fidèle à la traduction de BonarelliDiscours de la Poésie représentative, op. cit.
Le goût de l’action chez Mairet est marqué par les multiples entrées et sorties des personnages et par la division des scènes. Sa pièce constituée de 35 scènes, use de nombreuses ruptures de scènes laissant alors l’espace scénique videLa Dramaturgie classique en France, Jacques Scherer, Paris, Nizet, 1991, p.274.Discours de la Poésie représentative prononcé à l’Académie française vers 1635, texte cité dans G. Dotoli, Le Temps des Préfaces, Le débat théâtral en France de Hardy à la Querelle du « Cid », Paris, Klincksieck, 1996, p. 302.
D’Alibray a transformé la tragédie de Bonarelli en tragi-comédie. Il faut souligner que pour lui la simple modification d’un dénouement funeste par un dénouement heureux, permet de modifier la catégorie dramaturgique de la pièce. Notre auteur rapproche donc lui même sa pièce d’une tragédie à fin heureuse dans son avis Au Lecteur : « C’est à dire qu’au lieu d’une Tragédie pure, nous en faisons une meslée, que nous nommons Tragi-Comédie, (car les anciens n’y mettoient point de différence) ainsi je l’ay pratiqué en ramenant par une heureuse reconnoissance, Mustapha, presque de la mort à la vie. ». Il avait d’ailleurs déjà fait ce choix esthétique dans Le Torrismon et se justifiait ainsi :
Joinct que je suis en doute s’il est necessaire que la Tragedie finisse tousjours par les actions les plus funestes. La raison sur quoy je me fonde, outre l’expéience que j’ay souvent veuë du contraire, c’est que les maistres de l’Art appellent changement en la Tragedie non seulement quand elle termine en quelque malheur, mais aussi quand elle tourne en mieux, ce que nous nommons Tragi-comedie : Or selon cette regle je pouvois bien conclurre par quelque chose de moins triste, puisque je pouvois mesme conclurre par quelque chose de plus gay sans rien faire contre la Tragedie.
Avis Au Lecteur du Torrismon, op. cit.
D’Alibray affirme que l’on peut plaquer un dénouement heureux sur une pièce dont la structure est tragique et l’abbé d’Aubignac dans sa Pratique du théâtrePratique du théâtre, livre II, chapitre
Notre auteur applique donc sa théorie à la pratique en modifiant le dernier acte du Soliman de Bonarelli. Ce détachement est visible par le tableau de présence à la fin de l’acte
Mairet a lui fait le choix de mettre le lecteur, dès la scène 1 de l’acte La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 1991, p. 51 et 437.Grand et dernier Solyman la visée ambitieuse de Rustan et sa jalousie envers Mustapha tandis qu’elle est seulement latente chez d’Alibray. De plus la scène dans laquelle Alvante déchire la lettre destinée à Mustapha a lieu dès la scène 5 de l’acte Grand et Dernier Solyman ou La mort de Mustapha, op. cit. (notons ici que Mairet confond Prospero Bonarelli avec son frère Guidobaldo Bonarelli).
On constate aussi que les deux auteurs ont voulu compléter le dénouement du dramaturge italien qui ne faisait aucunement mention du sort de Rustan après la reconnaissance de Mustapha en tant que fils de Roxelane et une fois le complot qu’il avait mené découvert. De nouveau, les choix de Mairet et de d’Alibray diffèrent. Selon Hélène Baby « le revirement du traître Rustan est motivé chez Mairet par la peur de l’Enfer : blessé dans la scène III, 13 par Bajazet, il agonise et craint les châtiments éternels. Dans la pièce de Dalibray, le revirement du traître n’est lié à aucun événement, et revendique sa propre gratuité. »La tragi-comédie de Corneille à Quinault, Hélène Baby, Klincksieck, 2002.Soliman de Mairet précise aussi que la mort de Rustan, blessé par Bajazet, annonce la violence du personnage, qui à la fin de la pièce va embraser la ville. Or, quand un favori qui se sent menacé se suicide, nous sommes en droit de parler, à la suite d’Anne Ubersfeld, de « tragédie grotesque »Le Roi et le bouffon : étude sur le théâtre de 1830-1839, J. Corti, 2001 p. 400.Soliman de d’Alibray permet, lui, de nous éclairer sur cette mort volontaire de Rustan. Bien que peu argumentée, elle a aussi pour but de clôturer le dénouement inachevé de Bonarelli et en devient alors un peu moins « gratuite ». Si l’on en croit notre auteur elle ne relève pas uniquement de l’inventio mais aussi de la dispositio de la pièce :
J’ay esté obligé de le faire mourir tant pour ne pas laisser la faute impunie, ce qui me sembloit un grand defaut, qu’afin que le changement de fortune de Mustapha en fust plein et plus admirable ; attendu que son bon-heu dependant de l’affection de son pere, de la possession de Persine, et de la perte de ses ennemis, la felicité estoit accomplie, quand il obtiendroit ces trois points. Car de faire une réconciliation de Rustan avec Mustapha, cela est bon pour les Comedies […] ; J’ay donc mieux aymé qu’il se tüast dans la rage ordinaire à ceux de son païs, voyant ses desseins avortez, et qu’il ny avoit plus de jour à son salut.
Adresse Au Lecteur du Soliman, p. 83.
Notre auteur évoque donc ici deux arguments : la valeur cathartique morale du théâtre liée au plaisir du spectateur.
outre le dessein que j’avois faisant une Tragi-Comédie du Soliman, c’est à dire, punissant le coupable et sauvant l’innocent, la perte duquel selon Aristote excite notre indignation contre le Ciel mesme, qui est une chose horrible, outre dis je le dessein que j’avois d’instruire aucunement à la vertu, et de retirer du vice par l’espoir de la recompense et de l’apprehension de la peine, les deux grands Maistres de nostre vie ; J’ay cru encore qu’apres qu’on se seroit senty offensé des malices de Rustan et affligé des miseres de Mustapha, lors qu’on apprendroit la mort de l’un, et qu’on verroit le bon heur de l’autre, on en recevroit une joye d’autant plus pure […] que ce second mouvement nous estoit une nouvelle preuve, que nous sommes gens de bien et veritablement amateur de la justice.
Ibid., p. 84.
Comme Lucrèce qui parlait de la poésie comme d’un miel qui permet l’absorption d’un remède plus amer, d’Alibray choisit de « surprendre l’imagination du spectateur […] pour le mieux conduire sans obstacle à la créance que l’on veut qu’il prenne en ce qui lui est représenté »op. cit., p. 301.in extremis à l’un des topos de l’imagerie orientale
Mairet modifie quelque peu le dénouement de la pièce italienne en se servant, lui aussi, de cette imagerie. Il met l’accent sur la violence et l’ironie (qui deviendra une ironie tragique) du despote oriental en multipliant les faux espoirs envers les deux amants, ce qui est d’ailleurs un des ressorts de la tragi-comédie. Le dénouement de Bonarelli, lui, sacrifiait davantage à « l’esprit horrifique qui traverse la tragédie à la charnière du eeGrand et dernier Solyman ou la Mort de Mustapha (op. cit., p. 405).
Dans les années 1630, la tragi-comédie, connue pour sa modernité et son irrégularité semble se plier de plus en plus aux normes classiques. C’est ce que nous pouvons déjà constater dans le Clitandre de Corneille (1632) puis dans Le Cid (1637). Pour Lancaster notre pièce prend en considération les règles classiques et se conforme aux trois unités imposées par Richelieu en 1630op. cit., p. 38 : « Both are classical in structure. »
Force est aussi de constater que le resserrement du temps historique est accompagné d’un respect de l’unité de temps et d’une adéquation avec le vraisemblable. Pour prouver que sa pièce se déroule en une seule journée, d’Alibray ponctue son récit d’adverbes et d’expressions temporelles telles que « aujourd’huy », « la journée », « dés la pointe du jour », « dans une heure », « ce matin », « devant qu’il soit une heure », « tout à l’heure », « en ce jour », « dés ce jour ». Après avoir élagué le texte de Bonarelli de ses longs récits, il fait tout de même perdurer le récit rétrospectif de Persine qui évoque à l’acte
La rapidité de l’action découle aussi des ellipses temporelles qui viennent ponctuer la pièce. On peut supposer qu’il y en a une dès l’acte
si la dernière scène d’un acte était liée avec la première du suivant, ce ne serait pas deux actes, vu qu’il n’y aurait pas de moyen d’en marquer la distinction en un lieu plutôt qu’en l’autre.
Pratique du théâtre, op. cit., livreiii , chapitrev , p. 221.
D’Alibray imite Bonarelli en reprenant un espace large qui lui permet de respecter l’unité de lieu.Poétique en 1639.A history of the french dramatic litterature « a larger space, which, however, does not extend beyond the walls of Aleppo. ».
À l’intérieur même du palais nous imaginons facilement une distinction entre les espaces privés et les espaces publics : les scènes qui se déroulent en présence de Soliman peuvent avoir lieu dans une grande salle de conseil et les scènes où se trame le complot, dans des appartements privés. À l’extérieur du palais il y a le camp de Mustapha ainsi que d’autres lieux dans lesquels Persine et Alvante s’entretiennent
Nous sommes donc amenée à penser que la pièce de d’Alibray nécessite à l’intérieur et à l’extérieur du palais deux à trois compartiments. Si nous nous rapportons aux gravures du Mémoire de Mahelot, deux solutions semblent possibles. D’une part le metteur en scène pouvait juxtaposer les compartiments pour réaliser un décor simultané. La Mesnardière propose que :
si l’Avanture s’est passée moitié dans le Palais d’un roi en plusieurs appartements, et moitié hors de sa Maison […] ; il faut que le grand du Théâtre […] serve pour tous les dehors où ces choses ont été faites ; et que les Renfondremens soient divisés en plusieurs Chambres, par les divers Frontispices, Portaux, Colonnes, ou Arcades.
La Poétique, La Mesnardière, Paris, Sommaville, 1639 (réimpr. Slatkine Reprints, Genève, 1972), p. 412-413.
Mais dans les années 1635 le décorateur usait aussi de tapisseries sur lesquelles étaient peintes un décor. Cette dernière solution semble la plus à propos pour notre pièce puisque les changements d’espace sont réguliers et les lieux contigus. Le décor fait alors partie de la surprise et suggère une esthétique d’un monde en mouvement.
La pièce évoque aussi des hors-scènes tels que la Perse, avec qui Soliman est en guerre, ainsi que la région d’Amasie d’où revient Mustapha dans la scène d’ouverture
Pour ce qui concerne l’unité d’action, d’Alibray s’attache à suivre l’unité de péril. Il s’agit alors d’un autre argument pour justifier la diminution du nombre d’acteurs. Plus l’action est centrée autour de quelques personnages, plus le spectateur est attentif à ce qui se joue devant lui. Le complot de Rustan et de la Reine est l’action principale de la pièce. Elle s’appuie sur une dimension politique, puisque les deux protagonistes mettent en place de nombreux stratagèmes pour faire imaginer un péril d’État à Soliman :
Je crains qu’un scelerat
N’ai tramé dessous vous quelque noir attentat,
Et par vostre trespas n’occupe cét Empire,
Où son ambition depuis long-temps aspire (Acte
ii scène 5 vers 407-410)
L’action principale est assortie d’une action secondaire qui vient l’étoffer : bien entendu, il s’agit des sentiments éprouvés par Mustapha et Persine. Cette intrigue amoureuse vient simplement nourrir l’action principale et est considérée comme un épisode au sens aristotélicien par notre auteur.
La pièce de d’Alibray est donc totalement cohérente dans sa structure interne et répond aux exigences énoncées par Chapelain dans son Discours de la Poésie représentativeop.cit p.302.
Dans le premier Acte, les fondements de l’histoire se jettent. Dans le second, les difficultés commencent à naître. Dans le troisième, le trouble se renforce. Dans le quatrième, les choses sont désespérées. Dans le cinquième, le désespoir continuant, le nœud se démêle par des voies inespérées et produit la merveille.
Pour Lancaster, sa seule erreur est de ne pas avoir mis le spectateur ou le lecteur dans la confidence de l’échange d’enfants entre Circasse et Roxelanedispositio est parfaite en ce point :
j’ay changé la reconnoissance de Mustapha doublement, et en sa cause et en son effect : car au lieu que [Bonarelli] la faisoit venir de certaines femmes qui suivoient incessamment Mustapha sans qu’il sçeut pourquoy, j’ay creu qu’il estoit plus seant qu’Ormene que je feignois son pere Nourrissier, et qui par cette consideration pouvoit ne l’abandonner jamais, se trouva tout à propos pour donner jour à cette reconnoissance. Ce qui m’a paru d’autant mieux que par ce moyen on n’avoit point recours au dehors, mais à un personnage qui faisoit partie du sujet.
Il reprend ici une idée déjà développée dans son adresse Au Lecteur du Torrismon« la reconnoissance est d’autant meilleure qu’elle se fait sans aucuns signes pris de dehors, qu’elle vient et se tire de la chose mesme et de la disposition du sujet ».
Le dénouement de la pièce est inattendu puisqu’il est le résultat d’une péripétie (aussi appelé coup de théâtre) qui provoque la surprise du spectateur et « produit la merveille »Discours de la Poésie représentative, p. 129, Opuscule critique, Alfred Hunter (éd.), Paris, Droz, 1936.Le Soliman de Bonarelli en une « tragédie » complexe à reconnaissance et c’est ce qui constitue selon Heinsius « la seule Fable qui soit absolument parfaite »La Poétique, chapitre op. cit., chapitre
Nous pouvons nous demander quel personnage incarne au mieux dans cette pièce la figure du héros. Selon Jacques Scherer « Le héros classique est jeune ; […]. D’autres prestiges s’ajoutent à ceux- là : […] le héros de théâtre doit briller par son courage et sa noblesse »La Dramaturgie classique en France, Jacques Scherer, Nizet, 1991, p. 21.
Mille rayons de feu lui servoient d’ornement,
Et son oeillade estoit de tant d’attraicts pourveuë,
Que tout aus mesme instant il m’esbloüit la veuë, (vers 516-518)
tandis que son père est invité à « [aimer] le repos que son âge desire »
Si le héros tragique doit être malheureux, lequel de ces deux personnages doit on considérer comme le plus à même de susciter la pitié ? Soliman, qui, manipulé, craint pour son pays et n’assume que difficilement son rôle de souverain et de père en même temps ? Ou Mustapha qui renonce, du moins pour un moment, à son amour pour la fille du roi de Perse au nom de son devoir et dont les qualités « deviennent dans la bouche de [Rustan] un motif de culpabilité et un sujet de crainte »« Représentation de la tyrannie dans les tragédies à sujet turc du Grand Siècle français » sur le site crht.org.
Tandis qu’Acmat formule le conflit interne du sultan :
Faut-il qu’un Roy si sage, et si plein de clemence, Condamne à mort son Fils sans oüyr sa deffence ! Son Fils, dis-je, ô doux nom ! qui marque le lien Que la Nature a mis de vostre sang au sien. Les escadrons des Roys, et lerus puissans asyles, Sont au prix des enfans des forces trop debiles. (vers 1047-1052)
Mustapha illustre avec brio le courage et la noblesse de cœur associés à la noblesse de sang et se soumet à l’autorité royale de son père. Il ne peut rejeter la mission qui lui a été confiée sous peine de perdre l’estime de son pays et par conséquent celle de sa bien-aimée de qui il ne serait plus l’égal. Octave Nadal pense que pour un héros « l’amour est subordonné à la gloire, disons aux intérêts qui s’attachent au pouvoir. Les femmes autant que les hommes sont bien décidés à ne pas perdre la tête, à ne pas s’embarrasser d’un amour coûteux à leur ambition mais à s’en inspirer, ce qui les aident à y parvenir »Le Sentiment de l’amour dans le théâtre de Corneille, Gallimard (coll. Tell), 1948, p. 224.
Soliman est le personnage qui occupe le plus l’espace scénique tandis que Mustapha est davantage un personnage absent dont on parle. Si l’abbé d’Aubignac considère que « les principaux personnages doivent apparaître le plus souvent et demeurer le plus longtemps qu’il est possible sur le théâtre »La Pratique du théâtre, Livre IV, chapitre I, p. 278 (édition de Pierre Martino, Paris, Champion, 1927).La Dramaturgie classique en France, Nizet, 1991, p. 24.Le Grand et dernier Solyman ou la mort de Mustapha offre aussi cette approche.
Le respect des trois unités de la dramaturgie classique nous invite à nous interroger sur le genre même de notre pièce. La tragi-comédie est un genre théâtral qui pose certains problèmes de définition. Nous pouvons donc la considérer comme un genre souple et irrégulier. Certains considèrent qu’il faut y mêler les plus beaux éléments de la tragédie et de la comédie, pour Ogier, la tragi-comédie met en scènes « tantôt [des] affaires sérieuses, importantes et tragiques et incontinent après [des] choses communes, vaines et comiques » mais pour d’autres critiques ou dramaturges, tel que notre auteur, la tragi-comédie n’est rien d’autre qu’une tragédie à fin heureuse. Nous allons donc essayer de voir dans quelles mesures notre pièce doit se rattacher à l’une ou l’autre de ces définitions.
Si d’Alibray parle de sa pièce comme une tragédie à fin heureuse c’est qu’il a bien conscience d’utiliser une trame dramaturgique à tonalité tragique.
D’une part, comme on vient de le voir, notre pièce respecte, sur le modèle de la tragédie, l’ensemble des règles classiques ce qui constitue une forme de tragique dramaturgique. De plus, dans une approche plus stylistique, nous constatons que d’Alibray vise avant tout la simplicité et l’effet avec des vers proches de la prose qui sont le plus à même d’« imprim[er] dans nos coeurs une si forte aversion [des faits que nous voyons représentés], qu’elle est capable d’estouffer tout ce que nous pourrions jamais concevoir de semblable »
Quand je t’invite à la lecture du Soliman, ce n’est pas à un Jardin mais à une Scene Tragique que je t’invite. Tu n’y trouveras point, pour ainsi parler, ces riches canaux de cristal et de marbre qui ravalent le prix et l’éclat des eaux qu’ils reçoivent, mais bien des pensées qui coulent d’une veine naturelle […].
Cependant notre auteur ne rejette pas totalement l’ornement poétique qui permet de créer le sublime et au travers de ses imprécations, Persine, qui croit que Mustapha l’a reniée, devient une véritable amante tragique : « O trois et quatre fois Persine infortunée ! » (vers 649) ; « O Ciel ! injuste Ciel ! que fais-tu de ta foudre ! / Laisses-tu les meschants sans les reduire en poudre ! » (vers 697-698), « Sus donc cœur imprudent, sus donc ame coupable » (vers 725).
De surcroît, Le Soliman, emprunte à la tragédie une isotopie qui mentionne l’inéluctabilité du sort : « fatal », « sort », « destin », « fortune », « tragique », « à la mercy du Sort », « presage », et la noblesse de cœur et d’esprit « sublime », « grand », « courage », « coeur », « téméraire », « puissant », « constance », « merite » ; mais aussi des vers qui font office de maximes, de sentences tels que :
Car quoy que le Roy feigne, on tient cette maxime, Qu’un vieux Roy, de son fils, hait la trop grande estime. (vers 81-82) Pour vivre et pour régner, tout se fait, tout s’excuse. (vers 238) Mais l’homme sage doit toute chose tenter, Pour connsoistre son mal, afin de l’éviter : Qui craint que dedans peu son nauffrage n’arrive, A recours promptement à la prochaine rive. (vers 383-386)
Le Soliman de d’Alibray, met en scène un sujet historique qui se déroule sous le règne de Soliman IILe Soliman introduit de différentes manières un péril d’état. D’une part à travers la guerre contres les Perses (même si la victoire du peuple turc semble se dessiner dés les premiers vers
La question du pouvoir est donc plus qu’évoquée dans notre texte et est surtout représentée par la figure du sultan, qui ouvre et clôture la pièce. Le combat entre les Perses et les Turcs permet de créer une forme de tragique de la violence issue du péril de mort mais c’est aussi un prétexte à mentionner les valeurs guerrières, bien connues de Soliman le Magnifique mais aussi de son fils, Mustapha :
Mais, Sire nous devons quant et quant avoüer, Que louer Mustapha c’est aussi vous loüer :(vers 55-56).
Nous ne pouvons absolument pas nier que l’intrigue du Soliman se noue dans une même famille, dans une atmosphère de jalousie, d’envie et de vengeance. Or, c’est, selon Aristote, quand « les événements se passent entre personnes amies ; que, par exemple, un frère donne ou soit sur le point de donner la mort à son frère, une mère à son fils, un fils à sa mère, ou qu’ils accomplissent quelque action analogue »La Poétique, Aristote, chap. Discours de la Tragédie en 1660 dira que « C’est un grand avantage pour exciter la commisération que la proximité de sang et les liaisons d’amour et d’amitié entre le persécuteur et le persécuté » et que cela constitue « un sujet merveilleux pour la tragédie »Discours de la Tragédie, 1660 dans Trois discours sur le poème dramatique, Présentation par Bénédicte Louvat et Marc Escola, GF-dossier, Flammarion, 1999.
Toutefois, dans notre pièce cette forme du tragique est aussi mis à distance puisqu’aucune scène de combat n’est représentée sur le théâtre et qu’aucun personnage n’est tué. En effet, la mort de Rustan ne peut pas rentrer dans cette catégorie puisque comme on l’a déjà vu elle est sujette à cautioneBérénice que « ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une Tragédie »Bérénice, Préface, dans Racine, Œuvres complètes, édition Forestier, Pléiade,
Les personnages qui évoluent autour de la famille royale ont aussi leur place dans une pièce à caractère tragique. Adraste a le rôle de confident, Alvante et Ormène ceux de protecteurs. Rustan, quand à lui, incarne comme on l’a vu, la figure de l’opposant voire de l’anti-héros qui, par son machiavélisme, s’inscrit tout à fait dans le registre tragique. Guidé par son hybris il incarne le thème politico-moral du personnage victime de son désir de vengeance et de son avidité du pouvoir :
[…] un nouveau venu prendre Le premier rang d’honneur où je devois pretendre ? […] Pourquoy donc s’usurper, et prendre insolemment Un pouvoir qui n’est deu qu’à Rustan seulement ? Mais non, n’en parlons plus, j’en auray la veangeance :(vers 285-293)
Il participe à la mise en place du tragique puisque son complot contre le Prince « vise à l’assouvissement des passions […] au mépris de toute conduite morale. »op. cit.
Nous constatons aussi que les personnages principaux de notre pièce sont en proie à des événements qui les dépassent ce qui provoquent chez eux des sentiments passionnels qui définissent leur ethos. En effet, selon AristoteLa Rhétorique, op. cit.
par des traits fixes qui relèvent de son sexe, de sa condition sociale, de son âge, […] mais il est aussi constitué par ce qui relève du pathos, c’est à dire par ces mouvement temporaires qui sont les passions, certaines passions étant plus propres à l’homme qu’à la femme, au jeune homme qu’au vieillard, au roi qu’à l’esclave, au bon qu’au méchant, etc.
Georges Forestier, Passion tragique et règles classiques.Essai sur la tragédie française, Paris, PUF, 2003, p. 269.
Dès lors, il semble cohérent que Soliman, tyran turc, soit emporté par sa passion du pouvoir aussi appelée libido dominandi lorsque Rustan et la Reine lui apprennent que Mustapha se serait allié avec l’ennemi afin de pouvoir le renverser, mais que ses sentiments de père le pousse à vouloir faire preuve de tempérance et de jugement. C’est d’ailleurs à cette seconde attitude que l’incite le juste Alvante
Avançons donc, Persine et courons avec joye, Où par arrest du Ciel un Pere nous envoye . (vers 1349-1350)
Notre pièce a donc pour but d’émouvoir mais aussi d’instruire le spectateur qui doit se « purger » des passions qu’ils voient représentées sur scène. Cette dramaturgie des passions, souvent rattachée à la tragédie, incite le spectateur à la vertu et nous rappelle que d’Alibray souhaitait laisser une grande place à la morale dans son Soliman
Enfin, l’ombre qui plane sur le dénouement heureux de notre pièce participe aussi à créer une forme de tragique. En effet, même si le mariage entre Persine et Mustapha signe la paix entre les Perses et les Turcs, l’union n’est pas célébrée sur scène et un doute sur sa réalisation persiste : le dénouement reste ouvert. La Princesse qui occupe pourtant dans la pièce une grande partie de l’espace textuelle
Mais quelle triste nüe obscurcit ton visage ? Persine, fuyrois-tu cét heureux mariage ? Ou si tu ressentant de ton premier courroux, Tu m’estimes coupable, et me hays pour espoux ? (vers 1669-1672)
La réponse de Persine se fait courte et peu précise :
Plutost ton innocence est tout ce qui me trouble : Par elle, mon erreur s’augmente et se redouble ; Si bien que je me juge indige de l’honneur Que me fais maintenant nostre commun Seigneur (vers1673-1676)
Elle semble avoir des remords de ne pas avoir cru son amant fidèle. Puisque sa noblesse de cœur ne lui paraît donc plus digne du rang de Mustapha, doit-on comprendre qu’elle refuse finalement ce mariage ? Quoiqu’il en soit ce dénouement n’est pas totalement heureux mais il ne peut pas non plus être caractérisé de funeste. Dès lors, il se situe à la frontière entre les genres de tragédie et de la tragi-comédie.
Toutefois, même si la constitution du Soliman de d’Alibray apparaît comme régulière et que notre auteur a su laisser dans sa pièce une large place aux différentes formes de tragiques, il a souvent recours aux procédés tragi-comiques afin de divertir ses spectateurs et plaire à son public.
D’Alibray reprend à son compte un certain nombre de topos tragi-comiques de manière plus ou moins visibles dans sa pièce.
D’une part, comme on l’a déjà vu, le dynamisme participe à la création du spectaculaire.
Ce jeu est renforcé par la présence d’objets qui passent dans les mains des personnages et permettent la création de l’intrigue. On notera bien évidemment le rôle de la lettre de Persine accompagnée du cachet du roi persan, déchirés par Alvante à la fin de l’acte
L’épée est aussi très présente. Elle est le symbole de la valeur guerrière de Mustapha à l’acte
Mais afin que mon Pere avec plus d’asseurance Sur ce flanc desarmé lise mon innoncence, Emporte cette espée, et vas pres de la Tour, Ou si tu veux, au camp, attendre mon retour. (vers 1219-1222)
De plus, cet objet est souvent associé à une métaphore phallique qui renvoie aux valeurs que nous avons déjà énoncées. Toutefois, lorsque Mustapha lâche son épée devant Persine à l’acte
O Dieu ! que puis-je plus ! j’apperçoy mon vainqueur ! Oüy, Madame, je rends et l’espée et le coeur, Tous deux ils sont à vous ;[…] (vers 542-544)
D’ailleurs, l’arrivée de Mustapha au palais de Soliman à l’acte
Que les armes par toy sont justement quittées, Puis qu’elles en estoient indignement portees ! Qu’à bon droit tu deffends qu’on ne te suive pas, Ferois-tu bien le Prince ayant le coeur si bas ? (vers 1223-1226)
Finalement Mustapha quitte à chacune de ses rencontres avec la fille du roi de Perse son habit de valeureux guerrier pour celui de l’homme galant et de l’amant. D’ailleurs, Persine elle aussi, n’est pas vêtue de son déguisement de soldat lorsqu’elle s’adresse à Mustapha. Effectivement, lors de leur première rencontre, Persine « leve [son] armet [et] hausse [sa] visière »
Le travestissement de la jeune femme, topos tragi-comique par excellence, est ici justifié par l’audace et la vaillance de Persine à qui l’auteur prête des qualités guerrières et militaires habituellement réservées aux hommes :
Faisant une action si fort deraisonnable, Je perds de mon dessein l’effet le plus loüable, Et rends ma hardiesse et ce deguisement, Au lieu d’estre loüez, dignes de chastiment (vers 93-96)
D’Alibray semble croire à la capacité d’action de son personnage féminin qui peut, par certains côtés, prendre la place du héros. Cependant Persine, comme beaucoup de personnages féminins au théâtre, est guidée par la passion et par ses sentiments. Elle ressemble à ces « héros de roman engagés dans des aventures qui avaient pour fin la conquête amoureuse »Le Magazine littéraire. Dossier sur Le Grand Siècle, article « Au théâtre, en rire ou en pleurer ? », nº 497, mai 2010.
Apprends, que le subjet qui me tira d’Arsace, Ne fut pas d’espier les desseins de la Thrace : Mais qu’un beaucoup plus noble et plus fort mouvement M’a fait venir icy sous cet habillement ; Un mouvement d’amour, que tu croiois de la hayne. (vers 125-129)
C’est d’ailleurs pleine de désespoir et avec la volonté de mourir qu’elle se rend au palais de Soliman. C’est donc finalement la faiblesse du héros qui ne vit que dans sa relation amoureuse qui est mise en avant.
Le travestissement de Persine est aussi l’occasion pour d’Alibray de jouer avec les topos tragi-comiques en prouvant la faculté du genre à s’auto-représenter.
Lorsque Persine est amenée en tant que prisonnière devant Soliman, ce dernier ne voit en elle qu’« un jeune homme ».On voit donc s’opposer les personnages de la Cour de Soliman, qui interpellent Persine par le pronom personnel masculin « il », et Alvante qui reconnaît bien entendu la jeune femme qu’il a élevée. Elle est finalement reconnue par l’attribut féminin premier, à savoir les cheveux :
Ces cheveux Qu’elle serre au dedans entortillez par noeuds : (vers 1156-1157)
La Mesnardière qui, dans sa Poétique de 1639, défend la suprématie de la tragédie jugera qu’il ne faut pas « approuver ces duretés d’imagination qui font que l’un des personnages n’en reconnait pas un autre […] à cause qu’il est travesti […] ».
Cette scène 3 de l’acte
De plus, cette scène de reconnaissance se joue à partir de faux arguments. Au départ, Persine est soupçonnée, plus ou moins justement, d’être un espion perse. Or, le lecteur sait bien que la jeune femme s’est livrée en espérant mourir devant les yeux de son amant. Une fois son identité découverte elle ne veut pas énoncer les vrais raisons de sa présence et c’est Alvante qui malgré les recommandations de la jeune fille
Seigneur, le vray subject, et qu’elle a voulu taire ; Est tel qu’il esteindra toute vostre colere ; C’est l’amour qu’elle porte au Prince vostre ainé, Soubs la foy de l’hymen entr’eux deux destiné.
Soliman qui craint la trahison de son fils croit alors que Mustapha s’est allié avec les Perses (d’ailleurs le thème de l’amante ennemie est aussi un topos exploité régulièrement dans les tragi-comédies). Appuyé par Rustan, il condamne injustement Persine en croyant son raisonnement fondé :
Voilà cet innocent qu’Acmat vouloit deffendre ! Le crime est averé, Sire, n’en doutons point, Voilà comment ce fils avec le Perse est joint, Voilà sa trahison. (vers 1172-1175)
Cette scène ne fonctionne donc que sur les jeux d’illusions qui est un ressort récurrent de la pièce. En réalité, toute l’intrigue est basée sur de faux obstacles puisque Mustapha n’est pas le fils de Circasse mais bien celui de la Reine et n’a aucune intention de renverser son père. Du point de vue amoureux l’épisode raconté par Alvante à l’acte
La scène 2 de l’acte
Enfin, le dénouement du Soliman de d’Alibray est la partie de la pièce qui, selon les critiques, est la moins vraisemblable et la moins conforme aux règles classiques. Comme on l’a déjà vu, notre auteur s’en défend en démontrant que la merveille survient par un personnage interne à l’histoire. Toutefois, il est vrai que la catastrophe semble peu préparée et assez inattendue. Nous pouvons nous étonner que le personnage d’Ormène, qui comme le dit très justement notre auteur, en tant que père nourricier de Mustapha, « ne pouvoit ne l’abandonner jamais », ne soit pas intervenu plus tôt alors que le danger se rapprochait du fils du sultan. Cette catastrophe provoque inexorablement le retournement total de la Reine, qui est alors prête à tout pour sauver son propre fils
Seigneur, j’avois désja de moy-mesme mandé, Que son supplice fuste quelque temps retardé ; Craignant qu’on ne courust trop tard à sa deffence, Quand vostre Majesté sçauroit son innocence (vers 1487-1490)
Ce n’est qu’à la fin de la scène 6, lors de laquelle Soliman s’est longuement inquiété du sort de son fils
Seigneur, voicy la Reyne, et son Fils qu’elle embrasse (vers 1525)
Mais le dénouement tragi-comique n’est pas encore achevé puisque le mariage n’est annoncé qu’à la scène 9. L’ambassadeur de Perse intervient alors, inquiet du sort qui a pu être réservé à Persine, il vient demander la paix au nom de son Roi. Là encore. Le lecteur est alors en droit de se demander de quelle manière Tamas, personnage hors-scène, a pu être mis au courant de l’emprisonnement de sa filledeus ex machina, ce qui prouve bien que cette scène est à la limite de la vraisemblance :
Au nom du Roy Tamas, mais au nom de vous mesme, D’embraser le repos, et pour vous, et pour luy, Que la faveur du Ciel vous presente aujourd’huy : Vous sçaurez trop, Seigneur, de quelles belles flames Se sentent consommer ces genereuses ames, Donnez à leur ardeur seulement vos aveux Et nos feux aussi-tost s’esteindront par ce feu : (vers1638-1644)
Si le dénouement matrimonial était attendu, nous notons avec quelle simplicité la paix entre les deux pays, qui s’entretuent depuis des années
La clémence est une vertu royale et en ce sens Soliman accomplit dans cette dernière scène une action noble et extraordinaire. Mais nous ne pouvons pas réellement parler dans le cas présent de vraisemblance extraordinaire puisque cette figure de pouvoir, incarné par le sultan, n’a cessé de changer d’opinion et d’avis durant la pièce, hésitant entre ses sentiments paternels et son statut de souverain. Si selon d’Alibray « ça esté un grand coup de maistre à [Bonarelli] [… de] faire naistre dans l’ame de Soliman des horreurs subites et inconnuës », l’instabilité du personnage et sa faculté à être manipulé, fait de lui un personnage de tragi-comédie et dénote d’une précarité dans la gestion du pouvoir.
Le Soliman de d’Alibray semble posséder un grand nombre de points communs avec la tragédie : personnel dramatique de haut rang, péril de mort et d’État, intrigue politique et recherche d’un ton porté par l’alexandrin, mais il joue aussi sur les ressorts tragi-comiques. D’Alibray a voulu à travers sa dernière œuvre théâtrale allier à la fois « la jouissance propre à la tragédie qu’avait analysée Aristote dans sa Poétique – provoquer du plaisir en faisant naître des émotions violentes » (en témoignent les nombreuses références de notre auteur à Aristote dans son adresse Au Lecteur) mais aussi engendrer une « méditation morale […] sur les inconstances de la fortune, la fragilité des choses humaines, [la justice et] les funestes conséquences des passions. »Le magazine littéraire, Dossier sur Le Grand Siècle, Article de Georges Forestier « Au théâtre, en rire ou en pleurer ? », nº 497, mai 2010, p. 58-59.
La proximité des deux genres permet de considérer la tragi-comédie comme un genre sérieux et explique pourquoi notre pièce peut selon le point de vue adopté être classée dans l’un ou l’autre genre. Comme le souligne Georges ForestierIbid., p. 59.eLe Cid, dont Corneille a modifié plus tard l’appellation. Il prenait ainsi acte de la désaffection pour ce genre hybride » et annonce la suprématie de la tragédie dans les années 1640.
C’est probablement parce qu’en 1648 les critiques finissent par accepter la possibilité d’une tragédie à fin heureuseCid dans le genre tragique sans en modifier une ligne, mais en 1643, Cinna est la première pièce à être considérée comme une tragédie à fin heureuse.
Ce genre hybride n’oppose pas de manière frontale le grotesque et le sublime mais joue avec le mélange des tonalités. Sa structure a peut-être en partie influencé le mélodrame et le drame romantique du eCromwell, ce genre cherche lui aussi à réconcilier les différents publics que sont la foule, les femmes et les penseurs en mettant en scène à la fois des passions, des caractères et des actions. Or, nous retrouvons déjà dans notre pièce « le plaisir des yeux » au travers du spectaculaire découlant de la rapidité d’actions et des jeux de scène ; « le plaisir du cœur » grâce à l’intrigue galante et « le plaisir de l’esprit » puisque la pièce joue avec les caractères : avec son habit de roi et de père, Soliman doit faire face à des sentiments contradictoires, les amants sont ennemis politiquement et le retournement de Roxelane est lui aussi intéressant.
Notre pièce possède une dimension historique de par son sujet (le complot de Rustan et de Roxelane contre Mustapha) et d’Alibray tire de son intrigue une valeur morale (la violence des passions, le respect du pouvoir…). Il prouve ses qualités littéraires dans la traduction de la pièce de Bonarelli mais aussi dans l’invention de certains passages (la reconnaissance, la mort de Rustan…) et, dans l’ensemble, par un respect de la vraisemblance. Sa pièce dépeint des sentiments (la vengeance, la haine, la jalousie, l’amour, les sentiments familiaux…) et acquiert une dimension humaine.
D’ailleurs, les critiques envers la tragi-comédie et le drame romantique sont similaires. On leur reproche souvent la confusion des styles et le mauvais goût. Pourtant ces deux genres dénotent le plus souvent une valeur morale, punissant le coupable et sauvant l’innocent. Ils mettent en scène des rebondissements inattendus, porteurs d’intensité émotionnelle. La tragi-comédie et le drame ne cherchent pas à représenter sur scène une humanité idéale mais plutôt à « apporter aux hommes de [leur] temps un message philosophique et social en accord avec les préoccupations contemporaines »Le Drame de Diderot à Ionesco, A. Colin, 1973 p. 259.
Enfin, force est de constater que la définition du drame romantique selon Victor HugoRuy Blas, Petits Classiques Larousse, 2001.La Silvanire, édition citée t. 2.
On le voit ; le drame tient de la tragédie par la peinture des passions, et de la comédie par la peinture des caractères. Le drame est la troisième grande forme de l’art, comprenant, enserrant et fécondant les deux premières. […] De cette façon les deux électricités opposées de la comédie et de la tragédie se rencontrent et l’étincelle qui en jaillit, c’est le drame.
Le texte a été établi à partir de la première édition du Solyman de Charles Vion d’Alibray, achevé d’imprimer en 1637 chez Toussainct Quinet à Paris et plus spécifiquement à partir de l’exemplaire de la salle de réserve de la Bibliothèque de la Sorbonne : RRA8 = 422
[I] LE/SOLIMAN/TRAGI-COMEDIE / vignette : armoiries de France / À PARIS, / Chez TOUSSAINCT QUINET, Au Palais, dans la/ petite salle, sous la montee de la Cour des Aydes./ M.DC.XXXVII/ AVEC LE PRIVILEGE DU ROY.
[III] -[XXVIII] : Au Lecteur
[XXIX] : Privilège du Roy
[XXX] : Les acteurs
pages 1 à 112 : Texte de la pièce, précédé à partir de la page 2, à chaque double page du titre suivant « Le Soliman, Tragi-Comédie. ». La première partie du titre se trouve sur les pages paires et la seconde sur les pages impaires.
Le texte possède un ex libris indiquant « par Bonarelli traduite et imitée par D’Alibray ». L’avis « Au Lecteur » et la liste des personnages sont postposés au texte.
L’exemplaire présente deux erreurs de pagination : entre les pages 16 et 18 le numéro de page indiqué est 71 ; après la page 88, on trouve une page 87 suivie d’une page 88. La coquille du vers 1358Je suis donc l’instrumeut d’une mort si cruelle ! ».
Le recueil contient d’autres pièces de Gillet éditées elles aussi chez Toussaint Quinet : Le Desniaisé (comédie, 1638), Sigismond duc de Varsav (tragi-comédie à la Reyne, 1646), Le triomphe des cinq passions (tragi-comédie, 1642), L’art de regner ou le sage gouverneur ( tragi-comédie, 1636).
Gillet de la Tessonnerie est selon Mouhy (1752), « Conseiller des Monnoyes, né en 1620. Il est l’Auteur de dix Piéces. Il n’avoit que 20 ans lorsqu’il publia les deux premieres, la belle Quixaire, Tragédie & l’Olicrete, Tragi-Comédie. Il étoit encore vivant en 1640. »
Cet exemplaire possède un changement de ponctuation par rapport à notre texte : v. 197 : C’est pourquoy je voudrois; qu’avecques plus d’adresse, […]
Après la page 88, on trouve à nouveau une page87 suivie d’une page 88.
L’exemplaire ne possède pas d’Argument pour Le Soliman.
La coquille du vers 1358 a été corrigée.
Cet exemplaire ne possède pas d’Argument pour Le Soliman.
Tous les exemplaires ne possèdent pas le même cahier liminaire : Au Lecteur, Privilège du Roy, Argument pour Le Soliman
L’exemplaire le plus curieux est celui que nous avons choisi de reproduire. Il s’agit de l’unique exemplaire dans lequel le Privilège du Roi est d’abord attribué à d’Alibray avant d’être cédé par l’auteur à Toussaint Quinet.
D’autre part il faut aussi noter que ces recherches nous ont permis de retrouver dans ce même exemplaire ainsi que dans l’exemplaire factice de la Bibliothèque Mazarine un texte critique de notre auteur. Ce texte que constitue l’avis Au Lecteur s’inscrit dans la lignée de la Préface du Torrismon (1636) autant d’un point de vue critique que dans l’histoire concernant la querelle avec Mairet. Ce texte se veut aussi un prolongement des réflexions aristotéliciennes menées par Bonarelli et est donc précieux pour la compréhension de notre pièce. De plus, il remet en cause les remarques de certains critiques qui pense que d’Alibray n’a pas défendu « en son lieu » son SolimanGrand et dernier Solyman de Mairet, op.cit (note 60 p. 407).
La consultation de ces différents exemplaires permet de retracer approximativement les conditions d’édition de notre texte. La première édition de 1637 aurait connu deux émissions. La première serait celle qui correspond à l’exemplaire reproduit avec l’adresse Au lecteur. À la suite de la querelle avec Mairet et à l’accusation ouverte de d’Alibray contre l’auteurLe Soliman. D’autre part dans cette seconde émission, Toussaint Quinet se serait octroyé le droit de modifier le Privilège qui lui avait été cédé par l’auteur. La réimpression des cahiers liminaires explique pourquoi on retrouve de manière récurrente certaines coquilles, absentes du texte reproduit ici, dans les autres exemplaires consultés.
La seconde édition date de 1642.
Notre texte a été imprimé par Denis HoussayeRépertoire du théâtre français imprimé 1630-1660, Droz, 2009.
Le texte a été établi à partir de l’édition mentionnée. Cependant des modifications d’usage ont été établies afin d’en faciliter la compréhension :
Une astérisque * est utilisée pour signaler les mots expliqués dans le glossaire.
Il ne se prononcent pas. Leur rôle est de rappeler l’étymon savant du mot. La liste suivante contient les occurrences les plus remarquables du texte :
Advis, advocat < advocatus ; adviser<advertere
ceste<cestui
vostre<vestrum
nostre<nostrum
quant<quantus
hast< hasta
monstrer<monstrare
debvoir<debere
marastre<matrastra
Subjet ou subject < subjectio (la seconde graphie est attestée dans le dictionnaire de Nicot Trésor de la Langue Française de 1606).
imparfaict < imperfectus
soustenir< sustenare
gratieux< gratiosus
pretieux< pretiosus
vous faictes < facere et son déverbal faict< factum
puissans<potens, entis : La graphie « puissant » est déjà attestée au e
On trouve aussi un cas de fausse étymologie avec : sçavoir, qui a été associé à scire. Cependant les historiens de la langue ont prouvé que savoir provenait du latin sapere. Cette erreur est courante.
Dans cét, l’accent aigu est apparu après la chute de l’ancien /s/ diacritique: cestuy
Il faut aussi noter que /OI/ est dans les verbes un graphème marqueur de l’imparfait ou du conditionnel.
Cette dernière graphie n’est pas uniformisée dans le texte puisqu’on trouve aussi le maintien de l’ancien hiatus médiéval /eu/.
Ce hiatus a un apport diacritique car il indique au lecteur l’allongement du /ü/. Cette voyelle est donc longue et$ le /e/ ne se prononce pas mais indique la manière dont on doit prononcer le /u/ qui suit. C’est le cas dans : cheute, deu, deut, sceu, creut, eut, pleust, asseure, asseurance, seur, émeu, apperceu, pourveu, receu, leu, eusse, eut, peut, peu, veuë, veus, veu, pourveuë, deuë, sceu,
On notera aussi le cas d’une graphie redondante avec le substantif « veüe » qui emploi à la fois le graphème /eu/ et le tréma.
On a donc : jugemens, evenemens, accidens, excellens, mouvemens, sentimens, medicamens, ornemens, violens, desregelemens, tourmens…
Lors de la fixation des règles d’orthographe, le français moderne a remis en place le /t/ au pluriel pour des raisons étymologiques et d’analogie avec le féminin. Le /s/ devient alors un simple morphogramme du pluriel.
Dans les éditions théâtrales du e
Ainsi, l’hésitation est courante entre le point d’interrogation et le point d’exclamation qui indiquent tout deux dans un système vocalique une montée de voix soulignant une certaine émotion, une indignation… Furetière dans son dictionnaire de 1690 précise alors qu’ un « point interrogant est celuy qui marque qu’il faut prononcer d’un ton superieur » alors que « le point admiratif est celuy qui marque qu’il faut admirer ou se lamenter ». Cependant, les deux signes existent et la ponctuation devient de plus en plus syntaxique au fil du siècle.
Dans le système d’utilisation de la ponctuation comme indice pour le comédien, les deux points, « : », correspondent à une pause forte dans le discours. C’est une pause plus marquée que le point virgule « ; » mais qui lui est souvent équivalente.
C’est par exemple le cas aux vers 76, 98, 107, 108, 126, 140
Après avoir expliqué ceci, il semble que cela n’empêche pas la bonne compréhension du texte par un lecteur moderne. Nous n’avons donc apporté qu’une seule modification qui nous est apparue comme une coquille :
v. 109 : A suivy jusqu’icy vos desseins genereux.--> A suivy jusqu’icy vos desseins genereux,
La version corrigée se trouve dans notre texte
Au Lecteur : on se figure tousjours que celuy qui donne à un plus grand que soy, à plus d’envie de demander que de rendre ; C’est la difference qu’il y a de la façon d’exciter les passions […] et celle dont a besoint la Poësie ; le lieu ou tout s’est fait, les entant si bien sur le tronc du principal sujet ; cela est bon pour les Comedies, ou comme on n’y void que des personnes de basse condition ; la méchanceté, ma fait retrancher ces longues et malheureuses prédictions ; celles qui sont arrivées en un païs estrange ; en un lieu esloigné d’ou elles sont arrivées ; d’ou vient qu’Aristote dit ; de vaguer ou bon luy semble ; qui pourra s’amander avec l’aage ; quand quelqu’un par ignorance estre sur le point de commettre une chose où il ny aurait plus de remde ; d’autant que, ou les conclusions sont prouvées par des causes necessaires ; nous nous en sentons extremément touchez ; le fait qui nous est representé comme faux, nous touche seulement à l’égal de nous mesmes ; et autres Poëmes, que nous n’ignorons pasavoir esté faites à plaisir ; outre disje le dessein que j’avois d’instruire aucunement à la vertu ; Je me suis cent fois estonné, Lecteur, dece que dit Aristote ; là ou le vers porte naturellement ; ces Poësies difficiles et couppées qne nous appellons Stances ; mais tousjours doivent elles estre extremement naïfves ; tu y reconnnoistras par tout une grandesplendeur ; queBonarelli en l’estat mesme ou je l’ay mis ; cette connoissance de moy-mesme ou tant de personnes s’abusent ; qu’a cause qu’il ma semblé, Tu le peux reconnoistre à ce que je ne me suis jamais proposé que les plus grands exemples, ou comme on est obligé de s’attacher davantage à l’original à cause de son excellence ; cet inconvenient qui ma fait haster l’impression de cette Tragi-Comedie ; je n’avois desja renoncé à la gloire de faire de beaux vers, […], ou toute la loüange qu’on puisse acquerir ; , nous sommes en un temps ou ce qui a tousjours deu faire peurArgument pour le Solyman: Alep, ou Soliman l’attendoit ; Alvante, a qui elle avoit fait accroire ; on reconnoist la fausseté de la lettre qu’on avoit supposee ;v. 6Trace, v.84Et puis que Soliman n’attend que son retour, v.278Oule vouloir d’un Pere, v.286Le premier rang d’honneur ou je devois pretendre ?, v.359Madame, ayeZ bon cœur, tout vous vient à souhait ; v.410 Ou son ambition depuis long-temps aspire ; v. 412Celuy dont vous devrieZ attendre moins ce tort ; v. 427Et que vous les aymez par un aveugle erreur ; v. 488Cherchant un lieu commode ou nous camper la nuit ; v. 491Et qui s’avance enfin ou le champ plus ouver ; v.615Tiens, avecque la lettre ou dans peu de discours, v. 623Doncques est-il possiple ! ; v. 633Moy porter ces papiers ou ta honte est enclose, ;v.792Et chasse, s’il lui plaist de son coeur tout soucy. ;v.910Ou l’on conspire de vous priver du jour; v. 912Du camp, ou ce malheur vous-mesme vous r’appelle ; v.964Ou parmy tous les Chefs la nouvelle est seméee ; v.1002Par ou je remettray vostre esprit en repos ; v.1143Et ne vueilles priver du jour une personne ; v.1167Seigneur, le vray subject, et quelle a voulu taire ; v.1174Voila comme ce fils avec le Perse est joint ; v.1219Mais àfin que mon Pere avec plus d’asseurance, v. 1358Je suis donc l’instrumeut d’une mort si cruelle !, v. 1370La deuxième partie du vers n’est pas précédée d’un alinéa, v. 1375Mustapha maintenant à les Cieux ennemis, v.1389Ou de mon aisné mort je pleuray la disgrace, p.103 scène 8 la liste des personnages a été omis, v.1601 Vous aveZ trop de soin de l’ame la plus basse, v.1606L’exceZ où la porta son ardeur ; p.108 scène 9 Le nom des personnages n’est pas dans la même police que dans le reste du texte: il n’est pas en majuscules, v.1623Il m’a, Seigneur, expreZ devers vous deputé, v.1649Je veux que vous soyeZ certain de la
victoire, Avant le vers 1659 le nom du personnage n’est pas annoncé dans la même police qu’ à l’habitude. Il est en miniscule: L’Ambassadeur de Perse ; v.1669Mais quelle triste nuë obscurcit ton visage ?
À partir de la page 88, suite à un problème de numérotation (deux nouvelles pages 87 après la page 88), un décalage s’opère jusqu’à la fin du texte. Nous l’ avons conservé afin de permettre une meilleure correspondance avec l’édition originale.
Coquille récurrente à signaler dans les autres exemplaires : Liste des Acteurs : Persine : Pille du roi de Perse.
Je n’ay pas voulu (LECTEUR) faire deux presens d’une mesme chose, ny redonner à un particulier ce que j’avois desja donné au public: Les Anciens n’ont point affecté de dédier leurs Comédies à personne, et c’est soubs l’authorité des Grands la liberté de nos sentimens, qui naturellement ne reconnoissent point d’autre juridiction que celle de la Raison ; Joint que cela me semble d’autant plus à éviter, qu’il peut estre mal interpreté, et qu’encore que d’ordinaire on n’ait dessein que de payer ce que l’on doibt au merite et à la vertu ; neanmoins par je ne sçay quel malheur qui fait que l’on pense bassement des personnes moindres, on se figure tousjoursLes Métamorphoses, livre eDictionnaire de l’Académie française, première édition, 1694).
La premiere chose qui s’offre à considerer, c’est cette fiction qui fait Mustapha fils de Roxolane, (ainsi s’appeloit la Sultane femme de Soliman) quoy que les histoires et le bruit commun l’ayent dit fils de Circasse. Surquoy l’on remarque, que pourveu que ces suppositions d’enfans et ces échanges soient vray-semblables et vray-semblablement introduits, le Poëte a satisfait à son devoir, et par consequent les a rendus assez croyables, bien que l’histoire et le bruit commun en parlent autrement ; d’autant que le Poëte n’est point obligé de raconter les choses comme elles sont effectivement arrivées, mais comme elles ont peu arriver, ou qu’il a esté vray-semblable ou absolument necessaire, suivant les paroles d’Aristote ; Et nostre Autheur n’a pas manqué d’exemples pour l’induire à cecy, car il rapporte qu’Euripide dans ses Troades Iphigénie est la fille d’Agamemnon qui dirigeait la flotte grecque lors de la guerre de Troie. Afin d’apaiser la colère des dieux, Iphigénie fut demander en sacrifice.des Troyennes par M. Artaud (Paris, Charpentier, libraire-éditeur, 1842).La mythologie : Ses dieux, ses héros, ses légendes, Edith Hamilton, Marabout, 2005). Illiade « ils [les chevaux] sont en effet de la race fameuse de ceux que Zeus au vaste regarde donna un jour à Trôs en compensation du rapt de Ganymède son fils, […]. » (Classiques de Poche, édition et traduction de Mario Meunier, 1972, p. 139) et au chant ibid., p. 453).Fragments retrouvés de ses pièces. (Sophocle, fragment 345, Sophocles Fragments, Harvard University Press, 1996).eAlexandra (autre nom de Cassandre, fille de Priam) : c’est une longue prédiction des malheurs réservés à Troie et aux Grecs après la prise de la cité. Son style est très hermétique.La mythologie : Ses dieux, ses héros, ses légendes, Edith Hamilton, Marabout, 2005, p. 45).ibid., p. 43).
Il ne faudra donc point non plus condamner le personnage de Persine introduit par notre Autheur, et qui est la seconde chose qu’il a principalement inventée et changée en la verité du fait: tant pour les raisons que nous venons de dire, qu’à cause que sans doute il s’attache fort bien à l’histoire, et est un Episode conjoint à la Fable, de la mesme façon qu’Aristote nous enseigne que les Episodes doivent estreLa Poétique, chapitre Constitution de la Tragédie reprend à son tour « C’st à ce type de dévelopements, qui n’étaient ni nécessaires, ni pourtant extérieurs au sujet qu’Aristote a donné le nom d’Episode. C’est donc ainsi qu’il appelle tout ce qui n’appartient pas à l’argument mais que les poètes introduisent pour servir l’argument, et en fonction de l’argument. ». (De constitutione tragoediae : La constitution de la tragédie d’Heinsius, chapitre Discours : « […] del Bassà dell’ Amasia furono intercette alcune lettere, nelle quali era un non so ’che di maneggio di nozze trà Mustafà, e la figliuola del Rè di Persia, le quali lettere appresentate dalle Rossa a Solimano, oprorono l’effetto da lei desiderato, io pero’ da questo picciol seme Istorico ho’ pensato poter far’ nascere la favolosa pianta de gli amori, e de gli altri effetti di Despina, inestandola in modo col tronco della favola principale, che l’una non possa reggersi, ne finir senza l’altra. » (Due lettere del signor comte Prospero Bonarelli al signor Antonio Bruni dans Il Solimano-Tragedia del co Prospero Bonarelli […], Roma, F. Corbeletti, 1632, p. 5-6). Soit « on intercepta certaines lettres du Bassa d’Amasie, qui faisaient vaguement état d’une sorte de mariage entre Mustafà et la fille du Roi de Perse, lesquelles lettres, présentées par la Rossa à Solimano, produisirent l’effet désiré. Moi, toutefois, à partir de cette petite semence historique, j’ai pensé pouvoir donné naissance à la plante fabuleuse des actions de Despina et de ses amours avec Mustafà, en la greffant de telle sorte sur le tronc de la fable principale, que l’une ne puisse se soutenir, ni finir sans l’autre.
Pour ce qui est d’avoir fait arriver en un jour vray-semblablement ce que l’Histoire dit estre arrivé en plusieurs mois et en plusieurs années, comme sont les mauvais offices* de Roxolane et de Rustan contre Mustapha, et les soupçons que s’insinüerent peu à peu dans l’esprit de Soliman ; Je dy que ça esté un aussi grand coup de maistre à nostre Autheur de l’avoir fait, comme il estoit necessaire qu’il le fist : car pour y parvenir il a falu qu’il se servist de bien nouvelles et de bien pressantes occasions, d’envie et de dépit dans Rustan, de haine et de crainte dans la Reyne, et afin que l’un et l’autre travaillassent à la ruine de Mustapha avec plus d’effet*, il luy a falu faire naistre dans l’ame de Soliman des horreurs subites et inconnuës, faire parler le Devin en termes equivoques pour disposer davantage l’esprit du Roy à la croyance d’une chose controuvéeHistoire universelle des Grecs et autres peuples depuis le retour des Héraclides.Le Tour de la Grèce, livre
Quant à ce qui est de la Scene, c’est à dire, le lieu où tout s’est fait, qui est la quatriesme chose que nostre Autheur a changée, et qui selon la verité de l’histoire fut une campagne, et que nostre Autheur feint avoir esté la ville d’Alep ; quoy que pour deffendre cecy, il suffit de se ressouvenir des raisons que nous avons desja exposées*, et qui peuvent servir en general pour chaque changement : neantmoins nostre Autheur en adjoute encore une nouvelle, avec un exemple. La raison qui l’a obligé d’en user ainsi, ça a esté la bien-seance et la commodité, parce que les actions qu’il avoit à representer devoient beaucoup mieux succederL’Iiade, ii, 780, (
Icy je quitte Bonarelli, quoy que nous ayons tous deux à parler d’une semblable chose, et quelquefois avec les mesmes raisons, car où il est en peine de se deffendre de la mort de Roxolane, il faut que je me justifie de celle de Rustan. Je dy donc que je ne pense pas qu’il importe beaucoup que l’histoire en parle, pourveu que la suitte des autres choses la puisse rendre coyable, et que j’ay esté obligé de le faire mourir tant pour ne pas laisser la faute impunie, ce qui me sembloit un grand defaut, qu’afin que le changement de fortune* de Mustapha en fust plus plein et plus admirable ; attendu que son bon-heur dependant de l’affection de son pere, de la possession de Persine, et de la perte de ses ennemis, la felicité estoit accomplie, quand il obtiendroit ces trois points. Car de faire une reconciliation de Rustan avec Mustapha, cela est bon pour les Comedies, où comme on n’y void que des personnes de basse condition qui se mettent mal ensemble pour peu de chose, aussi est-il fort aisé de les reünir ; J’ay donc mieux aymé qu’il se tüast dans la rage ordinaire à ceux de son païs, voyant ses desseins avortez, et qu’il n’y avoit plus de jour à son salut ; Et si sa mort n’a pas esté telle que je la feins, je ne merite pas pour cela de n’estre pas creu, parce qu’on ne sçait pas trop certainement commeIn Bruto (chapitre In Brutus chapitre Oreste v.1114 et suivants « PYLADE :Faisons périr Hélène. Quelle amère douleur pour Ménélas ! ORESTE :Par quel moyen ? J’y suis prêt, si la chose est possible./ PYLADE :En l’égorgeant ; elle est cachée dans ton palais. Ainsi que 1131 et suivants « PYLADE : (…) tu laisseras ce nom odieux pour en prendre un meilleur, celui de meurtrier d’Hélène, qui fut fatale à tant de guerriers.(…) Que je cesse de vivre, si je ne la perce de ce fer ! ou, si nous ne parvenons à frapper Hélène, embrasons ce palais et ensevelissons-nous sous ses ruines(…) » (traduction de M. Artaud, Paris, 1842).Médée d’Euripide ou L’Héroide
Ce n’a pas esté en ce point seulement que je n’ay pas suivy nostre Autheur, car outre que la necessité de ma conclusion qui ne devoit estre funeste qu’à la méchanceté, m’a fait retrancher ces longues et malheureuses prédictions que menaçoient Roxolane et Soliman, pour ne toucher qu’à la mort de Rustan en passant, j’ay aussi remis au dernier Acte afin de faire triompher plus avantageusement l’innocence de Mustapha, l’éclaircissement de quelques trahisons, dont notre Autheur informoit les spectateurs à mesure qu’elles se tramoient, à dessein d’en rendre la mort de Mustapha plus pitoyable ; Et puisque j’ay resolu de te rendre raison de tout, je te diray encore que j’ay changé la reconnoissance de Mustapha doublement, et en sa cause et en son effect* : car au lieu que Au lieu que à le sens littéral de « à la place de », « à l’endroit où ». Il faut ici comprendre « alors que notre Autheur la faisoit venir […], j’ay creu… ».L’Oedipe de Sophocle et dans celui de Sénèque ». Comme Aristote, Heinsius développe ensuite l’exemple d’Iphigénie en Tauride (Poétique chapitre De constitutione tragoediae : La constitution de la tragédie d’Heinsius, chapitre eLa Poétique d’Aristote, chap. op. cit.).
Et pourtant c’est ce que quelques uns peuvent moins souffrir, que j’aye fait en cela contre la verité de l’Histoire. Tu me permettras, Lecteur, de m’estendre un peu sur ce point, qui embrasse luy seul la deffense de tous les autresop. cit.).op. cit., p. 5-6) : « on intercepta certaines lettres du Bassa d’Amasie, qui faisaient vaguement état d’une sorte de mariage entre Mustafà et la fille du Roi de Perse, lesquelles lettres, présentées par la Rossa à Solimano, produisirent l’effet désiré. Moi, toutefois, à partir de cette petite semence historique, j’ai pensé pouvoir donné naissance à la plante fabuleuse des actions de Despina et de ses amours avec Mustafà, en la greffant de telle sorte sur le tronc de la fable principale, que l’une ne puisse se soutenir, ni finir sans l’autre. ».Bajazet. « Quelques lecteurs pourront s’étonner qu’on ait osé mettre sur la scène une histoire si récente. Mais je n’ai rien vu dans les règles du poème dramatique qui dût me détourner de mon entreprise […]. L’éloignement des pays répare en quelque sorte la trop grande proximité des temps ». (Racine, Œuvres complètes. Théâtre - Poésie, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1999, p. 625).La Poétique chapitre op. cit.).La Poétique, chapitre ibid.).L’Odyssée. Selon lui, pendant les vingt années d’absence d’Ulysse, sa femme lui garda une fidélité à toute épreuve.L’Enéide, Livre La Rhétorique d’Aristote livre II, chapitre l’Euripide déchirée fait réciter par un de ses personnages une comédie intitulée Il fior d’Agatone (La Fleur d’Agathon). « M.Marin de l’Académie de Marseille, et de la Société Royale de Nancy, Censeur Royal et de la Police, et Secrétaire Général de la Librairie de France » décide de traduire cette pièce en trois actes et en vers rimés en français. Il l’a finalement adapté dans une pièce en prose, en un acte. Cette pièce a été édité dans un recueil chez Duchesne en 1665 « Avec approbation et Privilège du Roy » (voir l’Avertissement et les Observations de Marin sur sa pièce).La Poétique chapitre op. cit.).La Poétique, chapitre XIII, 2. (Ibid.).
Voilà (Lecteur) nostre Tragi-Comedie examinee et defenduë ; Que si ce discours t’a paru ennuieux, considere, je te prie, que la matiere le demandoit, et que je n’ay pas esté long, mais que mon suject estoit ample ; J’ay pourtant obmis quelques autres raisons que tu pourras voir dans les deux lettres apologetiques que nostre Autheur addresse à BruniDue lettere del signor comte Prospero Bonarelli al signor Antonio Bruni dans Il Solimano-Tragedia del co Prospero Bonarelli […], Roma, F. Corbeletti, 1632.
Je me suis cent fois estonné, Lecteur, de ce que dit Aristote touchant l’effect* de la Tragedie, que par l’horreur et par l’effroy elle nous purgeoit de l’un et de l’autreLa Poétique d’Aristote chapitre op. cit.) : « La tragédie est l’imitation d’une action grave et complète, ayant une certaine étendue, présentée dans un langage rendu agréable et de telle sorte que chacune des parties qui la composent subsiste séparément, se développant avec des personnages qui agissent, et non au moyen d’une narration, et opérant par la pitié et la terreur la purgation des passions de la même nature. ».La Poétique d’Aristote chapitre Ibid.) : « L’épopée marche avec la tragédie jusqu’au mètre (exclusivement), comme imitation des gens graves produite par le discours ; mais elle s’en sépare d’abord en ce qu’elle a un mètre simple. ».Poétique n’a consacré que très peu de lignes à la comédie, de même que ses commentateurs.e siècle, s’inspire probablement de Donat (Aelius Donatus), commentateur de Térence.Dictionnaire de l’Académie, 1re édition, 1694).
La douleur qui s’exprime Avec tant soit peu d’art, pert son nom legitime, Deroge à sa naissance ?
Et que nous seulement la douleur, mais toute sorte de mouvemens violens ne demandent point de paroles ambitieuses, mais veritables, n’en veulent point qui soient nées sur les lévres, mais qui soient conceuës dans le coeur ? Combien y a t’il que ce judicieux Precepteur de l’Eloquence LatineL’Institution oratoire.
Ce qu’il faut particulierement observer dans les discours de Theatre qui passent viste, et qui, s’ils sont trop figurez, ne s’accomodent pas à l’intelligence de tous ceux qui esccoutent. C’est pourquoy un grand Maistre ordonne, que le stile du Poëte soit moins magnifique que celui de l’Orateur, et qu’il parle plutost en citoyen, que non pas en HistorienDe Oratore.Pratique du théâtre (1657).Le Cid.
Car je ne croy pas (Lecteur) avoir esté si malheureux que ma version ait fait perdre à Bonarelli tout son lustre ; Je me suis approché le plus pres que j’ay pû de son stile et de ses pensées tant pour les raisons que je viens de declarer, que parce que j’estime qu’il faut estre aussi religieux et fidele à rendre l’autheur que nous traduisons, que les Peintres le sont à tirer les lineamens Platon dans καὶ τὸ εἰς τὸν Ἀπόλλω προοίμιον καὶἄλλοι τινές / με ἤδη ἤροντο, ἀτὰρ καὶ Εὔηνος πρῴην, ὅτι ποτὲ διανοηθείς, ἐπειδὴ δεῦρο / ἦλθες, ἐποίησας αὐτά, πρότερον οὐδὲν πώποτε ποιήσας. Εἰ οὖν τίσοι μέλει / τοῦ ἔχειν ἐμὲ Εὐήνῳ ἀποκρίνασθαι ὅταν με αὖθις ἐρωτᾷ - εὖοἶδα γὰρ ὅτι / ἐρήσεται - εἰπὲ τί χρὴ λέγειν. / - Λέγε τοίνυν, ἔφη, αὐτῷ, ὦ Κέβης, τἀληθῆ, ὅτι οὐκ ἐκείνῳβουλόμενος οὐδὲ / τοῖς ποιήμασιν αὐτοῦ ἀντίτεχνος εἶναι ἐποίησα ταῦτα - ᾔδηγὰρ ὡς οὐ / ῥᾴδιον εἴη / ἀλλ᾽ ἐνυπνίων τινῶν ἀποπειρώμενος τί λέγοι, καὶἀφοσιούμενος / εἰ ἄρα πολλάκις ταύτην τὴν μουσικήν μοι ἐπιτάττοι ποιεῖν. Ἦνγὰρ δὴ ἄττα / τοιάδε· πολλάκις μοι φοιτῶν τὸ αὐτὸ ἐνύπνιον ἐν τῷ παρελθόντιβίῳ, ἄλλοτ᾽ / ἐν ἄλλῃ ὄψει φαινόμενον, τὰ αὐτὰ δὲ λέγον, « Ὦ Σώκρατες », ἔφη, « μουσικὴν ποίει καὶ ἐργάζου » » (traduction de Victor Cousin, 1822, corrigée par Philippe Remacle).lineaments du visage d’une personne.Dictionnaire de Nicot en 1606, « rassis » est synonyme d’« appaisé ». Si on s’en réfère à le première édition du Dictionnaire de l’Académie, 1694, rassis « se dit des humeurs, du sang, des esprits qui ont esté eschauffez, esmus ».Phédon évoque les derniers instants de Socrate. Il fait mention de sa poésie au chapitre 4 : « Alors Cébès prenant la parole : « Par Zeus, Socrate, dit-il, il est heureux que tu m’en aies fait souvenir ; car, à propos des poésies que tu as composées en mettant en musique les fables d’Ésope et un prélude pour Apollon, plusieurs personnes m’ont déjà demandé, et l’autre jour encore Évènos, quelle idée tu as eue, depuis que tu es ici, de composer des vers, toi qui jusque-là n’en avais point fait de ta vie. […] Eh bien, Cébès, répondit Socrate, dis-lui la vérité, que ce n’est pas dans le dessein de rivaliser avec lui ni avec ses poèmes que j’ai composé les miens, car je savais bien que
ce n’était pas chose aisée, mais que c’était pour éprouver le sens de certains songes et que, pour acquitter ma conscience, je voulais m’assurer si c’était bien ce genre de musique qu’ils me prescrivaient de cultiver. Voici en effet de quoi il s’agissait. Souvent, dans ma vie passée, j’ai eu la visite du même songe ; il apparaissait tantôt sous une forme, tantôt sous une autre, mais il me disait toujours la même chose : « Socrate, fais œuvre de poète et cultive la musique. » Version originale : « οὖν Κέβης ὑπολαβών, « νὴ τὸν Δία, ὦ Σώκρατες, ἔφη, εὖ γ᾽ ἐποίησας / ἀναμνήσας με. περὶ γάρ τοι τῶν ποιημάτων ὧν πεποίηκαςἐντείνας / τοὺς τοῦ Αἰσώπου λόγουςFaisant un peu de Poësie D’un peu de fureur qu’il avoit.
Suivant cette doctrine, tout ainsi que je ne me dois non plus fascher de n’estre pas bon Poëte, que de n’estre pas sujet à de fortes maladies : aussi me dois-tu pardonner, Lecteur, si je retombe souvent en cette faute de versifier, puisque tu vois qu’il n’est pas tousjours absolument en nostre pouvoir de nous en deffendre ; Il suffit que je n’en fay pas profession, et que je prends seulement quelques heures de passe-temps avec la Poësie, apres avoir rendu mes soins* et mes assiduitez à quelque plus digne maistresse : Car pour en parler sainement la premiere n’a rien dequoy remplir nostre esprit, si elle ne l’emprunte d’ailleurs ; de soy, elle n’est qu’une chose vuideL’Aminte du Tasse en 1632. Il s’agit d’un drame pastoral en cinq actes et en vers.Le Pompe funebri en 1559.La Silvanire (1631), La Catastrophe « est celle qui change toute chose en joie, et qui donne l’éclaircissement de tous les accidents qui sont arrivés sur la scène ».Torrismon (1636) « je ne doute point que mon Soliman qui peut-estre estoit assez bon de soy, ne se trouve mauvais par acccident, et lors qu’il sera comparé au sien, et que la plume de l’Aigle ne dévore la mienne ». L’Aigle désigne le dramaturge Jean Mairet.
Sed longè sequere, Et vestigia pronus adoraStace dans .La Thébaïdeen parlant deL’Éneide« Mais suis la toujours de loin, et adore toujours ses traces ».
Ce n’est donc point de ces longs et penibles ouvrages de Theatre que je me vante, mais d’autres qui ne demandent point de si grands efforts d’esprit, et dont la petitesse ainsi que des moindres figures ne donne pas tant de lieu pour remarquer la foiblesse et les defauts de leur Autheur, comme font les Sonnets, les Stances, et de semblables pieces Lyriques. Il y a desja long-temps que je t’en eusse donné une bonne partie, si tant que j’ay peu te faciliter la conversation de plus honnestes gens que moy, je n’avois tousjours beaucoup mieux aymé m’y employer ; De cecy font foy* les versions que j’ay citées, et quelques unes encore d’une autre espèce, qui sont par avanture plutost tombées entre tes mains, et que je passe soubs silence, de crainte que si je publiois icy toutes mes fautes, tu ne creusses avec raison que j’aurois entrepris de faire une confession generale ; Mais maintenant que je ne connais plus de subjects de Theatre qui meritent la peine de les traduire, ou que si j’en connois ils ressemblent à ces arbres qui ne peuvent estre transplantez, ils renviendroient fort mal à nostre langue : et que d’ailleurs, il ne m’est pas permis de mettre au jour quelques versions en Prose, qui pour la gravité des matieres ne seroient pas sans doute de peu d’utilité (quoy que d’aucunsTyr et Sidon de Schélandre (1628) énonce que « La poésie, et particulièrement celle qui est composée pour le théâtre, n’est faite que pour le plaisir et le divertissement […] ». La Musette et en 1653 : Œuvres poétiques du Sr Dalibray, Divisées en vers bachiques, satyriques, heroïques, amoureux, moraux et chrestiens.
Fautes survenuës en l’impression
Dans la Preface. Touche seulement à l’égal de nous mesmes, lisez à l’égard.
Page 87. Quel est cruel Destin aujourd’huy ton envie ? lisez. Quelle.
Page 101. Que la Reyne a formé par ce fils innocent.lisez, pour ce fils.
Page 105. Et seul à sa malice ay fourny de matiere. Lisez, l’ay seul, etc…
Louis par la grace de Dieu Roy de France et de Navarre, A nos amez et feauxle sieur Dalibray, nous a fait remonstrer, qu’il desireroit imprimer et mettre en lumiere une Tragi-Comédie, intitulée, Le Soliman, par lui composée: mais craignant que l’Impression ne luy soit dommageable si d’autres que luy s’ingeroient
Achevé d’imprimer le 30. Juin 1637
Et ledit sieur Dalibray a cedé et transporté le present Privilège à Toussainct Quinet Marchand Libraire, pour jouyr du contenu porté par iceluy, ainsi qu’il a esté accordé entre-eux
Fin du premier Acte.
Fin du second Acte.
Fin du troisiesme Acte.
Fin du quatriesme Acte.
FIN.
Ouvrages consultés :
La scène est en Alep ville de Syrie, la piece est dans toutes les reigles de la Tragedie.
La Scena è in Aleppo, Città della Soria.
Traduction
La scène se déroule à Alep; ville de Syrie
À noter, la liaison de vue entre les scènes 3 et 4 de l’acte I puisque toutes les autres sont des liaisons de présence.
X : personnages présents sur scène
O : personnages présents sur scène mais qui ne parlent pas
O : personnages communs à la pièce d’Alibray
X : personnages supplémentaires
Ce tableau de présence du Grand et dernier Solyman ou la mort de Mustapha de Mairet diffère de celui que l’on peut trouver dans l’édition Champion 2005 (op. cit.) puisqu’il nous a semblé y découvrir certaines erreurs.
Les chiffres en dernière ligne du tableau font référence à la correspondance de la pièce d’Alibray avec celle de Mairet.
O : personnages communs à la pièce d’Alibray
X : personnages supplémentaires
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