Fils d’un célèbre acteur, le théâtre lui plut. Pour l’enrichir de comiques peintures, Il quitta tout, et parvint à son but, En offrant, sous des couleurs sûres, De ressemblances miniatures Des ridicules de son temps. Ce Montfleury, dès la fleur de ses ans, Aurait été, s’il avait voulu l’être, Savant jurisconsulte, éloquent orateur, Habile négociateur, Intègre magistrat, comme il le fit connaître ; Mais aux richesses, aux honneurs, Il préféra, pour demeurer son maître, L’honneur, peu fructueux, de crayonner nos mœurs Poème anonyme contenu dans .Chef-d’œuvre de Montfleury, Petite Bibliothèque des théâtres, Bélin & Brunet, Paris, 1787, p. 11. C’est la première occurrence que nous ayons trouvé pour ce texte.
Même si la postérité a occulté la plupart des auteurs dramatiques comiques du dix-septième siècle au profit du seul grand Molière, il faut noter qu’un certain nombre d’entre eux, pourtant jugés médiocres par la majorité des critiques des siècles suivants, ont remporté parfois de vifs succès auprès de leurs contemporains. Montfleury-fils fait notamment partie de ces auteurs oubliés, et dénigrés, alors que ses comédies ont, dans l’ensemble, séduit le public du siècle classique. En effet, paradoxalement considéré comme le plus grand rivalÉdition critique de Le Mary sans Femme d’Antoine Jacob de Montfleury, University of Exeter, 1985. p VI
Certains lui reconnaissent pourtant un atout ; celui de montrer à quel point Jean-Baptiste Poquelin était supérieur à ses contemporains. En disant cela, la plupart de ces critiques cherchent à faire de lui un autre Molière, alors même qu’il a tenté par ses pièces de se démarquer de cette forme de comédie du dix-septième siècle, imprégnée du sceau de l’auteur du « Avec toutes ces infériorités il est encore un de ces auteurs comiques qui se rapprochent le plus du maître. » Godefroy, F., Misanthrope. On compare leurs pièces, leurs styles, leurs succès en oubliant l’indépendance des auteurs, leurs personnalités propresHistoire de la littérature française au XVII e siècle, Paris, Gaume & Cie, 1877, p. 359.
Fils du célèbre acteur de l’Hôtel de Bourgogne, Zacharie Jacob, sa carrière théâtrale fut d’autant plus facilitée par son attachement à cette troupe. Toutefois le pseudonyme qu’il partage avec son père a entraîné un certain nombre de confusion, allant jusqu’à attribuer à Montfleury-père des pièces écrites par Montfleury-fils. De manière plus anecdotique des propos tenus par Cyrano de Bergerac à l’encontre de Zacharie « A cause que ce gros coquin est si gros qu’on ne peut le bâtonner en un jour, il fait le fier ! »
Né à Paris en 1639 On le fait parfois naître en 1640, mais Walter Rohr, p. 23 de Leben und dramatische Werke des älteren und des jüngeren Montfleury, Leipzig, Druck von Grimme & Trömel, 1911, fait remarquer qu’il est noté dans un acte de baptême : « Le 22 septembre 1639 (fut baptisé) Antoine Jacob, fils de Zacharie Jacob, Comédien du Roy, et de Jeanne de La Chappe, sa femme. »Le Mariage de Rien, qu’il signe de son nom de famille. L’année suivante il présente une autre comédie, cette fois en cinq actes, Les Bêtes raisonnables et se lance ainsi totalement dans l’écriture comique.
Devenu certainement le plus grand concurrent de Molière, il devient également l’un de ses plus grands ennemis lorsqu’est joué Dorénavant nous n’emploierons le nom de Montfleury que pour désigner Antoine Jacob. Lorsque nous voudrons parler de Zacharie Jacob nous mentionnerons Montfleury-père.L’Impromptu de Versailles en 1663, pièce où il est ouvertement fait une critique virulente des talents d’acteur de Zacharie Jacob. MontfleuryL’Impromptu de l’Hôtel de Condé, pièce dans laquelle il ridiculise Molière. Dès lors s’installe une véritable rivalité entre les deux auteurs, d’autant que ceux-ci n’avaient rien à s’envier du point de vue de la réussite.
En effet, en 1669, année où la troisième version du « La comédie de Tartuffe est enfin autorisée, La Femme juge et partie remporte un vif succès, même si certains relativisent celui-ci en l’attribuant non pas tant au mérite de la pièce qu’au fait que le public ait reconnu l’histoire d’un comte qui avait vendu sa femme à un pirateLa Femme juge et partie eut un succès prodigieux non pas tant à cause de son mérite que parce qu’on crut y reconnaître l’histoire du Comte de *** qui avait vendu sa femme à un corsaire. » Anonyme, Histoire du théâtre français, Paris, 1746, t. 9.
La plupart des sujets traités à la scène par Montfleury sont, du reste, des anecdotes de son temps ou bien des emprunts faits à de grands auteurs dramatiques espagnols – dont il connaissait parfaitement la langue – comme il le dit lui-même dans l’avis au lecteur qui précède sa tragédie mêlée d’intermèdes comiques Écrite en 1673.L’Ambigu Comique, ou les amours de Didon et ÉnéeL’École des Filles ainsi que dans Crispin Gentilhomme, dont le sujet, selon les frères Parfaict paraît « être pris de quelque Historiette Espagnole ».
Sa carrière théâtrale se déroule de 1660 à 1678, années pendant lesquelles il écrit quinze comédies Gabriel Conesa, dans Walter Rohr fait référence – oLa Comédie de l’âge classique (1630-1715), Paris, Seuil, 1995, p. 196, parle de Montfleury comme étant l’auteur de vingt-deux comédies, or nous n’avons trouvé recensées, et nommées, que 17 pièces.Trasibule en 1663, et la tragédie mêlée d’intermèdes comiques que nous venons de citer précédemment ; mais durant cette période il ne monta jamais lui-même sur scène. Il se cantonne à son rôle d’auteur et ainsi n’interprétera jamais les héros de ses piècesp. cit., p. 26 – à un passage de Victor Fournel pour appuyer ce point : « L’absence du nom de Montfleury dans la liste des acteurs vivants de l’Hôtel de Bourgogne et des autres théâtres, donnée par Chappuzeau en 1674, et dans toutes celles contemporaines ou postérieures, est déjà une raison sans réplique. Plus loin Chappuzeau marque le nom de Montfleury parmi ceux des acteurs « qui ne sont plus » et il veut parler du père qui était mort en 1667, mais nulle part il n’est question du fils dans son livre. Une fois Zacharie Jacob passé de vie à trépas, le nom de Montfleury disparaît des catalogues d’acteurs. » (Fournel, Les Contemporains de Molière, t. I, p. 213-214). Wilma Deierkauf-Holsboer semble être la seule à penser que père et fils sont tous deux montés sur les planches.
Comme la majeure partie de ses confrères, Montfleury se prêta une fois au jeu de la coécriture et créa ainsi en collaboration avec Thomas Corneille Le Comédien Poète, comédie en cinq actes qui remporta visiblement un important succès puisqu’elle a été reprise plusieurs fois sur scène.
L’échec de En 1677. En 1678.Trigaudin ou Martin Braillart en 1674 marque le déclin de sa carrière. Ainsi entre 1674 et 1677, il ne produit rien. Il fait cependant un bref retour avec Crispin GentilhommeLa Dame médecin
Colbert lui confia alors certaines charges qui lui offrirent plus d’argent et de renommée que ne lui en conféra le théâtre, si bien qu’il mourut le 11 octobre 1685 sans avoir renoué avec sa première passion.
Montfleury a été oublié pendant des siècles ; seuls ses grands succès peuvent être consultés, de nos jours, en bibliothèque.
Dès ses premières pièces notre auteur semble avoir été décrié pour son style jugé grossier. Ainsi tous les commentateurs de Boileau ont vu une allusion à Montfleury dans ces quelques vers :
J’aime sur le théâtre un agréable auteur Qui sans se diffamer aux yeux du spectateur, Plaît par la raison seule, et jamais ne la choque ; Mais, pour un faux plaisant, à grossière équivoque, Qui pour me divertir n’a que la saleté, Qu’il s’en aille, s’il veut, sur deux tréteaux monté, Amusant le Pont-Neuf de ses sornettes fades, Aux laquais assemblés jouer ses mascarades .
Art Poétiquede Boileauprécédé d’une Notice littéraire et accompagné de notes par F. Brunetière, Paris, Hachette & Cie, 1907, Chant III, vers 421 à 428, note 6 « parcourez à volonté le théâtre de Scarron, de Poisson, ou de Montfleury. »
La plupart des ouvrages qui évoquent, en général succinctement, le dramaturge ne retient de lui qu’un style grossier. Or à la lecture de ses pièces rien ne nous permet de le juger comme tel. En effet, nous y avons retrouvé le même vocabulaire que les autres dramaturges employaient, les mêmes sortes de personnages, les mêmes décors… sans que ceux-ci ne soient décriés. Les situations mises en scènes peuvent être parfois considérées comme à la limite de la bienséance, mais cela ne justifie en rien de telles critiques, si virulentes à l’égard de cet auteur.
Les théories littéraires du dix-septième siècle déprisaient la comédie au profit de la tragédie ; or notre dramaturge s’est illustré dans la comédie et il semblerait que ce soit ce point qui est entraîné cette dépréciation à son égard.
De siècle en siècle les critiques lui ont reproché la bassesse de son style ; tel un leitmotiv ce point est évoqué dans une majorité d’ouvrage, sans jamais être démontré.
Il existe peu de critique positive à son égard ; celle qui se trouve en exergue de cet ouvrage est la seule que nous ayons trouvé.
Sur les dix-sept pièces qu’a écrites Montfleury, la plus célèbre est certainement Jules Adenis créa, en 1887, un opéra comique en deux actes d’après la pièce de Montfleury. Ce qui peut être expliqué par le peu de recette qu’elle fit puisque au plus fort des représentations elle ne rapporta que 1128 livres. Forman, E., oLa Femme juge et partie. Elle remporta un très grand succès, fut rejouée plusieurs fois et même remaniée au dix-neuvième siècleTrigaudin ou Martin Braillart a, comparativement, été un véritable échec. Le registre de l’acteur de La Grange montre qu’elle n’a été jouée que neuf fois, du vendredi 26 janvier au vendredi 16 février 1674 au théâtre Guénégaud et n’a jamais été reprise par la suitep. cit., p. XI.
En revanche pour l’intrigue de cette pièce, il puisa librement son inspiration dans une Nouvelle publiée dans Donneau de Visé, Le Mercure Galant, dirigé par Donneau de Visé, sous le titre La Femme aux deux MarisLe Mercure Galant, Paris, 1673, t. IV.
On ne sait trop s’il s’agit d’un fait divers comme on a pu le lire Lancaster note, dans « Indessen meine Ich, daβ die Geschichte ein Phantasieprodukt ist, da in den folgenden Bänden des Mercure Galant von der Affäre nicht mehr die Rede ist. » oFrench Dramatic Literature in the Seventeenth Century, Gordian Presse, 1940, puis 1966, part IV 1673-1700, vol. I, que « d’après les frères Parfaict, la pièce serait tiré d’un fait divers publié dans le Mercure Galant de Visé, de 1672, sous le titre la Femme aux deux Maris. »p. cit., p. 116.
Il existe certaines dissemblances entre l’œuvre du dramaturge et celle de Donneau de Visé. En plusieurs points la comédie se détache de la Nouvelle, les personnages ne sont pas tous animés des mêmes motivations, et surtout l’intrigue aboutit à une fin différente.
Ce n’est donc pas la simple mise en scène d’un texte mais bien une création à part entière.
Les deux personnages, dont s’est inspiré notre auteur, véhiculent beaucoup plus de méchanceté et de cupidité que ne le font les héros de la pièce.
En effet
Licaste et Lucinde ayant crû se tromper l’un l’autre en se mariant, se tromperent tous deux ; car Licaste croyoit que Lucinde avoit beaucoup de bien, et Lucinde estoit persuadée que Licaste estoit fort riche. Cependant ils estoient tous deux gueux. Mais ils avoient en récompense un esprit d’intrigue, qui les empescha de se deseperer lors qu’ils se furent apperçeus qu’ils s’estoient trompez. Comme l’amour n’avoit pas fait leur Mariage, & qu’ils ne cherchoient que du bien, ils resolurent de mettre toutes choses en usage pour en avoir, & de passer par dessus tous les scrupules qui auroient arresté des Gens moins interressez
(…).
La Femme aux deux Maris, p. 127 à 165.
Or le moyen que Licaste trouva pour gagner de l’argent fut de marier sa femme à un homme riche.
Il jeta son dévolu sur Robinval, un Gentilhomme de Campagne, « parce qu’il avoit beaucoup de bien, & qu’il se trouva d’humeur à donner dans les panneaux qu’il fit dessein de lui tendre. » Dès lors commence une véritable approche et mise en condition de l’homme à duper : « Licaste (…) luy dit plusieurs fois, mais dans des temps differens & sans trop appuyer sa proposition, qu’il devoit se marier. (…) [Robinval] fit plus, il pria Licaste de luy chercher une Femme, & luy dit qu’il n’en vouloit prendre une que de sa main. » Le trompeur transforme alors sa femme en veuve, la fait appeler Luciane, l’installe dans un quartier où personne ne saura qu’elle est son épouse et commence à parler d’elle à son ami Robinval. Celui-ci, dont l’intérêt est aiguisé par les descriptions faites par Licaste, n’a de cesse de la rencontrer. Après nombre de faux empêchements « Il luy dit que Luciane estoit encore sortie avec son Oncle, pour solliciter le Procez qui devoit estre jugé ce jour là ; mais qu’il luy avoit pris son Portrait, afin qu’il la put du moins voir en peinture. Robinval admira ce Portrait (…) » ; les futurs époux se rencontrèrent, et l’union se conclut très rapidement.
Pour fêter ce mariage tous trois partent sur les terres du gentilhomme, mais là
dès qu’ils furent arrivez, Luciane se mit au Lit par le conseil de son premier Mary. Il luy dit qu’elle devoit dire qu’elle estoit indisposée, à cause de la fatigue du voyage & du changement d’air (…). Robinval prit alors soin de sa nouvelle épouse, et celle-ci paroissant de plus en plus charmée de son dernier Mary, il goustoit son bonheur avec joye, lors que peu à peu il devint en langueur. Luciane s’en estant aperçeüe, redoubla ses caresses. Elle luy fit prendre beaucoup de remedes, qui ne retablirent point ses forces. (…) Ce pauvre Homme sentant tous les jours diminuer ses forces, & voyant la douleur de sa Femme, qu’il croyoit inconsolable, n’oublia pas de faire toutes les choses qui pouvoient accomoder ses affaires, quoy que dans son Contract de mariage il eut déjà beaucoup fait pour elle. Il se souvint aussi de Licaste, & mourut apres avoir fait un Testament, où ce Mary de sa Femme eut bonne part ; de maniere qu’ils eurent tous deux presques tout le bien de ce pauvre Homme, qui mourut sans avoir le déplaisir d’apprendre le tour qu’on luy avoit joüé.
Mais leur victoire est de courte durée puisque Licaste et Lucinde sont reconnus comme mari et femme par un marchand, si bien qu’« un parent de feu Monsieur Robinval comprend la supercherie, fait fermer le Château et les fait mettre en prison. »
Notre pièce met, elle, en scène un bourgeois parisien cupide ; veuf, il a eu de son mariage deux fils qui habitent à Orléans. Lors d’un séjour dans cette ville, il rencontre une jeune femme, Lucie, qui le pousse à l’épouser en prétextant que son frère veut la marier à quelqu’un qu’elle ne connaît pas. Pour que ses enfants ne réclament pas l’héritage de leur mère, Trigaudin, c’est le nom de notre héros, l’épouse en secret en soudoyant le prêtre.
Rentré seul à Paris, il dîne avec son meilleur ami Géronte, veuf lui aussi. Au cours du repas Trigaudin fait tomber un portrait de sa jeune épouse. Plutôt que de dévoiler que la personne représentée est sa femme Lucie, il fait passer celle-ci pour sa cousine. Si bien que Géronte tombe amoureux de l’image et décide de doter la jeune femme de cent mille francs afin de pouvoir l’épouser.
Appâté par l’argent, Trigaudin ne dément rien et décide de marier sa propre femme à son ami, puis d’empoisonner celui-ci sitôt l’union faite. En remerciement, Géronte lui promet en mariage sa nièce Julie, ce qui entraînera la colère de Valère, l’amant de celle-ci.
Mise au courant par son époux, Lucie refuse tout d’abord de participer à ce dessein, puis pour lui prouver son amour elle feint d’accepter ses conditions. Mais aidée par le valet L’Industrie elle imagine un stratagème pour le tenir en échec et met au courant Géronte du vil projet de son mari. Celui-ci accepte alors de participer au plan de Lucie plutôt que de dénoncer Trigaudin aux autorités.
Dès lors de trompeur, Trigaudin devient le trompé ! Tous vont tenter de le mettre en échec. Pour ce faire, les valets La Rivière et La Forêt se déguisent, l’un en frère de Lucie, l’autre en avocat nommé Martin Braillart qui joue le rôle du prétendant choisi par le frère pour la sœur.
Toujours motivé par l’argent, Trigaudin s’enferme dans son plan et continue à cacher son mariage tout en cherchant à accélérer celui de Lucie et Géronte, en même tant qu’il essaie de dissuader maître Braillart d’épouser sa « cousine ».
On lui fait alors croire que le frère a précipité le mariage de sa sœur, et que le seul moyen pour elle de s’en sortir est d’avouer son union avec Trigaudin. Ce n’est que lorsqu’on vient lui demander confirmation qu’il avoue son stratagème, puis tous lui révèlent que, malgré les apparences, c’est lui qui a été trompé.
La pièce se termine par la promesse d’un mariage entre Valère et Julie, et sur un jeu de mot à propos de la poudre. Trigaudin est pardonné et est même invité aux réjouissances. Lucie a, elle, enfin obtenu que son mariage soit dévoilé au grand jour.
Chez Montfleury il n’y a ni meurtre ni véritable escroquerie, comme c’est le cas chez Donneau de Visé. Même si ici il est clairement dit que Trigaudin veut empoisonner son ami pour récupérer son argent Alors que dans la Nouvelle l’idée de poison n’est présente qu’implicitement, par quelques petits sous-entendus çà et là.
Comédie classique régulière, c’est-à-dire composée de cinq actes écrits en alexandrins, « Dans Trigaudin ou Martin Braillart ne dérange pas par sa forme. La règle de temps est respectée puisque tout se déroule sur une journée, grâce à l’acte d’exposition qui joue parfaitement son rôle ; l’unité de lieu est à peine transgressée car les deux maisons où se déroule l’action sont situées dans la même rue. Rien de très grave somme toute, d’autant que peu d’auteurs dramatiques comiques parvenaient à respecter exactement ces quelques règles, jugées beaucoup plus importantes pour la tragédie. De fait, ce qui pose réellement problème avec cette pièce est le mélange des genres comiques. Nous passons d’un comique bourgeois à une trame de farce, tout en ayant conscience que derrière ces formes se cache une comédie de mœurs. Si bien qu’il est difficile de trouver un terme générique pour qualifier cette comédie. Par le fond du sujet, Trigaudin s’apparente plus à un drame, d’ailleurs le lecteur s’attend à une condamnation du hérosTrigaudin (…) le spectateur doit s’attendre à voir ce drôle pendu au dénouement, tandis qu’il est simplement puni par un bon tour qu’on lui joue. » Fournel, V., Les Contemporains de Molière, Slatkine reprints, 1967, t. I.
Si la pièce débute sur un sujet de mœurs – Trigaudin veut empoisonner son voisin et ami Géronte pour récupérer l’héritage – elle en perd vite la trame puisque Lucie dévoile le projet de son mari à l’intéressé dès la scène 8 de l’acte 3. Dès lors la toile de fond de Farce anonyme datant de 1464.Trigaudin devient celle, banale, d’une farce. Certes il n’y a pas de coups de bâton, de cavalcades effrénées, de personnages types comme il était habituel d’en voir dans le jeu italien. Mais il n’en reste pas moins que nous assistons à un phénomène de renversement ; de trompeur Trigaudin devient trompé, comme le héros de La Farce de Maître Pathelin
De plus, Michel Corvin fait reposer la farce sur un schéma qui est tout à fait transposable ici Corvin, M., Lire la Comédie, Paris, Dunod, 1994, p. 50.
Les personnages contribuent eux aussi à renforcer « l’intrusion » de ce genre dans une pièce qui est pourtant qualifiée de comédie.
Même si tous les personnages typiques de la farce - comme le docteur, le charlatan, le valet stupide, ou bien encore la femme acariâtre - ne sont pas véritablement représentés ici, on rencontre dans cette pièce le valet rusé, le mari cocufié, le vieillard facile à berner, personnages déjà présents dans cette forme théâtrale sans être ces personnages fouillés, caricaturés qu’ils vont devenir par la suite.
De plus, le rire que nos protagonistes entraînent, comme celui de la farce, « ne prétend ni instruire ni corriger, ni même pousser le spectateur à prendre parti pour un personnage contre un autre Couprie, A., Le Théâtre (texte, dramaturgie, histoire), Paris, Nathan, 1995, p. 64.
Il faut noter cependant qu’au dix-septième siècle la farce est un genre qui se transforme, et qu’« un effort sensible de réalisme de la part des auteurs mène à l’introduction de traits de mœurs pris à la vie et à la société contemporaines Canova, M.-C., On ne commencera vraiment à parler de « comédie de mœurs », en tant que tel, qu’à partir de Regnard (1655-1709).La Comédie, Paris, Hachette, 1993, p. 36.
Farce qui devient « petite comédie Canova, M.-C., o Op. cit., p. 36.p. cit., p. 37.
Montfleury, même s’il ne s’attache pas beaucoup à la psychologie de ses personnages, s’intéresse malgré tout au personnel dramatique usuel dans la comédie ; mais plutôt que de créer de véritables portraits il fait des esquisses. Nous apercevons, à travers les personnages de la pièce, le jeune homme « à la mode » Valère. Trigaudin. Lucie. Géronte.
Mais l’auteur ne fait qu’effleurer la psychologie et le fonctionnement de ses héros ; aucun de ceux-ci ne devient véritablement central. Le dramaturge paraît plus s’atteler ici à décrire une société – celle de la bourgeoisie cupide et arrogante – qu’à fouiller les particularités de ses acteurs.
Comme le dit Alain Couprie à propos de la comédie de mœurs, Montfleury semble également substituer
à l’universalité (…) l’individualisation des types, et aux « caractères », plus ou moins intemporels des personnages issus de l’actualité – au risque de soumettre la progression dramatique à la vérité de la peinture
. Couprie, A., o
p. cit., p. 75.
Nous n’apprenons que peu de choses sur Lucie, nous ne savons pas quelles sont ses motivations, ni si elle aime véritablement son mari ; les jeunes gens amoureux – personnages stéréotypés de la majorité des comédies – sont particulièrement mis de côté. Finalement ceux que le lecteur connaît le mieux sont ceux qui sont ridiculisés du début à la fin, c’est-à-dire Géronte et Trigaudin. La peinture que nous aurions attendue n’a été qu’une ébauche de tableau, peut-être au profit d’un autre art : le théâtre.
Découvrant que son maître est animé par de vils projets, le valet L’Industrie se propose de fomenter un plan qui mettra celui-ci en échec. En effet, devant la perplexité de Lucie, à la scène 9 du second acte , qui ne sait « que résoudre » car elle « craint son humeur violente » Vers 705. Vers 706 et 707.
Nous avons une nouvelle fois, quelques vers plus loin, la confirmation que c’est effectivement lui qui échafaude le plan, puisqu’au vers 710 Lucie demande « ce que tu proposes / Pourra-t-il… », mais nous ne savons toutefois toujours pas sous quelle forme celui-ci va se dérouler. Dès lors spectateurs et lecteurs sont en situation d’attente et le suspens apparaît pour un court instant.
À la scène 9 de l’acte 3, Géronte, caché, découvre le dessein de son ami Trigaudin si bien qu’il accepte de prendre part, lui aussi, à la mise en place du tour qui va être joué. Mais une nouvelle fois ce projet n’est pas dévoilé, il est juste évoqué puisqu’à la question du barbon « Quel est ce tour » Vers 1050. Vers 1050.
C’est à la seconde scène de l’acte 4 qu’il nous est enfin fourni quelques indices quant à la réalisation de la farce. Nous apprenons alors qu’il va être question de déguisements et de jeu de rôle. Il y a dès cet instant « surplomb » Pruner, M., L’Analyse du texte de théâtre, Paris, Nathan, 2000, p. 22.
Outre l’effet comique produit sur le plan dramatique même de la pièce, le jeu de rôle qui se met en place permet l’introduction de l’élément théâtral qu’est le déguisement et qui est, dans la comédie, l’un des ressorts majeurs du rire. Nous reviendrons en détail sur ce point lorsque nous étudierons les différentes techniques mises en place par Montfleury pour rendre son sujet comique.
Cette symbolisation de l’activité théâtrale permet surtout l’apparition de personnages plus ou moins grotesques dans leurs rôles. Sans ce stratagème il aurait été difficile d’introduire des personnages aussi burlesques que le sont La Riviere et La Forest. C’est grâce à leur arrivée que Trigaudin s’enfonce, et s’enferme, dans le piège qui lui est tendu ; ils deviennent, en endossant des identités supérieures à leurs qualités, à la fois le prétexte à bon nombre de quiproquos, jeux de mots, satires, et le moyen de faire progresser l’action. L’introduction de ce stratagème a donc également une conséquence du point de vue de la dramaturgie. Son implication n’est donc pas ornementale ; le jeu de rôle et les déguisements qu’il implique sont des éléments à part entière de la trame de cette pièce. C’est même sur ces procédés que repose tout son canevas, du point de vue formel comme thématique.
Cette technique théâtrale a en effet également une incidence au niveau stylistique. Chacun des personnages jouant à partir de ce moment un rôle, une triple énonciation peut ainsi se mettre en place. La réception du message émis par chacun des personnages devient différente de ce qu’elle était au début. Trigaudin, lui, est le seul à recevoir les messages de la même manière qu’au commencement de la pièce. C’est à dire qu’il croit à ce que lui disent Lucie, Géronte et L’Industrie. Mais du point de vue des « trompeurs » et des spectateurs la réception est transformée. Ceux-ci savent, notamment grâce aux apartés, qu’il y a un faux message adressé à Trigaudin et un vrai qui leur est destiné. Par exemple à la scène 4 de l’acte 4 Géronte réplique à son ami qui veut l’inviter à dîner « Je veux prendre demain certain petit Remede, / Et par précaution me coucher sans manger » Vers 1174-1175.
La comédie classique, comme la tragédie, est régie par des règles. L’action de la pièce doit se dérouler sur un jour, tout doit se passer dans le même lieu. Mais plus que tout il faut que la bienséance règne sur scène. Le théâtre se doit de Apprendre, émouvoir et plaire.docere, movere et delectare
Le dramaturge est censé changer les mœurs des spectateurs, c’est du moins ce que pense Molière dans le « Premier placet au Roi » du Tartuffe. Selon lui, il s’agit de « corriger les hommes en les divertissant. »
Au premier abord, Montfleury ne semble pas partager cette conception du théâtre Montfleury est « sans variété dans l’invention et n’a nul souci de la vraisemblance. (…) Ses pièces n’ont de moral que le titre. » C’est du moins ce que pense Godefroy, Selon La Mesnardiere, « [s]i la Fable ne permet pas qu’ils reçoivent à l’heure mesme les punitions qui leur sont deües, il faut qu’ils soient menacez de la Justice divine par quelqu’un des personnages qui exagere et qui deteste leur honteuse difformité. » (op. cit., p. 359.La Poétique, Paris, Antoine de Sommaiville, 1639, p. 224).
Avant d’apprendre ce que trame véritablement son « ami », Géronte promet à Lucie, scène 8 acte 3, de « faire aveuglément ce qu’[elle] exigera de [ses] soins ». Si bien que lorsqu’il sait tout, à la scène 10, il ne peut plus reculer et entre donc dans le stratagème formé par L’Industrie et Lucie. Dès lors, au dénouement, s’il oubliait sa promesse, cela deviendrait aussi invraisemblable car au dix-septième siècle l’honneur, pour les hommes, était sacré et surtout devant une femme.
De plus, toute la progression de la pièce est légitimée soit par un mot, soit par une action. En effet, s’il est une question que nous pouvons nous poser Et que pose Georges Forestier dans son article « Réflexions sur la comédie, de la mort de Molière à la fondation de la Comédie-Française », dans Georges Forestier, Da Molière a Marivaux, actes du colloque international de l’université de Pise, 3-4 novembre 2000, Pisa, Edizioni Plus, 2002, p. 51-62.op. cit.
Montfleury nous dit par le biais de L’Industrie, dans la scène d’exposition, que d’une part les enfants de Trigaudin habitent à Orléans et que s’ils avaient su que leur père se remariait, ils auraient réclamé l’héritage de leur mère, que d’autre part le couple a corrompu un prêtre pour pouvoir se marier secrètement et surtout que
la cousine lui dit qu’elle avoit certain Frere Qui vouloit de sa main luy donner un Epoux, Le tout pour le forcer … Vers 54 à 56.
Si bien que le valet, doutant de la bonne foi de la jeune femme, nous fait douter aussi ; d’autant que « la Cousine plus riche en monnoye, / N’a de fond (…) qu’un fort grand fond de joye Vers 69, 70.
Mais malgré tout il est vrai que le sujet de cette comédie et la manière dont il a été traité restent immoraux « L’indécence du sujet n’est pas le seul défaut de cet ouvrage ; il ne pêche pas moins contre la vraisemblance, que contre nos mœurs. » La Porte, J., Dictionnaire dramatique, Paris, Lacombe, 1776d p. 316-321 (erreur de pagination, il s’agit en fait de la page 317).
La trame même de cette pièce est basée sur la tromperie et le mensonge. Tromperie du point de vue de Lucie, Géronte et leurs complices qui dupent – à juste titre – Trigaudin ; et mensonge de la part de celui-ci qui cache la vérité sur son mariage secret. Absolument tous les personnages dissimulent, à un moment ou à un autre de la pièce, ou leurs pensées véritables, ou leurs actions, ou leurs motivations.
C’est incontestablement une comédie de l’hypocrisie et de l’individualité.
Chacun – ou presque – se bat pour ses propres intérêts. Ainsi Trigaudin ment à Géronte puisqu’il fait passer sa femme pour sa Cousine. Lucie abuse Trigaudin puisqu’elle lui fait croire qu’elle participe à son plan, tout en le trahissant. Géronte feint d’ignorer la tromperie et les valets jouent des rôles de composition.
Même Julie, la jeune fille, ment à son oncle quand, scène 5 acte 1, elle lui fait croire qu’elle n’est pas intéressée par le mariage, alors que c’est le prétendant qui la rebute Nous ne pouvons manquer de faire un rapprochement avec la scène IV de l’Acte II (vers 613 à 632) de L’École des femmes de Molière, dans laquelle il y a le même quiproquo sur l’identité du futur mari.
Tour à tour Montfleury nous fait découvrir les mobiles, les arrière-pensées de ses sujets ; tour à tour il y a de brèves focalisations internes sur chacun des personnages. Mais cela reste insuffisant pour que nous ayons le temps d’orienter notre sympathie vers tel ou tel protagoniste.
Habituellement les personnages attachants des comédies sont les jeunes amoureux, lorsqu’ils font partie du personnel dramatique. Or ici, Julie et Valère participent peu à la progression de la pièce, et tiennent plus un rôle de figurants que de véritables protagonistes. Leur histoire d’amour n’apparaît qu’en filigrane, et visiblement notre auteur n’en fait que peu de cas. Ces héros, d’ordinaire sympathiques, deviennent donc dans cette pièce des « êtres » sans intérêt et sans attrait.
Si bien que la distance esthétique entre spectateurs et comédiens ne peut jamais se réduire. Aucun des acteurs présents sur scène ne permet de se lier à son destin ; on ne peut vraisemblablement s’identifier à aucun des personnages et on ne peut oublier que l’on est au théâtre. C’est certainement là un des plus gros défaut de la pièce.
Cette erreur tient essentiellement au fait que Montfleury a placé son personnage central – Trigaudin – au sein d’une structure criminelle qui, par ce fait même, le rend antipathique. Le spectateur ne peut pas, en toute logique, apprécier ce personnage et ne peut donc pas épouser son point de vue. Les regards – et les espoirs – se tournent alors vers les autres protagonistes, qui par leurs insipidités ou leurs côtés grotesques, ne permettent pas non plus de créer un nouveau personnage central. Il y aurait pu, ou du, y avoir alors l’émergence d’un autre rôle présentant une morale et un comportement en tous points différents de ceux de Trigaudin ; mais en devenant un groupe face à celui-ci, et fonctionnant comme une entité à part entière, les « trompeurs » empêchent la création d’un élément de substitution à cet antihéros.
Si bien que les caractères sensés soutenir la comédie – puisque l’intrigue a été annulée par la révélation faite à Géronte – ne jouent pas le rôle attendu. La pièce n’est alors plus portée que par ses éléments comiques.
Le rire se distingue de plus en plus, au dix-septième siècle, de la comédie. « Comique et comédie ne se recouvrent pas, même s’il n’en reste pas moins vrai que beaucoup de comédie font rire Canova, M.-C., o Gilot, M., et Serroy, J., op. cit., p. 7.p. cit., p. 8.
Montfleury ne déclenche pas chez le spectateur, ou le lecteur, de gros éclats de rire ; son humour fait plutôt sourire, et ce, même s’il lui arrive d’employer les ressorts habituels de la farce et de la comédie.
Au fil des scènes les protagonistes de la pièce se placent dans des positions qui nous font sourire, et même parfois rire. Tout peut débuter par un mot ou par une attitude, sans que notre dramaturge fasse appel aux gros ressorts de la farce ou de la comédie grossière.
Ainsi, à la scène 1 de l’acte 1, l’hésitation du valet L’industrie face à son maître amuse le lecteur. Il ne sait comment il doit nommer la femme de Trigaudin, d’autant que celui-ci ne lui a pas donné d’explication. Si bien que pendant un instant il continue à l’appeler « vostre femme Vers 35 et 37. On retrouve ici un des ressorts favoris de la farce, c’est-à-dire les coups, mais l’effet en est atténué car il ne s’agit que de menaces sans suite. S’il y avait eu effectivement des gifles, elles auraient amené le rire facile, que les théoriciens reprochaient aux genres bas comme le théâtre de foire. Vers 38-39.
Le comique résulte donc d’une carence de vocabulaire ; L’Industrie ignore qu’il doit dire que la nouvelle épouse de Trigaudin est sa cousine.
Toinette, servante de Géronte, ignore, elle, que son interlocuteur, à la scène 2 de l’acte 1, est de la « même famille » que la jeune femme dont est épris son maître. Elle commence donc par critiquer celle qu’elle ne connaît pas : « Et s’il se marioit cent fois, je gagerois / Ma teste, que Monsieur seroit cocu cent fois Vers 163-164. Vers 165. Vers 167. Vers 167. Vers 168. Vers 168.
Cette situation comique résulte donc, elle aussi, de l’ignorance d’un des personnages.
Valère en décidant d’affronter son « rival » – le mari secret de Lucie étant devenu le nouveau prétendant de Julie, par l’entremise de Géronte – va lui aussi entraîner une scène des plus risibles. Feignant d’ignorer la promesse de mariage faite par l’oncle de sa bien-aimée, le jeune homme va ridiculiser le barbon. Il fait ainsi de lui un portrait peu flatteur « un Homme dégoûtant, / Sans naissance, sans bien, mal-fait de sa personne Vers 772-773. Vers 778.
Songez, en Homme sage, A ne plus vous flatter d’un pareil Mariage. Si j’aprens que vos soins l’importunent jamais, Et que vous prétendiez … Vers 777-800.
Trigaudin préfère promettre de tout faire pour éviter ce mariage, plutôt que de relever l’arrogance d’un homme plus jeune que lui. Par ce fait, il devient ridicule.
Ridicule, Géronte l’est également lorsque Montfleury utilise un ressort comique déjà vu dans d’autres pièces. Ainsi à la scène 9 de l’acte 3, Lucie pour lui prouver qu’il est en danger demande au vieil homme de se cacher pour apprendre la vérité de la bouche même de Trigaudin. Nous ne pouvons lire ce passage sans penser à Orgon caché sous la table dans Scène 5, Acte IV.Le Tartuffe de Molière
Le point fort de ce dramaturge réside essentiellement dans sa manière d’appréhender les mots. Certains termes qu’il emploie et sa façon de les mettre en forme parviennent encore plus à atteindre un effet comique. Loin des chutes et des coups de la farce, Montfleury s’amuse avec les expressions et nous amuse par leur utilisation.
Dès les premiers vers de la pièce un parallélisme de construction nous fait largement sourire. En effet, par deux fois Aux vers 5 et 13. Vers 5 et 14.
Ce phénomène de répétitions comiques est également visible à la scène première de l’acte 2 dans laquelle Toinette répond « Et qu’auroit-elle dit ? Elle n’a rien dit Vers 356. Vers 355.
Valère se trouve également au centre du comique de la scène 3 de l’acte 2. En effet, il pose de longues questions à son interlocuteur Géronte et n’obtient des réponses que par « oui » ou par « non ». Pendant plusieurs vers il l’interroge sur Julie, sans obtenir de vrai réponse. C’est la passivité de Géronte qui est risible ici ; il n’a aucune pitié pour le jeune homme et ne développe son point de vue que parce qu’il est impatienté comme le montre le verbe « Ecoutez », vers 482.
De plus, certains termes que Montfleury utilise ont des doubles sens, comme par exemple au vers 135 le mot « bois » qui désigne en réalité les cornes du cocu.
Certaines expressions sont le tremplin pour rendre comique une situation. Ainsi à l’acte 4 scène 7, Trigaudin découvre avec stupeur le soi-disant frère de Lucie. Or La Forest, jouant ce rôle dit à un moment Vers 58.
À l’acte 5 scène 11, Trigaudin se méprend de nouveau sur les termes et se croit découvert. Lorsque Géronte arrive et l’interpelle en lui disant « Ah lâche amy, sans honneur et sans foy ! Vers 1652.
Mais sa réaction hypocrite – feignant l’ignorance il dit « Qu’avez-vous ? » – devient tellement ridicule, et son enfermement dans sa cupidité tellement grotesque, qu’on rit de lui.
L’Industrie, dans une toute autre circonstance, par son attitude et ses mots se rapproche du bouffon quand, scène 7 de l’acte 2, il fait semblant d’obéir à son maître qui lui demande de partir. En effet, malgré la didascalie Vers 640. Vers 655.Il s’éloigne le valet dit en partant « je feins de m’éloigner et reviens sur mes pas », ce qui introduit une relation avec le spectateur typique de la comédie. Et surtout, il ne peut s’empêcher de commenter ce qu’il entend. Nous l’entendons alors dire « Peste !
De même l’innocence avec laquelle il répond à Lucie lorsqu’elle lui demande, scène 9 de l’acte 2, s’il espionnait, ne peut que faire sourire. La simplicité de sa réponse – « d’icy, je venois de m’y mettre » – a plus d’effet cocasse que s’il avait essayé de nier.
Le jeu de rôle mis en place dans cette pièce a introduit, comme nous l’avons vu précédemment, un nouveau ressort théâtral qu’est le déguisement. Il conserve, malgré son importance du point de vue de la dramaturgie, le rôle qui était le sien au dix-septième siècle. En effet, il était tout à fait courant de trouver des héros – hommes ou femmes – qui se transformaient afin de séduire l’être aimé ou parvenir à épouser un amant refusé par un père, et ce surtout dans la comédie . Nous en avons des exemples avec Le Malade imaginaire de Molière ou Agésilan de Colchos de Rotrou…Il était toutefois possible d’en trouver dans les tragédies – où alors sa signification et son rôle dramatique étaient tout autres – mais le déguisement reste essentiellement un véritable procédé comique du genre considéré comme plus bas.
Nous assistons ici à ce que Georges Forestier appelle un déguisement conscient Nous nous sommes appropriés la remarque de Georges Forestier, Op. cit., p. 54.op. cit., p. 58, « L’effet comique sera infiniment supérieur s’il se conduit en valet dans de magnifiques vêtements », et l’avons adaptée à notre pièce.Op. cit., p. 366.
Les valets ne sont pas les seuls dont on se moque. En effet, Trigaudin ne reconnaît pas le valet de Géronte – son ami qu’il connaît depuis Vers 941.dix ansOp. cit., p. 365.
Une telle situation permet ainsi l’utilisation de l’ironie verbale. Notre trompeur dupé feint de connaître le père de monsieur Braillart : « J’estois intime Amy de Monsieur vostre Pere, / C’estoit un Avocat fameux, dont les Ecrits… », acte 5 scène 7, ignorant la véritable identité de son interlocuteur. À quoi La Rivière répond en aparté « Il faisoit des Souliers mieux qu’Homme de Paris, / Tres-fameux ». L’ironie de cette « réplique » étant évidemment facilitée par l’aveuglement de Trigaudin.
D’autre part, le spectateur mis au courant de la situation, et connaissant les véritables personnes qui se cachent derrière des parures, voit Trigaudin s’enfermer dans son erreur et entraîner ainsi complication sur complication, permises par le travestissement. Ce qui est donc également le moteur d’une des parties comiques de la pièce.
Mais son rôle ne se borne pas à ces effets. Il a également une incidence sur la dramaturgie. À partir du moment où les déguisements entrent en jeu, nous assistons à l’arrêt de la progression de l’intrigue pour aboutir – comme nous l’avons déjà vu – à la mise en place d’un simple tour de farce.
D’atout comique, il devient alors obstacle à la progression dramaturgique de la comédie.
Celui qui de toute la pièce est le plus grotesque et le plus ridicule est sans aucun doute Géronte. Le barbon amoureux est par définition un personnage relativement cocasse et destiné à être ridiculisé. Mais ici, Montfleury crée non seulement une sorte de bouffon passionné, mais aussi un imbécile naïf et arrogant, ce qui entraîne bien sûr nombre de situations comiques.
Dans la première scène où Géronte nous est présenté, il apparaît parlant seul à un portrait et vantant les qualités de ce qu’il voit. Il semble perdu dans l’amour qu’il a contracté, rappelons-le, non à la vue de Lucie, mais par l’intermédiaire d’une peinture. Ce n’est pas tant le fait qu’il parle au portrait, ni qu’il soit tombé amoureux d’une image, qui est en soi ridicule – Agésilan de Colchos, dans la tragi-comédie éponyme écrite par Rotrou, s’éprend de Diane de la même manière, à la scène 2 de l’acte 1 – c’est le fait que ce soit un vieillard, et non un jeune homme, qui espère susciter de l’amour chez une jeune femme qui rend la situation risible.
D’autant que son attitude et ses propos deviennent carrément grotesques lorsqu’il rencontre le modèle, à la scène 6 de l’acte 3. Refusant tout d’abord de croire à ce qu’on lui raconte, il répond à son interlocutrice « Si fait, friponne de mon ame ; / Par pitié pour mes jours recevez mieux ma flâme Vers 953-954. Vers 961-962.
Grotesque, il l’est également dans l’arrogance et la superbe qu’il veut se donner. En effet, il se vante non seulement de posséder une fort belle bibliothèque, mais en plus il se permet de toiser Valère et de le traiter d’ignorant. Or par cette simple réplique de la scène 3 de l’acte 2, il montre que Trigaudin a raison et que c’est effectivement un imbécile. Voulant donner une leçon à ce jeune « blondin » il commence à lui parler d’Ovide comme d’un excellent philosophe, de Platon comme d’un grand poète, d’Aristote comme du plus grand historien, et de Plaute comme d’un fabuleux orateur. En tentant de se faire passer pour un érudit, il montre en fait son manque d’instruction, et s’assimile par ce fait plus à la catégorie des marchands qu’à la haute bourgeoisie. Comme Monsieur Jourdain, il essaie de se faire passer pour quelqu’un qu’il n’est pas.
Le valet La Rivière campe lui aussi, scène 8 de l’acte 4, un personnage ridicule par sa fatuité. Il n’utilise en effet pour s’exprimer – comme nous l’avons déjà dit – qu’une succession d’images sans aucun lien avec la situation. Il parle du cheval de Troie Vers 1330.
De même il évoque les tortures infligées par les anciens Vers 1350.
En créant un tel avocat, Montfleury a non seulement pu engendrer un nouvel effet comique, mais il a aussi glisser une satire à l’encontre de ses contemporains.
Contrairement à son très célèbre concurrent, Montfleury ne s’est pas attaché à décrire et critiquer un type, un caractère, comme l’avare. Il a malgré tout glissé certaines piques envers diverses catégories sociales et même contre des institutions.
Sa proie préférée dans cette pièce semble avoir été la justice. Non seulement il crée un faux avocat, ridicule dans sa diction et dans l’amour qu’il feint de porter à Lucie, mais en plus il intègre dans plusieurs passages une critique farouche, voire cynique, de ce métier. Dès la scène d’exposition notre dramaturge ironise sur le fils de Trigaudin, puisqu’il fait dire de celui-ci qui est avocat, « Il est bruyant, actif, aspre au gain, grand hableur, / Fort propre à son Mestier il faut qu’on le confesse Vers 76-77. Vers 647-648.
Montfleury a repris ici l’un des thèmes habituels de la comédie du XVIIe siècle. À la suite de Racine qui, en 1668, créa Les Plaideurs, notre auteur s’amuse à tourner en ridicule cette instance.
En introduisant un faux avocat déguisé – ceci symbolisant par excellence le théâtre – jouant un rôle, et en lui faisant tenir des propos dignes de vrais plaidoyers Par exemple des vers 1588 à 1628. Georges Forestier, Le Théâtre dans le théâtre, op. cit., p. 349. Propos tenus au sujet de la scène du procès dans la pièce Les Plaideurs.
C’est également un moyen pour lui d’apporter plus encore d’élément comique à la pièce. En choisissant de faire du prétendant un avocat, notre auteur renforce l’ironie mise en place à l’encontre de Trigaudin. Si on avait opposé à celui-ci un simple bourgeois, sa réaction aurait eu moins de poids et surtout l’effet aurait été moins cocasse. En effet nous savons depuis le début de la pièce Vers 76- 77
L’institution sacrée qu’est le mariage est également mise ici en question. Le dramaturge crée en effet un personnage pour qui le mariage n’a finalement que peu de valeurs puisqu’il est prêt à remarier sa propre femme. Nous noterons d’ailleurs, à la suite d’Edward Forman Op. cit., introduction.
Nous pensons que la critique implicite faite dans cette œuvre n’est pas due à des intérêts personnels, mais qu’elle est liée au théâtre. En effet en faisant de Trigaudin un protagoniste injurieux des règles sacrées, le dramaturge renforce la fourberie de celui-ci ; il en fait un gredin tout à fait détestable n’ayant aucun respect ni pour l’amitié, ni pour l’amour, ni pour la religion. Par ces traits, il accentue le caractère de ce personnage et tente ainsi de tendre le fil conducteur de toute la pièce : le manque absolu de conscience et de morale chez son héros.
Il insiste également avec lourdeur sur un thème que l’on a souvent reproché à Molière. En effet le cocuage est présent dans toute la pièce, ou plus exactement c’est la menace de celle-ci qui plane sur la trame.
Celui de Géronte est d’ailleurs très clairement évoqué par Toinette à la scène 2 de l’acte 1. Non seulement son maître en a déjà été victime comme elle le laisse entendre des vers 158 à 159, mais il semble aussi destiné à l’être éternellement puisqu’elle dit « Et s’il se marioit cent fois, je gagerois / Ma teste, que Monsieur seroit Cocu cent fois Vers 163-164.
Montfleury semble apprécier ce thème puisqu’il a crée une pièce L’École des jaloux, ou le Cocu volontaire qui repose essentiellement sur celui-ci. Il semble même être très railleur vis à vis des cocus puisque dans l’épître dédicatoire de cette pièce, il leur dit
En vous dédiant ce livre, je suis assuré, quant aux exemplaires, que si chacun de vous en achète un, le libraire sera riche à jamais, et que si le quart de ce que vous êtes me fait des remerciemens, j’ai des complimens à recevoir pour plus de six mois.
D’autres petits jugements apportent, en revanche, plus d’humour à la pièce sans pour autant chercher véritablement à railler certains types sociaux. Ainsi nous n’échappons pas dans cette pièce à l’habituelle plaisanterie sur les médecins avec ce vers de Trigaudin « Pend-on les Medecins, qui tous les jours en tuënt ? Vers 646.
c’est une pauvre espece, Il ne sera jamais qu’un Asne, & ne vaudra… Je l’ay fait Medecin à cause de cela . Vers 78-80.
Mais ce sont là des plaisanteries si classiques qu’elles en perdent leur mordant ; elles sont devenues banales et surabondent dans beaucoup de comédie comme dans Le Malade imaginaire.
La jeunesse n’est pas non plus oubliée par Montfleury. C’est une nouvelle fois par l’intermédiaire de Géronte qu’on découvre un certain nombre de reproches faits aux jeunes hommes. Ils sont accusés d’être devenus trop coquets,
ils font consister le bel air dans leurs contorsions ; (…) et portent chez tous ceux qui les trouvent commodes, La charge d’un Mulet du fatras de vingt modes . Vers 332-334.
Ils seraient également devenus plus grands parleurs qu’habiles acteurs, préférant jouer aux cartes et courtiser les belles qu’aller se battre Nous signalons à ce sujet que la France de Louis XIV est alors en pleine guerre de Hollande (qui se déroulera de 1672 à 1678).
Mais il faut signaler que ce sont là encore des thèmes habituels, qui se trouvaient déjà présents dans la commedia dell’arte – avec le personnage de Pantalon « nostalgique des valeurs du passé Jolibert, P., La Commedia dell’arte et son influence en France du XVI e au XVIIe siècle, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 80.
Dans le choix de ces satires, et dans la manière dont il les met en forme, Montfleury ne fait preuve d’aucune originalité. La modernité qu’il avait semblé montrer dans le choix de son sujet s’annihile ; il échoue en s’inscrivant dans la continuité de ses contemporains, incapables de renouveler la comédie.
Personnage éponyme de la pièce, il est celui contre lequel le spectateur s’insurge. Sans morale, il ne respecte ni femme, ni ami, ni religion, sa seule valeur étant celle de l’argent.
Sa cupidité se trouve d’ailleurs au centre même de la trame. C’est sur elle que toute la pièce repose et c’est à cause d’elle que l’action démarre. Poussée à l’extrême, elle fait de Trigaudin un assassin en puissance et c’est là une nouvelle manière de traiter ce thème. En effet, Molière, ou d’autres, ont développé la pingrerie de certains de leurs personnages – rencontrée déjà chez Pantalon, protagoniste de la commedia dell’arte – pour en faire des comédies de caractère comme L’Avare. Montfleury lui ne s’en sert que comme prétexte à l’action, puisque nul part – hormis dans son projet – l’argent n’est évoqué.
Cette motivation sous jacente permet de mieux cerner son caractère.
En tout premier lieu, elle permet de remarquer la violence du personnage. En effet, divers points montrent que c’est effectivement un homme dangereux. Il n’hésite pas ainsi à menacer Lucie, à la scène 8 de l’acte 2, d’une part par les mots, ou plutôt l’interruption de son discours qui est lourde de sens : « Faites-luy bonne mine, autrement… » et qui s’accompagne d’un geste noté en didascalie Luy montrant une Boiste. Cette interruption et ce geste ont plus d’impact sur le spectateur car on ne sait pas exactement de quoi il menace Lucie, nous ne pouvons nous perdre qu’en conjectures puisque cette boîte peut aussi bien contenir le poison que des papiers ennuyeux pour Lucie – nous rappelons que ces deux personnages sont liés par autre chose que le mariage puisque celle-ci dit « Mon ame est trop sensible à la reconnoissance, / Pour oublier jamais… » – ou bien encore autre chose.
De même il la menace une nouvelle fois à la scène 5 de l’acte 3 aux vers 837-838 puisqu’il dit « Ne faites pas l’Idole, / Autrement… ». Là encore son discours est interrompu, comme si la menace était en elle même trop terrible pour être prononcée.
En se conduisant ainsi avec les autres, Trigaudin tente d’afficher une certaine supériorité. Supériorité face à L’Industrie qu’il menace de frapper « crains que de cent coups… » Vers 40. Vers 171.
À cela s’ajoute un caractère rusé. En effet pour ne pas se mettre Valère à dos, à la scène 2 de l’acte 3, il se montre couard face au jeune homme. Il lui dit ainsi que s’il épousait Lucie ses « jours, cet Hymen terminé, / Courroient risque… » Vers 796.
Ceci fait preuve d’une certaine rapidité intellectuelle. Montfleury l’utilise non seulement du point de vue dramatique – Trigaudin réagit immédiatement en voyant Géronte amoureux du portrait – mais aussi du point de vue stylistique. Elle est en effet pour notre auteur un moyen de s’amuser avec les alexandrins. Ainsi à la scène 3 de l’acte 1 il déstructure ceux-ci en enchaînant courtes questions et courtes réponses : « Quoy, ses yeux… / T : Sont plus grands et plus doux. G : Son teint ? T : Est bien plus beau… », ce qui accélère le rythme de la scène et montre la tension des deux personnages – Géronte qui est animé par l’amour et le désir, et Trigaudin qui veut séduire encore plus sa proie pour ne pas la perdre.
Tout cela contribue à donner un sentiment de domination sur les autres personnages ; personne n’a encore réussi à le déstabiliser, si bien qu’il continue la mise en place de son vil projet.
Pas un moment il ne pense qu’il peut échouer, et a réponse à toutes les objections de Lucie :
épousant nostre Dupe, Il faut qu’absolument vostre adresse s’occupe A faire la Malade, afin que ce moyen Assure en mesme temps vostre honneur & le mien, Tandis que de ma part je sçaurois le résoudre A lui faire avaler douze grains d’une Poudre.
Il ne fait preuve de doute qu’une seule fois, lorsque les entraves à son dessein deviennent de plus en plus nombreuses, c’est-à-dire à la scène 10 de l’acte 4, où il « tombe de [son] haut » et où « tout [l’]alarme, & tout [le] desespere », il ne sait « que résoudre », ni « que faire » Vers 1414 et 1426-1427.
C’est là sa principale erreur ; c’est parce qu’il a trop foi en son projet et qu’il est sûr de son emprise sur Lucie qu’il se fait piéger, malgré sa ruse. Trop confiant, il devient trop crédule et permet ainsi la mise en place du plan. Dès lors on peut rire de sa naïveté « Qu’il est dupe ! Allons voir…Mais ma Femme paraist » Vers 1191.
La trame se renverse et au lieu d’avoir un personnage principal engendrant l’action, nous sommes face à un personnage qui la subit. Son comportement et sa morale font qu’il nous est antipathique, et que nous rions donc de lui, et non avec lui.
Pourtant, même dans son erreur il montre quelque signe d’intelligence et a conscience que Martin Braillart n’est qu’un fat et qu’un ignorant comme il le dit à la scène 8 de l’acte 4, puisqu’en aparté il signale que « Martin Braillard n’est qu’un Sot, une Beste, / Qu’[il] garantit tel des pieds jusqu’à la teste » Vers 1365-1366.
Enfin, il fait preuve d’une certaine dose de culot. Le dénouement devrait montrer la condamnation de Trigaudin, or la comédie entraîne un dénouement heureux, si bien que celui-ci doit être pardonné. Pour ce faire Montfleury garde, pour ce personnage là, la continuité de son caractère. C’est-à-dire que Trigaudin s’étant montré jusqu’à présent très sûr de lui, il reste le même dans cette situation Vers1723-1724.a priori néfaste pour lui. En effet, en mettant sur le même plan les deux tours joués dans cette pièce il se montre plus malin que Géronte et toujours très optimiste dans la conclusion de cette affaire. « Je veux oublier ce tour dés cet instant, / Pourveu qu’en ma faveur Géronte en fasse autant
Ce personnage ne peut donc être aucunement apprécié car jusqu’au bout il niera ses torts et se montrera ainsi détestable jusqu’à la fin.
Montfleury a créé, avec ce personnage, un barbon parfaitement ridicule dans son rôle d’amoureux. En effet, il parle de Lucie sans arrêt et ce, même lorsqu’il est seul à la scène 4 de l’acte 1. Le fait qu’il puisse espérer inspirer de l’amour à une belle jeune femme le rend comique et naïf. Toutefois il est important de noter qu’un brin de lucidité apparaît chez lui lorsqu’il propose cent mille francs à la femme de Trigaudin pour l’épouser. Par cela il semble se rendre compte du grotesque de sa situation.
Grotesque, il paraît l’être dès le début de la pièce. Les différents propos tenus à son égard par Trigaudin et Toinette Scène 1 et 2 de l’acte I.
Ainsi nous apprenons qu’il passe énormément de temps dans une bibliothèque remplis de livres et d’objets aussi divers que variés ; que malgré tout, ses voisins ne croient pas à son érudition Vers 24-25 « Tout cela / Marque sa vanité plus que sa suffisance » ; Vers 119-121 « C’est que tous nos voisins me parlant de cela, / Disent qu’il n’entend rien dans les Livres qu’il a, / Que tout cela chez nous ne sert que de parade ». « A son âge, / Ce Géronte si sçavant et si sage… » Vers 31. Jolibert, P., dotore de la commedia dell’arte. Comme ses prédécesseurs, Géronte – dont le statut de barbon est non seulement révélé par son nom qui signifie « le vieillard », mais aussi par les indications données textuellement par L’industrie, choqué de sa réaction face au portrait de Lucieop. cit., p. 30.
Il présente également quelques ressemblances avec Pantalon puisque comme celui-ci il fait preuve d’une « morale conservatrice » ainsi que le montre sa réaction face à Valère, des vers 482 à 502.
De même, Toinette montre qu’il a déjà été marié à une femme qui avait semble-t-il quelques galants. Si bien que cet homme incarne dès le début de l’action le stéréotype du barbon cocu et trompé par tous ceux qui l’entourent. Dès lors on pourrait penser que le spectateur serait tenté d’éprouver de la sympathie ou au moins un peu de compassion pour ce personnage, mais sa naïveté – plus proche encore de l’imbécilité – son attitude, son obstination dans l’erreur et surtout son mépris et sa vanité font que Géronte n’inspire aucun de ces sentiments là ; on a plus envie que Trigaudin échoue plutôt que Géronte ne soit sauvé, ce qui est une fois de plus relativement paradoxal.
Mais ce paradoxe peut notamment s’expliquer par le manque de continuité de ce caractère. En effet, Montfleury le fait évoluer ou régresser selon ses besoins. Il le rend naïf et grotesque face à Lucie à la scène 5 de l’acte 3 pour pouvoir développer un double niveau de langue ; une fois informé du projet de Trigaudin il en fait un protagoniste réaliste et même ingénieux puisque c’est lui qui est à l’origine du quiproquo de la scène 11 de l’acte 5 ; il redevient ensuite le même personnage stupide puisqu’il pardonne à son ami – cette dernière fluctuation étant constitutive du genre.
Nous avons déjà dit que la jeune femme est moins coupable que le modèle dont s’est inspiré Montfleury. Pourtant elle ne nous paraît pas être aussi innocente que cela. En effet, d’après les propos tenus par L’Industrie, qui nous signale qu’elle était certainement assez pauvre, nous pouvons nous demander si son mariage avec Trigaudin n’a pas été pour elle un mariage d’intérêt. Que peut donc trouver d’attirant chez un barbon une belle femme comme elle semble l’être ?
Le fait que cette union l’ait dégagée d’une part de l’emprise de son frère et que d’autre part, elle lui apporte un nouveau statut justifierait son attirance pour notre bourgeois. D’ailleurs ses paroles « Mon ame est trop sensible à la reconnaissance, / Pour oublier jamais… Vers 545-546.
D’autre part ses promesses faites par « amour » : « Plus l’effort sera grand, plus j’impute à bonheur / Le moyen de pouvoir vous prouver mon ardeur Vers 555-556.
Présente dans 15 scènes, elle est évoquée tout au long de la pièce. Son apparition est longuement préparée puisqu’elle n’entre qu’à la scène 8 de l’acte 2, alors que tous en parlent depuis le début de l’acte 1.
L’obstacle essentiel qu’elle oppose au projet de son mari est sa vertu. Ce sera tout au long de la comédie le point qu’elle accentuera et auquel Trigaudin échappera par diverses pirouettes.
Le principal intérêt de ce personnage est que toute la pièce tourne autour de sa personne. C’est elle l’objet central de cette comédie, dont il est bon de signaler que c’est la seule dont il est fait une description physique. En effet, Géronte demande à son ami de lui décrire sa « cousine ». Dès lors nous apprenons qu’elle a de grands yeux doux, une bouche vermeille, une gorge bien blanche, qu’elle a un esprit délicat…Cet état de fait se justifie car c’est sa personne qui est convoité par deux prétendants, il est donc de bon ton de savoir ce qu’elle a de si attrayant.
Il faut signaler qu’elle possède également un excellent talent d’actrice au vue de son comportement face à Géronte en présence de Trigaudin. Elle accepte de manière totalement naturelle les compliments qu’il lui fait à l’acte 3 tout en répliquant de manière laconique. Nous pouvons d’ailleurs signaler le fait que dans ses réponses elle parle de son mari sans que l’autre n’en devine rien. Il semble y avoir une véritable ruse de sa part, puisque ses paroles véhiculent un double message. Disant
Vous avez eu raison, J’ay reçeu de sa main un Époux que j’honore, Qui m’aime, & dont le cœur… Vers 856-858.
elle veut bien évidemment parler de Trigaudin et non pas de Géronte. Tout son jeu dans cette scène réside dans le fait que pour s’adresser à son interlocuteur, Lucie ne le vouvoie pas, mais utilise la troisième personne du singulier. Ainsi le barbon peut croire que c’est par timidité, ou déférence, qu’elle ne lui parle pas directement, alors qu’en fait son discours s’adresse à la troisième personne présente, c’est-à-dire son vrai mari sans que celui-ci semble même s’en rendre compte.
Sa ruse se dévoile également dans sa manière de forcer Trigaudin à reformuler son plan pour que son prétendant caché puisse l’entendre. Elle mène la discussion en posant des questions – dont elle connaît déjà les réponses – comme si elle attendait une confirmation des attentions de son mari. À ce moment précis de la pièce elle lui joue déjà un tour.
Pour tenir Géronte à distance la jeune femme se montre assez brusque. En effet c’est par une phrase violente qu’elle refuse ses avances : « En vain vous prétendez devenir mon Époux, / Ne vous en flattez plus, je ne puis estre à vous Vers 907-908.
Lucie est également importante du point de vue de la progression de l’action car c’est grâce à elle que le faux beau-frère est introduit. C’est elle qu’il vient saluer, en toute logique. Pourtant elle essaiera toujours de faire renoncer Trigaudin ; à chaque occasion elle tentera de lui faire abandonner son projet.
Mais son comportement par moment faux avec Géronte ou Trigaudin, le fait qu’on ne connaisse pas vraiment ses motivations et qu’on doute de son attachement véritable à son mari font que ce n’est pas non plus un personnage attachant.
Selon qu’ils soient homme ou femme leur importance varie d’une pièce à l’autre. Dans cette comédie il est donné la part belle au valet plutôt qu’à la servante.
Celle-ci sert avant tout à éclaircir certaines situations, ou à en entraîner d’autres. Elle apporte également quelques pointes humoristiques à cette comédie.
Présente dans 5 scènes seulement, Toinette sert avant tout d’intermédiaire et de pondérateur dans le couple formé par Julie et Valère. Elle incarne donc le type stéréotypé de la servante là pour faciliter les amours des jeunes gens. C’est en effet elle qui essaie de calmer, comme nous l’avons vu, Valère et qui le force à réagir.
D’elle nous ne savons que peu de chose hormis qu’elle est au service de Géronte depuis assez longtemps puisqu’elle a connu sa femme. Nous pouvons également dire qu’elle est jalouse de Lucie, dont son maître est amoureux, car elle la critique vivement sans la connaître et que d’autre part, elle aurait aimé prendre sa place. Ses mots « Je me connois bien, & ne jurerois pas, / S’il vouloit m’épouser, qu’il n’en eut… Vers 142-144.
Comme toute servante de comédie elle semble peu de cas du respect et de la retenue que l’ordre hiérarchique imposerait ; ainsi elle parle franchement à Trigaudin à la scène 2 de l’acte 1 et que de plus pour motiver Valère elle lui dit :
Ma foy, si Trigaudin me chassoit de ces Lieux, Comme Dieu m’a donné du penchant au vacarme, Je ne partirois pas sans luy donner l’alarme . Vers 748-750.
Les valets ont eu un rôle beaucoup plus prépondérant car c’est de leurs attitudes que dépend la réussite ou l’échec du tour joué à Trigaudin. Même si on leur a dicté une certaine marche à suivre, ils ont une certaine autonomie dans le jeu puisque ce sont eux qui créent les personnages qu’ils interprètent.
L’Industrie est au commencement de la pièce le personnage mis en position de confident ; c’est par sa présence que la scène d’exposition est rendue possible. C’est également par ses questions qu’on apprend les circonstances du mariage de Trigaudin, la manière dont Géronte a découvert Lucie… Il a donc déjà par là une responsabilité essentielle dans la progression dramatique. Mais son statut ne se borne pas à cela. Il a en effet un rôle absolument déterminant, car c’est lui qui trouve le moyen de tendre un piège à son propre maître.
Il renforce d’autant plus cette importance en élaborant lui-même la mise en place du plan ; il s’inquiète en effet scène 2 de l’acte 4 de savoir si Géronte a fait chercher les habits et surtout il demande :
Où prendrons-nous un Aigrefin bien dru, dont la mine soutienne Ce que nous prétendons … Vers 1096-1098.
De même c’est encore lui qui montre à Lucie l’opportunité qu’elle a de tout révéler à son nouveau prétendant :
Madame, le hazard le force à vous quitter, C’est une occasion dont il faut profiter ; Vous sçavez … Vers 899-901.
C’est lui qui fait entrer en scène le valet La Forêt à la scène 7 de l’acte 4, puisque caché dans une entrée il dit « La Forest, la voilà, va luy donner l’aubade ». C’est également lui qui vient prévenir Trigaudin que son « beau-frère » est parti marier sa femme à Martin Braillart à la scène 12 de l’acte 5. C’est donc lui qui est le véritable moteur de certaines actions, et c’est visiblement à lui que Montfleury donne le soin de faire progresser la pièce. D’ailleurs son nom même montre qu’il s’inscrit dans la lignée d’un Sganarelle ou d’un Scapin ; en effet le mot industrie désigne « l’habileté, l’ingéniosité » Cayrou, G.
Son franc-parler apporte également une pointe d’humour à la comédie, de même que sa ruse. Nous avons déjà évoqué le fait qu’il se cache pour espionner son maître si bien que nous nous attacherons ici aux mots qu’il emploie. Dès la scène 1 de l’acte 1 son aparté face à Trigaudin : « Ma foy, je pense que mon Maistre / Devient fou » donne une situation cocasse à la scène et permet surtout de commencer le récit du mariage clandestin qui s’est fait à Orléans. C’est à cause de son incompréhension que le bourgeois dit « Parle-moy d’autre chose, ou bien songe à te taire Vers 41. Vers 69-70. Vers 640. Vers 655. Vers 701.a priori sur Lucie est également amusant puisqu’il en fait un petit jeu de mot : « La Cousine plus riche en appas qu’en monnoye, / N’a de fond que je croy, qu’un fort grand fond de joye
D’autre part, à la scène 2 de l’acte 4 il se méprend sur le nom du valet de Valère. En effet, celui-ci propice au jeu de mots, entraîne l’interrogation de L’Industrie : « Qu’est-ce que La Forest ? ». L’effet comique réside dans l’utilisation de qu’est-ce au lieu de qui est-ce.
L’Industrie est donc le valet qui a le plus d’importance au sein de cette comédie car il apporte à la fois une touche humoristique et surtout il est à la base de l’évolution dramatique. Et c’est également le personnage le plus sympathique car il ne devient hypocrite que pour faire échouer le projet de son maître.
Il ne faut pas, néanmoins, sous-estimer l’importance des deux autres valets, sans qui le tour joué à Trigaudin n’aurait pu avoir lieu.
On apprend que La Rivière a été au Collège et clerc chez un procureur, c’est donc véritablement la personne appropriée pour jouer le rôle d’un avocat – comme L’Intimé dans Les Plaideurs qui répond à Léandre, à la scène 2 de l’acte 2, insinuant que Petit-Jean et lui sont deux ignorants, « Non pas, Monsieur, non pas / J’endormirai Monsieur tout aussi bien qu’un autre » – mais son éducation semble loin, ce qui entraîne diverses situations comiques, notamment du point de vue de son jeu verbal. En effet il lui reste quelques bribes de latin, si bien qu’il fait des – fausses – citations au détour de chaque phrase ; dès lors cela en devient ridicule. De même que les expressions qu’il emploie pour déclarer sa « flamme » à Lucie, comme nous l’avons déjà dit.
Ses phrases sont pompeuses et à rallonge ; il multiplie les subordonnées relatives et conjonctives au sein de la même tirade, comme par exemple acte 4 scène 8 :
Si de vous saluer je n’ay pas eu l’honneur, Du moins en bon Parent, faites-moy la justice, De croire en ma faveur, qu’aux offres de service Que mon zele vous fait, je prétens joindre encor Tout le respect pour vous, qu’on eust pour le Veau d’Or.
De même c’est certainement lui qui a les répliques les plus longues, préférant des réponses développées, et rendues grotesques par certains propos, à des réponses brèves et directes.
D’autre part, jouant un avocat, et, nous le rappelons, ayant travaillé chez un procureur, il emploie des formules d’apparence judiciaire comme Vers 1379. Vers 1380.la « Loy Nuptiaparagrapho neque
Il construit son discours à la scène 7 de l’acte 4, et fait une vraie démonstration. Il commence par énoncer la thèse qu’il va développer : « Un avocat doit prendre une Femme Vers 1592.
C’est pour un Avocat un nœud si necessaire, Que qui peut l’éviter, dément son caractere Et son devoir.
Ensuite il passe aux raisons pour lesquelles il est inévitable qu’un homme de justice se marie, des vers 1559 à 1608. Pour finir, il réfute l’affirmation de Trigaudin pour qui le métier d’avocat est propice à l’adultère. Mais ses propos sont ridiculisés par son argument final :
Si la Belle, malgré toute ma prévoyance, Me destine à porter du bois à l’Audiance, (…) Je me consoleray de pouvoir me flatter Du plaisir de me voir, par des Loix necessaires, Semblable à quantité de Messieurs mes Confreres.
Si bien que les mots qu’il emploie surfont son langage, d’autant plus qu’ils sont pour la plupart erronés et par-là vides de sens.
Le rôle de La Forêt est à peu près parallèle à celui de La Rivière, à cela prêt qu’il n’est pas autant déguisé. En effet, on ne nous dit pas qu’il s’est travesti, même si l’on se doute qu’il n’est pas apparu avec sa livrée.
Il est chargé de mettre en place la « pièce » jouée à Trigaudin et d’introduire le personnage de maître Braillart. Nous tenons à signaler que notre bourgeois ne connaît pas son vrai beau-frère car celui-ci était absent d’Orléans lors du mariage et que de plus celui-là s’est fait secrètement ; si bien que l’entrée d’un faux beau-frère est tout à fait plausible. L’individu choisi pour cela ne risque pas non plus de faire échouer le piège puisqu’il s’agit d’un valet de chambre de Valère, que le mari de Lucie connaît visiblement assez peu.
Son vocabulaire est peu soutenu ; il emploie en effet par exemple « timbré », au vers 1315, pour parler de son ami avocat. Or le dictionnaire de Richelet nous dit que « c’est un mot burlesque qui n’entre que dans la conversation et le style comique Cf. Glossaire.
En revanche, il est important de noter que c’est lui qui pousse Trigaudin à avouer son mariage à l’acte 5 en lui demandant directement « Vous estes donc, Monsieur, son Epoux à ce compte ? Vers 1698.
Si le personnage de Valère permet de découvrir le caractère de différents protagonistes – comme nous l’avons évoqué précédemment – celui de Julie a nettement moins d’importance. La jeune femme ne semble être présente que pour que le jeune couple aux amours contrariés, attendu dans la plupart des comédies, puisse être formé et que le mariage qui doit conclure ce genre soit évoqué.
La nièce de Géronte n’est visible que dans 5 scènes et son rôle est très limité. Elle permet que soit introduit l’habituelle scène où il y a méprise sur le futur mari. Comme Agnès dans Vers 317.L’École des Femmes, Julie croit, à la scène 5 de l’acte 1, que son oncle va la marier à l’homme qu’elle aime, c’est-à-dire Valère. Dès lors elle vante les mérites du mariage, mais lorsqu’elle apprend que Géronte parle en fait de Trigaudin et non de son amant, elle prend une attitude hypocrite et réfute l’union en prétextant que « L’Hymen a tous les jours des suites si fâcheuses
Elle montre ici peu de caractère puisqu’elle n’avoue pas véritablement qu’elle en aime un autre, elle ne s’oppose pas directement à cette union, et c’est ce que lui reprochera deux scènes plus loin celui qu’elle souhaiterait épouser :
Si cette Loy vous eust fait violence, Ce cœur en ma faveur eust rompu son silence (…) vous en avez reçu l’ordre sans murmurer . Vers 389-390 et 392.
Pourtant elle semble prendre plus d’assurance lorsque son amant est à ses côtés car elle se permet de donner une leçon à Géronte, à la scène 1 de l’acte 4, puisqu’elle lui dit ouvertement qu’il est trop naïf et facile à berner. De même que l’utilisation de l’impératif des vers 405 à 409 évoque une certaine supériorité de la maîtresse sur son amant. Elle lui ordonne, ni plus ni moins, de se battre pour elle. En cela, il subsiste en elle quelques bribes du caractère des jeunes filles de la commedia dell’arte, qui menaient « leurs amants avec un art consommé de l’intrigue et de la diplomatie » Jolibert, P., op. cit., p. 10.
Mais malgré tout, c’est un personnage qui n’apporte rien à la progression dramatique et dont le rôle ressemble plus à de la figuration. Elle n’entraîne que peu de scènes amoureuses – si l’on peut les qualifier ainsi – car les entrevues entre les deux amants sont rares et s’apparentent plus à des querelles qu’à de véritables transports passionnés. L’amour n’a semble-t-il que peu d’importance dans cette comédie.
Valère, dont il nous est fait un « portrait » – comme nous l’avons déjà vu – par Géronte, permet quant à lui de dévoiler certains côtés des personnalités de ses interlocuteurs successifs. En effet, c’est parce qu’il va menacer Trigaudin que celui-ci se montre couard ; c’est parce qu’il tente de faire changer d’avis l’oncle de sa bien aimée qu’on découvre que celui-ci est loin d’être savant et n’est qu’un fat arrogant.
Mais il ne semble pas être un jeune homme très courageux non plus, car il aurait voulu que sa fiancée se défende elle-même face à son tuteur. Il serait d’ailleurs prêt à prendre la fuite si Toinette, la servante, ne le retenait pas :
Pour moy, qui sans souffrir une douleur mortelle, Ne puis voir cet Hymen, je veux m’éloigner d’elle ; Je veux quitter ces Lieux où tout me fait horreur ». (…) Vers 73- 735.
T : Gardez-vous bien de la quitter, vous dis-je.
Ce n’est pas non plus de son propre fait qu’il va trouver son rival, c’est parce que cette femme le lui suggère :
Je vous le dis tout net, Monsieur, j’irois le voir, & luy dirois son fait ; Et que si son amour à cet Hymen s’obstine, Je sçaurois … Vers 751-754.
Il semble conserver le rôle galant de l’amant, c’est-à-dire soumis aux volontés de sa belle, mais en le ridiculisant par son manque de combativité et de ruse.
D’ailleurs il semble être également un piètre négociateur, puisqu’il n’oppose à l’oncle de Julie que la valeur de l’amour qu’il éprouve pour celle-ci sans tenter de vanter ses propres qualités. Même la flatterie – ou l’ironie – qu’il use à son égard :
Monsieur, n’est pas Docte qui veut. Si je balance un jour sur le choix d’un bon Livre, Vos avis sont des lois que je pourray bien suivre Vers 464-466.
échoue à convaincre son « adversaire ».
Toutefois son implication ne s’arrête pas là puisqu’il a également un petit rôle dans la progression de l’action. C’est lui qui trouve en effet celui qui sera le second valet pour tromper le mari de Lucie, c’est-à-dire La Forêt.
Le caractère effacé de ces personnages et leur attachement peu montré ne nous les rendent pas spécialement sympathiques. Même si leur amour est menacé par une hypothétique union entre Julie et Trigaudin, le fait que nous les voyions si peu ne nous lie pas à leurs destins, et nous avons véritablement l’impression qu’ils ne sont présents que pour que la pièce se termine par un mariage.
Notre propos n’est pas ici de réaliser le même travail que celui fait par Gabriel Conesa sur Molière Conesa, G., Le Dialogue moliéresque : étude stylistique et dramaturgique, Paris, PUF, 1983.
Outre les paroles qu’il fait dire par ses protagonistes, l’auteur a à sa disposition divers procédés verbaux ou non qui lui permettent d’accentuer tel ou tel point de son discours.
Le texte d’une pièce de théâtre est généralement écrit dans le but essentiel d’être représenté sur scène avant d’être publié. L’auteur crée des personnages, les nomme, les mets dans certaines situations, leur crée un discours, mais indique rarement quels mouvements ils doivent faire. Si bien que lorsqu’en didascalie ou intra-textuellement on apprend que tel protagoniste a fait quatre pas vers l’autre, qu’il lève un bras, qu’il secoue la tête etc., ces gestes, a priori insignifiants, prennent une dimension toute autre. D’une part ce sont des indications essentielles pour un hypothétique metteur en scène et d’autre part c’est un moyen d’accentuer soit le discours du personnage, soit son caractère, et parfois également de faire la liaison entre deux scènes. Le rôle que joue un geste n’est donc pas uniquement ornemental.
Montfleury parsème sa pièce – de manière plus ou moins naturelle – d’indications gestuelles. Mais elles servent ici davantage à créer une sorte d’unité entre deux scènes successives qu’à aider à la mise en scène du texte. En fait, notre auteur utilise principalement ses personnages pour créer un lien visuel lors d’un changement de scènes, et pouvoir ainsi justifier d’une progression dramatique, plutôt que pour donner des détails sur leurs postures ou leurs physionomies.
En effet nous remarquons que les protagonistes de Vers 411.Trigaudin signalent souvent qu’ils voient un personnage approcher. Ainsi à la scène 2 de l’acte 2 Toinette déclare en parlant de Géronte : « Je l’aperçoy qui sort
Il en va ainsi pour la plupart des indications données au sein même du texte. Nous pouvons encore citer en exemple le vers 535, où L’Industrie permet l’entrée de ses maîtres en disant « Les voicy », ou bien encore au vers 808 « Le voicy ».
Dans quelques cas cependant l’enchaînement scénique n’est pas le seul élément recherché. Signalons par exemple le vers 536, à la scène 8 de l’acte 2, dans lequel une indication de mouvement est faite de deux manières. En effet, une didascalie nous informe, dans un premier temps, que le valet L’Industrie s’éloigne ; nous avons donc là une indication gestuelle extra-textuelle. Puis le personnage nous donne lui-même une explication sur ce qu’il fait puisqu’il dit « Je feins de m’éloigner & reviens sur mes pas ». Si bien que l’information nous est doublement donnée. Plusieurs effets en découlent alors : d’une part cela nous permet d’apprendre qu’il va y avoir un interlocuteur dissimulé – puisque le serviteur désobéit à son maître – ce qui fait partie de la théâtralité, et d’autre part cela confère une dimension comique à l’aparté en lui-même car le personnage commente ses actes.
Il faut de même noter que certaines informations contenues dans le texte lui-même permettent de manière différente d’entraîner ces mêmes effets. Par exemple au vers 842, à la scène 5 de l’acte 3, Géronte dit : « Je vous livre un baiser ». L’indication est ici à la fois scénique – puisque l’acteur qui incarne le barbon sait quel mouvement il doit faire – et à la fois comique – puisqu’elle entraîne la réaction justifiée de Trigaudin « les séparant ». Effet comique accentué par le fait que Géronte embrasse Lucie devant son époux secret.
Enfin, nous citerons le vers 1697, à la scène 13 de l’acte 5, comme dernier exemple d’information intra-textuelle. Dans ce vers Géronte donne une indication physionomique sur son vieil ami ; en effet il signale en aparté que « le sang lui monte au visage », ce qui permet alors d’envisager et comprendre l’état mental dans lequel se trouve Trigaudin.
En utilisant ainsi ses personnages pour fournir des renseignements sur les autres protagonistes, Montfleury ne rompt pas la progression dramatique et contribue au naturel de la pièce.
Les didascalies sont, elles, des indications scéniques beaucoup plus évidentes ; elles sont en effet là pour guider l’acteur dans l’interprétation de son rôle et se résument souvent à signaler qu’un personnage sort, entre, se cache, parle bas etc. Dans cette pièce elles ont effectivement ce rôle comme le montre celle précédant le vers 413 « GERONTE sortant », ou bien encore celle du vers 997 « GERONTE caché ».
Toutefois il y a ici une exception ; en effet la didascalie « Vers 696. Vers 696.Luy montrant une Boiste »
L’interruption permet donc d’avoir un effet sur la dramaturgie. Selon la manière dont on l’utilise elle entraîne divers effets.
Dès la première scène de la pièce, l’interruption du discours a un effet rythmique puisque Trigaudin et L’Industrie se coupent la parole à tour de rôle. De ce fait, la scène d’exposition paraît moins longue et moins artificielle. Sans oublier qu’elle permet également d’introduire une dimension comique aux personnages puisque le valet interrompt lui-même son discours, au vers 45, ne sachant pas comment nommer la femme de son maître : « Vous fûtes avec…la…faut-il que je devine… ». Si bien que nous apprenons de manière somme toute assez naturelle les divers éléments nécessaires à la compréhension de la pièce. En effet, les diverses coupures qui sont faites par les deux protagonistes non seulement varient, mais aussi permettent – par cette variation – divers rebondissements du discours, comme on en trouve souvent dans la réalité. Elles interviennent ainsi pour permettre aux interlocuteurs de se contredire comme nous en avons un exemple au vers 56 : «LI : Le tout pour vous forcer…/ T : Point du tout », ou bien également vers 74 : « LI : J’ai crû que librement… / T : Non, c’est ce qui t’abuse », ce qui montre la supériorité de Trigaudin sur son valet puisqu’il se rend maître du discours de celui-ci.
Ainsi, ces éléments non verbaux que sont les mouvements, les didascalies ou les interruptions apportent des éléments essentiels à la pièce, au même titre que les répliques elles-mêmes. Non seulement ils nous informent sur l’action, mais en plus ils ont une incidence sur la forme du texte.
Comme nous venons de le voir certaines informations sont données sans vraiment rompre la progression de l’action ; les éléments dont nous venons de parler s’intègrent à la pièce, ils permettent d’enchaîner les répliques ou les scènes sans que le rythme ne soit véritablement rompu.
L’aparté, au contraire, brise la logique d’une scène. Si l’auteur y recourt aussi souvent ici, c’est à la fois dans le but de montrer l’état d’esprit de ses personnages et dans celui d’apporter des éléments comiques à certains scènes où la tension et l’affrontement sont forts. Ainsi prenons en exemple ceux de Géronte à la scène 4 de l’acte 4 ; lors de ce passage Trigaudin tente de faire croire à son ami que Lucie est charmée ainsi que de le convaincre de venir dîner chez lui. L’élément comique réside ici dans le fait que Géronte tient deux discours : l’un à haute voix destiné à son interlocuteur, et l’autre à voix basse destiné à lui-même et surtout aux spectateurs. D’une part, ses propos sont en eux-mêmes comiques du point de vue des termes employés : « Le Fourbe ! » Vers 1132. Vers 1136. Vers 1181-1182.
Géronte, par cela, se montre moins imbécile et révèle aussi ses pensées.
Nous avons alors ici une sorte de focalisation interne puisque c’est le personnage lui-même qui nous révèle à la fois son caractère et son état d’esprit.
Le monologue permet également cette focalisation. Jugé relativement artificiel, il brise le rythme des scènes. En effet, il n’y a plus échange de répliques avec un interlocuteur réel, mais dialogue avec soi-même ; si bien que le « tempo » nécessaire à la progression de l’action se ralentit. Toutefois, son rôle est lui aussi essentiel.
En effet, sans cette forme dramatique nous ne connaîtrions les personnages que par leurs actions ou leurs mimiques, ainsi que par la description faite par les autres personnages ; mais en percevant un protagoniste de l’intérieur le spectateur peut faire son propre jugement.
Outre le fait que cette forme permet de faire également le lien entre différentes scènes, elle révèle bien souvent la motivation des personnages. Ainsi, à la scène 4 de l’acte 2, Valère montre qu’il est bouleversé par le destin qui attend sa fiancée : « Ah, si je perds sa Niéce, il faut perdre la vie » Vers 514.
Le monologue de notre héros éponyme, à la scène 10 de l’acte 4, est essentiel. Pour la première fois, nous pouvons voir Trigaudin en train de douter. En effet il dit : « Sur tout cet embarras que faut-il que je fasse ? » Vers 1413. Vers 1419. Vers 1420.
L’aparté et le monologue – deux formes qui brisent en quelque sorte le fonctionnement du théâtre – apportent en fait dans cette pièce certains éléments essentiels au bon déroulement dramatique. Ils ont à la fois une utilité sémantique et formelle puisqu’ils nous informent sur les motivations et les caractères de nos personnages et parce qu’ils créent un lien stylistique entre les répliques et les scènes.
Pour qu’une pièce de théâtre soit jugée de bonne qualité, il faut que les répliques s’enchaînent le plus naturellement possible. Montfleury utilise dans cette pièce essentiellement trois procédés.
C’est souvent par la répétition d’un même mot que les répliques s’emboîtent. Ainsi à la scène 1 de l’acte 1, on assiste à ce que Michel Pruner Pruner, M., L’Analyse du texte de théâtre, Paris, Nathan, 2001.
LI : Non, Monsieur, je me tais. T : Parle-moy d’autre chose, ou bien songe à te taire. LI : Je me tais ; c’est, Monsieur, ce que je sçai mieux faire
ce qui confère également une sorte de rythme par leitmotiv à la scène.
D’autre fois, la liaison entre répliques se fait par l’affrontement de deux points de vue. Ainsi à L’Industrie qui déclare :
La Cousine vous dit qu’elle avoit certain Frere Qui vouloit de sa main lui donner un Epoux, Le tout pour vous forcer … Vers 54-56.
Trigaudin réponds « Point du tout » Vers 56.
Enfin, Montfleury fait souvent usage des questions/réponses. Il utilise ainsi un procédé affectionné par Molière qui lui aussi brisait ainsi ses alexandrins. En effet, à la scène 3 de l’acte 1, la progression de l’action et la livraison d’information se fait par une suite de petites questions et de petites réponses :
G : Ses yeux… T : Sont plus grands & plus doux. G : Son teint ? T : Est bien plus beau. G : Sa bouche ? T : Plus vermeille … Vers 212-213.
Plusieurs effets découlent de cette manière d’appréhender le texte ; d’une part cela montre la tension, l’excitation des deux protagonistes, d’autre part ces ruptures de l’alexandrin confèrent une rapidité à la scène puisque les personnages se répondent coup sur coup.
À la scène 3 de l’acte 2, les questions/réponses diffèrent quelque peu de ce que nous venons de voir. En effet ici les questions faites par Valère se développent sur un ou plusieurs alexandrins : « Vous sacrifiëriez le feu dont j’ay brûlé, Et vous le pourrez ? » Vers 476-477. Vers 477.
D’un point de vue stylistique la pièce semble assez réussie ; tout s’enchaîne, se justifie mais cette réussite est à relativiser par le fait que Montfleury a là aussi échoué à créer une pièce originale. Il reprend en effet les mêmes méthodes que ses contemporains.
Certes ses thèmes font partie de la tradition comique, certes le renversement de l’action criminelle en banale farce rend le sujet médiocre, certes l’écriture de notre auteur n’est pas celle de Corneille ou Molière, mais Montfleury mérite d’être redécouvert ne serait-ce que pour montrer la diversité dramatique des auteurs du XVIIe siècle. Il est important de savoir que même si à nos yeux Molière reste le maître incontesté de la comédie classique, le public contemporain ne partageait pas toujours la même opinion et préférait parfois des auteurs aujourd’hui méconnus.
Nous reproduisons ici le texte de l’unique édition de la pièce faite du vivant de l’auteur.
Cet ouvrage se présente dans un format in-12 et a été imprimé chez Pierre Promé en 1674. Sa permission est datée de la même année, et le permis d’imprimer date du 10 mars 1674.
On le retrouve également dans un recueil factice : Les Œuvres de Montfleury, Paris, Jean Ribou, 1676, t. I. (Cote Arsenal RF 6550)
Il faudra ensuite attendre le premier recueil de l’ensemble des pièces de Montfleury – qui date de 1705 – pour la retrouver.
L’édition originale, éditée à part, ne présente ni épître dédicatoire, ni sonnet, ni frontispice, ni avis au lecteur. Seules la page de titre et la liste des acteurs précèdent donc le texte qui se compose de 96 pages.
La page de titre se présente de la manière suivante :
TRIGAUDIN / OU / MARTIN BRAILLART, / COMEDIE. / PAR A.I. MONTFLEURY. / [fleuron du libraire] / A PARIS, / Chez PIERRE PROMÉ/ sur le Quay / des Grands Augustins, à la Charité. / [filet] M. DC. LXXIV. / AVEC PERMISSION.
Nous avons corrigé les erreurs d’impression suivantes :
– Acte 1, sc 5, v. 321 : « nos » (remplacé par « vos »)
– Acte 1, sc 5, v. 321 : v. 325 : c’est
– Acte 2, sc 3, v. 505 : « vonlez »
– Acte 2, sc 8, v. 595 : « souvens »
– Acte 4, sc 1, v. 1055 : « ma » remplacé par « sa »
– Acte 4, sc 7, v. 1238 : « le » devient « la »
– Acte 5, sc 5, v. 1618 : « Imprtinente »
L’orthographe des noms de personnages varie souvent de vers en vers, de scène en scène ou d’acte en acte. Nous avons respecté l’édition originale de 1674 et n’avons donc pas corrigé ces fluctuations.
Les mots suivis d’une astérisque renvoient au glossaire page 158.
Préposition qui marque le temps et le lieu. Jusque-là est très bien dit, & mieux que jusques-là (A. Furetière)
Au XVIIe siècle il était encore en usage de placer ainsi le régime direct de ce verbe avant celui-ci.
« Il n’y a entre « compte » et « conte » qu’une différence d’orthographe, ce mot s’écrivant tantôt d’après l’étymologie, tantôt d’après la prononciation, identique dans les deux cas. Il n’y a pas entre eux de différence de sens avant la fin du siècle. » Gayrou, G., Dictionnaire du français classique, la langue du XVII e siècle, 2
Il existe à cette époque une équivalence entre la bibliothèque et le cabinet puisque ces deux termes peuvent désigner des pièces destinées à recevoir des livres. « On dit chez le Roy et quelques grands seigneurs, le cabinet des livres, des armes, des médailles, pour signifier les lieux où ces choses sont rangées, et les choses mêmes qui y sont conservées. » Furetière. Géronte semble tenter , par cette bibliothèque, d’élever son rang social. Sur ce point, voir Introduction.
L’indicatif prend une valeur modale lorsqu’il est utilisé avec certains auxiliaires ou verbes comme devoir ou pouvoir. Ici il faut donc comprendre vous n’auriez pas dû.
Il faut lire cette réplique comme un aparté.
Il s’agit certainement du Papier timbré obligatoire depuis 1655 pour la validité des Actes. « Liste des actes à dresser sur papier timbré : pièces judiciaires, …, diplômes, nominations publiques…, registres publics, comme ceux de baptêmes, de mariage ou de décès. Les décisions judiciaires définitives…devaient être également inscrits sur des Formules » (F. Monnier, Dictionnaire du Grand Siècle, dir. F. Bluche). « Au palais on appelle du papier timbré, du papier marqué, ou formulé, le papier qui est marqué d’une certaine marque Royale, sur lequel seul il est permis d’écrire tous les actes, expéditions et procédures de Justice. » (A. Furetière)
Il était en usage de souder ainsi cette locution.
Cet hémistiche doit se prononcer en aparté.
Le pronom personnel en renvoie aux mots de Toinette vers 106-107 «… mon Maistre deviendroit fou » et remplace donc implicitement le mot folie.
Trigaudin, aux vers 22 et 23, a montré qu’il faisait partie de ces voisins. Il écoute donc de manière hypocrite ce que dit la servante.
Au XVIIe siècle, il n’existait pas encore de règles bien définies pour ce qui concernait le régime des verbes. Ainsi certains pouvaient être construits indifféremment de manière transitive directe, indirecte, ou intransitive. De nos jours le verbe « se plaire » se construit indirectement, avec la proposition à, ou de lorsqu’il est employé de manière réfléchie.
On appelait magazin le lieu où l’on gardait des marchandises. Ici Toinette veut dire que même si la future femme de Géronte regorge de vertu, elle le fera cocu.
Il s’agit ici du bois qui lui poussera au front. Toinette sous-entend que son maître sera tellement cocufié, que la maisonnée pourra se chauffer tout l’hiver grâce au bois de ses cornes.
« On dit qu’une femme est du mestier, quand elle est de mauvaise vie. » (A. Furetière)
Avant le XVIIe siècle ce verbe, employé de manière réfléchie et pour parler d’une femme, désignait une femme « qui se donne ». Godefroy F., Dictionnaire de l’Ancienne Langue Française & de tous ses dialectes, du IX e au XVe siècle, Paris, Vieweg, 1884.
« En proportion de » (Petit Larousse illustré), proportionnellement. Précisons qu’au XVIIe siècle l’expression est encore technique, d’où sa préservation sous sa forme latine.
C’est ici le doublet poétique de avec, c’est-à-dire qu’il compte pour trois syllabes et facilite la versification.
Sur la fragmentation des répliques de cette scène consulter l’introduction.
« On dit faire le fin pour dire Ne vouloir pas expliquer ses sentiments. » (A. Furetière)
Habituellement cette interjection marque la plainte ; cependant, ici il s’agit plutôt d’un soupir de contentement.
Aise signifie « joie, contentement, plaisir. » (A. Furetière)
« On dit figurément, quand on réclame contre quelque proposition, que quelqu’un a avancé, qu’on en appelle. » (A. Furetière)
L’édition originale présentait l’adjectif possessif nos ; mais la présence de la forme impérative dans cette phrase nous amène à penser qu’il y avait là une coquille, si bien que nous avons rétabli la forme voulue par le sens.
À force de suivre les vingt dernières modes, s’il devait porter sur lui tous les vêtements qu’il a, Valère serait chargé tel un mulet. Cette phrase sert à présenter à quel point Géronte réprouve la coquetterie que semble montrer l’amant de Julie. On retrouve alors dans ce personnage certains traits de caractère habituels de la commedia dell’arte, dans laquelle Pantalon se montre à la fois pingre, et nostalgique des valeurs et des modes passées.
Fin du premier Acte
« Barbin vient juste de publier Ne pas croire et Zayde de Mme de La Fayette » (H. C. Lancaster, French Dramatic Literature in the Seventeeth Century, part IV 1673-1700, vol. I). Zayde est une histoire espagnole qui renoue avec la tradition du roman héroïque et que Madame de La Fayette a publié sous le nom d’un de ses amis.
Apollon est le dieu grec de la Beauté, de la Lumière, des Arts et de la Divination. C’est l’inspiration qu’il conférait aux poètes et aux artistes dont il est ici question.
Ovide, poète latin (43 av. J.-C.-17 ou 18 ap. J.-C.), dont les oeuvres les plus célèbres sont Les Métamorphoses et Les Héroïdes, n’était absolument pas philosophe. Montfleury commence dès ce moment à mélanger les talents de chacun des auteurs qu’il va citer. Sur l’effet comique de ce passage, voir introduction.
Platon, philosophe grec (427-348 ou 347 av. J.-C.).
Aristote est un philosophe grec (384–382 av. J.-C.), auteur de nombreux traités philosophiques, politiques, métaphysiques… mais pas historiques.
Plaute, poète comique latin (254-184 av. J.-C.) aurait écrit une centaine de pièces.
Démosthène est un homme politique et un orateur athénien (384–322 av. J.-C.). Son principal talent est d’avoir écrit des discours, et non des « vers pompeux ».
Cette réplique est une parodie de la réponse de Néron à Burrhus dans Britannicus de Racine. En effet à l’acte III, scène1 des vers 791 à 799, Néron refuse les conseils et les remarques de son interlocuteur car il juge celui-ci incompétent dans ce domaine – comme le fait également Valère ici – « Je vous croirai, Burrhus, lorsque dans les alarmes / Il faudra soutenir la gloire de nos armes, / Ou lorsque, plus tranquille, assis dans le Sénat, / Il faudra décider du destin de l’État: / Je m’en reposerai sur votre expérience. / Mais, croyez-moi, l’amour est une autre science, / Burrhus ; et je ferois quelque difficulté / D’abaisser jusque-là votre sévérité. / Adieu. Je souffre trop, éloigné de Junie. »
« Il se dit du train, de la suite, des valets, mulets, chevaux, carrosses, hardes, armes, et tout ce qui est nécessaire pour s’entretenir honorablement. » (A. Furetière)
Il y a ici un parallèle entre Géronte et Dandin, l’un des personnages des Plaideurs de Racine. En effet, à l’acte IV, scène 4, de la pièce de Racine, son héros rétorque à son fils : « Du repos ? Ah ! sur toi tu veux régler ton père. / Crois-tu qu’un juge n’ait qu’à faire bonne chère, / Qu’à battre le pavé comme un tas de galants, / Courir le bal la nuit, et le jour les brelans ? / L’argent ne nous vient pas si vite que l’on pense. / Chacun de tes rubans me coûte une sentence. »
Il s’agit ici de la place de Grève à Paris, dont l’origine du nom repose sur le fait qu’elle soit située le long de la Seine. C’est là qu’avaient lieu les exécutions capitales et c’est là également que l’on tirait les coups de canons pour la naissance des enfants du Roi et de La Reine ; suivant le nombre de coups le peuple savait s’il s’agissait d’un garçon, d’une fille ou bien encore si l’enfant était mort-né. Aujourd’hui cette place est devenue la place de l’Hôtel de ville.
Le salpêtre (nitrate de potassium) était employé comme oxydant dans la composition des poudres et des explosifs ; le laurier, arbuste consacré à Apollon, symbolise l’immortalité acquise par la victoire et donc la gloire, si bien que Géronte reproche à Valère de fuir tout ce qui, visiblement selon lui, montre la valeur d’un homme c’est à dire la gloire acquise par l’usage des armes. Le Bourgeois emploie ensuite deux termes contradictoires ; en effet, un bretteur désignait un homme qui aimait se battre à l’épée, et qui, par conséquent, restait peu chez lui. Si bien que la juxtaposition de Breteur et cazanniers est à la limite de l’oxymore.
C’est l’ancien palais de Paris, commandé par Catherine de Medicis. Il fut quitté par Louis XIV au profit du château de Versailles. Géronte semble vouloir dire ici que cette jeunesse, dont Valère fait partie, préfère délaisser les « nobles » actions comme la guerre, pour ne s’intéresser qu’aux badineries de Cour.
Trigaudin évoque très clairement son dessein ; sa cupidité l’entraîne jusque dans l’organisation d’un assassinat. Dans La Femme aux deux maris, il n’est jamais explicitement dit que Licaste veut, et va, tuer Robinval.
Ce verbe n’avait pas encore la connotation familière, voire vulgaire, qu’il peut avoir aujourd’hui.
Nous ne savons pas exactement quelle est cette menace et que contient la boîte. Nous ne pouvons émettre que des hypothèses : il peut donc ici s’agir de la boîte contenant du poison, primitivement destiné à Géronte, qu’il pourrait lui destiner si elle le trompait ; ou bien cette menace fait référence à des affaires passées, comme s’il s’agissait d’un chantage.
Le douzain était une monnaie de cuivre, équivalente aux sols marqués du XVIIe siècle.
Fin du Second Acte
Aujourd’hui, il est d’usage de dire ne servir à rien.
Rencontre au masculin désigne généralement une occasion.
Il existe un verbe latin qui s’orthographie distinguo et qui signifie « je sépare, je divise ». Nous pouvons donc penser que c’est effectivement dans ce sens qu’il faut prendre ce mot.
« Offre est considéré comme masculin dans les premières années du siècle. (…) On ne voit le mot régulièrement féminin qu’après 1660. » (A. Sancier-Château, Introduction à la langue du XVII e siècle, p. 37). La conservation du genre masculin pour ce mot peut donc être regardée comme archaïque.
Fin du Troisième Acte.
Nous avons transformé ici l’adjectif possessif ma de l’édition originale de 1674 en sa car Géronte n’est pas marié à Lucie. Il ne peut donc pas faire référence à sa femme mais bien à celle de Trigaudin.
« Facilité se dit pour foiblesse, mollesse, simplicité, indulgence excessive. » (A. Furetière)
Il faut comprendre ici faire la cour.
Il s’agit ici d’un aparté.
De « Ah l’effronté pendard ! » à « j’aurois bonne part », il s’agit là encore d’un aparté non indiqué par quelque didascalie.
À cette époque il y a encore confusion entre dans et dedans. Mais elle se fait, malgré tout, de plus en plus rare dans les dernières années du XVIIe siècle. Aussi, comme le souligne Anne Sancier-Château, « le non-respect de cette distinction dans le dernier quart du siècle témoigne sans doute d’une recherche expressive » (op. cit., p. 91). Toutefois cette confusion apporte également une facilité prosodique car dedans compte pour deux syllabes.
Nous avons changé le pronom personnel masculin le de l’édition originale en pronom personnel féminin car il nous semble que le valet L’Industrie montre à son confrère Lucie, que seuls Géronte, Trigaudin et lui-même connaissent, et non pas le bourgeois. D’autre part, c’est vers elle que La Forest se dirige et c’est à elle qu’il s’adresse.
Autem serait à prendre ici dans le sens de « en outre ».
Les licences sont les lettres, les « diplômes », qu’on reçoit dans les universités de l’époque, en théologie, en droit et en médecine. Les écoliers de Droit vont prendre leurs licences à Orléans, à Bourges. (A. Furetière)
Le terme est ici à prendre dans son sens premier ; trafiquer signifie primitivement « faire commerce. » (A. Furetière)
La robe et le bonnet sont les attributs des gens de justice.
Il faut comprendre je n’aurais pas dû. Sur l’utilisation de l’indicatif, cf. note 7 de l’acte I, scène 1.
Le Veau d’or est la représentation matérielle de Dieu imaginée par le peuple hébreu au sortir du désert. Cette idole entraîna la fureur de Moïse car il est interdit de créer des images de Dieu. La Rivière passe d’une image épique (le cheval de Troie) à une image biblique, ce décalage donnant naissance au côté burlesque de sa tirade.
« Imposer, tout seul, veut dire mentir. » (A. Furetière). Ici il faut donc comprendre si je mens.
Nous avons affaire ici à un latin de «populaire» puisque le mot nuptia a certainement été inventé d’après le véritable mot latin nuptiae, arum. f. qui ne se décline qu’au pluriel et qui signifie « les noces, le mariage ». Cette forme n’existe donc pas et a été créée par le valet. Sur ce point, consulter l’introduction.
Neque est la forme latine pour « ne…pas », le mot paragrapho existe bien au sens de « paragraphe » ; mais l’association des deux n’a aucune signification. Le valet semble utiliser les quelques bribes de latin qu’il lui reste de son passé de clerc.
Là encore les formes ne sont pas exactes, mais on pourrait traduire cette formule par « l’injustice ne se produit pas de manière bienveillante. »
Dans cette tirade, le valet La Rivière mélange donc le français et le latin. Cette technique comique a été observée chez d’autres auteurs, et notamment chez Racine. En effet, chez celui-ci, le valet L’Intimé cite, à la scène 3 de l’acte 3 des Plaideurs, un vers de La Pharsale de Lucain : « Victrix causa diis placuit, sed victa Catoni. » (« La cause du vainqueur eut la faveur des dieux, mais la cause du vaincu eut celle de Caton. ») La traduction de ce vers a été prise dans l’édition des œuvres complètes de Racine faite par Georges Forestier pour la Bibliothèque de la Pléiade. La différence entre ces deux valets réside dans le fait que l’un parle un bon latin et prouve sa culture tandis que l’autre parle un très mauvais latin et montre ainsi son ignorance.
Fin du Quatrième Acte.
On dit « Faire la guerre à l’œil pour dire espier tout ce qui se passe en quelque affaire où on a interest, pour y trouver ses avantages quand l’occasion s’en offre. » (A. Furetière)
Ce vers peut se traduire par « Des aigles aussi forts et des javelots menaçants les javelots ». Pour une fois les termes latins qui sont employés par le valet signifient sont exacts.
Orthographié novissime il signifie dernièrement, tout récemment.
D’abord.
Au dedans, de l’intérieur.
« Le mot de batterie en ce sens est du stile familier, & comique ; & se prend en general pour toutes sortes de moyens & d’invention que l’on emploie pour reüssir dans ses entreprises. On dit il faut changer de batterie pour je vais chercher un autre moyen, trouver un autre biais. » (A. Furetière)
FIN.
Permis d’imprimer ce 10 Mars 1674.
DE LA REYNIE.
Richelet P., Dictionnaire français , Genève, Widerhold, 1680 (cote Arsenal 4°B 522) (R. )Dictionnaire de l’Académie Françoise, Dédié au Roy , Paris, Coignard, 1694 (cote Arsenal Fol. B. 271) (A, 94)Furetière A., Dictionnaire universel , La Haye et Rotterdam, A. et R. Leers, 1690 (F .)Cayrou G., Dictionnaire du français classique, la langue du XVII , 2esiècleeéd., Paris, Klincksieck, 1924 (Cayr.)Hongre B. & Pignault J., Comprendre la langue des œuvres classiques, de Corneille à Châteaubriand , Paris, Hatier, 2000 (H. & P.)