En 1647, Gillet de la Tessonnerie fait représenter avec succès semble-t-il Le Desniaisé, sixième pièce de son œuvre théâtrale. La vie de cet auteur nous est assez mal connue. Né en 1619 ou 1620, H.C. LancasterA History of French Dramatic Literature in the Seventeenth century, p. 245.
C’était un homme cultivé qui avait lu Montaigne, Sorel, Causin, Charron, Curé de La Chambre et Marandé, mais il montrait peu d’estime pour la poésie dramatique, y compris la sienne. C’est ainsi que nous pouvons lire dans certaines de ses épîtres la dévalorisation de l’œuvre qu’il présente. Signalons cette épître dédiée à « Monseigneur le Mareschal de Schomberg » de La Quixaire, où Gillet déclare « je ne veux faire des vers que pour me divertir, & pour employer de mauvaises heures que ma mauvaise fortune me donne bien plus souvent que je ne voudrois, mon ambition n’est point d’entendre prononcer mon nom sur le Theatre, ny de le voir afficher au coing des rues ». Puis il ajoute : « Je n’ay jamais faict estat de me signaler de cette façon, & les Comediens peuvent asseurer que j’ay pris si peu de soing à leur faire representer que je n’ay jamais veu leur Theatre toutes les fois qu’ils l’ont fait voir au peuple […] ». Gillet signale encore que « la piece toute deffectueuse qu’elle est, peut donner de l’instruction »Le Triomphe des Cinq Passions.Campagnard où « on voit […] qu’il avait étudié l’astrologie, la chiromancie et les sciences occultes, qu’il avait quelque connaissance et quelque goût des arts, spécialement de la peinture et de la musique »Les Contemporains de Molière.
On perd sa trace après sa dernière comédie, Le Campagnard, éditée en 1657.
Jeune auteur, il commença à écrire vers vingt et composa la majeure partie de son œuvre entre 1640 et 1648 ainsi qu’une comédie composée en 1657, après neuf années où Gillet n’écrivit rien. Cette absence des auteurs dramatiques s’explique par les troubles de la période historique : l’éclatement de la Fronde parlementaire en 1648, provoquant la fuite de la Régente Anne d’Autriche, conflit résolu en 1649 par la Paix de Rueil mais à laquelle fait suite la Fronde nobiliaire qui éclata de 1650 à 1653. Cette théorie se vérifie si l’on considère que, de 1649 à 1652, les deux scènes parisiennes du Marais et de l’Hôtel de Bourgogne diminuèrent le nombre de leurs représentations, et que Boyer, Desfontaines, Gilbert et Mareschal cessèrent, eux aussi, d’écrire.
Essentiellement auteur dramatique, Gillet s’illustra dans trois genres théâtraux : tragi-comédie, comédie et tragédie. On compte cinq tragi-comédies : La Belle Quixaire (qui a pour autre titre La Quixaire) en 1640, La Belle Policritte (qui a pour autre titre La Mort du grand Promédon ou l’exil de Nérée) et Le Triomphe des Cinq Passions en 1642, L’Art de Régner ou le Sage Gouverneur en 1645, Le grand Sigismond, prince polonois ou Sigismond, duc de Varsau en 1646. Il composa trois comédies : La Comédie de Francion en 1642, Le Desniaisé en 1648 et Le Campagnard en 1657, et une tragédie La Mort de Valentinian et d’Isidore. Il écrivit un roman en 1642, le Triomphe de l’Amour Honneste ou les sentiments amoureux de Philandre (qui prit pour titre en 1653 Platon, ou De l’Amour honneste). Il s’est aussi livré à l’écriture de poèmes de louange pour d’autres poètes. Ainsi, J-P Chauveau signale qu’un « feu M. Gillet » figure dans L’Esclite des bouts-rimés en 1649 et qu’un certain Gillet appose son nom à un poème dans les Chevilles de Me Adam en 1644Dictionnaire des Littératures de langue française, article « Gillet de la Tessonnerie », étude de J.-P. Chauveau.
Le Campagnard fut sa pièce la plus connue, tout au moins à son époque, et L’Art de régner a franchi les frontières nationales et a fait l’objet d’une traduction à Amsterdam en 1667 De Regeerkunst « by Jacob Lescaille ». Le talent théâtral de Gillet a été salué par plusieurs dramaturges reconnus. La Quixaire a ainsi été applaudie par quelques grands écrivains. Citons, par exemple, cette épigramme de Tristan :
Ta Quixaire a tant de merite Qu’on n’en peut assez bien parler : Hors sa cadette Policrite, Rien ne la sçauroit egaler. Mais toute la France est en peine Si quelque charme te rameine De ton Automne en ton Printemps : Et cela surprend nos pensées Qu’un homme qui n’a que vingt ans, Ait faict deux filles si sensées Epigramme, A Monsieur Gillet sur sa Tragi-comédie de Quixaire, Tristan dansDiverses Comédiesde Maréchal des Rosiers.
Ces quelques vers soulignent que Gillet a connu une certaine gloire en son temps et que l’oubli où il est tombé n’est en rien représentatif de son époque. Le Desniaisé a soulevé une énigme littéraire, quant à sa ressemblance avec le Docteur amoureux de Molière : qui a emprunté le canevas de l’autre ? La thèse d’A.-J. Guibert, selon laquelle Le Desniaisé est postérieur au Docteur amoureux, a été récemment contredite par l’universitaire P. LeratLe Docteur amoureux suivi du Desniaisé, A.-G. Nizet, Paris, 1973.
Si l’originalité et la qualité d’écriture de Gillet sont mises en cause par plusieurs théoriciens du théâtre, ceux-là mêmes lui reconnaissent cependant la particularité d’avoir créé son propre fonds et de ne pas avoir emprunté les intrigues comme il était, alors, d’usage.
Gillet s’inspire de la comédie humaniste, appelée aussi « à l’italienne », qui tire elle-même ses sources de la comédie de l’Antiquité représentée par les œuvres de Plaute et de Térence. H.C. Lancaster fait remarquer qu’« aucune source n’a été découverte, mais l’importance donnée à un pédant suggère que la pièce a rapport avec la comédie italienne »A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth century, vol. I, part II, p. 484.
Gillet s’est très certainement souvenu de la scène 4 de l’acte III de la E. Linthilac, Folie du SageA History of Frenh Dramatic Literature in the Seventeenth century, vol. I, part II, p. 485.Histoire générale du théâtre en France, Genève, p. 129-133.
Le Desniaisé contient des références à des romans contemporains. Ainsi, sont cités, à la scène 6 de l’acte IV, les romans suivants : Cassandre de la Calprenède publié de 1642 à 1645, Ibrahim de Mlle de Scudéry en 1641 et Polexandre de Gomberville en 1629 ainsi que trois tragédies, deux de Corneille, Rodogune, jouée en 1644 et Heraclius, joué en 1646 et 1647 et une de Du Ryer, Thémistocle, pièce jouée à la fin de 1646 ou au début de 1647.
Ariste, héros éponyme de cette pièce joue le rôle de l’ingénu amoureux pour retrouver, en toute impunité, son amante Olimpe. Oronthe l’a, en effet, ravie de sa Provence natale et ne souffre pas qu’on la voie sans son consentement. Ariste, pour son jeune esprit naïf, est donc invité à divertir cette beauté de sa mélancolie. Ces divertissements sont préparés par Oronthe et Climante, amoureux secret d’Olimpe. Ils ont pour but de ridiculiser le jeune amant. Olimpe prévient Ariste, la première fourberie échoue. Oronthe et Climante en concertent une seconde qu’ils tiennent pour réussie. Après plusieurs scènes où Ariste et Olimpe gardent leur masque et convainquent Oronthe de leurs fausses identités, un exempt vient arrêter Oronthe sur l’ordre d’Ariste. Les deux amants posent le masque et Oronthe et Climante comprennent qu’ils sont les vrais naïfs de cette pièce. Cette intrigue principale est redoublée par l’intrigue secondaire des valets. Contrairement à leurs maîtres, ils déclarent leur flamme sans masque. Ainsi, si Pancrace fait part, à plusieurs reprises, de ses sentiments amoureux à Lisette, celle-ci préfère Jodelet qui l’éconduit vertement.
I, 1 La pièce s’ouvre sur son thème fondamental : le mensonge. Climante, amoureux secret d’Olimpe, prodigue ses enseignements au jeune naïf, et amant de la même Olimpe, sur la meilleure façon de mentir.
I, 2 Ariste pose son masque de jeune amant naïf et dévoile sa véritable personnalité devant son valet Jodelet auquel il apprend sa volonté de soustraire Olimpe à son ravisseur Oronthe. Son esprit clairvoyant et parfaitement conscient des manœuvres de ses rivaux se distingue dans le dévoilement de la stratégie amoureuse de Climante. Le spectateur comprend alors que tous les personnages jouent des rôles et que la pièce est placée sous le signe de masques, faux semblants et identités déguisées.
I, 3 Seule scène (hormis la dernière du dernier acte) où tous les personnages sont réunis pour une représentation des relations exposées à la scène précédente. Ariste déclare son amour à Olimpe, qui l’accepte. Sur les suggestions de Climante et afin de divertir Oronthe qui assiste à ces échanges d’aveux amoureux, Ariste se livre au récit d’une aventure épique, amusant toute l’assemblée. Les maîtres vont dîner.
I, 4 Jodelet et Pancrace, valets respectifs d’Ariste et d’Oronthe, s’entretiennent sur l’amour. Pancrace se lance dans une pédante dissertation philosophique, à laquelle Jodelet, lassé, met un terme en le quittant.
II, 1 Première scène où, Ariste et Olimpe étant seuls, les sentiments sont authentiques. Olimpe se réjouit de sa situation car elle a pu préserver son honneur en donnant des espérances à Oronthe. Elle apaise la fureur d’Ariste qui souhaite que le crime soit déjà puni.
II, 2 La complicité d’Oronthe et de Climante se révèle dans leur entente à se jouer d’Ariste : Oronthe commande à Climante des stances qu’Ariste déclamera, ingénument, à Olimpe. Le voyant hésiter, Oronthe lui propose de stimuler sa muse en pensant à Olimpe.
II, 3 Le vieil Oronthe s’informe prestement auprès d’Olimpe de sa conversation avec Ariste. Elle lui apprend qu’il lui a promis de donner sérénade prochainement.
II, 4 Oronthe donne ses instructions à Climante pour la composition de la stance.
II, 5 Après avoir concerté cette fourberie avec Climante, Oronthe en informe Olimpe qui doit jouer son rôle afin de berner Ariste le soir même.
II, 6 Climante fait part de son projet de stances à Oronthe et à Olimpe. Ces derniers lui conseillent d’y travailler encore. Tous se félicitent et se réjouissent à l’avance de ce mauvais tour dont Ariste est la victime. Olimpe échappe à l’intimité qui l’attend avec Climante grâce à l’arrivée de Pancrace.
II, 7 Le pédant docteur Pancrace courtise, pour le moins de façon burlesque, Lisette. Celle-ci lui échappe en prétextant ses tâches domestiques. Pancrace, seul, s’adresse alors à l’Echo.
III, 1 Climante fait part à Olimpe de la douleur de ce stratagème par lequel il déclare son amour par l’intermédiaire d’Ariste. Dans une réponse à double-sens, Olimpe fait comprendre aux spectateurs que les discours de ce faux ingénu lui conviennent. Pour ne pas éveiller les soupçons, elle expose à Climante les avantages de cette situation.
III, 2 La venue d’un marchand importune Olimpe qui décide finalement d’aller à sa rencontre. Pour Climante, il s’agit d’un « surveillant ».
III, 3 Climante promet un beau divertissement à Olimpe. Nouvelle tentative de séduction amoureuse de Pancrace envers Lisette.
III, 4 Pancrace exprime toute sa douleur dans des stances dont l’érudition éloigne de tout épanchement authentique.
III, 5 Ariste s’introduit de nuit chez Olimpe qui l’informe de la feinte que veulent lui jouer Oronthe et Climante. Ariste lui fait part, quant à lui, de ses intentions pour faire échouer ce projet. Cet entretien prend ensuite une tournure plus galante.
III, 6 Jodelet déguisé en « Archer » se livre à une réflexion sur la condition de sa vie. Il pense que ce déguisement doit favoriser les amours de son maître.
III, 7 Un caporal vient arrêter Jodelet, à grand renfort de coups, en l’accusant d’imposture.
IV, 1 Oronthe pense être arrêté pour le ravissement d’Olimpe. Il se prépare à quitter Paris et informe son valet des dispositions à prendre : mensonges et déguisements pour fuir avec Olimpe. Il rappelle la préparation de la feinte pour berner Ariste.
IV, 2 Climante informe Oronthe que la fourberie préparée a échoué. Olimpe ne manque pas de se moquer de ces « trompeurs trompés ». Pour se venger, ils élaborent une autre feinte : la scène de la sérénade.
IV, 3 Oronthe s’informe auprès de Lisette de l’activité d’Olimpe : elle écrit. Lisette s’épanche sur ses sentiments au sujet de Jodelet.
IV, 4 Arrive Jodelet qui dit attendre des violonistes. Lisette essaie, en vain, de le retenir, tentatives entrecoupées de déclarations amoureuses.
IV, 5 Pancrace se désole de l’absence de Lisette. Il se querelle avec Jodelet, le traitant d’ignorant. Jodelet révèle à Pancrace l’amour que lui porte Lisette.
IV, 6 Ariste, accompagné de sa troupe de violons, donne sérénade. Climante, déguisé, fait de même. Se querellant, les deux amants rivaux décident de mettre fin à cette dispute en prenant Oronthe pour arbitre.
IV, 7 Oronthe déclare la victoire d’Ariste. Cette affaire divertit au plus haut point Oronthe et Climante qui l’avaient concertée.
V, 1 Ariste annonce à Olimpe l’imminence du dénouement. Les amants expriment leurs sentiments amoureux dans une déclaration authentique.
V, 2 Climante, caché, surprend la conversation amoureuse des deux amants. Jodelet prévient Ariste de l’arrivée de l’exempt.
V, 3 Oronthe et Climante préméditent une nouvelle fourberie pour se jouer une dernière fois d’Ariste.
V, 4 Scène de feintes et de faux semblants : Climante joue à être en colère ce que révèle Oronthe à la fin de la scène.
V, 5 Olimpe et Ariste expriment leur impatience de voir arriver la fin.
V, 6 Après les révélations de Climante, Oronthe reproche à Olimpe son amour pour Ariste. Feignant de croire qu’il s’agit d’une nouvelle feinte, elle parvient à l’apaiser.
V, 7 Oronthe apprend qu’on vient l’arrêter, il confie Olimpe à Ariste.
V, 8 L’exempt arrête Oronthe. Ariste pose le masque. Les fausses identités sont révélées.
Comme l’indique l’achevé d’imprimer, la première édition de la pièce date du 28 mai 1648. Le Desniaisé a été joué l’année précédente, très certainement sur la scène du Marais. S. W. Deierkauf-Holsboer affirme qu’il « est certain que du Ryer a porté sa tragédie Thémistocle et Gillet de la Tessonnerie sa comédie Le Desniaisé à la scène du Marais » et elle ajoute que « ces deux pièces ont été mises au répertoire du théâtre de la rue Vieille-du-Temple en 1647 »Le Théâtre du Marais, p. 16.Rodogune, Heraclius et Themistocle sont mentionnés dans le texte indiquent qu’elle a été représentée, pour la première fois, au début de 1647 »A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth century, vol. I, part II, p. 484.Heraclius et Thémistocle n’ont pas été représentés antérieurement au 9 mars 1647, mais avant le 28 mai 1648. » S. W. Deierkauf-Holsboer, Le Théâtre du Marais, vol. II, 1648-1673, p. 18.
Si Gillet de La Tessonnerie est aujourd’hui un dramaturge dont le nom est oublié, il en va tout autrement en ce deuxième tiers du XVIIe siècle. C’est en effet un auteur à la mode qui a déjà fait représenter plusieurs pièces, accueillies favorablement par le public d’alors. Pour preuve de cette notoriété, signalons qu’au Printemps 1647, plusieurs personnes aident les comédiens du Marais, désemparés par la réorganisation de leur théâtre ordonnée par le Roi, à continuer les représentations, personnes parmi lesquelles, comme l’indique S. W. Deierkauf-Holsboer, « certains auteurs en renom de cette époque notamment du Ryer et Gillet de La Tessonnerie », et cette historienne ne manque pas de souligner que ces deux dramaturges « ainsi que les comédiens du Marais qui ont interprété les héros des pièces […] ont eu un grand succès » Ibid., p. 16. Le Desniaisé mais concluent cependant qu’ils « ne dout[ent] point que cette Piéce, rendue au Théâtre par Jodelet et ses camarades, n’ait eu beaucoup de succès »Histoire du théâtre françois depuis son origine jusqu’à présent, tome 7.
P. Lerat a démontré que la pièce de Gillet a influencé Le Docteur amoureux que l’on attribue à Molière, pièce comique où la mise en scène de certains personnages et de leurs actions rappelle celle du Desniaisé. Ce pillage par cet illustre emprunteur suggère l’intérêt de la pièce. Si cet emprunt est très probable, il n’est pas certifié que le même Molière se soit souvenu de la scène 4 de l’acte I du Desniaisé pour écrire sa scène 6 de l’acte II du Dépit amoureux (représenté en 1656) ainsi que la scène 4 du Mariage forcé (représenté en janvier 1664). Cette scène du Desniaisé, où le pédant, intarissable, se livre à un développement hors de propos à la question posée par Jodelet, est courant dans la commedia erudita. « La similitude est uniquement due au fait que Gillet et Molière ont inséré dans leur comédie une scène italienne traditionnelle. […] Les scènes du pédant sont un des grands classiques de la comédie érudite italienne. Leur déroulement est invariablement le même : questionnement d’un personnage, réponse du pédant en logorrhée et divagations, interruption du délire verbal obtenue laborieusement par les grands moyens. […] A défaut de toute similitude plus probante que le contenu général de la scène et qu’une vague articulation commune, on ne peut soutenir l’hypothèse d’une utilisation du Desniaisé »Les sources de Molière, p. 96, 197, 431.Docteur amoureux, le Pancrace du Mariage forcé et le Docteur de La jalousie du Barbouillé rappellent le Pancrace de la pièce de Gillet, il ne semble pas impossible que ces scènes de Gillet et de Molière soient des traductions indépendantes l’une de l’autre d’un passage d’une comédie italienne.
Le Desniaisé a fait l’objet de plusieurs éditions dans le deuxième tiers du XVIIe siècle. J. Gay, en 1873, réédite la pièce et, exactement un siècle plus tard, P. Lerat confronte la pièce avec le Docteur amoureux.
Comme toutes les autres pièces de Gillet de La Tessonnerie, Le Desniaisé tombe vite dans l’oubli. Seule l’énigme littéraire - antériorité ou postérité par rapport à la pièce attribuée à Molière - lui a assuré une survie toute relative.
Alors que D’Ouville fait représenter L’esprit FolletL’Esprit Follet, D’Ouville, représenté en 1638 ou en 1639.Le Desniaisé dont l’intrigue s’inspire des comédies à l’italienne. Si « la comédie d’intrigue d’imitation italienne a encore de beaux jours, […] la comédie burlesque, plutôt issue de la comedia espagnole, manifeste pendant toute une génération une insolence et une démesure inattendues »Lire le comique, p. 80.Desniaisé fait donc preuve d’originalité.
Les comédies à l’italienne mettent en scène les amours contrariées d’un jeune homme inerte qui se heurte au manque d’argent ou à la volonté contraire d’un père mais il sera aidé dans son entreprise de conquête par son valet rusé. Dans Le Desniaisé, le jeune Ariste est confronté au barbon Oronthe et au prétentieux Climante. Néanmoins, alors que l’intrigue typique de la comédie à l’italienne met en scène un valet qui est le moteur de l’action de la pièce, Gillet présente un jeune amant rusé et intrigant et un Jodelet, fanfaron et couard, qui rappelle le valet des comédies de Scarron. Cette intrigue, qui présente deux amants voulant conquérir la jeune fille mais bafoués par le faux-naïf, implique la mise en scène du comique d’autant plus que les relations hypocrites entre les maîtres sont redoublées par le jeu burlesque des valets dont les rapports sont tout aussi faux. En effet, le pédant Pancrace qui aime Lisette échoue dans ses entreprises de déclarations amoureuses de la même façon que la suivante ne parvient pas à séduire Jodelet.
L’amour est le lien affectif qui conduit Ariste à désirer Olimpe. Ce type de modèle met en valeur que le « sujet veut pour soi-même l’objet de la quête et à la place du “destinateur” il y a une force “individuelle” (affective, sexuelle) »Lire le théâtre I, p. 51.
Personnage typique des comédies latines ou de la commedia erudita, Oronthe, le cocu de la pièce, enlève la jeune Olimpe et se croit aimer d’elle. « Le comique naît alors des situations contradictoires que son statut, lui-même contradictoire (vieillard et amoureux sont deux termes incompatibles), l’amène à endosser »Lire la Comédie, p. 76.Art poétique, Paris, Gallimard, 1985, v. 374-390, p. 142.
Mais qui croiroit jamais une telle innocence ?
Cette réplique dénonce son incompréhension totale. Cet aveuglement se manifeste par l’emploi redondant qu’il fait du lexique même de la clairvoyance, convaincu de sa parfaite entente de la situation : « qui croiroit », « au dela de toute la creance », « vous connoissez », « Je ne l’aurois pas ceu ». C’est ainsi qu’Oronthe demande à Climante la composition d’une stance mais celui-ci feint la stérilité de son imagination poétique. Il lui propose, alors, très naïvement de songer à Olimpe. Climante révèle ses sentiments à la barbe d’Oronthe sans que celui-ci en comprenne les véritables significations. Alors qu’Oronthe déclare :
Pensez à ces beaux yeux, conservez en l’image
Climante répond malicieusement :
Il est bien mal-aisé d’y penser davantage II, 2 ; v. 450-454, 499, 500.
Le comique naît de la naïveté d’Oronthe qui, à quatre reprises, expose, avec force précisions et détails, les atouts et les charmes de la jeune fille. Quelques scènes plus tard, ce vieux barbon aveugle demande à Climante de se montrer jaloux pour jouer un bon tour à Ariste, ne se doutant pas qu’il l’est effectivement :
Si vous feigniez de voir d’un œil d’envie Qu’il passe avecque nous trop doucement sa vie V, 3 ; v. 1636-1637.
C’est la discordance entre ce que le personnage croit dire et ce qu’il dit qui est ici à l’origine du comique. Ainsi, le spectateur, qui connaît le jeu des faux semblants, a le plaisir malicieux de mieux comprendre la situation. L’inadéquation des paroles à la situation se trouve de cette façon dans « l’esprit de celui qui parle, et non dans ses propos qui correspondent trop bien à la réalité. Le comique des mots tient à la situation où se trouve le personnage qui les prononce, qui les rend comiques »La comédie avant Molière, 1640-1660, p. 279.
Les déclarations de fidélité d’Olimpe se révèlent, en effet, trompeuses. Ainsi, elle le rassure après avoir conçu la feinte qui a pour but de ridiculiser Ariste :
Dans la melancholie où vous m’aviez plongée, Je confesse qu’en fin je vous suis obligée II, 5 ; v. 566-567.
Cette déclaration d’Olimpe satisfait pleinement Oronthe qui n’entend pas la tonalité implicite de la réplique. Lorsqu’il imagine la dernière fourberie, sa confiance est telle qu’il assure :
Un clin d’œil la pourra mettre de la partie : Et la correspondance est telle entre nous deux Q’un regard la dispose à tout ce que je veux. V, 3 ; v. 1656-1658.
Peu avant le dénouement, Climante révèle la relation des deux amants à Oronthe. Leur « flâme » lui apparaissant « toute claire », Oronthe laisse éclater sa colère en reprochant à Olimpe son infidélité. Celle-ci parvient à renverser la situation en lui faisant croire que ses relations avec Ariste participent entièrement de leur complicité. Rassuré par la confiance qu’Olimpe semble lui témoigner, Oronthe rapporte naïvement les confidences de Climante. Olimpe répond sur un ton ironique :
Hé bien ! sçay-je en donner, mesme aux plus fins esprits ? V, 6 ; v. 1842-1843, 1867.
Cette dualité de caractère qu’Olimpe met en jeu souligne la crédulité du vieux barbon jaloux. Le public, mis dans la confidence de ce jeu de masques et de fausses apparences, établit le décalage entre ce que croit Oronthe et le sens réel des paroles d’Olimpe, de là naît le ridicule d’Oronthe. Le défaut de sagacité d’Oronthe conduit donc à une mauvaise compréhension des situations et les spectateurs assistent, en ce sens, à des déclarations d’amour voilées entre Ariste et Olimpe. Oronthe, victime du déguisement d’Ariste, est comique. Ainsi, le public « rit de l’aveuglement de celui qui est incapable de reconnaître le personnage déguisé, et […] du tour qui lui est joué »Esthétique de l’identité dans le théâtre français, p. 365.
Le ton doctoral de Climante souligne son caractère prétentieux. Climante se vante de savoir concerter des « menteries » et invite Ariste à le « consulte[r] […] pour régler la boutade »
Il faut quand vous trouvez parfois l’heure oportune, Luy vanter en passant quelque bonne fortune. Ibid, v. 47-48.
De concert avec Olimpe, Climante met en place, tout au long de la pièce, un stratagème pour déclarer son amour à la jeune fille. Désemparé, il comprend la réciprocité des sentiments amoureux entre les deux jeunes gens au début du cinquième acte. Sa déconvenue totale provoque le rire du spectateur d’autant que cette découverte est doublée d’un jeu de scène puisqu’il est caché. Climante s’épanchait en toute sincérité auprès de sa bien-aimée :
Vous verrez mon amour dans mon obéissance I, 3 ; v. 829.
Olimpe, ironique, approuve le procédé qui consiste à entendre les paroles d’Ariste comme si elles étaient prononcées par lui-même. Ce dernier, naïf, ne remet pas en cause la parole d’Olimpe et n’imagine pas que les amants se jouent de lui. Ainsi, lorsqu’il surprend leur conversation sincère et amoureuse, il mesure toute l’étendue de son insuccès. La stupéfaction du personnage s’oppose à la prétention et à la fatuité dont il faisait preuve à la première scène. Dans ce jeu de scène où Climante est « caché », il comprend peu à peu son égarement. Ainsi, il interprète mal-à-propos cet échange entre les deux amants. Comme convenu avec Olimpe, il pense qu’elle entend les déclarations d’Ariste comme autant d’aveux d’amour de sa part. Climante se satisfait :
Le fat ne connoist pas qu’il fait l’amour pour moy V, 2 ; v. 1603.
Les spectateurs assistent alors à une prise de conscience progressive. Cette gradation est source de comique dans la mesure où Climante dénonce dans ses premières répliques la naïveté d’Ariste. Il commente par exemple :
Comment ne voit-il pas qu’il se rit de luy ?
Le ton sincère et passionné des échanges le conduit, ensuite, à s’interroger. Il constate en effet avec une clairvoyance inhabituelle :
Quelque important mistere est caché là dessous. Il parle avec chaleur, elle respond de mesme, L’aimeroit-elle ?
Le baiser entre les deux amants achève la découverte de la vérité : la coalition des jeunes gens contre les prétendants que sont Oronthe et Climante. Il ne peut que s’exclamer en ces termes :
Ah dieux ! en quel mal-heur je suis embarrasé. V, 2 ; v. 1607, 1615-1617, 1622.
Le duo amoureux que forment Ariste et Olimpe est dérangé par cet importun personnage qui s’invite à cette scène galante et s’arroge la finalité de cet échange. Constatant progressivement sa désillusion, Climante, comme Oronthe, provoque le rire des spectateurs. Ces deux personnages, aveugles et trompés, sont confrontés à Ariste et Olimpe qui jouent de la duplicité de leur caractère. De cette confrontation naît le comique. Personnage présomptueux, Climante se vante de donner des leçons alors que lui-même est incapable de faire preuve de lucidité. C’est de ce défaut de clairvoyance que naît le comique.
Ariste met à jour le stratagème imaginé par Climante pour séduire la belle sans être démasqué :
Pour elle son amour passe jusqu’à l’extréme, Et j’ay bien reconnu qu’il trouve les moyens D’expliquer ses desirs en débitant les miens.
Il révèle ensuite à son valet le rôle qu’il doit jouer et n’en est, en aucune façon, la dupe dans la mesure où ce jeu a été conçu par les amants eux-mêmes. Il explique en effet :
Et m’ayant mené voir cette belle maistresse, Me traittant d’innocent auprés de ce jaloux, Luy dit qu’ils en auroient un plaisir assez doux
Ariste est donc à l’initiative de son rôle de bouffon auprès de sa fausse mélancolique et déjoue les certitudes d’Oronthe en affirmant :
Il croit qu’estant trop fat je ne luy sçaurois nuire. I, 2 ; v. 80-82, 100-102, 115.
C’est ainsi que pour conquérir Olimpe, Ariste dissimule sa personnalité et joue un personnage de jeune homme inerte. Il n’est donc pas dupe des fourberies que croient lui jouer Oronthe et Climante. Ainsi, sous couvert de raconter une histoire dans laquelle Ariste se présente comme l’amant d’une jeune fille, ce faux naïf décrit la situation réelle. Oronthe et Climante sont les seules dupes de cette usurpation d’identité. Sur les conseils de Climante et pour détourner la jalousie d’Oronthe, Ariste forge un récit où il feint d’« aimer ailleurs ». Oronthe sollicite avec ferveur ce récit où il est, en réalité, le personnage ridicule. Les deux importuns ne s’aperçoivent pas de cette feinte. Oronthe objecte à Olimpe :
[…] vous nous priverez d’un entretien fort doux, Si Monsieur le retranche, & se contraint pour vous
Alors qu’Oronthe pense railler Ariste, ce dernier décrit la situation présente en évoquant sa relation avec Olimpe en ces termes :
Mais malgré la prison où vous tient un jaloux, Du cœur & de l’esprit je suis auprés de vous ! I, 3 ; v. 185, 273-274, 257-258.
Ariste livre un récit aux accents héroïques. Les spectateurs entendent alors une parodie d’épopée. En effet, il met en valeur la grandeur de son action. En faisant usage de métaphores, il transforme de simples faits en événements et l’emploi du passé simple leur confère un aspect exceptionnel. Il fait aussi référence aux « Nimphes » et à l’« Echo » ce qui confère à l’aventure des deux jeunes gens une tonalité extraordinaire. L’emploi de tournures emphatiques conduit aussi à la mise en œuvre d’un registre lyrique. Ariste s’exalte par exemple :
Tout rioit à nos yeux, & tout parloit d’aimer.
Il met ainsi en valeur son courage et son héroïsme dans ce récit à la tonalité épique. L’aventure semble se dérouler en un autre temps et un autre lieu. Le protagoniste valorise aussi la grandeur de son personnage par sa déclaration finale, digne d’un héros de tragédie. En effet, terminant son récit par une réflexion intérieure, il déclare de façon grandiloquente :
Et jusques à l’instant que je dois expirer, Soit absent ou present je vous veux adorer. I, 3 ; v. 226, 261-262.
A la manière d’un poète de la fin’amor, Ariste promet un amour éternel et absolu. Parodie d’épopée mal interprétée par les deux aveugles de la pièce, ce récit conduit à une scène comique. Ce procédé de la déclaration des sentiments en présence d’un tiers importun est courant : l’amant, pour exprimer son amour, conte une histoire galante que le destinataire réel interprète parfaitement.
Pour se moquer des importuns, Ariste ne cesse de jouer à l’ingénu. Mis dans la confidence des masques, les spectateurs décèlent le comique de la situation. Ainsi, le jeune amant donne des gages amoureux lors d’une joute verbale avec Climante déguisé qu’il feint de ne pas reconnaître. Les deux amants se livrent à une surenchère comique. Si Ariste a donné « sept à huict cent Cassandre », Climante se vante d’avoir offert « cinq cens Ibrahims, & trois cent Polexandre »Cassandre et Polexandre comptent, chacun, cinq mille pages.
Jusqu’au dénouement, le jeune homme ne pose pas le masque et est ironique. Lors de l’annonce de l’arrivée de l’exempt, Oronthe, inquiet, confie Olimpe à Ariste. Ce dernier ne manque pas de souligner dans cette formule à double-sens :
Allez je vous responds qu’elle n’en mourra pas. V, 7 ; v. 1875.
A l’approche de la scène finale, Ariste sous-entend une nouvelle fois sa véritable identité, équivoque que ne comprend pas Oronthe. Les spectateurs, de connivence avec les véritables amants de la pièce, remarquent alors le comique de la situation.
Dès sa première apparition en scène, Olimpe masque ses sentiments et feint de croire à la naïveté d’Ariste. Pour conforter son ravisseur dans cette opinion, elle s’exclame : « O qu’il est ingenu ! »
[…] j’ay modéré toutes mes passions […] d’un jeune amy j’esvente le secret, […] je l’introduis à titre d’indiscret,
A cet élan de sincérité s’oppose l’hypocrisie du jeu d’Olimpe qui indique « Feignons » et met en ce sens le public dans la confidence de son jeu. Climante devient alors la dupe et est lui-même l’« objet de risee »
Je benis toutefois un si beau stratageme Qui me donne moyen de voir celuy que j’aime ! Ibid, v. 809-810.
Alors qu’il entend dans « celuy » la désignation de sa propre personne, la jeune fille désigne, en fait, Ariste. Olimpe convainc donc Climante qu’Ariste est un intermédiaire parfait pour exprimer leurs amours et lui assure que lorsqu’il parle, elle comprend qu’il s’agit de lui-même. Climante approuve cette feinte et affirme « L’adresse en est subtille », hémistiche que l’ironique Olimpe complète en remarquant « Et n’est pas desplaisante ». Ce personnage prétentieux signale l’habileté du stratagème mais il n’en comprend pas le véritable artifice et ne saisit pas sa finalité. Cet aveuglement, qui provoque toute l’ironie des répliques et leur double sens, permet à Olimpe de conclure :
Ah Climante ! Qu’il ne me quitte point & j’en seray contente ! III, 1 ; v. 826, 832-833.
Olimpe ne pose pas son masque et joue sur la duplicité de ses propos, de là naît l’ironie, source de comique pour le spectateur. Ces faux-semblants induisent l’emploi d’un lexique ambigu. Ainsi, des termes comme « comédie » acquièrent un double sens. Ils désignent le bon tour qu’un personnage croit jouer à un autre et, en même temps, l’attitude que l’un des personnages feint d’adopter. Lorsqu’Oronthe révèle à Olimpe la fourberie qu’il veut jouer à Ariste, celle-ci commente :
L’equivoque en plairoit dans une Comedie. II, 6 ; v. 648.
Par l’équivoque qu’elle met en jeu, l’ironie participe du comique puisqu’elle déclenche l’incompréhension d’un des interlocuteurs tandis que l’autre joue de cette situation et révèle ainsi la maîtrise opérée sur son destin. La dissonance entre la littéralité du discours et son véritable sens, entendue du public, reste incomprise par le personnage trompé. Ce détour ingénieux d’Olimpe met en valeur son esprit d’à propos et est source de comique dans la mesure où il met en évidence l’aveuglement d’Oronthe.
Le Desniaisé a fait rire les spectateurs du XVIIe siècle grâce à la présence, parmi les acteurs, du farceur le plus populaire de l’époque : Julien Bedeau. Cet acteur a accompli une carrière comique si considérable qu’il est devenu un type théâtral. Né à la fin du XVIe siècle, il commence sa carrière dans la farce entre 1610 et 1620. Son pseudonyme Jodelet apparaît, pour la première fois, dans le bail du 8 mars 1634 lorsque Montdory fonde le théâtre du Marais. En décembre 1634, le roi le fait passer à l’Hôtel de Bourgogne et, vers 1641, il retourne au Marais et y reste jusqu’en 1659. En 1642, le succès du Menteur est si important que, l’année suivante, P. Corneille décide de donner La Suite du Menteur. A partir de ces représentations, la renommée de Jodelet ne cesse de s’amplifier et « fait qui n’est arrivé à aucun autre farceur, les lettrés s’intéressent à lui, non seulement comme acteur, mais comme type »L’Esprit de la commedia dell’arte dans le théâtre français, Neuchâtel, 1950, p. 105.Jodelet ou le Maître-valet, Les trois Dorothées, Jodelet souffleté, Don Japhet d’Arménie ; Th. Corneille lui réserve Don Bertrand de Cigarral, Le Geôlier de Soi-Même, ou Jodelet Prince et L’Amour à la mode ; A. Le Métel d’Ouville lui consacre Jodelet Astrologue et Gillet de la Tessonnerie le fait jouer dans Le Desniaisé et dans Le Campagnard. En 1659, Molière engage Jodelet dans sa troupe de l’Illustre Théâtre où il interprète le vicomte des Précieuses. Selon R. Bray, il hérita de l’emploi de Gros-René. Ces nombreuses comédies écrites pour son personnage témoignent du pouvoir comique de l’acteur. Le personnage doit aussi sa fortune au contexte littéraire. En effet, « tout change à partir de 1640, avec le développement de la comédie burlesque. La farce du début du siècle a perdu son éclat en perdant ses célébrités ; les personnages ridicules de la comédie régulière, fous, bouffons, parasites, matamores, sont en voie de disparition. Les nouvelles gloires, ce sont les Jodelet et les Philippin »Les Valets et les servantes dans le théâtre comique en France de 1610 à 1700, p. 279.
Jodelet fait rire dès qu’il apparaît en scène. Il porte « une sorte de capuchon qui entoure le visage. La cape tombe jusqu’aux mollets. On retrouve un habit assez ample, à bandes verticales, mais de couleur sombre. Sur le tableau des farceurs, la coiffure, la cape, les bas sont bruns, le haut-de-chausses et le pourpoint également, avec, semble-t-il quelques bandes ou quelques galons blancs. Les chaussures sont noires. Le seul élément rouge est la bourse que Jodelet tient dans sa main gauche. [Il] possède, à la ceinture, la batte et la petite gibecière »Ibid., p. 146.e siècle devenu un type », RHLF, Juil.-Sept. 1962, p. 330.Galerie théâtrale.Historiettes, Paris, 1961, tome II, p. 778.Le Desniaisé, Lisette, se lamentant sur son sort d’amoureuse infortunée, l’identifie par cette caractéristique :
Mais c’est luy que j’entens qui nasonne & qui gronde IV, 3 ; v. 1182.
Il fait aussi rire par le type même qu’il interprète car « il apparaît à la fois comme un descendant du parasite des comédies antiques, sacrifiant tout à son insatiable gourmandise, et comme un fils de Matamore fort vaillant en paroles, mais peu courageux quand il s’agit de passer à l’action. […] Dans les farces gauloises qu’il interprétait au Marais au début de sa carrière, il s’était fait une spécialité du rôle du valet lâche et gourmand »
Fais couler jusqu’à moy quelques meschans ducats ! Donne-moy le moyen d’aller vuider les plats Et d’aller m’esbaudir avec le Dieu des peintes III, 6 ; v. 1072-1074.
Tel est Jodelet : plus fort pour faire valoir son avarice, sa gloutonnerie et son ivrognerie que pour se défendre. Il est un valet fanfaron et couard. Il jure à outrance et veut mettre sa lame au service de son maître. Apprenant l’affront que font subir Oronthe et Pancrace à son maître, il propose sans plus attendre :
[…] Monsieur, permettez que ma lame enroüillée Soit teinte de son sang
Dans un élan de témérité, il ajoute encore :
Souffrez qu’avecque luy je fasse à coups de poings, Et que de ces cinq doigts plus pesans qu’une meule Je luy casse le nez ou luy paume la gueule I, 2 ; v. 135-140. .
Mais ces ardeurs enflammées se refroidissent bien vite. Comme dans d’autres pièces où il est mis en scène, il « est incapable de se défendre : non seulement il a peur, mais il ne peut se servir de son épée qui rouille dans son fourreau »
Au diable, je me suis escorché le menton III, 6 ; v. 1061.
A la scène suivante, sa résistance est bien faible face au caporal et lorsqu’on l’arrête, il se contente de subir les coups de ce dernier et de maudire son épée.
Quelle gresle de coups ! Au meurtre, l’on m’assomme, on me vole, on me tüe, Au diable soit l’amour, la maison & la rüe ! Lettres, message, amy, maistresse, casaquin, Sentinelle, poignard, halebarde & Rouquin. III, 7 ; v. 1117-1121.
La grandeur et le courage dont il se flatte forment un abîme avec la cuistrerie dont il fait preuve dans les scènes suivantes. Son attitude chevaleresque disparaît bien vite. Malgré l’absence de didascalies, mais selon la tradition, nous pouvons supposer que le valet accompagne son monologue d’une gestuelle expressive car « une grande part des procédés comiques de Jodelet est empruntée à la grosse farce. Les pantomimes auxquelles il se livre, les propos qu’il tient à maintes reprises semblent destinés à faire rire le public le plus vulgaire : puisque de tout temps, le profanum vulgus a fait un triomphe aux scènes reproduisant la conduite incohérente de l’homme ivre »Ibid., p. 337.en luy voulant fermer la bouche », « jettant son chapeau à terre », « fermant les poings »
Le comique de Jodelet est aussi suscité par son vocabulaire. Héritier des farces médiévales, le valet se livre au comique verbal et accumule jurons et injures. Ainsi, Jodelet, qui « enrage » de ne pouvoir mettre un terme au flux verbal du docteur, déforme le langage de Pancrace. Jodelet reprend l’hémistiche de Pancrace « Aussi l’ame à l’arbitre » en le déformant « Ah ! c’est trop arbitré »
Au diable, je me suis escorché le menton : […] Non, non je suis archer, tu n’es qu’un archerot; Je suis fort honneste homme & toy tu n’es qu’un sot. Au diable soit l’amour, avec la halebarde ! III, 6 ; v. 1061-1086.
Cette fantaisie verbale correspond parfaitement aux rôles du valet car elle « convient surtout à des fantoches, à des personnages stéréotypés, ou dépourvus de toute vérité psychologique dont la destination est uniquement de faire rire les spectateurs par tous les moyens »La Fantaisie verbale et le comique dans le théâtre du Moyen Age à la fin du XVIIe siècle.
Jodelet est aussi un valet fanfaron. Il fait donc valoir sa présence indispensable auprès de son maître. Dans Le Desniaisé, il se flatte de favoriser les amours de celui-ci :
Sans moy dans vos amours vous auriez votre compte I, 2 ; v. 71.
Non seulement vantard, il est aussi insolent et grossier. Cette inconvenance s’illustre par l’emploi d’expressions triviales et vulgaires. Il dit, par exemple, à Pancrace « Je voudrois te casser la gueule »
Monsieur, c’est qu’elle tousse I, 2 ; v. 67.
Cette grossièreté se double d’une mauvaise interprétation ainsi que d’insolence. Ariste fait part de ses sentiments de façon voilée à sa maîtresse mais Jodelet, par sa balourdise, contrarie la vraisemblance du récit d’où les ordres donnés à son valet : « Tais-toy » et, plus loin, « Que dit cet insolent ? ». Alors qu’Ariste évoque les « Nimphes timides », Jodelet rétablit lourdement la vérité en affirmant que ces « Nimphes volages » n’étaient que des « canards sauvages »
Ce secret est encor trop raffiné pour toy I, 2 ; v. 98.
Les auteurs réservaient, en général, un monologue à leur personnage burlesque. Gillet suit cette tradition. En effet, le valet, déguisé en Archer, se livre à une réflexion sur lui-même et sur l’amour. Préférant aller vider les plats, au lieu de conter fleurette, il déclare :
Par toy je suis Archer, mais un Archer sans gage , Par toy je suis soldat, mais soldat sans courage ; Par toy je suis amant mais amant sans amour ; Et par toy je produis sans rien mettre au jour ;
Jodelet se présente comme le valet qui sert les intérêts de son maître :
Sans estre en faction je suis la sentinelle ; Et des pieces d’amour, dont il est l’inventeur, Je seray la machine alors qu’il est l’acteur III, 6 ; v. 1046-1049, 1051-1053.
L’opposition lexicale de chaque vers suggère les relations antithétiques des deux personnages. L’un manipule l’autre. Ariste fait attendre son valet à sa place et c’est donc Jodelet qui sera arrêté par le caporal, pour le plus grand plaisir des spectateurs. Glouton, vantard, poltron et grossier, le valet lance le rire dès la deuxième scène.
Il provoque aussi le rire parce qu’une intention parodique se dégage de son rôle dans le contexte historique des années 1642 à 1659. Ce sont, pour le royaume, des années de triomphe où Condé est vainqueur à Rocroi, où la Fronde s’empare des esprits. Sur le plan littéraire, le sublime prédomine : l’Espagne a insufflé le goût pour la tragédie héroïque où l’honneur est la première des passions, Corneille est acclamé, les spectateurs parisiens vivent la passion de Chimène pour Rodrigue, la Carte du Tendre attire les guerriers : « un beau champ d’action est ainsi offert à la verve des parodies ». « Jodelet est alors chargé de caricaturer les illustres et les précieux qui envahissent salons et théâtres »Le Desniaisé. En effet, ce valet fanfaron ne manque pas d’envoyer les femmes au diable se vantant de ne pas céder à leurs soupirs. Il fait valoir sa conception par des plaisanteries, parodiant les élans lyriques de l’amour :
L’une en vous œilladant d’un regard ridicule Vous vient dire, je meurs, ah ! je pasme, je brûle, J’enrage mon Amour, je suis dans les transports. IV, 5 ; v. 1358-1360.
Jodelet se moque, de cette façon, des mines affectées des femmes et détourne, par ces imitations, la véritable expression des passions. Ce monologue participe du style des Tabarinades qui met en jeu un « esprit de parodie [qui] anime l’ensemble de ces dialogues facétieux où sont raillés librement tous les pédantismes et jargons »Le Français moderne, Janv. 1943.Le Desniaisé, il fait preuve de froideur envers l’amoureuse Lisette et ne montre que de l’orgueil face à l’amour. Répondant à Pancrace sur ce sujet, il affirme :
Je ne suis pas si sot que de croire Lisette, Elle a perdu son temps & sa fortune est faite ; […] On ne dira jamais dedans notre village Que j’aye dementy l’honneur de mon lignage IV, 5 ; v. 1366-1371.
Il accepte le mariage avec Lisette alors qu’il l’éconduisait encore vertement à la scène précédente et lui disait galamment :
avec le vermillon dont ton œil gauche esclatte Tu pourrois d’un regard me teindre en escarlate. IV, 4 ; v. 1198-1199.
Il réclame lui-même le mariage avec Lisette. Ariste annonce donc à la suivante qu’elle acquiert Jodelet accompagné de « cent escus de rente. ». La précision de cette dote témoigne de l’intérêt financier que le valet prend à cette union. Il commente, en effet : « Ce mot n’est pas fat »
« Continuateur de Turlupin et de ses camarades, amuseur de Paris, créateur d’un genre et d’un personnage, inventeur d’un type passé dans la littérature avec Scarron, il eut l’insigne honneur d’assurer la liaison entre la vieille farce et la vraie comédie et de terminer sa carrière aux côtés de Molière. »Grands Comédiens du XVIIe siècle, de G. Mongrédien, p. XI.Jodelet, ou le Maître-Valet, ils ont pu y voir son bon sens et sa vulgarité ainsi que ses fanfaronnades et ses pantomimes burlesques. Cependant, le type n’a pas survécu au personnage. Molière fait encore représenter Jodelet ou le Maître-Valet et Le Geôlier de soi-même, pièces où Gros-René tenait le rôle mais cette doublure ne recueillit pas le même succès. « L’art de l’acteur, ses spécialités avaient pris une telle importance qu’il devenait impossible qu’il y eût deux Gros-Guillaume, par exemple… Ils étaient des types parce qu’ils n’interprétaient qu’un seul rôle et que ce rôle était populaire. Mais ils étaient trop personnels pour n’être pas irremplaçables »L’Esprit de la commedia dell’arte dans le théâtre français.
Ici gît, qui de Jodelet Joua cinquante ans le rôlet, Et qui fut de même farine Que Gros-Guillaume et Jean Farine. J. Loret, Apostille sur la mort de Jodelet, Muse historique, 3 avril 1660.
Le rôle de Jodelet n’apparaît donc plus dans les comédies postérieures à 1660.
Le Desniaisé, dont l’intrigue est inspirée des comédies à l’italienne, met en scène le type du dottore : docteur pédant et fanfaron. Sans réels ancêtres dans le théâtre classique, le pédant a cependant quelques précurseurs dans les comédies humanistes du XVIe siècle. Ce personnage naît dans les années qui suivent le sac de Rome en 1527. Il apparaît dans Le Pédant de Francesco Belo (1529) et Le Maréchal-ferrant de Pietro Aretino (1533). Il devient un des types les plus répandus dans le théâtre du XVIe siècle italien pour atteindre son apogée dans le Manfurio de G. Bruno (1582). Il donne naissance au masque du Dottore de la commedia dell’arte. Le personnage fait, ensuite, son apparition dans le théâtre français. Au XVIe siècle, P. de Larivey, puis au XVIIe siècle, Cyrano de Bergerac, Adrien de Montluc, Du Peschier, J. Rotrou, Gillet et Molière lui réservent un rôle dans leurs comédies.
Son nom de pédant est, à l’origine, un synonyme de pédagogue, ce qui explique sa fonction. Il est « le type le plus exactement professionnel de la commedia erudita » qui « emploie un langage latinisé incompréhensible aux non-lettrés, et [dont l’] attention est constamment détournée […]. Ce maniaque est tout à fait incapable de s’arrêter de parler, tout à fait incapable d’écouter quelqu’un d’autre »French Studies, Avril 1948.commedia erudita, Pancrace s’exprime dans une langue désuète marquée par l’emploi de termes archaïques ce qui confère au personnage une tonalité burlesque. En effet, « le burlesque se complaît surtout dans l’archaïsme ; il est hospitalier aux mots que les théoriciens déclaraient vieillis, mais que le peuple conservait encore. A cette tendance naturelle du genre s’ajoutait le désir d’étonner par la rencontre de mots désormais rejetés. Le burlesque reprend des mots qui vieillissent, des mots condamnés par Malherbe, des mots du XVIe qui mouraient d’eux-mêmes au XVIIe, et des archaïsmes de sens »Histoire de la langue française, tome III, p. 77 et sq.Le Français moderne, Janv. 1943.
Ma poitrine est mortiferée, Et d’Amour la fléche acerée Me va rendre l’esprit bouru III, 4 ; v. 914-916.
Le langage soigné de Pancrace, déprécié par les deux autres valets qui l’interprètent de façon prosaïque, est source de rire. Ne comprenant pas ce que Pancrace dit, ses interlocuteurs dénaturent ses répliques. Cette reprise déformée entre deux personnages aux caractères radicalement opposés conduit à provoquer le comique. Ainsi, Lisette rétorque à Pancrace :
Voyez ce qu’il veut dire avec son Aristote, Sa Piqueure à Ploton, & ses brides à veaux, Que croit-il attraper avec ces mots nouveaux ? II, 7 ; v. 716-718.
Elle détourne, de cette façon, le sens originel du discours du pédant. Le contraste entre les explications savantes fournies par Pancrace et les reprises prosaïques et déformées, que font avec malignité Jodelet et Lisette, se lit par exemple dans le calembour suivant : Lisette désigne par le terme « Ploton » le nom de Platon que Pancrace emploie à la réplique précédente. La déformation grotesque de la suivante est source de comique.
Le langage du docteur se caractérise, ensuite, par un flux verbal incontrôlé. Il assomme ses interlocuteurs par cette fatrasie. Deux scènes sont remarquables. La première témoigne d’une dissymétrie dans le volume des répliques entre les deux interlocuteurs. Jodelet ne peut prendre la parole face au bavardage démesuré de Pancrace et ne s’exprime que par monosyllabes. Il finit par prendre congé de Pancrace, abandonnant l’importun docteur dans sa logorrhée. Sa répartie brutale provoque la surprise de son interlocuteur et le rire du spectateur. Jodelet doit, quelques scènes plus loin, affronter cette prolixité lorsqu’il lui demande le sens du mot « Apotheose ». C’est à dessein de se moquer de cette fatrasie qu’il l’interroge. Après avoir développé sa conception de l’amour, Pancrace énonce sa conclusion que ne comprend pas Jodelet. Ce dernier lance un « hé bien ? » dont le registre parlé s’accommode mal de l’exposé savant de Pancrace. Jodelet conclut laconiquement en le traitant de « sot »Le rire : essai sur la signification du comique, p. 53.
Pour faire montre de sa culture, il est aussi dans l’usage du pédant d’accumuler, de façon confuse, une série de noms célèbres. Dans Le Maréchal-ferrant, le docteur cite soixante-treize noms et se vante de sa mémoire et dans les Querelles amoureuses de Ranucci, Felispino enchevêtre quarante-six noms. Dans notre pièce, interrogé par Jodelet au sujet d’une affaire galante, Pancrace se livre à un exposé interminable sur la question énumérant cinquante-neuf noms de savants et mêlant les théories. Ces exposés intarissables, où Pancrace convoque l’autorité d’Ovide, d’Aristote ou encore de Platon, sont caractéristiques du langage pédant du valet. Emporté par cette même folie verbale, le savant docteur énumère toutes les formes possibles d’amour. Dans une joyeuse liste hétéroclite où Pancrace « toutes choses » qu’anime l’amour, on lit que le soleil anime la terre, l’hiver la nature. Puis il conclut brusquement et sans grand rapport avec cette liste :
Et moy qui suis Docteur in utroque juré, Je n’aime que toy seule, ou le bonnet quarré III, 3 ; v. 911-912.
Pancrace achève cet entrelacement de noms par une formule latine rappelant ainsi sa prédilection pour les lettres antiques. En se souvenant d’exemples grecs, il assure à Lisette qu’il peut changer de caractère mais son esprit brouillon évoque, de façon désordonnée, Niobé et les Euménides.
Le langage se caractérise par l’emploi de tournures savantes et rébarbatives par lesquelles Pancrace prétend avoir des connaissances universelles. Dans ces scènes, le pédant donne la réplique au fanfaron, ce qui crée un couple dont la dissonance est comique. Ce deuxième personnage, aux côtés du pédant, est sa contrepartie et souvent, se moque de lui. Ce couple, présent dans les comédies à l’italienne, « peut parfois faire penser au couple Don Quichotte-Sancho Pansa : le pédant est une espèce de Don Quichotte parce qu’il vit dans un monde imaginaire, qui a perdu le contact avec la réalité : l’idée que le pédant se fait de la culture assume une fonction analogue aux idées chevaleresques de Don Quichotte, et les disputes avec des antagonistes grossiers sont pour le pédant l’équivalent des batailles avec les moulins à vent »
Pancrace, incapable de se défaire de son langage pédant et pléthorique, s’en sert aussi pour séduire Lisette. Pour lui prouver son amour, il la compare aux monstres de l’Antiquité. Ce docteur n’hésite pas à lui déclarer en un élan lyrique :
Aspre aymant de mon cœur, adorable Ciclope ! II, 7 ; v. 683.
Ne prenant pas en compte les codes galants, sa cour est irrévérencieuse. Le vocabulaire affecté de Pancrace apparaît donc en parfait décalage avec le sentiment exprimé et devient ridicule. La déconvenue qu’il connaît en amour dément ce savoir impertinent et donne lieu à des situations bouffonnes. Lorsque Jodelet lui apprend l’amour que lui porte Lisette, Pancrace s’exclame : « Ah Dieux ! », « Ah ! mort. »
Le bel amant avec son poil grison !
Lisette suggère ainsi l’aspect grossier du docteur. Nous pouvons imaginer, conformément à ce type, un physique peu avenant, n’invitant pas la suivante à donner suite à ses avances. Elle n’imagine donc pas aimer :
Ce poil de Goupillon, & cet œil de Bouquin II, 7 ; v. 693, 742.
En effet, « le pédant est généralement présenté de façon répugnante et grotesque : il est laid, sale, mal vêtu : la laideur et l’aspect désagréable étaient traditionnellement considérés comme la principale source de ridicule. […] Extérieurement, le pédant apparaît comme quelqu’un qui s’éloigne de la norme, il est « différent » et donc comme tel il suscite soupçon et antipathie »
A la fin du XVIe siècle, le lettré est devant une alternative : ou il s’adapte à la situation en se mettant au service du pouvoir ou il se replie sur lui-même dans une conception sclérosée de la culture humaniste et son savoir devient un pur jeu formel. Tel qu’il apparaît dans les comédies suivantes, le pédant représente la seconde alternative. Son personnage devient la caricature de l’intellectuel qui vit dans un monde désormais disparu. « Le pédant n’est ni un “courtisan” ni un “nouvel écrivain” ; il incarne au contraire la dégénérescence de la culture philologique de l’Humanisme, la fin d’une époque, la “crise qui sépara la philologie de la littérature” »e siècle », Italie médiévale et humaniste, 1970, p. 223, citée par A. Stäuble p. 113.
Le type du dottore ne subsistera pas dans les comédies. « Aussi rare est le cuistre [que le parasite], à l’origine valet du collège frotté de latin, que la société humaniste de la Renaissance avait connu dans ses divers centres de culture. […] Ce type très particulier de subalterne était, comme le parasite, condamné à disparaître. Si les pédants demeurent une des cibles favorites des auteurs satiriques du XVIIe siècle, il est très rare que leurs serviteurs (lorsqu’ils en ont) soient mêlés à la condamnation »Les valets et les servantes dans le théâtre comique en France de 1610 à 1670, p. 35.
Même si la suivante reste peu individualisée, son caractère commence, cependant, à s’affirmer. Par son nom, elle se distingue de la catégorie des maîtres. Remarquons, en effet, l’opposition entre les personnages « “ à problèmes ”, graves ou ridicules, et dont les noms s’achèvent par des syllabes sourdes et lourdes en « onte », « ante » et les noms dont « les finales, qui sont des diminutifs, […] sont un signe de la jeunesse des personnages. Mais ne peut-on pas voir aussi, dans ces sonorités claires et chantantes, un écho de la légèreté rieuse des serviteurs ? ».
Lisette existe parce qu’elle exprime avec vigueur ses sentiments. Les amours des valets forment un contrepoint comique à celles des maîtres. Parce qu’il est « audacieux ou maladroit, l’amour des serviteurs provoque le rire en se libérant des normes de la galanterie ou de la simple correction illustrées régulièrement par les personnages de qualité »
Il n’est presents, espargne, estreines ny profit Que mon amour n’immole à ton grand appetit.
Lisette, s’exprimant dans un registre de langue conforme à sa condition, parodie les métaphores précieuses. Elle dit à Jodelet :
Mon bedon, mon fanfan, mon poupon, mon valet IV, 4 ; v. 1228-1229, 1201.
Le style des ruelles est ainsi tourné en dérision. « C’est aussi à l’emphase tragique, à la grandiloquence lyrique que s’attaquent les serviteurs, qui, dans leurs propres amours, singent les passions de qualité »
Je t’en conjure enfin par ces franches lippees, Par ces bribes de pain dedans le pot trempées, […] Helas ! pour adoucir ton humeur rogue & fiére Que le ciel ne m’a-t-il fait naistre sommeliere IV, 4 ; v. 1206-1215.
Aux sentiments galants qu’exprime Lisette s’oppose Jodelet qui, en les reprenant, les déprécie d’une façon brutale et vulgaire. L’ironie et le sarcasme du valet sont en contraste complet avec l’élan amoureux de Lisette :
Si mes yeux sont ardens, & sont rouges de feu, C’est celuy d’amour
et Jodelet, de répondre :
De grace esteins-le un peu, avec le vermillon dont ton œil gauche esclatte Tu pourrois d’un regard me teindre en escarlate. Ibid., v. 1196-1198.
Les tirades amoureuses de Lisette ont comme répondant des formules où prédomine le parler populaire et moqueur. Cette verdeur du langage apporte une tonalité supplémentaire au comique. Ajoutons que le comique de ces situations naît aussi de l’apparence physique du personnage. Songeons à la représentation de 1647 où les spectateurs voyaient ces déclarations adressées à un Jodelet caractérisé par « son nez de blaireau, ses yeux de fouine embusqués sous d’épais sourcils, sa bouche fendue jusqu’aux oreilles, son allure à la fois élégante et étriquée »L’Histoire de la mise en scène dans le théâtre français de 1600 à 1657, p. 191-192.
Les répliques railleuses de Lisette brisent le code des convenances mondaines pour le plus grand plaisir des spectateurs. Elle rétorque à Pancrace :
Adieu je ne veux point ny d’amant ny d’amours. III, 3 ; v. 868.
Elle dédaigne ensuite les hautes considérations philosophiques de Pancrace sur l’amour et préfère s’atteler aux tâches ménagères :
Il faut aller balayer la maison II, 7 ; v. 758.
Pancrace lit dans l’intérêt et dans l’empressement que Lisette porte à la réalisation des menus travaux quotidiens l’extrême raffinement de son âme. Les valets témoignent d’une totale facilité et liberté dans l’expression de l’amour alors que ce domaine, bien plus que tout autre, est codifié par les bienséances. Ainsi, le « serviteur amoureux pourrait se définir comme l’ennemi juré des manières »
Par leur caractère, leurs agissements, leurs réflexions, les valets sont tout entiers tournés vers le comique. Ils ont la fonction de « régulateurs du climat comique : leur détachement, leurs railleries, les clins d’yeux au public, leur jeu physique et verbal, leurs appétits en font […] des créatures démythifiantes. Par eux, le drame devient dérisoire. […] C’est eux qui apportent la détente nécessaire. L’intrigue comique est, en fait, tragédie pour ceux qui la vivent. Les serviteurs, eux, regardent les autres jouer et, quand ils s’engagent, continuent à jouer » Ibid., p. 133.
La représentation de pièces tragi-comiques et de farces sur la scène française des trente premières années du XVII G. Forestier, e siècle est à l’origine de l’essor du spectaculaire, ces deux genres privilégiant le spectacle par rapport au texte. L’intérêt pour la comédie dite à l’espagnole, dramaturgie qui met en scène fourberies, mensonges et déguisements a porté à son apogée la représentation du spectaculaire et de l’ambiguïté. La fin du XVIe et le début du XVIIe siècles voient la naissance du procédé du théâtre dans le théâtre. Le développement de cette esthétique de l’ambiguïté correspond à l’interrogation fondamentale du XVIIe siècle sur l’illusion comme essence de l’homme. Les hommes sont considérés comme des acteurs sous le regard de Dieu et le monde comme une vaste comédie. Cette façon de concevoir la vie conduit naturellement le théâtre à se mettre en scène. « Il s’agit d’une prise de conscience ; le théâtre après 1630 atteint une sorte d’âge adulte ; il est naturel qu’il se regarde, se discute, se disculpe, se demande ce qu’il est ; c’est pourquoi le sujet de la comédie, c’est la comédie même »La littérature de l’âge baroque, p. 70.e et XVIIe siècles ont conçu (ou adapté) des intrigues dans lesquelles le personnage principal ne peut agir autrement qu’à travers la voie détournée d’un déguisement »Esthétique de l’identité dans le théâtre français, p. 407.Le Desniaisé, faisant reposer l’intrigue sur les fausses identités, s’inscrit pleinement au cœur des préoccupations dramatiques de l’époque.
Six pièces sur les neuf que Gillet a écrites font intervenir fausses identités et théâtre dans le théâtre. Le travestissement constitue une esthétique dominante de son œuvre dramatique.
Le Triomphe des cinq passions, en 1642, et L’Art de régner, en 1645, présentent la même structure : un personnage se fait précepteur et enseigne, au moyen des exemples de l’histoire, à un autre qui écoute et apprend. Ces deux tragi-comédies mettent en scène cinq représentations. Dans la première, l’Enchanteur soigne le jeune Arthémidore par des leçons qui sont des pièces représentant les vices du jeune homme. Dans la deuxième pièce, il s’agit d’un Gouverneur qui apprend au Prince les cinq vertus d’un chef d’Etat.
En 1642, La Comédie de Francion recourt à l’esthétique du déguisement puisque Valantin se déguise en diable, le valet en une jeune fille appelée Catherine et de là naissent quiproquos et malentendus, sources de l’intrigue.
Dans La Mort de Valentinian et d’Isidore, en 1648, Gillet, qui a tiré l’intrigue de L’Astrée, met en scène mensonges et incompréhensions qui mènent au dénouement fatal.
Lisons les rôles de sa dernière comédie, Le Campagnard, pour comprendre que la pièce repose sur cette esthétique de l’ambiguïté. Léandre est un « Gentilhomme adroit, passant pour un marchand de Tableaux » et le Seigneur Anselme est « Fourbe & faux Astrologue, ayant toujours accompagné Léandre dans ses courses et dans ses débauches ».
Ainsi, dans les deux tiers de ses œuvres, Gillet crée une pièce reposant sur les fausses identités, les quiproquos et les déguisements. Cette esthétique de l’identité s’inscrit donc au centre de sa réflexion dramatique et Le Desniaisé s’intègre parfaitement dans sa production théâtrale.
La liste des personnages nous l’indique, dans Le Desniaisé, il sera question de masquer son identité. Le rôle d’Ariste est ainsi défini : « le Desniaisé, Amant d’Olimpe », puis celui d’Oronthe : « mary pretendu d’Olimpe ». Ces rôles témoignent de la nécessité de forger des intrigues pour que chacun parvienne à ses fins. Climante est « celuy qui veut joüer Ariste, Olimpe ». La mise en place de masques et de faux semblants s’avère nécessaire. La préparation et le déroulement des feintes occupent onze scènes sur les trente-trois de la pièce. Le tableau récapitulatif suivant met en évidence, d’une part, les scènes de préparation de fourberies et, d’autre part, les scènes de représentation d’une fourberie constitutives de spectacles intérieurs à la pièce :
Huit scènes sont consacrées à la préparation d’une feinte et trois scènes présentent un spectacle enchâssé où les personnages de l’action principale se divisent en acteurs et spectateurs de l’action secondaire. Les scènes de préparation de la fourberie sont donc aussi essentielles à l’action que celles où elles font l’objet d’une représentation.
Deux personnages masquent leurs sentiments dès l’ouverture de la pièce : Ariste et Olimpe. Leur déguisement de personnalité constitue le fond de l’intrigue et conduit à la péripétie finale. Ils sont en effet contraints de masquer leurs sentiments pour contourner deux obstacles : Oronthe et Climante. Jeune homme habile et rusé, Ariste se fait passer pour naïf. Son déguisement est conscient : il dit ce qu’il prétend être. Le spectateur est mis dans la confidence de ce masque lorsque le maître explique ce déguisement de caractère à son valet. Olimpe se fait passer pour une mélancolique et pour une amante aux yeux d’Oronthe et de Climante. S’effectue alors une alternance permanente « entre le masque et le visage »Esthétique de l’identité, p. 90.
Ariste se joue des prétendus maîtres de la situation. Conformément à son personnage de niais, il devient acteur lorsqu’il fait son récit merveilleux à la scène 3 de l’acte I et lorsqu’il déclame son sonnet à la scène 5 de l’acte III. Ariste se fait aussi metteur en scène en organisant le spectacle de Jodelet déguisé à la scène 7 de l’acte IV et en dirigeant le jeu d’Olimpe qui doit feindre pour convaincre Oronthe de ne pas accorder crédit aux révélations de Climante.
Ariste, acteur, se livre au récit d’un véritable petit drame où il dédouble son personnage en dévoilant ses relations amoureuses avec Olimpe. Sous couvert de raconter une histoire dans laquelle il se présente comme l’amant d’une jeune fille, ce faux naïf décrit, en réalité, la situation présente, soit le trio qu’il forme avec Olimpe et Oronthe. Ce récit se présente comme une mise en abyme du sujet de l’intrigue de la pièce-cadre. Lors de la scène d’exposition, Ariste informe Jodelet de la situation :
Tu sçais bien que d’Oronthe elle fut enlevée Que par tout de ce lasche on la voit observée, Et qu’en fin ce jaloux l’ayant en son pouvoir Sans sa permission l’on ne la sçauroit voir I, 2 ; v. 87-90.
A la scène suivante, il expose la situation qu’il a vécue avec cette « jeune voisine » :
Je pouvois à mon gré voir cet Ange visible, Mais de l’entretenir il m’estoit impossible, Car en fin ce mary ne me quittant jamais I, 3 ; v. 195-197.
En usurpant les identités, Ariste dit le vrai qui paraît faux aux deux aveugles. Il se prémunit de toute attaque mais le spectateur, complice de ce détournement, s’aperçoit de son ingéniosité. Le sujet dramatique se raconte, dans cette scène, à travers une histoire romanesque. Le récit est construit comme une pièce de théâtre comprenant la scène d’exposition, la péripétie de l’intrigue et la scène du dénouement. Ariste se livre d’abord à une captatio benevolentiae par laquelle il invite son auditoire à croire ce qui suit : « Si je vous ments d’un mot que le ciel m’extermine », puis il expose la situation sur un ton narratif. Il présente ensuite l’intervention héroïque de l’amant :
[…] craignant pour ses jours de tristes accidens Presque tout aussi tost je me jettay dedans I, 3 ; v. 191, 209-210.
Puis la scène finale résout le nœud dramatique :
Le vent se redoubla, les ondes nous pousserent, Et les jeunes zephirs des lieux des environs Y vindrent nous servir de rame & d’avirons
Après le récit de cette péripétie, Ariste présente le tableau des amants réunis contre le mari jaloux :
[…] Alors le jaloux par des cris lamentables Faisoit hurler l’Echo de ces lieux delectables, […] Et par de longs regards pris & rendus sans nombre Nous goustions des plaisirs qui n’avoient rien de l’ombre Ibid, v. 216-218, 244-252.
Par ce récit, Ariste annonce à mots couverts le dénouement de la pièce. C’est donc à travers cette hypotypose d’un récit dramatique qu’Ariste met en abyme le récit de l’intrigue.
Il met ensuite en jeu ses talents d’acteur par son sonnet. Ariste procède à un règlement de compte avec ses rivaux. D’abord, parce que ce sonnet est destiné à contrefaire la fourberie d’Oronthe et de Climante et ensuite, parce que, sous une forme biaisée, il expose de nouveau la situation entre les personnages. A ce sujet, il fait remarquer à la fin de sa déclamation :
Puis je mieux m’expliquer à moins que je les nomme
Ariste fait entendre son différend avec ses rivaux. Son premier reproche concerne le rapt d’Olimpe. Le lexique fait référence à l’emprisonnement : « des clefs & des … verroux », « gouverner », « leurs gardes ». Il dévoile ses sentiments envers Olimpe :
Ils ont beau gouverner la beauté que je … brigue […] Puisque nos cœurs unis sont bien mieux dans …l’intrigue
Ce sonnet se présente comme une deuxième mise en abyme de l’intrigue. En effet, en filigrane, il dresse trois types de portraits : Ariste, le libérateur, contre Oronthe, le ravisseur, et Climante, le prétentieux. Il suggère, de nouveau, son masque par son résumé de l’intrigue. Il ne semble plus y avoir d’ambiguïtés possibles quand on lit la pointe du sonnet qui a pour sujet « mon rival » :
Et me croit un cheval quand il n’est qu’un … oison III, 5 ; v. 1026, 1016-1018, 1025.
Ce sonnet établit une nouvelle fois la naïveté d’Oronthe et de Climante. Le jeune amant endosse un rôle pour jouer le récit et pour déclamer le sonnet. Le double sens de ces deux morceaux théâtraux témoignent de son ingéniosité à duper Oronthe et Climante à qui il fait croire à la vraisemblance de son déguisement. Après avoir révélé son habileté à déguiser ses sentiments, Ariste dévoile ses capacités de metteur en scène.
Ariste, metteur en scène, déjoue les projets longuement concertés de ses rivaux. Alors qu’Olimpe informe Ariste de la fourberie préparée par Oronthe et Climante, celui-ci répond, de façon concise :
Pour les contrejoüer d’une façon galante, J’ay fait au lieu de moy déguiser Jodelet Ibid, v. 973-974.
Il les confondra en envoyant Jodelet au rendez-vous muni non pas d’une lettre galante mais d’une lettre d’excuse. A Olimpe qui souligne que ces vers sont « […] trop beaux pour sentir le jeune homme », Ariste répond, sur un ton assertif, révélant son habileté et sa clairvoyance :
[…] Ne craignez rien ce sont vers imprimez Et j’avois concerté cette seconde addresse, III, 5 ; v. 1029-1030.
Le jeune amant fait donc déguiser Jodelet en Archer. La pièce met aussi en œuvre le déguisement physique. A la scène 6 de l’acte III, Jodelet est « seul sous l’habit d’un Archer ». Ainsi déguisé, il doit servir les amours de son maître, « son déguisement ne peut aller que dans le sens de la marche de l’action »Esthétique de l’identité, p. 166.
Après s’être érigé en directeur du déguisement de Jodelet, Ariste dirige ensuite Olimpe dans sa façon de jouer la comédie. Il indique : « Feignez bien ! » : Olimpe semble devoir prouver ses talents d’actrice devant son directeur. Ariste, en aparté, réitère « Feignez jusqu’à la fin »
Les deux prétendus amants d’Olimpe sont les deux aveugles de la pièce. Croyant jouer un bon tour à Ariste, le jeu se retourne et c’est sur eux-mêmes que la raillerie retombe. C’est l’ingéniosité d’Ariste qui leur fait revêtir ce déguisement inconscient de barbon aveugle pour Oronthe et d’amant adroitement éconduit et mis à l’écart pour Climante. Les fourberies qu’ils préparent se désignent comme telles : ils en sont, à la fois, les metteurs en scène, les acteurs et les spectateurs. Ariste est l’objet de ces railleries et les spectateurs en sont Olimpe et Oronthe. L’acte II est en grande partie consacré à l’élaboration de la fourberie des « stances » qui échoue. Les deux comparses s’attachent ensuite à l’instauration d’un autre spectacle : la scène de la sérénade à la scène 6 de l’acte IV, à laquelle fait suite l’arbitrage d’Oronthe. Aux scènes 6 et 7 de l’acte IV, Climante, « deguisé »
Les trois fourberies préparées d’Oronthe et de Climante supposent une véritable mise en scène. En témoigne l’emploi du lexique lié à la mise en scène théâtrale. On lit, par exemple, « en le joüant », « il faut luy joüer des pieces d’importance », « Pour nous jouër de luy »
Dites luy que ce soir je dois souper en ville, Que de vous voir il sera tres-facile ; S’il veut entrer chez vous sous l’habit d’un Archer II, 5 ; v. 579-581.
Ces metteurs en scène organisent le spectacle à venir sans rien omettre : ils annoncent le lieu, la date et les acteurs de la représentation. Oronthe indique le cadre spatial et temporel de la fourberie : elle se déroulera « aujourd’huy », « En ces logis voisins de la Conciergerie »Ibid., v. 578, 583.
Si les quatre scènes qu’Oronthe et Climante consacrent à la préparation de la stance permettent une élaboration complète de cette feinte, elles sont cependant vite déjouées par Ariste. On apprend le projet d’Ariste à la scène 5 de l’acte III et l’échec de la feinte quelques scènes plus loin : Olimpe se raille de les « voir trompés. »
Olimpe nous escoute & meurt d’impatience
Ariste répond :
Elle pardonnera ce long retardement. Elle en est cause IV, 7 ; v. 1536-1537.
Ce spectacle intérieur fait partie de l’intrigue tout en étant détaché de l’action principale. Cette relation est suggérée par le rapport spatio-temporel qu’entretient cette scène avec l’action principale. Sont en effet définis de nouveaux temps et lieu théâtraux en rupture totale avec ceux de la pièce-cadre. Cette représentation théâtrale, orchestrée par Oronthe et Climante, participe d’une « structure chorale »Le théâtre dans le théâtre, p. 61.
Si la nécessité de préparer les fourberies révèle le manque d’ingéniosité et, en ce sens, la cécité d’Oronthe et de Climante, la promptitude et l’exactitude d’Ariste à contrefaire leurs feintes soulignent un esprit aussi vivace et ingénieux que celui d’Oronthe est insipide et aveugle.
Huit scènes de préparation de fourberies, trois scènes de représentations théâtrales où la pièce principale encadre un spectacle enchâssé et où les acteurs revêtent un second rôle : un tiers des scènes est ainsi consacré à la mise en place ou à la représentation d’une fourberie. L’importance de ce chiffre nous invite, alors, à nous interroger sur le but de ces feintes.
Si le nombre élevé de ces mises en abyme théâtrales révèle une certaine complaisance de l’auteur à mettre en scène un spectacle dans le spectacle, ce chiffre souligne aussi que ces scènes de feinte ont dramatiquement plusieurs buts.
Les spectateurs sont mis dans la confidence des changements, ce qui crée une relation privilégiée entre les personnages manipulateurs et les spectateurs. Ainsi, « le déguisement est pur plaisir dramatique. Il y a complicité constante entre le fourbe et les spectateurs. […] La salle participe au stratagème, à son élaboration, à son déroulement ; elle tremble pour son issue. Cette participation au déguisement est en elle-même source de tension et d’incertitude ; elle capte l’intérêt »Les Valets et les servantes dans le théâtre comique en France de 1610 à 1700, p. 199.
Deux fourberies conduisent à une mise en scène où Jodelet et Climante sont déguisés. Ces déguisements ont une fonction décorative : ils participent du plaisir des yeux. Ces spectacles permettent aussi de présenter le code théâtral. Ils confèrent ainsi à la comédie un aspect spectaculaire.
L’envie de sarcasme incite Oronthe et Climante à mettre en place ces feintes. Oronthe répète à plusieurs reprises le bon tour qui sera joué à Ariste et qui provoquera le rire des spectateurs intérieurs. Il a promis de faire une stance « Pour [se] joüer de luy »
[…] vous m’obligerez D’en dire plus de mal que vous n’en jugerez, Plus vous lui donnerez moyen de nous en dire, Plus vous nous donnerez subjet de nous en rire.
Puis en l’espace de sept répliques, Oronthe répète à trois reprises le terme « plaisir » :
Nous en aurons tantost un plaisir assez doux C’est en quoy le plaisir en doit estre assez doux Quel plaisir de luy voir blasmer la jalousie II, 6 ; v. 625-636.
Ces répétitions suggèrent la véritable jouissance qu’il tire de la raillerie. Alors que le dénouement est imminent et qu’Oronthe laisse entendre son empressement à la réalisation de son projet par la remarque suivante : « Si prest de mon depart [...] », il désire jouer, une ultime fois, une fourberie à Ariste. Cette annonce d’une nouvelle scène de feinte peut surprendre le spectateur car le dénouement très proche est retardé par ce jeu. En effet, alors que tous les personnages jouent et que ce qui paraît n’est pas la vérité, cette scène constitue un ultime
CLIMANTE froidementMais quelle ? je me trouve au bout de mes leçons ! V, 3 ; v. 1647, 1633, 1634.
Dans la mesure où il y trouve une possibilité de vengeance, il accepte de jouer et déclare son amour à Olimpe devant Oronthe : « Je vous aime, il est vray ». Oronthe révèle, finalement, avec légèreté et enthousiasme, que la colère était concertée :
C'estoit pour divertir une melancolique, Que cet amy feignoit de faire le critique V, 4 ; v. 1720, 1775-1776.
A l’approche du dénouement, l’utilité dramatique de la scène réside dans le plaisir que prend Oronthe à voir régner la confusion par les jeux de faux-semblants. Oronthe, sûr de lui, est tout à fait aveugle sur les véritables identités. Son plaisir du jeu s’achemine donc vers une déconvenue absolue lors de la révélation finale.
Oronthe utilise l’esprit naïf d’Ariste pour divertir Olimpe de la nostalgie de son pays natal :
[…] Olimpe le desire, Et treuve en le joüant tant de sujets de rire, Qu’elle est de belle humeur à le voir seulement ! Ce qui pour l’adoucir me sert infiniment. II, 2 ; v. 455-458.
Ces feintes sont un divertissement au sens étymologique du terme : elles servent à détourner Olimpe de sa mélancolie. Dans une ironie parfaite, la jeune fille remercie Oronthe et déclare :
Dans la melancholie où vous m’aviez plongée, Je confesse qu’en fin je vous suis obligée ; Et pour me divertir tant de bons traittemens, Ont bien droict d’effacer mes mescontentemens. II, 5 ; v. 567-570.
A la demande d’Oronthe, Climante compose des stances qu’Ariste déclamera à Olimpe mais cette dernière doit entendre parler Oronthe et non pas celui qui les dit. Après une explication assez longue et obscure, Climante résume :
A la fin je conçois ce que vous souhaitez, Je dois parler ainsi faisant parler Ariste Qui recitant ces vers sous le nom de Caliste, Croyant parler pour soy fera l’amour pour vous, Et sera par ce traict l’amant et le jaloux. II, 4 ; v. 554-558.
Assuré de la réussite de ce stratagème, Oronthe déclare triomphalement :
En me croyant joüer, il se joüra luy-mesme II, 5 ; v. 560.
Le croisement des pronoms personnels des première et troisième personnes ainsi que le double emploi du verbe « jouer » s’appliquant d’abord à Oronthe puis à Ariste soulignent la volonté d’Oronthe de railler le faux naïf et, ainsi, d’apparaître comme le véritable maître du jeu aux yeux d’Olimpe. Ce désir de montrer son pouvoir est un des buts de la première fourberie. En effet, Oronthe précise son rôle et celui de Climante. Alors qu’Ariste sera dans une situation délicate, les deux comparses lui viendront en aide :
Et nous qui parestrons dedans cet intervalle L’ayant tiré des mains de ceux de la cabale Ibid, v. 587-588.
C’est donc la volonté de se présenter comme le maître de la situation qui conduit Oronthe à élaborer ses fourberies.
Climante y voit, quant à lui, un subtil moyen pour courtiser Olimpe, ce qu’il exprime en aparté :
Oronthe C’est pour moy seulement que le fat parlera. Climante basOu plustot pour moy seul.
Il dévoile ainsi son véritable but. A la fin de la scène, le lexique de la connaissance est de nouveau employé mais s’applique à Oronthe. Climante, par l’emploi insistant de ce vocabulaire, fait preuve d’un double-langage qu’Oronthe n’entend pas. Il prévient :
J’ay des yeux qui sont bons, & connois ses appas. […] Vous ne m’entendez pas. Et ne comprenez point de quel air je l’honore.
alors qu’Oronthe rétorque seulement :
Vous les connoissez mal ! II, 2 ; v. 506-515.
Climante révèle à demi-mots les sentiments qu’il éprouve pour Olimpe mais la cécité mentale d’Oronthe l’empêche d’entendre avec justesse le véritable sens de ces termes. Climante pense donc tromper son rival aveugle. Après avoir donné une esquisse des stances, il dévoile ses véritables intentions et son enjeu à les faire dire par Ariste. S’adressant à Olimpe, il révèle :
Alors qu’il vous dira, j’adore vos appas Je vous parle d’amour, et l’on ne m’entend pas […] Et mon bon-heur en fin va jusqu’au dernier poinct, Puis qu’un Rival m’escoute, & ne me comprend point. Ce sont les mesmes mots que je veux qu’il vous die II, 6 ; v. 641-647.
Ce personnage prétentieux dévoile là ses intérêts à participer lui aussi à la feinte, il peut ainsi déclarer son amour par la bouche d’Ariste.
Ces feintes se déroulent aussi au profit d’Ariste et d’Olimpe. La construction concertée du déguisement des sentiments des deux amants se fait en vue de vaincre les obstacles que leur opposent Oronthe, par sa jalousie, et Climante, par sa flamme amoureuse. Les fourberies sont un moyen de gagner du temps. En effet, Ariste joue le jeu d’Oronthe et de Climante pour ne pas être découvert avant l’arrivée des parents d’Olimpe et ne pas compromettre la légitimité de son mariage. Le deuxième acte s’ouvre sur cette information essentielle :
Madame, j’ay donné le pacquet à Leonce, Qui dans peu par la poste apportera réponce, Et quand de vos parens l’ordre sera venu, Je me feray connoistre à qui m’a mesconnu
C’est parce qu’il est contraint d’attendre qu’Ariste joue son rôle de naïf contrairement à Oronthe et Climante, qui, certes, ont eux aussi besoin de jouer pour atteindre leurs buts, mais prennent plaisir à l’organisation et à la représentation de spectacles. Ariste, quant à lui, revêt ce déguisement de mauvaise grâce et ressent ce masque comme un affront. Il suggère son ressentiment dans ces deux vers :
Une si longue feinte est une ardente preuve De l’estat miserable où mon ame se treuve II, 1 ; v. 415-418, 439-440.
Lorsque le dénouement approche, son désir de vengeance se fait plus pressant :
Tout est prest pour punir de si cruels outrages V, 1 ; v. 1549.
Le jeune amant voit dans son déguisement le moyen de gagner du temps jusqu’à l’arrivée des parents d’Olimpe pour, enfin, la délivrer de son ravisseur. Il déclare :
Et vangeray l’affront que vous fait un infame Qui vous contraint par force à vous dire sa fâme ! II, 1 ; v. 419-420.
Ainsi, chacun trouve des intérêts différents à participer aux fourberies et à masquer son identité. A la fin de la scène, les souhaits d’Oronthe, d’Olimpe et de Climante semblent converger vers le seul intérêt d’Oronthe. A la lumière des révélations de chacun des personnages, ils témoignent de trois désirs opposés. En effet, Climante s’exclame « bas » « Qu’elle m’obligera luy parlant de la sorte ! » puis Oronthe « Dieux ! que j’auray de joye en l’entendant parler ! » et Olimpe, à son tour, « Que j’auray du plaisir à bien dissimuler ! »seule volonté humaine »Le théâtre dans le théâtre, p. 316.
j’ay l’avantage De te voir aujourd’huy joüer mon personnage
Il suggère ironiquement qu’Oronthe a si bien réussi dans son entreprise qu’il est à présent capable de mettre en pratique ses leçons :
[…] ton esprit rusé, Ne peut plus m’empescher d’estre desniaisé V, 8 ; v. 1897-1904.
Dans ce jeu des termes antithétiques, le spectateur peut entendre la jubilation que prend Ariste à démontrer le manque de clairvoyance d’Oronthe. Le faux naïf insiste alors sur ce vocabulaire de la lucidité : « voir » : « De te voir […] » puis en surenchérissant, « Et le voir d’autant mieux […] ». Ariste et Olimpe, par leurs déguisements et leurs feintes, mettent ainsi en œuvre cette leçon et la donnent à méditer à Oronthe et à Climante.
Nous avons pris pour base le volume imprimé par Toussaint Quinet en 1648 qui se présente sous la forme suivante :
1 vol. [I-I bl-IV], 161 p., in-4°
[I] LE / DESNIAISE/ COMEDIE / A PARIS, / Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, / souz la montée de Cour des Aydes / M.DC.XXXXVIII./ AVEC PRIVILEGE DU ROY.
[II] verso blanc
[III] Extraict du Privilege du Roy.
[IV] Personnages
1-161 le texte de la pièce
Sept exemplaires de cette édition existent dans les bibliothèques parisiennes :
Bibl. Nat. Rés. Yf 523
Bibl. Nat. Rés. Yf 1978
Arsenal Rf. 6195 (1) (Recueil factice : tome II du THEATRE DE GILLET qui contient L’ART DE REGNER ; LA MORT DE VALENTINIAN ET D’ISIDORE ; LA COMEDIE DE FRANCION ; LE DESNIAISE
Arsenal Bl. 3501
Mazarine 10.918 (93/2) (recueil factice du Theatre de Gillet qui contient La Comedie de Francion et Le Desniaisé) et 10.918 (1/2) (Recueil de Diverses Comédies qui contient LE SOLIMAN ; LE DESNIAISE ; SIGISMOND, DUC DE VARSAV ; LE TRIOMPHE DES CINQ PASSIONS ; L’ART DE REGNER OU LE SAGE GOUVERNEUR)
Sainte-Geneviève Y.4°.470.inv.659.Rés
Un exemplaire se trouve à Washington aux Etats-Unis :
Library of Congress, PQ 1799. G37 D4 1648 PRE-1801 COLL
L’exemplaire de la Bibl. Nat. comporte les erreurs suivantes :
personnages IODET
Ariste, Climante, Olimpe IV, 3 v. 1169 le voir & le manger
I, 2 v. 91 intellignece IV, 4 v. 1217 promettroient
v. 94 Toy qui ne songe pas v. 1218 LIETSTE
v. 119 avecque v. 1227 eucor
v. 120 avec IV, 5 v. 1237 os cartilage
I, 3 v. 232 levermille v. 1247 j’encasse
v. 234 quitterent v. 1337 os cartilage
v. 240 fry v. 1351 pont du tout
v. 365 ANCRACE v. 1374 hontteux
I, 4 v. 340 nomme v. 1375 qu’elle, en
v. 357 encorde (didascalie) v. 1385 son
v. 358 encorde (didascalie) IV, 6 v. 1402 daphné
v. 365 ce v. 1407 messieuss
v. 400 à v. 1008 dé
II, 2 v. 452 dela v. 1409 gé re sol-ut
v. 454 ceu v. 1415 bourréee
II, 3 v. 526 HRONTHE v. 1417 Les Flambeau
II, 6 v. 629 se v. 1418 Le coquins
v. 753 Cherisez v. 1453 donnes
v. 739 aise v. 1476 demeura
III, 1 v. 804 Qu’y IV, 7 v. 1540 joüer
III, 2 v. 859 les V, 1 v. 1544 Vous parties
III, 3 v. 884 embas v. 1581 aise
III, 5 v. 983 rihmes v. 1583 AIRISTE
v. 1006 alinéa rétabli V, 3 v. 1633 il sont
v. 1008 Jy suis V, 4 v. 1762 Arrestes
v. 1017 feilles V, 5 v. 1796 en moment
III, 6 v. 1042 n’est-tu V, 6 v. 1819 Je verray v. 1044 n’est-tu v. 1867 te
v. 1061 monton V, 8 v. 1884 n’est-tu
III, 7 v. 1088 IODLET v. 1888 ne la tu
v. 1115 LE CAPORALE v. 1909 Ne retenez
IV, 1 v. 1143 Móy v. 1922 nos
IV, 2 v. 1151 trempés v. 1927 ce qui
v. 1931 Rivat
Erreurs de ponctuation :
I, 1 v. 8 Rome…
v. 29 quoy v. 1028 allarmez ?
v. 55 davantage III, 6 v. 1072 ducats ?
I, 2 v. 92 cognoissance. v. 1079 ressemble ?
I, 3 v. 178 mon bien v. 1081 point ?
v. 179 genereux. III, 7 v. 1104 là ?
v. 183 fourbe. v. 1111 épaule.
v. 189 s’y resoud-il ! v. 1113 mot ?
I, 4 v. 327 Ennius Aulegelle v. 1115 traistre.
v. 329 Aristarque Solon IV, 1 v. 1142 bonne…
v. 333 Anacreon Pindare IV, 4 v. 1204 donc !
v. 335 Theophraste Lactance v. 1218 tu,
v. 342 aimer ? v. 1417 …Sus
II, 2
v. 511 vaut… v. 1307 rire ?
v. 514 mal ? v. 1309 Phébus.
II, 5 v. 573 presser. v. 1310 vérité ?
II, 7 v. 703 balivernes ? v. 1348 toy ?
v. 718 nouveaux. IV, 6 v. 1404 donnez ?
v. 743 porte ? IV, 7 v. 1480 serviteur.
v. 767 destin ? V, 2 v. 1589 ayme ?
v. 772 ame ? v. 1622 embarassé.
III, 1 v. 804 sent ? v. 1624 face ?
v. 808 s’expliquer ? V, 4 v. 1702 peut ?
v. 828 jamais ? v. 1745 plaire ?
v. 833 Ariste ? V, 5 v. 1768 encore
v. 834 contente ? V, 6 v. 1802 bien ?
v. 835 souspirs ? v. 1802 esperdu ?
v. 854 Climante ? v. 1856 davantage ?
III, 2 v. 860 raison ? V, 7 v. 1870 escoutés ?
III, 4 v. 956 matiere ? v. 1873 redouble ?
III, 5 v. 1006 sçavoir ? V, 8 v. 1890 demain ?
v. 1017 feuilles de choux v. 1893 elle.
v. 1022 absence d’espace entre les deux tercets v. 1910 vicissitude ?
v. 1026 nomme. v. 1931 d’accord.
Erreur en haut de page : DESINIAISE aux pages 108, 126, 138, 160.
Erreur à la page 65 : le numéro est absent.
Erreur à la page 112 mise pour 109, non rétablie ensuite.
Certains exemplaires de l’édition de 1648 comportent des corrections, ce qui permet de penser qu’au moins deux tirages ont été effectués.
L’exemplaire Rf. 6195 (1) de l’Arsenal corrige :
I, 2 v. 91 intelligence
I, 3 v. 365 Pancrace
II, 3 v. 526 Oronthe
IV, 1 v. 1143 Moy
IV, 4 v. 1217 « promettroient » est corrigé à l’encre et fait figurer « er » au-dessus de « ro »
IV, 5 v. 1385 sont
V, 8 v. 1922 « nos » est corrigé à l’encre fait figurer un « v » au-dessus du « n »
v. 1931 « Rivat » corrigé à l’encre et fait figurer un « V » au-dessus du « R »
Les exemplaires des bibliothèques Sainte-Geneviève et Mazarine comportent les corrections suivantes :
I, 3 v. 365 PANCRACE
II, 3 v. 526 ORONTHE
III, 7 v. 1088 Iodelet
IV, 1 v. 1143 Moy
Il existe quatre éditions postérieures :
1652 : LE / DESNIAISE / COMEDIE / Sur l’imprimé / A PARIS / Chez TOUSSAINT QUINET, au Palais, sous / la montée de la Cour des Aydes. / M.D.C.LII
112 p., in-8°
Il existe un exemplaire de cette édition :
Bibl. Nat. Yf 7138
1658 : LE / DESNIAISE, / COMEDIE. / Imprimé A ROUEN, Et se vend / A / PARIS / Chez GUILLAUME de LUYNE / Libraire Iuré, au Palais, dans / la Salle des Merciers, / à la Justice./ M.DC.LVIII.
99 p., in-12°
Il existe trois exemplaires de cette édition :
Bibl. Nat. Yf 7139
Arsenal G.D 8° 8661
Sorbonne R-ra 764
Ces exemplaires comportent les modifications des vers 91, 94, 232, 240, 365, 526, 629, 753, 1006, 1017, 1042, 1061, 1088, 1115, 1143, 1151, 1217, 1227, 1337, 1351, 1385, 1407, 1415, 1417, 1418, 1544, 1633, 1796, 1883, 1888, 1922, 1927, 1931.
Cet exemplaire comporte les graphies suivantes « nœuds » (v. 2), « habile » (v. 18), « Thucidide » (v. 331) « D’autant » (v. 544), « subtile » (v. 826), « zenit » (v. 922) « bigne » (v. 1390). On trouve au vers 964 « Mes poulmons perdent leurs Erynes », au vers 983 « bouts rymés » et au vers 1142 « le nom de pere ».
L’accent diacritique est rétabli.
1873 : LE DESNIAISE / COMEDIE / en cinq actes et en vers / Par Gillet de la Tessonnerie / Réimpression faite sur l’édition originale de 1648 / précédée d’une notice bibliographique /
NICE / J. GAY ET FILS, EDITEURS / 1873.
134 p., in-12
Bibl. Nat. Rés. Yf 4449, 4450 et 4451
Arsenal Rf. 6.200 (exemplaire n° 70)
Médiathèque de Troyes (exemplaire n° 81) MIT. H. 7. 34
Ces trois exemplaires comportent de nombreuses rectifications. Sont corrigées les coquilles des vers 91, 94, 232, 240, 365, 526, 629, 652, 753, 1006, 1017, 1042, 1061, 1088, 1115, 1143, 1151, 1217, 1227, 1337, 1351, 1385, 1407, 1417, 1418, 1633, 1796, 1868, 1884.
Signalons que cette édition rétablit les graphies « bonheur » (v. 60, 193, 645, 667), « bienveillance » (v. 131), « habile » (v. 18), « bientost » (v.306), « mal-aisé » (v. 500), « subtile » (v. 826), « en bas » (v.884), « voit » (v. 895), « poulmons » (v. 964), « rimés » (v. 983), « ouy dà » (v. 1448), « courroux » (v. 1651). Olympe et Lisette sont ainsi orthographiées.
La scène finale est modifiée à partir du vers 1889 :
LISETTE Et moi, que ferez-vous pour me rendre contente ? ARISTE ( en monstrant Jodelet)Va, nous te le donnons et cent escus de rente JODELET Et les frais de la nopce ? ARISTE Ouy. JODELET Ce mot n’est pas fat. ARISTE ( à tous deux)En estes-vous d’accord ? LISETTE Ainsi soit-il JODELET Vivat !
1973 : Le Docteur Amoureux, comédie attribuée à Molière suivi du Déniaisé de Gillet de La Tessonnerie. Edition critique présentée par P. LERAT, A.G NIZET, Paris, 1973.
Pour une parfaite compréhension du texte, nous nous sommes livrée à quelques modifications :
Nous avons respecté la ponctuation du texte sauf si celle-ci nous paraissait erronée. Rappelons qu’au XVIIe siècle, la ponctuation signale l’oralité du texte. La virgule marque ainsi un court temps d’arrêt, le point virgule et le double point indiquent une pause plus longue. Les points d’interrogation et d’exclamation correspondent plus à des points d’intonation qu’à de véritables propositions interrogatives ou exclamatives, ce qui explique la liste importante des corrections relatives à la ponctuation.
Signalons enfin que l’orthographe n’étant pas encore fixée au XVIIe siècle, on trouve des graphies fluctuantes pour plusieurs mots que nous signalons en note. Ces modifications orthographiques concernent aussi les noms des personnages : on trouve Oronthe et Oronte (v. 72, 87), Olimpe et Olympe (v. 54, 79, 98, 103, 118, 129, 147, 1395), Lisette et Lizette (v. 596, 773).
La comédie est écrite en alexandrins à rimes plates et comprend deux passages présentant des formes différentes.
A la scène 4 de l’acte II, Pancrace se livre à la déclamation de stances des vers 913 à 967 : cinq strophes de onze octosyllabes à rimes embrassées. C’est à cette occasion que se produit le décalage entre vers pair et vers impair, l’auteur faisant redémarrer la scène 5 par une réplique d’Ariste se terminant sur une rime féminine d’un vers pair, ce qui entraîne jusqu’à la fin du texte le complément de la rime en vers impair. La pièce compte donc 1931 vers.
A la scène 5 de l’acte II, Ariste déclame sa lettre en forme de sonnet, en alexandrins à rimes croisées pour les quatrains et à rimes embrassées pour le sizain. Il faut noter ici la rupture locale d’alternance entre rimes masculines et féminines aux vers 1011 et 1012 qui présentent une succession de deux rimes féminines.
Un glossaire, situé à la fin de l’ouvrage, permet d’expliciter un terme dont le sens a changé ou a disparu. Un astérisque rappelle les occurrences du mot dans la pièce. Nous signalons en note le sens des termes appartenant à un domaine lexical spécifique ainsi que le sens des expressions.
Nous renvoyons aussi par ce signe ° aux références que font les personnages à la mythologie.
Les traductions des auteurs de langue anglaise et italienne ont été faites par nos soins.
Par grace & privilege du Roy donné à Paris le 9. Mars
1647 signé, Par le Roy en son Conseil, Le Brun.
Il est permis à Toussainct Quinet Marchand Libraire à Paris,
d’imprimer, ou faire imprimer un livre intitulé Le Desniaisé
Comédie, durant le temps de sept ans, à compter du jour que
ledit livre sera achevé d’imprimer. Et deffences sont faictes
à tous Imprimeurs & Libraires de l’imprimer, vendre &
distribuer d’autre impression que de celle dudit Quinet, à
peine de trois mil livres d’amende, confisquation des exem-
plaires, & de tous despens, dommages & interests, ainsi qu’il
est plus amplement porté par lesdites Lettres.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 28 May 1648.
Les exemplaires ont esté fournis.
Fin du premier Acte.
Fin du second Acte.
SONNET.
FIN
Fin du troisiesme Acte.
Fin du quatriesme Acte.
FIN.
Les abréviations entre parenthèses indiquent le dictionnaire utilisé pour la définition :
A : Académie Française
F : Furetière
R : Richelet
III, 4 Ariste. Cleogene (v. 935-984)
ARISTE
« Par quel desreglement suis-je persecuté Avec tant d’injustice et tant de cruauté ? Il n’est rien d’ordinaire en cette destinée Et ma raison timide en demeure estonnée. Mais quoy ? j’ay des garans de ces oppressions, J’ay pris contre le sort de bonnes cautions Il vient à ses Livres
Esprits dont la Doctrine en erreurs si feconde, S’est acquis tant de gloire en trompant tout le monde, Nous donnant la Vertu pour un souverain bien : Que determinez-vous d’un sort tel que le mien ? Ah ! voicy ces Docteurs de qui l’erreur nous flate : Aristote, Platon, Solon, Bias, Socrate, Pytaque, Periandre, et le vieux Samien, Xenophane, et Denis le Babilonien. Revisitons un peu cette troupe sçavante, Onyde, Eudoxe, Epicarme, Alcidame et Cleanthe, Democrite, Thales d’un immortel renom, Possidoire, Caliphe, Antistene et Zenon, Consultons Xenocrate et consultons encore Pherecide, Ariston, Timée, Anaxagore, Chrisipe, Polemon, le docte Agrigentin, Cleytomaque, Architas, Anaxarque et Plotin Reconfrontons encor tous ces Autheurs de marque Aristipe, Seneque, Epictete et Plutarque. Et bien ! sages Docteurs, et bien ! sçavants Esprits, Celebres Artisans du piege où je suis pris ; En mes afflictions je vous prens à partie, Et c’est contre vous seuls que j’ay ma garentie, Vous avez asseuré qu’en suivant la Vertu Jamais l’homme de bien ne se treuve abatu : Qu’il est aux accidens un Cube inesbranlable Tousjours en mesme assiette et de face semblable Que l’heur et le malheur, que le bien et le mal Et tous evenemens treuvent toujours égal. Qu’il est dans l’embarras des changemens du monde De mesme qu’un Rocher dans le milieu de l’onde. Que le couroux du Ciel a beau persecuter, Contre qui la Fortune en vain ose lutter : De qui pour la Tempeste et les cruels orages, Les injustes mespris, les pertes, les outrages, Le feu Celeste et pur n’est jamais amorti : Vous l’avez soustenu, Vous en avez menti. Effrontez Imposteurs, allez, je vous deffie De me faire avoüer vostre Philosophie Vous m’avez abusé de discours superflus Changez de sentimens ou ne vous montrés plus. CLEOGENE ramassant les livres
O Cieux ! la cruauté d’une atteinte si rude Altere cet Esprit affoibly par l’estude ; Pressé de la douleur qui luy trouble le sens, Il punit de ses maux des sujets innoncens. »
Anacréon de Téos (env. 560-478 av. J.-C.) a écrit cinq livres de poésies qui sont des élégies, des odes légères dont il a fixé le type. Il chante l’amour et la joie de vivre. Il se fait aussi parfois mélancolique du regret de vieillir.
Appian (Appien, IIe siècle) est un historien grec érudit. Il exprime son goût pour la vérité et l’impartialité qui se retrouve dans son style clair, précis, sans emphase ni déclamations épiques ou héroïques.
Aristarque (220-143) est un critique et grammairien grec. Cicéron et Horace le considèrent comme le critique des critiques. Il a édité des textes d’Homère et d’Hésiode. Il a écrit des commentaires sur quelques œuvres poétiques comme celles d’Eschyle ou encore de Sophocle. Il s’est livré à des remarques critiques sur des problèmes précis, en particulier sur Homère.
Aristide le Juste (déb. Ve siècle) est un homme d’Etat athénien du début des environs du Ve siècle. Autant que Thémistocle, il est le fondateur de l’empire athénien.
Aristippe de Cyrène (425-355 av. J.-C.) est le disciple de Socrate. Diogène Laërce résume sa pensée dans cette formule : « il savait jouir du plaisir du moment présent, il évitait la souffrance que l’on rencontre lorsqu’on cherche à jouir des choses qui ne sont pas présentes » . Ses écrits traitent de l’art de jouir de l’instant présent, de la nécessité de s’adapter aux circonstances, du mépris du superflu et de la liberté de l’individu à l’égard des choses extérieures.
Aristote (384-322 av. J.-C.) est né à Stagire, petite ville de Macédoine. Elève de Platon et précepteur d’Alexandre, il a créé le Lycée. Ses œuvres philosophiques sont denses et ont eu une influence fondamentale. Il a fondé les principes de la logique, ensemble de règles permettant d’obtenir le discours le plus efficace. Il a défini les catégories qui structurent le langage et la pensée de l’homme. Il a aussi établi une partie de la philosophie, la métaphysique.
Aulu-gelle (130 env.-env. 180) eut pour maîtres et amis des hommes de talent. Il fut nommé juge dans un tribunal civil à Rome. Il écrivit Les Nuits attiques, œuvre divisée en vingt livres. Il s’agit d’un mélange de notes prises au cours de ses lectures. Les sujets traités sont le langage, la littérature, la dialectique, la philosophie, l’arithmétique, la géométrie, etc. Son but est la vulgarisation. Ses écrits témoignent du plaisir de lire et d’étudier.
Ausone (309 ? -394 ?) enseigne la grammaire et la rhétorique à Bordeaux. Il est appelé à Trèves pour être précepteur du futur empereur Gratien.
Bias est l’un des sept sages de la Grèce. Hérodote le mentionne dans l’Enquête et Plutarque dans le Banquet des Sept Sages.
Boèce (480-524), Anicius Manlius Torquatus Severinus Boetius, est l’intermédiaire entre la philosophie grecque et le monde latin. Encyclopédiste, Boèce lèguera à ses successeurs une classification des sciences conduisant à l’acquisition de la Sagesse.
Buchanan George (1506-1582) est un humaniste écossais, reconnu comme un des plus grands poètes latins modernes. Il publie en 1576 le De jure regni apud Scotos où il se fait défenseur du droit des peuples. En 1582, il publie la Rerum Scoticarum Historia.
Cardan Jérôme (Gerolamo Cardano) (1501-1576) est un médecin, un mathématicien et un astrologue italien qui établit la première description clinique de la fièvre typhoïde.
Carnéade (env. 214-129 av. J.-C.) est un philosophe grec de la Nouvelle Académie, c’est-à-dire, de la période de l’école platonicienne qui va d’Arcésilas à Philon de Larisse et pendant laquelle s’est réalisé, en réaction contre le dogmatisme de l’Ancienne Académie, un retour à l’esprit aporétique de Socrate.
Caton l’Ancien ou le Censeur (234-139) est le symbole de la virtus romaine. Il fait preuve de courage et d’abnégation, de fierté patriotique et d’austérité morale. C’est un vieux romain aux mœurs irréprochables. Caton d’Utique (95-46) est l’arrière-petit-fils de Caton l’Ancien et incarne la République romaine vertueuse et agonisante ainsi que l’intégrité morale.
Catulle (82-52 av. J.-C.) laisse des poésies d’un souffle lyrique surprenant, d’une constante authenticité, d’une profondeur d’émotion. Les thèmes traités sont ceux de l’amitié, du deuil fraternel, du sentiment de la nature et de la passion amoureuse.
Chrysippe (env. 281-208 env. av. J.-C.) est un philosophe grec. Avec Zénon de Cittium et Cléanthe, il a joué un rôle fondamental dans la formation de la pensée stoïcienne. Il ne reste que des fragments d’une œuvre considérable. Il s’illustre dans la dialectique qu’il transforme en art de la démonstration.
Cicéron (106-43 av. J.-C.) est un homme d’état, un orateur, un théoricien de l’éloquence, un philosophe. Pour lui, l’homme d’état est un éducateur. Il donne ainsi naissance à la signification d’humanitas qui désigne à la fois l’« amour de l’humain et la « culture ». Son œuvre politique est novatrice parce qu’elle cherche à concilier les exigences de la pratique et les données philosophiques. Sa pensée philosophique met en avant le fondamental et la nécessité des applications pratiques. Cicéron, par sa recherche de l’absolu, de la tolérance, de la simplification du langage, est devenu un maître pour de nombreux hommes de lettres.
Columelle (Ier siècle) était un militaire puis il est devenu écrivain littéraire. Il a écrit un traité technique et poétique sur l’utilité et l’agrément de l’économie rurale, la culture des champs, la viticulture, le gros bétail, le petit bétail, la basse-cour, les abeilles, le jardinage, les devoirs de l’intendant et de sa famille.
Démosthène (384-322 av. J.-C.) est la figure du grand orateur de l’Antiquité. Son éloquence est un moyen d’action qu’il met au service d’une philosophie. Il a lutté pour défendre la liberté de sa cité, Athènes.
Diogène Le Cynique (env. 413-327 av. J.-C.), de son premier nom Diogène de Sinope, aurait fondé l’Ecole cynique qui ressemble à la sophistique. Cette école développe l’opposition entre la nature et la loi. Le cannibalisme et l’inceste y trouvent une justification.
Ennius Quintus (239-169 av. J.-C.) est un poète épique et un auteur dramatique et satirique. Il est le père de la littérature romaine.
Epictète (50-130) est un stoïcien. C’est un esclave affranchi pour qui n’existe d’autre bien que la rectitude de la volonté, d’autre mal que le vice. Tout ce qui existe n’est ni vice ni vertu mais indifférent. La maladie, la mort, la pauvreté, l’esclavage ne sont pas des maux mais des « choses indifférentes ».
Erasme (1469-1536) est un des écrivains de la période humaniste. Son traité l’Eloge de la folie est représentatif de cette époque.
Eschyle (525-456 av. J.-C.) ouvre le genre du tragique. Il reste sept de ses tragédies qui reflètent un grandissement intérieur et qui révèlent une valeur symbolique et sacrée. Son théâtre traite des événements humains les plus graves et commence avec la guerre et le destin de la cité.
Esope (620-560 av. J.-C.) aurait été l’esclave d’un habitant de Samos. Il aurait été affranchi et aurait visité la cour de Crésus. Plus qu’un écrivain, c’est un conteur dont les fables signées de son nom ont été écrites après lui. Sa renommée était si importante que des fables déjà populaires dont des rédactions en prose étaient établies lui ont été attribuées. Ces petits récits, où les animaux donnent des leçons aux hommes, ont inspiré La Fontaine.
Euripide (env. 480-406 av. J.-C.) écrivit plus de cent pièces. Il occupa la scène athénienne en même temps que Sophocle. Il s’interroge sur tout. Il réfléchit sur les problèmes de la scène, de la cité, de la morale et des dieux. Il sent la nécessité de donner vie sur scène à des êtres humains ou encore divins.
Eusèbe de Césarée (265-341) a fait une carrière épiscopale. C’est le panégyriste officiel de l’empereur Constantin. Il est l’auteur de la première histoire de l’église.
Hésiode d’Ascra (VIIIe-VIIe av. J.-C.) est un petit paysan boétien, poète, théologien et prophète.
Homère, écrivain de langue grecque, soulève une énigme historique : s’agit-il d’un homme ou de plusieurs hommes ? Ses deux poèmes L’Iliade et L’Odyssée lui assurent une survie incontestable.
Horace (65-8 av. J.-C.) est un contemporain de Virgile. Il est le plus célèbre des poètes latins. Ses œuvres présentent une dimension autobiographique et une réflexion morale sur le sentiment aigu de la fragilité et de la légèreté de la vie.
Isocrate (436-338 av. J.-C.) a promu l’enseignement des sophistes. Pour lui, l’éloquence est le plus noble exercice de la pensée, la véritable formation esthétique et morale qui permet de former des citoyens vertueux grâce à une culture intellectuelle complète.
Juvénal (env. 65-128) est dans les lettres latines l’écrivain majeur pour le genre de la diatribe à la suite de Lucilius, Horace, Pétrone, Perse, Lucain et Martial. Sa propension à la raillerie et à l’humour se manifeste en fureur.
Lactance (environ 260-325) est sans doute africain. Il devient professeur quand Dioclétien l’appelle pour enseigner la rhétorique dans sa nouvelle capitale. Il a composé des ouvrages de grammaire, de philosophie, de géographie qui sont perdus. Il a donné à son apologie l’éclat du beau langage. Lecteur de Cicéron, il use d’une langue pure, claire et harmonieuse. Il a voulu réaliser la synthèse de la « vraie sagesse » et de la « religion chrétienne ».
Lucain (39-65) figure dans la lignée des écrivains espagnols de Rome. Il a écrit des poèmes de fantaisie, des tragédies et des ballets – pantomimes dont il ne reste que La Pharsale, récit de la guerre civile entre César et Pompée. Il fait une utilisation particulière des données contemporaines qu’il insère dans l’histoire immédiate et dans l’épopée. Il modifie les stylisations propres au genre : le baroque de l’écriture fait contrepoint au réalisme didactique et confère à l’œuvre son caractère original et hybride.
Lucian (Lucien de Samosate) (env. 120-180) a vécu sous le règne des Antonins. Son œuvre est enracinée dans le passé mais elle conserve sa grâce, sa verve critique et sa finesse sceptique et anticonformiste. C’est un esprit railleur qui fait parler les philosophes anciens pour les humilier, eux et les vivants.
L. Licinius Lucullus (117- ?) a été chargé de la troisième guerre contre Mithridate, il s’empare de la Bithynie, pénètre dans le Pont et bat le roi à Cabira en 71. Mal aimé de ses soldats, il doit abandonner son projet de marcher sur Artaxata. Remplacé par Pompée, il se retire de la vie publique.
Martial Marcus Valerius (40 ? -104 ?) a pour amis Sénèque et Lucain. Il s’entoure de « clients » poètes. La plupart de son œuvre se composent d’épigrammes talentueuses.
Ménandre (160-140) a été un roi de Bactriane. Il a fait quelques expéditions militaires et laissa son royaume à son fils.
Ovide (43 av.-17 ap.) est l’auteur des Métamorphoses, épopée du mythe gréco-latin, de l’amour et du devenir. Son œuvre fut illustrée par des penseurs et des artistes comme Picasso.
Philostrate Flavius, dit l’Athénien (env. 170-245 env.) est à l’origine de la seconde sophistique. Il répond au Phèdre de Platon en soutenant que l’ancienne sophistique est une « rhétorique philosophante » (Vie des Sophistes, I, 480). Seuls les meilleurs philosophes peuvent accéder au nom et au statut de sophiste.
Pindare (518/517-446 av. J.-C.) est le représentant de la grande lyrique chorale. Ses œuvres sont ancrées dans le passé moral et religieux. Nous sont parvenus quatre recueils d’odes triomphales chantant les vainqueurs aux Grands jeux de la Grèce, ainsi que des dithyrambes, thrènes et autres poèmes.
Platon (428-347) a fondé à Athènes la première école : l’Académie. Son œuvre est une série de dialogues où se mêle la pensée de son maître, Socrate. Son œuvre interroge les valeurs de la cité, l’art de bien se conduire. Ce philosophe développe aussi une théorie de la science et un idéal politique. Son œuvre est la première à nous être parvenue de façon intégrale.
Plaute (env. 254-184 av. J.-C.) a probablement écrit cent trente œuvres dont il ne reste qu’une vingtaine de pièce. Les intrigues relèvent du schéma de la farce. Elles mettent en scène un désir amoureux, un obstacle - le plus souvent un vieillard – un médiateur et un moteur de l’action, un esclave menteur.
Plutarque (46–120) est un moraliste et un historien grec. Il rapporte la pensée des autres au lieu de parler de lui-même comme dans Les Œuvres morales et les Vies qui comportent quarante-six biographies.
Polybe (entre 210 et 202-126 av. J.-C.) a vécu pendant la période de l’expansion romaine sur Carthage. Il chercha à tirer la leçon de ces évènements et à comprendre son temps. Il renouvela la méthode historique tant au niveau de l’analyse objective des faits qu’à la vision synthétique de l’ensemble. Avec Thucydide, il fut le plus grand historien de l’Antiquité.
Pythagore (première moitié du Ve siècle) a vécu en Asie Mineure. Il est un penseur essentiellement religieux. Il poursuit une visée philosophique dans sa perspective théologico-philosophique. Astronome et mathématicien, il est à l’origine de la théorie de la métempsychose.
Sapho (Sappho) (fin VIIe-déb. VIe) est une poétesse grecque. Elle marque l’apogée du lyrisme des côtes d’Asie. Sa poésie est marquée par la passion brûlante, un climat de sensualité exaltée. Elle a vécu pour l’amour et pour la poésie dont elle affirme le prestige et l’immortalité.
Scaliger Jules César (1484-1558) s’initie à la médecine qu’il exerce en France. Il se signale par de fracassantes querelles avec des hommes de lettres, des savants, des philosophes, en particulier Cardan et surtout Erasme. Il a écrit un ouvrage dogmatique, sous le patronage d’Aristote et de Virgile, encombré de tout l’appareil scolastique
Sénèque (4 av. JC-65 ap. J.-C.) est un homme d’état, un philosophe stoïcien, un auteur de tragédies. Il a laissé une œuvre de moraliste, fameuse au Moyen-Age et à la Renaissance et précieuse pour la connaissance des philosophies de l’époque hellénistique et impériale.
Socrate (469-399 av. J.-C.) est né à Athènes. Il répète qu’il ne sait rien et qu’il n’a rien à enseigner. Sa méthode, fondée sur le dialogue, a eu une influence très forte. Sa réflexion atypique le conduit à la condamnation à mort. Ses réflexions ont été recueillies par Platon.
Solon (640-560) est un homme d’état, un législateur et un poète athénien qui prend partie pour les petits paysans, révise les pratiques institutionnelles et les fixe par écrit.
Sophocle (495-406 av. J.-C.) est le représentant de l’équilibre et de la perfection du genre tragique contemporain de Thucydide. Sophocle voyait toutes choses sous l’aspect de l’universel modèle du classicisme.
Térence (190-159 av. J.-C.) représente un théâtre plus intellectuel et littéraire que celui de Plaute. Ses six pièces mettent en scène un comique moralisant et sensible. Modèle des dramaturges comiques, il a inspiré les humanistes et les classiques français. Phormion et Les Adelphes ont influencé le théâtre de Molière.
Théophraste (371/370-288/87) est le « Divin Parleur ». Tyrtamos d’Erèse, surnommé Théophraste étudia sous la direction d’Aristote avant de lui succéder à la tête du Lycée. Il montre des qualités d’orateur et annonce la pensée de Straton, son successeur au Lycée. Il a écrit des traités sur la métaphysique et la logique.
Thucydide (Ve siècle av. J.-C.) est l’historien qui a raconté la guerre du Péloponnèse (431-404).
Tibulle (env. 50-19 av. J.-C.), avec Properce et, une génération après lui, Ovide, est le représentant du genre élégiaque à Rome. Il est peut-être l’initiateur de l’élégie amoureuse dans la langue latine. Il aime la campagne, la vie champêtre. Il est sensible à la poésie de la religion rustique. C’est un poète de l’amour et un poète amoureux.
Xénocrate (400 env.-314 env.) est le successeur de Speusippe à la tête de l’Académie platonicienne. Il propose une explication systématique de la réalité. Il a établi la distinction entre bons et mauvais démons qui jouera un rôle important dans la pensée psychologique et morale à la fin de l’Antiquité.
Xénophon (426 ? -354 av. J.-C.) est un écrivain classique. Il fait preuve de bon sens et de clarté philosophique. Historien qui incarne l’Athénien de son temps, c’est un homme d’action. Son œuvre est une leçon d’allégresse et d’optimisme.
Zénon d’Elée (Ve siècle av. J.-C.) fut l’élève et l’ami de Parménide. Pour ce dernier, l’être est un, indivisible et immobile, la multiplicité et le mouvement ne sont qu’illusion. Zénon défend les arguments de son maître.