Jean-Gilbert Durval est un auteur très peu connu de nos jours. Il mérite cependant d’être redécouvert, d’une part pour son engagement en matière de dramaturgie théâtrale, et plus particulièrement au sujet des règles dites « classiques » qui s’instaurèrent à cette époque, et contre lesquelles il s’insurgea de façon tranchée et assez virulente, et d’autre part, pour ses œuvres poétiques et théâtrales originales empreintes d’un mélange d’ancien et de moderne, de classique et de baroque.
Agarite (1636) est la seconde tragi-comédie de Durval ; elle est en matière de longueur dans la moyenne observée par J. SchererLa Dramaturgie classique en France, 1950, p. 196.
Nous ne connaissons que très peu d’éléments de la vie de Jean-Gilbert Durval, si ce n’est à travers les préfaces de ses pièces. Nous ignorons les dates de naissance et de mort de cet auteur du XVIIe siècle. Il semble qu’au moment où Agarite fut publiée, il avait déjà un certain âge
L’œuvre qui nous est restée de Durval est peu importante et diversifiée ; il fut en effet poète et dramaturge en plus d’avoir été acteur. Il s’est farouchement et ouvertementle Discours à Cliton, qu’on lui attribue, présentés en annexes.
C’est dans sa préface qu’il annonce qu’il s’est retiré de la scène, car « il est plus séant de faire place aux maîtres qui l’enseignent [la règle des trois unités] que de les choquer », déclare-t-il avec ironie.
Durval fut également poète, puisqu’il écrivit La Poésie au Roy, L’Annonciade, recueils non datés, et des poèmes publiés en appendice des Travaux d’Ulysse tels La matinée, l’Automne, Enigme, Le parfaict Amy. Frédéric LachèvreBiographie de recueils collectifs de poésies publiées de 1597 à 1700, 1905.Muse de Beauchasteau, en 1657.
Une autre pièce lui est attribuée de façon incertaine, L’Ecclésiaste en vers lyriques, accomodé à la politique et morale chrétienne…, publiée en 1652.
Les Frères Parfaict notent au sujet de Durval que « les auteurs contemporains lui ont reproché d’avoir cherché à traiter des sujets tristes », faisant allusion au poème d’Antoine Gaillard « la Furieuse Monomachie de Gaillard et Braquemard »Œuvres meslées, 1634, p. 33-34.A History of French dramatic Literature, p. 463.Agarite) :
Corneille est excellent, mais il vend ses ouvrages : Rotrou fait bien des vers, mais il est poète à gages Rotrou était en effet un « écrivain professionnel ». :Durier est trop obscur, et trop remply d’orgueil : Dorval est ténébreux, il aime le cercueil : Raziguier est Gascon, par conséquent il volle L’honnêteté de Rayssiguié a en effet été mise en doute. :Marcassus est sçavant, mais il sent trop l’escolle : Gomer nous seroit bon, s’il n’estoit pas si gueux. De Coste écrit parfois, mais il est malheureux. Auvray ce gros camart, plaide pour les suivantes. Claveret est rimeur, mais c’est pour les servantes.
La dernière production que l’on attribue à Durval de façon incertaine puisque cet ouvrage fut publié de façon anonyme, est le fameux Discours à Cliton sur les Observations du Cid avec un Traité de la disposition du Poème dramatique, et de la prétendue Règle des vingt-quatre heures, publié en 1637La Querelle du « Cid », H. Welter, 1898.Essai sur les Théories dramatiques de CorneilleTemps de Préface.Querelle du Cid, Durval étant de ceux qui s’opposèrent à l’établissement des règles classiques contre les intellectuels et les dramaturges qui soutiennent l’unité de temps, sujet sur lequel nous reviendrons, que Durval « dit adieu au théâtre en versant ses rancunes dans le Traité, déjà composé ou qu’il composait alors (…). Ce n’est pas par crainte d’afficher ses théories mais pour ne pas révéler ses rancunes ou pour ne pas brûler définitivement ses vaisseaux (tant d’auteurs ont solennellement dit adieu au théâtre, qui bientôt y sont revenus !) qu’il a gardé l’anonymat, en publiant son œuvre. Après quoi, il était difficile de l’avouer tardivement en 1639(…) »La Querelle du Cid, p. 276Panthée.
Si l’on part du postulat que Durval est bien l’auteur du Discours, on peut dire de ce dernier qu’il était favorable à Corneille et de surcroît un grand admirateur du dramaturge HardyPanthée.
Le grand succès de cette pièce est évoqué par Durval dans son épître dédicatoire à la Duchesse de Nemours : « Celle-cy [ la pièce de théâtre] que j’ay l’honneur de présenter à Votre Grandeur ayant esté aucunement bien receuë sembloit ne devoir plus craindre l’injure du temps ny les coups de langue(…) » , ainsi que par les Frères ParfaictHistoire du Théâtre français depuis ses origines jusqu’à présent, vol. V, p. 112.e siècle, le mépris pour le baroque, dont ce genre découle directement du fait de sa grande liberté, perdurant encore jusqu’au début du XIXe siècle, époque où des auteurs commencèrent à s’intéresser aux précurseurs du théâtre classique et à leur production abondante et diversifiée.
Selon le Mémoire de MahelotAgarite, que Durval supprima la référence à l’éditeur que l’on peut trouver dans certaines éditions de la Matinée : Les Conseillers du Parlement / Vont au Palais tout bellement / La Cour est d’un monde suivie, / Les présidens se vont prier ; / Desja, pour vendre une Silvie, / Targa s’égore de crier. Remplacé par : Les Advocats du parlement / Vont au Palais tout bellement, / Les clients en troupe les suivent / Et recomandent leurs procès / A des jeunes Clercs qui ne vivent / Que de factums et de placets.Agarite. Nous pouvons également ajouter, mais nous y reviendrons plus tard, que la mise en scène dut être impressionnante pour les spectateurs de l’époque, puisque Durval, dans son choix de ne pas se plier aux règles des trois unités a multiplié les lieux.
D’autre part, il est donné au milieu de la pièce un ballet spectaculaire où dansent les quatre vents, dans un tumulte d’éclairs et de tonnerre, et dans un tourbillon de plumes, dont étaient vêtus les personnages, et durant lequel un meurtre a lieu sur scène, ce qui était rare dans les tragi-comédies, et certainement impressionnant.
Cette pièce est jugée comme l’une des plus divertissantes de la période par Lancaster.
Agarite, belle demoiselle chaste est courtisée par le roi d’un pays dont on ne connaît pas le nom, les contrées imaginaires étant une constante dans les tragi-comédies
Dans un même temps, Célidor, le favori du roi, fait la connaissance de Corintie, la sœur de Lizène, tandis qu’il cherche Agarite en vain. Le roi, apprenant qu’Agarite va lui échapper une nouvelle fois, en épousant Lizène, demande à Célidor d’éliminer ce dernier : il profitera du ballet donné en l’honneur des épousés pour assassiner Lizène sur scène, tirant avantage des coups de feux tirés pour représenter les éclairs. Au palais, tout le monde croit Agarite morte, et ce, d’autant que des pêcheurs ont retrouvé ses effets près de la rivière…
Par ailleurs, Corintie qui comprend que celui qu’elle aime a tué son frère, décide de résoudre ce dilemme en pardonnant à Célidor ; mais ce dernier estimant son forfait trop important préfère faire pénitence en partant en pèlerinage, malgré les demandes répétées de Corintie, qui finalement le suivra déguisée en page.
Agarite et Policaste, désireux de rentrer à la cour, doivent trouver un moyen pour que le roi, ivre de douleur, oublie cette passion déraisonnée pour Agarite.
Ils rencontrent la jeune princesse Amélise, éprise du roi et de son trône, qu’ils décident de substituer à la statue érigée en l’honneur d’Agarite, sur le lit de parade sur lequel le roi laisse cours à son chagrin. C’est au moment où la vraie fausse statue s’anime, laissant le roi médusé, qu’il en oublie instantanément son chagrin et accepte d’épouser cette princesse. Il est alors temps pour les amants de dévoiler le stratagème, et Agarite, au roi. Ce dernier consent à les unir, ainsi que Célidor et Corintie, eux aussi revenus à la cour après s’être retrouvés. La pièce s’achève sur l’annonce de ce triple mariage.
Scène 1 : Monologue d’exposition où le roi annonce qu’il aimerait se faire aimer d’Agarite et profiter de ses charmes (sans que le nom de cette dernière ne soit prononcé). Entrée de son favori, Célidor, à qui il promet fortune et gloire si ce dernier parvient à le faire « jouyr » de cette « beauté si rare » (V.35).
Scène 2 : Célidor entreprend Agarite dans la boutique d’un marchand de tableaux flamands en vantant les vertus de l’amour et en prenant de ce fait appui sur un tableau où sont célébrées les beautés et les nécessités naturelles de l’amour. Mais Médon, le père d’Agarite, n’est pas loin et appelle sa fille.
Scène 3 : Médon montre à Agarite un tableau où sont peints les dangers et les apparences trompeuses et séduisantes de l’amour, la mettant en garde contre le roi, dans une scène absolument symétrique à la précédente. Il décide d’envoyer Agarite consentante à la campagne afin d’échapper au roi et de faire croire à ce dernier à un rapt (premier stratagème).
Scène 4 : Apparition fugitive d’Amélise (qui ne réapparaîtra qu’à la fin de la pièce) qui avoue à Phénice son attrait pour le roi. Dans un second temps, Phénice dans un mouvement de travelling interne va assister au conseil du roi où il est question de la fidélité des vassaux. Médon fait alors irruption dans le conseil et informe le roi du rapt de sa fille, lequel annonce que l’auteur de ce forfait le paiera de sa tête.
Scène 1 : Monologue d’Agarite qui évoque l’amour qu’elle porte à Policaste et la haine que lui inspire Lizène. Entrée des deux prétendants à qui elle révèle respectivement ses sentiments par le biais de deux poèmes, dont ils font la lecture. Lizène, dédaigné, part, furieux. S’ensuit un badinage amoureux entre les deux amants.
Scène 2 : Lizène annonce à Corintie, sa sœur, qu’il va épouser Agarite de gré ou de force, en demandant sa main à Médon. Corintie, restée seule, présage un désastre. Arrivée de Célidor dont on apprend qu’il courtise Corintie depuis qu’il l’a rencontrée en cherchant Agarite. S’ensuit un badinage amoureux entre les amants.
Scène 3 : Badinage amoureux entre Agarite et Policaste. Arrivée du cocher qui annonce à Agarite que son père lui fait épouser Lizène. Policaste élabore un stratagème : fuir avec Agarite le soir de ses noces pour gagner la forteresse paternelle de Policaste en remontant la rivière. Elle devra au préalable s’être dépouillée de ses vêtements pour faire croire à un suicide.
Scène 4 : Le roi apprend que Lizène va épouser Agarite. Il commande à Célidor de le tuer et de ravir l’épousée.
Scène 1 : Dissertation de Médon sur les vertus du mariage (jeux de mots sur l’équivoque sexuelle), afin de tenter d’accorder les époux, mais Agarite reste glaciale.
Scène 2 : Policaste attend Agarite sur la barque, déguisé en batelier. Evocation de son amour pour cette dernière qu’il compare au lieu sordide où il se trouve (un cimetière), attente et craintes amoureuses. Arrivée d’Agarite qui de son côté dans un long monologue a évoqué la frayeur que lui inspirait le lieu. Ruse de Policaste qui fait semblant d’être mort ; s’ensuit un long badinage amoureux (cette scène à elle seule fait 180 vers). Ils se décident à partir.
Scène 3 : Représentation du « Ballet Des Quatre Vents », durant lequel Lizène est tué par Célidor qui profite des coups de feu représentant les éclairs et le tonnerre, pour tuer l’époux. C’est alors qu’on s’aperçoit de la disparition d’Agarite.
Scène 1 : Conversation pittoresque des pêcheurs. Découverte des effets d’Agarite sur la rive.
Scène 2 : Annonce au roi et à Médon d’une funeste découverte.
Scène 3 : Badinage amoureux entre Policaste et Agarite : celle-ci refuse de perdre sa chasteté, n’étant pas mariée.
Scène 4 : Reconnaissance des effets d’Agarite qui est tenue pour morte. Evanouissement de Médon et lamentations du roi, désespéré.
Scène 5 : Monologue de Corintie en proie au dilemme de savoir si elle doit ou non pardonner à celui qu’elle aime le meurtre de son frère. Elle choisit l’amour plutôt que les liens du sang. Célidor, qui se reproche d’avoir trahi son amante pour obéir au roi décide de partir en pèlerinage. Corintie le suit, déguisée en cavalier, sans qu’il le sache.
Scène 5 : Lamentations du roi, fou de tristesse, qui décide de faire ériger un lit de parade en l’honneur d’Agarite. Cette scène est la plus longue de l’acte.
Scène 1 : Retour d’Agarite et de Policaste au palais. Policaste a inventé un stratagème pour que le roi oublie Agarite et consente à les unir. Ils trouvent en chemin Phénice et Amélise qui vont les aider dans ce projet.
Scène 2 : Retrouvailles de Célidor et de Corintie. Après un badinage amoureux, ils décident de rentrer au palais.
Scène 3 : Amélise s’est substituée à la statue d’Agarite sur le lit de parade, et commence à se mouvoir tandis que le roi songe à Agarite. Ce dernier, émerveillé en oublie aussitôt son amour pour Agarite et finit par accepter d’épouser Amélise. Aveu du subterfuge au roi, qui consent à unir les amants. Arrivée de Corintie et de Célidor que le roi relève de sa promesse de faire pénitence et qui bénit cette nouvelle union. La pièce s’achève sur ce triple mariage.
Les sources sont inconnues pour LancasterA History of French dramatic Literature.Les Passions égaréesLa Pélerine amoureuseAngélique ou la pélerine amoureuse, 1637.Agarite, son influence sur celle de Durval est donc discutable. Quant au ballet joué sur scène, une seule pièce présente un ballet de ce type : il s’agit d’Antioche, Tragoedie traitant le martyre de sept enfants machabéens de Jean-Baptiste Le Francq, publiée en 1625 ; au troisième acte, scène 7 est dansé un ballet donné par le « génie de nature », les « esprits de l’homme », et les vents pour condamner l’inconstance.
Il existe en revanche des œuvres théâtrales incluant des pièces représentées et développant ainsi le procédé du théâtre dans le théâtre que nous aborderons plus loin. Nous pouvons par exemple citer Célinde de Baro (1629), pièce dans laquelle l’héroïne, Célinde, incarne Judith, elle-même l’héroïne d’une autre tragédie intitulée Holoerne, qui relate l’histoire de Judith. Cette dernière, pour sauver son peuple et sa ville, Bétule en Judée, assiégée par l’armée du général syrien Holoferne, n’hésita pas à s’infiltrer chez l’ennemi et feindre de trahir les siens. Grâce à sa beauté et à sa condition de femme, elle parvint à obtenir une soirée en tête à tête avec le général Holoferne, à qui elle trancha la gorge, ce qui priva l’armée de son chef et permit la victoire de Bétule. Dans la pièce citée plus haut, l’héroïne parvient elle aussi à tuer Floridan, à qui elle est promise et qu’elle n’aime pas, ce dernier jouant le personnage d’Holoferne. Dans cette pièce, les acteurs sont des personnages de la pièce, clairement identifiés par les spectateurs – acteurs, qui se font abuser dans les deux pièces de la même façon puisque la fiction laisse place à une sordide réalité, à la différence d’Agarite où seul Célidor joue un rôle et qu’il n’est pas reconnu par les protagonistes. Dans Célinde, la pièce occupe tout le troisième acte à la différence du « Ballet des Quatre Vents » qui n’occupe que la scène 3 de l’acte III, mais qui est plus spectaculaire au sens où les effets spéciaux impressionnent davantage ; mais la substitution d’un ballet à une pièce témoigne des relations particulières qui reliaient les deux genres à cette époque. D’autre part, signalons que le prénom « Célidor », rappelle celui de « Célinde » et celui de « Lucidor », amant de Célinde, dans Célinde.
L’introduction de jeunes hommes déguisés de chapeaux à plumes tournoyantes pour danser un ballet mais dont les vraies motivations sont autres, est constatée dans la nouvelle de Sorel intitulée Le Palais d’Angélie
Il est cependant important de faire un rapprochement avec le théâtre élisabéthain et jacobéen, dans lequel les thèmes de l’assassinat et de la vengeanceAgarite. e et 17e siècles », dans Études sur le théâtre français, Paris, Nizet, 1977-1978 (2 vol.).Célinde est absente de notre pièce. Ainsi, à moins de supposer, comme le souligne Georges ForestierLe Théâtre dans le théâtre, p. 55.e siècle, pourquoi dans ce cas « ont-ilsL’Illusion comique) et Baro (Célinde) qui développent tous les trois dans leur pièce, le procédé du théâtre dans le théâtre. ibid.commedia dell’arte pourrait avoir eu une influence : elle aurait permis de donner un prétexte vraisemblable, compte tenu du fait qu’on y célèbre des mariages, et que dans la réalité, il n’y a pas de riche mariage sans divertissement, on peut se demander si les dramaturges ont véritablement été influencés par la tradition italienneibid.
Durval pour l’élaboration de ce ballet s’est peut être inspiré du Ballet de l’HarmonieBallets et mascarades de cour, de Henri III à Louis XIV, 1581-1652, t. IV, de Claude de L’Estoile, Pierre Cotignon et Guillaume Colletet.
En ce qui concerne la substitution d’une femme à une statue comme c’est le cas dans le dernier acte d’Agarite, Lancaster souligneIbid., p. 466.Agarite du Conte d’hiver de Shakespeare (publié en in-folio en 1623, mais la lecture des pièces anglaises n’étant pas prouvée, il est hasardeux d’affirmer que Durval ait pu lire la pièce), du Pandosto de Greene ou de El Mârmol de Felisardo de Lope de la Vega, où un jeune homme se marie avec une statue qui s’anime. Cependant l’auteur du Discours semble ne pas ignorer les pièces italiennes, puisqu’il affirme qu’elles sont faites sur le patron des pièces grecques et latinesLe Discours à Cliton, édition d’A. Gasté, p. 253.
Enfin, une autre pièce est à rapprocher d’Agarite : il s’agit de Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau (1621), d’après Ovide. Un garçon, Pyrame, et une jeune fille, Thisbé, s’aiment depuis qu’ils se sont vus (la contiguïté de leurs maisons est un peu banalement à l’origine de leur amour) ; leurs familles se haïssent et pour se parler ils utilisent une fente dans le mur. Un jour, ils décident de fuir ensemble, et se donnent rendez-vous près du tombeau de Ninus. Thisbé, arrivée la première et effrayée par un lion, s’enfuit, perdant en chemin un de ses voiles. Lorsque Pyrame arrive, il découvre sur le voile du sang qu’il prend pour celui de Thisbé, et, ne la voyant pas, il la croit morte, attaquée par un lion et se poignarde; quand cette dernière revient sur les lieux, elle découvre avec horreur la situation et décide de mourir en véritable héroïne grecque. Cette pièce présente bon nombre d’analogies avec Agarite, bien que l’histoire soit différente. Il s’agit particulièrement du passage où Thisbé, voilée dans la nuit doit retrouver Pyrame près du tombeau de Ninus, et où cette dernière évoque ses craintes de se frayer un tel chemin en pleine nuit (Acte IV, scène 3), qui rappelle étrangement les craintes d’Agarite lorsqu’elle rejoint son amant dans le cimetière (acte III, scène 2) et la scène suivante, symétrique, comme dans Agarite, où Pyrame se rend au tombeau à son tour, qui rappelle la scène où Policaste attend celle qu’il aime. Tout d’abord, il faut souligner que le lieu de rencontre est le même : un tombeau, près d’une rivière, dans Pyrame et Thisbé, un cimetière près d’une rivière, dans Agarite ; la situation ensuite : les deux femmes cherchent à échapper à leurs familles et partent retrouver leur amoureux. Les craintes des protagonistes sont aussi identiques : d’une part, ils craignent de se perdre et d’être délaissés par l’objet de leur amour, crainte très romantique, ce qui donne lieu à des lamentations, et d’autre part, ils évoquent des instances de la nature plus ou moins en rapport avec la mythologie (c’est surtout valable pour la pièce de Théophile de Viau).En revanche, la symbolique des lieux évoquant l’idée de quelque prédestination dans Pyrame et Thisbé, ne se trouve pas dans Agarite, puisque, nous le verrons, il n’y a pas d’idée de fatalité, de destin dans la pièce de Durval (mise à part peut-être la clairvoyance de Corintie, vers 434), les éléments de nature n’étant pas porteurs de symboles.
Enfin, dans Agarite, le jeu auquel se livre Policaste, lorsqu’il lui fait croire qu’il est mort afin d’obtenir un baiser, fait écho à la scène tragique où Pyrame trouve Thisbé évanouie (lui la croit morte) ; le dénouement est bien différent, les protagonistes ne jouant pas.
La ressemblance est vraiment frappante et il est difficile de ne pas penser que Durval s’en soit inspiré, tant les images et les effets de symétrie sont semblables.
Nous pouvons enfin rapprocher notre pièce de celle de Cyril Tourneur, intitulée La Tragédie du Vengeur, publiée en 1607, dans laquelle une mascarade meurtrière a lieu au moment du dénouement de l’histoire, mais nous l’avons signalé, l’influence du théâtre élisabétain est loin d’être avérée.
Les thèmes tels que la rivalité du roi et de son sujet, le faux kidnapping de la jeune fille afin qu’elle échappe aux assiduités du roi ou l’assassinat du rival par un autre protagoniste, sont des thèmes communs aux pièces romantiques, même s’il est vrai que le meurtre sur scène est surprenant en ce qui concerne une tragi-comédie. Le thème de l’horrible (la scène du cimetière) est un thème baroque. De ce fait, la pièce de Durval, assez conventionnelle en ce qui concerne son histoire, se démarque des autres tragi-comédies par quelques traits d’originalité comme nous le verrons, et par la dramatisation bien élaborée de son intrigue.
Durval ne nous fournit aucune indicationAgarite est un « poème composé ».
L’adaptation scénique est alors une véritable gageure, même si à cette époque où les règles classiques n’en étaient qu’à leurs balbutiements, il n’était pas rare de trouver des pièces avec un certain nombre de lieux ; si l’on en croit Eugène Rigal dans le Théâtre français avant la période classique, « il n’en est guère de plus compliqué [de décor] dans le Mémoire ».
En effet, selon Laurent Mahelot, dans le Mémoire de MahelotLe Mémoire de Mahelot, Laurent et d’autres décorateurs de l’Hôtel de Bourgogne, édition H.C. Lancaster, Paris, Champion, 1920, p. 80, 81.
Comme nous pouvons le constater, Mahelot a réduit ce chiffre à six, faisant jouer dans le « morceau de maison » (entre la chambre royale et le cimetière), la scène ayant lieu dans le cabinet de Médon, et on peut imaginer que les scènes initialement prévues chez Agarite et Corintie (Célidor vient la voir lorsqu’il chasse, donc la maison est non loin de la forêt) eurent lieu devant le bois.
À première vue, la scène est découpée en cinq compartiments :
Cependant, et comme le souligne Rigal, cette disposition symétrique qu’affectionnait particulièrement le décorateur de l’Hôtel de Bourgogne au point de la reproduire aussi souvent que cela était possible, est compromise du fait qu’étant difficile d’isoler complètement la chambre du fond du cimetière (à gauche), le décorateur a dû placer entre les deux, un morceau de maison (ou palais). Mais cette façade rapprochée du cimetière et faisant bloc avec lui (espèce de prolongement de l’église) et la boutique du marchand, en face, étant assez large, l’œil du spectateur ne distingue dans un premier temps que cinq compartiments, ce qui offre malgré tout une impression de symétrie.
Il est intéressant de considérer le statut des personnages dans la pièce : le père, Médon passe du statut d’adjuvant à celui d’opposant, ce qui est assez original pour être souligné : dans un premier temps, il aide sa fille à fuir loin du roi et, dans un second temps, il lui impose un pédant contre son gré. Ainsi l’ordre transgressé dans un premier temps est rétabli. De ce fait Agarite est obligée de fuir : c’est l’action type des tragi-comédie pour échapper à un obstacle. En revanche, ce qui est assez étonnant dans Agarite, c’est l’absence d’obstacles majeurs à ces échappées (les seuls obstacles sont les ombres de la nuit), qui ne connaissent ni échec, ni retard ; l’action est sans cesse dédramatisée de ce point de vue, puis une nouvelle tension se crée du fait qu’à chaque fois, la fuite devient un emprisonnement : Agarite, pour échapper au roi, tombe dans les griffes de Lizène, et lorsqu’elle échappe à ce dernier, elle ne peut profiter de sa liberté, puisque la société ne peut reconnaître leur amour illégitime.
Cependant, il serait faux de définir la tragi-comédie comme une tragédie saupoudrée de bouffonneries ponctuelles, l’aspect mal dégrossi étant justifié par le statut social peu élevé des personnages qui formulent ces discours (les pécheurs par exemple). Agarite allie deux oppositions : l’image du héros et les allusions graveleuses, le ton comique étant donné par ce mélange hétérogène. Malgré la gravité de la situation, des traits plus légers viennent toujours nuancer l’intensité du drame : Médon s’évanouit tandis qu’il voit les vêtements de sa fille, qu’il croit morte, sur la rive, par exemple.
Le dénouement est assez classique : la pièce s’achève sur un triple mariage.
Attardons-nous quelques instants sur l’épisode où Amélise se substitue à la statue d’Agarite : cela va permettre à Agarite de recouvrer son identité et d’épouser Policaste. C’est parce qu’ils ne peuvent pas vivre hors-la-loi que les amants vont inventer ce stratagème. L’ordre des événements est donc relativement logique ; en revanche, ce qui l’est moins et qui paraît beaucoup moins vraisemblable, c’est le changement radical du roi sur le plan amoureux. En ce sens, les effets du stratagème sont presque merveilleux. La magie et le stratagème scénique de la substitution se superposent lorsque l’on considère l’effet visuel provoqué. On imagine sans peine la réaction médusée du spectateur de l’époque qui voit cette statue s’animer sous ses yeux. Le recours au vrai faux merveilleux est ainsi immédiatement abandonné, au profit d’une rouerie aussitôt déjouée par le spectateur, qui identifie rapidement Amélise. Précisons enfin, en ce qui concerne le dénouement, que le dernier mot revient à celui qui détient l’ordre social, c’est-à-dire le roi, dont les exactions passées ne lui sont à aucun moment ni reprochées, ni rappelées. Le pardon est alors immédiatement consenti par Médon, dès lors qu’Agarite l’interpelle et le reconnaît comme son père, le rétablissant ainsi dans la hiérarchie familiale
Durval sait ménager un certain suspens, malgré le fait que la dramatisation tourne trop vite court quelquefois, et cela volontairement, comme lorsque nous assistons aux états d’âme de Corintie, qui ayant appris que celui qu’elle aime est à l’origine de l’assassinat de son frère, a un choix à faire. Tandis que le spectateur moderne s’attendrait à un choix douloureux et improbable, comme celui de Chimène dans Le Cid de Corneille, Durval fait en sorte que Corintie se décide immédiatement, mais cela est sans doute volontaire afin de ne pas détourner l’action principale de son cours et lui donner une moindre importance.
On peut déplorer la docilité des héros, leur manque de caractère et l’absence de fatalité qui retrancherait les héros derrière leur humanité et leur originalité (Agarite parvient sans encombres à rejoindre Policaste ; aucune de leurs actions n’échoue dans le fond) ; mais cela n’est pas le but visé par Durval ; comme le dit LancasterA History of French dramatic Literature, p. 469.
(9 apparitions, 225 vers) C’est le personnage principal de la pièce même si en ce qui concerne le nombre de vers prononcés, elle est en quatrième position. Elle apparaît dans neuf scènes sur vingt, ce qui en fait après Célidor, le personnage le plus présent sur scène ; et lorsqu’elle n’est pas présente, elle est presque toujours l’objet de conversation des personnages, même indirectement. Elle est l’objet, l’enjeu de toute la pièce, qui porte d’ailleurs son nom ; de son existence dépendent toutes les amours de la pièce, y compris celles de Corintie et de Célidor, dans la mesure où c’est grâce à elle que Célidor rencontre Corintie, tandis qu’il la cherchait, mais à cause d’elle qu’il s’en sépare, car c’est à cause d’Agarite que Célidor doit faire pénitence (meurtre de Lizène). C’est d’elle que vont s’éprendre ses trois prétendants que sont Lizène, Policaste et le roi.
En ce qui concerne son apparence, le texte nous renseigne peu : on sait qu’elle est « jeune » (vers 45 et 88), belle (c’est un « soleil de beautés », vers 4), et d’« une beauté si rare » (vers 35) que le roi ferait n’importe quoi pour pouvoir en jouir. Elle a une beauté classique : le visage clair (« vermeil », vers 1225), les yeux bleus (vers 1229), des cheveux blonds (vers 1235).
D’un point de vue social, elle est une « simple demoiselle » (vers 68), donc d’une condition inférieure au roi ; selon Richelet, ce nom se donne « par abus aux filles et aux dames qui sont un peu bien mises, qui ont quelque air ou quelque bien un peu considérable », pourvu qu’« elles ne soient pas de la lie du peuple, ou nées d’artisans », rajoute Furetière, ce qui semble bien définir le personnage dans le cas présent. Elle a en tout cas reçu une certaine éducation, puisqu’elle lit des poèmes (vers 62, 69 et 70), et qu’elle est suffisamment habile pour se départir de Lizène en lui soumettant un poème adéquat. Dans la pièce, son père possède plusieurs maisons et va à la cour ; il est donc fort probable qu’il s’agisse d’un grand seigneur. Il est évident pour elle que le roi ne l’épousera pas ; elle est donc lucide et peu vaniteuse (elle préfère garder son honneur plutôt que de céder), et d’une chasteté exemplaire puisqu’elle résistera même à Policaste.
Dans un premier temps, elle est soumise puisqu’elle se laisse entraîner par son père hors de la ville, puis désobéissante lorsqu’elle décide de suivre son amant hors de la demeure paternelle, bravant ainsi tous les dangers et les conventions sociales ; en digne aventurière, elle acceptera de se déguiser en page pour ne pas être reconnue et arriver jusqu’au roi, ce qui fait d’elle une amoureuse de convention.
(6 apparitions, 296 vers) Il est la figure même de l’amant ; sans doute beau (Agarite s’en éprend), mais il est certainement moins fortuné que Lizène (il possède une vieille forteresse). Il reste vertueux et chevaleresque puisqu’en dépit d’un langage et d’actions quelque peu paillards, il sait rester sage et n’abusera pas d’Agarite tandis qu’il en a la possibilité.
C’est grâce à lui que la situation qu’il a compliquée malgré lui va être résolue, puisqu’il est l’auteur des stratagèmes qui lui permettront d’obtenir Agarite. Dans un premier temps, il organise son enlèvement consenti (il la soustrait au roi et à son futur époux) ; puis, dans un second temps, il parvient à redonner au roi sa lucidité : il imagine un moyen de le guérir définitivement de sa passion pour Agarite en substituant à la statue de cette dernière la princesse Amélise, amoureuse potentielle. Il devient à la fois magicien, car la réussite du projet est miraculeuse et rapide, et scénariste de la scène dont il va lui-même tirer avantage, légitimant ainsi son union avec Agarite.
(4 apparitions, 67 vers) Il s’agit du méchant de l’histoire dont les consonances du prénom résument les sentiments qu’il inspirera à l’héroïne : il y a le substantif « lise » (c’est un personnage qui n’hésitera pas à faire appel à ses relations pour avoir Agarite de gré ou de force) et le substantif « haine », sentiment que ressentira très vite Agarite à son égard, ainsi que le roi qui ira jusqu’à le faire tuer sur scène (il a tenté de lui soustraire Agarite).
Son assassinat aurait dû provoquer ressentiments et tristesse, puisqu’il est tué par l’amant de sa sœur, sur scène de surcroît, mais ces sentiments sont très vite oubliés, et son nom n’est plus prononcé à partir du moment où sa mort est découverte. Il est obstiné, déplaisant (vers 335 et 337) et lourdaud (vers 543). Sa mort n’apporte rien à ceux qui la souhaitaient (Agarite s’est enfuie), mais arrange les affaires d’Agarite puisqu’elle se libère de la contrainte imposée par son père. Sa mort était inévitable pour rétablir l’équilibre de la pièce : il y a trois hommes pour une même femme au début de la pièce. La présence d’Amélise compensant le déséquilibre, il était difficile d’introduire une troisième femme ; la seule solution était de faire disparaître l’un des rivaux, et de surcroît le moins sympathique.
(7 apparitions, 379 vers) Si l’on se base sur le nombre de vers déclamés par le roi dans la pièce, on peut dire qu’il s’agit du personnage le plus présent sur scène ; en effet, son temps de parole représente presque un quart du temps de parole de tous les personnages (soit 379 vers sur les 1620 de la pièce), et pourtant, ce n’est pas celui qui apparaît le plus souvent (il est en quatrième position de ce point de vue). En revanche, lorsque ce personnage apparaît, il accapare la parole ; c’est le roi, le maître des lieux ; une scène entière lui est accordée (acte IV, scène 6) tandis qu’il pleure Agarite.
En ce qui concerne le personnage à proprement parler, le texte là encore ne nous donne que peu d’informations : nous ne connaissons ni le nom du pays qu’il gouverne, ni son nom ; nous pouvons supposer qu’il s’agit d’un homme d’âge mûr (vers 1 « Que les Roys de mon aage ont de trouble en aimant »), décrit par Célidor comme un homme « libéral », « vaillant » et « sage » (vers 115). Agarite ne le trouve pas laid, au contraire : « ce sont là de bien beaux traicts de visage » (vers 116), mais aucune description physique n’a été trouvée.
Il se comporte comme un roi amoureux de tragi-comédie : l’amour le pousse à perdre toute dignité et à se conduire en tyran.
(10 apparitions, 231 vers) C’est l’amant de Corintie en plus d’être le favori du roi. En tant que proche du roi, il est opposé à Lizène qui est son rival, et du fait de cette position viendra à un moment donné contrarier ses amours. Tandis que le spectateur s’attend à assister à un dilemme tragique, que l’on pourrait résoudre ainsi : choisir entre honneur et amour, Durval occulte le problème, puisqu’au moment où Célidor opère il ignore probablement qui est Lizène (il ne l’a jamais vu, du fait que Corintie le faisait venir quand son frère était parti).
Il agit par intérêt (c’est-à-dire, occuper une position sociale plus élevée), mais aussi par contrainte (il se doit d’obéir au roi), sinon il s’expose à ne plus être protégé par le roi. Il est ambitieux, malin, ne rechignant à aucune bassesse (comme tuer Lizène, kidnapper ou soudoyer Agarite (vers 28)), mais est cependant d’une grande fidélité vis-à-vis du roi puisque pour lui il parcourt sans relâche les environs pour retrouver Agarite, et qu’il va même jusqu’à se déguiser pour s’infiltrer dans le ballet. Il porte un jugement lucide sur le pouvoir en général, qui implique qu’il y ait des dominants et des dominés (reste à son sens, à rester le plus près possible des premiers, et ce afin d’acquérir pouvoir et argent en vue d’une certaine liberté).
C’est dans ce personnage que la voix de Durval apparaît le plus ; il flatte pour pouvoir exister. Il possède néanmoins une certaine morale puisqu’il décide de se punir non d’avoir tué, mais d’avoir tué le frère de celle qu’il aime. A la fin de la pièce, la fidélité de ce personnage est récompensée : celui qui s’était vu abandonner l’amour et la cour tout à la fois se voit réhabilité dans les deux domaines ; il gagne ainsi une double reconnaissance, royale et affective.
(8 apparitions, 116 vers) C’est le père d’Agarite ; conformément aux principes de la tragi-comédie, il va aller contre les desseins de sa fille en la mariant à Lizène qu’elle n’aime pas, et ce, en raison des liens d’amitié qui lient les deux familles. Mais l’image du père est différente : il ne s’agit pas d’un homme cruel et intransigeant, d’un père tyrannique, mais d’un personnage comique, voire bouffon, à qui les plaisanteries salaces dans le genre de celles des pécheurs ne déplaisent pas, notamment lorsqu’il va tenter d’adoucir Agarite qui doit épouser Lizène. Durval ne lui épargne rien, pas même de s’évanouir sur la rive. En revanche, lorsqu’il lui présente les dangers de l’amour, il joue plus le rôle d’un conseiller ou d’une mère (qui n’existe pas dans la pièce), que celui de père : il ne lui interdit rien, pas même de recevoir chez eux deux prétendants, et ne lui impose aucune obligation. Il sait mentir, puisqu’il n’hésite pas à duper le roi en lui annonçant le faux enlèvement de sa fille.
C’est un homme âgé (il porte la calotte et des lunettes (vers 627 et 844)). On ignore son appartenance sociale, mais on peut supposer qu’il s’agit d’un grand seigneur de la cour, puisqu’il possède au moins un tableau (vers 199), et deux maisons (une à la ville, une à la campagne). De plus il organise un mariage somptueux au cours duquel un ballet est joué.
(6 apparitions, 165 vers) C’est la sœur de Lizène dont on apprend qu’elle entretient une amitié avec le favori du roi, Célidor.
Elle est belle (vers 479, 480, 481) et a des yeux bleus, comme toute beauté classique.
Elle ne joue pas de rôle particulier dans l’intrigue principale. Le spectateur moderne s’attend en ce qui la concerne, au dilemme cornélien : choisir entre l’amour et l’honneur ; mais il n’en est rien : Corintie aura tôt fait de pardonner au meurtrier et d’oublier son frère dont elle avait prédit la mort (amorce dramatique) à l’acte II, scène 2. N’ayant réussi à convaincre son amant que l’amour excuse toute chose, elle va se travestir en cavalier pour le suivre. Comme dans la scène où Agarite est déguisée en homme, le spectateur va assister à une discussion amoureuse entre deux hommes, si l’on se base sur l’apparence physique, ce qui rend cocasse la situation, comme cela était fréquemment le cas dans les tragi-comédies (comme par exemple dans La Sœur Valeureuse de MareschalLa Sœur valeureuse, ou l’Aveugle amante, tragi-comédie, Paris, A. de Sommaville, 1634.
(3 apparitions, 22 vers) Elle est le deus ex machina de la pièce. Elle doit avoir le même âge qu’Agarite, « l’âge de se marier » (vers 258). Elle est belle (vers 1314), mais sans doute moins qu’Agarite, puisqu’elle dit d’elle qu’elle est d’une beauté moindre, vers 264; à moins que ce ne soit de la modestie. Cependant, c’est une princesse ; elle est donc d’une condition sociale supérieure à Agarite, c’est pourquoi elle ne refuserait pas les avantages de la couronne, si l’occasion s’en présentait (vers 259-262).
Elle s’exprime très peu (22 vers), et n’apparaît que trois fois (dans le premier acte, ainsi que cela doit être dans les règles classiques du théâtre, et dans le dernier). En revanche, c’est grâce à ce personnage que la pièce trouve un dénouement heureux, car c’est grâce à elle que le stratagème inventé par Policaste prend corps et réussit, en faisant oublier au roi la belle Agarite de façon quasi merveilleuse. C’est grâce à elle que l’ordre des passions est rétabli.
(5 apparitions, 65 vers) C’est le conseiller du roi et le gouverneur d’Amélise ; il exerce une fonction politique. C’est en sa présence que sont abordés pour l’unique fois dans la pièce les problèmes liés à la politique intérieure du royaume (les trahisons et fourberies des conseillers du roi), acte I, scène 4. En tant qu’homme politique, il va chercher à donner au roi une épouse et en tant que gouverneur, il souhaite rendre Amélise heureuse ; deux souhaits qui vont être exaucés à la fin de la pièce.
C’est un personnage discret dont la présence non indispensable au déroulement de l’intrigue, apporte toutefois une touche réaliste à une pièce qui n’est pas du tout ancrée dans la réalité.
Voici un tableau indiquant la présence scénique des différents personnages ce qui nous permet de nous renseigner sur l’importance desdits personnages ainsi que sur la composition de la pièce en fonction de leurs allées et venues :
Comme nous l’avons constaté précédemment, au moment où paraît cette tragi-comédie, l’histoire du théâtre connaît bien des turpitudes : « Anciens » et « Modernes » se déchirent au sujet des règles classiques qui finiront par s’imposer au genre dramatique. La tragi-comédie est d’emblée un genre controversé puisqu’elle n’applique aucun des principes édictés par Aristote dans sa Poétique.
Durval, nous l’avons vu, se situe du côté des fervents défenseurs de la liberté du poète ; il l’exprimera d’ailleurs dans le fameux Discours à Cliton qu’on lui attribue de façon certaineTemps de préface de Dotoli et La querelle du Cid de Jean-Marc Civardi.Tyr et Sidon, Tragi-comédie écrite par Jean Schélandre en 1628, défend la modernité théâtrale et attaque les règles classiques. Le point de vue de Durval est plus modéré : il ne refuse pas les apports des anciens mais prône la liberté de s’en inspirer ou non, au nom de l’inspiration créatrice du poèteLe Discours à Cliton, p. 251.
Les uns sont tellement attachez aux œuvres du temps passé, qu’ils font conscience de rien inventer, et les autres se plaisent si fort dans leurs nouvelles imaginations, qu’ils ne veulent rien inventer des anciens. Pour moi qui cherche mon milieu entre ces deux extrèmes ; je respect [
sic] autantqu’un autre les Terences, les Plautes, les Euripides et les Ménandres […] je ne croy pas que nous soyons tenus de régler nos poèmes sur les modelles des Grecs et des Latins […] Aussi, quand nos Modernes prennent de l’essor et qu’ils s’égarent en des extravagances, je commence à les quitter, mais quand ils me descouvrent un nouveau fonds de poésie, et des elegances de leur invention, je laisse les anciens derrière, sans perdre de veuë les uns ny les autres.
Les réguliers cherchent donc à conserver la protection souveraine procurée par l’autorité des anciens, le but étant l’imitation parfaite afin que la catharsis, chère à Aristote puisse s’opérer dans l’esprit du spectateur : pour pouvoir être dupé, le spectateur doit oublier le mensonge du théâtre. C’est ainsi qu’il est inconcevable d’imaginer représenter une histoire s’étalant sur dix ans en deux heures. Si l’on se réfère à Aristote, la dilatation temporelle maximale doit être de vingt-quatre heures, séquence trop courte pour que l’intrigue s’organise en conservant toute vraisemblance. Au contraire des réguliers, Durval affirme son indépendance quant à la différence entre la chose imitée et la chose qui imite. Pour lui, l’auteur doit assumer son choix : à la fin de l’ « Argument » d’Agarite, il écrit clairement qu’il s’agit d’une histoire feinte et qu’il récuse l’unité de lieu, tout en ironisant sur la querelle qui déchire défenseurs et contempteurs de l’unité de temps.
Dans l’avertissement au lecteur, Durval distingue les « poèmes composés » des « poèmes simples », les premiers traitant de deux ou trois sujets et s’étalant sur un laps de temps supérieur à vingt-quatre heures (c’est le cas de la tragi-comédie et de la pastorale), les seconds ayant une intrigue n’excédant pas vingt-quatre heures, et respectant en cela l’unité de temps (c’est le cas de la tragédie et de la comédie).
Dans Le Discours, Durval reprend la conception mimétique du théâtre telle qu’elle fut concue par Aristote ainsi que la démonstration de Chapelain dans la Lettre sur les vingt-quatre heures, avec laquelle la ressemblance est frappante.
L’enjeu des irréguliers et des réguliers est finalement le même, c’est-à-dire faire en sorte que le spectateur adhère à ce qu’il voit ; ainsi, ou bien le mensonge est d’emblée accepté et considéré comme une médiation symbolique du vrai, ou bien, l’imaginaire et les sensations parviennent à divertir le spectateur, l’illusion de la vérité étant souvent plus belle que la vérité.
La mention des quatre genres que sont la tragédie, la tragi-comédie, la comédie et la pastorale, trouvée dans la préface d’Agarite est également retrouvée dans le Discours à Cliton, page 248.
On peut considérer qu’Agarite ne correspond pas exactement aux règles en usage à l’époque. En ce qui concerne la temporalité de l’histoire, il est impossible d’évaluer le nombre de jours qui s’écoulent entre le moment où le roi est surpris dans son palais à avouer qu’il convoite une jeune fille (Acte I, scène 1), et celui où la pièce s’achève sur un triple mariage, dont celui du roi (Acte V, scène III). Agarite doit avoir le temps de fuir la ville, avec l’aide de Médon, d’y revenir pour y célébrer son mariage, et de repartir à nouveau, escortée cette fois de son amant Policaste, pour finalement revenir à la cour. L’acte I peut se dérouler en quelques heures ; en revanche, le voyage représente au moins une nuit, le temps pour Célidor de se mettre en quête du criminel qui a ravi Agarite ; l’acte II peut également couvrir une journée, deux au plus, le temps pour Lizène de trouver Médon à la ville et de lui demander sa fille en mariage et de faire quérir Agarite à la campagne. Les actes IV et V peuvent également chacun se dérouler sur une journée. Mais il s’écoule un temps plus conséquent entre les actes.
Quant à l’unité de lieu, on peut dire que Durval a relativement réussi à contourner les difficultés que pouvaient poser les changements de lieu : à cet effet, il laisse à chaque fois aux personnages le temps d’une scène : par exemple, Agarite et son père décident de partir à la campagne Acte I, scène 3. Ils n’apparaissent pas à la scène 4, ce qui leur laisse le temps de voyager. De même acte III, scène 2, le long monologue de Policaste laisse matériellement à Agarite le temps de sortir du château et de le rejoindre. En outre, le changement de scène permet une ellipse de temps entre le moment où les futurs époux et Médon discutent des bienfaits du mariage (en fin d’après midi, sans doute, juste avant que les invités n’arrivent) et celui où Agarite les laisse pour aller faire une fausse sieste, comme cela nous est révélé à l’acte suivant (V. 837). Une nuit s’écoule entre la réception au cours de laquelle Lizène est tué (acte III, scène 3) et la découverte des effets d’Agarite (Acte IV, scène 1), par les pêcheurs qui nous donnent à travers leur dialogue une indication de temps (« hier soir », vers 901). Ce long laps de temps est résumé par le jeu du changement d’acte, alors en usage dans ce genre de situations. La scène suivante où l’un des pêcheurs annonce au roi la sinistre découverte n’est pas immédiatement suivie par la reconnaissance des vêtements par les protagonistes, mais est interrompue par une scène où le spectateur retrouve Agarite et Policaste (le dramaturge rompt ainsi la tension qui s’était instaurée : Agarite et son amant arriveront-ils à bon port ?). D’autre part, cela a permis le déroulement du voyage de manière cohérente tout en provoquant une nouvelle tension : quelles vont être les réactions du roi et du père ?
Durval se sert de ces va-et-vient entre les différentes histoires pour dramatiser l’action, en créant chez le spectateur un sentiment d’attente angoissée concernant ce qui va advenir, puis son attention est détournée, avant d’être à nouveau aiguisée et ses préoccupations sont mises en attente. Ainsi trois scènes ont lieu avant que nous ne retrouvions Policaste et Agarite devant le palais (le spectateur sait que les amants ne peuvent rester dans cette situation impossible : il doivent avoir le consentement du roi pour pouvoir légitimer leur union et profiter du bonheur auquel ils prétendent, reste à savoir comment les amants vont pouvoir dénouer les nœuds de cette intrigue et guérir le roi, qui vient de se présenter sous un jour terrible, ivre de tristesse) la tension est croissante. On assiste encore à deux scènes avant de revoir Corintie et Célidor dont on ne sait pas s’ils se retrouveront alors que Célidor fait pénitence (le devoir et la force morale triompheront-ils de l’amour ?). L’arrivée de ces derniers est différée puisque pendant qu’ils retournent au palais, les autres protagonistes ont réussi à guérir le roi et avoué le stratagème mis en place. Considérant le déroulement de l’action, le temps est impossible à chiffrer, nous l’avons vu. Ce qui est sûr, c’est que la durée est inférieure à six mois et supérieure à vingt-quatre heures ; mais trop peu d’éléments existent, pour nous donner une idée de temporalité précise. On peut dire que l’histoire dure entre cinq jours (durée minimum) et un mois, mais sans aucune certitude ; il n’y a, en effet, aucun actualisant dans le texte qui pourrait nous donner une quelconque information. Ainsi, sur ce plan là, la contrainte d’Aristote n’est pas respectée.
Si l’on compare aux autres tragi-comédies de l’époque, Agarite met en scène un nombre important de lieux différents, huit au total.
Il faut également souligner l’influence de la pastorale sur la tragi-comédie : la forêt, les champs, la campagne sont les espaces des amoureux
Les lieux tels la forêt, la rivière sont des lieux ouverts qui parsèment les tragi-comédies ; c’est la frontière et le lien entre l’aire domestiquée et le monde sauvage, entre le connu et l’infini.
L’intrigue principale, est assez claire et peu parasitée par une intrigue secondaire assez superflue
Volontiers qu’elle songe aux prises qu’à ce soir Vous aurez avec elle et vous le pouvez voir.
De même, la discussion imagée des pêcheurs, vers 915 :
L’autre jour en raillant, je disois qu’une Anguille Passeroit aisément par le trou d’une aiguille, Et ma femme disoit qu’elle n’en croyroit rien. [Pescheur] I. Pauvre sot, tu devois la passer dans le sien.
Heureusement, le langage est vite corrigé par le premier des pêcheurs au vers suivant. Il en va de même pour les badinages amoureux des amants où les gestes parfois outrepassent la bienséance, et notamment lorsque ces derniers sont déguisés, ce qui donne lieu à des situations cocasses pour le spectateur qui visuellement assiste aux ébats de deux hommes, ce genre d’équivoques amusant beaucoup le public de l’époque, comme c’est le cas, par exemple acte V, scène 2.
L’amour est sans cesse personnifié sans pour autant être nommé ou que d’autres dieux ne soient évoqués. Durval, qui avait écrit Les Travaux d’Ulysse, n’a recours à aucun des dieux latins ou grecs auxquels on s’attendrait. Il est souvent fait mention d’une instance supérieure, celle de la nature ou de l’amour, mais Durval conserve une neutralité, de ce point de vue quasi religieuse.
Les références aux dieux anonymes fourmillent pourtant pour exprimer tantôt l’étonnement
Le profane et le religieux sont souvent mêlés : Agarite est divine, ses vêtements sont de véritables reliques ; les inspirations sont à la fois chrétiennes et païennes. Les dieux sont tantôt encensés, tantôt insultés, quand les événements ne sont pas favorables à celui qui profère les injures. D’ailleurs à la fin de la pièce, le roi va jusqu’à se substituer à l’image du dieu de l’amour. Ces références aux dieux servent curieusement un certain athéisme de la part de Durval. Cependant, flatter les dieux est également une façon plus ou moins directe de flatter le roi de France, Louis XIII.
De plus, la notion de destin est perçue lorsque Corintie, telle Cassandre, annonce qu’un drame va se produire à l’encontre de son frère, sans pouvoir cependant changer le cours des événements. A la fin de la pièce, les crimes sont effacés car ils furent perpétrés au nom de l’amour. Ainsi la justice divine ne tient pas devant l’amour païen, puisqu’en outre, le roi relève de son vœu Célidor, parti pour faire pénitence, comme cela était courant à cette époque où les pèlerinages, notamment ceux menant à Saint-Jacques de Compostelle, étaient très en vogue.
Le déguisement est l’un des attributs classiques de la tragi-comédie ; il témoigne d’un goût des contemporains pour l’illusionLa Sœur valeureuse de MareschalEsthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars, p. 113.
Une des particularités d’Agarite se trouve donc dans le fait qu’un ballet, celui des Quatre-Vents, est joué et représenté sur scène, à l’Acte III, scène 3Le Théâtre dans le théâtre, p. 10.Agarite, puisque deux des personnages deviennent acteurs du ballet, c’est-à-dire Lizène (contre son gré) et Célidor et deux autres assistent au spectacle, Médon et Corintie. Les acteurs devenus spectateurs regardent un spectacle comme le spectateur regarde Agarite ; il s’agit d’un dédoublement du point de vue de la structure.
Il est intéressant de se pencher sur les influences qui ont pu induire ce procédé en France mais de façon très restreinte, nous le constaterons.
Comme le souligne Georges ForestierIbid., p. 54 et suivantes.Le Théâtre de démesure et d’honneur en Europe Occidentale aux 16 e et 17e siècle, Etudes sur le théâtre français.
Agarite fait partie des « comédies nuptiales »Ibid., p. 132.Célinde, « elles constituent dans une certaine mesure une transposition du réel »Le Théâtre dans le théâtre, p. 81.
Dans notre pièce, la représentation est le support de l’assassinat de Lizène, seul moyen pour Durval de se « débarrasser » commodément d’un personnage masculin gênant, du fait qu’il y a alors sur scène trois prétendants pour une seule et même femme, et ce, en vue de rétablir l’ordre paritaire à la fin de la pièce. C’est le seul moyen pour l’auteur de résoudre un tel problème. Cependant, la pièce n’est pas jouée uniquement pour éliminer le déplaisant rapidement
L’action dramatique est suspendue le temps de la représentation, action qui reprend son cours, mais de façon modifiée, à l’issue de la représentation. Pour résumer, on peut dire que « le spectacle intérieur est rattaché à l’intrigue par un véritable lien qui se superpose à ce prétexte »Ibid.
Le spectacle apporte aussi du spectaculaire : le théâtre du peuple est fait pour divertirAgarite et le Discours à Cliton ».
En revanche, à la différence de Célinde, ce n’est pas une pièce comprenant vers et paroles qui est jouée. Le temps pris par la représentation est résumé par « Icy se danse le ballet » ; il serait intéressant de se demander combien de temps cette action a pu prendre par rapport au temps réel. En fait, il y a une élision temporelle intéressante, car, tandis que Lizène est sur le point de mourir, Agarite est déjà en route ; les deux scènes ayant lieu plus ou moins simultanément, s’enchaînent dans la pièce l’une après l’autre. Ainsi, le problème du temps se pose à nouveau : il s’agit d’une extension temporelle ; les deux actions simultanées se trouvant étalées de façon consécutive. Cependant, il est également possible d’envisager que l’assassinat soit postérieur à l’épisode du cimetière, mais cela est peu probable, puisque l’aube est prête à se lever à l’acte III, scène 2.
Cette structure enchâssante renforce l’impact du spectacle sur le spectateur, mais il reste malgré tout un élément non réel, car le spectateur y est étranger d’une part, et parce que les mécanismes du théâtre y sont saillantsLe Théâtre dans le théâtre.ibid., p. 326.Agarite : en commettant un meurtre sous les yeux du public, donc sur scène, il y a une première théâtralisation ; or, en effectuant cet acte dans une pièce jouée elle-même dans la pièce, nous parvenons à un second niveau de théâtralisation que nous pouvons nommer surthéâtralisation : en plus d’assister au spectacle du meurtre, le spectateur peut épier les réactions de Médon et Corintie, commis au rôle de spectateurs.
Durval a ainsi opté pour une mise en scène de la mort de Lizène afin d’en accroître l’aspect spectaculaire, même si l’auteur a donné une explication causale n’impliquant que la fonction dramatique, à la représentation du ballet :
En cette scène est représenté le Ballet des Quatre-Vents, lequel est dansé pour faire tuer Lizène le soir de ses noces par un stratagème inventé par Célidor.
De plus, et comme le remarque Georges Forestier
Les pistolets que nous avons Représentent l’éclair, la foudre et le tonnerre, Et nos vases pleins d’eau montrent que nous pouvons Faire pleuvoir dessus terre.
Un autre épisode est à considérer dans Agarite, il s’agit du passage où Amélise prend la place de la statue d’Agarite sur le lit de parade
Dans Agarite, figurent deux poèmes
Les deux poèmes sont des sonnets, en alexandrins et à rimes croisées, qui viennent remplacer les rimes plates ; ils sont parfaitement intégrés à la pièce et auront pour effet de dramatiser l’intrigue : force est de constater que l’un des deux prétendants se voit conforté dans son rôle d’amant, tandis que le second, apprend qu’Agarite le repousse. Dans les deux cas, le titre du sonnet est révélateur des sentiments de la jeune fille. C’est à partir de cette lecture que le second obstacle va venir contrecarrer les plans des amants : Lizène, appuyé par Médon va chercher à imposer à Agarite son amour contre son gré. C’est par le biais de ces poèmes savamment insérés dans l’histoire, que la tension dramatique va s’accélérer : dans un premier temps, la lecture du poème débarrasse les amants de l’intrus, mais dans un second temps, le dédaigné va obtenir par la force ce qu’il sait ne pas obtenir par les sentiments.
Le cartel lu par Célidor n’a pas le même nombre de vers : il comprend six strophes de quatre vers disposés de la façon suivante : un octosyllabe, deux alexandrins et à nouveau un octosyllabe. Les rimes sont croisées, comme pour les sonnets. Ce cartel a un double statut : amorcer la tension dramatique et créer un suspens : le spectateur reconnaît sans doute Célidor et sait qu’il doit éliminer le rival du roiTragi-comédie de Corneille à Quinault.
Ces stances sont dans les deux cas typographiquement isolées du texte par un saut de ligne supplémentaire et par le changement de rimes. Les sonnets ont une importance cruciale dans Agarite ; il est inenvisageable de les considérer comme des « pièces détachées », ainsi que le souligne Hélène Baby
Les stances sont à rapprocher des monologues
La présente édition a été établie à partir de l’édition originale de 1636 qui apparaît comme suit (Bibliothèque nationale de France : Yf4810) :
tragi-comédie. / dediée/ a madame / la Duchesse de Nemours. / Par le Sieur durval. / [vignette] /
(I) Verso blanc
(III-VI) Dédicace à la Duchesse de Nemours
(VII-VIII) Au lecteur
(IX-XII) Poème liminaire de Allard
(XIII-XV) Argument
(XVI) 126 pages (texte de la pièce), pagination arabe.
(1-126)
(CXXXXII) Privilège du Roi
Il existe quatre exemplaires de cette pièce dont voici les références :
Comparaison des exemplaires : aucune différence n’a été constatée, et aucune correction n’a été faite.
Dans le texte, nous avons distingué les « u » et les « v » et les « i » et les « j », initialement confondus. Nous avons également remplacé les voyelles surmontées d’un tilde par le groupe voyelle/consonne nasale (« m » ou « n ») correspondant, ainsi que les abréviations par les lettres correspondantes lorsque cela s’imposait ; le « B » a été développé en « ss ». De surcroît, nous avons rectifié les coquilles d’imprimerie ainsi que la ponctuation lorsque cela s’avérait nécessaire. Au XVIIe siècle le « a » et le « à » comme le « ou » et le « où » étaient souvent confondus ; nous les avons donc corrigés quand cela était indispensable. Nous avons cependant veillé à respecter l’édition originale ; aucune modification n’a été apportée. Les graphies différentes d’un même mot ont été reproduites dans le respect du texte.
Nous avons ajouté entre crochets les noms ou les caractères qui avaient été omis.
Madame,
Le tesmoignage, que rend le public des pieces de Theatre, n’estant bien souvent fondé que sur le bien faire des Acteurs, n’est pas une lettre de recommandation pour les faire passer à la Posterité. Celle-cy que j’ay l’honneur de presenter à Vostre Grandeur ayant esté aucunementpoesis, qui signifie genre poétique, et en particulier « œuvre poétique ». Au XVIIe, siècle, il a le sens particulier de « pièce de vers » et au sens général, celui d’ « art de faire des vers ».poiêma et désigne ce que l’on fait : une création, une œuvre. Madame, que je me veux excuser de sçavoir faire des Vers en loüant un Art souvent incommode, & quelque fois ridicule en ceux qui l’exercent, mais jusqu’icy n’ayant point fait rencherir le papier a force d’escrire, je pense n’avoir employé en ce gracieux travail que certaines heures de recreation. Pourtant quand il s’agira de traiter a bon escient quelque haut sujetles Travaux d’Ulysse comme une tragédie.
vostre Maison soient Tres Illustres dans les Histoires & que le simple discours de vostre Genealogie surpasse en magnificience le stile des Poëtes & des Orateurs j’ose vous promettre des pieces de meilleure trempe & de plus longue haleine. Alors pour faire admirer à tout le monde les Ducs, & les Chevaliers d’Aumale je traceray volontiers un plus grand dessein. Les noms de Nemours, & de Genevois me fourniront de hautes /
Madame,
De vostre Grandeur, Tres-humble & tres-obeïssant serviteur,
DURVAL./
Ne pense pas Lecteur, que je vueille mettre un long preambule au devant de cette Piece pour suspendre les opinions des maistres sur le jugement qu’ils en pourront faire. Je ne suis point si amoureux de mes Poëmes que je ne les supprime tres volontiers, quand ils seront condamnés par des Juges competants. Cependant & jusqu’à tant que nos Poetes & nos Orateurs soient erigés en tiltre d’office, je n’estime pas qu’ils se puissent attribuer une souveraine juridiction sur les matieres de Prose ou de Vers. Et je crois qu’il me doit estre permis comme à plusieurs autres d’en dire mon petit mot pour le temps que j’ay mis à lire les œuvres de quelques-uns qui me semblent plus curieux de trouver de nouveaux accents en nostre langue par la nouvelle orthographe que d’animer & polir leurs escrits par la force de leur genie & par les graces de l’Eloquence acquise. Je ne les veux point choquer plus rudement de peur que le contre coup ne me fasse mal, car je ne sens point en moy plus de vigueur qu’ils en peuvent avoir, & les def/Les Travaux d’Ulysse, selon Lancaster, il est probable qu’au fond Durval la considère comme une tragédie.Panthée, en 1639, Durval affirme que la restriction impliquée par la discipline rigoureuse qu’imposent les règles des unités, entraîne une restriction de l’esprit : « L’effet de cette loi nouvelle / Est de décomprimer la cervelle, / De rétrécir l’entendement, / D’affaiblir l’imaginative (…) ».Les Travaux d’Ulysse et Agarite (qui sont deux tragi-comédies), et Panthée (l’unique tragédie de Durval). Il nous est impossible de dire quelle a été la quatrième pièce, écrite certainement à ce moment-là.Panthée et dans le Discours à Cliton, ce qui rend quasi-certaine l’attribution du Discours à Durval.
hors de la mesme regle, comme Poemes composés
Agarite jeune Damoiselle, mais trop agreable aux yeux d’un Roy est sollicitée par Celidor, son favory. Medon pour eluder cette artificieuse poursuite, se vient plaindre à la Majesté du rapt qu’il suppose avoir esté fait de sa fille. Cependant il la depaïse & l’envoye aux champs en une maison de plaisance. Elle n’y est pas si tost que deux Gentilshommes en deviennent amoureux. Policaste gaigne son cœur, & Lisene provoque sa haine. Cetui-cy d’aussi bonne maison que son Rival, & plus riche que luy : pour mieux reüssir en sa recherche vient trouver le pere, qui le reçoit comme il desire ; & envoye querir sa fille pour les accorder. Corintie en l’absence de son Frere est cajolée par Celidor, qui en devient amoureux en cherchant Agarite, mais comme elle ne peut l’entretenir longtemps, il retourne aupres du Roy rendre compte de sa Commission. Là il apprend par le commun bruit, & la bouche du Roy, le Mariage que Medon pretend faire, & sur le soupçon qu’ils ont que c’est pour reparer le rapt commis, ils deliberent de se défaire du marié le soir de ses nopces, & d’enlever la mariée. Mais Policaste, executant le premier un autre stratageme, dont il est demeuré d’accord avec Agarite, frustre le dessein du Roy une seconde fois. Le soir de ses nopces venu, Agarite est ravie par son Amant, & conduite par eau dans une place forte. Lisene son espoux est tué dans un Balet inventé exprés par Celidor & Medon n’est pas plus affligé de la perte de sa fille & du meurtre de son gendre que le/
Une consideration m’empesche de nommer le Royaume & la Province où j’ay feint cette Histoire. Je diray seulement contre l’opinion de ceux qui veulent que la Scene soit en un seul lieu, qu’une partie des adventures de ce Poëme se passe aux champs, & l’autre à la ville, s’ils ne veulent prendre pour un seul lieu toute une contrée
ACTE I.
ACTE I.
ACTE I.
ACTE II.
ACTE II.
ACTE II.
ACTE II.
ACTE II.
AUX DAMES.
ACTE IIII.
ACTE IIII.
ACTE IIII.
ACTE IIII.
ACTE IIII.
ACTE V.
ACTE V.
FIN
Louis, par la grace de Dieu, Roy de France & de Navarre, A nos amez & feaux Conseillers les Gens tenans nos Cours de Parlement de Paris, Roüen, Tholoze, Bordeaux, Rennes, Aix, Dijon, Grenoble, Metz, Prevost dudit Paris, Seneschaux de Lyon, Poictou, Anjou, Baillifs, Prevosts & tous autres nos justiciers & Officiers qu’il appartiendra, Salut. Nostre bien amé François Targa, Marchand Libraire de nostre bonne ville de Paris, nous a fait remontrer qu’il a nouvellement recouvré un Livre, intitulé, Agarite, Tragi-Comedie, faite par le sieur Durval, lequel il desireroit imprimer & mettre en vente. Mais il craint qu’aprés les frais qu’il a déja faits, & qu’il luy convient faire pour la perfection dudit Livre, quelques autres Imprimeurs & Libraires ne se voulussent ingerer de l’imprimer, & mettre en vente, & le frustrer par ce moyen du fruict qu’il espere de son travail, Nous requerant tres-humblement nos Lettres à ce necessaires. A ces causes, Nous avons audit exposant, permis & permettons par ces presentes, de faire imprimer, vendre, & distribuer ledit Livre pendant le temps & espace de six années à compter du jour qu’il sera parachevé d’imprimer. Pendant lequel temps Nous avons fait tres-expresses inhibitions & defenses à tous Imprimeurs & Libraires de nostre Royaume, & à toutes autres personnes, de quelque qualité & condition qu’ils soient, d’imprimer, ou faire imprimer, vendre, ou distribuer ledit Livre, sans le congé de l’exposant, Sur peine aux contrevenans, de cinq cents livres d’amende, & confiscation des exemplaires qui se trouveront imprimez, & mis en vente au prejudice des presentes. Voulons en outre qu’en mettant au commencement, ou à la fin de chacun desdits livres autant de cesdites presentes, ou l’extraict d’icelles, qu’elles soient tenuës pour signifiées et venuës à la cognoissance de tous. A la charge de mettre deux exemplaires de chacun dudit livre en nostre Bibliotecque, gardée aux Cordeliers de nostre bonne ville de Paris, & une autre és mains de nostre tres-cher et feal le Sieur Seguier, Chevalier, Garde des Sceaux de France, avant les exposer en vente, à peine d’estre décheu du present Privilege. S
i vous mandons
Par le Roy en son Conseil.
Signé FARDOIL.
Achevé d’imprimer le deuxiesme jour de juin mil six cens trente-six.
Les Exemplaires ont esté fournis en la Bibliotheque du Roy, & à Monseigneur le Chancelier.
Liste des abréviations :
A très-haut et puissant Prince, Henry de Savoye, Duc de Genevois, de Nemours et d’Aumalle, Comte de Geneve, et de Gisors, Marquis de Sainct Sorlin, etc.
Monseigneur,
Il vous semblera peut-être que je fais une faute de me donner au public en un temps où j’ay esté entierement vostre. Mais quand ce livre, que je dedie à Vostre Grandeur ,
Celle-cy (Monseigneur) est la premiere que j’ay faite, et par consequent elle ne peut pas estre la meilleure : Pourtant elle a esté assez bien reçeuë, et il me souvient qu’à Fontaine-bleau lors qu’elle fut représentée devant le Roy, vous daignastes l’approuver. Sa Majesté fut si contente de vous ouïr, que ce Heros qui vous servit d’entretien n’a jamais reçeu tant de gloire des acclamations publiques de toute la Grece, ny de la plume des bons Autheurs, qu’il en receut, en presence d’un si grand Roy, de la bouche d’un si grand Prince. Deslors je me sentis obligé de vous dedier ce Poëme (outre l’inclination que j’y avais, pour l’estime que vous faites des belles sciences) et vrayment rien ne m’en a empesché jusqu’à present qu’une occasion d’estre cognu de vous, que j‘ay tousjours attenduë, et qui enfin m’est arrivée fort à propos. Vous sçavez trop ( Monseigneur)
Monseigneur,
De vostre Grandeur,
Le tres-humble, tres-obeïssant et tres-obligé serviteur, J.G.Durval.
ACTE IV, Scène 3, Thisbé seule.
ACTE V, Scène I, Pyrame seul.
Tu me demandes, ClitonCid et des observations que nous en avons. N’est-ce pas me vouloir mettre mal avec l’un ou l’autre de nos Autheurs qui sont en querelle, et peut-estre avec tous les deux ensemble ? veritablement si j’estois assez habile homme pour trouver un moyen de les accorder, j’amerois mieux faire le hola
Je me suis trouvé une fois dans le pareterre, et une autre fois dans les galleries à la representation de ce nouveau Poëme ; et je suis tesmoin de ce qu’en disent encore les sçavants, et les ignorants, la cour et le bourgeois, comme remarque nostre Observateur : je n’en connois l’Autheur que de nom, et par les affiches des Comediens. Or à cause que je fais quelque fois des vers
Mon dessein est bien de m’y
Il s’agit de sçavoir, comme doit estre disposé le Poëme Dramatique, qui n’est autre chose qu’un oeuvre
Les uns sont tellement attachez aux œuvres du temps passé, qu’ils font conscience de ne rien inventer, et les autres se plaisent si fort dans leurs nouvelles imaginations, qu’ils ne veulent rien imiter des Anciens. Pour moy qui cherche un milieu entre ces deux extremes ; je respect (sic) autant qu’un autre les Terences, les Plautes, les Euripides, et les Ménandres (…) je ne crois pas que nous soyons tenus de regler nos poëmes sur les modelles des Grecs et des Latins, quand il nous vient quelque lumiere qu’ils n’ont pas euë, ou quelque grace dont ils ont manqué. Aussi quand les modernes prennent l’essor, et qu’ils s’esgarent en des extravagances, je commence à les quitter, mais quand ils me descouvrent un nouveau fond de Poësie, et des elegances de leur invention, je laisse les anciens derriere, sans perdre de veuë les uns ny les autres. (…) Nos Réguliers ne veullent au Theatre qu’une action principale, un temps reglé de vongt-quatre heures, et une Scene en un seul lieu. Et d’autant que cette Regle generalementprise, semble exclurre toute autre façon de disposer un Poëme Dramatique : mon dessein est de montrer qu’elle n’est point générale ny necessaire, et que l’observation est non seulement dificile, mais absurde et vicieuse (…).
Pour ce qui est des anciennes pieces des Grecs et des Latins, sur les patrons desquelles, celles des italiens semblent estre faites, je demeure d’accord de quelques unes, mais non pas pour les tirer en conséquence, et en faire une regle generalle : car il est bien vray qu’un effet Tragique ou Comique pouvant arriver en une journée, est naturellement disposé à estre discouru et representé dans un pareil temps, mais il faut sçavoir que tels Poëmes, dont les circonstances et les evenements se terminent à un jour, sont Poëmes simples. Les autres qui sont composez de deux ou trois sujets remplis d’effects et d’incidents sont hors de la Regle de vingt-quatre heures, et demandent un plus long temps pour estre representez, non toutesfois si long qu’il seroit si les choses se faisoient, mais tel que les Auditeurs en puissent discerner une partie est supposer l’autre (…). Pour monstrer aux opinastres que je ne parle point sans authorité, et que la distinction que j’ay apportée des poëmes simples et composez, n’est poinct une loy nouvelle, j’ay à leur dire qu’Aristote l’a escite en sa Poëtique (…). Je dis par la raison, en ce que, comme dans la nature, rien n’empesche que deux choses de mesme essenc (sic) ne puissent estre joinctes, et ne puissent faire ensemble un plus grand corps, et occuper un plus grand lieu qu’elles ne faisoient chacune à part : De mesme il n’y a nulle absurdité que deux ou plusieurs sujets simples de Tragedies ou Comedies ne puissent estre joints, et ne puissent faire ensemble un Poëme composé, qui demandera un plus long temps et un plus grand lieu pour sa representation qu’il n’en faloit pour representer chacun separement. (…) Par l’unité d’action ils
Cependant il me suffit que les pieces que j’ay faictes, quoy qu’en petit nombre, parviennent és mains de ceux que j’honore et que je cheris, et qu’elles prejugent à l’avenir ce que j’aurois pu faire de plus. Si je renonce au mestier, ce n’est pas qu’il me déplaise, ny que je m’en lasse, mais je ne le puis faire ny en Mercenaire, n’ayant pas le cœur si bas, ny gratuitement, n’en pouvant gratifier que des Comediens, autant indignes du bien qu’on leur fait, qu’ils sont incapables de juger des pieces qu’on leur donne.
TRUCHET, Jacques, La Tragédie classique en France, Paris, PUF, collection « SUP », 1975.