Lors du siège de Sancerre en 1573, on raconta que des hommes et des femmes affamées mangèrent leurs congénères. L'historien Jean de Léry rapporta qu’un couple en était venu à manger son propre enfant Jean de Léry, « On dit que le manger de Thyeste pareil / Fit noircir et fuir et cacher le soleil. » Agrippa d’Aubigné, Dans l’Ancien Testament, l’anthropophagie est un fléau divin : « Puisque tu n’auras pas servi Yahvé ton Dieu [...] Tu mangeras le fruit de tes entrailles, la chair de tes fils et de tes filles que t’auras donné Yahvé ton Dieu, pendant ce siège et dans cette détresse où ton ennemi te réduira ». Roland Brisset, Histoire mémorable de la ville de Sancerre, contenant les entreprises, sièges, approches, bateries, assaux et autres efforts des assiegans, [Genève, 1574].Les Tragiques, Agrippa d’Aubigné confrontait le mythe de Thyeste à ce terrible événementLes Tragiques [1616], éd. F. Lestringant, Paris, « Poésie » Gallimard, 1995, v. 543-544.Le Deutéronome, XXVIII, 53.Thyeste que le dramaturge Roland Brisset traduisit de Sénèque parut dans ce même contexte sanglant et tourmentéLe Premier Livre de théâtre tragique, Tours, Montreuil et Richer, 1590.
Sénèque était alors la source privilégiée du théâtre humaniste. Puis il perdit progressivement de son attrait. Lors du premier tiers du dix-septième siècle, l’histoire du colosse Hercule, symbole de la maîtrise et de la volonté, séduisait surtout les auteurs préclassiques Citons « La bienséance est une exigence morale ; elle demande que la pièce de théâtre ne choque pas les goûts, les idées morales, ou si l’on veut les préjugés du public ». J. Scherer, Hercule de Prévost en 1614, Les Amours du grand Hercule de Mainfray en 1616 ; Hercule sur l’Oeta de Bauduyn en 1629, Hercule Mourant de Rotrou en 1634 et Hercule furieux d’Héritier de Nouvelon en 1638. Pour plus de détails sur la fortune du Hercule de Sénèque au XVIIe siècle, nous renvoyons à l’article de Jacques Morel, « L'“Hercule sur l’Oeta” et les dramaturges français de l’époque Louis XIII », dans Les Tragédies de Sénèque et le théâtre de la Renaissance, Paris, CNRS, 1973, p. 95. Cet article fut repris sous le titre « De Sénèque à Rotrou » dans Agréables mensonges, Paris, Klincksieck, 1991, p. 344.La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 2001, p. 383. Le terme est employé une première fois par Chapelain en 1635 dans son Discours sur la poésie représentative, puis le terme sera repris - au pluriel - par La Mesnardière dans sa Poétique de 1639. Jacques Scherer parle d’une véritable « purification » de la scène théâtrale entre 1630 et 1640 (c’est-à-dire au moment de la création du Thyeste de Monléon).Le Thyeste de Monléon ne connut pas le même enthousiasme du public. Peut être qu’à l’instar des Tragiques de d’Aubigné, passés inaperçus lors de leur publication, ce sujet s’accordait mal avec l’ère pacifiée que la France connaissait depuis peu.
Au risque d’une lecture par trop rétrospective, Le Thyeste du sieur de Monléon présente pour intérêt premier d’appartenir à ce corpus d’oeuvres composées entre 1625 et 1635, décennie où l’on put croire en la mort de la tragédie. La pièce de Monléon témoigne de cette période charnière dans l’histoire du théâtre où des dramaturges de renom comme Corneille, Rotrou et Mairet travaillaient à la renaissance du genre déchu. Sur la scène théâtrale française régnaient alors la tragi-comédie et la pastorale et le public accordait ses faveurs à ces deux genres irréguliers. Mais dans le même temps, les poéticiens élaboraient la doctrine classique. Chapelain démontrait la nécessité de la règle de vingt quatre heures, Mairet faisait l’éloge des règles dans sa préface de La Silvanire. Des auteurs s’emparaient d’un sujet antique à dessein de composer une tragédie moderne. Tel était leur défi.
Le Thyeste de Monléon se situe au confluent du baroque et du classicisme. En effet, sa pièce tentait d’accorder les règles classiques, strictes et contraignantes, à un sujet outrancier mais susceptible de plaire à un nouveau public, populaire et friand d’émotions fortes. Tout en participant à la renaissance de la tragédie classique et régulière, sa pièce présente les déséquilibres d’une œuvre qui gardait encore un pied dans le baroque. Peut être était-ce à cause de ce caractère hybride que le public bouda cette œuvre ? Mais c’est précisément cette originalité qui nous intéresse aujourd’hui.
Nous ne disposons d’aucun élément biographique sur le sieur de Monléon. Les références les plus susceptibles d’apporter des informations sur les personnalités du XVII Parfaict Claude et François, H. C. Lancaster, Pour la description et les exemplaires disponibles, nous renvoyons à l’« Etablissement du texte ».e siècle, comme les Dictionnaire des frères Parfaict et de Moreri, n’en procurent aucuneDictionnaire des théâtres de Paris [1767]. Genève, Slatkine reprints, 1967, 2 vol. et Moreri L, Le grand Dictionnaire historique ou le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane, Paris, Libraires Associés, 1759. Les premiers mentionnent les deux pièces de Monléon, L'Amphitrite (tome 1, page 138) et Le Thyeste (tome 5, page 453) sans un mot sur l’auteur. Le second ne mentionne pas Monléon.e siècle en parlent -ce qui n’est pas toujours le cas puisque Lancaster dans sa volumineuse histoire du théâtre français du XVIIe siècle l’ometA History of French Dramatic Littérature in the Seventeenth Century. Baltimore, The John Hopkins Press, 1929-1942 (5 part, en 9 vol.).Le Thyeste, publiée en 1638 et qui fait l’objet de cette présente éditionL'AmphitriteL'Amphytrite. Paris, Vve. Guillemot et Matthieu Guilemot, 1630. On en trouve un exemplaire à la Bibliothèque Nationale de France (Yf. 6781), trois à la Bibliothèque de l’Arsenal (Rf 6544, 8 BL 14219 et GD 8° 5226) et un exemplaire à la Bibliothèque de Harvard (USA): FC6. M7516. 630a.
Jean Rousset, La Littérature de l’âge baroque en France. Circé et le paon, Paris, José Corti, 2002, p. 36-37.
Neptune amoureux. Paris, Vve Guillemot & Matthieu Guillemot, 1635. L'Ère baroque de Roméo Arbour (Genève, Droz, 1977-1985.) n’en répertorie qu’un seul exemplaire à la Bibliothèque du British Muséum de Londres (B.M. 164.e.38).
Nous pouvons seulement supposer que ce seigneur lettré n’était pas un petit auteur de province anonyme. En effet, il fit précéder sa comédie Nous avons reproduit ces « Stances » en Appendice 5.L'Amphitrite de « Stances » dédiées au poète et dramaturge Claude de l’Estoile, qui à son tour y répondit en préface de la comédie de Monléon
Nous devons prendre de multiples précautions sur la date et les conditions de création de la tragédie du On trouve la description de ce Thyeste. Un recueil factice intitulé Répertoire du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, depuis 1620 jusqu’à sa fermeture en 1680Répertoire dans une bibliographie en trois volumes de la Collection Soleine, à la Bibliothèque de l’Arsenal. Indisponible, le document doit appartenir à un collectionneur privé. Ce recueil factice est composé de différents documents classés par année. Pour la saison 1633-34, il mentionne les pièces de théâtre suivantes : Les Amours infortunées de Leandre et Hero de La Selve, La Sœur valeureuse de Mareschal, Célimène de Rotrou, Pyrandre de Boisrobert, La Comédie des comédiens de Gouguenot, Le Thyeste de Monléon, La Bourgeoise de Rayssiguier, L'Heureux naufrage de Rotrou, La Veuve de Pierre Corneille, La Mélise de Du Rocher, La Cydippe de Baussais, Les Heureuses aventures de Duperron, L'Orizelle de Chabrol. Ce même répertoire enregistrait pour la saison 1630-31 L'Amphitrite de Monléon, créée la même année que Soliman de Mairet. Hercule Mourant de Rotrou et Clitandre de Corneille furent créées la saison suivante. La date du Hercule de Rotrou est fausse, ce qui rend la description de ce document peu fiable.
En somme, le manque de sources et de témoignages fiables ne nous permet pas d’affirmer avec certitude qu’une représentation eut effectivement lieu. En revanche, les « orages » mentionnés par Monléon dans son « Epistre » font peut-être allusion à un mauvais accueil ressenti par son auteur. En 1660, dans ses Pierre Corneille, Discours sur le poème dramatiqueTrois discours sur le poème dramatique [1660], éd. Louis Forestier, Paris, SEDES, 1963.
Nous ne sommes donc sûrs que de la date de publication du Pierre Corneille, Thyeste qui eut lieu en 1638 comme l’atteste l’achevé d’imprimer. Monléon fit publier sa pièce chez Pierre Guillemot, probablement l’un des fils de la Veuve Guillemot chez qui sa première comédie avait été publiée. Les Guillemot (Veuve et fils) étaient libraires, marchands de nouveauté dans la Galerie du Palais, celle-là même qui constitue le décor de la comédie du même nom de Pierre Corneille et où l’on voit l’un des personnages s’attarder sur l’étal d’un libraireLa Galerie du Palais [1637], éd. G. Couton, Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980. Voir notamment acte I, scène 4 à 7.
L'édition du Thyeste comporte de très nombreuses coquilles mais présente en revanche de belles enluminures et surtout, une gravure, sous le titre, particulièrement intéressante.
Ce frontispice donnait à voir aux lecteurs du Thyeste le dénouement de la tragédie, conformément à l’esthétique du théâtre antique où, dans le cadre d’un prologue, la fin était annoncée dès le début de la pièce. Dans Le Thyeste, point de personnages protatiques car l’usage en était démodé. Mais sur cette gravure, les principaux protagonistes se tenaient dans une pose reconnaissable qui correspondait à la dernière scène de la tragédie. Ces postures équivalaient en quelque sorte à une représentation visuelle de ce qu’on appelle en rhétorique l’« ethos », c’est à dire le caractère conforme à l’âge, au statut et au rang de chacun des différents personnages tels que le public pouvait s’attendre à les voir se comporter.
Nous avons donc, au premier plan, deux hommes du même âge et de même carrure qui se tiennent face à face. Il s’agit des deux autres frères ennemis de la mythologie grecque, non pas ceux de la famille des Labdacides, Etéocle et Polynice, mais ceux des Atrides, Atrée et Thyeste. Leur similitude d’apparence correspondrait à leur gémellité supposée, bien que les récits mythologiques varient sur ce point. Pour un récit détaillé du mythe de Thyeste et de son frère Atrée ; de leur père Pélops et grand-père Tantale et des références mythologiques correspondantes, nous renvoyons à l’Appendice 1.
A droite, Atrée pointe avec son épée un bassin contenant des morceaux de chair humaine. A gauche, Thyeste désarmé regarde ce plat qui contient ses propres enfants, dépecés par son frère, et qui lui ont été donnés à manger. Ces enfants étaient nés de la relation adultère que Thyeste entretint avec Mérope, la femme d’Atrée. Elle aida Thyeste à dérober une toison d’or, symbole du pouvoir royal. Ainsi, en plus de lui avoir volé son trône, Thyeste avait pris à Atrée sa femme. Cette dernière se tient en arrière plan, allongée. Elle est morte, s’étant suicidé après avoir appris les circonstances de la mort de ses enfants, empoisonnés par Atrée grâce à la trahison de sa confidente, Mélinthe.
Telles sont les lignes principales de la pièce inspirée du fameux auteur latin Sénèque. En choisissant sa pièce, Monléon bénéficiait de sa notoriété et optait pour un sujet dont le public connaissait et affectionnait les thèmes abordés : les revers de fortune d’un grand, Thyeste ; le portrait d’un tyran monstrueux, Atrée. En reprenant les effets stylistiques de la pièce latine, Monléon offrait à ce même public les tournures qu’il appréciait : hyperboles, imprécations, emphase, maximes stoïciennes Parmi les nombreux exemples de formules grandiloquentes et hyperboliques, citons v. 731 : « 0 trois fois heureuse trahison ! », v. 761-762 : « Trois fois en se pasmant elle voulut les suivre : / Mais son cruel destin trois fois la fit revivre » ; les principes de vie stoïcienne comme aux vers 1071-72 : « Afin que ny l’esclat, ny la pourpre des Rois, / Ne vienne à t’esblouyr pour la seconde fois ».
Ces deux émotions tragiques, la crainte et la pitié, avaient été définies par le poéticien grec Aristote. Encore fallait-il choisir un sujet qui soit le mieux à même de les engendrer. Et parmi les sujets les plus tragiques, Aristote préconisait notamment une histoire de vengeance entre frères. Monléon optait donc pour l’un des trois meilleurs sujets de tragédie :
Parmi les événements, voyons donc lesquels provoquent l’effroi, lesquels appellent la pitié. Par nécessité, des actions de ce genre sont accomplies par des hommes qui entretiennent entre eux des relations d’alliance, de haine ou d’indifférence [...] Mais les cas où l’événement pathétique survient
au sein d’une alliance, par exemple l’assassinat, l’intention d’assassiner ou toute autre action de ce genre entreprise parun frère contre un frère, par un fils contre son père, par une mère contre son Ris ou par un fils contre sa mère, ce sont ces cas qu’il faut rechercher.Aristote,
Poétique, éd. M. Magnien, Paris, Le Livre de Poche « classique », 1990, chap. XIV, 1453b, p. 105. (C'est nous qui soulignons).
Rappelons que la Poétique d’Aristote avait été découverte pendant la Renaissance. Au XVIe siècle, les auteurs français de la Pléiade, dans leur vaste programme de refonte des lettres françaises - tant en poésie, en théâtre qu’en poème épique - cherchaient alors à rivaliser avec leurs confrères italiens. Comme eux, ils revendiquaient les racines antiques de leur littérature. Il n’est donc pas étonnant de constater que les premières tragédies françaises du XVIe siècle se plaçaient sous l’autorité d’auteurs latins dont Sénèque constituait la principale source. Et Jean de La Taille, dans son Art de la tragédie en définissant à la manière d’Aristote quels pouvaient être les meilleurs sujets de tragédies, proposait justement le Thyeste de Sénèque :
La vraye et seule intention d’une tragédie est d’esmouvoir et de poindre merveilleusement les affections d’un chascun car il faut que le subject en soit si pitoyable et poignant de soy, qu’estant mesmes en bref et nument dit, engendre en nous quelque passion :
comme qui vous conteroit d’un à qui l’on fit malheureusement manger ses propres fils, de sorte que le Père (sans le sçavoir) servit de sepulchre à ses enfans; et d’un autre qui ne pouvant trouver un bourreau pour finir ses jours et ses maux, fut contraint de faire ce piteux office de sa propre main.Jean de La Taille, De
l’Art de la tragédie[1572], éd. E. Forsyth, Paris, STFM, 1998, p. 4. (C'est nous qui soulignons).
En choisissant ce mythe, Monléon semblait donc s’inscrire dans les sillons d’une tradition savante et humaniste. Or, pour un auteur tragique des années 1630, il ne s’agissait pas tant de revendiquer un héritage que de se positionner à l’opposé d’un théâtre moderne et irregulier qui monopolisait alors la scène théâtrale. Le public s’était détourné des tragédies par trop moralisantes et statiques du siècle précédent. Il leur préférait la tragi-comédie et la pastorale. La tragi-comédie mélangeait les tons -tragiques et comiques -, les classes - grands ou marchands - ce qu’interdisaient formellement les poétiques qui exigeaient une unicité de style. Outre cette infraction, les tragi-comédies faisaient fi de l’unité d’action et offraient à son public de nombreux retournements de situation. Ces aventures s’échelonnaient sur plusieurs mois, voire sur plusieurs années. Et les nombreux personnages circulaient d’un pays à un autre. Cette esthétique était donc en totale opposition avec celle du siècle précédent mais le public suivait avec beaucoup d’intérêt ses pérégrinations sans règles. Cette faveur était telle qu’entre 1628 et 1634, sept tragédies seulement parurent. Et si l’on se reporte au programme de la saison 1633-34 du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, on observera que seules deux tragédies furent programmées sur treize pièces au total Sur cette période de l’histoire de la tragédie française, nous renvoyons aux tomes 1 et 2 de l’ouvrage de Lancaster, A History of French Dramatic Littérature in the seventeenth Century ; au chapitre « Tableau de la tragédie française de 1610 à 1636 », dans Le Sentiment de l’amour dans l’œuvre de Pierre Corneille d’Octave Nadal ; au chapitre « Six années de débat (1628-1634) » dans Passions tragiques et règles classiques de Georges Forestier ; au chapitre V sur le théâtre dans « L'époque de Richelieu, 1628-1642 » de l’Histoire de la littérature française au XVII e siècle d’Antoine Adam.
De cet espace désertique ressortaient d’autant mieux les efforts et la volonté affichés par les auteurs de la nouvelle génération pour créer et imposer une nouvelle tragédie. Les jeunes auteurs réguliers voulaient démontrer qu’ils étaient capables de se saisir d’un sujet antique (mythologique ou historique) tout en se démarquant de son ancien traitement humaniste. Dans cette intention, ils se portaient sur les mêmes sujets que leurs prédécesseurs Citons pour exemple Rotrou avec Hercule Mourant, Corneille avec Médée, Mairet avec Sophonisbe, Benserade avec Cléopâtre, autant de sujets qui furent parmi les plus célèbres de la tragédie humaniste.
La source dont s’inspirait Monléon contenait en substance les trois règles d’unité -action, lieu et temps. Les événements pouvaient se dérouler en moins de vingt quatre heures et en un lieu unique. Monléon allait cependant s’inspirer du succès du genre concurrent afin de ne pas refaire un Thyeste à la Sénèque, mais bien « à la françoise ».
L'auteur tragique devait substituer aux multiples revirements de situation de la scène irrégulière, la notion de crise. Pour ce faire, Monléon resserra la durée de sa tragédie. Son Thyeste peut en effet s’achever en une demi-journée, voire en quelques heures. Témoin cette réplique d’Atrée à la fin de l’acte III, c’est-à-dire deux actes avant le dénouement : « Je jure tous les Dieux, que celuy qui l’a fait / Ne survivra jamais une heure à son forfait. » (vers 890-891).
La tragédie de Monléon ajoute à la venue de Thyeste un caractère imminent. Chez Sénèque, Thyeste entrait dans Mycènes accompagné de ses enfants alors que Monléon décompose cette arrivée en deux temps, en introduisant d’abord les enfants de Thyeste, suivis deux actes plus loin de leur père. A plusieurs reprises, il sera fait mention de cette arrivée. Théombre, le conducteur des enfants, pourra ainsi annoncer à Mérope à l’acte II, vers 594 : « Vous l’auré dans ces lieux au plus tard dans une heure.» A cette imminence s’ajoute naturellement la notion de hâte. Atrée doit s’empresser de sacrifier les enfants de Thyeste avant l’arrivée de leur père. Monléon construit ainsi une situation de crise, absente du modèle Latin. Quand Sénèque séparait l’élaboration du châtiment de son exécution par une intervention du choeur, Monléon étire ce moment sur deux actes. Ce qui amène au début de l’acte IV cette formule de Criton surpris : « Bons Dieus, il est icy plus tost qu’on ne pensoit » (vers 1155).
Ces éléments de précipitation et de suspens préparent l’arrivée de Thyeste. Ainsi, lorsque ce dernier fait son apparition, il reste deux actes à Monléon pour acheminer sa tragédie vers une fin inéluctable. Quelques heures doivent suffire à Atrée pour faire découvrir à Thyeste la nature des mets qu’il vient de manger. Dès lors, le temps va pouvoir s’arrêter et le dénouement s’étirer en pleine obscurité.
Le lieu de l’action devint unique car il n’était plus vraisemblable qu’en vingt quatre heures les personnages se déplacent sur de grandes distances. Pour Monléon, cette règle d’unité était facile à respecter dans la mesure où dans la pièce de Sénèque, l’action se déroulait uniquement dans le palais d’Atrée. Mais le public attendait les scènes « à faire », et notamment la scène de prison. L'auteur tragique se devait d’offrir à son public la scène du héros emprisonné ou d’intégrer dans le lieu unique de sa tragédie cette notion de captivité. C'est donc à dessein que Monléon fit du palais d’Atrée la « prison » d’une Mérope captive que Thyeste venait libérer Atrée désigne explicitement son palais comme une « prison » au vers 863 et Thyeste comme « captif » au vers 1358. Sur les stances du prisonnier comme « attraction » obligatoire, nous renvoyons à l’ouvrage de S. W. Deierkauf-Hoslboer, L'Histoire de la Mise en scène dans le théâtre français à Paris de 1600 à 1673, Paris, Nizet, 1960, pages 111 et 134-136. En parcourant les notices et les planches du Mémoire de Mahelot, Laurent et d’autres décorateurs de l’Hôtel de Bourgogne et de la Comédie française au XVII e siècle. (Publié par Henry Carrington Lancaster. Paris, Honoré Champion, 1920) on constate que la prison est l’un des éléments de décor le plus souvent cité. Pour prendre deux exemples de tragédies inspirées de Sénèque et contemporaines du
Au moment où Monléon composait son Thyeste, les décorateurs n’avaient pas encore abandonné les compartiments pour appliquer le décor unique, appelé « palais à volonté ». Il est donc possible que cette tragédie obéisse encore à l’ancien système où, de part et d’autre de la scène de forme rectangulaire, on rangeait face à face des « mansions » censées représenter les différents lieux de l’action. Si la tragédie de Monléon n’en avait pas besoin, du fait de son lieu unique, en revanche le dénouement nécessitait ce qu’on appelait des « tapisseries ». Ces toiles étaient tendues sur les compartiments et les ôter ne manquait pas de susciter la surprise du public, surtout lorsqu’il s’agissait de découvrir les corps découpés des enfants de Thyeste et le cadavre de Mérope.
Les doctes exigeaient également que toutes les scènes soient liées, c’est à dire que le plateau ne soit jamais laissé vide. Si un personnage sortait, un autre devait y entrer, ou rester sur scène. Jacques Scherer explique que cette exigence théorique avait une origine très pratique. En effet, comme les plateaux de théâtre étaient profonds et encombrés, le temps que prenait un acteur pour atteindre le bord de scène était souvent très long. C'était donc pour combler ce laps de temps inutilisé et ne pas ralentir inconsidérément l’action que servit la liaison des scènes. Sur ce chapitre, Monléon se révéla un tragédien classique particulièrement zélé puisqu’il composa la première tragédie régulière où toutes les scènes étaient liées Le Sur les 36 scènes qui composent la tragédie, voici la répartition du nombre de scènes par personnages principaux : Criton (25), Atrée (18), Mélinthe (11), Mérope (9), Lycostène (9), Thyeste (7). Thyeste est peu présent parce qu’il ne fait son apparition qu’à l’acte IV, et l’acte V où il est très présent comporte un petit nombre de scènes comparativement aux autres actes.Thyeste de Monléon est cité par Jacques Scherer dans La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 2001, p. 277.
L'action du Dans sa Voir à ce propos E. Forsyth, Thyeste est d’une grande simplicité : Atrée se venge de son frère. L'unité d’action était d’autant plus facile à respecter que la pièce de Sénèque n’offrait déjà aucune échappatoire. Du reste, Monléon n’a pas choisi de compliquer cette unité. Toutes les scènes de son Thyeste sont dévolues à l’élaboration d’un châtiment exemplaire. Comme son modèle latin, l’action se déroule de façon linéaire et pas une scène ne dévie de cette trajectoirePoétique, Aristote distinguait l’action simple de l’action complexe. La première ne comporte aucun retournement de situation et le héros passe du bonheur au malheur de façon continue, comme c’est le cas dans les Thyeste de Sénèque et de Monléon.Thyeste de Sénèque, comme la plupart des tragédies de vengeance pré-cornéliennes qui se sont inspirées de l’auteur latinLa Tragédie française de Jodelle à Corneille (1553-1640). Le thème de la vengeance, Paris, Champion, 1994 (Réimpr. de la lère éd. de 1962), p. 158. En Appendice 2, un tableau des structures comparées des deux pièces de Monléon et de Sénèque illustre leur parallélisme, met en évidence les emprunts de Monléon et ses innovations, essentiellement concentrées dans les actes II et III comme nous l’analysons ci-après.
Au premier acte, Atrée expose les éléments du conflit. Sa fureur sans borne installe l’atmosphère passionnelle du reste de la pièce. Ensuite, comme chez Sénèque, le vengeur exhale sa colère et repousse les conseils raisonnes d’un contradicteur, Criton. Puis, jusqu’à l’arrivée de Thyeste à l’acte IV, Atrée prépare sa vengeance en s’attaquant d’abord à ses enfants puis à sa femme (ce qui dans la pièce latine équivalait à une intervention du chœur et au récit du sacrifice des enfants par un messager). L'acte IV met en scène la rencontre entre les deux frères et constitue une pause momentanée, une apparente accalmie avant la catastrophe finale. Le dénouement achève enfin la réalisation des projets lentement mûris.
Dans une tragédie de la vengeance, l’importance est donnée au châtiment, la cause étant secondaire. Dans « Il a enlevé mon épouse par un adultère », v. 223 ; « Ma femme a été séduite», v. 239. Sénèque, Le Thyeste, les raisons pour lesquelles Atrée se venge de son frère ne sont évoquées que brièvement. Cette hiérarchie était identique dans la pièce de Sénèque. Monléon cependant a développé le récit des forfaits de Thyeste. Il devait informer son public - qui n’était plus seulement constitué de lettrés comme au siècle précédent -, des tenants et des aboutissants du mythe. De surcroît, il fallait justifier une haine donnée comme un fait accompli chez Sénèque en développant la psychologie du personnage de furieux. C'est pourquoi le récit de l’inceste est plus développé que dans la pièce de Sénèque, où il n’occupait que quelques vers énigmatiques.Thyeste, trad. François-Régis Chaumartin, Paris, Les Belles Lettres, 2000.
Sur ce concept de génétique théâtrale, nous renvoyons aux ouvrages de G. Forestier, et notamment Passions tragiques et règles classiques (Paris, PUF, 2003) aux pages 207-210.
Les causes ayant été exposées, il restait à traiter l’essentiel, l’élaboration de la vengeance. Mais les auteurs modernes qui s’inspiraient d’un sujet antique se confrontaient à deux problèmes de réécriture. Le premier concernait le dénouement, traditionnellement annoncé dès le début, le second se rapportait au retranchement des chœurs, des récits et des sentences.
Chez Sénèque, la pièce s’ouvrait par un prologue où Tantale, interpellé de force par la Furie, s’effrayait de ce qui allait advenir à son petit-fils Thyeste. Suivait ensuite le monologue où Atrée exposait sa vengeance. Dans le Thyeste de Monléon, ce monologue ouvre d’emblée la tragédie. L'auteur moderne saute l’étape de l’apophétie de l’aïeul mais Atrée dévoile toujours ses manœuvres au public. Les spectateurs savaient à l’instar de Tantale que Thyeste devait être l’hôte d’un funeste festin. C'était autour de ce dénouement annoncé que s’organisait toute la pièce. Aucune « péripétie » - c’est à dire aucun retournement de situation - ne fait dévier cette trajectoire fatale. Cependant, cette dramaturgie d’une fin annoncée correspondait à la rhétorique de déploration des tragédies humanistes, où les héros se lamentaient de leur sort sans se débattre. Monléon devait amener le dénouement le plus naturellement possible, de telle manière que l’intérêt de ses spectateurs soit renouvelé au gré d’une action mouvementée et surprenante, comme dans les tragi-comédies. Pour cette dramaturgie de l’action, l’auteur devait sacrifier les personnages traditionnels du prologue et du chœur et les trop nombreuses maximes et sentences qui déplaisaient au public. La question dès lors se posait de faire tenir sur les cinq actes de la tragédie moderne, cette peau de chagrin qu’était devenue la pièce originale.
Comme la plupart des auteurs modernes qui y avaient recours, Monléon ajouta à son intrigue principale des épisodes secondaires Pour prendre exemple sur les deux pièces contemporaines de la tragédie de Monléon et inspirées de Sénèque, Rotrou ajouta à l’action principale de son Hercule Mourant l’épisode amoureux entre Arcas et Iole, et Corneille l’épisode entre Médée et Egée. Corneille traita précisément de ce procédé des épisodes dans son Premier discours sur le poème dramatique [1660], éd. cit.
Pour étirer la matière de sa pièce, Monléon développa considérablement le rôle des victimes. Tandis que la pièce de Sénèque se résumait à un duel fratricide ponctué par les interventions du chœur, la tragédie de Monléon multiplie par trois la confrontation entre Atrée et ses victimes. Le bourreau se trouve d’abord confronté aux enfants de son frère (acte II) puis à sa femme (acte III) et enfin à son frère (acte V). Les personnages de la femme et des enfants de Thyeste appartenaient au mythe mais Sénèque n’attribuait aux enfants qu’un rôle marginal sur scène et Mérope n’intervenait pas dans la pièce latine. Avec Monléon, ces victimes ne sont plus seulement évoquées, elles sont désormais représentées. On passait donc d’une dramaturgie du récit à une dramaturgie de l’action, de la représentation. De plus, Monléon devaient les faire intervenir pour une autre raison, essentielle : il fallait impérativement compenser et justifier l’entrée tardive du héros Thyeste, qui n’avait lieu qu’au quatrième acte. Dans la pièce de Sénèque, son apparition semblait moins retardée grâce aux interventions récurrentes du chœur. Mais ces parties ayant été retranchées, il fallait que Monléon remplace cette matière, équivalente à deux actes. C'est donc aussi pour justifier l’apparition tardive du père que Monléon fit précéder Thyeste de ses enfants.
Si la présence d’enfants sur scène restait exceptionnelle et pouvait attirer un public curieux, en revanche leur fonction dramaturgique était déjà souvent exploitée lorsque Monléon composa son 1. Anonyme, Thyeste. En effet, l’enfant sur la scène tragique servait fréquemment d’enjeu politique, en tant qu’héritier ou otage. Les tragédies, humanistes et préclassiques, ne faisaient alors que refléter une vie politique où l’enfant était au centre des alliances. Avec le théâtre baroque macabre, ce rôle évolua. L'enfant allait être exhibé et tenir le rôle de la victime tragique par excellence. Il n’était plus seulement au coeur des alliances, mais aussi au cœur des supplices. Parmi les exemples les plus emblématiques de cette vague d’infanticides, citons les bourreaux de la Tragédie mahommetiste et du More CruelTragédie Mahommetiste, Rouen, Abraham Cousturier, 1612. Dans cette tragédie orientale, un enfant en bas âge était tué, mais en coulisses. 2. Anonyme, Tragédie françoise d’un More cruel envers son seigneur nommé Riviery, Gentil homme espagnol sa demoiselle et ses enfants, Rouen, Abraham Cousturier, 1612. Cette tragédie est considérée comme l’un des sommets de l’horreur baroque et macabre. Pour se venger d’un affront de son maître, un esclave décimait sa famille, ses deux enfants puis sa femme, les torturant sur scène. Pour une analyse détaillée de cette tragédie, nous revoyons à Forsyth, éd. cit., p. 295-299 ; Lancaster, éd. cit., tome 1, p. 78-81 et J. Rousset, éd. cit., p. 86.
Monléon semble redevable de cette tradition. Pourtant, lors de la création de son Thyeste, la pression des bienséances avait déjà commencé d’interdire les spectacles trop sanglants et choquants sur scène. De plus, les doctes répugnaient aux scènes d’épanchements affectifs que la présence enfantine était susceptible de provoquer. De ce point de vue, la scène de baisers entre Mérope et ses fils constitue le type même de scène à la limite de l’acceptable. Et si les scènes de baisers étaient encore fréquentes sur la scène préclassique, elles disparaîtront tout à fait de la scène classique après la Fronde.
Avec le théâtre classique, notamment pour des raisons de morale chrétienne, il ne sera plus question de donner à voir le massacre d’innocents. L'enfant gardera son statut privilégié de victime, mais il sera dorénavant épargné Sur l’évolution du rôle des enfants sur la scène tragique, nous renvoyons à l’article de Jean Emelina, « L'enfant dans le théâtre du XVIIe siècle », dans Enfance et littérature au XVII e siècle, Toulouse, « Littératures classiques », n° 4, janvier 1991, p. 79-92. L'auteur de cet article citait comme autre pièce de théâtre où des enfants en bas âge étaient sacrifiés, la tragi-comédie de Giboin,
Ces évolutions historiques - concernant le rôle des enfants sur la scène théâtrale, l’avancée des bienséances et le renouveau de la scène tragique - nous permettent de mesurer l’archaïsme de Monléon. Conformément à une esthétique spectaculaire et macabre, les enfants du Thyeste restaient avant tout les sujets du bourreau Atrée et leur exploitation dramaturgique semblait d’abord procurer à leur auteur le prétexte d’une scène d’empoisonnement supplémentaire. Mais paradoxalement, malgré cet archaïsme baroque, la présence de Théandre et Lysis accentuait aussi le caractère pathétique d’une pièce à l’origine essentiellement horrifique. Ce rééquilibre en faveur des victimes faisait pencher la balance des émotions tragiques du côté de la pitié, émotion que venait encore soutenir et renforcer Mérope, ce personnage de mère et d’amante.
Monléon en faisant intervenir Mérope, s’appropriait son sort, incertain dans le récit mythologique (selon les versions, elle était simplement exilée ou jetée à la mer Cf. article « Aéropé » (nom mythologique de Mérope) dans Pierre Grimai, Théophile de Viau, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, PUF, 1951.Pyrame et ThisbéLes Amours tragiques de Pyrame et Thisbé, Paris, P. Billaine et J. Quesnel, 1623 (édition originale selon Lancaster). La pièce, probablement représentée en 1621, reçut un tel succès qu’elle fut rééditée presque tous les ans, jusqu’en 1633.
« Parallèlement à l’idylle bocagère, une traînée de sang inonde le théâtre français », Jean Rousset, La Littérature baroque. De Circé au paon, Paris, J. Corti, 2002, p. 81.
C'est encore pour satisfaire les goûts d’un public amateur de mouvements et d’action, que Monléon substitua au personnage féminin traditionnel de la scène tragique, statique et éplorée, un personnage de femme en action. Bien que tyrannisée, Mérope ne pouvait plus se comporter comme une épouse larmoyante qui ne cherchait pas à échapper à son destin. Cette rhétorique de la deploration et ce spectacle de pleurs étant dépassés, on comprend qu’avant d’être acculée au suicide, Mérope tentait de fuir cf. Acte III, scène 6, v. 960-961 : « Las ! pour te secourir je n’ay rien que des vœux, / Tous ces lieux sont fermez, je n’ay point de passage... ».Cléopâtre captive de Jodelle un siècle plus tôt. De plus, dans la scène de l’empoisonnement, le public voyait cette reine courir d’un fils à l’autre. Et pour accompagner ce rythme soutenu, les courtes répliques entre Mérope, Melinthe et Théombre s’enchaînaient rapidement :
MELINTHE
Madame, icy Madame ! MEROPE
Ah ! lamentable jour. Détestables faveurs. THEOMBRE
Courez icy Madame ! Monléon,
Thyeste, v. 595-596.
D'une manière générale, en ajoutant des personnages, Monléon accélérait le rythme des échanges. L'exemple le plus frappant concerne le récit de l’empoisonnement des enfants que les deux complices d’Atrée, Criton et Melinthe, rapportaient au roi (scène 3, acte III). De l’unique messager de Sénèque, ce récit était désormais partagé entre trois voix, Atrée intervenant fréquemment pour couper ou relancer ses interlocuteurs. « Criton vit le spectacle. » Monléon, Thyeste, v.746.
Garder les récits de la pièce antique aurait ralenti le rythme de la pièce moderne. Les supprimer revenait aussi pour les auteurs à leur substituer une rhétorique du spectaculaire et du merveilleux. Outre la scène finale du festin pédophage, qui se déroulait déjà dans une atmosphère sombre et surnaturelle, Monléon ajouta à la pièce de Sénèque une scène d’empoisonnement et de suicide. Les enfants et Mérope agonisaient sous les yeux du public. Pour reprendre la célèbre expression de Jean Rousset, de la mort figée antique, les auteurs baroques proposaient désormais le spectacle d’une « mort convulsée ». Jean Rousset, éd. cit., p 110.
Ce théâtre macabre vit le jour à la fin du XVI Bernard Chédozeau, Le Jean-Edouard Du Monin, e siècle. Il répudiait l’aspect didactique de la tragédie humaniste. Tout en puisant aux mêmes sources - en l’occurrence Sénèque - ces auteurs en proposaient une lecture radicalement différente. Le premier théâtre baroque voulait en effet moins instruire que « provoquer une conversion violente »Baroque, Paris, Nathan, 1989, p. 110.movere (émouvoir, en latin) devait l’emporter sur le docere (instruire). Ce changement de finalité de la tragédie se fit sentir en France en 1585. A cette date parut la pièce de Jean-Edouard Du Monin, L'Orbecc-Oronte, une traduction libre de la pièce de l’auteur italien Giraldi, L'Orbecche, inspirée du Thyeste de SénèqueOrbecc-Oronte, Paris, Guillaume Bichon, 1585. Pour une analyse détaillée de cette tragédie de la vengeance voir E. Forsyth, op. cit., p. 255 sq.
Monléon, en tirant sa tragédie de la même source que ces pièces sanglantes, s’inscrivait indubitablement dans cette tradition baroque. Un public lettré ne pouvait manquer de se souvenir de la pièce de Du Monin ou d’autres pièces du début du siècle qui tiraient leur catastrophe de ce même schéma Citons comme pièce inspirée du Thyeste, plus récente que celle de Du Monin, une tragédie de Mainfray de 1618, Cyrus triomphant ou la fureur d’Astyages, Roy de Mede, Rouen, David Petit du Val, 1618. On peut trouver une analyse de cette tragédie dans l’ouvrage de Marianne Closson, L'Imaginaire démoniaque en France (1550-1650). Genèse de la littérature fantastique, Genève, Droz, 2000, p. 444.
Ainsi, grâce à l’entrée successive des victimes, Monléon ménageait une montée exponentielle de la pitié, tout en y cumulant un mouvement similaire de surenchère dans l’horreur. Car les crimes d’Atrée vont s’enchaîner les uns après les autres, tels que le bourreau les avait programmés dès les premiers vers de la pièce. La tragédie progressait donc selon une structure linéaire et une dramaturgie narrative où la marche vers la mort était inéluctable. A l’image de ses confrères de la tragi-comédie courants d’aventures en aventures, Atrée courait de crime en crime.
Cette dramaturgie narrative que nous pouvons déceler dans le Voir notamment R. Lebègue, « L'influence des romanciers sur les dramaturges de la fin du XVI Le premier volume des Thyeste de Monléon s’inspirait très vraisemblablement du succès remporté par les tragi-comédies. Or, celles-ci se construisaient sur un modèle qu’elles avaient puisé dans des sources romanesques sur lesquelles elles se moulaiente », dans Études sur le théâtre français, t. I, p. 271. Les références de recueils de nouvelles et de tragédies qui suivent sont tirées de cet article.Histoires tragiques que les français Boaistuau et Belleforest avaient traduites des Novelle de l’italien Bandello, connurent un vif succès et inspirèrent Le More cruelHistoires Tragiques fut publié en 1559 par Pierre Boiaustau et les 6 volumes suivants, de 1560 à 1604, par François Belleforest.
Enfin, mentionnons également deux recueils de nouvelles de Jean-Pierre Camus, publiés en 1630 et où étaient relatés des récits de cannibalisme en famille, Jean-Pierre Camus, L'amphithéâtre sanglant où sont représentées plusieurs actions tragiques de nostre temps et Cléarque et TimolasCléarque et Timolas. Deux histoires considérables, Rouen, David du Petit Val, 1630 ; L'Amphithéâtre sanglant où sont représentées plusieurs actions tragiques de nostre temps, Paris, J. Cottereau, 1630.
Les nouvelles de ces recueils étaient écrites de telle manière que le lecteur puisse les confondre avec la réalité. Les auteurs avaient ce souci de réalisme et leurs histoires mêlaient habilement fiction et réalité, à la manière des « faits divers ». Outre le style de certaines nouvelles que l’on qualifierait aujourd’hui de « journalistique », ces histoires sanglantes avaient comme autre point commun de mêler des intrigues sentimentales (parfois erotiques) et des scènes d’horreur. Le sentiment amoureux convoquait généralement la jalousie, qui elle-même engendrait la colère vindicative et le meurtre. Adultères, incestes, infanticides et vengeance semblaient donc des ingrédients indissociables, que le public retrouvait sur la scène théâtrale baroque. Citons pour exemple deux tragédies de la vengeance d’Alexandre Hardy, le plus prolixes des auteurs de l’époque, où l’intrigue amoureuse tenait lieu de prétexte à la fureur criminelle : Pour une analyse détaillée de Lucrèce et l’adultère puni et Alcméon ou la Vengeance féminineAlcméon, nous renvoyons à l’ouvrage de Forsyth, p. 347. Quant à Lucrèce, comme l’indique dans son introduction Jacques Scherer (Théâtre français du XVII e siècle,t. I, éd. cit.), il est intéressant de noter que dans ce « chant d’amour», la liaison adultère revêtait toutes les qualités d’une relation légitime. Le couple d’amants tyrannisés, comme dans la tragédie de Monléon, y était adultère. On trouvait aussi cette liberté de moeurs dans
On voit donc comment les sources romanesques avaient pu inspirer le théâtre, Le Thyeste s’inscrivant dans ce contexte littéraire.
Ce déferlement de sang et d’amours illégitimes ne sera bientôt plus du goût ni de la Cour ni des auteurs soucieux de redonner à la tragédie ses lettres de noblesses. C'est pourquoi, parallèlement aux trois règles d’unité, la tragédie régulière se façonna aussi dans le cadre strict des bienséances. Cependant, les historiens du théâtre présentent Monléon comme le mauvais élève de cette « purification » de la scène théâtrale française Le terme est employé par Scherer et illustre la tyrannie des bonnes moeurs que devaient subir les auteurs. Dans Jean de Rotrou, Pierre Corneille, La Calprenède, La Dramaturgie classique en France, op. cit., p. 384.Thyeste avec d’autres tragédies contemporaines, il est surprenant qu’elle soit si souvent mentionnée comme l’un des exemples phares de l’horreur théâtrale baroque. Il suffit de lire Crisante de Rotrou, tragédie tirée de PlutarqueCrisante, Paris, Sommaville et Quinet, 1640.Médée de Corneille, la magicienne accomplissait sur scène ses prodiges, les morts de Creuse et Créon ayant lieu sous les yeux des spectateurs. Dans Clitandre du même Corneille, l’héroïne se vengeait cruellement de son violeurClitandre [1632], dans Théâtre complet, éd. G. Couton, Paris, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1980.La Mort de Mithridate de La Calprenède s’achevait sur cinq cadavres, lentement consumés sous l’effet du poisonLa Mort de Mithridate [1636], dans Théâtre français du XVII e siècle, éd. J. Scherer et J. Truchet, t. II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1986.
En comparant la fureur d’Atrée à celle du roi Astyages de la tragédie de Mainfray, Cyrus triomphant ou la fureur d’Astyages, Roy de Mede (1618), nous pouvons prendre la mesure de la sobriété du premier. Le second en effet n’épargnait pas au public le récit des supplices qu’il comptait exécuter sur son petit fils Cyrus :
Le feray-je estouffer ou bien si d’un poignard Je lui transperceray le coeur de part en part Ou noyer [...] Ou estouffer [...] Non il ne luy faut pas un trespas si sanglant C'est le fils de ma fille et le sang de mon sang. Mainfray,
Cyrus triomphant ou la fureur d’Astyages, Roy de Mede, Rouen, David Petit du Val, 1618, p. 16-17.
A la lecture de ces vers, on réalise que Monléon a tu les déclarations trop « saignantes » qu’aurait pu tenir son bourreau. Car si Atrée témoigne de sa fureur, il n’en donne aucun détail cru, sauf dans la scène ultime de confrontation avec son frère. Mais les quelques vers où Atrée décrit la manière par laquelle il procéda au dépeçage de ses neveux nous semble particulièrement sobre comparativement au récit sénéquien :
Le sauvage lui a enfoncé son épée dans le corps et pénétrant au plus profond, il a fouillé de sa main sa gorge [...] la nuque tranchée, le tronc se projette en avant, la tête a roulé, poussant une plainte [...] Les entrailles arrachées aux corps vivants tressaillent, les veines palpitent et le cœur bondit encore d’épouvante ; mais il manipule les chairs, scrute les destins et observent les veines encore chaudes des viscères [...] Lui-même découpe le corps, sépare les membres, ampute jusqu’au tronc les larges épaules et les attache des bras, dénude sans pitié les articulations et retranche les os...
Sénèque,
Thyeste, éd. cit., v. 720 et suivant.
Des deux émotions tragiques, la crainte et la pitié, la pièce de Sénèque privilégiait le « phobos » aristotélicien. Ce terme avait été traduit par « horreur » chez les humanistes. Les auteurs et poéticiens classiques, quant à eux, le traduisirent différemment : soit par « crainte » (c’est le cas de Corneille »), soit par « terreur » (comme dans la Ces différences de traduction ont été observées par Raymond Lebègue dans l’article « La Tragédie shakespearienne en France au temps de Shakespeare », éd. cit., p. 332.Poétique de La Mesnardière) ou encore par « frayeur »
En résumé, dans sa tragédie, Monléon a tenté de contrebalancer l’émotion tragique de la terreur par son corollaire, la pitié, émotion tragique que la pièce de Sénèque ne comportait qu’en filigrane. On relève dans son traitement du mythe un effort pour susciter chez son public moderne de la compassion envers les personnages des victimes, Thyeste et ses auxiliaires pathétiques, ses enfants et leur mère. Ces personnages étaient nécessaires compte tenu de deux impératifs : pallier l’entrée tardive de Thyeste et rééquilibrer la présence écrasante du bourreau. Pour autant sa pièce demeure une tragédie de la vengeance qui s’articule autour d’un seul et unique thème : l’élaboration d’un châtiment exemplaire. C'est pourquoi, malgré ces tentatives de rééquilibrage, la pièce de Monléon pivote autour d’un personnage omniprésent, le bourreau Atrée.
Comme la tragédie dont il est le personnage principal, Atrée est à la fois antique et moderne. Figure traditionnelle de l’excès, de l’hyperbole et de la volonté de puissance, il s’inscrit dans la lignée des monstres vindicatifs du théâtre humaniste. Dans le même temps, Atrée présente un aspect baroque qui réside non plus dans les traits de son caractère mais dans l’élaboration de ses crimes. La marche vers la mort qu’il entreprend ne s’opère pas sans manipulation, ostentation et mensonge qui sont autant de thèmes baroques. Son double langage, son ironie tuent comme le poison et le poignard. Enfin, sa puissance destructrice resterait incomplète si elle n’était pas mise en spectacle et ses crimes seraient imparfaits s’ils ne suscitaient pas la surprise Pour illustration, retenons entre autres exemples, cette déclaration d’Atrée : « Si tu veux triompher monstre luy ses malheurs. » (acte V, scène 1, vers 1359).
« Il hait autant qu’il peut. » Monléon, Pour une analyse plus détaillée de ce processus vindicatif, hors procès, nous renvoyons à l’ouvrage de Florence Dupont, Eschyle, Le Thyeste, acte IV, scène 1, vers 1139.Les Monstres de Sénèque, Paris, Belin, 1995.Agamemnon d’Eschyle : « J'ai tramé son meurtre en toute justice ».Agamemnon, éd. D. Loaza, Paris, GF Flammarion, 2001, v. 1604.
Atrée est tyrannique à double titre. Car au sens étymologique du terme, « tyran » signifie aussi usurpateur. Non seulement Atrée légifère selon son bon vouloir, mais il usurpe le pouvoir divin. Comme Prométhée - dont Thyeste rappelle par deux fois le châtiment aux vers 1204 et 1597 - Atrée prétend à l’égal des dieux délivrer le feu, la lumière, métaphores traditionnelles de la connaissance. Profitant de l’absence du soleil (« Le Soleil ne luit plus, & cette obscurité / Sollicite ton ame à cette cruauté. », v. 1361-62), Atrée s’autoproclame monarque absolu. A l’égal d’un Roi Soleil A plusieurs reprises dans la pièce, Atrée se compare au soleil. Voir notamment les vers 1344-1345.
Cette présomption est à l’image de sa démesure. Atrée est un être entièrement voué à la surenchère. Quand son frère surpasse Tantale et Pélops, leurs aïeux (« Son crime d’un inceste a surmonté le leur » Monléon, Monléon, Monléon, Le Thyeste, acte I, scène 1, vers 19.Le Thyeste, acte I, scène 1, vers 17 et 22.Le Thyeste, acte I, scène 3, vers 75.
En atteignant ainsi des sommets d’orgueil, il rejoint les figures mythologiques du gigantisme : « Et ma félicité qui n’a point de seconde, / Me rend le plus heureux & le plus grand du monde. » (v. 1354-55). Comme les Géants - évoqués au vers 1675 - dont la légende est associée à la notion de défi Cf. Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, PUF, 1951, article « Géants ».Vhybris, Atrée dépasse la mesure. C'est pourquoi il pourra déclarer au vers 7 : « L'enfer tremble d’effroy, le ciel d’estonnement ». Par un double renversement de valeurs, c’est Atrée qui effraie, et non l’enfer, c’est lui qui tonne ou foudroie, et non le ciel. Mais cet orgueil ne lui suffit pas. Non content de donner à manger de la chair humaine à son frère, Atrée renchérit par une autre infraction : En rassasiant la faim de son grand-père, Tantale, il bafoue l’interdit divin.
J'ay treuvé des repas pour soulager sa faim : Mais des repas cruels, & dont son cœur perfide Aura de la frayeur voyant mon homicide :
Monléon,
Le Thyeste, acte I, scène 1, vers 12-14.
Il est intéressant de noter que dans le « Marianne Closson, Thyeste de Sénèque, ce sacrilège n’était pas commis par Atrée mais par la Furie qui déclarait à Tantale : « Je t’ai accordé un jour de liberté et t’ai donné licence d’assouvir ta faim à cette table »Liberum dedimus diem tuamque ad istas soluimus mensas famem », Sénèque, Thyeste, v. 64.e siècle, ont alimenté une littérature où, entre fiction et réalité, les auteurs-chroniqueurs retraçaient avec force détails les rituels infernaux des sabbats. Et ces rencontres nocturnes s’accompagnaient toujours de scènes d’anthropophagie et de meurtres d’enfants. Atrée ferait donc partie de ces figures modernes du diable qui, comme le fait observer Marianne ClossonL’Imaginaire démoniaque en France (1550-1650). Genèse de la littérature fantastique, Genève, Droz, 2000. Voir en particulier « L'imaginaire du sabbat », p. 211-230. Franck Lestringant établit quant à lui un parallèle entre le tyran vindicatif et anthropophage, dont la haine est « proprement dévorante », bien que cette analyse comporte des limites dans notre cas puisque ce n’est pas Atrée le cannibale, mais son frère. Nous renvoyons cependant à son ouvrage : Cannibale. Grandeur et décadence, et notamment à son chapitre consacré aux pièces baroques du XVIe et XVIIe siècle inspirées du Thyeste de Sénèque, p. 194 et suivantes.
La mythologie rejoint donc la modernité ; et la furie mythique, le diable baroque. Figure intemporelle, le monstre assoiffé de sang d’enfants, peut ainsi trouver sa place dans l’imaginaire littéraire et théâtral, qu’il soit de source mythologique, biblique, ou oriental. L'Atrée de Sénèque pourra inspirer aussi bien le tyran biblique Nabuchodonosor que l’esclave oriental du Pour le rapprochement entre le Nabuchodonosor de Garnier et l’Atrée de Sénèque, voir Madeleine Lazard, More cruelLe Théâtre en France au XVI e siècle, Paris, PUF, 1980, p. 120. On pourra aussi se reporter à l’ouvrage de Forsyth, notamment aux pages 152 et 156 sur les similitudes entre le monstre sénéquien et l’Aman de Rivaudeau, dans la pièce du même nom (1566) et le personnage féminin et sanguinaire, Rose, dans
A côté de cette figure traditionnelle du vengeur, Monléon a ajouté le personnage du traître. Absent du théâtre antique et humaniste, ce personnage trouvera sa place dans la tragédie classique, mais il est encore rarement exploité dans le théâtre baroque. C'est pourquoi cette figure du traître dans le Thyeste de Monléon est intéressante à double titre, de par sa nouveauté et de par son sexe, puisqu’il s’agit d’une femme.
Mélinthe est un rôle à part entière. Dans le récit des forfaits de Thyeste, récit que Monléon a considérablement développé par rapport à son modèle latin, Mélinthe y joue un rôle essentiel. Atrée la désigne comme responsable de la relation incestueuse. Ce serait elle qui permit à Mérope et Thyeste d’entretenir leur adultère. Cette invention de Monléon ne contredit pas la mythologie dans la mesure où les circonstances de cette relation secrète n’y étaient pas développées. Monléon bénéficiait d’une marge de manœuvre qu’il exploita amplement. Cette responsabilité de Mélinthe dans les crimes passés des deux amants justifie qu’Atrée se serve de la confidente de Mérope pour en faire une traître. Atrée tient Mélinthe en son pouvoir et peut la faire chanter. Coupable, Mélinthe devra trahir et commettre un infanticide sans quoi elle sera condamnée. Donc, son rôle permet aussi de déculpabiliser le couple d’amants et de reporter une partie de la faute sur son personnage.
Bras droit d’Atrée, Mélinthe fait figure de double féminin du vice. Elle ment à sa reine comme Atrée ; elle feint devant Criton, comme Atrée avec Thyeste ; elle empoisonne les enfants de Mérope, comme Atrée plus tard les découpera. Enfin, comme un authentique tyran, Mélinthe est mue par la même soif de pouvoir. Aveuglée par son ambition, elle croira en la fallacieuse proposition d’Atrée (une couronne contre un crime) et commettra l’infanticide. Mais, en toute logique, le souverain démoniaque se débarrassera d’une traître devenue inutile et son rôle se clôturera en coulisses (acte III, scène 3) afin de ne pas montrer sur scène un meurtre supplémentaire.
3e dirai icy en passant que la moitié de la tragédie se joue derrière le théâtre
. Laudun d’Aigaliers P. de,
L'Art poétique français[1597], éd. J. Dedieu, Genève, Slatkine reprints, 1969.
Parce qu’il trame ses crimes en coulisses, Atrée n’est pas le personnage le plus présent de la tragédie Cf. nos remarques sur la liaison des scènes réalisée grâce à Criton, personnage le plus present sur scène. Le procédé des « feinte » ou « faintise » permettait de ne montrer aux spectateurs qu’une partie des supplices grâce à une fente dans un rideau. Mahelot en mentionne dans son Mémoire, et dans sa Poétique, La Mesnardière les ridiculise, ce qui signifie que le procédé valait encore en 1639. Cf. R. Lebègue, « La tragédie shakespearienne en France », éd. cit., note 1, p. 333.
On a pu reprocher aux personnages du théâtre de Sénèque leur caractère immuable. De fait, Atrée n’évolue pas mais oscille entre mensonge et vérité. Cette ambivalence ne réside pas dans ses hésitations et ses remords car ces dilemmes passagers appartiennent à un « style d’époque », codé et dénué de naturel Ces remarques sont inspirées de l’ouvrage de Gabriel Conesa, Pierre Corneille et la naissance du genre comique (1629-1636), Paris, SEDES, 1989. L'auteur montre comment Corneille rendit naturel la rhétorique conventionnelle de cette époque, que l’on trouve dans la tragédie de Monléon. Voir notamment le 2e monologue délibératif d’Atrée de la scène 3, acte I.
Atrée ment pour dissimuler ses desseins criminels et persuader ses acolytes de lui prêter main forte. Pour reprendre la distinction opérée par Bernard Chédozeau entre rhétorique de persuasion et de conviction B. Chédozeau, Le Baroque, éd. cit., note 4, p. 85.
Atrée ne persuade pas seulement, il contamine aussi. Le double langage est présent dans toutes ses paroles et dans celles de ses deux acolytes. Mélinthe use de l’art du mensonge auprès de la reine Mérope et de Criton (scène 5, acte 1). Le sage Criton saura mentir à Thyeste, Lycostene et Theombre. Seules les victimes échappent à ce processus mensonger. La sincérité de Thyeste et Mérope en ressort d’autant mieux.
On analyse traditionnellement l’ironie comme une antiphrase, figure de pensée qui consiste à faire entendre le contraire de ce qu’on dit Ces différentes définitions de l’ironie sont extraites de l’article de Anne Herschberg Pierrot, C. Kerbrat-Orrechioni dans son article « L'ironie comme trope », cité par Anne Herschberg-Pierrot, éd. cit. Jacques Morel, Stylistique de la prose, Paris, Belin « Sup », 1993, p. 149-167.Rotrou, dramaturge de l’ambiguïté, Paris, Klincksieck (1968), 2002. Il propose une analyse très détaillée des différentes formes d’ironie dans les pièces de Rotrou, pp. 292-318.
Vous me le faites voir adorables enfans, C'est par vous que mes jours se rendront triomphans... Monléon,
Thyeste, v. 535-536.
Dans cet autre exemple, le public discernait également la raillerie d’Atrée derrière cette fausse déclaration galante à Mélinthe :
Tu sçais bien que pour toy mon amour est extrême, Qu'il m’a déjà rendu plus à toy qu’à moy-mesme.
Monléon,
Thyeste, v. 217-218.
Mais, il est une autre ironie, plus subtile, qui consiste à citer un discours sans le revendiquer Cette dimension polyphonique de l’ironie comme « mention » a été analysée par le linguiste Ducrot dans Le Ciel n’a jamais ordonné à Atrée de se priver du trône au profit de son frère. C'est le contraire qui s’est produit. Sur les ordres de Zeus qui désapprouvait l’adultère de Thyeste, Hermès suggéra à Atrée de proposer à son frère que le trône reviendrait à celui qui accomplirait un prodige. Thyeste, croyant son frère fou, accepta ce marché. Hermès fit en sorte que les pléiades tournent en sens inverse dans le ciel. Thyeste dû rendre le trône à Atrée et fut condamné à l’exil.Le dire et le dit. Cf. Anne Herschberg Pierrot, éd. cit.
Enfin, dans la citation qui suit, Atrée désigne par antiphrase, les enfants de Thyeste comme son bien le plus précieux :
Caressez ce présent & gardez moy ce gage, Qui de tous mes trésors m’est le plus précieux... Monléon, Thyeste, v. 543-544.
Or, Thyeste lui vola un « trésor » aussi précieux, la toison. Atrée se venge donc à l’identique.
La vengeance d’Atrée dépasse l’ancestrale loi du Talion (« oeil pour oeil, dent pour dent ») : ce sont désormais les criminels qui se punissent eux-mêmes et Atrée s’en sert comme instrument de sa vengeance. Mélinthe empoisonne les enfants de Thyeste à la place du roi, Mérope se suicide sans qu’il soit besoin de la tuer, Thyeste amène ses propres enfants à leur bourreau. Parmi les répliques qui formulent ce principe, retenons celle adressée à Mérope où Atrée parle de la Reine, sans qu’elle ne le sache :
Et quiconque en ces lieux se soit monstre perfide, Se punira soy-mesme en son propre homicide.
Monléon,
Thyeste, v. 898-894 ; voir aussi v. 91-92 : « Que Thyeste te venge (...) Qu'il soit son seul bourreau » et la traduction du fameux « ipso Thyeste » de Sénèque au vers 73 dans la tragédie de Monléon.
Atrée applique ce même principe à rencontre de son frère : « Thyeste de sa main punira son forfait » (v. 28).
Sous-titre de l’ouvrage de Jean-François Maillard : Essai sur l’esprit du héros baroque (1580-1640). Le même et l’autre, Paris, Nizet, 1973.
Aux dires d’Atrée, Thyeste aurait pu lui donner à manger ses propres enfants Cf. vers 1660-1662 : « Tu voulois prendre Atree, & c’est luy qui t’a pris : / Tu voulois le premier exposer sur sa table / Ce présent gratieux, ce mets incomparable... » Monléon, Thyeste, acte V, scène dernière, v. 1681.
Le projet de tuer son frère aurait pu faire hésiter Atrée, comme Thamar qui vient pourtant d’être violée par son frère, dans Amnon et Thamar de Chrestien des Croix (1608) :
C'est mon sang que je jette au Tonnerre inhumain ; Ce que je veux détruire est mon frère germain ! C'est un autre moi-même ! ...
Amnon et Thamarde Chrestien des Croix (1608), p70-71. Cité par E. Forsyth, p. 284.
Mais c’est précisément cette gémellité qui motive Atrée et le pousse à la haine. Parce que Thyeste aurait pu être un autre lui-même, un autre roi, un autre époux de la reine, Atrée doit l’éliminer Au vers 442, Atrée pousse l’ironie jusqu’à désigner son frère comme « espous » de Mérope.
Le « théâtre du monde » et le « monde renversé » sont des thèmes baroques qui exploitent les effets de reflets et de confusion. Dans Le Thyeste, ces phénomènes d’enchevêtrement se retrouvent à trois niveaux : confusion entre fiction et réalité, microcosme et macrocosme, présent et passé.
Pour les poètes baroques, le monde n’est que le reflet d’une pièce de théâtre où les hommes sont des marionnettes au dessus desquels règne un metteur en scène divin. Dans cette lecture du Theatrum mundi, Atrée pourrait bien occuper le statut de ce démiurge. Dans son palais, une pièce se joue en effet dont il est le seul arbitre. La dernière scène de la tragédie équivaut à une véritable mise en scène de la mort où, dans un procédé de « théâtre dans le théâtre », Atrée dévoile ses meurtres en soulevant tour à tour deux rideaux. Le premier découvre les restes des enfants de Thyeste, le second, le cadavre de Mérope.
Cette confusion entre fiction et réalité s’illustre également dans la scène 2 de l’acte IV où Thyeste découvre un tableau où deux frères s’entretuent. Lycostène le rassure en lui rappelant qu’il s’agit d’une fiction.
Dans ce vaste « théâtre du monde », le macrocosme se reflète et se confond dans le microcosme. Dans « Tu vois les deux, comme troublés par les actes des hommes, / Menacer leur theatre sanglant. » (« Macbeth, le crime des époux sanguinaires se reflétait dans un monde désordonnéThou seest the heavens, as troubled with man’s acts, / Threaten his bloody stage. ») Shakespeare, Macbeth [1605], trad. J. M. Desprats. Paris, Folio Gallimard, 1996. Scène 4, acte II.Thyeste de Monléon, où l’éclipsé du soleil reproduit le comportement du couple adultère, Thyeste et Mérope. Pour preuve, cette définition du terme « adultère » dans le Dictionnaire de Furetière en 1690 : « Les astronomes appellent adultère du soleil et de la lune leurs éclipses quand elles se font en quelque manière contre les règles de l’Astronomie ».
A cette confusion cosmique s’ajoute encore une confusion des temps. Ce que l’on croyait appartenir au passé redevient présent. Ainsi, dans la scène 8 de l’acte 2, lorsque Mérope embrasse tour à tour ses deux enfants, elle ne peut exprimer de préférence. Ses valses hésitations rappellent son comportement de femme aimante, tiraillée entre les deux frères Atrides. « De ses plaisirs perdus, elle prend les usures », commente Mélinthe Monléon, Thyeste, v. 573.
Enfin, le cycle de la vengeance comme le récit de l’autopsie appartiennent à ce même procédé de mise en abyme. On peut lire en effet les gestes du médecin éventrant les enfants de Thyeste comme une répétition générale du sacrifice qui doit avoir lieu deux actes plus loin. Atrée répéta quant à lui le sacrilège de son grand père, Tantale. Le crime se transmet donc de père en fils. Et dans le récit mythologique, la vengeance se prolongeait encore, le fils de Thyeste, Egisthe, tuant le fils d’Atrée, Agamemnon. Seule une intervention divine pouvait clore le cycle Eschyle, Les Choéphores, éd. Daniel Loaza, Paris, GF Flammarion, 2001.
Monléon, cependant, va mettre un terme à ce cycle. En effet, dans la mythologie, Atrée avait deux fils, Agamemnon et Ménélas que Monléon ne mentionne à aucun moment alors que dans la tragédie de Sénèque, ils avaient pour fonction d’être les messagers auprès de Thyeste. Avec Monléon, ce rôle revient à Lycostene. Son roi Atrée est donc sans héritiers. En outre, dans le récit mythologique, Atrée ne sacrifiait pas tous les enfants de Thyeste. Dans un autre volet de la fable, il restait un enfant qui vengeait l’injure faite à son père. C'est pourquoi le public romain savait que le bourreau ne demeurait pas impuni même si Sénèque achevait sa tragédie du Thyeste sur le festin. L'auteur latin avait en effet composé un Agamemnon où Egisthe assassinait le fils d’Atrée.
Monléon choisit donc de ne pas laisser en suspens ce cycle de la vengeance. Au tomber du rideau, le public ne pouvait pas espérer en une justice à venir, aucun fils de Thyeste ne vengerait son père. Le vice était impuni, la vertu opprimée. En d’autres termes, sa tragédie ne proposait aucune leçon de morale.
C'est au XVI Ronsard, e siècle, que la tragédie fut définie comme un genre littéraire instructif. En effet, pour Ronsard et les auteurs de la Pléiade, la tragédie humaniste devait être « didascalique et enseignante »Préface sur La Franciade (1587). Cité par Forsyth dans son introduction à De l’Art de la tragédie de Jean de La Taille, Paris, STFM, p.Thyeste parmi les meilleurs sujets de tragédie. C'est au XVIIe siècle que les poéticiens classiques assignèrent à ce dénouement une finalité morale : Les héros devaient être récompensés et les méchants châtiés, comme le préconisait La Mesnardière en 1639, écartant de fait les Médée et Thyeste de Sénèque des bons sujets tragédie :
Si le sujet est tel que le principal personnage soit absolument vicieux, ce qu’on tâchera d’éviter pour les raisons que j’ai dites, il ne faut pas que ses crimes soient exempts d’un châtiment qui donne beaucoup de terreur, et même il faut s’il est possible, que les mauvaises actions paraissent toujours punies, et les vertus récompensées. [...] C'est en ce point là que le poète doit penser à la morale, donner beaucoup à l’exemple, et ne pas commettre les fautes que nous voyons en plusieurs poèmes, ainsi que dans la
Médéeoù le héros est perfide, et l’héroïne meurtrière [...] sans que l’une soit punie d’une cruauté si horrible, ni que l’autre soit châtié [...].
La Thyesteest fort imparfaite pour cette même injustice, et il n’y a point de lecteur qui ne murmure en la lisant, lors qu’il voitl’exécrable Atréese baigner impunément dans le sang de ses neveux à ce détestable banquet qui fit éclipser le soleil, si nous croyons les livres.La Mesnardière Jules Pilet de,
Poétique, Paris, A. de Sommaville, 1639, p. 21. (C'est nous qui soulignons).
Dans L'abbé d’Aubignac rejette lui aussi le Le Thyeste de Monléon, fidèle au dénouement sénéquien, les « mauvaises actions » d’Atrée n’étaient pas condamnées. Il n’est donc pas étonnant que ce sujet ait été rejeté par les poétiques classiquesThyeste comme sujet de tragédie : « certaines histories accommodées au théâtre d’Athènes avec beaucoup d’agréments, seraient en abomination sur le nostre ; par exemple, l’histoire de Thyeste », La Pratique du théâtre, Paris, 1657, p. 58.
Corneille proposait une réponse, ayant eu à se confronter à ce même type de dénouement sanguinaire avec Sur cette question, nous renvoyons au chapitre : « Passions purgées ou passions épurée ? Le problème de la catharsis », dans l’ouvrage de G. Forestier, Monléon, Médée. Dans son Premier discours sur l’utilité du poème, il expliquait quelles modifications il dut apporter à cette pièce pour qu’elle puisse être utile à son public. Celui-ci, rappelait-il, n’avait pas les mêmes attentes que les Athéniens et les Romains pour qui ces pièces avaient été initialement composées. Car Sénèque, à la différence de Corneille et de Monléon ne s’était pas embarrassé d’une fin morale. Le théâtre sénéquien était violent et ses bourreaux, impunis car seul le plaisir du public était la finalité de sa tragédie. Le public ressentait du plaisir à ce théâtre violent grâce à une distance assumée et revendiquée par la mise en scène de ce spectacle. C'est cette distance cathartique qui empêchait le public d’être dégoûté par la violence représentée. Or, l’interprétation que l’on fit au XVIe et au XVIIe siècles de cette catharsis aristotélicienne était toute autre : Elle devint morale. Catharsis fut traduit par « purgation des passions ». En d’autres termes la tragédie devait purger le public de ses passions répréhensibles grâce à un spectacle funèbre et violent mais qui s’achevait sur une punition du vice. Cette interprétation de la distance cathartique et de l’épuration des passions étaitdonc en totale contradiction avec la fin aristotélicienne et sénéquienne de la tragédiePassions tragiques et règles classiques, op. cit., p. 153.Thyeste, v. 1231.
Le « crime » en question est un fratricide. Au début de l’acte IV, Lycostène et Thyeste se trouvent en effet devant un tableau qui représente un frère poignardant son frère dans le dos. Il s’agit donc de l’illustration d’une scène de trahison et de meurtre. Les paroles sentencieuses de Lycostène signifient que ce spectacle, cette fiction, a pour but de dégoûter (« faire abhorrer ») le public de ces pratiques. Or, comme nous venons de le voir, le recours à la fiction chez Sénèque n’avait pas du tout la même finalité. La feinte avait au contraire pour seul but de procurer du plaisir au public regardant ces spectacles violents. Et le paradoxe d’un plaisir pris grâce à un spectacle sanglant était résolu précisément parce que ces horreurs, a priori insoutenables, étaient simulées et non réelles. Florence Dupont analyse ce processus de distanciation en s’appuyant sur un passage des Phéniciennes, qui nous semble-t-il peut aussi bien s’appliquer au Thyeste du même auteur. En effet, Œdipe se délecte du spectacle de ses fils luttant à mort, à l’instar de Tantale que la furie invite à jouir du festin funèbre de son petit-fils :
L'ancêtre savoure, apaisé, les abominations de sa descendance qui reproduisent les siennes. Si l’on rapproche cette fin de l’Œdipe que constituent
les Phéniciennesde la fin desTroyennes, on retrouve lafonction apaisante, cathartique, que Sénèque attribue aux spectacles les plus atroces: l’exécution des enfants troyens, le duel fratricide devant Thèbes consolent des héros douloureux, victimes de violence inouïe. Florence Dupond, « Introduction » aux
Phéniciennesde Sénèque, Paris, Le Spectateur français, 1999. (C'est nous qui soulignons).
Au XVIIe siècle, comme le prouve la déclaration du personnage de Monléon, l’on n’attribuait pas à la tragédie cette « fonction apaisante ». Une tragédie classique devait détourner le public de ses passions, les faire « abhorrer ». Et pour ce faire, Corneille dut transformer sa tragédie sanglante, Médée, afin que le vice et la vertu y soient clairement dissociés et équitablement rétribués. A cet égard, le Thyeste de Monléon ne faisait pas assez clairement la part des choses, comme Corneille l’écrivait dans le passage qui suit :
Notre théâtre souffre difficilement de pareils sujets :
Le Thyeste de Sénèque n’y a pas été fort heureux; sa Médée y a trouvé plus de faveur ; mais aussi à le bien rendre, la perfidie de Jason et la violence du roi de Corinthe [Créon] la font apparaître si injustement opprimée, que l’auditeur entre aisément dans ses intérêts, et regarde sa vengeance comme justice qu’elle se fait elle-même de ceux qui l’oppriment.Pierre Corneille,
Trois discours sur le poème dramatique[1660], éd. L. Forestier, Paris, SEDES, 1963, p. 43. (C'est nous qui soulignons).
Une des clés de l’insuccès du Thyeste de Monléon réside dans ces lignes. Pour paraphraser Corneille, il eut fallu que l’auditeur entrât aisément dans les intérêts d’Atrée. Alors seulement, il aurait pu considérer sa vengeance « comme justice qu’il se fait lui-même de celui qui l’opprime ». Corneille transforma Médée en victime « injustement opprimée » tandis que l’Atrée de Monléon n’avait rien de cette victime opprimée par son frère. Thyeste en effet n’atteignait pas les sommets de « perfidie » de Jason. Corneille fit de ce dernier un petit ambitieux que le pouvoir et la sécurité avaient attiré au point d’abandonner celle à qui il devait sa gloire. Médée avaient toutes les raisons de se venger de ce perfide. Monléon aurait dû faire de Thyeste un perfide afin qu’Atrée justifie sa vengeance. C'est le contraire qu’il fit. Monléon dépeignit Thyeste en personnage vertueux, contrairement du reste à ce qu’il était dans le récit mythologique. Avec Monléon, Thyeste s’excusait sincèrement auprès de son frère au point de lui envoyer en gage ses deux enfants et il retournait à Mycènes non par appas du pouvoir mais pour se réconcilier.
En somme, la colère d’Atrée n’était pas en mesure d’inciter au public de la pitié. Et ce n’était pas non plus de la terreur que ses crimes odieux pouvaient susciter, mais de l’indignation, c’est à dire une émotion non tragique. Dès lors, le spectacle sanglant du Thyeste devenait répugnant, non pour des raisons de bienséances mais pour des raisons morales.
Une pièce antique n’était d’aucune utilité pour un public moderne du XVI Prosper Jolyot de Crébillon, e et du XVIIe siècle, à moins d’être transformée. Les tragédiens humanistes avaient déjà osé trahir les maximes des œuvres antiques dont ils s’inspiraient si elles n’étaient pas conformes à leur morale chrétienne, en transformant par exemple l’injustice des dieux païens en justice du dieu chrétien. Tout en respectant le dénouement sanglant de sa source, Corneille adapta Médée aux us et coutumes de son public. Il est probable que pour rencontrer les faveurs du public, Monléon aurait dû être moins fidèle à Sénèque. Il est probable aussi que des sujets ne puissent passer l’épreuve de la vraisemblance classique. Et le Thyeste pourrait bien être de ces sujets « invraisemblables » parce que les actes de leurs personnages sont injustifiables, comme ceux d’Atrée. Pour preuve, aucun auteur classique ne s’y essaya. Pas un seul Thyeste ne fut composé entre 1638 et 1707. Il faudra que la notion de « vraisemblance » tombe en désuétude et que le règne de la tragédie classique s’éteigne pour que des sujets aussi excessifs et outranciers fassent de nouveau leur apparition sur la scène théâtrale française. Atrée et Thyeste [1707], dans Œuvres, t. I, Paris, Didot, 1818 ; Voltaire, Les Pélopides, ou Atrée et Thyeste, Tragédie [1772], dans Œuvres complètes, vol VI, Paris, Garnier frères, 1877-1883, 7 vol.
On a souvent émis des hypothèses quant aux représentations des pièces de Sénèque. Certains historiens ont jugé que ses oeuvres étaient irreprésentables, d’autres que ses pièces avaient bien été écrites pour la scène, et non pour être lues. L'insuccès du Thyeste de Monléon tendrait à prouver que le mythe de ce festin cannibale pose effectivement la question de sa représentation théâtrale. Il nous semble que ce mythe s’accorde plus volontiers à une dramaturgie de la déclamation antique, épurée et supportée par des récitants statiques, plutôt qu’à une dramaturgie moderne qui se veut réaliste et démonstrative. C'est peut être la raison pour laquelle l’histoire littéraire retient le Thyeste de Sénèque et non celui de Monléon.
Il n’existe qu’une seule édition du Thyeste, exécutée par Pierre Guillemot. L'édition est non datée mais l’Achevé d’imprimer est du 9 août 1638.
La présente édition a été effectuée à partir de l’exemplaire de l’édition originale disponible à la Bibliothèque de l’Arsenal sous la côte [4° BL 3654], Il s’agit d’un volume de format in-8° qui se présente ainsi :
[I] Aut extrema, aut nulla fratrum vindicta / LE THYESTE DE MONSIEUR / DE MONLEON./ A PARIS, / Chez PIERRE GUILLEMOT, aux Palais à la / gallerie des prisonniers. / Avec privilège du Roy.
[II] blanc.
[III à VI] Epistre.
[VII à VIII] Au lecteur.
[IX] Privilège du Roy ; Quelques fautes reconnues depuis l’Errata.
[X] Acteurs.
[1 à 107] (cahiers A à 0) Le Thyeste – Tragédie.
[non paginé] Errata.
Un exemplaire de cette édition est conservé à la Bibliothèque nationale [Yf 1529] et deux autres exemplaires sont également disponibles à la Bibliothèque de l’Arsenal [Rf 6545] (référence ayant servi à constituer la micro-fiche disponible sur le site Gallica) et [8° GD 48552], ce dernier exemplaire étant sans Epître, Avis au lecteur et liste d’Acteurs. ARBOUR Roméo, Répertoire chronologique des éditions de textes littéraires : L'Ere baroque en France de Roméo ArbourL'ère baroque en France, Genève, Droz, 1977-1985.
Les exemplaires consultables de l’Arsenal [8° GD 48552] et [4° BL 3654] présentant des leçons différentes, nous en avons déduit que l’édition du Thyeste avait fait l’objet de deux tirages. Nous avons donc établi le texte à partir de la leçon la moins fautive [4° BL 3654], les autres exemplaires présentant les coquilles suivantes :
v. 560 : desperer (corrigé en d’espérer)
v. 560 : la promis (corrigé en l’a promis)
v. 880 : MEROPE (corrigé en ATREE)
v. 929 : questes vous (corrigé en qu’estes vous)
page 56 (corrigée en page 58) personnage,
v. 930 : Ø (ATREE a été ajouté)
v. 930 : Mlavez-vous (corrigé en Me l’avez-vous)
v. 1030 : mouru (corrigé en mourut)
didascalie, v. 1155 : voulant sortit (corrigé en voulant sortir)
v. 1174 : d’avantage (corrigé en davantage)
Cependant, dans la leçon que nous avons retenue, les vers 1172-73 posent problème. En effet, les modifications qui y avaient été apportées nous semblent erronées. Sur le premier tirage, non corrigé, de l’exemplaire [8° GD 48552] deux répliques s’enchaînaient de la manière suivante :
THYESTE
Je viens rendre à ces vœux l’une & l’autre asservie Et mettre entre ses mains un trésor précieux ; CRITON
Un bien incomparable, un frère ? Ah justes dieux ! Vous lui pouviez donner tout le monde en partage : Mais vous ne pouviez pas l’obliger davantage.
Le deuxième tirage, celui de l’exemplaire [4° BL 3654], proposait la correction suivante :
THYESTE
Et mettre entre ses mains CRITON
Un trésor précieux ; Un bien incomparable, un frère ? Ah justes dieux !
Or, s’il devait y avoir une coupure, elle s’est faite à notre avis un vers trop haut. L'enchaînement suivant nous semble plus cohérent (sachant que le point d’interrogation est une coquille que l’on a corrigée en point d’exclamation) :
THYESTE
Et mettre entre ses mains un trésor précieux Un bien incomparable, un frère ! CRITON
Ah justes dieux ! Vous lui pouviez donner tout le monde en partage : Mais vous ne pouviez pas l’obliger davantage...
C’est pour ce dernier découpage que nous avons opté.
Dernières remarques d’ensemble : sur tous les tirages, on observe que chaque réplique commence par un retrait d’alinéa. Et comme souvent dans cette première moitié du XVIIe siècle, les caractères sont italiques et non romains.
Pour l’établissement du texte, nous avons effectué les rectifications suivantes :
- Nous avons distingué i et u (voyelles) de j et v (consonnes)
- Nous avons décomposé les voyelles nasales surmontées d’un tilde en voyelle + consonne :
ô = on ; â = an ; e = en ;
- Nous avons rétabli le ß en ss.
Afin de rendre compte de l’état graphique de l’édition originale, nous avons conservé :
& pour et
-y-pour-i-(ex : toy ; j’ay, ...)
-oi-pour-ai-(ex : noyoit, foible, ...)
-éspour-ez(ex : « immolés » à la place de « immolez »)
-ezpoures (ex : beautez, ...)
-z-pour-s- (ex : hazarder, ozer, poizon, toizon, ...)
cétpourcet
en finpourenfin
dequoypourde quoy
Dans ce même esprit de fidélité, nous n’avons modifié aucun accent dans la mesure où la lecture n’en était pas entravée (ex : « véhémence » pour véhémence) et nous avons gardé :
-es-pour -ê-(ex : mesme)
-as-pour -â-(ex : fascheux)
-is-pour -î-(ex : Epistre)
-us-pour -û-(ex : eust)
-os-pour -ô-(ex : oster)
-û-de soupir
-â-de flâme
Cependant, nous avons corrigé et ajouté des accents diacritiques afin de distinguer :
[où] pronom relatif du [ou] conjonction
[à] préposition du [a] troisième personne du verbe avoir.
Nous avons conservé les graphies fidèles aux étymons latins : debvez, doibs, advantage, droict, soing...
Nous avons ajouté entre crochets ce qui avait été omis, comme certains noms de personnages au début des scènes.
Enfin, nous avons uniformisé l’orthographe de « Thyeste » et de « Lycostène » que l’on trouvait très souvent orthographiés sans [y] en « Licostene » et « Thieste » dans les derniers cahiers correspondants aux actes IV et V.
Le t analogique permet de faire la liaison entre le verbe et son sujet en cas d’inversion (ex : alla-t-il...). Sur les éditions de la première moitié du XVIIe siècle, ce [t] n’était pas systématiquement indiqué. Vaugelas précisait qu’il devait être prononcé malgré son omission :
Si le verbe finit par une voyelle devant « on » [...] il faut prononcer et écrire un t entre deux [...] pour ôter la cacophonie, et quand il ne serait pas marqué, il ne faut pas laisser de prononcer ni lire, comme lisent une infinité de gens, « alla-on, alla-il » pour « alla-ton, alla-t-il ».
Vaugelas,
Remarques sur la langue française, cité en introduction du tome 2 deThéâtre français du XVII, éd. J. Scherer et J. Truchet, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1986, p. 7, note 1.esiècle
Dans la mesure où la présente édition du Thyeste a systématiquement omis ce [t] analogique, cette absence ne peut être considérée comme une coquille. Cependant, pour une lecture plus aisée, nous l’avons rajouté entre crochets aux vers : 49, 71, 149, 370, 576, 589, 793, 797, 965, 1132, 1399, 1495, 1499, 1580.
L'édition originale présente de manière très fréquente deux orthographes pour un même mot, souvent au sein d’un même cahier (nous avons indiqué le cahier entre crochets). Il ne s’agit pas de coquilles mais l’ouvrier-imprimeur disposait très vraisemblablement d’un texte qui présentait déjà cette pluralité de graphies. Ainsi, dans notre édition, même lorsque deux mots dérivés d’une même racine se suivaient de près dans le texte, ils pouvaient s’écrire différemment. Par exemple, pour le verbe « commencer », on trouvera dans un même cahier, [L], les orthographes « commance » au vers 1310 et « commence » au vers 1286. Autre exemple, « guarison » et « guerison », deux orthographes différentes pour un même terme et présentes dans deux cahiers différents. Il nous faut resituer ces impressions à une époque où l’orthographe était beaucoup plus souple et fluctuante qu’aujourd’hui. Et c’est pour rester fidèle à l’état graphique de l’édition originale que nous n’avons pas uniformisé ces orthographes. Nous avons donc conservé :
(r)amene [C], [D]bien que l’on trouve rameine [B], [E], [N]
atteintes [E], [K]attainte [F], [G]
commance [F], [L] commence (et dérivés) : [F], [L], ...
contant [D], [F] content [G] et dérivés : [D], [F],...
coronne [A], [B], ...couronne (une seule occurrence, dans [B])
couppe [H] coupe [H]
dessains [N] desseins [N] et autres...
dieus [ts les cahiers sf H, I, L, M] dieux [tous les cahiers sauf A,B,D, I]
enfens (une seule occ. dans [A]) enfans : [B] et suivants
esprits [F] et [H], [K], [N], [0] espris [F] et [A], [B], [G]
estaindre (et dérivés) : [B] et [F] esteindre (et dérivés) : [B] et [C], [I]
furieux [A] [H] et [I] [M] [0] furieus [A] [H] et [B] [C] [E] [F]
guarison [E] [H] guerison [N]
plainement [L] pleine, adj. [I] ; pleine, subst. [K]
retraitte [D] retraite[G] [I]
roys [C] [D] [L] rois [A] [I]
succès [D] succez [D] et [C], [E]
throsne [B] trosne [C]
tirannie [A]tyrannique [H]
toizon [G] toison [A]
toutefois [A] [E] toutesfois [A] [B] [G] [K] [M]
tormens [A] [L] [N] tourmens [A] [L]
treuver (et dér.) [A,B,F,H] et [E,I] trouver(et dér.) [A,B,F,H] et [C,G,N,M]
vanger (et dérivés) [F] [G] [O] venger (et dér.) [F] [G] [0], ...
Nous avons également gardé les formes suivantes : enfraindre (v. 1485) ; advanture (v. 1597) ; epouvente (v. 270) ; epouventable (v. 272) ; dueil (pour deuil) et sueil (pour seuil).
Les marques de ponctuation de cette édition sont très aléatoires et défectueuses. Nous les avons presque toujours corrigées sauf lorsqu’une virgule ou un point, en fin de vers ou d’hémistiche, avaient pour fonction de remplacer ce qui correspond à des points de suspension. En ce cas, nous avons conservé ces signes d’origine (point, point virgule ou virgule) avec une note en bas de page pour rappeler à quoi ils équivalent (une pause brève ou longue).
En outre, les points d’interrogation sont très souvent omis après une proposition interrogative et ce de manière systématique dans les derniers cahiers (N à 0). Il s’agit bien de coquilles et non d’une volonté de l’auteur comme cela pouvait être le cas dans certaines éditions soignées, particulièrement de la seconde moitié du XVII Sur la ponctuation des textes théâtraux, nous renvoyons à l’introduction de Georges Forestier, « Lire Racine » de son édition des e siècle et notamment dans celles du théâtre de RacineŒuvres complètes de Racine, t. I, Théâtre et poésie, Paris, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1999.
Les vers entre crochets indiquent les coquilles situées juste avant ce vers (ex : [400]) Les marques de ponctuation défectueuses sont indiquées entre deux barres (ex : /?/)
V, 3, liste pers. CRITON
[1448] didasc.vers
1449Destins
1464t’arissant
1498le suit-elle/./
1499Cour/./
1500a teu vostre retour.
1501bien tost/./
1526Page/,/
1534divin office /;/
1544 repos /;/
1552 connois-tu pas /./
1571 sans foy /Ø/
1579 corbeaux /,/
1580 nouveaux/./
1581 rage /./
1582 davantage /./
1593 N'ont pu soulier
1597 qu’elle
1608 malheureux /,/
1623 veu rostir [...] ton repeu
1624 pas peu
1627quelques restes /,/
1630 à
1650 vengeance /,/
1652 Estoient-ils criminels /./
1656 ne me vengent-ils pas /./
1657 un crime par un crime /./
1660 ta
1665 (tu t’en) est
1678 foudre [correction man. sur l’E.O. : poudre.]
1697 promesses /,/
1698carresses
Page 28, il manque un alexandrin entier (vers 452), omission que nous avons signalée par une ligne en pointillés.
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Une lutte à mort entre frères, ou rien.Aut extrema, aut nullafratrum vindicta
Louis Emmanuel de VALOIS (1596-1653), duc d’Angoulême et comte d’Alais (ou Aies), gouverneur de Provence de 1637 jusqu’à sa mort. Petit-fils de Charles IX, Roi de France, par son fils Charles de Valois (fils illégitime de Marie Touchet).
MONSEIGNEUR,
Apres l’estime que vous avez faite de cet ouvrage, je me persuade que je puis sans crainte l’exposer aux yeux du public, & que vous ne treuverez* pas estrange* la hardiesse que je prens de vous le dédier : Comme j’oze espérer que vous daignerez le recevoir, j’ay la vanité de croire que chacun l’estimera : & l’approbation que vous luy avez donnée me fait attendre celle de tout le monde.
Ceux qui par de favorables violences l’ont arraché de mon cabinet pour en mieux voir la conduite par sa représentation, bien qu’ils m’ayent exposé parmy les orages furieux de l’envie & de l’ignorance, sçachant dans quel port je suis en seureté, & ce que j’ay gaigné auprès de vous, seront ravis de m’avoir fait hazarder* si peu, pour acquérir de si grands trésors. Et certes en quelque degré éminent que la nature ayt eslevés les Princes, & quelques grands qu’ils se soient faits par eux-mesmes, comme il est asseuré que les affections des Rois, bien qu’elles n’augmentent ny leur vertu ny leur mérite, adjoustent de grands ornemens à leur gloire, & la font esclater* avec beaucoup plus d’advantage. Il est aussi très véritable, que quelques excellens que soient les ouvrages du reste des hommes, que l’estime de ces Princes fait leur plus bel esclat* ; & leur support, un puissant bouclier pour les mettre à couvert des trais* de la médisance, & de la jalousie : Et quiconque se peut vanter comme moy de posséder ces faveurs, comme il n’a rien plus à craindre, il n’a rien plus à souhaiter.
Ce n’est pas (MONSEIGNEVR) que j’eusse eu la témérité de croire que ce bien me pût arriver, ou que mon imagination se fust jamais flatee d’une prétention si haute, si vostre propre bouche ne m’eust asseuré que quelques petits & inutiles que soient mes devoirs &. mes services, ils vous seraient toutesfois agréables, & que je ne vous offencerois point en vous offrant une chose que vous avez estimée digne du jour : J'ay obey à cette voix, & je vous l’offre avec ma vie ; c’est peu pour un Prince : mais c’est tout ce que vous peut offrir,
MONSEIGNEUR,
Vostre tres-humble & tres-
obeïssant serviteur,
DE MONLEON.
Si je t’avois donné cette Tragédie de la façon que II s’agit probablement d’un historien latin nommé Carcinus, dont « Carcinome » serait le nom francisé. Cependant, aucune œuvre - Monléon fait référence au Au siècle précédent, le Un auteur classique partait du principe que son public tenait pour vrai les mythes (ou « fables ») qui avaient la même autorité que l’histoire. Cf : « Il n’est pas vraisemblable que Médée tue ses enfants, que Clytemnestre assassine son mari, qu’Oreste poignarde sa mère ; mais l’histoire le dit et la représentation de ses grands crimes ne fait point d’incrédules ». Pierre Corneille, Carcinomea fortiori aucun Thyeste de ce Carcinus - ne nous est resté.SenequeThyeste de Sénèque. Pour plus de détails sur le traitement de cette source, nous renvoyons à la présente introduction.Thyeste de Sénèque connut une certaine fortune. Atrée inspira le Nabuchodonosor des Juives de Garnier (1583), Yorbecc-Oronte de Du Monin (1585), traduit de Torbecche de l’auteur italien Giraldi était directement inspirée de la pièce de Sénèque, enfin Roland Brisset publia une adaptation du Thyeste en 1590.Premier Discours sur le poème dramatique [1660].
On m’a voulu persuader que cet effort avoit favorablement réussi : Mais quand je considère mes forces, et le grand personnage qu’il m’a fallu soustenir II s’agit d’Atrée.
Quoy qu’il en soit, (Lecteur) & quelque jugement que tu en fasses, apprens que la disposition du sujet est absolument mienne Monleon exagère. En « Appendice 2 », nous avons dressé un tableau qui met en perspective les inventions de Monleon. Elles portent essentiellement sur deux actes (II et III), le reste de la pièce étant redevable à la disposition du Pour pallier l’absence de chœur et de prologue - passés de mode en 1630 - et pour composer des pièces de cinq actes malgré cette matière ténue, les auteurs modernes devaient inventer des épisodes supplémentaires et ajouter des monologues. Sur ce sujet, nous renvoyons à la présente Introduction, au chapitre « Dénouement étendu ». Ces règles « étroites » - c’est à dire strictes - sont les trois règles d’unité classiques (temps, lieu, action) auxquels la nouvelle génération d’auteurs « réguliers » comme Monleon se pliaient, se distinguant par là de leur confrères « irréguliers » de la tragi-comédie. Voir à ce propos notre chapitre d’Introduction : « Un « On dit proverbialement qu’un homme a besoin Thyeste de Sénèque.Thyeste moderne ».d’Hellébore pour lui reprocher qu’il a quelque grain de folie. » (A. Furetière, Dictionnaire universel, 1690).
Parle donc hardiment, je suis exempt de cette erreur, & de ce crime, & pour t’en asseurer, je sçay que je suis homme.
Par grâce et privilège du Roy, il est permis à Pierre Guillemot Marchand Libraire à Paris, d’imprimer, ou faire imprimer un livre intitulé Le Thyeste, Tragédie, compose par le Sieur de Monleon : Et deffenses sont faites à tous Libraires & Imprimeurs d’imprimer, ou faire imprimer, vendre ny distribuer aucun desdits Livres, sans sa permission, ou de ceux qui auront droict de lui, & ce pendant le temps & espace de huit ans, à compter du jour que ledit Livre sera parachevé d’imprimer pour la première fois, à peine aux contrevenans, de trois mil livres d’amende, confiscation des exemplaires qui se trouveront contrefaits & de tous despens ; dommages & intérests, ainsi qu’il est contenu plus au long ausdites Lettres de Privilège. Donné à Paris le sixiesme d’Aoust mil six cent trente-huict. Par le Roy en son conseil, Signé
CONRART.
Achevé d’imprimer le 9. Aoust 1638,
Page 81. il y a changer, il faut charger. Page 88. Scène 2. Criton sans voir Atree s’est estonné, il faut mettre est.
Lecteur, je te laisse des fautes que je n’ai point reconnues, et qui sont miennes, tu les corrigeras, s’il te plaist : pour celles de l’imprimeur, elles sont les moindres, tu suppléeras en lisant quelques syllabes qu’il a obmises, et changeras plusieurs lettres qui font une autre prononciation. A la page 6, vers 6 il y a fefons pour fesons. Page 46, vers 1 noyoit dans, il faut dedans. Page 48. il y a deux fois ces, dans la page 93. A la marge, après trois ou quatre verres, il faut adjouster il se lesve : ainsi plusieurs autres de cette qualité, ausquelles on peut suppléer, & ce qui me semblent de peu d’importance.
Le lieu n’est pas indiqué. L'action se passe à Mycènes, dans le palais d’Atree.
A la différence des autres personnages, sa fonction n’est pas indiquée. Il fait partie de la cour
d’Atree et seconde Criton (cf. Acte IV, scène 5 : Criton tutoie Oronte, qui lui le vouvoie).
Ces deux premiers vers indiquent qu’Atrée est en prise à des visions (« objets ») qu’il doit faire disparaître (« étouffer » signifiant cacher) afin de se prémunir de tout sentiment de piété envers les siens. On retrouvera ces mêmes hallucinations au vers 81.
Les « criminels » sont Thyeste et Mérope ; les « innocents », leurs deux enfants.
Tantale, grand-père d’Atrée et de Thyeste, donna à manger son fils Pélops aux Dieux. Pour plus de détails, voir Appendice 1 : Le mythe de Thyeste.
Ce vers peut se lire dans un sens théologique, « justifier » signifiant « donner l’état de grâce » et « offense » pouvant s’entendre comme « péché ».
Ce père était Pélops. Afin d’obtenir la main d’Hippodamie, Pélops devait remporter la course de char organisée par le père de celle-ci. Pour ce faire, il soudoya le cocher Myrtile qu’il fit ensuite assassiner (voir Appendice 1 : Le mythe de Thyeste).
Thyeste et Mérope - épouse d’Atrée - eurent une relation adultère dont « inceste » est synonyme (cf. glossaire). Pour plus de détails sur cette relation, voir Appendice 1 : Le mythe de Thyeste.
Ce monologue inaugural s’inspire directement de celui d’Atreus dans le Thyeste de Sénèque. Pour ne pas alourdir les notes de bas de page, les nombreux vers de Sénèque que Monléon a parfois retranscrits tels quels sont tous répertoriés en Appendice 3 : « Citations de Sénèque ». Quant à la comparaison entre les dispositions des deux Thyeste, nous renvoyons également au tableau de l’Appendice 2 : « Structures comparées ».
Criton n’a pas entendu le monologue précédent. Sa remarque se comprend si l’on imagine Atrée présentant tous les signes extérieurs de la fureur.
Atrée donne ici une définition de la tyrannie.
Parler : débattre de, discuter.
« Autant que..., autant, » très usité au XVIIe n’a été supplanté que récemment par « autant..., autant ». (A. Haase, Syntaxe française du XVII e siècle. Nouvelle édition traduite et remaniée par M. Obert, Paris, Delagrave, 1969, § 139, 4°, p. 383).
La tyrannie d’Atrée ne repose pas sur une usurpation du pouvoir (tyran peut signifier en effet
usurpateur) puisqu’il est le souverain légitime de Mycènes. Sa tyrannie repose davantage sur son
mépris du peuple puisqu’en instaurant la suprématie du droit privé sur le droit public, Atrée en se
vengeant de son frère consent à se rendre impopulaire.
Le « ils » correspond à l’honneur et la foi du vers précédent. « Sortir » pouvait s’entendre comme « faire sortir » (A. Haase, op. cit., § 59, p. 138). Atrée est prêt à renoncer à ces deux vertus, quitte à ruiner son royaume, pourvu que sa vengeance soit exaucée. La reine tyrannique de Syrie, Cléopâtre, s’exprimera de la même manière dans Rodogune de Corneille (1644) : « Il est doux de périr après ses ennemis » (v. 1534).
Comprendre : que c’est inhumain. Le pronom neutre « il » tenait souvent la place du démonstratif « cela » ou « ce » tandis que le français moderne ne l’emploie que dans des incises comme : il est vrai que. (Cf. Haase, op. cit., §2, p. 2). Même emploi au vers 71 : « il est trop criminel » ; v. 243 : « il est délibéré » ; v. 672 : « il est résolu » ; v. 919 : « Il seroit superflu » ; v. 1118 : « Mais quand il ne se peut ».). Dans Thyeste de Sénèque, le reproche du courtisan était plus direct : « Songe que c’est sacrilège de porter tort à un frère, même méchant. » (« Nefas nocere uel malo fratri puta », v. 219, in Théâtre complet, t. II, éd. et trad. F.-R. Chaumartin, Paris, Les Belles Lettres, 2000.).
Ce point final équivaut à des points de suspension marquant une longue pause (plus longue que celle indiquée par une virgule, comme au vers 55 par exemple). Même chose à la fin du premier hémistiche du vers 57.
Sur l’absence systématique du [t] analogique dans l’édition originale, voir nos remarques dans l’Etablissement du texte. Nous avons restitué ce [t] de liaison pour une lecture plus aisée (même chose aux vers 71, 149, 370, 576, 589, 793, 797, 965, 1132, 1399, 1495, 1499, 1580.
Thyeste, avec l’aide de Mérope, déroba une toison dorée qui appartenait à son frère et grâce à laquelle il put lui ravir le trône. Pour plus de détails, voir Appendice 1 : Le mythe de Thyeste.
Cette virgule en fin de vers équivaut à des points de suspension.
Comprendre : « Le perdrons nous en une seule fois ? Non, faisons durer les supplices. ». Comme pour le vers 49, le point final équivaut à des points de suspension.
« jusques » s’orthographiait ainsi pour faire la liaison avec la voyelle qui suivait et « jusques à » permettait - par rapport à « jusqu’à » - de rajouter une syllabe. L'orthographe n’est donc pas adéquate mais nous l’avons laissée.
Comprendre : trouve ce qui le contente. Le pronom neutre « qui » s’employait fréquemment sans le determinatif « ce » résumant la proposition antérieure (Haase, op. cit., § 35, p. 67).
Les deux synecdoques « feu » et « fer » sont tirées du Thyeste de Sénèque (v. 257 : « ignis », « ferrum »). Le feu peut évoquer ici les bûchers destinés aux hérétiques et aux sorciers.
C'est Thyeste qui est trop criminel (1er « il ») et le supplice par le feu qui n’est pas assez cruel (2nd « il »).
« qu’un seul Atrée » = que seul un Atrée. « S'imaginer » : « Vaugelas dans ses Remarques sur la langue française déclarait de beaucoup préférer la construction réfléchie de ce verbe » (cité par Haase, op. cit., § 61, p. 146).
Soit le pronom « en » est employé de manière pléonastique pour se rapporter à la proposition qui suit (en = qu’il est digne de moi) ce qui était possible mais rare (Haase, op. cit., §7, p. 11). Soit il s’agit de l’expression « penser en soi même » avec un emploi redondant du pronom démonstratif « ceci ». (ibid., §126, p. 345). Dans les deux cas, c’est bien l’effroi suscité par ce crime (cf. vers précédent) qui confirme à Atrée qu’il est digne de lui.
Malgré la virgule, la ligature se rapporte aux deux propositions : Que Thyeste te vente et venge ses crimes passés.
Le perfide est celui qui trahit la foi (fides en latin). On devrait comprendre cette maxime comme : Un perfide n’est d’aucune créance, on ne peut pas lui faire confiance. Furetiere cependant indique que croyance et créance, bien que se prononçant de la même manière, n’ont pas la même signification. C'est finalement le vers de Sénèque qui nous éclairera sur le sens des paroles d’Atrée : « Un espoir pervers est crédule » (« Credula est spes improba » v. 295). Croyance signifie donc ici crédulité, comme au vers 201.
« Procurer » : Du latin pro-curare, « agir pour autrui », « agir en faveur de ». Mérope captive sert d’appas et favorise le retour de Thyeste.
Dans Thyeste de Sénèque, ce sont Agamemnon et Ménélas les messagers de ce retour, et non Mérope. Voir en Introduction : « Clôture du mythe ».
Le second hémistiche de ce vers est situé à la fin de la lettre : « Je plains son infortune ». Cet encadrement est peu ordinaire. Il signifierait que la lettre n’était pas nécessairement lue, Atrée et Criton enchaînant alors leurs répliques. En effet, le contenu du billet n’apporte pas d’information supplémentaire dans la mesure où Atrée vient d’annoncer le retour de Thyeste et que les enfants sont depuis le début de l’acte désignés comme ses victimes. Thyeste ne fait que préciser leur arrivée imminente et réitère sa bonne volonté
LETTRE DE THYESTE A ATREE. Sur l’hétérométrie conventionnelle des lettres : « Les auteurs, chaque fois que leurs personnages ont à lire des lettres, à prononcer ou à répéter des oracles ou des prophéties, peuvent, jusque dans les tragédies les plus sévères, substituer au rythme normal du dialogue les dispositions de rimes et mètres les plus variés. Il est admis que la lettre ou le billet ne doivent pas être écrits comme le dialogue parlé ordinaire, qui s’exprime dans des alexandrins à rimes plates. » (J. Scherer, La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 2001, p. 360-361). Ici, la lettre est formée de 5 quatrains de trois alexandrins et un octosyllabes chacun (12, 12, 8, 12) en rimes alternées.
Thyeste écrit de son lieu d’exil auquel son frère l’avait condamné pour usurpation de pouvoir. Pendant son bannissement, il était accompagné de ses fils (cf. v. 130), Tantalys et Plisthène chez Sénèque.
Cf. Jason dans Médée de Sénèque : « Là est ma raison de vivre, là est la consolation d’un cœur consumé par les peines. Il me serait bien plus facile d’être privé de mon souffle, de mes membres, de la lumière. - Médée : À ce degré il aime ses enfants ? » (Haec causa vitae est, hoc perusti pectoris/curis leuamen. Sipiritu citus queam/carere, membris, luce. / Med : Sic natos amat ?), dans Théâtre complet, t. I, éd. et trad. F.-R. Chaumartin, Paris, Les Belles Lettres, 1999, v. 546-549.
Cette « faveur première » se comprend dans la mesure où Thyeste ne fut condamné qu’au
banissement et non à la peine de mort, et aussi parce qu’Atrée accepta que Thyeste fût
accompagné de ses fils pendant son exil.
THYESTE.
« commune » : Bien qu’employé sans complément d’attribution, l’adjectif ne signifie pas ici « médiocre, ordinaire » mais commune à tous les criminels : Mérope et ses enfants, en plus de Thyeste.
Comprendre : Bien que quelque démon me pousse à la fureur.
L'infinitif régime fait corps au XVIIe siècle avec le verbe régent et le pronom régime précède le
plus souvent le syntagme verbal. (A. Sancier-Chateau, Introduction à la langue du XVIIe siècle,
tome 2 : Syntaxe, Paris, Nathan, 2001, p. 121.) On écrirait aujourd’hui : Il faut se venger.
Comprendre : Toujours à leur vue on verra son aspect.
II y a syllepse sur « poison ». Il est en effet utilisé une première fois dans un sens métaphorique puisque les paroles mensongères d’Atrée sont un poison qui endort les soupçons de Mérope ; puis dans un sens propre, le terme préfigurant le suicide de la reine qui aura lieu à la fin de l’acte III. Monléon emploiera la même figure de style sur « fruits » au vers 538.
« Ambition » est à prendre ici dans un sens large et signifie désir, volonté.
Voir note du vers 106 sur la signification de « croyance », crédulité.
« Trésor de mon père » : Périphrase pour désigner la toison que Thyeste a volé grâce à Mérope (cf. « Toizon » au vers 857).
Ce « bien » désigne Mérope captive et plus largement, les projets d’Atrée. Le terme n’est donc pas à confondre avec la toison qui, elle, a déjà été « ravie ».
Orthographe quasiment phonétique que nous retrouverons pour « loùezir » au vers 1525.
Plus beau = le plus beau. « Le comparatif pris dans le sens d’un superlatif pouvait souvent se passer de l’article. » (cf. Haase, op. cit., § 29 A, p. 56). Même chose au vers 1069.
Maxime stoïcienne, énoncée par le chœur dans le Thyeste de Sénèque, qui trouvera une grande fortune dans la littérature de la Renaissance et à laquelle Corneille donnera cette formule définitive dans Cinna : « Je suis maître de moi comme de l’Univers » (acte V, scène 3, v. 1696).
Malgré les deux [I], « imbecille » (du latin imbedllus : faible de corps et d’esprit) se prononce comme « facile » avec lequel il rime.
Cette remarque sous-entend qu’Atrée n’a pas révélé entièrement son projet à Melinthe. En effet, son entière satisfaction ne dépend pas de l’empoisonnement des enfants mais du fait qu’ils soient mangés par leur père. Or, Atrée n’a pu faire part à sa complice de ses véritables desseins.
« Encore » est employé pour « déjà » (cf. Haase, op. cit., §96, p. 228).
Comprendre : Qu'avez-vous à craindre de plus ?
Melinthe doit craindre non seulement les coups du sort sur lesquels sa volonté ne peut rien (« infortune ») mais aussi les remords qu’engendrera son acte criminel (« ce que j’auray fait ») ?
Dans un premier temps, Melinthe invoque Atrée (« Grand Roy ») puis elle s’adresse à Criton en évoquant la fureur du souverain (« sa fureur»). Enfin, elle s’adresse de nouveau à Criton, en un tutoiement surprenant, pour qu’il lui remette l’arme du crime (« donne-moi »).
Sans aucune remise : sans délai.
Dans le texte original, il était écrit « accordés ». Nous avons préféré modifier pour une lecture plus aisée.
Le roseau comme métaphore de la fragilité fait penser à la célèbre pensée de Pascal : « L'homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. » (« Grandeur de l’homme », Pensées [1670], éd. Lafuma, Paris, Le Seuil, « L'Intégrale », 1963). L'association du sceptre de roseau et de la couronne d’épine correspondent aussi aux deux accessoires que portait Jésus lors de sa crucifixion : « Alors les soldats du gouverneur [...] l’ayant dévêtu, ils lui mirent une chlamyde ecarlate, puis ayant tressé une couronne avec des épines, ils la placèrent sur sa tête, avec un roseau dans sa main droite [...] et crachant sur lui, ils prenaient le roseau et en frappaient sa tête. » (Évangile selon Saint Matthieu, XXVII, 27-29).
Comprendre : Heureux celui dont.... 1. L'omission du pronom déterminé (« celui ») par un substantif était possible et l’emploi de démonstratif par les théoriciens ne sera exigé qu’à la fin du siècle. (A. Sancier-Chateau, Introduction à la langue du XVII e siècle, t. II, Paris, Nathan, 2001, p. 55). 2. « Dont » était concurrencé par « de + qui » (
« Mais » n’a pas ici sa valeur concessive habituelle mais la valeur adverbiale qui signifie « en plus, davantage » conformément à son etymologie latine magis que l’on trouvait au XVIIe siècle dans l’expression «je n’en puis mais ». (Cf. A. Sancier-Chateau, op. cit., p. 51). Même emploi au vers 730.
Fin du premier Acte.
Ravy : participe passé du verbe ravir signifiant arracher à soi-même. Même sens au vers 507.
Au XVIIe siècle, le pronom réfléchi « soi » remplace couramment le pronom de la 3e personne « lui ». (Haase, Syntaxe française du XVII e siècle. Nouvelle édition traduite et remaniée par M. Obert, Paris, Delagrave, 1969, § 13, p. 30).
L'infinitif sujet est souvent accompagné de la préposition « de » lorsqu’il se construit avec « s’imaginer » (Haase, op. cit., § 112, p. 284).
Le genre du substantif « amour » était indifféremment masculin ou féminin mais ce dernier l’emporte toutefois dans le premier tiers du XVIIe siècle. Nous le trouverons au féminin aux vers 437, 737, 1192 et 1530. Le genre reste indécidable dans les occurrences où il est accompagné d’un adjectif possessif qui porte la marque du masculin comme au vers 584 dans « mon amour ».
« Envoyer » est ici en construction absolue mais le vers signifie qu’Atree a fait envoyer une troupe au devant de son frère pour l’accueillir et l’escorter.
« Aucunement » est à prendre dans un sens positif et signifie « pleinement”.
« Dont » était concurrencé par « de + qui », le relatif simple prépositionnel renvoyant à un
inanimé et plus rarement comme ici à un animé, Criton. (A. Sancier-Chateau, op. cit., p. 60).
Dans l’interrogation directe, il était très fréquent que l’adverbe « pas » suffise à lui seul pour
exprimer la négation, sans qu’il soit besoin du support « ne ». (Haase, op. cit., § 101, p. 252).
Même chose aux vers 910 et 1134, 1361.
« aider à » : le verbe se construit intransitivement. Cf. « Je ne mentirai point, et toute mon
œuvre / Est d’aider à César à conserver sa vie » (Tristan l’Hermite, La Mort de Sénèque, v. 963-
964). Même chose pour « laisser à » du vers 1700.
Ces « malheurs passés » font référence à l’exil de Thyeste où l’ont suivi ses enfants, conformément au récit mythologique et conformément à la lettre de Thyeste qui mentionnait déjà
ces « estranges malheurs » au vers 131.
Ce point final équivaut à des points de suspension et la pause entre cette réplique et la suivante est plus longue que s’il s’était agit d’une virgule.
« en » est courant pour « dans » lorsque le substantif est précédé d’un autre déterminant, ici l’adjectif possessif « son ». (A. Sancier-Chateau, op. cit., p. 107).
L'amour transporte Melinthe, la haine lui fait le même effet.
« Par un autre respect » = en d’autres circonstances, pour d’autres considérations.
« de qui » = dont. (cf. note du vers 409).
« a nos veus » = a nos vœux.
Nous avons laissé la marque du pluriel bien que le sujet de redonner soit « le ciel » du vers 439. Il devait s’agir, de la part de l’auteur, d’un effet recherché de parallélisme et de repetition consonantique entre « vous donnant un époux » où le [t] se prononce et « me redonnent un frère » où le [t] se prononce également.
La nature fait de Thyeste l’héritier du trône dans la mesure où il est, comme Atrée, le fils du
souverain défunt Pélops. L'amour en fait aussi l’héritier, non parce que la loi le décrète mais parce qu’Atrée le veut bien. Ce second argument, apolitique, est intenable dans la mesure où un trône ne se partage pas.
Vers manquant dans l’édition originale.
II est fort probable que ce « Roy » désigne Thyeste que son frère Atrée veut couronner. Il s’agit évidemment d’une désignation fallacieuse qui s’insère dans un discours ironique et mensonger à l’adresse de Mérope (pour une analyse plus détaillée des ces procédés ironiques, nous renvoyons en Introduction au chapitre « Les masques d’Atrée »).
« S'augmente » : beaucoup de verbes réfléchis au XVIIe siècle ne le sont plus aujourd’hui (Cf. Haase, op. cit., § 60, p. 139). Ce verbe accepte les deux formes. Nous le trouverons également sous la forme réfléchie au vers 1074.
Dans Rodogune (1644) de Corneille, c’est devant un Autel que les deux frères Antiochus et Seleceus ont scellé leur « saincte amitié » (le terme est employé vers 81). Ce terme renforce l’idée du sacrilège que Thyeste commit en rompant ce qui était de l’ordre du sacré.
Voir note du vers 409.
« Héritiers » parce qu’ils sont les fils de Thyeste qu’Atree veut faire roi.
Un demi-siècle plus tard, en 1688, une voix innocente saisira ainsi un autre monstre tyrannique : « Quel prodige nouveau me trouble et m’embarrasse ? / La douceur de sa voix, son enfance, sa grâce, / Font insensiblement à mon inimitié / Succéder... Je serais sensible à la pitié ? » (Racine, Athalie, v. 651-654.)
Comprendre : Le désir seulement de vous demander grâce.
« fally » : failli.
Comprendre : Je ne sache pas que les Dieux ont prêté main forte à Thyeste pour me flouer, il n’a fait que suivre un destin tout puissant. Dans les deux cas, mon frère est innocenté.
II y a syllepse sur « fruit » car au-delà du sens explicite, le double langage d’Atrée renvoie à un sens implicite, à savoir aux fruits empoisonnés qui seront offerts aux enfants dans la scène suivante.
Comprendre : en considération de votre captivité. Les « fers » renvoient en effet à la situation
de Mérope, prisonnière d’Atrée, « estât desplorable » qu’elle a rappelé au vers 498 et qu’elle
évoquera de nouveau v. 559.
Cette virgule en fin de vers indique la rapidité d’enchaînement de la réplique suivante.
« Lequel serrerai-je contre moi en premier ? / Un même élan me pousse vers l’un et l’autre » : Jocaste à Etéocle et Polynice au moment de leurs retrouvailles, dans Les Phéniciennes de Sénèque, v. 443-664, trad. Florence Dupont, Paris, Imprimerie Nationale, 1992. Nous retrouverons ce même élan partagé lors de la mort des deux fils, scène 2, acte III.
« Comme » s’employait pour « que » (Haase, op. cit., § 139, 1, p. 380). On doit donc comprendre : en même temps que nous. Même chose aux vers 589 et 904 dans « autant comme » pour « autant que ».
« Comme » pour « que », voir note du vers 587.
Orthographe archaïque pour « choir », c’est à dire tomber.
Omission usuelle de l’article défini devant le terme « Amour », ici personnifié.
Cf. « Tous vos raisonnements ne sont plus de saison / Il faut considérer le temps et la raison », La Mort de Mithhdate (1634-35), La Calprenède, v. 491-492.
Mérope s’adresse à Mélinthe.
L'emploi de l’indicatif (« c’est moi qui l’a fait ») attribue un caractère positif à l’objet du désir, de la volonté, ou de la supposition dans les propositions relatives introduites par un verbe de pensée qui est habituellement suivi d’une proposition au subjonctif (Haase, op. cit., § 75, p. 176). Ainsi, Mélinthe affirme que c’est elle qui a commis le crime. La supposition devient certitude grâce à l’emploi de l’indicatif. Même remarque pour le vers 892.
Fin du Second Acte.
« La perfidie des petits de la vipère est un trait proverbial de l’histoire naturelle telle qu’on l’enseignait à travers Pline et les bestiaires. Ils étaient censés tuer leurs mères, dont ils crevaient le ventre en naissant. L'emblématique de la Renaissance et notamment les Emblèmes d’Alciat donnèrent un nouvel essor à cette légende. » (Franck Lestringant, dans son édition critique des Tragiques de d’Agrippa d’Aubigné, Paris, Gallimard « Poésie », 1995, note 110, p. 414). Ici, les vipéreaux tueront non seulement la mère (cf. dernière scène de l’acte III) mais aussi le père dont il sera enceint. Autre renversement, ce ne sera pas en naissant mais en expirant que ces enfants tueront leurs parents.
Les deux premiers « ils » (v. 661 et 662) désignaient Atrée et ses esprits, le « il » du vers 664 désigne Thyeste. On doit donc comprendre la proposition introduite au vers 663 de la manière suivante : et s’il te devançait (« prévenir » : devancer), il perdrait tes projets.
L'Acheron ou « fleuve de l’affliction » (son nom est dérivé du mot grec signifiant « douleur») est un des fleuves souterrains qui mènent à l’Hadès, le Royaume des morts. Le passeur Charon, chargé de transporter les âmes sur l’autre rive, ne les embarquait que si elles avaient reçu une sépulture. C'est pourquoi les enfants de Mérope, « idoles sans corps » ne pourront passer la rive (vers 669).
Lorsque deux sujets sont unis par « et » l’accord était loin d’être régulier et tout au long du XVIIe siècle, le choix du singulier restera le plus répandu. (Cf. A. Sancier-Chateau, op. cit., p. 70).
Comprendre : les actions sanglantes que la rage nous force à accomplir.
II faut entendre « père » au sens large d’aïeux car il ne peut s’agir ici du père d’Atrée, Pélops, mais plutôt du grand-père Tantale qui défia les dieux.
Le texte original comportait « estendés » que nous avons uniformisé avec le « appaisez » du vers précédent.
II ne s’agit pas des enfants de son frère, « neveux » au pluriel se disait « de tous les hommes qui viendront après nous, de la postérité » (Furetière, Dictionnaire Universel, 1690).
Monléon tient de Sénèque cet argument d’Atrée selon lequel son frère aurait été capable du même crime : « ce forfait que l’un comme l’autre est capable d’accomplir » (« quod uterque faciat »), Sénèque, Thyeste, Trad. F.-R. Chaumartin. Paris, Les Belles Lettres, 2000, v. 271.
Comprendre : Inutile d’alléger (flatter) la peine que me procure ce souvenir (ressentiment).
Il s’agit de Mérope.
Ce point final équivaut à une suspension (Meiinthe ne baisse pas la voix) avant l’interruption du récit par Atrée.
Cf. Euripide, Les Phéniciennes, le messager décrit ainsi l’attitude de Jocaste lors du duel à mort de ses deux fils, Etéocle et Polynice : « Elle se jetait sur ses fils tour à tour ».
« tantôt » : bientôt, tout de suite.
Cette orthographe archaïque de « dueil » pour deuil renvoie au sens étymologique du terme, à prendre ici pour « douleur, chagrin » (du latin tardif dolus). On trouvera le même type d’orthographe archaïque dans « sueil » pour seuil dans la didascalie du vers 1215.
Comprendre : reconnaissant vraiment. « Au vrai » : « Selon le vrai. Contez nous la chose au vrai. Voilà au vrai comme elle s’est passée » (dans le Dictionnaire de l’Académie française, 1694).
Vaugelas exige toujours la préposition « à » après le verbe commencer. (Haase, op. cit., § 112, 4, Rem. IL, p. 295).
Nous trouvons ici les postures traditionnelles des héroïnes du théâtre humaniste en situation de lamentation, éplorees et échevelées. Cf. Amital dans Les Juives de Gamier, v. 979-982 : « Approchez donc mes Brus, laschez la bonde aux larmes, / Soupirez, sanglotez, déployez toutes armes, / Guerroyez vos cheveux, n’espargnez vostre teint, / Que votre sein d’albastre en votre sang soit teint. »
« Ainsi que » : au moment où.
Le point équivaut à des points de suspension.
Comprendre : « C'est assez pour ce chapitre, et Theombre ? ». La préposition « à », beaucoup plus usitée qu’aujourd’hui, pouvait indiquer un but là où nous mettrions « pour » (Haase, op. cit., §123, p. 325).
En d’autres termes, Criton vient de se « débarrasser » de Theombre.
« trop » s’emploie ici pour « très » (Haase, op. cit., § 98, p. 245).
« Comme » introduisait des interrogatives indirectes et s’entendait dans le sens de « comment » (Haase, §43, B).
Comprendre : on pèche souvent pour bien moins qu’une couronne.
II y a synérèse sur « vivrions » qu’il faut prononcer en deux syllabes.
Le temps d’un procès expeditif en l’absence de l’accusée, Atrée revêt ici les habits d’un roi
justicier et condamne Melinthe pour crime. Cependant, elle n’est pas condamnable pour
l’empoisonnement qu’elle vient de commettre sous un ordre royal mais pour ses actions passées
dont le récit fait l’objet des vers suivants.
« Secret » signifie ici endroit retiré. Il renvoie à la « retraite » de Melinthe commandée par
Atrée dans la scène précédente (v. 802).
Cette réécriture du mythe est en contradiction avec le récit donné par Atrée à l’acte I. Ici, Atrée laisse sous-entendre que Thyeste et Merope ont fui. Dès lors, l’exil de Thyeste et la captivité de Merope perdent de leur sens. Ces incohérences se justifient dans la mesure où, très souvent dans les tragédies de la vengeance, ce ne sont pas les causes qui importent, mais les conséquences. Atrée peut donc se tromper sur les méfaits passés, ce qui compte, c’est le châtiment à venir. Monléon a suivi la disposition du Thyeste de Sénèque dans lequel, déjà, le récit des forfaits de Thyeste n’occupait qu’une place marginale. En revanche, ces allusions ne présentaient aucune incohérence comme ici.
Le débat contradictoire entre Nabuchodonosor et son confident dans Les Juives de Garnier, pièce également inspirée du Thyeste de Sénèque, nous éclaire sur le sens de ces vers : « Nabuzardan : Le voulez-vous meurtrir ? - Nabuchodonosor : Qui tient son ennemy / Et ne le meurtrist point, n’est vengé qu’à demy. - Nabuzardan : Au contraire, en sa mort il perd toute vengeance. / Car l’ennemy qui meurt sort de notre puissance. » (v. 225-228). Se venger d’une personne morte signifie donc ne plus pouvoir assouvir sa vengeance sur cette personne, comme c’est le cas ici puisque Mélinthe vivante servira plus à Atrée que morte.
Cette virgule en fin de vers indique un enchaînement rapide avec la réplique suivante.
« de qui » = dont. Voir note du vers 409.
On peut comprendre « maison » dans un double sens : sens propre pour signifier le palais d’Atrée, sens figuré pour « famille noble » (cf. définition du dictionnaire de l’Académie française (1694) : « Il ne se dit guère que des races nobles et illustres »). Ce dernier sens n’est pas à négliger dans la mesure où Atrée lui-même a désigné les enfants de Mérope et de Thyeste comme ses héritiers à l’acte précédent. Le sens figuré apparaîtra seul quelques vers plus bas (v. 890).
Après les verbes exprimant le désir ou la volonté, le subjonctif était de règle sauf lorsque les verbes n’exprimait plus que l’accomplissement de l’action - et on trouvait alors l’indicatif, comme dans des expressions « Dieu (ou) Le Ciel permet que... » (A. Sancier Château, op. cit., p. 77). Comme aujourd’hui, le verbe est au subjonctif avec le pronom indéfini « quiconque » (v. 893).
Cf. Nabuchodonosor : « Mais devant que le jour ait sa course finie / Je jure qu’il verra sa lascheté punie » (Garnier, Les Juives, v. 211-212).
« Comme » pour « que », voir la note du vers 588.
Sur l’omission du « ne » voir la note du vers 413. Bien que l’on sache aujourd’hui que le théâtre de Shakespeare n’était pas connu au XVIIe siècle des dramaturges français, dans une scène du Songe d’une nuit d’été (1596), nous trouvons cet échange qui ressemble fort au nôtre : « Ne suis- je pas Hermia, n’êtes vous pas Lysandre ? » (Acte III, scène 2, v. 273.)
« Mais que » sans antécédent et amenant un subjonctif remplace « pourvu que » (Haase, op. cit., § 137, 4°, p. 376).
Cette dissociation de sujets coordonnés était fréquente en ce premier tiers du XVIIe siècle (après 1660, la tournure paraîtra archaïque). Nous écririons aujourd’hui : « où l’équité et mon ressentiment me portent ». Il ne s’agit donc pas d’une hyperbate, c’est-à-dire d’une figure de rhétorique volontaire, (cf. A. Sancier-Chateau, op. cit., p. 123).
« encore » doit se comprendre comme « déjà » (Haase, op. cit., § 96, p. 228). Sur le [s] final de « encore » nous renvoyons à la note du vers 61.
Cf. « Pourrais-je bien tenir la bride à mes complaintes / Quand sans fin mon malheur redouble ses atteintes ? / Quand je remâche en moi que je suis la meurtrière / Par mes trompeurs appas d’un qui sous sa main fière / Faisait crouler la terre ? », Cléopâtre captive, Etienne Jodelle, acte I, v. 127-130. Comme Cléopâtre s’accusant de la mort d’Antoine, Mérope captive pressent que Thyeste en venant la rejoindre subira le même sort que ses enfants, morts par sa faute.
Soit « affligez » se rapporte au sujet du vers précédent, Mérope - ici omis- et le vers signifie : dont vous affligez les esprits en condamnant l’asile et le soutien qu’il vous a offerts. Soit « affligez » est un participe passé se rapportant aux esprits d’Atrée et le vers signifie : dont les esprits sont affligés par votre asile. (Que choisir ?)
Tant que Mérope souffre, cela signifie qu’elle est encore en vie. Seule la guérison de ses « maux » pourront apaiser Atrée.
Cf. La Mort de Mithridate (1634-35), La Calprenède, acte V, scène 1, v. 1466-1471 : Hypsicatrée à Mithridate, son époux, qui lui tend une coupe emplie de poison à laquelle il vient lui- même de boire « Ah, que votre amitié m’oblige en ce présent ! / Oui tout ce que j’ai fait vaut moins que cette grâce. / Mais recevons la mort avec la même face / Que nous l’avons bravée aux plus affreux dangers. / Chez nous tous ces tableaux ne sont plus étrangers. / Ce poison agreeable est la fin de nos peines. ».
Le sujet de « ira » est l’« esprit » du vers 1043.
Lorsque Monléon composait son Thyeste, le principe des bienséances commençait à se faire ressentir sur la scène théâtrale. Les spectacles trop violents et sanglants étaient désormais proscrits paroles doctes. Dans sa Poétique publiée en 1639, La Mesnadiere n’autorisait que le spectacle des « meurtres généreux », c’est-à-dire des suicides comme c’est le cas ici. (Sur les « bienséances », voir J. Scherer, La dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 2001, p. 418).
Fin du troisiesme Acte.
Comprendre : où l’art et la nature ont tant travaillé.
Argos : Nom de la ville du Péloponnèse - cette région tient son nom de Pélops, père de Thyeste et d’Atrée - donné par Argos, fils de Zeus et de Niobé, quand il en obtint la royauté.
Plus = Les plus. « Le comparatif pris dans le sens d’un superlatif pouvait souvent se passer de l’article. » (A. Haase, Syntaxe française du XVII e siècle. Nouvelle édition traduite et remaniée par M. Obert, Paris, Delagrave, 1969, § 29 A, p. 56).
Allusion à l’épisode du mythe où Thyeste en ayant volé la toison en or d’Atrée usurpa le pouvoir en montant sur le trône à la place de son frère. Il en fut banni.
« s’augmente » : beaucoup de verbes réfléchis au XVIIe siècle ne le sont plus aujourd’hui (Haase, op. cit., §60, p. 139). Le verbe augmenter présente les deux formes, réfléchie ou non. Ici, l’auteur le construit comme un verbe réfléchi probablement pour créer un parallélisme avec le verbe « s’accroître » de l’hémistiche précédent. Mais nous trouvons le verbe « augmenter » sans forme réfléchie dans ses autres occurrences, sauf au vers 477.
« et si » = et cependant. (Haase, op. cit., § 141, p. 387).
Lycostene se fait ici le chantre du stoïcisme - comme précédemment Mélinthe face à Atrée (I, 3) - en prônant l’impassibilité face au danger.
Le pronom démonstratif « ce » sujet d’une phrase était souvent omis (Haase, op. cit., § 19 A, p. 38-39). Il faut donc comprendre ici : Voyez ce que ce retour vous prépare.
Sur cette conception de la monarchie, nous renvoyons aux Six livres de la République (1576) de Jehan Bodin, premier traité politique qui insista sur le concept de monarchie absolue fondée sur l’exercice unique et non partagé du pouvoir, par opposition aux monarchies féodale, aristocratique ou populaire.
Comprendre : Et rendent tout légitime.
Idée énoncée par Sénèque dans Thyeste mais aussi dans ses textes philosophiques, notamment dans les Lettres à Lucilius (voir, par exemple, la lettre 17).
Malgré l’ambiguïté des termes, Lycostene ne peut se douter du piège d’Atrée. On doit donc comprendre l’adverbe « encore » par « déjà ». Ainsi, Lycostene dit à Thyeste : Avant même de l’avoir revu, comment pouvez-vous déjà douter de lui ?
Sur l’interrogation directe sans « ne » voir la note du vers 413.
Reprise de l’idée développée dans la Lettre de Thyeste à Atrée (vers 132, acte I, scène 2).
II s’agit du « Dieu de l’Hymen » qu’invoquera Atrée au vers 1656.
Cf. Lettre de Cicéron en exil, à sa femme Terentia et à ses enfants : « Ego autem miserior sum quam tu, quae es miserrima, quod calamitas communis est utriusque nostrum, sed culpa mea propria est » (Quant à moi je suis plus malheureux que toi, qui est encore plus malheureuse parce que ce malheur nous est commun, mais j’en suis seul responsable).
« un calme » : une accalmie.
Cette virgule correspond à des points de suspension.
« dedans la pleine » = dans la plaine (« pleine » rimant avec « Lycostene »).
C'est d’apprendre que Thyeste est seul et sans escorte qui suscite l’exclamation de Criton, et non le fait de le revoir. « Rencontre » doit ici s’entendre comme « occasion fortuite » et « heureuse » par chanceuse. En d’autres termes, Criton s’exclame : quelle chance inouïe !
Cf. « Tire ton pied des fleurs sous lesquelles se coeuvre / Et avec soi la mort, la glissante couleuvre ». Agrippa d’Aubigne, Les Tragiques, « Princes », v. 1343-1344. Cette image fait penser au serpent tapi dans le jardin d’Eden.
Allusion au supplice de Promethee dont un vautour - autre appellation pour l’aigle de la légende - dévorait le foie sans cesse renaissant. Le poète baroque S.G. La Roque écrivait : « Amour m’a fait un second Promethee / Que le vautour va sans fin dévorant », dans Les Œuvres, « Caritée », Paris, 1609, LXII, p. 103. (Cité par Gisèle Mathieu-Castellani, Mythes de l’Eros baroque, Paris, PUF, 1981, p. 148). En outre, comme Promethee, Thyeste a commis un « larcin » en volant la toison de son frère.
Cf. Néron dans Britannicus (1669) de Racine : « J'embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer », ce rival étant son demi-frère Britannicus (v. 1314).
Bien qu’orthographier « cheoir » au lieu de « choir » (tomber), le verbe doit se prononcer en une syllabe pour aboutir aux 12 pieds.
II ne s’agit pas d’un vouvoiement. La graphie correspond à la 2e personne du singulier : regardes-en.
Ce vers renvoie à la fonction cathartique du théâtre sénéquien et à la leçon morale qu’en ont retenu les auteurs préclassiques. Sur ce point, nous renvoyons au chapitre de la présente introduction : Clôture du mythe, quelle morale tirer du Thyeste ?
« sang » se prononçait « sanK » comme « flanK » avec lequel il rime. Même chose au vers 1599.
Comprendre : je suis d’autant plus coupable que vous êtes clément. Thyeste ajoute que le pardon divin aurait été moins embarrassant pour lui. Que la victime elle-même pardonne à celui qui l’a offensée rend d’autant plus criminel l’offenseur. L'idée de cet embarras causé par le pardon fraternel était déjà présente dans la pièce de Sénèque, mais non celle du pardon divin.
Le nom de la ville s’orthographie avec un « s » final (comme au vers 342) que l’auteur a probablement omis ici afin de permettre la liaison avec la ligature : [mi-cè-né-je...].
Cette virgule équivaut à des points de suspension.
« Contre son ordinaire » : cf. définition et construction données dans le Dictionnaire de l’académie française (1694) : « Signifie aussi ce qu’on a accoutumé de faire, ce qui a accoutumé d’être [...] Cela est contre l’ordinaire de la nature. »
La vue de Thyeste (« cet objet odieux ») risquant de réveiller la rage dans le cœur d’Atrée, ce dernier s’il n’arrive pas à la maîtriser et la dissimuler (cf. étouffer) en se montrant moins furieux, ne pourra rejoindre à table son frère.
Comprendre : très surpris qu’Atrée ne mange pas des mêmes mets que lui (Cf. abstinence :
« Signifie quelque fois une simple deffense de manger de la chair. » {Dictionnaire Universel de
Furetière, 1690).
Fin du quatriesme Acte.
Sur la construction de l’interrogation négative, voir note du vers 413.
En dépit du jour = malgré le jour.
Cette virgule en fin de vers équivaut à des points de suspension.
Comprendre : même quelqu’un d’aussi offensé que moi n’aurait jamais pu concevoir une vengeance égale à la mienne.
Ce « port » est une métaphore du repos après la tempête, déjà employée par Thyeste lors de son arrivée à Mycènes. Cependant, Atrée inverse ici la proposition puisque le repos précède cette fois la tempête.
Comprendre : Je veux voir sa rage et sa misère naître. Cf. Thyeste de Sénèque, éd. cit., v. 903 : « Je veux voir naître sa souffrance » (Libet uidere, capita natorum intuens).
II aura bientôt fait : il aura bientôt fini (faire : achever, terminer).
Faire le semblable : faire comme moi, c’est-à-dire boire (mais tandis qu’Atree boira du vin, Thyeste boira du sang).
Comprendre : il a le teint rouge. Même chose pour la didascalie qui suit, « rose » indiquant la couleur et non la fleur.
Dans ce premier tiers du XVIIe siècle, les « stances » étaient des poèmes lyriques, musicaux, que le public appréciait et attendait. Les poétiques classiques les condamneront bientôt au nom de la vraisemblance, mais dans les années 1630, les auteurs n’auraient pu priver leur auditoire de ces morceaux de bravoure. En voici la définition précise : « Strophes se terminant par des pauses fortement marquées ainsi que par des recherches de style et constituant un monologue » (J. Scherer, op. cit., p. 285). Les stances devaient se démarquer fortement du reste de la pièce. Ici, elles sont formées par trois strophes de 4 octosyllabes et 8 alexandrins chacune, en rimes alternées. Elles se concluent, conformément à la tradition, en une rupture distincte, ici, par un distique.
« vœux » peut s’entendre comme « prière ». Thyeste déclare donc quetoutes ses prières ont été exaucées et qu’il n’a plus rien à souhaiter.
L’édition originale indiquait ici une nouvelle scène, bien que les personnage présents soient les mêmes que la scène précédente. Ce découpage accentuait probablement la fin des « Stances » de Thyeste. Nous avons laissé.
II faut prononcer le « e » final de « Parle ». Sur l’exemplaire de l’Arsenal que nous avons retenu, un [s] avait été rajouté à la main, ce qui permettait en effet une prononciation plus fluide, en faisant la liaison : « parles avec ».
L'inversion renforce les propos de Criton et l’on doit comprendre le « mais » comme une conjonction de coordination qui signifie : bien plus, mais encore (R. Cayrou, Dictionnaire du français classique, Paris, Livre de Poche, 2000, p. 481).
Cette virgule en fin d’hémistiche indique une suspension et un enchaînement rapide de la réplique suivante.
Thyeste s’adresse à Lycostene.
Notons que « louezir » est orthographié comme il se prononçait alors.
L'adjectif démonstratif « ce » peut avoir ici une valeur d’anaphorique dans la mesure où l’auteur rappelle au lecteur de quel sang il s’agit. Dans le doute, nous n’avons pas corrigé pour l’article défini « le ». Même remarque à propos du demonstratif-anaphorique dans « de ces enfans » de la didascalie qui suit le vers 1569.
Allusion au supplice de Tantale qui, assoiffé et se penchant vers un ruisseau, voyait l’eau fuir de ses lèvres (dans Homère, Odyssée, Chant XI).
II ne s’agit pas d’un « regret » comme nous l’entendons aujourd’hui, dans le sens d’une désapprobation d’une action que l’on a commise, mais plutôt de la depioration d’un bien perdu, et plus précisément d’un mort.
« Acheron » : voir note du vers 667.
Ce fleuve de feu, le Phlégéthon (ou Pyriphlégéthon) est l’un des trois fleuves souterrains, avec l’Acheron et le Cocyte, que doivent traverser les âmes avant de parvenir au Royaume des morts.
« faire contre » : plaider contre, travailler au désavantage de (cf. G. Cayrou, op. cit., p. 351). La pièce de Sénèque nous éclaire sur le sens des vers 1571-1573 : Thyeste y demandait à Atrée : « en frère, je demande à un frère ce qu’il peut me donner, sans entamer son crime et sa haine : le droit de les ensevelir » (scelere quod saluo dari odiosque possit, frater hoc fratrem rogo : sepelire liceat), trad. F.-R. Chaumartin, op. cit., v. 1025-1026.
« détester contre » : en construction intransitive, le verbe détester signifiait lancer des imprécations (cf. Dictionnaire universel de Furetière). Ici, Atrée ne dit pas que son frère le déteste, mais qu’il jure contre lui.
Echo de la première allusion à Prométhée du vers 1204.
« encore » = déjà (cf. Haase, op. cit., §96, p. 228). Le couteau est déjà criminel pour avoir servi vraisemblablement à découper les enfants de Thyeste.
« Sang » se prononçait [sanK] comme [flanK] avec lequel il rime (même chose au vers 1244).
Le Thyeste de Sénèque éclaircit ces vers : « C'est encore trop peu pour moi : j’aurais dû répandre dans ta bouche le sang encore chaud de leurs blessures, pour te faire boire à flot ce sang, quand ils étaient en vie. » (op. cit., v. 1054).
Sur la construction de l’interrogation négative, voir note du vers 413.
Comprendre : J'aurais été vaincu.
Cette virgule équivaut à des points de suspension et indique un enchaînement rapide avec la réplique qui suit (Atrée coupe la parole à Thyeste).
Offe et Pelion : Montagnes de Thessalie que les Géants de la mythologie grecque entassèrent pour escalader le ciel. La légende de ces fils de la terre (Gaia) est dominée par l’histoire de leur combat avec les dieux. Comme Tantale et son petit-fils Atrée, ils appartiennent à ces figures mythologiques de Vhybris, mus par cette même volonté de puissance et de dépassement (cf. l’emploi du terme « orgueil » au vers 1678). Rotrou y fait également allusion dans son Hercule Mourant (1634) : « Je me sens étouffer, je rends l’âme, et ma fosse / N'est pas sous Pelion, sous Olympe ou sous Osse », vers 721-722.
Comprendre : Leur corps; réduits en poudre, sont devenus leurs propres tombeaux. Le parallèle est à établir avec le corps de Thyeste, tombeaux de ses enfants (comme il sera dit au vers 1688).
Construction intransitive de « laissera » (comme au vers 1701) : voir note du vers 414.
FIN
Sigles des ouvrages consultés :
(F) désigne le Dictionnaire Universel de Antoine Furetière, 1690.
(R) désigne le Dictionnaire français de Richelet, 1680.
(A) désigne le Dictionnaire de l’Académie Française, 1694.
Dans le texte établi de la pièce, nous avons signalé d’un astérisque les termes dont les acceptions sont différentes de celles d’aujourd’hui. Cependant, pour une definition exhaustive de ces termes, nous avons parfois signalé les occurrences où ces mots ont le même emploi qu’aujourd’hui afin de relever les usages polysémiques qu’en pouvait faire l’auteur (ces occurrences ne sont pas distinguées par un astérisque dans le texte de la pièce).
Ex : « courage »
- doublet de « cœur » au vers 766 (signalé par /*/) ;
- « vaillance » au vers 90 (sans /*/).
Cité dans Théâtre du XVII e siècle, t. II, éd. J. Scherer et J. Truchet, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1986, note 2, p. 31.
Cité par Jacques Scherer, La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 2001, dans le chapitre consacré aux « Bienséances », p. 419.
F. Lestringant, édition critique des Tragiques de d’Aubigné, Paris, Gallimard, « Poésie », 1995, note 1342, p. 410.
Les malédictions qui touchent et déciment une famille grecque prennent leur origine dans une infraction première. Ainsi, pour comprendre la rivalité des frères ennemis Labdacides, Etéocle et Polynice, il nous faut connaître les crimes perpétrés par leur père Œdipe et leur grand-père Laïus - ce dernier ayant enfreint l’ordre d’Apollon qui lui avait interdit de procréer sous peine d’engendrer son propre criminel. De la même manière, pour comprendre la haine qui lie les deux autres frères ennemis de la mythologie grecque, Atrée et Thyeste, il nous faut connaître les sacrilèges commis par leur père Pélops et grand-père Tantale.
Tantale, fils de Zeus et roi de Lydie, avait le privilège de manger à la table des Dieux et de pouvoir goûter ce que seuls les immortels pouvaient goûter, le nectar et l’ambroisie. Tantale les déroba pour les faire goûter aux mortels. Mais ce ne fut pas le moindre de ses forfaits: il offrit aux Dieux un festin composé des morceaux bouillis de son fils, Pélops Pour le festin de Tantale : Pindare, Pour le supplice de Tantale : Homère, Première Olympique.Odyssée, Chant XI.
Pélops eut pour femme Hippodamie Sur Pélops et Hippodamie : Pindare, Première Olympique. Pélops est réputé pour être le fondateur des jeux d’Olympie.
Le péché originel des Atrides remonte donc à Tantale et Pélops et devait s’abattre comme une malédiction sur les générations à venir.
La légende des frères Pélopides fut contée par Apollodore, Ep/tomé (II, 10-15). Dans l’Iliade (II, 101-107), Homère ignore quant à lui la rivalité entre les deux frères. Daniel Loayza dans sa présentation de L'Orestie (GF 2001, p. 303, note 233) indique, sans la citer, une source postérieure au récit d’Apollodore dans laquelle il est raconté que Zeus voila le soleil non pas pour se manifester et approuver le crime d’Atrée, mais pour témoigner de son horreur. Les auteurs Latins et modernes retiendront cette interprétation. On trouve le récit du banquet chez Hérodote (I, 119).
De son mariage avec Hippodamie, Pélops eut plusieurs enfants dont Atrée et Thyeste. Il eut aussi un fils d’une liaison extraconjugale, Chrysippos qu’Atree et Thyeste tuèrent sur ordre de leur mère. Pélops les bannit alors de son royaume et les deux frères se réfugièrent chez leur sœur Nicippe, épouse de Sthénélos, roi de Mycènes. Ils se virent confier le gouvernement de Midée.
Atrée épousa la fille du roi Catrée, Aéropé qu’il avait achetée comme esclave. De leur union naquirent deux fils, Agamemnon et Ménélas (ou selon d’autres récits, leur père, Plisthène). Aéropé tomba amoureuse de Thyeste et devint sa complice, comme Hippodamie de Pélops. Elle l’aida en effet à détrôner son frère en lui volant une toison d’or. Cette toison était celle d’un agneau qu’Atree avait fait vœu de sacrifier à Artémis. Or pour l’éprouver, la déesse lui avait envoyé un agneau dont la toison était d’or et qu’Atree, dans sa cupidité, tua. Il enferma la toison dans un coffre que sa femme Aeropé déroba et donna à Thyeste.
Entre temps, le roi de Mycènes Sthénélos et son seul héritier, moururent. Leurs sujets consultèrent l’oracle de Delphes qui leur suggéra de choisir l’un des deux souverains de Midée. Comme ils ne pouvaient s’accorder dans leur choix, Thyeste proposa que l’on choisît celui qui pourrait montrer une toison d’or. Atrée accepta, pensant en être encore le propriétaire. Mais ce fut évidemment Thyeste qui la leur montra. De ce fait, il devint roi. Cependant, sur les instructions de Zeus qui désapprouvait la relation adultère, Hermès se rendit auprès d’Atrée. Il lui conseilla d’accepter le maintien de Thyeste sur le trône à moins que lui-même pût montrer un prodige encore plus grand : celui de renverser la course du soleil et le sens des Pléiades dans le ciel. Thyeste, pensant que son frère était devenu fou, accepta le défi. Le prodige se réalisa et Thyeste dut céder son trône. Atrée le bannit.
Ce n’est qu’après avoir envoyé son frère en exil qu’Atrée prit connaissance des circonstances du vol de la toison, rendu possible grâce à la relation complice et adultère entre son frère et son épouse (liaison de laquelle étaient nés des fils Le nombre d’enfants nés de l’adultère et sacrifiés varie selon les récits, de deux à trois. Dans Agamemnon d’Eschyle, Egisthe, survivant du massacre, venu venger son père Thyeste mentionnera deux frères sacrifiés ; deux enfants sont également sacrifiés dans le Thyeste de Sénèque, Plisthène et Tantale. Monléon retiendra ce nombre de deux sans mentionner aucun survivant, ni du reste aucune descendance du côté d’Atrée, ce qui clôturera le cycle de la vengeance. Nous renvoyons au dernier chapitre de la présente introduction: Clôture du mythe.
Dans son monologue inaugural, Atrée laisse libre cours à sa fureur vengeresse dont il expose les principes : surpasser son aïeul Tantale en commettant un crime inégalé et « perdre les innocents » en sacrifiant les deux enfants incestueux de Thyeste et Mérope (scène 1). Suit la mise à l’épreuve de ses deux complices, Criton et Mélinthe. Atrée commence par Criton. Il lui rappelle les crimes de son frère (vol de la toison, adultère) puis lui dévoile le piège tendu à ce dernier pour le faire revenir à la cour : il lui a proposé le partage du trône et le piège a fonctionné. En témoigne la « Lettre de Thyeste » que lit Atrée où son frère annonce que ses deux enfants le précèdent en gage de bonne volonté. Atrée s’enquiert de la fidélité de son confident. Celui-ci oppose à son roi des arguments d’ordre public et privé : un souverain ne peut commettre un crime, un frère doit pardonner son frère. Mais le confident finit par se rallier à la cause de son roi (scène 2). Criton parti quérir la seconde complice, Atrée seul, effrayé par ses propres desseins se persuade - avec succès - de la nécessité de sacrifier les enfants de son frère (scène 3). Criton revient accompagné de Mélinthe, confidente de la reine Mérope. Atrée, sous la forme d’un chantage à peine déguisé, demande main forte à Mélinthe : soit elle accepte de participer au meurtre des enfants et elle deviendra reine, soit elle refuse et elle mourra (scène 4). Mélinthe, laissée seule, résout ce dilemme en se ralliant à la cause du roi (scène 5). Craignant toutefois de paraître trop prompte et intéressée, elle feint quelques réticences auprès de Criton venu lui apporter les fruits empoisonnés destinés aux enfants. Mélinthe finit par les prendre (scène 6). Criton, resté seul, hésite à son tour (scène 7) lorsque la venue de Lycostène, confident de Thyeste, vient l’interrompre pour annoncer l’arrivée prochaine de son maître. Il lui confirme que Thyeste s’est fait précéder de ses deux enfants (scène 8).
Après avoir transmis au roi ces nouvelles, Criton rejoint Lycostène. Celui-ci fait part de son admiration pour la magnanimité d’Atrée que Criton confirme en lui rappelant les témoignages d’amour fraternel de son souverain (scène 1). Atrée confie à Lycostène un message pacifique à l’intention de Thyeste (scène 2). Sitôt le départ du messager, Atrée se réjouit de la bonne marche de son stratagème. Mais Criton lui fait part de ses réserves quant à la loyauté de Mélinthe. Atrée, lui, ne doute pas de l’ambition de cette dernière (scène 3). Justement, elle entre accompagnée de la reine. Atrée rassure Merope sur le destin de son « époux » Thyeste qui sera bientôt de retour (scène 4). Oronte annonce l’arrivée à la Cour de Théandre et Lysis, les deux enfants du couple adultère. Atrée ne les ayant jamais vus questionne Oronte à leur sujet puis l’envoie avec Criton les accueillir (scène 5). Merope déclare à Atrée qu’elle espère que ses enfants sauront plaider la cause de leur père. Atrée réitère quant à lui son impatience de les voir (scène 6). Les deux enfants apparaissent, accompagnés de leur conducteur Théombre. Ils demandent « pardon » pour leur père. Atrée les désigne comme ses héritiers (scène 7). Une fois le roi sorti, Merope demande à ses enfants des nouvelles de leur père. Elle reconnaît en eux les traits de son amant et s’empresse de les embrasser. Mélinthe les attire à elle en leur offrant les fruits empoisonnés. Les deux enfants succombent mais Mélinthe fait croire à la reine qu’il est encore temps de les sauver (scène 8). Criton, attiré par les cris, feint la surprise devant le spectacle funèbre. Il accompagne Merope et ses suivants chercher un Médecin (scène 9). Seule, Mélinthe est assaillie par les remords d’une criminelle. Mais la couronne saura « effacer » le crime devenu légitime d’une future reine (scène 10).
Atrée lutte contre des signes de faiblesse et de lâcheté. Il est temps pour lui d’achever son projet et de faire subir à la mère le même sort que ses enfants (scène 1). Criton s’alarme de nouveau de la fureur de son roi, mais lui réitère sa fidélité (scène 2). Mélinthe les rejoint pour confirmer au roi la mort des enfants. Atrée demande à ses deux complices de lui raconter l’épisode de l’empoisonnement auquel il n’a pas assisté et celui de l’autopsie dont Criton « vit le spectacle » : Le médecin ayant découvert le poison et Merope le crime, celle-ci s’étant évanouie quatre fois, se réveillait pour demander à subir le même sort que ses fils. Criton informe ensuite Atrée qu’il s’est « assuré » de Théombre. Mélinthe, quant à elle, réclame son dû. Atrée explique qu’il doit encore s’assurer du trône pour le lui remettre, et lui désigne un lieu de retraite. Mélinthe s’y rendra pour ne plus jamais reparaître... (scène 3). Criton comprend qu’Atrée a condamné Mélinthe et rappelle au roi sa parole. Atrée lui rappelle à son tour comment Mélinthe fut la complice des amants en cachant leurs enfants (scène 4). Merope survient pour demander justice au Roi : qu’il punisse l’empoisonneuse Mélinthe et venge ses héritiers. Atrée lui répond qu’il punira la criminelle mais qu’il n’a perdu aucun héritier. Merope découvre la vengeance d’Atrée. « Toi-même a fait le coup », lui dit-il, en ayant engendré ces enfants (scène 5). Laissée seule, Merope tente de fuir afin de prévenir Thyeste du danger. En vain. Prisonnière, il ne lui reste comme seule issue que le suicide (scène 6). C'est à propos que Criton et Oronte lui font part de la « clémence » du roi : elle a le choix de sa mort, le poignard ou le poison. Mérope, qui avait souhaité suivre ses enfants, se voit donc exaucée. Elle s’empoisonne et expire sur les corps de ses fils (scène 7).
De retour d’exil, Thyeste retrouve Mycènes avec bonheur. Cependant, il appréhende la cour. Lycostène le rassure en lui rappelant qu’il sera roi. Thyeste répond que la vie d’un roi est sans repos. De plus, connaissant son frère, il pressent un piège. Lycostène rappelle les vœux de réconciliation d’Atrée. Thyeste les met en doute mais se résout à pénétrer dans le palais car s’il ne craint rien pour lui, du moins craint-il pour ses enfants (scène 1). Criton, surpris par ce retour prématuré les accueille mais tâche de retarder leur entrée. Puis il se presse d’avertir le roi (scène 2). Thyeste et Lycostène déambulent dans une salle du palais où Thyeste remarque un tableau représentant deux frères qui s’étreignent, l’un des deux poignardant l’autre dans le dos. Ses appréhensions resurgissent mais Atrée, qui l’espionnait de loin, se montre et I' « embrasse ». Il lui confirme le partage du pouvoir et l’assure que les fautes passées sont oubliées. Thyeste se prosterne devant son frère. Atrée commande à Criton de préparer le festin pour ces retrouvailles (scène 3). Resté seul, Criton résiste à la tentation de désobéir à son roi (scène 4). A Oronte, il confie qu’Atrée feindra une faiblesse pour ne pas assister au repas de Thyeste qu’il rejoindra seulement après que ce dernier ait mangé (scène 5).
Atrée se réjouit : Mérope et ses enfants sont morts, Thyeste est pris au piège. Il interprète le voilement soudain du soleil non comme la condamnation divine de ses crimes présents mais comme la désapprobation de ceux que Thyeste perpétra par le passé. Il ne lui reste donc plus qu’à dévoiler à Thyeste, malgré l’obscurité, la nature des mets qu’il vient de manger (scène 1). Criton s’inquiète de cette nuit survenue en plein jour. Atrée explique que c’est la preuve qu’il a enfin commis un crime inégalé. Criton l’informe que Thyeste est attablé et a commencé de manger. Atrée y voit encore un signe d’approbation des Dieux. Il demande à son fidèle serviteur de prévenir son frère qu’il viendra boire en sa compagnie et tend à Criton une coupe qu’il doit lui remettre. Criton s’effraye à l’idée de ce qu’elle peut contenir (scène 2). Il trouve Thyeste allongé, ivre et repu. Dans des stances éthyliques, Thyeste remercie le destin de l’avoir enfin favorisé après tant d’épreuves. Le voilà roi ; il peut noyer ses maux dans une « mer d’oubli ». Pourtant, il se met à pleurer sans raison et pressent ses malheurs (scène 3). Criton lui annonce la venue du roi mais interrogé sur celle tardive de Mérope et de ses enfants, le fidèle serviteur lui explique qu’Atrée souhaitait ainsi ménager la surprise. Thyeste s’en réjouit (scène 4). Pour fêter leur réconciliation, Atrée offre à son frère une coupe contenant le sang des innocents. Dès les premières gorgées, Thyeste croit entendre leurs plaintes. Atrée soulève alors un rideau où se trouvait dissimulé un plat contenant une partie seulement de leurs corps découpés. Thyeste lui demande où se trouvent les restes. Atrée déclare à son frère qu’il vient de les manger. Dès lors, Thyeste comprend pourquoi le soleil s’est caché en plein jour : les lois de la nature se sont inversées, des innocents ont payé pour le criminel. Il demande à Atrée un couteau pour se fendre l’abdomen mais n’obtient pour réponse qu’un rire retentissant : Ce sont les remords éternels de Thyeste qui seuls etancheront la soif de vengeance d’Atrée. Celui-ci soulève un second rideau derrière lequel repose le corps de Mérope. Pour justifier ce châtiment, Atrée se place sous la protection des « dieux de l’Hymen ». Enfin, il déclare que sa seule et vraie victoire fut d’avoir commis ce que Thyeste aurait été autant capable de commettre, avant lui. Thyeste horrifié en appelle au jugement dernier : que les Dieux fassent « pleuvoir du sang », que le tonnerre foudroie son corps, tombeau de ses enfants, qu’ils punissent son bourreau. Atrée, quant à lui, invoque son frère : « Je laisse à tes enfants à te punir toi-même » (scène 5).
On trouve ce même souci de modernité chez l’auteur Bridard qui dans la préface de sa pastorale Uranie (1631) dit ne pas avoir souhaité composer une pièce trop savante: « j’ai apris à ne point faire du latin et du français une même langue » (Cité par Lancaster, A History of French Dramatic Littérature in the seventeenth Century. Baltimore, The John Hopkins Press, 1929-1942., Tome I, chapitre « tragi-comédie pastorale », p. 409.
Allusion au Marquis Deffiat, surintendant des Finances, à qui l’Amphytrite était dédiée.
Angélique est l’héroïne de la comédie bocagere de Monléon. C'est de cette bergère que Neptune
tombe amoureux.
Allusion à une scène de l’Amphytrite où le berger Pallas, amoureux d’Angélique, est transformé
en rocher par un Neptune jaloux.
Monsieur de l’Estoille.