Un gentilhomme, qui mène une vie plaisante et honorable en Beauce, avec vaches et dindons, se met en tête d’épouser sa cousine, une Parisienne entourée de galants. Le voilà donc à Paris, chez la jeune femme, décidé à conclure cette union tout à fait incongrue : la servante du logis, qui a son franc parler, ne fait-elle pas remarquer que ce vieil hobereau, jaloux et bourru, serait bien mieux assorti avec la mère de sa maîtresse ? Le Beauceron a affaire à forte partie car la belle et ses acolytes, amant et serviteurs, multiplient les fourberies pour tromper sa vigilance et ne sont guère embarrassés de se retrouver en rendez-vous amoureux. Aussi son séjour dans la capitale sera-t-il de courte durée puisque berné de la belle manière, il se résigne finalement à regagner son village, non sans avoir été soulagé, entre-temps, de vingt louis par un valet effronté et non sans exhaler aussi son indignation contre les mœurs parisiennes. Ruses, déguisements et renversements de situation, tels sont les ressorts de cette comédie que son auteur, sérieux concurrent de Molière, eut la satisfaction de voir jouée devant le roi. On retrouve les situations et les personnages conventionnels de la comédie d’intrigue mais dans la maison de la cousine, « ouverte à tous venans », défilent aussi quelques figures pittoresques du théâtre parisien : le noble campagnard, le provincial, l’étranger et le joueur invétéré. Paris et son fol engouement pour les loteries, ses ricanements sur la province, sa coquetterie, voilà ce que dramatise l’auteur. Jeu de rôle et jeu social ; acteurs et hypocrites : les personnages sont tour à tour masqués et démasqués. Il ne s’agit pas pour autant de juger les mœurs contemporaines car le dramaturge, loin de posséder la rigueur moralisatrice de son héros ridicule, préfère rire des travers de la société.
L’Avertissement de l’édition de 1739 fournit les principales indications sur la vie de Montfleury. Antoine-Jacob, fils du célèbre comédien de l’Hôtel de Bourgogne, Zacharie-Jacob, naquit à Paris en 1639Leben und dramatische Werke des älteren und des jüngeren Montfleury, 1911, p. 23).avocat au parlement » constituent « la seule trace qu’il ait laissée de son passage au barreauLes Contemporains de Molière, 1967, t. I, p. 213.Mariage de rien, et consacra dès lors ses travaux à la scène française. Grâce à son père, l’Hôtel de Bourgogne le considéra comme étant de la famille, et ces premiers liens furent resserrés lorsqu’il épousa, en 1665, Marie-Marguerite de Soulas, fille du comédien Floridor. Le père et le fils étaient souvent confondus bien que ce dernier ne fût jamais monté sur les planches : Adrian Braakman qui édita leurs œuvres en 1697 n’en fit qu’un seul personnage, à qui il attribua les productions de tous les deux. Il fallut attendre l’édition de 1739 pour que cette méprise fût rectifiée. La carrière créatrice de Montfleury coïncida presque exactement avec celle de Molière. La rivalité sur la scène théâtrale fut attisée par une hostilité personnelle due à la représentation en novembre 1663 de L’Impromptu de Versailles, pièce dans laquelle Molière parodie le jeu pompeux de Montfleury père. Le fils riposta en faisant jouer L’Impromptu de l’Hôtel de Condé qui raille notamment le jeu tragique de Molière. Dans ces conditions, aucune pièce de Montfleury ne fut représentée par la troupe de Molière. Après 1673, Montfleury s’adressa toutefois aux comédiens de son défunt rival pour jouer L’Ambigu comique. Après avoir produit une pièce par an à peu près de 1660 à 1678, il se tourna vers la finance. En 1678, Colbert lui confia la charge de faire le recouvrement des sommes que le parlement de Provence devait au roi, mission dont il s’acquitta en contentant à la fois la cour et le parlement. Le Ministère, bien disposé pour lui, le rappela à Paris en 1684 car il lui réservait un poste de fermier général, mais il tomba malade entre-temps et mourut à Aix en 1685.
La postérité a parfois jugé sévèrement les pièces de théâtre de Montfleury. N.-M. Bernardin constate que « ce qui a nui surtout dans l’esprit de la critique à Montfleury […] c’est qu’il a eu le malheur d’être le contemporain de Molière et l’imprudence de prétendre être son rivalRevue des Cours et Conférences, 1902, p. 81.L’École des jaloux et pour L’École des filles. Pourtant, Edward Forman relativise cette influence, en suggérant que la fidélité de Montfleury au modèle du théâtre espagnol manifeste vraisemblablement son « indépendance […] vis-à-vis de ses compatriotes, et son indifférence à la nouvelle direction que Molière fit prendre au théâtre comique français pendant les années 1660Édition critique de Le Mary sans Femme d’Antoine Jacob de Montfleury, 1985, Introduction, p. XI.lingua francalingua franca est employée couramment dans les ports méditerranéens depuis plusieurs siècles. Furetière la définit comme un « jargon qu’on parle sur la Mer Mediterranée, composé du François, Italien, Espagnol et autres langues, qui s’entend par tous les Matelots et Marchands de quelque nation qu’ils soient » (Dictionnaire universel, 1690).Le Mary sans femme comme « annonciateur du Sicilien et du Bourgeois gentilhommeRevue d’Histoire Littéraire de la France, nov-déc 1987, p. 1102.Le Mercure galant souligna le succès « au delà de tout ce que l’on peut imaginer » de La Fille capitaine et assura que La Femme juge et partie « eut le bonheur d’être suivie et fort applaudie, pendant que tout Paris couroit à TartuffeLe Mercure galant, août 1705, p. 326.
Les commentateurs de Montfleury s’accordent généralement à dire que parmi les contemporains de Molière, il est le plus amusant par son esprit, sa gaieté et sa verve. Ils apprécient son dialogue vif, modelé sur la conversation et conviennent de sa bonne connaissance des règles dramatiques. Julien-Louis Geoffroy confirme que Montfleury « avait appris ce qu’on appelle le métier, […] entendait le théâtre, conduisait sagement un sujet, arrangeait et liait des scènes avec quelque adresseCours de littérature dramatique, 1819, t. I, p. 474.Le Gentilhomme de Beauce témoigne en effet de ce souci de cohérence. La hardiesse de ses pièces, que ce soit dans le choix des sujets ou dans la manière de les traiter, est ce qui a fait naître, au cours des siècles suivants, des jugements défavorables sur son théâtre. C’est sans conteste le terme « licence » qui revient le plus fréquemment sous la plume de ses détracteurs. Comme le fait remarquer Victor Fournel, « on n’attend pas de Montfleury la sévère dignité d’un moraliste ; mais on est en droit de lui reprocher des licences et des crudités de langage, un malheureux penchant aux plaisanteries inconvenantes et d’un goût équivoque, […] une raillerie systématique des sentiments et des devoirs les plus respectables Les Contemporains de Molière, 1967, t. I, p. 215-216.Le Mary sans femme, le caractère sacré du lien conjugal est ainsi mis à mal, dans la mesure où Dom Brusquin, sous peine de bastonnade et des galères, doit consentir à l’union de Julie, qu’il vient d’épouser, et de Carlos, son amant, ce qui suppose l’annulation de son mariage. Son personnage de prédilection est le mari trompé. Il le place dans des situations souvent cocasses et insensées : ainsi Bernadille, dans La Femme juge et partie, est-il accablé de ne pas réussir à prouver qu’il est cocu. Dans Le Gentilhomme de Beauce, le dramaturge exploite le thème du cocuage et introduit également quelques allusions grivoises. Son comique cru est, malgré tout, reçu favorablement par le public de l’époque, comme l’atteste le succès de ses pièces. Le portrait de Montfleury, esquissé par Jules Lemaitre, « un pur Gaulois », « une tête naturellement joyeuse […] ; qui n’a souci que de rireLa Comédie après Molière et le théâtre de Dancourt, 1882, p. 39.
Au début de sa carrière, Montfleury donna deux comédies en un acte, Le Mariage de rien et Les Bêtes raisonnables. Ces « petites comédies » étaient très en vogue. Sorte de fabliau mis en action, elles présentent souvent un canevas schématique et des types farcesques. Par la suite, il s’illustra essentiellement dans la comédie romanesque et d’intrigue en cinq actes. Celle-ci s’intéresse moins aux personnages, toujours identiques, qu’aux situations piquantes provoquées par leurs intrigues amoureuses. Elle met en scène les stratagèmes d’un galant qui cherche à séduire une jeune femme et repose sur les effets de surprise, les renversements de situation et les méprises. Montfleury a puisé quelques-uns de ses sujets chez les auteurs espagnols. Il parlait d’ailleurs parfaitement l’espagnol, comme l’attesta l’Avertissement de l’édition de 1739 qui rapporta que « la feue Reine […] disoit que ceux même du païs ne le parloient pas si bien que luiThéâtre de Messieurs de Montfleury père et fils, 1739, t. I, p. 35.La Femme juge et partie et La Fille capitaine ont des sources espagnolesLa Femme juge et partie est inspirée d’une pièce de Sebastian de Villaciosa et Juan de Zabaleta et La Fille capitaine, d’une comédie de Diego et José Figuerosa y Cordoba.L’École des filles, l’action se déroule en Espagne et dans Le Mari sans femme, la scène est à Alger mais Julie, Carlos, Dom Brusquin et leurs serviteurs sont originaires d’Espagne. De surcroît, l’enlèvement de Julie, la captivité des amants fugitifs chez le gouverneur d’Alger et les multiples rebondissements prouvent que cette comédie est dans le goût espagnol. Dans les années 1670, Montfleury recourut de façon moins systématique à l’exotisme espagnol, tout en restant fidèle à la comédie d’intrigue qui persistait après 1660 malgré le succès de Molière et de ses comédies de caractères. Le public aimait encore les imbroglios, les méprises et les déguisements. Roger Guichemerre montre que l’intrigue et les situations comiques avaient encore une importance considérable dans les œuvres contemporaines de Molière. Il cite les exemples des comédies de Montfleury : l’intrigue est dominante dans Trigaudin (1674), La Dame médecin (1678) et La Dupe de soi-même (1678) ; et Crispin gentilhomme (1677) « comporte encore une substitution et une reconnaissanceLa Comédie classique en France : de Jodelle à Beaumarchais, 1978, p. 68-69.Ibid., p. 65.Histoire de la littérature française du XVII e siècle, 1997, t. II, p. 821.
Montfleury s’intéresse essentiellement aux situations comiques dans lesquelles se trouve son hobereau. Il exploite les scènes traditionnelles de la comédie d’intrigue, notamment lorsque le gentilhomme surprend les amants (I, 7) ou que, dissimulé, il écoute les propos offensants que son entourage tient à son sujet (IV, 5-10). Le recours au jeu de rôle et au déguisement est également caractéristique de la comédie d’intrigue : à deux reprises, le Beauceron est trompé par le Basque qui emprunte une fausse identité. On retrouve, d’autre part, les personnages codés de la comédie d’intrigue : la servante entreprenante, le valet fort en gueule, le noble de province, les jeunes amoureux et la mère autoritaire. Néanmoins, Montfleury s’efforce de nuancer leur portrait : ainsi le Beauceron, lorsqu’il fait preuve de lucidité et d’esprit, ou bien Léandre, quand il manifeste sa détermination (V, 10), surprennent-ils le spectateur. Si le souci d’observation de la société est patent, la satire des moeurs demeure superficielle et c’est l’utilisation du fait social dans le jeu de l’intrigue qui constitue l’intérêt principal. Si Montfleury distingue sa comédie de la farce, en atténuant non seulement le schématisme des personnages, mais aussi celui de l’intrigue, comme le montre le caractère inattendu de l’entretien parodique de l’acte V, il emprunte toutefois au genre quelques procédés comiques.
La première représentation du Gentilhomme de Beauce eut lieu sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne, au début du mois d’août 1670Gentil-Homme de Beausse » cité dans sa lettre était la « Pièce du Sr de Montfleury à l’Hôtel » (Le théâtre et l’opéra vus par les gazetiers Robinet et Laurent : 1670-1678, 1993, p. 41).Édition critique de Le Mary sans Femme d’Antoine Jacob de Montfleury, 1985, Introduction, p. IV.Théâtre de Messieurs de Montfleury père et fils, 1739, t. I, p. 29. Une lettre de Du Lorens, datant du 13 septembre, attesta ce fait.e duc de Buckingham (1628-1687).Spectacles et divertissements à la Cour de France 1661-1680, 1988, p. 441.Gentilhomme de Beauce, « accompagnée dans les Entr’Actes, de plusieurs Pièces de Musique, et de Symphonie, de la composition du Sieur LulliIbid., p. 442 (extrait de La Gazette, n° 112, 19 septembre 1670).
[la Cour est à Versailles. Samedi dernier, le 6 septembre, on avait fait une promenade dans le parc :]
On devoit, de la Comédie, Avec Concert, et Mélodie, Avoir le Divertissement, Dessus un Théâtre charmant, Coûtant grand nombre de Pistoles, […] l’eau tomboit, sans aucun brüit, Dans un Bassin, exprès, constrüit, Ou, tout au moins, rempli de mousse, Qui rendoit sa cheute si douce, Que l’oreille elle chatoüilloit, Sans qu’elle interrompist l’ouye, Dans le cours de la Comédie . Le théâtre et l’opéra vus par les gazetiers Robinet et Laurent : 1670-1678, 1993, p. 42-43.
L’auteur, dans son épître dédicatoire, rappelle avec fierté ce spectacle exceptionnel. Dans une autre lettre en vers à Monsieur, datée du 8 novembre 1670, Robinet mentionna à nouveau une « Comédie » jouée à Versailles : la comédie n’a pas été identifiée mais il s’agit peut-être du Gentilhomme de Beauce, création la plus récente de la compagnie de l’Hôtel de BourgogneIbid., p. 48. Une note précise : « Comédie: terme général, ou comédie spécifique? Impossible à trancher. Mais en tout cas nous n’avons pas identifié de pièce jouée à Versailles par la troupe de l’Hôtel de Bourgogne à cette époque. Peut-être s’agit-il du Gentilhomme de la Beauce de Montfleury, la création la plus récente de cette compagnie ».A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, 1929-1942, part III, t. II, p. 819.
La distribution du Gentilhomme de Beauce n’est pas connue. Sophie Wilma Deierkauf-Holsbœr atteste qu’à la fin de l’année 1670, la troupe de l’Hôtel de Bourgogne se composait des membres suivants : Mlle Beauchâteau, Floridor, Mlle Floridor, Belleroche (Raymond Poisson), Mlle Poisson, Hauteroche, La Fleur, Brécourt, Mlle Desurlis, Mlle d’Ennebaut, Champmeslé et Mlle ChampmesléLe Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, 1970, t. II, p. 141.lle Des Œillets n’est pas mentionnée non plus car Sophie Wilma Deierkauf-Holsbœr indique que sa santé était chancelante depuis longtemps et qu’elle mourut le 22 octobre 1670Ibid., t. II, p. 141.lle Beauchâteau, Mlle d’Ennebaut, sœur de Montfleury, et Mlle Champmeslé, jeunes comédiennes de la troupe, furent sans doute sollicitées pour tenir les rôles de Climenne et de Béatrix. Henry Lyonnet signale que Mlle Beauchâteau jouait d’ordinaire les rôles d’amoureuses de comédieDictionnaire des comédiens français (ceux d’hier), t. I, p. 110.Ibid., t. I, p. 234.Ibid., t. I, p. 305.Ibid., t. II, p. 537.Ibid., t. II, p. 262.
Nous n’avons aucun détail sur le décor. L’action se déroulant dans une « Sale chez Climenne », la scène représentait sans doute la salle commune d’une maison parisienne bourgeoise. Les personnages font mention à plusieurs reprises de l’étage, où se trouvent les appartements de Climenne et de Martin. Ainsi Martin déclare-t-il : « Sortons de cette chambre & montons dans la nostre » (v. 1106). On peut imaginer que la scène figurait un escalier, menant de la salle commune aux chambres de Climenne et Martin, puisque le Beauceron fait allusion à un « autre escalier » (v. 140), qui permet d’éviter que le Gascon, après avoir déposé son argent à l’étage, ne passe de nouveau par la salle commune où se trouve Climenne. En outre, dans l’édition de 1735 des œuvres de MontfleuryLes Œuvres de Montfleury, 1735, t. I. La gravure précède la page de titre.
L’auteur évoque modestement, dans son épître dédicatoire, « l’indulgence qu’on a eüe » pour sa comédie à Paris. Lancaster signale en effet que Le Gentilhomme de Beauce fut bien accueilli par le public du XVIIe siècle, mais que son succès ne dura pas longtemps puisque ni Le Mémoire de Mahelot, ni La Grange n’y font référenceA History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, part III, t. II, 1929-1942, p. 824.Leben und dramatische Werke des älteren und des jüngeren Montfleury, 1911, p. 89.
J’aurois […], Fait un chapitre bien disant, Sur le Gentil-Homme de Beausse,Qui de beaucoup encore rehausse, Le mérite de son Auteur, Et dont j’aime de tout mon cœur, La Scène admirable et si fine, De Néron avec Agrippine, Et celle aussi des Faux Abbes, Que j’y trouve des mieux daubés Le théâtre et l’opéra vus par les gazetiers Robinet et Laurent : 1670-1678, 1993, p. 41.
Selon Walter Rohr, à partir du moment où le héros de la comédie était un hobereau campagnard, figure théâtrale véritablement comique, la pièce ne pouvait être qu’un succèsLeben und dramatische Werke des älteren und des jüngeren Montfleury, 1911, p. 89.Britannicus dans la scène 5 de l’acte V contribua beaucoup à cette réussite car la confrontation entre Néron et Agrippine était encore dans les esprits lorsque Le Gentilhomme de Beauce fut créé sur les planches de l’Hôtel de Bourgogne. On pensait immédiatement à la tragédie de Racine en voyant le Beauceron et Climenne, assis face à face, s’adresser des reproches cinglants. Robinet, dans l’extrait ci-dessus, confirma d’ailleurs l’enthousiasme qu’avait pu susciter cette scène. Enfin, le fait que la pièce fut représentée devant le roi et qu’une édition pirate hollandaise parut dès 1670 confirme ce succès immédiat.
Béatrix s’indigne de l’union de sa maîtresse, Climenne, et de Monsieur de Coutreville, cousin de la jeune femme. Monsieur de Coutreville, gentilhomme beauceron, s’est rendu dans la capitale afin de conclure ce mariage. Il vit depuis quelques jours chez Climenne et espère obtenir l’assentiment de sa future belle-mère, qui considère avec bienveillance le riche hobereau. D’une jalousie féroce, il surveille Climenne de près. Celle-ci révèle à sa servante que la loterie qu’elle a organisée n’est qu’un prétexte pour permettre à son amant, Léandre, de l’approcher, sous le couvert de participer au jeu (sc. 1). Un joueur, le Gascon, souhaite acheter des billets et, tout en se renseignant sur la loterie, adresse quelques galanteries à Climenne (sc. 2). Le gentilhomme les épie un moment avant de se montrer. Le Gascon se réjouit alors de retrouver un habitant du village beauceron où il passa avec son régiment, mais son accueil enthousiaste se heurte à l’agressivité du campagnard (sc. 3). Une fois débarrassé du Gascon, le Beauceron reproche à Climenne sa coquetterie avant de se plaindre du désordre suscité par la loterie. Il a toutefois trouvé la solution pour chasser galants et joueurs : engager un Suisse. Béatrix riposte aussitôt, elle connaît un Suisse qui fera l’affaire : hargneux, il contrôlera avec zèle les allées et venues (sc. 4). La servante dévoile le subterfuge à sa maîtresse, alarmée par la résolution de son cousin : celui qu’elle envisage de présenter comme Suisse au Beauceron est son amant, le Basque, valet de Léandre (sc. 5). Léandre entre en déplorant son malheur. Rasséréné par le stratagème des jeunes femmes, il leur garantit son soutien (sc. 6). Survient le Beauceron qui observe à la dérobée Climenne et Léandre, bientôt avertis par Béatrix de la présence du rival (sc. 7). Après le départ de Léandre, le cousin sort de sa cachette. Clairvoyant sur l’amour réciproque des amants, il morigène de nouveau Climenne avant d’être interrompu par un bruit qui l’incite à la faire sortir (sc. 8). Champagne, un laquais, accoure affolé et annonce que la foule, impatiente de participer à la loterie, a forcé la porte. Le gentilhomme le somme de monter la garde devant l’appartement de Climenne et ordonne à Béatrix d’aller chercher le Suisse dont elle a parlé (sc. 9 et sc. dernière).
Béatrix paraît, accompagnée du Basque, en habit de Suisse. Il ne tarde pas à lui faire la cour mais celle-ci est préoccupée par la confrontation prochaine avec le gentilhomme (sc. 1). Ce dernier se montre d’abord réticent devant la corpulence du Basque, mais grâce à ses propos batailleurs, le prétendu Suisse gagne sa confiance (sc. 2). Une fois seul avec sa nouvelle recrue, le gentilhomme lui précise qu’il doit l’informer du moindre geste de sa cousine en faveur d’un galant (sc. 3). Il le présente ensuite à Climenne, avant de l’envoyer faire le guet à l’entrée (sc. 4). Las de l’agitation provoquée par les joueurs, le gentilhomme se mêle de l’organisation de la loterie afin qu’elle soit tirée au plus tôt et que le bénéfice soit conséquent (sc. 5). Béatrix se montre satisfaite de la performance du Basque, mais elle élude de nouveau ses propos amoureux, interrompus par l’arrivée de Léandre (sc. 6-7). Le jeune homme, qui s’attend à voir Climenne, est immédiatement détrompé par la servante qui lui annonce que, désormais, le Beauceron ne quitte plus sa cousine. Elle redonne cependant espoir à l’amant dépité en lui remettant un billet de Climenne, dans lequel celle-ci lui fait part du tour qu’elle a imaginé pour éloigner le gentilhomme du logis. Le Basque est de nouveau mis à contribution, aussi doit-il quitter un moment son rôle de Suisse pour interpréter un autre personnage (sc. dernière).
Le fâcheux hobereau enrage car l’irruption de la foule n’a pu être contenue par Champagne, qui supplée le Suisse (sc. 1-2). Le laquais annonce la visite d’un abbé (sc. 3-4). Le Basque, qui a revêtu le costume abbatial pour jouer un abbé beauceron, fait alors son entrée. Après moult cérémonies, l’abbé la Roche délivre au gentilhomme une boîte contenant les billets achetés à Oronte, organisateur d’une loterie concurrente. Le Beauceron, d’abord hostile à l’abbé, ne tarit pas d’éloges sur lui lorsqu’il découvre dans la boîte un billet gagnant d’une valeur de trois cent louis (sc. 5). Seul, l’heureux gagnant savoure sa joie et décide d’aller chercher son lot chez Oronte (sc. 6). Climenne apparaît apprêtée ; aussi subit-elle une nouvelle fois les semonces de son cousin. Néanmoins le gentilhomme abrège lui-même ce sévère discours de morale, tant il est impatient de posséder son lot (sc. 7). Il recommande au Suisse, qui a repris son poste, de dissimuler son absence et de ne laisser entrer personne, et non sans inquiétude, se résout à partir (sc. 8). Béatrix se réjouit avec Léandre et le Basque du succès de la ruse et de la liberté que leur procure l’absence du gentilhomme (sc. 9 et sc. dernière).
La porte étant ouverte, le Gascon a pu s’introduire chez Climenne. Il fulmine contre le Suisse qui lui a si souvent fermé la porte au nez et qui est à présent endormi sur son lit, ivre (sc. 1). Il s’enquiert de la loterie auprès de l’organisateur, Martin : il attend en effet avec impatience le tirage car il a gagé ses dettes sur les lots. Mal en prend à Martin de le mettre en garde contre une telle folie puisque le Gascon finit par le menacer si le résultat du tirage ne lui est pas favorable (sc. 2). Aussi Martin, apeuré, se réfugie-t-il dans sa chambre (sc. 3). Le Beauceron est de retour, furieux parce que la boîte remise par l’abbé est fausse. Sa rancune contre la Roche et les aigrefins de son acabit cède bientôt la place à l’inquiétude car il a trouvé la porte ouverte et le Suisse étendu sur le lit. Afin d’éclaircir ces mystères, il se cache de façon à observer son entourage (sc. 4). Béatrix est la première qu’il surprend. Le Beauceron ne tarde pas à être édifié sur le compte de la servante, de Léandre et de Climenne, qui se révèlent être les instigateurs du piège dont il a été victime. Il apprend en outre que Léandre est auprès de Climenne et que la Roche est le valet de son rival, un dénommé le Basque, qu’il ne connaît pas (sc. 5). Après le départ de Béatrix, le gentilhomme se répand en invectives contre la soubrette, qu’il accuse de pervertir Climenne (sc. 6). Toujours dissimulé, il assiste ensuite aux adieux de Climenne et de Léandre, qui réaffirment avec Béatrix leur hostilité contre lui (sc. 7). De nouveau seul, le gentilhomme, qui pense avoir entièrement décelé ce qui se trame contre lui, calomnie l’honneur de Climenne ; le Suisse, malgré son ivresse, est le seul qui trouve encore grâce à ses yeux (sc. 8). L’annonce de la venue du Basque l’incite à demeurer en retrait afin de percer à jour l’inconnu (sc. 9). Le Basque, en qui le Beauceron reconnaît immédiatement son portier, entre en titubant. Béatrix lui reproche la négligence dont il a fait preuve pendant qu’il était censé surveiller la porte puis, exaspérée par son discours d’ivrogne, elle s’en va (sc. 10). Demeuré seul, le Beauceron s’emporte contre les comploteurs, mais il remet sa vengeance au lendemain et se retire dans sa chambre (sc. dernière).
Le Basque refuse obstinément de croire Béatrix qui lui répète que le gentilhomme se trouve dans le jardin (sc. 1). À la vue de ce dernier, il est finalement contraint d’admettre qu’il l’a laissé pénétrer dans la maison. Le gentilhomme envoie Béatrix chercher sa maîtresse (sc. 2). Le Basque, qui continue à jouer le Suisse en présence du Beauceron, redouble de complaisance envers son maître qui, irrité par cette hypocrisie, a tout juste le temps de le souffleter avant l’arrivée de Climenne et Béatrix (sc. 3). Après avoir congédié les deux serviteurs, il adresse à Climenne des propos injurieux. La jeune femme riposte avec la même franchise. Le Beauceron finit par couper court aux récriminations de sa cousine et part dénoncer à la mère le choix de Climenne en faveur de Léandre (sc. 4-5). La jeune femme, apparemment résignée à obéir, exprime son désarroi et demande conseil à Béatrix (sc. 6-7). Eu égard au péril que court son amour pour Léandre, elle accepte un entretien avec lui (sc. 8-9). Elle lui rapporte les dernières dispositions du gentilhomme concernant le mariage. Comme sa soumission aux exigences de sa mère et de son cousin prouve, selon le jeune homme, la faiblesse de son amour, il lui fait ses adieux (sc. 10). Il est aussitôt rappelé par le Beauceron qui déclare que la mère, mise au fait des amours de sa fille, consent à l’union de Climenne et de Léandre et que lui-même renonce à sa cousine. Son aversion pour Paris et les Parisiens ayant été confortée par son séjour dans la capitale, Coutreville se montre désormais empressé à retrouver sa Beauce natale (sc. 11). Seuls, les amants se réjouissent et annoncent le tirage de la loterie ainsi que le mariage de Béatrix et du Basque (sc. dernière).
Louis Petit de Julleville, déplorant le pillage de l’œuvre de Molière par ses rivaux, souligne que Monsieur de Pourceaugnac devient chez Montfleury Le Gentilhomme de BeauceHistoire de la langue et de la littérature française des origines à 1900, 1897, t. V, p. 66.Gentilhomme est le Pourceaugnac de MontfleuryLe Théâtre au XVII e siècle. La Comédie, 1892, p. 262.
De manière globale, les deux intrigues sont similaires, bien que les moyens employés pour contrarier les desseins du campagnard diffèrent. Molière et Montfleury campent tous deux un provincial désireux d’épouser une Parisienne. Ce dernier, fort de l’appui du père ou de la mère, qui a surtout égard à la rente du futur gendre, se rend dans la capitale. L’entourage de la jeune fille ne tarde pas à lui témoigner son hostilité. En effet, tout au long de la pièce, Béatrix exprime avec virulence son mécontentement : « qu’il aille en son village » (v. 8) est relayé par « qu’il s’aille faire pendre » (v. 1590) et de son côté, Nérine s’indigne : « Et une personne comme vous est-elle faite pour un Limosin ? S’il a envie de se marier, que ne prend-il une Limosine et ne laisse-t-il en repos les chrétiensMonsieur de Pourceaugnac, Acte I, scène 1.Ibid., Acte I, scène 1.Le Gentilhomme de Beauce, Acte IV, scène 7, v. 1229.
Un des points communs entre les deux stratégies mises en œuvre pour abuser Coutreville et Pourceaugnac réside dans le changement d’identité. Le Basque et Éraste incarnent chacun un homme de province, censé être un familier de l’entourage de la dupe : le valet prétend être un abbé beauceron, cousin du vigneron employé chez le gentilhomme et neveu du curé de son villageIbid., Acte III, scène 5, v. 783-786.Monsieur de Pourceaugnac, Acte I, scène 4.Suisse, Sbrigani altère en effet de façon comique son langage : « Montsir, avec le vostre permissione, je suisse un trancher marchand flamane, qui voudrait bienne vous temantair un petit nouvelIbid., Acte II, scène 3.Suisse et le second s’en remet entièrement à Éraste et à Sbrigani. Enfin, dans les deux comédies, les complices des amants saisissent l’occasion d’écorner la fortune du provincial. Ainsi le Beauceron offre-t-il vingt louis à l’abbé la RocheLe Gentilhomme de Beauce, Acte III, scène 5.Monsieur de Pourceaugnac, Acte III, scène 5.
L’influence de Molière sur Montfleury doit toutefois être relativisée car les deux pièces diffèrent sur des points essentiels de l’intrigue : on note par exemple que la critique des joueurs invétérés et des fripons qui organisent les loteries remplace la satire de la médecine, que les serviteurs s’improvisant mystificateurs se substituent aux rusés professionnels, ou que la mère est absente alors qu’Oronte subit aussi les mauvais tours joués à Pourceaugnac. La singularité du Gentilhomme de Beauce ne réside pas dans l’intrigue, conventionnelle, mais, entre autres, dans le jeu sur le masque, dans le traitement du thème de la loterie, ou dans la parodie de Britannicus au dernier acte.
La composition de la comédie permet d’éviter tout risque de langueur car les deux premiers actes ainsi que le dernier ont entre 340 et 370 vers, tandis que les actes III et IV, plus courts, ont respectivement 302 et 290 vers. La pièce s’organise autour de la mystification du gentilhomme. Dans la première partie, constituée par les trois premiers actes et les trois premières scènes de l’acte IV, les personnages se coalisent contre le gentilhomme afin d’introduire Léandre auprès de Climenne. Puis, dans la deuxième partie, correspondant à l’acte IV, à partir de la scène 4, se produit la prise de conscience du Beauceron qui découvre les machinations ourdies par son entourage. Enfin, la dernière partie, autrement dit l’acte V, est consacrée à l’échange de reproches entre Climenne et son cousin, confrontation suivie d’une esquisse de rebondissement, lorsque le noble campagnard va se plaindre auprès de la mère de la jeune femme. La composition de la comédie permet de faire ressortir l’évolution du regard que le spectateur porte sur le héros ridicule. De fait, dans la seconde partie, le rôle d’observateur, commun au public et au gentilhomme, ainsi que la brutalité des révélations qui sont faites à ce dernier, créent une relation d’empathie entre le spectateur et le héros. Or, ce sentiment est complètement absent dans la première partie et considérablement amoindri dans l’acte V par la riposte efficace qu’oppose Climenne aux récriminations de Coutreville et par la lâcheté de celui-ci. D’autre part, le découpage distingue une première partie dominée par l’élaboration des stratagèmes et leur mise en œuvre ; une deuxième partie où, malgré le subterfuge du Beauceron, le jeu est moins présent puisque les intrigants ont cessé leurs mystifications ; et un dernier mouvement où le divertissement est complètement absent. Les répliques des personnages s’allongent, comme le montrent les monologues de l’acte IV et les tirades de l’acte V, ce qui confirme le fait que le discours des personnages s’impose au détriment de leurs actions ludiques à mesure que l’on progresse vers le dénouement. La pièce se dénoue d’ailleurs par le biais d’échanges, entre Climenne et Coutreville d’une part, et entre ce dernier et la mère de Climenne d’autre part.
Les actes I, II, III et V présentent chacun une scène centrale. Dans l’acte I, il s’agit de la scène 4 qui met au jour les deux soucis qui obsèdent le gentilhomme tout au long de la pièce, autrement dit, la galanterie de Climenne, abordée au début de la scène (v. 141-164), et la loterie, évoquée dans un second temps (v. 165-218). Elle marque le début des jeux de rôle puisque c’est dans cette scène qu’est élaboré le premier stratagème. Dans l’acte II, la scène 5 est mise en valeur parce qu’elle emblématise le caractère irréductible de l’antagonisme entre Climenne et Coutreville. C’est la longue scène 5 qui est essentielle dans l’acte III car elle provoque l’éloignement temporaire du Beauceron, étape nécessaire à sa démystification. Enfin, c’est assurément autour de la scène d’affrontement entre Climenne et Coutreville que s’organise l’acte V, puisqu’elle accélère le dénouement, comme le montre le tempo rapide des sept scènes suivantes. Seul l’acte IV ne présente pas de scène susceptible de prévaloir sur les autres. Cela est dû à sa structure qui consiste à répéter une même séquence, constituée d’une scène de révélation suivie d’une scène de commentaire du gentilhomme : la prise de conscience ne se fait pas en une fois ; les révélations sont au contraire distillées pour faire durer le supplice du Beauceron et renforcer le comique de la situation.
L’exposition est complète dès la première scène de l’acte I : deux couples, celui des maîtres et celui des valets, mènent les stratagèmes, le gentilhomme de Beauce et la mère de Climenne sont dénoncés en tant qu’obstacles aux amours des maîtres et la loterie est désignée comme un ressort de la ruse. C’est l’altercation entre le Beauceron et le Gascon qui achève de convaincre le gentilhomme de la nécessité de recruter un Suisse ; la première supercherie est alors imaginée à la hâte par Béatrix. L’adhésion rapide du gentilhomme à l’offre de la soubrette est vraisemblable dans la mesure où la présence d’un portier est urgente. Après qu’il a épié Climenne en compagnie de Léandre et que la foule a forcé la porte, Coutreville accorde d’ailleurs un surcroît de valeur à la proposition de Béatrix, ce qui facilite l’engagement du Basque, dans l’acte II. Le tempo s’accélère dans les deux dernières scènes de l’acte, afin de rendre compte du remue-ménage suscité par la loterie et de l’irritation croissante du Beauceron. Pendant l’entracte, Béatrix avise le Basque du rôle qui lui est assigné et l’habille en Suisse ; le spectateur, de son côté, attend avec impatience l’arrivée du valet déguisé ainsi que sa confrontation avec le gentilhomme.
Dans l’acte II, le stratagème élaboré par Béatrix est mis en œuvre, puis c’est au tour de Climenne d’inventer une feinte. À aucun moment le spectateur n’est inquiet pour les amoureux : la réussite de la première ruse et la confiance de Climenne écartent toute tension. La fin de l’acte II ménage un plus grand suspens que celle de l’acte I puisque les intrigants ne dévoilent pas en quoi consiste l’artifice dirigé contre le gentilhomme. L’entracte permet à Léandre de donner à son valet les détails sur le nouveau personnage qu’il doit jouer devant le Beauceron et au Basque de changer de déguisement.
Le second stratagème est mis en scène dans l’acte III et son succès conduit à l’éloignement momentané du Beauceron. Climenne, au courant de la participation du gentilhomme à la loterie d’Oronte (v. 184-185), met à profit cette information dans le tour qu’elle imagine. Le monologue euphorique du gagnant (III, 6) et la scène de réprimandes adressées à Climenne (III, 7) servent la vraisemblance : le départ de Coutreville doit être retardé pour permettre au Basque de reprendre l’apparence du Suisse avant de recevoir les dernières recommandations de son maître. Pendant l’entracte, le Beauceron court chez Oronte et chaque couple s’entretient en tête-à-tête. Malgré la bonne marche des projets menés contre le campagnard et l’insouciance des jeunes gens, le spectateur est préoccupé par le retour du gentilhomme.
L’acte IV correspond à la démystification de Coutreville. Celui-ci n’est de retour qu’à la scène 4 : en effet, comme le souligne Béatrix, Oronte « loge loin d’icy » (v. 1029). Ce sont donc Martin et le Gascon qui occupent la scène au début de l’acte (sc. 1-3). L’entrée du gentilhomme dans la maison échappe à la vigilance du Basque qui, enivré, s’est assoupi ; le Beauceron peut alors librement espionner les intrigants. Dès l’acte I, Léandre a de fait donné à entendre que l’ivrognerie de son valet risquait de compromettre le succès du subterfuge (v. 281). Les confidences inconsidérées et imprudentes de Béatrix dans la scène 5 ne sont justifiées que par le plaisir de se remémorer le bon tour joué au gentilhomme. En effet, sa prudence et sa méfiance, manifestes en particulier dans la scène 1 de l’acte II, rendent peu vraisemblables les monologues qui permettent au gentilhomme de tout apprendre. À la fin de l’acte, la menace du hobereau dupé, « mettons la partie à demain » (v. 1320), crée une tension et un suspens d’autant plus importants que ses desseins vengeurs ne sont pas divulgués. L’entracte, qui correspond à la fin de la nuit, laisse au gentilhomme le temps de réfléchir aux représailles qu’il va exercer contre Climenne.
Au début de l’acte V, l’inquiétude de Béatrix, qui comprend que le gentilhomme est entré dans la maison à l’insu du Suisse, augmente la tension. Celle-ci est maximale à la fin de l’entretien entre le Beauceron et Climenne, puisqu’il s’achève sur les menaces du gentilhomme, résolu à tout raconter à la mère de la jeune femme. La situation paraît sans issue d’autant plus que Léandre, irrité par la résignation de son amante, fait ses adieux à Climenne. Ce sont les revirements, peu vraisemblables, de la mère et du Beauceron, tous deux à l’origine du malheur des amants, qui lui apportent un dénouement inespéré. La volte-face de la mère est toutefois préparée par Béatrix, qui atténue son intransigeance en affirmant que le gentilhomme « fait dans la maison le maistre bien plus qu’elle » (v. 16), et par le Beauceron, dont les révélations sur ses anciennes frasques laissent escompter une certaine indulgence de sa part concernant les amours de sa fille.
L’unité de lieu est respectée dans la mesure où tout au long de la pièce, l’action se déroule à Paris, dans une salle chez Climenne.
En revanche, Montfleury déroge en partie à la règle de l’unité de temps. Lorsque l’action commence, la journée est entamée, puis à l’acte IV, la nuit est tombée, comme le constate le gentilhomme : « Il est nuit & je veux me cacher & me taire » (v. 1130). L’acte V a donc lieu le lendemain. En effet, à la fin de l’acte IV, le Beauceron fait allusion à la vengeance qu’il mettra en œuvre dans le dernier acte et décide de la remettre « à demain » (v. 1320) et au début de l’acte V, lorsque le Basque se remémore les événements de la fin de l’acte précédent, il se réfère à « hier » (v. 1331 et 1337). Enfin, lors du dénouement, la journée n’est pas achevée puisque Climenne envisage de tirer la loterie « le reste du jour » (v. 1659). L’action dure bien vingt-quatre heures mais l’unité de temps n’en est pas moins gauchie car une nuit n’est acceptable que si l’action s’y poursuit et non si toute la maisonnée dort, comme c’est le cas entre la fin de l’acte IV et le début de l’acte V dans Le Gentilhomme de Beauce.
L’action principale consiste à introduire Léandre auprès de Climenne et non à conclure leur hymen : en effet, rien n’est tenté pour fléchir la mère, dont la « dispense » est pourtant indispensable au mariage de la jeune femme. Le dénouement, c’est-à-dire l’annonce de l’union entre Climenne et Léandre, dépasse donc les intentions des personnages car il ne résulte pas des ruses imaginées par les Parisiens mais des « soins de l’amour » (v. 44), autrement dit, du revirement de la mère de Climenne au sujet du mariage de sa fille et du renoncement du gentilhomme à sa cousine. Comme les stratagèmes visent à surmonter ponctuellement les obstacles empêchant les amants de se voir et à se jouer du gentilhomme, sans pour autant être motivés par la perspective d’un mariage, l’intrigue paraît lâche et le dénouement n’est pas préparé. De surcroît, certains épisodes ne se rattachent pas à l’action principale. C’est le cas notamment des scènes où apparaît le Gascon (I, 2 ; IV, 1 et 2), qui ne sont que des prétextes à la satire des amateurs de loteries.
Tantôt le Beauceron est au premier plan et dialogue avec les autres personnages, tantôt il est en retrait et se dissimule pour espionner les protagonistes en scène, mais c’est lui qui apparaît le plus fréquemment dans la pièce. Il figure dans trente-quatre scènes sur cinquante-quatre et dans les trois scènes les plus longues (II, 5 ; III, 5 ; V, 5). Son encombrante présence est emblématique de son comportement pesant et coercitif.
Climenne est très présente dans les actes I et V qui concernent précisément l’enjeu de ses amours. À partir de la scène 5 de l’acte II, elle apparaît moins puisque l’action est centrée sur les supercheries et qu’elle n’y joue pas un rôle capital. Sa liberté de mouvement est, en outre, restreinte à cause de la stricte surveillance que le gentilhomme exerce sur elle. Néanmoins, dans la scène 7 de l’acte III, échappant un court instant à sa vigilance, elle quitte son appartement, et dans la dernière scène de l’acte II, bien qu’absente sur scène, elle parvient à se faire entendre par le truchement d’un billet qu’elle confie à sa suivante.
Léandre ne participe pas à plus de deux scènes par acte (sauf dans l’acte V, mais la troisième scène dans laquelle il figure est courte) et il intervient généralement en fin d’acte. Sa faible présence sur scène prouve qu’à la différence de l’amoureux traditionnel entreprenant, il reste en retrait par rapport à l’action.
Béatrix est très présente tout au long de la pièce, notamment dans les actes I et II où elle apparaît respectivement dans huit scènes sur dix et dans cinq scènes sur huit : c’est effectivement dans ces deux actes qu’elle orchestre le stratagème consistant à introduire le Basque comme Suisse auprès du gentilhomme. Même lorsqu’elle est absente, elle suit le bon déroulement des opérations : dans l’acte IV, elle fait sentinelle pendant « une heure » (v. 1020) pour s’assurer du départ du gentilhomme et dans l’acte V, pas une bribe de la conversation entre Climenne et son cousin ne lui échappe (v. 1576).
Le Basque intervient comme valet de Léandre (II, 1 et 7 ; IV, 10 ; V, 1 et 2), dans le rôle du Suisse (II, 3 et 4 ; III, 10 ; V, 3) et dans celui de l’abbé la Roche (III, 5). Son entrée au début de l’acte II est d’autant plus attendue qu’il est absent de l’acte I. Ce suspens, ménagé à la fin du premier acte, est relayé de façon comique par la surprise que crée son déguisement grotesque. Le fait qu’il soit essentiellement présent dans les actes II et III montre que c’est sur lui que reposent les stratagèmes.
Le Gascon n’est présent que dans les scènes 2 et 3 de l’acte I et dans les scènes 1 et 2 de l’acte IV. De fait, il ne participe pas à l’action si ce n’est en attisant la colère et la jalousie du gentilhomme par les propos galants qu’il adresse à Climenne. Il est d’ailleurs oublié dans le dénouement : pourra-t-il rembourser ses dettes ? Nous n’en savons rien.
Martin n’apparaît que dans les scènes 2 et 3 de l’acte IV : il s’agit de confronter l’homme sensé et le Gascon, personnage le plus déraisonnable de la pièce.
L’enchaînement vif des scènes permet le maintien d’un tempo rapide, notamment après les pauses dans l’action que constituent les longues scènes centrales des actes I, II, III et V. Les nombreuses entrées de personnages dans l’acte I (arrivées du Gascon, de Léandre et de Champagne) mettent en évidence l’agitation qui règne chez Climenne. Elles sont généralement justifiées par les liaisons de vue. Toutefois, c’est le recours à la liaison par le bruit qui est la plus intéressante car elle accroît l’impression de confusion : « J’entens quelqu’un qui crie » (v. 59), déclare Béatrix, annonçant ainsi la venue du Gascon et, avant que Champagne n’accoure, apeuré, Coutreville ordonne à sa cousine : « Rentrez, j’entens du bruit » (v. 353). La spontanéité des entrées et des sorties est manifeste dans la première scène de l’acte II : Béatrix s’apprête à conduire le Basque « là haut » (v. 386) pour le présenter au gentilhomme, mais tous deux demeurent finalement sur scène car elle ajoute : « Il vient » (v. 387). L’arrivée inopinée du Beauceron, qui est dans l’impatience de voir le Suisse, montre que le dramaturge recherche la surprise et la variation dans l’enchaînement des scènes.
Les personnages du Gentilhomme de Beauce correspondent aux types de la comédie d’intrigue. On distingue les jeunes gens, Climenne et Léandre ; les serviteurs complices, Béatrix et le Basque ; les opposants, la mère de Climenne et le Beauceron qui, bien qu’il ait tous les traits du tuteur, vieux, bourru, avare et apôtre des bonnes mœurs, convoite sa pupille et tente de s’introduire dans le groupe des amants galants. La présence du Gascon et de Martin est déterminée par l’organisation de la loterie et non par l’intrigue, ils sont introduits essentiellement pour amuser le spectateur.
Climenne correspond au type de la jeune femme hardie et entreprenante. Son amoureux paraît bien fade à côté d’elle, amante décidée et rusée. De fait, c’est Climenne qui a l’initiative d’organiser une loterie afin de rencontrer Léandre et qui élabore un artifice pour éloigner son cousin. Elle tente à plusieurs reprises de tenir tête à son censeur : elle lui répond avec une ironie audacieuse, lui coupe la parole ou encore conteste ses théories, mais c’est assurément au cours de la confrontation de l’acte V qu’elle le défie avec le plus d’aplomb. Elle n’a pas la naïveté qui caractérise certaines jeunes filles de comédie : en particulier, elle n’est dupe à aucun moment de l’orgueil de son cousin qui surestime sa fortune. Climenne est en effet reconnue comme une femme d’esprit (v. 574) et son entourage a « bonne opinion » (v. 534) d’elle. Elle fait confiance au sort, aussi manifeste-t-elle une assurance qui contraste avec l’inquiétude de son amant. Sa détermination se révèle en toute occasion, par conséquent, le fait qu’elle se résolve dans le dernier acte à obéir à sa mère et au gentilhomme est surprenant. Elle adopte alors le discours de Léandre et déplore son « malheur » (v. 1577) alors même que son amant affirme davantage sa volonté. La soumission de Climenne aux contraintes sociales rend cependant le personnage plus conforme à la réalité de l’époque.
Léandre est l’amant de Climenne. Sa description ne permet pas d’aller au-delà du type de l’amoureux. Qualifié d’« idole blondine » (v. 1566) par le Beauceron, il a l’allure du galant à la mode. Il exprime sa passion par un langage mêlant la plainte et les déclarations lyriques, et craint en permanence que ses souhaits sentimentaux ne soient pas réalisés. Excepté dans la scène 11 de l’acte V qui donne à voir un Beauceron apaisé, il n’affronte pas le gentilhomme. Il lui cède docilement la place dans la scène 7 de l’acte I, laissant Climenne seule face à son cousin, et dans la scène 7 de l’acte IV, s’il adopte la rhétorique vindicative de l’amant jaloux et intempestif, cela ne donne pas lieu à un duel sanglant contre son rival. Il est en retrait par rapport aux autres personnages et son intervention dans l’action est insignifiante. En effet, il désire voir Climenne mais ne prend pas part aux tours destinés à tromper la vigilance du gentilhomme. Dans la dernière scène de l’acte II, lorsqu’il déclare avec fermeté : « Beatrix, dis luy bien que je vay de ce pas ; / En suivant cet advis éloigner le fantasque » (v. 720-721), il semble prendre en charge la réalisation du piège imaginé par Climenne pour éloigner son cousin, mais la suite, « il me faut icy quelqu’un », laisse entendre qu’il n’a pas l’intention d’être l’acteur de cette nouvelle farce. Il se contente d’« instruir[e] » (v. 729) le Basque « suivant [l’]advis » de Climenne (v. 721). Toutefois, dans le dernier acte, son sursaut d’indignation face à l’attitude résignée de son amante nuance la passivité du personnage, qui présente alors un regain d’intérêt.
Servante et confidente de Climenne, Béatrix soutient sa maîtresse dans ses amours interdites. Climenne lui dévoile son amour, ses ruses pour voir Léandre et c’est à sa suivante qu’elle s’en remet lorsque la situation paraît désespérée (V, 7). Intermédiaire entre les amoureux, Béatrix recommande au gentilhomme un Suisse de son choix afin que les amants puissent se rencontrer (I, 4), règle leurs entrevues et donne espoir au soupirant transi en lui transmettant le billet de son amante (II, sc. dernière).
Conformément au type de la servante qui fait preuve d’esprit et de lucidité, elle sait mener à bien une intrigue amoureuse grâce à des initiatives hardies. Elle est rapidement à disposition pour jouer un tour : ainsi, dès que le gentilhomme propose d’engager un Suisse, elle intervient, et fait astucieusement le portrait d’un Suisse brutal et querelleur, susceptible de plaire au Beauceron (I, 4). Cette scène désigne Béatrix comme un personnage clé de l’intrigue puisque c’est elle qui relaie Climenne, prise au dépourvu par la décision du Beauceron, et qui s’impose jusqu’à la fin de l’échange. Elle a toujours un mensonge en poche, aussi invente-t-elle au Suisse une femme moribonde afin de justifier son absence au début de l’acte III. Dans la scène 1 de l’acte II, la redondance des didascalies qui la montrent occupée à vérifier qu’elle est bien seule avec le Basque met l’accent sur sa prudence. Son ingéniosité et son assurance en font la doublure ancillaire de Climenne, ce qu’emblématise leur communauté d’intérêt, illustrée par le parallélisme de la réplique de Béatrix, « Si j’en veux au valet vous en voulez au Maistre » (v. 240).
D’autre part, Béatrix possède le bon sens et le franc parler des soubrettes. L’écho entre la réplique du Beauceron, « De peur d’être berné je n’ose m’en vanter » (v. 1123) et celle de Béatrix, « Il est trop glorieux pour venir s’en vanter » (v. 1172), souligné par la reprise du terme « vanter », montre qu’elle perçoit avec acuité le tempérament du gentilhomme. Elle décèle son caractère tranché quand elle encourage sa maîtresse à dire son fait à Coutreville (v. 1590). Ce naturel franc et direct n’exclut pas une certaine coquetterie qu’elle manifeste en présence de son amant. Elle s’amuse à le faire languir, fait des « façons » (v. 383) et se montre parfois moqueuse : dans la scène 7 de l’acte II, elle feint d’entendre un bruit pour faire diversion et couper court aux lestes insinuations du Basque (v. 685). Le contraste entre ses reparties railleuses et le discours passionné de son amant participe du comique du personnage.
Valet de Léandre et amant de Béatrix, le Basque est la pierre angulaire de la stratégie élaborée contre le gentilhomme. Sa physionomie prête à rire, d’autant plus qu’il est affublé à deux reprises de costumes ridicules. Son allure frêle contraste de façon comique avec la corpulence des portiers suisses, « grand[s] » et « gras » (v. 394). Il emprunte au type du valet à l’italienne le caractère ingénieux et menteur, comme l’atteste son habileté à jongler avec les différentes métamorphoses. D’autre part, il se rapproche à certains égards du gracioso. Malgré son audace lorsqu’il joue la comédie, il se montre parfois couard, comme l’atteste le ton servile qu’il adopte face au Beauceron dont il craint la colère (V, 3). Il est cupide : tout en affectant les dehors de l’abbé désintéressé, il parvient à soutirer vingt louis au Beauceron, don qu’il anticipe avec finesse, lorsqu’il joue le Suisse, en faisant allusion à « un grand pistole » (v. 427) offert par son précédent maître. Il est porté à l’ivrognerie et se montre volontiers entreprenant avec la servante de Climenne : en sa présence, la conversation du valet se transforme systématiquement en discours amoureux, ce qui est manifeste dans la scène 7 de l’acte IV où l’adversatif « mais » (v. 679) marque le brusque changement de ton du Basque. Sa mauvaise foi, patente lorsqu’il refuse d’admettre qu’il a laissé entrer le gentilhomme, contribue au comique du personnage (V, 1). Enfin, nous verrons que Montfleury complexifie la figure du joyeux drille, cantonné dans le comique farcesque, en lui prêtant à plusieurs reprises des propos ingénieux.
C’est le personnage le plus comique de la pièce. Comme son autoportrait le laisse entendre, il n’a pas l’apparence galante de l’amoureux (III, 7). De plus, son allure pataude et son excentricité vestimentaire n’incitent pas Climenne à le compter parmi ses galants. Lui-même s’avoue « chagrin » (v. 954) et Béatrix accole d’emblée à son nom, l’adjectif « bouru » (v. 4, 700 et 1268), qui fonctionne comme une épithète de nature pour qualifier les personnages déplaisants des comédies de MontfleuryLe Mari sans femme, est qualifié par « ce Dom bourru » (v. 700) et Bernadille dans La Femme juge et partie, est désigné par « ce vieux bourru » (v. 9).La Poétique, 1640, p. 38.L’Envers du grand siècle, 1924, p. 209 (citation de l’abbé Boileau, De l’Abus des Nudités de gorge, 1675).
Son naturel jaloux contribue à le rendre soupçonneux et le rapproche de Bernadille qui, convaincu de l’adultère de sa femme, l’abandonne sur une île déserte (La Femme juge et partie). Tous deux utilisent les mêmes termes pour désigner leur rival. Aussi peut-on comparer les expressions du Beauceron, « Le drôle est familier » (v. 82) ainsi que « le blondin » (v. 340), et cette réplique de Bernadille :
Oui, ce blondin charmant Me semble familier plus que passablement. Le drôle sans façon s’introduit chez Constance Montfleury, ;La Femme juge et partie, Acte I, scène 2, v. 158-160.
Le même verbe, « obseder », est utilisé par Climenne et Béatrix (v. 39 et 702), lorsqu’elles évoquent la surveillance exercée par Coutreville sur la jeune femme, et par le Gascon, quand il se réfère aux créanciers qui le poursuivent (v. 1069). La reprise du terme suggère que le gentilhomme harcèle sa cousine avec une opiniâtreté comparable à celle des créanciers qui réclament leur dû, parallèle qui montre que tout chez lui est excessif. Lorsque Champagne annonce que la porte a été forcée (I, 9), le gentilhomme réagit comme si une attaque avait lieu, et l’injonction « Deffendez-en l’entrée » (v. 363) fait de l’appartement de Climenne une forteresse à protéger. Son langage aussi est excessif, comme l’atteste la violence avec laquelle il exprime sa colère : « Quel sabat, quel fracas ! ah je suis hors de moy » (v. 748) ; sa véhémence est accentuée par l’assonance en [a] et l’expressivité du vers. De même, il n’hésite pas à qualifier de « renegats » (v. 480) les Suisses qui, en France, n’observent plus les coutumes vestimentaires de leur pays.
Coutreville fait preuve d’un autoritarisme qui se traduit par le recours fréquent à la modalité jussive, l’annonce de décisions sans appel et un ton inquisiteur. Il interrompt de façon impérieuse ses interlocuteurs, qu’il s’agisse du Gascon (v. 105, 124) ou de Climenne (v. 164). Il veut tout régenter (v. 15-18) et présume que son amour « grondeurLe Misanthrope, Acte II, scène 1, v. 528.Ibid., Acte I, scène 1, v. 234.Suisse donne de la tablature à tous ses interlocuteurs, excepté au Beauceron, qui « enten[d] toute sorte de langue » (v. 420). Il prétend avoir réponse à tout :
Ah ! si sur le public j’avois quelque puissance, Qui m’en fit ménager le bien, ou l’interest, Le peuple deviendroit plus ménager qu’il n’est , Le Gentilhomme de Beauce, Acte I, scène 4, v. 196-198.
Dans ce passage, il se présente comme le sauveur d’une société allant à la dérive : la répétition de « ménager » souligne l’efficacité du gentilhomme, puisque son intervention (« ménager » le bien du peuple) est immédiatement suivie du résultat escompté (le peuple devient plus « ménager »). Son sentiment de supériorité se traduit par le dédain qu’il affiche envers Léandre, dont il signale l’indigence en affirmant qu’il n’a que les « feux » de Climenne « pour resource » (v. 1485). La bonne opinion qu’il a de lui paraît à travers des expressions d’autosatisfaction telles que « Cette acquisition est fort bonne » (v. 495) et « je m’en sçais bon gré, bien loin que je m’en blâme » (v. 187), allusions à la décision judicieuse qu’il vient de prendre en engageant le Suisse et à sa participation à la loterie d’Oronte.
Enfin, son caractère lourdaud est mis en évidence par une franchise parfois déroutante, notamment dans son autoportrait (III, 7) où il avoue sans scrupule son égoïsme. Cette tirade révèle d’autre part sa conception triviale du mariage. Lorsqu’il confesse à Climenne « je vous ayme, / Trop & trop peu » (v. 945-946), la surprise créée par le rejet signale le caractère atypique de la déclaration d’amour, d’autant plus que le lexique relatif au négoce, « moitié » (v. 948 et 950), « achette » (v. 949) et « prette » (v. 950), domine dans les vers suivants. Il souhaite en effet pouvoir compter Climenne, au même titre que ses dindons, dans son patrimoine. En revanche, il réserve le terme « bon-heur » (v. 867) à la joie que lui procure le gain des trois cent louis alors que le mot, récurrent dans le discours de Léandre, appartient à la rhétorique de l’amant évoquant la femme aimée. Le Beauceron envisage le mariage comme une prise de possession, c’est ce que souligne la métaphore guerrière, filée dans les vers 128-130 à travers les termes « citadelle », « briser » et « garnison ». Sa volte-face, à l’acte V, suggère qu’il ne ressent pas pour Climenne la passion d’un amant. Il ne possède pas non plus son héroïsme. De fait, il n’affronte à aucun moment le peuple « mutin » (v. 369) mais préfère le calmer en envoyant Martin (v. 370) ; et, dans le dernier acte, il ne se venge des tromperies dont il a été victime que sur Climenne et lorsque, dans le dialogue de la scène 5, celle-ci prend l’avantage, il la menace lâchement d’informer sa mère au sujet de son amour pour Léandre.
La mère de Climenne n’apparaît pas mais c’est elle qui, contre toute attente, permet le mariage de sa fille et de Léandre. Elle incarne l’autorité et l’avarice parentales. « Absoluë » (v. 1617), elle impose à sa fille le gendre qui lui agrée, sacrifiant le bonheur de Climenne à des considérations d’intérêt (v. 10-11). Le personnage devient comique lorsque le Beauceron évoque ses mœurs légères, peu compatibles avec la morale rigoureuse et austère des mères de comédie.
C’est un personnage qui est introduit avant tout pour faire rire le spectateur par sa folie et ses excès. Il incarne les deux ennemis du gentilhomme, le galant et le joueur. Son humeur gasconne le pousse à la vantardise. L’exubérance de son comportement est illustrée par son entrée bruyante dans la scène 2 de l’acte II, par son volume de parole, plus important que celui de ses interlocuteurs, sauf lorsqu’il est confronté au gentilhomme et par sa gestuelle démonstrative, dont témoigne la réitération de la didascalie « l’embrassant » dans la scène 3 de l’acte I. L’attitude galante qu’il adopte avec Climenne et qui est mise en évidence par les fleurettes qu’il lui adresse ressortit aussi à son caractère fanfaron. Son penchant pour les femmes, tout comme son goût du jeu, participent de sa frivolité.
Martin prend en charge l’organisation de la loterie (la vente des billets, l’attribution des boîtes aux participants et le tirage). Précepteur, il représente le type de l’érudit au langage savant. Il n’échappe pas au cliché de l’homme d’esprit couard : l’agitation populaire l’impressionne (v. 1055-1058), les menaces du Gascon l’effraient (v. 1101) et la crainte d’une confrontation avec un joueur du même acabit le porte à se réfugier dans sa chambre (II, 3). À l’instar de Climenne, il souhaite que l’on procède loyalement au tirage de la loterie ; aussi s’offense-t-il du doute émis par le Gascon à propos de l’honnêteté des organisateurs du jeu (v. 1083). Il est, d’autre part, scandalisé par l’inconscience du Gascon qui imagine payer ses dettes grâce aux lots. Après que le joueur lui a exposé son projet, la modalité interrogative domine dans ses répliques, ce qui montre à quel point sa raison est ébranlée par les élucubrations du Gascon (v. 1074-1078).
L’injonction de Climenne à Léandre, dès l’acte I, « loin de s’en fascher il faut que l’on en rie » (v. 311), relayée dans l’acte V par « Loin de s’en allarmer il faut s’en divertir » (v. 1220), a une valeur programmatique puisque l’intrigue consiste en effet à contrevenir de façon ludique aux mesures coercitives de Coutreville. Elle est aussitôt suivie par Béatrix et Climenne qui ne peuvent contenir leur rire devant le Basque déguisé en Suisse (v. 422 et didascalie : p. 29). Par le biais de ces personnages hilares, Montfleury désigne explicitement son propos : amuser le public.
Montfleury emprunte les scènes comiques traditionnelles de la comédie d’intrigue. Il utilise, à deux reprises, le topos de l’amant caché qui observe son rival en train de courtiser celle qui lui est destinée. Dans l’acte I, le gentilhomme surprend en effet Climenne en compagnie du Gascon puis de Léandre. Ces deux scènes d’espionnage donnent sans doute lieu à une gestuelle comique du Beauceron, dont on imagine la posture inconfortable et la moue désapprobatrice. Un des ressorts essentiels de la comédie d’intrigue est la surprise ; l’auteur l’exploite par le renversement de situation. À la fin de l’acte III, le gentilhomme se laisse griser par la pensée de posséder son lot, et sûr de lui, s’adresse au Suisse et à Climenne sur un ton péremptoire ; mais son euphorie cède bientôt la place à la désillusion, lorsqu’il découvre qu’il a été berné. L’effet de surprise provoqué par la volte-face de la mère de Climenne, à la fin de l’acte V, participe aussi du comique de la pièce, puisque le Beauceron, assuré d’obtenir le soutien de cette dernière, est finalement contraint de se ranger à son avis et de favoriser les desseins amoureux de Léandre et de sa cousine. Ce comique est renforcé par son obstination à vouloir retourner la situation à son avantage ; ainsi affirme-t-il : « en voulant me nuire ils m’ont rendu service » (v. 1258). Les scènes représentant le Beauceron caché, à l’affût de la moindre révélation, sont également des topoï de la comédie d’intrigue (IV, sc. 5-10). Le fait qu’un personnage entende les propos désobligeants que son entourage tient sur lui produit un effet comique, d’autant plus que le gentilhomme ne s’attend pas à une découverte de cette ampleur. Enfin, la méprise sur l’identité d’un personnage est topique dans la comédie d’intrigue. Le Beauceron est deux fois de suite trompé par le Basque, qui se fait passer pour un Suisse puis pour un abbé. Son aveuglement est indéniable lorsqu’il déclare à la Roche : « Dans vostre cœur je sçay ce qui se passe » (v. 862).
Le thème du cocuage, très présent dans le discours du gentilhomme et emblématisé par le motif des cornes du mari trompé (v. 347-350 et 1311), est le sujet de prédilection de la farce. Montfleury n’hésite pas à évoquer le bas corporel dans le récit du Suisse qui reçoit un coup de pied dans le « cu » (v. 415), et à glisser dans ses vers quelques allusions grivoises. Le terme « fonds », récurrent dans la pièce, présente un sens obscène mis en évidence par le gentilhomme : il qualifie effectivement de « familier » (v. 82) le Gascon, lorsque celui-ci demande à Climenne : « Vostre fons est-il grand ? » (v. 82). Bien que ce soit dans ce vers que la signification licencieuse du mot semble la plus obvie, elle apparaît néanmoins dans chaque occurrence. Le Suisse, à son tour, se montre leste lorsqu’il fait allusion aux plaisirs de l’adultère, à travers l’expression « le ptit rechouissance » (v. 452).
D’autre part, la gestuelle farcesque fait partie intégrante de la dimension comique du Gentilhomme de Beauce. Les embrassades du Gascon (I, 3), enthousiastes et étouffantes, et les révérences renouvelées de la Roche, mouvements amples et cérémonieux (III, 5), ressortissent à la farce. Elles sont d’autant plus comiques qu’elles se heurtent à l’hostilité de Coutreville. Oppressé, celui-ci demeure sans doute immobile dans la première situation et se contente probablement, dans la seconde, de petites révérences rapides. Le contraste entre les deux attitudes renforce le caractère ostentatoire des gestuelles du joueur et de l’abbé. Le déguisement est également un ressort du comique propre à la farce. L’extravagance du costume du Suisse est d’ailleurs soulignée par les rires des personnages eux-mêmes. Montfleury emprunte à la farce un autre procédé comique : les coups de bâton. Le récit de l’altercation entre le Suisse et le rival amoureux de son ancien maître constitue une véritable scène de farce : les deux adversaires s’échangent des coups « di pié » (v. 415) et « ditrifiere » (v. 416) avant que l’un ne mette fin au combat en cassant le « musiau » (v. 418) de l’autre. La drôlerie de ce duel confinant au guignol est renforcée par le terme « Harangue » (v. 419) qui qualifie sur le mode héroï-comique la narration du Suisse. Les coups de bâton sont de nouveau convoqués lorsque le Gascon défie le Suisse (v. 1046). Le soufflet que le gentilhomme donne au Suisse (V, 3) est une variante des coups de bâton : il permet de diminuer la tension au moment où le succès des subterfuges est menacé. L’étonnement du Suisse souffleté redouble la dimension comique de la scène : une telle « recompense » (v. 1370) a de quoi le décontenancer, lui qui avait reçu de son ancien maître une toute autre « riconpans », une pistole (v. 427). Le motif du soufflet réapparaît dans un jeu comique de question-réponse entre Léandre et son valet :
LEANDRE
Par qui l’as tu donc sceu ? LE BASQUE
Par un fort grand soufflet Monsieur que j’ai receu , Le Gentilhomme de Beauce, Acte V, scène 10, v. 1611-1612.
Enfin, l’ivrogne fait partie du personnel farcesque. La démarche titubante du Basque aviné (didascalie : p. 75) ainsi que sa chute (didascalie : p. 78) ressortissent à la gestuelle bouffonne de la farce. D’autre part, Montfleury reprend les caractéristiques comiques du discours de l’ivrogne qui se délecte de son état : les répétitions, « J’ay bû neuf ou dix coups qui m’ont fait bien du bien » (v. 1272) et « Qui m’ont mort-bleu qui m’ont fait dormir » (v. 1278) ; l’éloge du vin, « admirable sirot » (v. 1275) qui fait « dormir à merveilles » (v. 1278) et l’évocation de la bouteille en termes amoureux.
Montfleury tire parti du comique associé à la répétition, que ce soit par la reprise d’une situation amusante, d’une gestuelle, d’une attitude ou d’un mot. À l’acte IV , la récurrence de la formule finale des monologues du gentilhomme, « Quelqu’un vient écoutonsIbid., Acte IV, v. 1133, 1200 et 1264.la Roche craint de se faire écraser les côtes en recevant l’embrassade du vigoureux Beauceron (v. 846). Coutreville est essentiellement comique parce qu’il tient un discours tissu d’idées fixes et qu’il répète inlassablement les mêmes attitudes, révélatrices de ses deux vices incurables, l’avarice et la jalousie. Il suspecte constamment une tromperie de la part de Climenne. Tout au long de l’acte I, il garde en effet une attitude soupçonneuse envers le Gascon, comme l’attestent les trois reparties suivantes : « C’est un galand qui cherche à faire connoissance » (v. 100), « Et par l’autre escalier qu’on le face descendre » (v. 140) et « Il cherche à s’introduire ou j’en ay mal jugé » (v. 233). L’obsession est tenace car lors du dénouement, Coutreville, toujours persuadé que Climenne trompera son amant, quel qu’il soit, met en garde Léandre, « bien fin » (v. 1639) s’il évite cet écueil. Cependant, il n’est pas le seul à tenir « un peu beaucoup à [s]on opinion » (v. 952). Au début de l’acte V, l’entêtement comique du Basque qui nie avoir laissé entrer le gentilhomme, désamorce la tension créée par l’annonce de la vengeance de ce dernier. Sa mauvaise foi le conduit à répéter des propos absurdes, tels que « Tu l’as veu si tu veux ; mais il n’est pas ceans » (v. 1336) et l’anaphore de « que » (v. 1340-1346) montre qu’il se perd dans ses arguties.
Autant que par les traits psychologiques de ses personnages, Montfleury entend nous amuser par leur façon de parler. Excepté Climenne et Béatrix, dont les discours ne présentent pas de véritable spécificité, tous les protagonistes du Gentilhomme de Beauce sont moqués à travers leurs langages. Montfleury met en scène les parlures de ses personnages par le biais de leurs propres interventions mais aussi des parodies qu’en font leurs interlocuteurs.
Le personnage du Suisse permet de railler le parler rustique et parfois inintelligible que l’on attribuait aux Suisses. Béatrix affirme en effet qu’« On n’entend presque rien de tout ce qu’il veut dire » (v. 223). Le rapprochement à la rime de « dire » (v. 223) et de « rire » (v. 224) souligne la dimension comique des répliques du Suisse. Les sonorités sifflantes et chuintantes de son langage, ses déformations phonétiques, telles que « Piatille » (v. 403) pour « Béatrix », et ses incorrections syntaxiques, au même titre que son habillement et que ses manières, participent du comique du personnage. La lourdeur de l’expression du Suisse est rendue par les redondances, « ly maison dy lochis » (v. 410), la récurrence du démonstratif « styLe Gentilhomme de Beauce, Acte II, scène 3, v. 454, 457 et 458.Ibid., v. 413, 425, 685, 687, 980 et 1011.La Satire des satires, Boursault prête à la Uvaltoline, Suisse d’Émilie, un récit de lutte analogue :
Pardy Un Laquais par deux fois dit que j’avre menty : Par mon foy, moy d’abord que luy tourne son teste, Je tiens mon Halebarde en mon main toute preste, Et quand il ne void rien, pardy tout à l’instant J’en donne un coup bien fort dessus son dos qu’il tend. Mais le Laquais, mon foy, qui n’est gueres Pagnote, Me prend mon Halebarde, et pardy m’en tapote ; De son Main, qu’il fait Poing, me casse tous les dens. Mon foy, la Maison s’ouvre, et j’ay sorty dedans : J’aime encor plus que mieux qu’il déchire mon Manche Boursault, .La Satire des satires, 1669, scène II.
La déformation phonétique n’est pas systématique comme chez le Suisse de Montfleury, mais on retrouve une syntaxe incorrecte et l’accumulation de « pardy » et de « mon foy ». Dans Monsieur de Pourceaugnac, Molière parodie également le parler suisse en faisant intervenir des Suisses qui se réjouissent à l’idée de voir Pourceaugnac pendu:
Allons, dépêchons, camarade, ly faut allair tous deux à la Crève pour regarter un peu chousticier sti Monsiu de Porcegnac, qui l’a esté contané par ortonnance à l’estre pendu par son cou
Molière, .Monsieur de Pourceaugnac, Acte III, scène 3.
Cette déformation langagière est comparable à celle qui caractérise les répliques du Suisse chez Montfleury. Dans Le Gentilhomme de Beauce, la langue des provinciaux ne présente pas de telles altérations. En revanche, elle est associée à la familiarité : l’abondance des jurons et des interjections insultantes, caractérise les parlers du Beauceron, du Gascon et du Basque. Seul le Suisse malmène le français, mais les langages des autres personnages, quoique phonétiquement et grammaticalement corrects, ne sont pas exempts de tout sarcasme.
Ce qui est risible chez le gentilhomme ne réside ni dans la prononciation, ni dans l’utilisation d’un idiolecte beauceron, mais dans les références systématiques aux réalités triviales du monde rural. Il réprimande ainsi Climenne sur son attitude :
Venez-vous voir quittant vostre chambre si viste, Si vous ne pourrez-point trouver un liévre au giste Le Gentilhomme de Beauce, Acte III, scène 7, v. 885-886.
Ici, c’est la chasse qui est convoquée, l’activité cynégétique faisant généralement partie des passe-temps favoris du provincial. Dans le discours du Beauceron, la métaphore, quoique lexicalisée, n’oblitère pas le référent concret auquel elle renvoie. Ainsi, « trouver un lièvre au gîte » (v. 886), « tenir au moulin le chapitre » (v. 758) et « tirer sa poudre aux moineaux » (v. 892), outre leur sens figuré, évoquent le chasseur, le moulin et les oiseaux, composants essentiels des images d’Épinal sur la campagne. Parfois, c’est le gentilhomme lui-même qui fait apparaître la réalité rustique qui sous-tend la métaphore employée, comme le montre le reproche suivant adressé à la Roche :
Beauceron trop poly, parce que vous sçavez Faire vingt pieds de veau, de deux que vous avez, Voulez-vous m’insulter ? Ibid., Acte III, scène 5, v. 799-801.
La métaphore animale désignant la révérence est remotivée par le rapprochement entre le « pied de veau » et la jambe de l’abbé. Ces images relatives à la vie campagnarde tranchent avec le contexte de la vie parisienne. Elles sont d’autant plus comiques qu’elles se veulent spirituelles. Parfois, leur trivialité les rend licencieuses et outrageantes. Lorsque Coutreville déplore que sa cousine laisse « fourager le pré qu[’il] marchande » (v. 1250), il compare Climenne, recevant son amant, à un pré dont les pailles ont été consommées. Son langage est lardé de mots trahissant son origine contadine, tels que « cottes » (v. 645), dont Furetière atteste qu’« il ne se dit plus qu’à l’égard des paysannesDictionnaire universel, 1690.
Montfleury tourne en ridicule le langage pédant à travers le gentilhomme, l’abbé la Roche et Martin. Afin de donner à ses interventions l’apparence d’un raisonnement construit, le Beauceron les ponctue d’articulations logiques et temporelles, parfois associées de façon redondante. Le semblant d’argumentation du Basque au début de l’acte V est d’ailleurs une imitation parodique du discours prétendument rationnel auquel le Beauceron recourt lorsqu’il fustige Climenne, les galants ou les joueurs. Dans la scène 5 de l’acte II, ce dernier expose les préceptes frauduleux de l’ avis aux Thresoriers des foux en employant des formules sentencieuses comme « Ah ! voilà bien d’un fait tirer la quintessence » (v. 603). Ces répliques grandiloquentes suggèrent qu’il fait de la loterie un art dont il se veut le théoricien. Dans cette même scène, il s’adresse à Climenne sur un ton professoral, comme en témoignent l’abondance des impératifs et le recours à la modalité déontique, et il cherche à donner de l’ampleur à ses propos par l’emploi récurrent des présentatifs « c’est », « voicy » et « voilà ». Son discours pompeux est d’autant plus comique que lui-même qualifie l’
Le discours de l’amant transi tenu par Léandre est tourné en dérision. Le jeune homme déplore systématiquement sa mauvaise fortune : ses répliques sont saturées par les termes « mal-heur » (v. 257 et 1609), « desespoir » (v. 260), « maux » (v. 262), « peine » (v. 1206) et « mauvais destin » (v. 1212) et il fait même appel au lexique tragique : la fortune est « cruelle » (v. 710) ; l’adieu à Climenne, « funeste » (v. 1208) ; son déplaisir, « mortel » (v. 1209) et sa constance, « accabl[ée] » (v. 714). Son discours est redondant et emphatique : Léandre recourt volontiers aux intensifs « tant » (v. 262) et « si » (v. 713 et 1607), aux antithèses, « Je trouve en mon mal-heur quelque chose de doux » (v. 257) et aux hyperboles, « mille coups » (v. 1215). Son langage n’échappe pas aux clichés du discours amoureux, notamment à la métaphore de l’amour comme feu (v. 266, 1207 et 1609). Les répliques de Léandre sont comiques à cause de l’exagération propre à l’amant passionné. Ce comique est, en outre, renforcé par les sarcasmes du gentilhomme. Ce dernier raille le discours passionné de Léandre et sa dévotion pour Climenne, par la description emphatique de l’attitude du jeune homme face à son amante (v. 341-344) et par le recours au lexique religieux, « s’extasier » (v. 337) et « idole » (v. 344). De la même façon, le Basque singe le discours affecté de son maître en exprimant sa souffrance amoureuse avec ostentation et en parodiant le langage métaphorique de la galanterie, comme le suggèrent les expressions « je souffre nuit & jour » (v. 377) et « Tes yeux m’ont fait pour toy galerien d’amour » (v. 378). L’association des propos galants et du prosaïsme, attesté par la dévalorisation de la métaphore du galérien : « si je puis un jour ramer dans ta galere » (v. 380), renforce l’effet parodique. Par contraste avec le style contourné et ridicule de Léandre, le Basque résume avec simplicité et spontanéité sa conception de l’amour : « Puis que tu m’aimes donc, & que je t’aime aussi, / Pourquoy tant de façons ? » (v. 382-383).
C’est la perception d’une dissonance qui produit dans ce cas un effet comique. Lors de son entretien avec la Roche (III, 5), le gentilhomme exprime, sans ambages, son hostilité à l’abbé avant de lui témoigner la plus grande bienveillance, une fois qu’il a récupéré la boîte contenant ses billets de loterie. Ce brusque changement de ton, signe de sa cupidité, est d’autant plus drôle qu’à une agressivité excessive et injustifiée succède une complaisance tout aussi exagérée. Le contraste entre les attitudes des interlocuteurs rend l’enchaînement des répliques comique : les réponses évasives et laconiques du gentilhomme, « L’on le croit » (v. 791), « Et bien la roche soit » (v. 792), tranchent avec les propos obséquieux de l’abbé. D’autre part, lors des mystifications, Montfleury souligne la discordance entre les paroles prononcées par le Basque et son véritable caractère. En effet, la pédanterie de l’abbé la Roche s’oppose à la simplicité du valet. De même, la brutalité belliqueuse et la docilité du Suisse contrastent respectivement avec le calme désinvolte du Basque, illustré par la reprise de la formule « qu’importe » (v. 694 et 1270), et avec son irrévérence envers Léandre. L’association, dans le discours du gentilhomme, des registres noble et campagnard produit également un contraste plaisant. De fait, dans la scène 7 de l’acte III, la déclaration galante du Beauceron, dont l’emphase est rendue par le rythme et les références mythologiques, est couronnée par l’image burlesque d’« Apollon » conduisant une « broüette » (v. 970) et par le rapprochement cocasse entre « Apollon » (v. 970) et « Adonis » (v. 968), jeunes dieux d’une grande beauté, et le vieux gentilhomme. Le Beauceron produit un contraste tout aussi déconcertant lorsqu’il décrit la parure coquette de Climenne en introduisant dans sa tirade un lexique relatif à la campagne : ainsi les « moucherons » (v. 897), petits ornements mais aussi insectes disgracieux et repoussants associés à la vie rustique, se substituent-ils aux élégantes mouches, atout majeur de la jeune mondaine.
Montfleury met dans la bouche de ses personnages des jeux de mots destinés à divertir de façon subtile le public, sans se soucier de la vérité psychologique des personnages puisque ce sont parfois les serviteurs qui manifestent le plus d’esprit. Lorsque Béatrix menace le gentilhomme en affirmant qu’« On lui garde des lots » (v. 1167) et qu’il « meriteroit d’avoir des cornes pour son lot » (v. 1168), eu égard au contexte de la loterie organisée par sa maîtresse, elle joue sur la superposition du sens figuré de « lot », « ce qu’on réserve à quelqu’un », et sur son sens concret, « gain d’une loterie ». Le jeu de mots est aussi savoureux lorsque le Beauceron se retrouve étouffé par l’embrassade du Gascon (v. 97) alors même qu’il vient de le menacer en jurant : « La peste vous estouffe avec vostre jargon » (v. 93). Le Basque montre à plusieurs reprises sa finesse d’esprit. Lorsqu’il joue le Suisse, son récit sur son « camarate » (v. 453), dépouillé et fait cocu par sa femme parisienne et le galant de celle-ci, a une valeur prémonitoire car c’est le sort que risque de subir le gentilhomme s’il s’obstine à vouloir épouser sa cousine (v. 453-458). De même lorsque, pour convaincre le gentilhomme de son zèle, le « Suisse Basque » (v. 670) jure qu’il ne laissera entrer « Rien point d’aut que [s]on Maistre ou pien [lu]y » (v. 1012), son serment ne sera pas démenti, même s’il laisse entrer Léandre, grâce au jeu sur l’ambiguïté de l’expression « mon Maistre » (v. 1012) qui désigne aussi bien le gentilhomme, maître du Suisse, que Léandre, maître du Basque. Climenne et Léandre jouent également sur l’équivoque lorsqu’ils utilisent un langage à double entente afin de tromper le gentilhomme qui les épie : les billets blancs renvoient à leurs malheurs amoureux (v. 307) et le « lot » que Léandre eût aimé partager avec Climenne est l’amour (v. 314). Le gentilhomme manie à plusieurs reprises l’ironie (v. 914-920) et fait de l’esprit. Il invente des termes, tels que « parqueter » (v. 898) et « decocqueter » (v. 1452), ou leur assigne un nouveau sens, comme en témoigne l’emploi de « chamarer », investi du sens de « cajoler » dans l’expression « chamare[r] les costes » (v. 160).
Le Beauceron fait preuve d’éloquence et d’inventivité quand il s’agit de réprouver la coquetterie de sa belle. Sa tirade sur la parure de Climenne (v. 893-906), kyrielle de remarques railleuses, est un des passages les plus comiques de la pièce. L’impitoyable critique laisse percer sa colère à travers les allitérations d’occlusives (v. 900-904), jeu sonore qui illustre aussi l’absence d’harmonie du vêtement. L’assonance en [εr] dans « Ce mouchoir bas & fait d’une dantelle claire, / Ce sein plus découvert qu’il n’est à l’ordinaire » (v. 893-894) ainsi que l’allitération en [b] et l’homéotéleute en [e] dans « Ces brocarts bigarez, & leur diversité » (v. 899) contribuent aussi à la dimension sonore de la tirade. Le gentilhomme semble se laisser emporter par la griserie des mots au point que la jeune femme, par le biais de la métaphore culinaire, filée à travers les expressions « tourne-broche d’or » (v. 900) et « lardez de poinçons » (v. 904), se métamorphose en un mets qui vient d’être apprêté. Béatrix cède aussi à l’ivresse verbale quand elle décrit les plaisirs de l’amour et qu’elle revit avec délectation son entretien avec le Basque : afin de prolonger l’évocation sensuelle du « teste à teste » (v. 1148) amoureux, elle se répète volontiers, comme le montrent les formules redondantes, « on cajole on badine » (v. 1141) et « on se fait, on se dit mille sortes de choses » (v. 1146), ainsi que la dérivation sur « plaisans » (v. 1140 et 1147), « plaire » (v. 1141) et « plaisir » (v. 1150).
La scène 5 de l’acte V parodie une scène d’agôn de la tragédie de Racine, Britannicus (IV, 2). Montfleury ne reprend que quelques vers mais ce jeu parodique ponctuel suffit à rendre le rapprochement entre les deux scènes évident. La surprise créée par la référence à Britannicus renforce le comique d’une scène, déconcertante et drôle du fait même de la franchise des deux interlocuteurs.
Les circonstances des deux face-à-face présentent des analogies. Dans Britannicus, la confrontation entre Agrippine et Néron est attendue depuis la première scène. De même, le spectateur est impatient de découvrir la vengeance du gentilhomme, et donc l’entretien entre ce dernier et sa cousine. Les rôles sont inversés puisque Coutreville est associé à Agrippine et que les deux ingrats sont Climenne et Néron. Le Beauceron a demandé à voir Climenne pour lui adresser une série de récriminations, lui énumérer les sacrifices auxquels il a consenti afin de l’épouser et lui reprocher son ingratitude ; discours qui renvoie aux plaintes amères exprimées par Agrippine en présence de son fils. Coutreville, « plus franc que les autres » (v. 1389), se fait fort de dire à sa cousine ses « veritez » (v. 1390), comme Agrippine qui affirme : « C’est le sincère aveu que je voulais vous faire » (v. 1195). Agrippine rappelle en effet à Néron ses origines : « Vous savez combien votre naissance / Entre l’empire et vous avait mis de distance » (v. 1119-1120) et le gentilhomme dénigre Climenne d’une façon comparable : « Vous estes une gueuse, & vous le sçavez bien » (v. 1396). À l’instar d’Agrippine qui, à la fin de la scène précédant son entretien avec Néron, désire être seule et déclare : « Qu’on me laisse avec lui » (v. 1114), le gentilhomme ordonne à Béatrix : « Et vous laissez-nous seuls » (v. 1376). Agrippine et Néron sont assis, comme Coutreville et Climenne. Agrippine et le gentilhomme entament alors deux longues tirades composées respectivement de cent huit vers et de cent quatre vers. Les vers qui constituent les articulations du discours du Beauceron sont empruntés à Racine :
Approchez-vous Climenne, & prenez vostre place, […] Je ne sçay […] Rien ne peut m’ébranler, & ma flame vient mettre, D’un noble Beauceron le cœur à vos genoux, C’estoit beaucoup pour moy, ce n’estoit rien pour vous : […] Ce n’estoit rien encor, […] Voilà ce que j’ay fait, en voicy le salaire ; Le Gentilhomme de Beauce, Acte V, scène 5, v. 1377, 1381, 1430-1432, 1437 et 1462.Approchez-vous, Néron, et prenez votre place. […] J’ignore […] Le sénat fut séduit. Une loi moins sévère Mit Claude dans mon lit et Rome à mes genoux. C’était beaucoup pour moi, ce n’était rien pour vous. […] Ce n’était rien encore. […] Voilà tous mes forfaits. En voici le salaire Racine, .Britannicus, Acte IV, scène 2, v. 1115, 1117, 1136-1138, 1143 et 1196.
Le dramaturge rapproche de façon burlesque Agrippine, monstre féminin et Coutreville, gentilhomme campagnard, bourru mais inoffensif. L’autoritarisme du Beauceron, qui veut tout régenter chez Climenne, et son orgueil renvoient sur un mode mineur à la libido dominandi d’Agrippine, qui pervertit l’ordre politique romain, ainsi qu’à son hybris. Montfleury joue essentiellement sur le décalage comique entre la question du pouvoir impérial romain, enjeu de l’affrontement entre Agrippine et Néron, et les difficultés que pose le mariage d’un villageois beauceron et d’une parisienne coquette. Les sacrifices que le gentilhomme se pique d’avoir fait paraissent dérisoires en comparaison des exactions qu’Agrippine commit afin que son fils accédât au trône (entre autres, la corruption du sénat et la dissimulation de la mort de l’empereur Claude) et la légère blessure d’orgueil qu’il subit n’a rien de commun avec l’humiliation endurée par Agrippine, écartée du pouvoir par son propre fils.
L’ innocenceparoist dans cet habillement ;C’est celuy qu’ils devroient conserver cherement : Et ne jamais souffrir qu’un maistre trop fantasque, Pour les mettre chez-luy les habillast en masque, Le Gentilhomme de Beauce, Acte I, scène 4, v. 473-476. Nous soulignons.
Ces vers illustrent la dialectique à l’œuvre dans Le Gentilhomme de Beauce. Le gentilhomme, loin d’être lui-même aussi naïf qu’il le laisse paraître, loue le Suisse pour son ingénuité, dont témoigne, selon lui, son vêtement ; or si quelqu’un est habillé « en masque » et n’est pas « innocent », c’est bien son portier, valet déguisé en Suisse. Dans la comédie, le masque est aussi bien du côté de ceux qui, désignés explicitement comme mystificateurs, jouent des tours et recourent à des procédés théâtraux, que de ceux qui, hypocrites, adoptent des attitudes mensongères en société.
Les jeunes gens n’ont qu’un seul propos : tromper leur opposant. Béatrix crée un personnage, un Suisse haut en couleur qu’elle met en scène devant le Beauceron (II, 2), Climenne invente une saynète que Léandre se charge de mettre en œuvre (II, sc. dernière) et le Basque assume les fausses identités, celles du Suisse et de l’abbé la Roche. Le Beauceron, lui, suit le personnage déguisé sur le terrain choisi par celui-ci et le Gascon ne participe pas aux stratagèmes, ce qui semble les désigner d’emblée comme les laissés-pour-compte de la comédie. La dramaturgie de la moquerie, fondée sur le spectacle comique offert par la dupe, s’impose donc ; pourtant, le gentilhomme ne tarde pas à céder à son penchant pour la dissimulation et à inverser les rôles.
Montfleury exploite à deux reprises un procédé de nature théâtrale : le jeu de rôle. Dirigé par Climenne, Béatrix et Léandre, le Basque se déguise et joue. La dimension théâtrale des tours élaborés contre Coutreville est mise en évidence par les personnages eux-mêmes. Climenne qualifie les pièges de « piece[s] » (v. 1222) et les identités fallacieuses qu’emprunte le Basque sont désignées par les termes « rooleIbid., v. 385, 730 et 772.Monsieur de Pourceaugnac, on retrouve cette insistance sur la théâtralité des mystifications qu’imaginent les adjuvants des amants, comme en témoigne Éraste qui recommande à Julie de se souvenir de son « rôle » (I, 2).
Le fait de se déguiser, note Georges Forestier, est « la plus haute forme d’action » pour un personnage de théâtre dans la mesure où elle est « la plus théâtraleEsthétique de l’identité dans le théâtre français (1580-1680), Le déguisement et ses avatars, 1988, p. 151.vestu en Suisse » (II, 1) n’apporte aucune précision sur le costume dont la dimension comique est cependant signalée. De fait, Béatrix déclare que le Suisse qu’elle veut présenter au gentilhomme « est si plaisamment vestu qu’il en fait rire » (v. 224) et Climenne ricane lorsqu’elle découvre l’accoutrement du nouveau portier. La didascalie concernant le déguisement d’abbé est tout aussi lapidaire. L’auteur insiste cependant sur une particularité du costume, remarquée par Champagne, le « petit colet » (v. 752). Le déguisement s’appuie sur le nom d’emprunt, « Torften » (v. 433) pour le Suisse et « la roche » (v. 792) pour l’abbé. Georges Forestier montre que le nom est accessoire mais qu’il « sert à construire la personnalité fictive pour lui donner une existence théâtrale, pour que la “superpersonnalité” créée fonctionne comme un rôle de théâtre ordinaire auprès des autres personnagesIbid., p. 306.
Le jeu d’acteur est également essentiel pour mener à bien la mystification. L’action et le discours du valet doivent être en adéquation avec ceux d’un garde suisse et d’un abbé. Dans le premier cas, l’interprétation est facilitée par la conformité des conditions sociales de l’acteur et du rôle, tous deux domestiques, mais elle exige que le Basque prenne l’accent et la déformation verbale prêtés aux Suisses. En revanche, pour jouer l’abbé la Roche, il imite une condition supérieure et singe un langage pédant et affecté, ce qui est vraisemblable car le Basque a « un peu d’estude » (v. 280). Les expressions « nostre Suisse Basque » (v. 670) et « l’Abbé le Basque » (v. 1314) louent sa performance d’acteur, en suggérant que le valet et son rôle ne font qu’un. À une période d’aveuglement total du gentilhomme succède la découverte de l’identité du personnage déguisé : le valet est finalement percé à jour par le biais de l’espionnage du gentilhomme. Le jeu de rôle est donc un « succès partielIbid., p. 165.Suisse, ivre : sa chute à la fin de l’acte IV symbolise l’échec de l’artifice. Le Basque, naturellement enclin à boire, imite volontiers l’ivrognerie notoire des gardes suisses. Le paradoxe est amusant : c’est parce qu’il s’assimile pleinement à son rôle de commande qu’il fait échouer le subterfuge. Climenne fait valoir, malgré tout, l’efficacité de l’art théâtral mis en oeuvre lors des jeux de rôle : les « mille coups » (v. 1215) dont Léandre veut percer son rival paraissent dérisoires en comparaison des « coups » dont le cousin « n’a pû se garentir » (v. 1219), terme qui, repris par Climenne, représente les mystifications.
À partir de la scène 5 de l’acte IV, il y a deux actions parallèles : Climenne, Léandre, Béatrix et le Basque évoluent au premier plan tandis que le Beauceron, dissimulé, les observe. Ce dispositif rappelle la séparation qui existe au théâtre entre l’espace scénique et le public. Pourtant, même si son regard est essentiel dans l’acte, le gentilhomme n’est pas assimilable à un spectateur qui prendrait les entretiens qu’il surprend pour une comédie. L’abondance des monologues dans l’acte IV est justifiée par le partage de la scène : les révélations faites sur le devant de la scène sont effectivement ponctuées par les commentaires du Beauceron, demeuré seul en retrait. Le gentilhomme est cette fois celui qui trompe puisqu’il tait sa présence, et la bipartition de l’espace scénique permet sa prise de conscience. L’expression « lever le masque » (v. 1266) donne l’enjeu de l’acte IV, qui consiste à ôter aux amoureux et aux serviteurs leur masque. Elle produit un effet comique car au moment où il la prononce, le gentilhomme croit qu’il est au bout de ses peines et qu’il est désormais le seul à porter un masque alors que le Suisse n’a pas encore retiré le sien. La démystification du gentilhomme est mise en évidence par la récurrence de l’adjectif « éclaircyLe Gentilhomme de Beauce, Acte IV, v. 1131, 1243 et 1260.
Le Beauceron oscille entre l’aveuglement et la lucidité. Le vocabulaire relatif à l’innocence et à la sincérité, « naïsveté » (v. 429), « naif » (v. 496), « sans artifice » (v. 431 et 496), « ingenu » (v. 1001) et « ingenuité » (v. 1262), associé au personnage du Suisse dans le discours du gentilhomme, met en évidence son erreur de jugement. Celle-ci est patente lorsqu’il interprète les exhalaisons avinées et les ronflements de son portier comme l’expression d’une culpabilité envers son maître alors qu’ils ne sont que les manifestations du plaisir de l’ivresse (v. 1193-1196). Néanmoins, le Beauceron fait parfois preuve d’une lucidité qui atténue la balourdise propre au noble provincial. Ainsi déclare-t-il à Climenne : « je voy ce que c’est la belle, vous aimez ; / Ces Messieurs à fracas » (v. 157-158), prouvant qu il voit clair dans son jeu ; lorsqu’il surprend Climenne et Léandre, il n’est pas dupe de leur langage à double entente (I, 7-8) et il pressent qu’« on fait icy des tours de passe passe » (v. 705). D’autre part, alors qu’il fait valoir sa franchise et sa simplicité, il recourt volontiers à la feinte. La première parole du gentilhomme est un aparté : en effet, au lieu de se joindre aux autres personnages dès son entrée en scène, il se cache pour espionner Climenne et le Gascon. De même, au début de la scène 7 de l’acte I, ses répliques sont prononcées « à part » car il épie l’entretien de Climenne et de Léandre et dans l’acte IV, il commente les révélations en aparté. Le recours à l’aparté est emblématique de sa défiance et de son goût de la dissimulation. À l’instar du Suisse qui, malgré une apparente ingénuité, se révèle le personnage le plus théâtral, Coutreville, tout en vantant sa sincérité, se plaît à tromper. En définitive, les mystificateurs et la dupe jouent l’innocence mais utilisent, à l’envi, détours et ruses.
C’est le gentilhomme qui se charge de ridiculiser coquets, galants et abbés tartufes, dont le comportement relève du faux et de l’artificiel. Le vêtement factice se substitue au déguisement et les grimaces du galant et de l’hypocrite remplacent le jeu de l’acteur.
Dans la scène 7 de l’acte III, le Beauceron exerce sa verve contre Climenne en montrant le caractère grotesque de son vêtement (v. 893-906). L’accumulation d’affiquets et le mélange des couleurs participent de l’assimilation de la toilette à un déguisement, rapprochement révélateur de l’artificialité consubstantielle à la coquetterie L’abondance d’ornements est exprimée par des termes relatifs à la lourdeur, « pend » (v. 900), « fatras » (v. 901), « chargez » (v. 901), « contre-poids » (v. 902), « pendus » (v. 902), « tas » (v. 903), par les pluriels ainsi que par la répétition de « trop » (v. 895 et 896). Cette parure surchargée donne paradoxalement une impression de précarité à cause des talons « mal affermy » (v. 896) et de la coiffure « en l’air » (v. 903), fragilité qui renvoie à une artificialité dérisoire. Le plus piquant est que cette tirade est malvenue, dans la mesure où le gentilhomme est maintes fois ridiculisé du fait de l’extravagance de son accoutrement. D’ailleurs, le fait qu’il revêt son « habit de Campagne » (didascalie : p. 96) pour quitter Paris suggère qu’il portait la tenue taillée exprès pour son séjour parisien comme un déguisement. Le vêtement traditionnel suisse est également assimilé à un costume de farce. L’analogie établie entre la toilette de Climenne d’une part, et celle du Beauceron et du Suisse d’autre part, achève de priver le vêtement de la jeune femme de tout naturel et de tout raffinement. À l’inverse, le Beauceron associe les valeurs de naïveté et de simplicité à la perpétuation du vêtement ancestral, comme Sbrigani, qui afin de gagner la bienveillance de Pourceaugnac, se félicite d’avoir su rester fidèle aux modes italiennes : « je suis originaire de Naples, à votre service, et j’ai voulu conserver un peu et la manière de s’habiller, et la sincérité de mon paysMonsieur de Pourceaugnac, Acte I, scène 3.
Le Beauceron raille la coquetterie et la galanterie de son entourage. Il les associe systématiquement à la facticité de la vie parisienne et la récurrence des termes « cocquet », « cocquette », « galand », « galante », « galanterie » prouve qu’il s’agit chez lui d’une idée fixe. Lorsqu’il fait le bilan de son séjour parisien, il blâme la frivolité des Parisiennes :
Les filles à Paris sont pour nous trop sçavantes, Il faut des gens galans, pour des filles galantes , Le Gentilhomme de Beauce, Acte V, scène 11, v. 1649-1650.
Par un effet de chiasme, « filles galantes » renvoie à « filles à Paris », ce qui emblématise l’assimilation entre la capitale et la galanterie. La fille « sçavante » n’est pas valorisée dans les paroles du gentilhomme puisqu’il s’agit de la « femme habileL’École des femmes, Acte III, scène 3, v. 820.Le Misanthrope, la prude Arsinoé reproche à Célimène sa « galanterie, et les bruits qu’elle exciteLe Misanthrope, Acte III, scène 4, v. 890.
Montfleury insiste sur la distorsion entre les valeurs des deux abbés, présentés dans les scènes 5 des actes II et III, et celles de l’Église. Dans la scène 5 de l’acte II, l’abbé est l’auteur d’un ouvrage dans lequel il donne des conseils aux organisateurs de loterie désireux de réaliser un bénéfice substantiel. Il expose ses préceptes sur un ton dogmatique comme en témoigne le recours à la modalité déontique exprimée par le verbe « devoirLe Gentilhomme de Beauce, Acte II, scène 5, v. 550, 581, 582, 587 et 588.Ibid., Acte II, scène 5, v. 558, 563, 589, 593, 597 et 607.Tout homme qui voudra faire une lotterie, / Sçaura pour premiere leçon » (v. 547-548), et à la maxime, « Aussi bien le Proverbe dit, / Que qui s’acquitte s’enrichit » (v. 613-614). Le titre du livre, en désignant les organisateurs par la périphrase « Thresoriers des foux » (v. 542), met en évidence son dédain envers les joueurs. Puisque seul importe l’intérêt financier des organisateurs, son discours, saturé par les termes « profit » et « profiter
Le dramaturge ne présente pas une image plus flatteuse du second personnage d’abbé. Le « fort petit colet » (v. 752) de l’abbé la Roche le désigne immédiatement, aux yeux du Beauceron, comme un faux abbé. Ce premier niveau de duplicité est redoublé par le jeu de rôle : un faux abbé est joué par un faux abbé, le Basque. La fausseté des abbés est ainsi dénoncée à travers cette surenchère de facticité. Le gentilhomme n’est pas dupe des minauderies de son visiteur, qu’il qualifie de « Beauceron trop poly » (v. 799) : la politesse ostentatoire de la Roche se manifeste par une interminable série de révérences, il témoigne son dévouement avec insistanceIbid., Acte II, scène 5, v. 797, 819-820 et 853.abbé est illustrée par le décalage entre ses propos flatteurs et la façon dont ils sont reçus par le gentilhomme, comme le signale le terme « insulter » (v. 801). Dans Trigaudin, Géronte manifeste la même hostilité envers ceux « qui font, étudiant toutes leurs actions, / Consister le bel air dans leurs contorsionsTrigaudin, 1705, Acte I, scène 5, p. 284.Le Misanthrope, s’emporte aussi contre ces comportements affectés :
Et je ne hais rien tant que les contorsions De tous ces grands faiseurs de protestations, Ces affables donneurs d’embrassades frivoles, Ces obligeants diseurs d’inutiles paroles Molière, ,Le Misanthrope, Acte I, scène 1, v. 43-46.
Le terme « contorsions » qu’utilisent les deux personnages, est emblématique de l’attitude de la Roche : au sens figuré, il renvoie aux détours de son langage et au sens propre, à ses révérences ostentatoires. Le gentilhomme, lui, se flatte de ne pas avoir le « jaret » assez « souple » (v. 778) pour de pareilles contorsions. Par ailleurs le dramaturge introduit dans le discours de l’abbé des propos licencieux, contraires à l’image austère de la fonction abbatiale. Le fait que la Roche s’enquiert de la jeunesse et de la beauté de la fiancée du BeauceronLe Gentilhomme de Beauce, Acte II, scène 5, v. 791.La Comtesse d’orgueil, Thomas Corneille fait aussi référence aux abbés galants dans l’échange entre le Marquis et son valet, Carlin :
CARLIN
La Marquise, chez vous, a passé pour vous prendre, J’ay voulu l’arrêter, mais ne vous trouvant pas… C’est dons comme il en fait, fracas contre fracas, M’a-t’elle dit, Dy-luy que puis qu’il me dédaigne, L’Abbé qui lui déplaist va commencer son regne, J’aurois pû me resoudre à ne l’écouter plus, Mais… LE MARQUIS
Ces diables d’Abbez la pluspart sont courus Thomas Corneille, .La Comtesse d’orgueil, 1671, Acte II, scène 3, p. 29.
La figure de l’abbé produit un effet comique par sa dimension caricaturale : la Roche réunit les principaux vices que la tradition populaire prête aux hommes d’Église, la pédanterie, la curiosité et la grivoiserie.
Montfleury met l’accent sur le plaisir que procurent le jeu de rôle et le jeu social. Les personnages prennent rapidement goût aux mystifications. Dans l’acte IV, Climenne et Béatrix sont tout à fait disposées à renouveler les ruses : il s’agit de railler le Beauceron mais aussi de se « divertir » (v. 1220 et 1230). Par deux fois, Béatrix utilise l’adverbe « plaisamment » (v. 671 et 1158) pour se référer à la performance du Basque, exprimant ainsi la satisfaction de l’observateur complice, proche de celle qu’éprouve le spectateur. Le Basque, de son côté, prend plaisir à jouer la comédie. En effet, lorsqu’il assume l’identité du Suisse, il se délecte à faire, avec l’accent suisse, un récit bien campé sur ses empoignades avec les visiteurs. (v. 406-418). Dans la scène 5 de l’acte III, quand il interprète l’abbé la Roche, il fait durer la conversation, en multipliant les formules de civilité et en accumulant les questions sans intérêtLe Gentilhomme de Beauce, Acte III, scène 5, v. 790, 791, 793-794, 795 et 796.
Qu’il s’agisse des jeux de rôles, de la coquetterie ou de l’hypocrisie, c’est toujours la facticité qui est mise au jour ; néanmoins, le but de Montfleury n’est pas tant de dénoncer ces comportements trompeurs que d’exploiter des thèmes propres à l’expression de sa verve comique. Le dramaturge porte un regard indulgent et dédramatisé sur ceux qui s’adonnent à la galanterie et à la coquetterie, notamment sur Béatrix qui se délecte du badinage amoureux et de la galanterie avec simplicité (IV, 5). De surcroît, Climenne et ses galants ne sont pas plus ridicules que leur censeur qui, tout en critiquant leur attitude, cède au désir de plaire et se fait tailler un costume spécialement pour son séjour parisien (v. 24). Montfleury est plus sévère avec les abbés, mais son propos n’est pas d’en faire une satire acerbe. Lancaster suggère en effet qu’il se protège contre d’éventuelles condamnations de l’Église puisque l’abbé la Roche n’est qu’un rôle joué par le Basque devant le Beauceron et qu’il est d’emblée soupçonné par ce dernier d’être un faux abbéA History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, 1929-1942, part III, t. II, p. 822.Tartuffe ainsi que l’allusion désobligeante aux abbés galants que Thomas Corneille insère dans La Comtesse d’orgueil qui ont donné à Montfleury assez d’audace pour amuser le public au détriment des abbésIbid., p. 821-822.l’embrassant » (p. 53) ainsi que le nouveau titre qu’il confère à l’abbé, « Cousin du directeur general de [s]es vignes » (v. 826), fonction qui ne correspond à aucun avancement puisque la Roche est déjà le cousin du vigneron et que « directeur general de [s]es vignes » est une périphrase pour « vigneron » (v. 784). En outre, le caractère caricatural du portrait de l’auteur de l’ avis aux Thresoriers des foux et les réserves de Climenne sur son « esprit » (v. 544), admiré seulement par le gentilhomme dont le jugement est discrédité depuis le début de la pièce, disqualifient sa pensée et désamorcent donc la portée polémique de la scène. En amoindrissant systématiquement le crédit accordé aux censeurs, Montfleury atténue la critique, destinée avant tout à faire rire le public.
Pour satisfaire le public qui « se plaît », selon Roger Guichemerre, « à retrouver sur la scène des tableaux de la vie parisienneLa Comédie classique en France : de Jodelle à Beaumarchais, 1978, p. 68.
La passion du jeu, caractéristique de l’époque, est le sujet de nombreuses comédies, centrées sur le personnage du joueur. Les loteries, en particulier, ont un grand succès à la cour, la mode s’en répand dans le public et les escrocs ne tardent pas à y voir un nouvel expédient susceptible de les enrichir facilement. Le Gentilhomme de Beauce rend compte de cette vogue mais le rôle du joueur demeure secondaire par rapport à celui des personnages traditionnels de la comédie d’intrigue. Dans la comédie de Montfleury, les deux loteries sont organisées par des particuliers. Dès la scène d’exposition, Béatrix aborde le sujet car, impatiente de découvrir ses billets, elle se renseigne sur le tirage de la loterie organisée par sa maîtresse (v. 32), ce qui suggère qu’il s’agit d’un thème essentiel de la pièce. L’auteur raille la folie des badauds qui se livrent à ce jeu mais dénonce aussi la corruption des organisateurs qui profitent de leur naïveté. La comédie de Montfleury entre en résonance avec Les Intrigues de la loterie de Donneau de ViséLeben und dramatische Werke des älteren und des jüngeren Montfleury, 1911, p. 86 et Henry Carrington Lancaster, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, 1929-1942, part III, t. II, p. 819. Le Gentilhomme de Beauce, la loterie ne sert pas seulement de prétexte à la satire amusée de la société dans la mesure où Montfleury s’applique à intégrer le fait social à l’action.
La colère du noble beauceron contre les joueurs, qui vont et viennent avec frénésie pour acheter des billets, constitue un leitmotiv de la comédie. Le choix du terme « embarras », qui est récurrent dans les répliques du BeauceronEmbarras apparaît aux v. 204, 358, 366, 501 et 655. Les Intrigues de la loterie, Florine, servante de Céliane qualifie aussi la loterie d’« embarrasLes Intrigues de la loterie, 1670, Acte I, scène 2. Les Intrigues de la loterie, tout le monde s’enthousiasme pour le jeu. Comme Béatrix, la cuisinière de Céliane, Michelette, et le valet de Cléronte, Du Bois, investissent dans une loterie. Les bourgeois, à l’instar de Climenne, de Céliane et d’Ergaste, se prêtent également au jeu et s’improvisent comme organisateurs.
C’est essentiellement par le truchement du Gascon, joueur impénitent et malchanceux, que le dramaturge illustre les dérives dues à la passion du jeu. Il déplore sa mauvaise fortune dès sa première apparition (v. 68-73). Étant donné la quantité de billets qu’il a achetée, l’annonce « J’ay pris tous billets blancs » (v. 73) est inattendue et témoigne de sa malchance. La formule « il faut voir jusqu’au bout » (v. 73) est d’ailleurs emblématique de sa vaine persévérance. Le procédé de répétition qui structure sa plainte ainsi que la redondance des questions sur le capital de la loterie (v. 81 et 82) indiquent que la participation au jeu revêt, chez lui, un caractère obsessionnel. Ses allées et venues chez Climenne pour s’enquérir de l’état de la loterie sont une autre manifestation de sa folie. D’autre part, à travers la figure du joueur endetté, esquissée dès l’acte I dans le discours du Beauceron qui subodore que la loterie a perdu toute dimension ludique pour ceux qui semblent avoir « aux talons tous les Prevosts de France » (v. 212), Montfleury met au jour le dévoiement du jeu. De fait, le Gascon dévoile à Martin son intention de rembourser ses dettes grâce aux gains qu’il escompte gagner (v. 1071-1072), justifiant ainsi l’impatience avec laquelle il attend le résultat du tirage. Il n’a plus le sens de la réalité puisqu’il en vient à nier la dimension aléatoire inhérente à la loterie :
MARTIN
Je voy gagnant les lots que tout ira fort bien, Mais qui les payera si vous ne gagnez rien. LE GASCON
Cela ne se peut pas, que diable allez vous dire ? Le Gentilhomme de Beauce, Acte IV, scène 2, v. 1091-1093.
Les réserves du précepteur en ce qui concerne le succès de la stratégie du Gascon conduisent ce dernier, d’une part, à soupçonner Martin de gérer malhonnêtement la loterie, comme le suggère la rime significative entre « lotterie » (v. 1081) et « friponnerie » (v. 1082), et d’autre part, à le menacer afin que le tirage lui soit favorable. Cela donne à entendre que les tricheries étaient monnaie courante, aussi bien de la part des organisateurs que des joueurs.
Montfleury ne fait qu’une brève allusion aux abus des joueurs dans la scène évoquée précédemment. En revanche, il insiste sur la malhonnêteté des organisateurs de loterie. Même si le dramaturge a souvent exagéré, ses données permettent de se faire une idée de la corruption qui caractérisait la gestion des loteries et qui nécessitait parfois l’intervention de la Justice. Climenne rappelle en effet que les fraudeurs étaient passibles d’une condamnation (v. 630). Dans la pièce, deux conceptions se heurtent : celle de Climenne et de Martin qui souhaitent organiser une loterie honnête et celle du gentilhomme cupide qui veut tirer profit du jeu. Cette opposition se cristallise dans la scène 5 de l’acte II, consacrée à l’exposé de préceptes frauduleux théorisés par un abbé. L’antagonisme entre Coutreville et Climenne est emblématisé par l’opposition entre les deux modes de tirage qu’ils préconisent : l’un, défendu par Climenne, réalisé « au hazard & sans choix » (v. 524) et « fidelement » (v. 528), l’autre, réclamé par le Beauceron, malhonnête, comme l’indiquent les termes « volant » (v. 517), « décacheter » (v. 529) et « supposer (v. 530). Cette dissension est en outre illustrée par les jugements antithétiques qu’ils portent sur l’abbé, qualifié par le gentilhomme d’« Abbé plein d’esprit » (v. 540) et par la jeune femme d’« esprit creux » (v. 544). Le gentilhomme fait effectivement l’éloge de l’ouvrage intitulé « avis aux Thresoriers des foux» (v. 542) tandis que Climenne soutient en vain ses principes d’honnêteté, incompatibles avec le discours de l’abbé, saturé par le lexique de la dissimulation, « à couvert » (v. 587), « de concert » (v. 588 et 593), « en secret » (v. 608), « doucement » (v. 609). L’abbé recommande expressément à l’organisateur de favoriser, suivant son intérêt, certains participants et de distribuer des lots à moindres frais, y compris son lit dont la valeur peut être triplée (v. 625-628). Les deux comédies mentionnent la variété des lots, souvent de médiocre valeur. Du Bois affirme :
On n’entend à present parler que Lotterie ; J’en ay trouvé d’Argent, de Lits, d’Argenterie, De Meubles, de Bijoux, de Toille, de Tableaux, […] D’Etoffes, de beaux Poincts, de Jambons, de Pâtez Donneau de Visé, Les Intrigues de la loterie, 1670, Acte II, scène 1.
Des exemples comparables figurent dans le discours du gentilhomme beauceron, lorsqu’il énumère les objets susceptibles de servir de lots : « meubles » (v. 620), « tableaux » (v. 620), « points » (v. 621), « bijoux » (v. 621), « vaisselle […] d’argent d’Allemagne » (v. 641), « paté » (v. 644). Une des fraudes stigmatisées à la fois par Montfleury et par Donneau de Visé consiste à décacheter les boîtes : le gentilhomme envisage de recourir à ce procédé (v. 529) et Ergaste, pressentant un tel abus, veut ouvrir sa boîte devant un juge (II, 9). L’héroïne de Donneau de Visé est gagnée, comme le Beauceron, par l’immoralité de la société car elle pervertit le fonctionnement de la loterie en ne mettant en jeu que des billets blancs. À l’inverse, celle de Montfleury regimbe devant les friponneries qui discréditent son entreprise.
Montfleury rattache étroitement la loterie à l’intrigue tandis que chez Donneau de Visé, le jeu est surtout exploité en tant que phénomène social : celui-ci s’attarde plus longuement que Montfleury sur les abus, sur les histoires de gains ou de pertes considérables et sur les usages amusants auxquels se prêtent les joueurs et qui consistent par exemple à donner aux boîtes des noms aussi inattendus qu’« Amphitryon ». Chez les deux dramaturges, la loterie est un prétexte pour introduire un jeune homme auprès de la femme qu’il aime. Dès la première scène du Gentilhomme de Beauce, Béatrix et le spectateur apprennent que le jeu préparé par Climenne n’a d’autre destination que de réunir les amants : « Sous pretexte d’y mettre » (v. 42), Léandre peut venir voir son amante. Dans Les Intrigues de la loterie, les deux amants de Clarice et de Mélisse profitent pareillement de la loterie pour rendre visite à leurs maîtresses et Florine préconise à Clidamis de feindre de « venir mettre à la LotterieLes Intrigues de la loterie, 1670, Acte I, scène 11.abbé la Roche convainc le gentilhomme qu’il a gagné trois cent louis à la loterie d’Oronte et qu’il doit aller retirer son lot. Le terme « embarras » emblématise le lien entre le jeu et l’action car au sens propre d’« encombrementLe Français classique. Lexique de la langue du dix-septième siècle, 1948, p. 318.bid., p. 318.Dictionnaire universel, 1690.in extremis par Climenne (v. 1662). À partir du moment où les Parisiens mettent fin à leurs ruses, le thème passe au second plan, ce qui montre qu’il est étroitement lié aux actions entreprises contre le Beauceron.
LeGentilhomme de Beauce offre le spectacle des ridicules de la province et de l’étranger. Montfleury exploite cette veine comique après Raymond Poisson qui décrit des provinciaux grotesques dans L’Après-soupé des auberges, et Molière qui met en scène un avocat limousin dans Monsieur de Pourceaugnac. Le gentilhomme de Beauce est d’ailleurs « une espéce de PourceaugnacDictionnaire dramatique, 1776, t. II , p. 10.Suisse et l’abbé la Roche, bien qu’ils aient un statut particulier puisque ce sont les deux rôles interprétés par le Basque, peuvent être assimilés aux provinciaux : la Roche est beauceron et le Suisse, en tant qu’étranger, subit les mêmes railleries que les gens de province. Enfin, les noms des laquais, « Champagne » et « la Brie », renvoient à deux régions provinciales
L’article d’Antoine Furetière définissant le terme province dit assez combien, à l’époque, la ville a facilement tendance à moquer la province : « se dit […] des pays esloignez de la Cour, ou de la ville capitale. C’est un homme de Province, qui n’a pas l’air du beau mondeDictionnaire universel, 1690.Dictionnaire du Grand Siècle, 1990, p. 1271.
Certes l’effort est grand, & je suis une beste, Je me devois […] Deterrer dans la Beauce un singe campagnart ; Et prendre pour épous errante à l’adventure, Quelque brute qui n’eust d’homme que la figure. J’en conviens, mais les filles à Paris Ne sont pas à ce point avides de maris ; Le Gentilhomme de Beauce, Acte V, scène 5, v. 1513-1520.
L’homme de la campagne est caractérisé par une rusticité incompatible avec le goût raffiné des Parisiennes. Climenne insinue même qu’il est du côté de l’animalité : le jeu de mots sur « beste » (v. 1513), qui se dit au figuré d’une « personne sans esprit, qui est stupide », mais aussi au propre de l’« animal », donne à entendre que l’air de la campagne prive les individus de leur humanité puisque Climenne, vagabondant à travers les plaines de la Beauce, en quête d’un mari, devient une « beste » et son futur époux, ancré dans le terroir beauceron, un « singe campagnart » (v. 1516). Montfleury et Molière insistent sur le caractère lourdaud du provincial : le terme « épais » est employé à la fois par Climenne et par Sbrigani pour qualifier Coutreville et PourceaugnacLe Gentilhomme de Beauce, Acte IV, scène 7, v. 1223 et Monsieur de Pourceaugnac, Acte I, scène 2.Le Gentilhomme de Beauce, Acte III, scène 8, v. 1016 et Monsieur de Pourceaugnac, Acte III, scène 5.Monsieur de Pourceaugnac, Acte I, scène 4.
La physionomie du provincial prête à rire, comme le suggèrent le portrait du gentilhomme esquissé par Béatrix (v. 19-22) ainsi que la réplique de Sbrigani :
Pour sa figure, je ne veux point vous en parler : vous verrez de quel air la nature l’a desseinée, et si l’ajustement qui l’accompagne y répond comme il faut
Molière, .Monsieur de Pourceaugnac, Acte I, scène 2.
Les derniers mots de l’intrigant italien montrent que les quolibets des Parisiens portent également sur l’allure des provinciaux, notamment sur l’excentricité de leur tenue. Molière jouait le rôle de Pourceaugnac dans un costume aux couleurs voyantes, volontairement extravagantŒuvres complètes, 1983, t. II, p. 1397. Ce costume grotesque se composait ainsi : « haut-de-chausses de damas rouge, garni de dentelle, un justaucorps de velours bleu, garni d’or faux, un ceinturon à frange, des jarretières vertes, un chapeau gris garni d’une plume verte, l’écharpe de taffetas vert, une paire de gants, une jupe […] de taffetas vert garni de dentelle et un manteau de taffetas aurore, une paire de souliers ».Suisse, rend compte du sentiment de supériorité des Parisiens. La langue française n’est pas altérée dans les interventions du gentilhomme et du Basque, et le parler du Gascon est peu singularisé si ce n’est par deux jurons gascons, « Dieu me damne » (v. 68) et « Cadedy » (v. 1088), alors que dans L’Après-soupé des auberges, Poisson déforme systématiquement le français des non-Parisiens, un Gascon, un Normand et un Flamand.
Les plaisanteries de la capitale sur le provincial et sur l’étranger sont nourries par des stéréotypes que convoque Le Gentilhomme de Beauce. D’après François Bluche, « le Dictionnaire géographique d’Expilly note qu’on “reproche aux Gascons […] de trop exalter leur bravoure, ce qui fait donner le nom de gasconnade à tout ce qui sent le fanfaron”Dictionnaire du Grand Siècle, 1990, p. 699.Suisse :
Je la luy garde bonne, & devant qu’il soit peu, Nous conterons ensemble & nous verrons beau jeu ; Le Gentilhomme de Beauce, Acte IV, scène 1, v. 1043-1044.
Le choix du futur de l’indicatif et l’expression temporelle de l’imminence, « devant qu’il soit peu » (v. 1043), sont caractéristiques des fanfaronnades gasconnes. Lorsqu’il est confronté au Beauceron, loin de renchérir sur ses propos hostiles, il préfère se retirer (v. 139) et l’ivresse du Suisse profondément endormi lui fournit un motif pour différer sa vengeance (v. 1039), ce qui laisse entendre que sa forfanterie n’a d’égale que sa couardise. Au même titre que le Gascon, le Suisse fait partie intégrante de la vie parisienne. Le goût des Suisses pour la boisson est l’objet de sarcasmes. Le Gascon rend compte de cette réputation car l’ivresse est, selon lui, l’explication la plus plausible de l’état du Suisse au début de l’acte IV (v. 1037). Béatrix exploite à son tour l’image stéréotypée du Suisse ignare, fruste et querelleur, pour décrire celui qu’elle veut présenter au gentilhomme :
[Il] n’entend à le voir ny rime ny raison, Il frape comme un sourd, ne cherche qu’à se battre, Il est fort comme deux, & méchant comme quatre, Avec sa mine froide il a le sang fort chaud . Le Gentilhomme de Beauce, Acte I, scène 4, v. 226-229.
L’antithèse entre « mine froide » et « sang […] chaud » reflète son caractère haut en couleur. Dans La Satire des satires, Boursault prête à son personnage de Suisse des traits analogues à ceux qui caractérisent celui de Montfleury. Émilie met en évidence le penchant à la violence de son portier par ce cri : « Mon Dieu, comme il est fait ! Il s’est battuLa Satire des satires, 1669, scène 2.Ibid., scène 2.Suisse pour un idiot, incapable de comprendre les circonlocutions de son maître (v. 444 et 461). La corruption des Suisses est aussi abordée. Le Beauceron, toujours méfiant, est convaincu que le Suisse accepterait de laisser entrer un galant de Climenne en échange de « quelque portrait d’un métail peu commun » (v. 887). De même, le Suisse d’Émilie permet la visite d’un individu ne figurant pas sur la liste, faveur qu’il n’accorde certainement pas sans contrepartie. L’hostilité des Parisiens pousse les provinciaux et les étrangers à être solidaires. Ainsi, le Gascon, lorsqu’il rencontre le Beauceron, est ravi de retrouver en lui un de ses semblables et quand Climenne rit du costume porté par le Suisse, le gentilhomme, se reconnaissant en lui, prend sa défense (v. 471-473).
Les provinciaux adressent, eux aussi, des propos peu amènes aux habitants de la capitale. Dans sa diatribe contre les faux abbés, le gentilhomme dépeint Paris comme la ville des faux-semblants. Son jugement est illustré par l’opposition entre les termes ressortissant à l’authenticité, tels que « bon » (v. 764) et « vrais » (v. 769), et ceux qui relèvent de l’apparence, tels que « nom » (v. 756 et 763), « titre » (v. 757 et 768), « qualité » (v.761) et « beaux esprits » (v. 765). La capitale est le repaire des escrocs et des imposteurs, comme en témoigne le champ lexical de la fraude qui sature le discours du Beauceron : « bibus » (v. 755), « abus » (v. 756), « faux coin » (v. 757), « vol » (v. 759), « usurpe » (v. 763), « faux » (v. 764 et 766) et « usurpateurs » (v. 768). Lorsque le Beauceron rentre de sa visite chez Oronte, furieux et conscient d’avoir été berné, il allègue immédiatement la duplicité parisienne pour justifier son aveuglement (v. 1115-1120). Enfin, c’est dans l’avant dernière scène que le campagnard exprime, de façon définitive, sa rancœur contre la capitale, ce « maudit lieu » (v. 1647) pour lequel il éprouve une « haine mortelle » (v. 1645). Pourceaugnac fait part à Sbrigani du même ressentiment en se récriant : « Quelle maudite villeMonsieur de Pourceaugnac, Acte II, scène 10.
je ne me veux point mettre sur la tête un chapeau comme celui-là, et l’on aime à aller le front levé dans la famille des Pourceaugnac
. Ibid., Acte II, scène 4.
La critique de Paris va de pair avec l’éloge partial et outré de la région natale et de ses habitants. Ainsi le Gascon s’enorgueillit-il de la sincérité gasconne (v. 79). Comme le Gascon, le Beauceron revendique un franc parler qu’il présente, par contraste avec l’hypocrisie parisienne, comme une caractéristique provinciale. Il manifeste son esprit chauvin lorsqu’il complimente la Roche pour son honnêteté, qui tient selon lui au seul fait d’être beauceron (v. 824).
Le Beauceron rencontre dans la capitale Parisiens et non-Parisiens et paradoxalement, il est aussi bien berné par les uns que par les autres. De fait, le Gascon fait la cour à ClimenneLe Gentilhomme de Beauce, Acte I, scènes 2 et 3.Ibid., Acte II, scènes 2-4 et acte III, scène 5.abbé la Roche, il est doublement victime de la province car il est trompé par un provincial (l’abbé est beauceron) interprété par un provincial (le Basque).
Montfleury choisit comme héros des mésaventures burlesques de sa comédie, un gentilhomme beauceron tourmenté par des Parisiens. Pierre de Vaissière note que c’est « à dater des premières années du XVIIe siècle que le gentilhomme campagnard commence à servir de cible […] à la verve des auteurs comiquesGentilshommes campagnards de l’Ancienne France, 1986, p. 262.e siècle, les nobles de province ont perdu de leur prestige, aussi ne tardent-t-ils pas à devenir un objet de risée pour les citadinsIbid., p. 4. Pierre de Vaissière constate de fait que « la noblesse de France, si une, si compacte au XVIe siècle, se trouve aux siècles suivants irrémédiablement divisée en deux classes […] : la classe de ceux qui vivent dans l’entourage du souverain, qui se poussent dans les emplois de sa maison, les grades de ses armées, le corps de ses fonctionnaires, c’est la noblesse de cour ; la classe de ceux qui, de leur plein gré quelquefois, mas le plus souvent contraints et forcés, continuent à vivre chez eux, au fond des provinces, dans le château de leurs pères, c’est la noblesse campagnarde ».Le Baron de la CrasseGentilshommes campagnards de l’Ancienne France, 1986, p. 298.
La noblesse campagnarde, même ruinée, reste fière de ses origines et de ses privilèges. Tout au long de la pièce, le gentilhomme s’enorgueillit de son titre nobiliaire et ne manque pas une occasion de rappeler sa qualité : celle-ci est mise en avant pour justifier les prérogatives qu’il s’arroge (v. 131-134) et il s’en vante dans sa tirade contre ceux qui imitent les vrais abbés semblables aux vrais nobles dont il se prévaut de faire partie (v. 766-769). Le Beauceron se targue du respect qui lui est témoigné dans son village (v. 1421-1422 et v. 1425). Seigneur campagnard, fidèle aux usages de la féodalité, il continue à dominer ses vassaux et imagine faire montre de la même autorité à Paris, aussi tente-t-il de s’imposer en maître chez Climenne. Béatrix dénonce en effet, dès la première scène, son humeur tyrannique, dont les serviteurs sont victimes (v. 17-18). Le hobereau vante la vie qu’il mène à la campagne, marquant ainsi son dédain pour celle des Parisiens : il évoque avec nostalgie ses « dindons » (v. 1420), son « colombier » (v. 1420) et les « Paysan[s] naïf[s] » (v. 1422) qui l’entourent. De la même façon, le Baron de la Crasse s’écrie à propos de sa campagne : « Tout m’y rit, tout m’y plaist, tout m’y paroist aimable » (v. 52).
Coutreville se rengorge également de posséder des terres et une rente substantielleLe Gentilhomme de Beauce, v. 131, 959 et 1427.Beauce qui se tient au lit quand on refait ses chaussesDictionnaire universel, 1690. Le Baron de la Crasse, une maladresse du valet Marin, qui demande à son maître combien il faut tuer de poulets pour le repas (v. 151), souligne que l’économie domestique du Baron est serrée. En outre, l’avarice est un trait propre aux petits hobereaux, parfois réduits à vivre chichement de revenus misérables. La récurrence du motif des vingt louis dont le gentilhomme a été délesté au cours de son entretien avec la RocheLe Gentilhomme de Beauce, v. 1111, 1122, 1371 et 1484.
Le comportement du hobereau constitue un divertissement pour son entourage. Les premières paroles de Béatrix désignent en effet le Beauceron comme la dupe dont on peut se gausser, du fait de son inadaptation foncière au monde parisien : il est « burlesque » (v. 19) et fait « rire » (v. 22). Les mœurs du Baron de la Crasse et le récit de son équipée malheureuse à la cour offrent également un spectacle plaisant au Marquis et au Chevalier. Le Marquis excite la curiosité de son compagnon en déclarant : « Crois que ce campagnard nous divertira fort. » (v. 4). Les personnages observateurs, de bon sens, font jaillir les ridicules des hobereaux. Ainsi, le Suisse fait ressortir le tempérament agressif du Beauceron, qui approuve avec insistance l’ardeur brutale du portier, tandis que l’abbé la Roche, lorsqu’il se présente au gentilhomme et qu’il lui donne la boîte, met en évidence sa méfiance et sa cupidité.
L’édition originale du Gentilhomme de Beauce fut exécutée en 1670 par Jean Ribou. Il s’agit d’un format in 12°. En voici la description :
[I] : LE / GENTIL-HOMME / DE BEAUCE, / COMEDIE. / Par A.I MONTFLEURY. / (Vignette) / A PARIS, / Chez JEAN RIBOU, au Palais, vis-à-vis la porte de / l’Eglise de la Sainte Chapelle, à l’Image S. Loüis. / filet / M. DC. LXX. / Avec Privilège du Roy.
[II] : verso blanc.
[III-X] : épître dédicatoire.
[XI] : extrait du Privilège du Roy.
[XII] : liste des acteurs.
– 98 pages : le texte de la pièce, précédé d’un rappel du titre en haut de la première page (en dessous d’un bandeau).
Nous avons consulté les trois exemplaires de l’édition originale. Il y a un exemplaire conservé à la Réserve de la Bibliothèque Nationale de France (RES P-YF-445(2)), il est relié avec La Femme juge et partie et La Fille capitaine ; un exemplaire au département des Arts du Spectacle de la BNF (site Richelieu : Rf 6550, t. II), il fait partie d’un recueil factice publié en 1676 ; et un exemplaire séparé à la Bibliothèque de l’Arsenal (GD 11087). L’exemplaire de l’Arsenal présente des erreurs de pagination aux p. 3, 55, 60 et 77 et celui de la Réserve de la BNF, aux p. 16, 56, 77 et 97, tandis que la pagination est correcte dans celui du département des Arts du Spectacle de la BNF. Par ailleurs, seul ce dernier exemplaire présente la coquille os (v. 518) au lieu de los et c’est uniquement dans celui-ci que après figure avec un accent aigu dans la didascalie de la p. 98. Enfin, ce n’est que dans l’exemplaire de l’Arsenal que le v. 1649 s’achève par un point virgule et que flâme (v. 1653) porte un accent circonflexe.
Une édition pirate du Gentilhomme de Beauce fut publiée en 1670 à Amsterdam par Abraham Wolfgang, « suivant la copie imprimée à Paris ». Le texte fut ensuite édité à plusieurs reprises, dans des recueils regroupant les œuvres de Montfleury : en 1698 (t. I), 1705 (t. II), 1735 (t. I), 1739 (t. II), 1775 (t. II) et 1776 (t. II). Seule l’édition de 1739 par la Compagnie des libraires, Théâtre de messieurs de Montfleury, père et fils, comprend l’intégralité de ses pièces de théâtre.
Le texte de référence comporte de nombreuses coquilles et erreurs ; visiblement, Montfleury ne s’est pas soucié de revoir son texte, une fois imprimé. Le ſ a été modernisé en s et le u en v dans yure (v. 998) et dans Uous (v. 1433). Les accents diacritiques sur le a et le ou ont été restitués ou ôtés en fonction de la nature grammaticale du terme. La ponctuation a été respectée sauf lorsqu’elle gêne la compréhension du texte ou qu’elle résulte de coquilles manifestes. Les retraits ont été rétablis aux v. 51, 199, 320 et 345 et supprimés aux v. 529, 530, 535, 685, 693 et 866. L’alinéa du v. 1545 a été reproduit.
On constate beaucoup d’erreurs dans les cahiers I, L et P. Nous avons corrigé à en a aux v. 193, 207, 431, 448, 716, 888, 1078, 1136, 1196, 1536, 1544 et 1545 ; a en à aux v. 731, 1022, 1035 et 1101 ; ou en où aux v. 221, 355, 526, 592, 736, 811, 1047, 1209, 1227, 1239, 1351 et 1439. D’autre part, nous avons restitué la lettre h dans l’interjection A aux v. 770, 992, 1124 et 1312.
Épître : accomplies, la, d’étruise, vacabond, &.
Privilège : fournies.
Acte I : autre (43), nom (77), j’aseront (90), dit (90), voyez vous (125), la (138), dont (141), coste (160), s’emblent (173), de poir (177), peu (191), de sur (218), tingerer (236), Devort (241), la (249), si (249), ny (250), fosters (348), la (356), tour à-tour (367).
Acte II : vous (373), la haut (386), vou (390), quelle (465), mameine (468), ils (482), par ty (484), ny (494), dentendre (503), tour (518), os (518), peut (525), décaheter (529), sciter (539), la (540), CLIMNNE (nom du personnage, p. 32), ser vir (585), an (600), rotiseur (606), ma (672), a-t-on (677), autres (680), un (683), perde (712), ny (719), la (732).
Acte III : laisser (740), jy (747), qu’elque (754), non (756), j’usqu’(762), non (763), roolie cy (772), grande reverence (didascalie p. 47), finisons (779), sï (782), pieds de-veau (800), de sur (807), comemer (832), s’en (835), déquité (842), bien-faisa (852), on (884), gi (886), Ces (893), cours (895), nompareille (901), l’ardez (904), jaurois (921), permettre (969), qu’elle (973), s’en (975), de hors (1018), la (1027), Viviez (1032), de sur (1034).
Acte IV : ma (1040), coup de bastons (1046), ma (1046), CASCON (nom du personnage, p. 64 et p. 66), altercations (1058), ne (1066), deux (1070), juges (1073), aux (1075), fous (1080), dont (1085), qu’elle (1090), largent (1122), la (1128), de sur (1189), aveu (1211), de voir (1238), sçauriez (1240), vas (1246), taisonner (1293), que (1313), jettois (1319).
Acte V : ma (1334), las (1336), là (1357), s’en (1368), méchaufer (1389), Es (1391), voyrons (1392), fons (1418), toutes (1424), mébranler (1430), au (1438), donc (1467), ma (1498), de fous (1510), De terrer (1516), trosor (1529), en (1544), deux (1544), ose (1551), saille (1590), despoir (1608), ma (1652), la (1656).
Les éditions ultérieures du Gentilhomme de Beauce permettent de rectifier certaines fautes qui font obstacle à la compréhension du texte.
Épître : luy (p. 2, l. 9).
Acte I : t’(53), nos (95), nostre (103), te (140), le (170).
Acte II : ecrire mon païs (668).
Acte III : le (1032).
Acte IV : Le (1054), dans (1225), le (1226).
Acte V : la (1408), Et (1428), nostre (1447), Et (1601).
Nous avons corrigé la ponctuation suivante :
Acte I : vous, (143), Espoux, (144), aymez ; (157), parfumezØ (158), costesØ (160), modelles. (163), puissance : (196), m’envoye. (259), feux. (302), experience. (323).
Acte II : Non, pas (445), moy. (453), pourquoy ? (723).
Acte III : entreØ (755), réponde. (782), vie. (793), cela : (807), distribuoit : (811), approcherent ; (813), pencherØ (814), bien-faisantØ (852), retourØ (881), entretien ; (915), decide. (961), pensez, (976), reviendreØ (987), Medeçain. (987), sortit ? (1026), Feste. (1033).
Acte IV : candeurØ (1052), miens, (1070), presse; (1070), content. (1086), s’entendØ (1090), rien. (1092), pasØ (1093), dire. (1093), despit. (1112), six. (1112), friponsØ (1116), revenuØ (1118), m’inquieter. (1124), nousØ (1238).
Acte V : gré. (1384), yeux ; (1385), vous je pense, (1393), confidence, (1394), rien ; (1395), race : (1414), surprit, (1415), lotterie. (1470), aposté. (1479), Paris ; (1519), chimere : (1525), personne ; (1529), vie ; (1534), soinsØ (1549), parler ; (1552), voirØ (1554), il faut ! helasØ (1606), fin. (1639), galantes ; (1650), consanguinité, (1651).
Les v. 132, 365, 688, 732, 895, 1045, 1225, 1226, 1256 et 1372 ne comportent que onze syllabes. Par conséquent, nous avons ajouté le terme manquant comme le font les éditions tardives du texte : de (132), ce (365), moy (688), je (732), gant (895), me (1045), de (1226), le (1256), le préfixe re- (1372). Le v. 644 compte une syllabe de trop, c’est pourquoi le second met a été supprimé. Enfin, toujours pour respecter la prosodie, une boëtte (v. 822) a été remplacé par ma boëtte, la correction du verbe Viviez (v. 1032) a nécessité l’ajout de Toy…, et tout autre (v. 1225) a été remplacé par tous autres.
Nous avons corrigé les fautes dans la distribution des répliques et la numérotation des scènes ainsi que les erreurs figurant au début des scènes, dans la liste des personnages. Les v. 200-203 sont attribués à Climenne alors que le sens exige qu’ils soient dits par le Beauceron. Le v. 433 est isolé alors qu’il fait partie de la réplique prononcée par le Beauceron aux v. 428-432. La même erreur se produit aux v. 1015-1016, dans une réplique du Basque. À l’acte III, une scène seconde et une scène II se suivent, ce qui décale la numérotation : aussi l’acte comporte-t-il dix scènes au lieu de neuf. Dans la scène numérotée de façon erronée scène II, Champagne figure dans la liste des personnages présents alors qu’il n’arrive qu’à la scène suivante. En revanche, dans celle-ci, seul Champagne paraît dans la liste des personnages, bien que le gentilhomme n’ait pas quitté la scène. Enfin, dans la scène 8 de l’acte I, la liste des personnages présents fait défaut.
MESSEIGNEURS,
Ne Vous estonnez pas de l’hommage que le Gentil-homme de BeauceBeauce : « Nom propre d’une Province de France qui est entre Paris et Orléans » (F.).Gentilhomme de Beauce qui eut lieu à Versailles le 6 septembre 1670, en présence du roi et du duc de Buckingham.Rentrer en soi-même : « Faire réflexion sur soi-même » (A, 1884).& pour que la syntaxe de la phrase soit correcte : « biens-faits » est en effet le sujet de « ont acquis ».
DE VOS ALTESSES SERENISSIMES,
MESSEIGNEURS,
Le tres-humble & tres obeissant serviteur.
MONT-FLEURY.
Par Grace & Privilege du Roy, donné à Paris le 7. jour de Septembre 1670. Signé par le Roy en son Conseil, le Rouge : Il est permis au Sieur Mont-Fleury de faire imprimer, vendre & debiter une Piece de Theatre intitulée, Le Gentil-homme de Beauce, fait par ledit sieur de Mont-Fleury ; Et ce durant le temps de cinq ans, à commencer du jour qu’il fera achevé d’imprimer pour la premiere fois : Et deffenses sont faites à tous Libraires & Imprimeurs, d’imprimer, faire imprimer, vendre & debiter ladite Piece, sans le consentement de l’exposant, ou de ceux qui auront droit de luy, à peine de cinq cens livres d’amende, confiscation des Exemplaires contrefaits, & de tous despens*, dommages & interests, ainsi qu’il est porté plus au long par ledit Privilege.
Et ledit sieur de Mont-Fleury a cedé son droit de Privilege à Anne David Femme de Jean Ribou, suivant l’accord fait entr’eux.
Registré sur le Livre de la Communauté, suivant l’Arrest de la Cour de Parlement, le 18. Septembre 1670.
Signé, L. SEVESTRE, Syndic.
Les Exemplaires ont esté fournis.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 18. jour de Septembre 1670.
Comprendre : Pardi, la belle demande, / Je vais si bien garder votre porte, / Que mon maître sera bien content.
Montfleury joue sur le sens à double entente de l’expression « mon Maistre » (v. 486), qui désigne aussi bien le Beauceron, maître du Suisse, que Léandre, maître du Basque.
Les vers du Suisse sont traduits par le Beauceron qui en souligne le caractère comique (v. 990-991). Comprendre : Pas du tout, elle (l’âme) lui revient, un Monsieur Médecin / M’a dit que ce n’était rien, qu’elle ne mourra que demain.
Jeu de mots sur le verbe rendre, interprété au sens propre par le Suisse, comme le suggère le vers 987, alors qu’il est utilisé au sens figuré dans l’expression « rendre l’ame » (v. 986).
Comprendre : Sur vous (c’est-à-dire « je le jure sur votre tête ») pardi qu’il n’entrera / Personne d’autre que mon maître ou bien moi…
La déclaration du Basque est de nouveau à double entente : « mon Maistre » (v. 1011) désigne Léandre, alors que le Beauceron comprend qu’il s’agit de lui-même. Néanmoins, l’ironie de sa promesse se retourne contre lui car il pensait ne laisser pénétrer que son véritable maître, Léandre, or, son ivresse l’ayant éloigné momentanément de la porte qu’il était chargé de surveiller, il laisse aussi entrer le Beauceron et compromet ainsi le stratagème de ses acolytes.