Le Feint astrologue.
Comédie
A ROUEN, Chez LAURENS MAURRY, prés le Palais.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
M. DC. LI.
Et se vendent A PARIS, Chez CHARLES DE SERCY, au Palais, dans la Salle Dauphine, à la bonne Foy Couronnée.

Édition critique établie par Nathalie Conan dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2006-2007)

Présentation §

Plus qu’un auteur, Thomas Corneille fut un fournisseur, et de ce point de vue il est excellent, parce qu’il gagne à tous coup.1

Il est surprenant d’observer combien la « canonisation » de Molière par la postérité a eu tendance à éclipser tout un pan de l’histoire de la comédie au XVIIe siècle. Il faut dire que la critique traditionnelle a contribué à construire puis à entériner une image biaisée de la production théâtrale du XVIIe siècle. Tout se passe comme si le genre comique tel que nous le concevons aujourd’hui, nourris comme nous le sommes de lectures moliéresques, avait surgi « ex nihilo » en 1659 avec les Précieuses Ridicules. A peine sait-on par exemple que Pierre Corneille fut d’abord un auteur comique qui a débuté sa carrière par cinq comédies et une tragi-comédie qui lui valurent entre 1629 et 1636 la célébrité qu’on lui connaît aujourd’hui et que Le Cid en 1637 puis ses tragédies à partir de 1640 (date de création d’Horace) ne firent que confirmer et amplifier. On oublie ainsi bien souvent que la France de la première moitié du siècle fut un véritable « laboratoire du genre comique » où s’élabora peu à peu, au sein d’un jeu d’influences disparates, le modèle de la comédie « classique » telle que Molière l’incarne à présent pour nous. L’extraordinaire vogue des comédies imitées de l’espagnol dont d’Ouville lança la mode en 1640 avec L’Esprit Follet et dont le public raffola jusque dans les années 1650, témoigne à cet égard de ce mouvement d’expérimentations dramaturgiques et d’élaboration d’une formule « comique » propre au théâtre français dans les deux premiers tiers du XVIIe siècle. D’un point de vue quantitatif, d’Ouville, Scarron, Boisrobert, Thomas Corneille et dans une moindre mesure Pierre Corneille, furent les principaux représentants de ce courant. Leurs adaptations d’œuvres espagnoles rencontrèrent pour la plupart un succès durable auprès des contemporains et cristallisèrent le goût particulier d’une époque. Pourtant ces comédies à l’espagnole sont aujourd’hui encore souvent peu connues, négligées voire méprisées, en dépit de l’intérêt certain qu’elles présentent d’un point de vue historique et dramaturgique et même, pour beaucoup d’entre elles, littéraire.

C’est précisément par ce genre de comédie imitée de l’espagnol que Thomas Corneille débuta sa carrière théâtrale. Parmi elles Le Feint astrologue, seconde pièce de l’auteur, s’inscrit donc dans cette mode des pièces à l’espagnole et connaît à ce titre le discrédit qui frappe aujourd’hui les imitations relativement conventionnelles des modèles tirés du répertoire étranger, et plus généralement les œuvres dont le principe d’écriture nous semble souvent relever du simple pillage régi par la recherche d’un succès facile. Il faut dire que les critères de littérarité ont profondément changé depuis le XVIIe siècle, en particulier depuis l’époque romantique qui consacra l’« originalité » comme critère d’évaluation essentiel de la valeur artistique d’une œuvre. La prégnance de ce principe d’« originalité » hérité du XIXe siècle dans notre conception de l’art et dans notre sensibilité nous porte naturellement à considérer ces comédies imitées de modèles étrangers comme de simples plagiats, fruits d’un pillage sans scrupules, nous faisant parfois oublier que la réécriture était au cœur de l’esthétique classique et que dans cette perspective, la notion de plagiat est anachronique et qu’il conviendrait au contraire d’opérer un certain décentrement pour apprécier à leur juste valeur, si ténue soit-elle, des œuvres telle que Le Feint astrologue.

Si l’on ne peut donc nullement parler d’originalité pour cette pièce, elle reste néanmoins digne d’intérêt pour nous, et cela à plusieurs égards. On pourra ainsi observer au cours de cette étude qu’en dépit de sa grande proximité avec son modèle principal, El Astrologo fingido de Calderón, la comédie de Thomas Corneille n’en est pas pour autant une simple imitation. Elle témoigne en effet d’un souci d’adaptation au goût et à l’esthétique qui prévalent alors en France. En outre, le travail de réécriture auquel Thomas Corneille procède dans Le Feint astrologue semble se caractériser par la réutilisation pragmatique des sources, non seulement dans la perspective d’une adaptation au goût du public français, mais aussi souvent dans la perspective d’une plus grande efficacité dramatique et scénique ayant malheureusement parfois pour corollaire une certaine sécheresse à la lecture, dont l’auteur évoque lui-même le risque dans l’épître dédicatoire de la pièce :

Ainsi j’ay sujet d’apprehender que cette Comedie dont la representation vous a diverty tant de fois, ne vous semble froide sur le papier, et que vous n’ayez peine à y remarquer les mesmes naïfvetés qui vous ont fait rire, accompagnées de la grace de l’action.

Si de l’aveu même du dramaturge la pièce n’échappe pas au « proverbe », il n’en demeure pas moins vrai qu’avec Le Feint astrologue Thomas Corneille parvient à élaborer une comédie qui n’est pas dénuée de charmes, souvent amusante quoique peu originale et d’un comique assez superficiel. Du reste sa valeur littéraire nous importe bien moins ici que les choix dramaturgiques qui ont présidé à son élaboration. S’il ne s’agit donc pas de crier au « coup de maître », ni même de revendiquer pour Le Feint astrologue le statut de pièce innovante en matière de dramaturgie et inventive du point de vue thématique, cette étude s’attachera néanmoins à souligner le caractère exemplaire de cette comédie au regard de la production comique et des tendances dramaturgiques et esthétiques d’une époque qui tatonne au milieu de multiples influences, à la recherche d’une « formule » comique originale.

Thomas Corneille §

Un auteur souvent jugé sévèrement par la postérité §

Dans le contexte général d’une production comique durablement éclipsée par l’éclat de l’œuvre de Molière, Le Feint astrologue comme le reste de l’œuvre de Thomas Corneille subit en quelque sorte un second « handicap » lié à la figure même de son auteur. Pour beaucoup de commentateurs il semble en effet difficile de considérer Thomas Corneille autrement que comme le frère cadet du « Grand Corneille », le double dégradé de Pierre. La constante et inévitable comparaison avec son brillant aîné ne pouvait évidemment que le desservir. Pour ce dramaturge qui jouissait pourtant d’une grande renommée au XVIIe siècle, le statut de « petit frère » de Pierre Corneille a contribué à favoriser la plongée de son œuvre dans l’oubli ou le mépris, Thomas Corneille incarnant souvent la « médiocrité littéraire »2 aux yeux de la postérité, le talent éclipsé par le génie. Il fut pourtant un auteur très célèbre de son vivant, qui rencontra durablement les faveurs du public et connut plusieurs succès éclatants. C’est d’ailleurs à lui que l’on doit le plus grand triomphe théâtral du XVIIe siècle, Timocrate, tragédie qui fut jouée durant près de six mois, ce qui est tout à fait exceptionnel pour l’époque. Trois de ses pièces connurent en outre un succès durable et furent rejouées jusqu’au XVIIIe voire jusqu’au XIXe siècle3. Mais si à l’instar de Voltaire la postérité immédiate a eu tendance à reconnaître ses mérites4, la plupart des commentateurs des siècles suivants se sont en revanche montrés peu indulgents à l’égard d’un auteur qu’ils jugent opportuniste et d’un talent médiocre. C’est peut-être A. Adam qui a formulé le plus durement le jugement sévère que de nombreux critiques partagent au sujet de Thomas Corneille :

Thomas Corneille est peut-être le premier écrivain notable qui ait si complètement sacrifié les exigences de l’art à celles du succès.5

En effet, l’image qui revient le plus souvent de Reynier à Lancaster (pourtant plus modéré sur ce point) est celle d’un auteur « à la mode » doué mais sans génie. On retrouve ainsi chez la plupart des commentateurs le paradoxe d’une figure d’auteur très populaire à son époque et doté d’une « habileté technique »6 certaine, mais n’ayant livré aucun chef-d’œuvre. Il faut dire que les travaux de Reynier consacrés à Thomas Corneille7 ont sans doute durablement orienté la perception que l’on peut avoir du dramaturge, ainsi que la perspective adoptée par les critiques ultérieurs pour aborder son oeuvre. Reynier propose en effet une lecture de la vie de Thomas Corneille à travers le prisme de la recherche du succès. Commentant par exemple une lettre de notre auteur à l’abbé de Pure datant du 20 juillet 16598, à propos de sa tragédie Darius dont il n’est pas satisfait mais qu’il n’a plus le temps de modifier, Reynier écrit ainsi :

Pouvait-il jamais être inquiété par cet éternel souci du mieux, dont les vrais artistes sont possédés, ce poète qui dès la jeunesse, s’était ainsi asservi9 aux exigences du métier et dont la première préoccupation était d’arriver à temps ? 10

Le lexique témoigne ici de la perspective qui traverse l’ouvrage de Reynier : la valeur artistique semble s’établir à partir d’un critère d’autonomie de l’art selon lequel le « vrai artiste » ne serait pas « asservi » à des contraintes ou à des exigences extérieures à l’œuvre d’art elle-même. Reynier aborde ainsi l’œuvre de Thomas Corneille au moyen de critères typiques du XIXe siècle et sa lecture, informée par les valeurs de son siècle, explique en partie sa sévérité à l’égard d’une production dramatique qu’il considère comme médiocre. Ce que le commentateur déplore en général, c’est l’hétéronomie d’une œuvre qui serait essentiellement tournée vers le public, c’est-à-dire ce qu’il estime être un opportunisme indigne d’un véritable artiste, une recherche du succès qui se ferait au détriment de l’art véritable. Or c’est oublier que la contrainte est indissociable de la création théâtrale (que l’on pense à Molière, qui dans plusieurs Préfaces et Avis au lecteur évoque la précipitation qui a présidé à la production de plusieurs de ses œuvres de commande11), et il semble en outre anachronique et réducteur d’évaluer la valeur d’une œuvre au regard de critères totalement étrangers aux principes et aux conditions concrètes de la création théâtrale du XVIIe siècle. Pour autant il ne s’agira évidemment pas dans cette étude de chercher à réhabiliter Thomas Corneille comme auteur de génie, mais en tout cas d’éviter des jugements simplistes sur son œuvre et sa dramaturgie, fondées sur l’idée d’une opposition entre valeur littéraire et recherche du succès, comme si Corneille, Racine ou Molière, érigés au rang d’auteurs de génie par la postérité, avaient pour leur part négligé la recherche du succès dans une sorte d’ascèse artistique.

S’il n’est pas non plus de notre propos de développer ici une biographie exhaustive de Thomas Corneille qui nuancerait de façon systématique et rigoureuse les partis-pris de la critique traditionnelle dont on retrouve des traces jusque dans les analyses qu’A. Adam ou A. Cioranescu ont consacrées à notre auteur12, il nous a néanmoins paru important de préciser que la perspective adoptée pour cette étude consistera d’abord à privilégier une approche du Feint astrologue dans son fonctionnement propre ainsi qu’un examen des principes d’écriture qui ont présidé à son élaboration, indépendamment de considérations morales, de jugements de valeur ou de procès d’intention dont notre auteur à souvent fait les frais. Et si la notion de « pragmatisme » souvent avancée à propos de la dramaturgie de Thomas Corneille sera parfois reprise au cours de cette étude, elle le sera vidée des connotations péjoratives dont elle se teintait chez la plupart des commentateurs et ne sera ainsi plus entendue comme un « opportunisme » mais plutôt comme la recherche d’une efficacité dramaturgique et scénique et comme un travail sur les effets.

Aperçu biographique §

Mise en perspective §

Il semble d’autant plus difficile d’établir un tableau objectif des années de jeunesse de Thomas Corneille, de ses débuts de dramaturge et même de sa vie entière que les légendes et les anecdotes attachées à la figure de son frère, paraissent bien souvent s’y mêler et jeter ainsi un voile d’incertitude sur certains aspects de son existence. Comment distinguer la réalité des reconstructions rétrospectives voire des légendes ? Certaines informations nous viennent en effet de témoignages contemporains, parfois de l’auteur lui-même, mais il convient peut-être quelquefois d’en nuancer la portée lorsque ceux-ci sont postérieurs de plusieurs années aux événements qu’ils rapportent et en particulier lorsqu’ils apparaissent a posteriori dans le cadre d’éloges susceptibles de faire la part belle au mythe et au compliment complaisant, ou à l’inverse, lorsqu’il s’agit de présenter Thomas Corneille comme repoussoir du « Grand Corneille » ou de Racine. On citera à cet égard la célèbre anecdote rapportée par Voisenon et citée par Reynier13 :

Ils logeaient ensemble, Thomas travaillait bien plus facilement que Pierre et, quand celui-ci cherchait une rime, il levait une trappe [qui selon la légende aurait fait communiquer leurs appartements] et la demandait à Thomas, qui la donnait aussitôt (Œuvres, t. IV, p. 35, Anecdotes littéraires)

Dans cette anecdote qui semble anodine au premier abord, on sent poindre la tendance précédemment évoquée à considérer Thomas Corneille comme l’ombre de son aîné : sa facilité à composer et ses talents de versificateur y sont en effet présentés comme contrepoint du génie laborieux de son frère.

Ses premières années et sa formation §

Thomas Corneille est né à Rouen le 20 août 1625. Son père était maître particulier des eaux et forêts de la vicomté de Rouen. Comme son frère Pierre, de dix-neuf ans son aîné, il fit ses études de rhétorique au collège des Jésuites de Rouen. Dans son ouvrage consacré au dramaturge, G. Reynier se plaît à signaler que ce dernier « s’y fit remarquer par cette étonnante facilité qui devait être le trait distinctif de son talent »14. A la mort de leur père en 1640, c’est Pierre qui aurait dirigé l’éducation de son frère. Les biographes insistent en général sur l’importance de l’influence de son aîné dans son instruction, et par la suite dans sa carrière, ainsi que sur la grande proximité des deux frères, puisqu’en 1650, Thomas a épousé Marguerite de Lampérière, sœur de la femme de Pierre, et que les deux ménages ont occupé des maisons mitoyennes pendant de nombreuses années, d’abord à Rouen, puis à Paris de 1662 à 168115. On prétend ainsi souvent que c’est Pierre qui lui aurait enseigné personnellement l’espagnol et qu’il l’aurait également initié au répertoire espagnol où il avait lui-même puisé pour composer Le Menteur et La Suite du Menteur16 et dont Thomas devait tirer les sujets de la plupart de ses comédies, notamment Le Feint astrologue.

Ses débuts au théâtre : un point discuté §

Après le collège, il fit son droit à l’université de Caen où il obtint sa licence en 1646 et fut « reçu avocat »17 en 1649, année qui, selon H. C. Lancaster, marque également le début de sa carrière théâtrale, tandis que G. Reynier et S. W. Deierkauf-Holsboer situent pour leur part ses débuts d’auteur dramatique en 1647, autrement dit dès la fin de ses études de droit. Sur ce point donc, les critiques divergent, et en l’absence de données contemporaines objectives, on ne peut s’en tenir qu’à des suppositions. Cette divergence concernant les débuts de Thomas Corneille au théâtre nous intéresse au premier chef dans la mesure où la datation de la création du Feint astrologue en dépend. Elle tient principalement au fait que les différents commentateurs et biographes ne s’entendent pas sur les dates de création des premières pièces du dramaturge. En effet, G. Reynier se fonde sur les dates avancées sans preuves par les frères Parfaict dans leur Histoire du Théâtre français18 et que l’intervalle de trois années entre la fin des études de Thomas Corneille en 1646 et l’obtention officielle par ce dernier du titre d’avocat en 1649, semble selon lui corroborer : les frères Parfaict situent la création des Engagements du Hasard, première pièce de Thomas Corneille, en 1647, tandis que H. C. Lancaster considère pour sa part que cette datation est douteuse, et estime que le dramaturge a probablement débuté sa carrière en 164919, se fondant sur un raisonnement contesté par S. W. Deierkauf-Holsboer20. Pour le moment, nous retiendrons la date de 1647 en réservant la justification de ce choix à des développements ultérieurs. Nous reviendrons en effet plus loin sur ces différentes hypothèses lorsque nous évoquerons la date de création du Feint astrologue, et nous tenterons alors d’évaluer la pertinence des arguments avancés par les différents critiques pour dater les débuts de Thomas Corneille au théâtre.

Toujours est-il que Thomas Corneille délaissa le droit pour se consacrer au théâtre. Qu’il ait commencé à écrire pendant la période de la Fronde comme le suppose Lancaster, ou peu de temps avant comme l’affirment G. Reynier et Sophie Wilma Deierkauf-Holsboer, il devint en tout cas très rapidement un dramaturge à succès, en vue dans les milieux galants des salons. Reynier estime d’ailleurs que les relations et les appuis que le jeune auteur acquit avec ses premiers succès dramatiques dans les cercles galants qu’il fréquentait lors de ses séjours parisiens « peuvent en partie expliquer la continuité et l’éclat de ses succès »21. Une fois encore à l’instar de son frère, il commença sa carrière théâtrale avec des comédies qui lui firent connaître ses premiers succès. En 1656, après avoir produit huit comédies pour la plupart imitées de modèles espagnols, Thomas Corneille se détourna du genre comique vers lequel il ne revint par la suite que de manière épisodique. C’est principalement vers la tragédie que le jeune dramaturge orienta dès lors sa plume, et c’est d’ailleurs dans le « Grand genre », et dès son coup d’essai, qu’il connut son succès le plus éclatant, Timocrate, qui fut créé en 1656.

Un auteur prolifique §

On note une interruption de sa production théâtrale entre 1663 à 1666, que Reynier explique par les difficultés que connut le dramaturge durant cette période22. Cette brève interruption mise à part, la veine dramatique de notre auteur fut intarissable entre 1647 et 1695, période durant laquelle il composa pas moins de quarante-deux pièces d’une grande diversité et quelques opéras, écrivant en général une ou deux pièces chaque année23. Ce caractère prolifique a d’ailleurs sans aucun doute contribué à entériner l’image de talent facile recherchant le succès à tout prix si souvent attachée à notre auteur.

En 1673, Thomas Corneille composa plusieurs pièces à machines pour la troupe de Molière après la mort de ce dernier, à une époque ou ce genre de divertissement à grand spectacle était fort prisé du public. Il s’essaya aussi au genre lyrique en composant quelques opéras : ce furent Bellérophon (1679), fruit d’une collaboration avec Lulli et Médée (1693) dont Charpentier composa la musique. La fin de sa carrière dramatique fut en particulier marquée par la multiplication d’œuvres coécrites avec son ami Donneau de Visé, notamment la Devineresse (1679) qui fut l’un de ses derniers succès au théâtre. En effet, à partir de 1680, le public se détourna des œuvres du dramaturge qui n’apparaît plus dès lors comme l’auteur à succès tant apprécié qu’il avait été. 1680 constitue donc un tournant dans la carrière de Thomas Corneille dont le succès commença à marquer le pas et qui en outre réduisit sa production théâtrale pour se tourner vers d’autres activités.

Les dernières années §

En effet, à la fin de sa vie, son activité littéraire se diversifia puisqu’il devint journaliste, géographe, grammairien, traducteur, lexicographe ou encore encyclopédiste, se livrant à des travaux d’érudition qui l’occupèrent jusqu’à sa mort. À partir de 1677, il collabora régulièrement au Mercure Galant, gazette mondaine dont il fut l’un des rédacteurs durant vingt-trois ans avec son ami Donneau de Visé qui l’avait fondée en 1672. Les deux hommes s’associèrent d’ailleurs en 1681 par un contrat qui fixait leur part respective dans la rédaction ainsi que dans les profits de cette entreprise dont les publications connurent un grand succès et qui s’avéra particulièrement rentable pour les deux associés.

Après la mort de Pierre Corneille en 1684, Thomas fut reçu à l’Académie Française en 1685 pour lui succéder. Élu à l’unanimité des suffrages pour occuper le fauteuil de son frère, il fit en ces termes l’éloge de ce dernier dans son discours de réception :

J’avoüe, Messieurs, que quand aprés tant d’épreuves, vous m’avez fait la grace de jetter les yeux sur moy, vous m’auriez mis en péril de me permettre la vanité la plus condamnable, si je ne m’estois assez fortement étudié pour n’oublier pas ce que je suis. Je me serois peut-estre flatté, qu’enfin vous m’auriez trouvé les qualitez que vous souhaitez dans des Academiciens dignes de ce nom […]. Mais, Messieurs, l’honneur qu’il vous a plû de me faire, quelque grand qu’il soit, ne m’aveugle point. Plus vostre consentement à me l’accorder a été prompt, et si je l’ose dire, unanime, plus je voy par quel motif vous avez accompagné vostre choix d’une distinction si peu ordinaire. Ce que mes défauts me défendoient d’esperer de vous, vous l’avez donné à la memoire d’un Homme que vous regardiez comme un des principaux ornemens de vostre Corps. L’estime particuliere que vous avez toûjours eüe pour luy, m’attire celle dont vous me donnez des marques si obligeantes. Sa perte vous a touchez, et pour le faire revivre parmy vous autant qu’il vous est possible, vous avez voulu me faire remplir sa place, ne doutant point que la qualité de Frere qui l’a fait plus d’une fois vous solliciter en ma faveur, ne l’eust engagé à m’inspirer les sentiments d’admiration qu’il avoit pour toute vostre illustre Compagnie. Ainsi, Messieurs, vous l’avez cherché en moy, et n’y pouvant trouver son merite, vous vous estes contentez d’y trouver son nom.

Jamais une perte si considerable ne pouvoit estre plus imparfaitement reparée […]24

Outre la part éventuelle de posture dans cette modestie affichée, avait-il lui-même déjà conscience que le fauteuil de son frère serait trop « grand » pour lui et que son illustre nom susciterait toujours une inévitable comparaison avec son génial aîné dont il ne serait jamais perçu que comme l’ombre ? De Boze l’entrevoit déjà en 1710 lorsqu’il évoque son élection à l’Académie française comme un « honneur qui sembloit achever le parallele des deux freres »25. Thomas Corneille fut en tout cas un académicien zélé : il assista aux séances de façon assidue et participa activement aux travaux de l’Académie. Il pris ainsi en charge la rédaction de deux compléments au Dictionnaire de l’Académie destinés à enrichir l’ouvrage qui était alors menacé par la concurrence du dictionnaire de Furetière, lequel, plus complet, proposait des articles encyclopédiques là où celui de l’Académie se présentait comme un simple dictionnaire de langue. Son Dictionnaire des termes d’arts et de sciences parut en 1694 et il débuta dans le même temps la rédaction d’un Dictionnaire universel géographique et historique qui l’occupa presque exclusivement durant les dernières années de sa vie et qui parut en 1708. Thomas Corneille publia en outre une édition critique des Remarques de Vaugelas en 1687 ainsi qu’une traduction des Métamorphoses d’Ovide en 169726. Il fut également reçu membre de l’Académie des Inscriptions en 1701. Il mourut aveugle en 1709 aux Andelys dans une maison héritée de sa femme où il s’était retiré en 1708. Il était alors âgé de quatre-vingt-quatre ans.

Une œuvre dramatique « protéiforme »27 §

Auteur particulièrement prolifique, Thomas Corneille composa en tout, nous l’avons dit, quarante-deux pièces qui recouvrent la plupart des genres théâtraux ainsi que quelques opéras. Comédies, tragédies romanesques ou historiques, pièces à machines : notre auteur a exploré tous les genres avec une grande variété de tons. Il est néanmoins possible de dégager quelques tendances majeures dans sa production. On pourra par ailleurs se reporter à la liste chronologique exhaustive des œuvres dramatiques de Thomas Corneille établie dans l’annexe 1.

Les comédies §

Thomas Corneille débuta sa carrière dans le genre comique avec une série de comédies « à l’espagnole », genre qui, comme nous l’avons déjà dit, était en vogue à l’époque et qui puisait dans le riche répertoire des comedias espagnoles. À l’exception du Charme de la voix (1656 ? ) tiré de Moreto et qui fut un échec, toutes ces comédies connurent un certain succès. Ainsi, après la réussite des Engagements du hasard (1647), pièce adaptée de Los Empeños de un acaso de Calderón, Thomas Corneille poursuivit dans cette veine avec Le Feint astrologue (1648), également imité de Calderón. Puis suivirent la comédie burlesque Don Bertran de Cigarral (1651), tiré de Rojas et qui fut un vif succès, L’Amour à la mode (1651) emprunté à Antonio de Solis et Les Illustres ennemis (1655) qui fut bien accueillie en dépit de la double concurrence des pièces de Scarron et de Boisrobert qui avaient entrepris dans le même temps de traiter le même sujet emprunté à Francisco de Rojas et Calderón. De même, sa comédie burlesque Le Geôlier de soi-même (1655) imitée de Calderón fut préférée à la pièce concurrente de Scarron (Le Gardien de soi-même) et son succès fut durable puisque la pièce fut régulièrement reprise jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Seule exception au milieu de cette production comique « à l’espagnole » : Le Berger extravagant (1652), comédie pastorale parodique dont le sujet est tiré du roman de Charles Sorel.

Mais à partir de Timocrate en 1656, c’est vers la tragédie que Thomas Corneille orienta durablement sa plume. Pour G. Reynier comme pour H. C. Lancaster, la raison de ce changement est simple : depuis 1653, Pierre Corneille avait provisoirement renoncé au théâtre après l’échec retentissant de sa tragédie Pertharite. En l’absence d’une concurrence sérieuse, ce fut donc probablement l’occasion pour Thomas de s’essayer au « Grand genre » et de tenter de s’y illustrer à la suite de son aîné28. Lancaster29 souligne également le fait, à la fois curieux et révélateur, que Pierre Corneille n’ait plus écrit de comédies à partir du moment où son jeune frère a commencé à écrire : en effet, mis à part Don Sanche d’Aragon, comédie héroïque créée en 1649, la dernière comédie à proprement parler de Pierre Corneille est La Suite du Menteur qui date de la saison 1644-1645. D’après Lancaster, tout se passe comme si l’aîné des Corneille avait volontairement cédé à son jeune frère le genre plus léger qu’était la comédie, probablement perçu comme plus abordable pour un débutant qui devait faire ses armes30. Toujours est-il qu’à partir de Timocrate, le jeune dramaturge se détourna durablement de la comédie vers laquelle il ne revint que de manière ponctuelle entre 1656 et 1672 avec Le Galant doublé (1660), Le Baron d’Albikrac (1667) dont le succès dura deux siècles, et La Comtesse d’Orgueil (1670) qui fut en revanche un échec.

L’année 1673 marque le retour de Thomas Corneille au genre comique31, mais dans une veine renouvelée. En effet, mis à part Don César d’Avalos (1674), le dramaturge ne composa plus de comédies « à l’espagnole », dont la vogue était alors retombée et dont le public avait finit par se lasser, raffolant désormais de comédies moliéresques. Thomas Corneille se lança alors dans le genre fastueux des divertissements à grand spectacle que le public appréciait particulièrement à l’époque en livrant au théâtre Guénégaud plusieurs comédies à machines composées en collaboration avec Donneau de Visé : ce furent L’Inconnu (1675), Le Triomphe des dames (1676), et dans un registre plus satirique assez nouveau chez notre auteur, la célèbre Devineresse (1679), inspirée d’un sujet qui défrayait alors la chronique32 et qui fut son dernier grand succès, et La Pierre philosophale (1681) qui connut en revanche un échec retentissant33. La liste des échecs devait d’ailleurs s’allonger avec une autre comédie satirique, L’Usurier (1685) et avec Le Baron des Fondrières (1686) qui si l’on en croit le Manuscrit de Tralage cité par Reynier34, ne fut représenté qu’une seule fois et sous les huées du parterre. Sa dernière comédie, Les Dames vengées (1695), connut en revanche un certain succès. Notons également qu’à la demande d’Armande Béjart, Thomas Corneille livra une version versifiée et « expurgée » du Festin de Pierre de Molière, si bien que la pièce put être reprise à la scène en 1677.

Les tragédies §

Entre 1656, date de création de Timocrate et 1678, date de représentation du Comte d’Essex, Thomas Corneille composa seize tragédies, dont une à machines (Circé, 1675), sans compter son ultime pièce, Bradamante (1695).

Face à la diversité que recouvre l’ensemble de l’œuvre tragique de Thomas Corneille, nous ne fournirons ici qu’un aperçu succinct de cette production qui d’ailleurs n’intéresse pas notre étude au premier chef, quoiqu’à l’instar de D. Collins35 on puisse dans une certaine mesure y déceler l’expression d’une technique dramatique maîtrisée qui s’est affinée et perfectionnée au fil de ses œuvres et dont l’apprentissage s’est notamment fait à travers ses premières comédies. À la suite d’E Mahieux36, nous reprendrons ici la classification de Reynier qui quoique discutable à plusieurs égards permet néanmoins de dégager quelques grandes tendances dans la veine tragique de notre auteur. En outre, si cette catégorisation a parfois été discutée par les critiques, elle a finalement été reprise par la plupart d’entre eux même lorsqu’ils en modifient les dénominations. D’ailleurs, cette classification nous intéresse moins par sa pertinence qu’en tant que révélateur de cette tendance générale de la critique à considérer Thomas Corneille comme un auteur « à la suite »37. Reynier opère en effet ses distinctions sur la base des différentes influences qu’aurait subies notre auteur et qui auraient orienté sa plume tantôt vers le registre romanesque, tantôt sur les traces de son frère ou de Racine. Si ces influences sont indéniables, il n’en reste pas moins qu’elles n’épuisent pas l’analyse des tragédies de Thomas Corneille.

La veine romanesque §

Elle est inaugurée par l’éclatant succès de Timocrate (1656) qui fut le triomphe théâtral du siècle. Fait exceptionnel au XVIIe siècle et qui à ce titre mérite d’être souligné, la pièce fut jouée lors de quatre-vingts représentations successives. Ce fait est d’autant plus extraordinaire que Timocrate fut représenté pendant plusieurs mois simultanément par les deux troupes rivales du Marais et de l’Hôtel de Bourgogne qui, devant l’ampleur du succès que rencontrait la pièce, avait décidé de l’inscrire à son répertoire. Cette première tragédie constitue donc pour le jeune dramaturge un « coup d’essai » particulièrement heureux dans le « Grand genre ». Finalement assez proche de la tragi-comédie, cette pièce qui fait la part belle au sentiment galant et multiplie les péripéties sans grand souci de vraisemblance, cristallise sans doute le goût romanesque d’une époque. Dans la même veine, Thomas Corneille composa Bérénice (1657) dont le sujet, loin d’être antique comme le laisserait supposer le titre, est en fait tiré d’une histoire du Grand Cyrus de Mlle de Scudéry. Cette pièce connut un certain succès. Puis suivirent Darius (1659), Persée et Démétrius (1662), Pyrrhus (1663), Antiochus (1666), Théodat (1672) et enfin Bradamante (1695), tragédie héroïque et galante. Intrigues invraisemblables, nombreuses péripéties, identités cachées, feintes, beaux sentiments, rafinements galants et personnages stéréotypés : telles sont les caractéristiques communes à toutes ces pièces traditionnellement identifiées par la critique comme relevant d’une influence romanesque.

La veine « cornélienne » §

Cette catégorie établie par Reynier regroupe un ensemble de tragédies à dominante politique et historique et faisant la part belle aux « grands sentiments », qui sont les caractéristiques couramment utilisées par la critique traditionnelle pour qualifier l’esthétique tragique de Pierre Corneille. Au-delà de la question de sa pertinence, cette dénomination de Reynier révèle une nouvelle fois la propension d’un certain nombre de commentateurs à considérer l’œuvre de Thomas Corneille comme fondamentalement « sous influence ». Cette veine « cornélienne » trouve selon Reynier son illustration dans La Mort de l’empereur Commode (1657), Stilicon (1660), Camma (1661), Maximian (1662), Laodice (1668) et enfin dans La Mort d’Annibal (1669).

La veine « racinienne » §

Cette tendance concernerait en particulier les dernières œuvres tragiques de notre auteur : Ariane (1672) et Le Comte d’Essex (1678). Ces tragédies tardives se caractérisent par leur simplicité d’action et une tonalité nettement pathétique et élégiaque dans l’expression des sentiments. Là encore, la dénomination de Reynier est discutée par certains critiques. D. Collins parle ainsi plus volontiers de « tragédies du sentiment »38 pour qualifier cette catégorie. Mais le présupposé de l’influence racinienne reste prégnant et paraît d’ailleurs peu discutable39 : comme chez Racine, ce sont ici les passions qui constituent le puissant moteur de l’action. Celle-ci est simple, loin du foisonnement de péripéties et des intrigues d’une grande complexité qui caractérisaient les tragédies romanesques de notre auteur. Notons d’ailleurs que ces deux tragédies, Ariane et Le Comte d’Essex, comptent parmi les succès les plus durables de Thomas Corneille40 : la première était encore jouée sur les scènes françaises au XIXe siècle ; quant au Comte d’Essex, il demeura au répertoire de la Comédie-Française jusqu’au début du XIXe siècle. N’est-ce pas là encore un signe de l’influence « racinienne » qui traverse ces œuvres ? Le public des siècles suivants, dont la sensibilité et le goût ont été formés à la lecture d’un Racine érigé au rang de génie tragique, ne fut-il pas précisément sensible à cette veine « racinienne » chez notre auteur ?

Par quelque aspect qu’on l’aborde, l’œuvre de Thomas Corneille semble donc toujours devoir être perçue comme « imitation de » et comme fondamentalement hétéronome. À cet égard, Le Feint astrologue ne déroge pas à la règle aux yeux de la critique.

Présentation générale du Feint astrologue §

Le Feint astrologue dont la première publication date de 1651, est la seconde pièce de Thomas Corneille mais la première qu’il a publiée. Elle revêt à ce titre un statut particulier au sein de l’œuvre de notre auteur puisque c’est avec elle que ce dernier « entre en publication » en 1651. En effet, Thomas Corneille ne consentit à faire imprimer sa première pièce, Les Engagements du hasard, qu’en 1651, date à laquelle son frère obtint un Privilège d’impression pour Nicomède et Andomède, mais aussi pour Le Feint astrologue et Les Engagements de Thomas et cette dernière pièce ne fut effectivement publiée pour la première fois qu’en 1657, soit près de dix ans après la date supposée de sa création et après avoir subit de profonds remaniements.

La lecture de l’épître dédicatoire du Feint Astrologue est particulièrement éclairante à cet égard. Adressée à un certain « MONSIEUR B. Q. R. I. », dédicataire très certainement fictif, sa fonction est essentiellement préfacielle41. On y retrouve une posture de modestie caractéristique des énoncés préfaciels de l’époque et qui sera particulièrement récurrente chez Thomas Corneille tout au long de sa carrière :

Le Theatre luy a donné des graces qu’il est bien difficile qu’il conserve dans le cabinet, et ces sortes de Poëmes ne pouvant estre soustenus ny par la majesté des vers, ny par la beauté des pensées, l’on en voit fort peu qui ne perdent presque tous leurs advantages hors de la bouche de ceux qui sçavent en relever la simplicité du style. Ainsi j’ay sujet d’apprehender que cette Comedie dont la representation vous a diverty tant de fois, ne vous semble froide sur le papier, et que vous n’ayez peine à y remarquer les mesmes naïfvetez qui vous ont fait rire, accompagnées de la grace de l’action.

En lisant ces quelques lignes, on ne peut s’empêcher de penser à la préface des Précieuses Ridicules de Molière, mais aussi à l’« Adresse au lecteur » de Mélite, première pièce de Pierre Corneille, qui présentent toutes deux à certains égards une grande proximité avec cette épître :

Je sais bien que l’impression d’une pièce en affaiblit la réputation : la publier, c’est l’avilir ; et même il s’y rencontre un particulier désavantage pour moi, vu que ma façon d’écrire étant simple et familière, la lecture fera prendre mes naïvetés pour des bassesses. (Pierre Corneille, Mélite, « Au lecteur », 1632)

Ce n’est pas que je veuille faire ici l’auteur modeste, et mépriser par honneur ma comédie. J’offenserais mal à propos tout Paris, si je l’accusais d’avoir pu applaudir à une sottise : comme le public est le juge absolu de ces sortes d’ouvrages, il y aurait de l’impertinence à moi de le démentir ; […] Mais comme une grande partie des grâces qu’on y a trouvées dépendent de l’action et du ton de voix, il m’importait qu’on ne les dépouillât pas de ces ornements, et je trouvais que le succès qu’elles avaient eu dans la représentation était assez beau pour en demeurer là. (Molière, Préface des Précieuses Ridicules, 1660)

Comme pour notre auteur, il s’agit ici pour Molière de justifier une première publication et sa préface, tout comme l’ « Adresse au lecteur » de Mélite, présente les mêmes considérations au sujet de la spécificité d’un langage théâtral lié de façon intrinsèque à l’action scénique, c’est à dire indissociable du phénomène concret de la représentation. Certes, il s’agit là d’un topos préfaciel dont la portée analytique serait dès lors à nuancer. Mais il n’en demeure pas moins intéressant d’observer que même si ce propos fonctionne avant tout comme une justification topique et modeste, avec tout ce que cela peut impliquer de posture possible, il semble que le pragmatisme que Thomas Corneille déploie dans Le Feint astrologue témoigne en effet d’une certaine conscience de la spécificité du fait théâtral et d’une grande attention portée aux effets scéniques42.

Les conditions de représentation de la pièce : beaucoup de probabilités mais aucune certitude §

Le Feint astrologue fut probablement créé en 1648 à l’Hôtel de Bourgogne. Nous ne disposons à vrai dire d’aucune source contemporaine indiquant avec précision la date de création de la pièce. Les frères Parfaict, près d’un siècle plus tard, ont accolé la date de 1648 à leur présentation de la pièce, sans donner plus de détails43. Mais Lancaster44 souligne que les deux frères ont avancé cette date sans aucune preuve. Il indique en outre que dans ses travaux sur Thomas Corneille, Reynier ne fait que répéter les dates de création des quatre premières pièces de Thomas Corneille données par les frères Parfaict. Ce point est important et mérite que l’on s’y arrête car il s’agit de savoir à quel moment Thomas Corneille s’est engagé dans la carrière théâtrale et a fait représenter ses premières pièces, parmi lesquelles Le Feint astrologue.

On l’a vu, Thomas Corneille passe sa licence de droit en 1646. Or il n’est reçu avocat que trois ans plus tard, en 1649. Reynier45 justifie cet intervalle en se fondant sur les travaux de M. Gosselin et F. Bouquet, ainsi que sur les dates données par les frères Parfaict : selon lui, si Thomas Corneille a tardé à faire valoir son grade obtenu à l’issu de ses études de droit, c’est qu’il aurait préalablement débuté sa carrière théâtrale à la fin de 164746 (il s’agit là de la date avancée par les frères Parfaict) avec une première comédie, Les Engagements du hasard, créée à l’Hôtel de Bourgogne. Puis en 1648 selon Reynier, qui semble encore suivre en cela les indications des frères Parfaict, Thomas Corneille aurait fait représenter Le Feint astrologue, sa seconde comédie. Or cet argument du biographe nous semble difficilement recevable dans la mesure où sa « réception » au barreau de Rouen à l’issue de ses études de droit n’empêchait nullement Thomas Corneille de se lancer parrallèlement dans une carrière de dramaturge47.

Outre le fait que Reynier reprenne les dates des frères Parfaict sans les justifier, Lancaster48 estime sa datation improbable pour des raisons logiques. Son raisonnement se fonde sur les dates de publications et les quelques informations que l’on tient de l’auteur lui-même : la première édition de sa première pièce Les Engagements du hasard date de 1657 et le Privilège est daté du 12 mars 1651 (ce même Privilège a aussi été accordé au Feint Astrologue ainsi qu’à deux autres pièces de Pierre Corneille, Andromède et Nicomède). Or selon Lancaster, « il est peu probable qu’un long temps se soit écoulé entre la création et le Privilège des Engagements » (obtenu en 1651) d’une part, et entre la composition de la première pièce et la composition de la seconde d’autre part, l’argument de l’historien consistant à dire que Thomas Corneille ayant beaucoup écrit, il a dû composer ses œuvres rapidement. Lancaster estime donc que la création de sa première pièce a eu lieu en 1649 et suivant son raisonnement, il situe la première représentation du Feint Astrologue, sa seconde pièce, au début de 1650.

Or à la suite de Sophie Wilma Deierkauf-Holsboer49, il nous semble que les arguments sur lesquels Lancaster fonde son raisonnement sont peu convaincants. Lancaster paraît en effet oublier un élément important d’ordre historique qui a eu une influence non négligeable sur l’histoire matérielle du théâtre de la période : il s’agit de La Fronde dont les désordres ont agité le royaume entre 1648 et 1653 et qui a également perturbé la vie théâtrale parisienne. Elle se divise en deux périodes distinctes : la première, la Fronde parlementaire, éclate en août 1648 et dure jusqu’en mars 1649. Durant cette période, la troupe de l’Hôtel de Bourgogne part en tournée50, anticipant peut-être les possibles difficultés que son théâtre aurait pu rencontrer en ces temps de désordres insurrectionnels. La seconde période, qui s’étend d’octobre 1649 à septembre 1653, est la plus troublée. Alors que la guerre civile fait rage et que des barricades se dressent dans la capitale, les salles de spectacle parisiennes sont désertées par le public qui a alors d’autres préoccupations. Ces dernières sont en outre amenées à fermer leurs portes à plusieurs reprises. La vie théâtrale ne reprend normalement qu’à partir du printemps 1653. D’après Sophie Wilma Deierkauf-Holsboer il est donc fort peu probable que le jeune Thomas Corneille ait livré ses deux premières pièces à la troupe de l’Hôtel de Bourgogne en 1649 et en 1650, c’est à dire au plus fort des troubles et des affrontements, dans un contexte si peu propice à l’activité théâtrale, et la commentatrice choisit donc de s’en tenir aux dates avancées par les frères Parfaict. En l’absence d’informations complémentaires, le raisonnement de Sophie Wilma Deierkauf-Holsboer, même s’il ne constitue pas une preuve, nous paraît préférable et nous retiendrons 1648 comme date de création du Feint Astrologue. Le texte même de la pièce présente en outre un autre indice qui, même s’il n’est pas déterminant, pourrait nous permettre de préciser cette date : en effet, dans un morceau de bravoure où le valet Philipin déploie toute sa verve pour dresser un inventaire des différents types de « diables », on trouve une allusion à la Fronde :

Il en est de village, il en est du grand monde,
Il en est à la mode, il en est à la fronde (V, 7)

Le Feint astrologue pourrait donc avoir été créé à partir d’août 1648, date du début de la Fronde. Toutefois, il reste possible que Thomas Corneille ait modifié le texte de sa pièce ultérieurement, avant de la faire imprimer, et cet indice doit donc être considéré avec prudence, ne pouvant aucunement constituer une preuve absolue.

L’ensemble des commentateurs s’accorde en tout cas à dire que Le Feint astrologue fut créé à l’Hôtel de Bourgogne. Ce fait n’est guère discutable dans la mesure où de ses débuts à 1655, Thomas Corneille ne compose que pour la Troupe Royale. Mais le signe le plus évident que Thomas Corneille a écrit Le Feint astrologue pour l’Hôtel de Bourgogne est que le rôle du valet dans la pièce est destiné à l’acteur Philipin alias Villiers, qui était attaché à l’Hôtel de Bourgogne et qui était spécialisé dans les rôles comiques de serviteur balourd imité du type espagnol du gracioso, comme l’était Jodelet au Marais. Pour ce qui est du reste de la distribution, il nous demeure inconnu51.

Quant à la réception de la pièce, si l’on en croit son auteur, Le Feint astrologue a été un succès :

Pour moy, je me serois contenté du succez qu’elle a eu au Theatre, sans l’abandonner à la Presse, si je n’avois voulu détromper beaucoup de personnes qui en ont crû mon Frere l’Autheur, à cause de la conformité du nom qui m’est commun avec luy (épître du Feint Astrologue).

Nous ne disposons comme seul témoignage de l’accueil de la pièce par les contemporains que de cette brève allusion que l’auteur nous livre dans l’épître. Toutefois, plusieurs indices semblent aller en ce sens. D’abord, il semble douteux que Thomas Corneille se soit permis d’enjoliver la réalité sur ce point dans le cadre d’une épître même si trois ans environ se sont alors écoulés depuis la création de la pièce. Il est donc fort probable que la comédie ait été bien accueillie par le public, ce que les multiples rééditions successives de la pièce ainsi que les nombreuses éditions pirates hollandaises52 semblent également attester.

Réception critique de la pièce §

La postérité immédiate ne fait guère état du Feint Astrologue qui ne semble pas avoir été repris après sa création ni au cours des siècles suivants. Ainsi la pièce n’est pas mentionnée dans le répertoire de la Troupe Royale53 pour les années 1670 et 1680. On peut toutefois noter qu’elle fut rejouée en 1964 lors d’une unique représentation dans le cadre du Festival de Barentin consacré aux frères Corneille. Mais cette tentative pour « exhumer » notre comédie reste anecdotique et la pièce fut d’ailleurs reçue très froidement par le public qui n’y fut guère sensible, n’y voyant qu’une œuvre sèche et sans charme. Et alors qu’une comédie comme Le Baron d’Albikrac, qui en raison du vif succès qu’elle rencontra auprès du public en 1962 fut reprise en 1970 et connut le même accueil, Le Feint astrologue qui avait unanimement déplu en 1964 ne figura plus dans la programmation du festival les années suivantes54.

Dans leur Histoire du Théâtre français, les frères Parfaict évoquent Le Feint astrologue de façon relativement succincte, en mettant l’accent sur la proximité de la pièce avec ses différentes sources et en particulier avec le Jodelet Astrologue de d’Ouville :

C’est même intrigue, même conduite, mêmes personnages dans les deux pièces, à l’exception que dans celle-cy, ce n’est point un valet qui fait le rôle du Feint astrologue, c’est son maître à qui M. Corneille de l’Isle donne l’idée de ce stratagème, et c’est ce qui met plus de vraisemblance à tous les incidents de la pièce. Au reste, quoiqu’elle ne soit pas sans mérite, on peut cependant dire, que les Acteurs y sont peints un peu trop crédules aux discours du prétendu Astrologue.55

Ce commentaire des deux historiens reflète de façon exemplaire le goût étroit du XVIIIe siècle, siècle qui inventa la notion « classicisme » et qui contribua à ensevelir les œuvres du siècle précédent qui n’étaient pas canoniques. Leur jugement se fonde en effet ici sur un critère étroit de vraisemblance : selon eux, si la pièce de Thomas Corneille gagne en vraisemblance par rapport à celle son prédécesseur en réservant le rôle du faux savant à un maître plutôt qu’à un valet, les deux commentateurs estiment néanmoins que la crédulité des personnages constitue un défaut du point de vue de la bienséance des caractères.

C’est aussi ce critère d’invraisemblance que Reynier56 retient près d’un siècle et demi plus tard lorsqu’il évoque les comédies que Thomas Corneille a imitées de l’espagnol et qu’il estime « insignifiante[s] et plate[s] » : selon lui, comment croire qu’un cavalier se contraigne à jouer pendant quatre actes le rôle d’astrologue simplement pour ne pas faire chasser une servante, comme c’est le cas dans Le Feint astrologue ? Dans la même perspective, le critique déplore le caractère embrouillé des intrigues et l’absence de peinture de caractères chez des personnages aussi conventionnels que les situations. Ce commentaire de Reynier s’explique probablement par le fait que depuis le XVIIIe siècle, on a pris l’habitude d’évaluer les œuvres comiques au regard du modèle moliéresque que l’on estime être un modèle de comédie de « caractères » et la « peinture de caractères » apparaît ainsi comme un gage de qualité aux yeux de la plupart des critiques. Et si le commentateur relève l’effort du dramaturge pour adapter les originaux espagnols aux règles françaises selon un principe de concentration de la matière dans un souci de clarté et de simplicité, c’est pour en déplorer immédiatement le résultat :

Il ne reste plus qu’un sommaire froid et méthodique, rédigé en une langue pâle, pénible, abstraite. […] Tout est sacrifié à l’intrigue. Les spectateurs ne s’en plaignaient pas, mais les lecteurs n’y trouvent pas leur compte.57

Martinenche y voit au contraire le principal mérite de la pièce et de la démarche d’adaptation de Thomas Corneille et estime pour sa part que

Le Feint Astrologue (1648) a au moins le mérite de nous montrer chez Thomas Corneille une juste préoccupation de clarté et de simplicité. […] La contrainte des règles l’amène […] à une assez heureuse concentration.58

Pour autant, le critique n’accorde pas à cette imitation de Calderón le statut de « création » et voit finalement dans cette comédie une « recherche superficielle de la simplicité ». Mais alors que le jugement que la plupart des commentateurs modernes ont porté sur la pièce, si sévère soit-il, révèle que ces derniers ont souvent cherché à dégager voire à valoriser le travail d’adaptation auquel Thomas Corneille a procédé en composant Le Feint astrologue, A. Adam se montre encore une fois particulièrement virulent lorsqu’il considère ses comédies imitées de l’espagnol dont il évoque « le dessin vague des caractères, et la faiblesse d’un dialogue sans relief, sans nerf, sans poésie »59. Si l’historien du théâtre reconnaît que le dramaturge présente dans ces pièces une certaine clarté, un « sens du mouvement » et « une certaine verve comique », c’est pour insister immédiatement sur l’absence totale d’originalité de ces adaptations dont le sujet a le plus souvent déjà été introduit sur la scène française par d’autres dramaturges comme c’est le cas pour Le Feint astrologue60. Et A. Adam de conclure que « Thomas Corneille est le modèle parfait de l’homme de lettre ‘à la suite’ »61.

Mais le jugement le plus dur au sujet des imitations espagnoles de Thomas Corneille revient sans conteste à A. Cioranescu pour qui

Il est évident, en tout cas, qu’il cherche le succès ; son intérêt pour le théâtre espagnol ne s’explique pas autrement. Pour être sûr qu’il trouve ce qu’il cherche, il le prend là où le succès est déjà prouvé : Les Engagements du hasard et Le Feint Astrologue font la concurrence à Ouville […]. Quant à son souci des unités, qui est visible, cela paralyse des actions que leur premier auteur avoit voulu complexes, et dont la limitation accentue la pauvreté de l’ensemble.62

Enfin D. Collins63 dont on a précédemment entrevu la démarche de lecture finaliste veut voir dans Le Feint astrologue comme dans les premières imitations espagnoles de Thomas Corneille les premiers pas d’un dramaturge débutant s’initiant aux règles de l’art dramatique et de ce fait obsédé par les questions de techniques dramatiques. Ces pièces révèleraient une technique qui ne serait pas encore affinée, qui tatonnerait par expérimentations successives, ce qui expliquerait selon le critique que les ficelles de la construction des premières pièces de notre auteur nous semblent si apparentes :

En apprenti impatient de faire siennes les règles de l’art dramatique, Thomas Corneille travaillait bien trop consciencieusement à rendre la saveur de ses modèles, si bien que sa méthode dramatique se faisait elle-même trop visible dans la structure de ses pièces.64

Concernant notre pièce en particulier, Collins y reconnaît une certaine souplesse dans le style, une vivacité dans le passage des personnages d’une situation équivoque à une autre. Mais ces caractéristiques expliquent aussi selon lui le caractère momentané et superficiel du rire que le dramaturge parvient à susciter au cours de cette pièce : « the humor is such that it requires constant renewal with each successive scene »65.

Absence d’originalité, technicité et recherche superficielle d’une simplicité et d’une concentration qui ont pour effet de rendre l’œuvre sèche et froide, langue pâle et plate en dépit d’une certaine vivacité : tels sont les principaux jugements portés avec plus ou moins de nuances par la critique sur Le Feint astrologue depuis le XVIIIe siècle. Il est en outre amusant de constater que même lorsque certains critiques cherchent à valoriser Le Feint astrologue, c’est souvent en y cherchant des signes précurseurs de la comédie et des personnages moliéresques. Il en est ainsi chez A. Steiner, pour qui Don Fernand annonce un Don Juan et Philipin est digne d’un Scapin. Ou bien ce peut être encore dans une perspective finaliste, comme c’est le cas dans l’étude de Collins qui cherche dans les premières comédies de notre auteur les signes annonciateurs de pratiques et d’œuvres à venir et les balbutiements d’une technique dramatique appelée à s’affiner avec le temps... Nous nous bornerons pour notre part à analyser les procédés, les effets scéniques et plus généralement les options dramaturgiques retenues par l’auteur lors de l’imitation de ses sources et qui ont présidé à l’élaboration de la pièce.

Analyse de la pièce §

Résumé de l’action de cette comédie d’intrigue §

Acte I §

Cherchant à découvrir la raison des mépris de Lucrèce à son égard, Don Fernand charge son valet Philipin d’interroger à ce sujet Beatrix, la suivante de cette dernière. Après avoir témoigné quelque résistance à trahir sa maîtresse, celle-ci finit par avouer à Philipin que Lucrèce brûle d’un autre feu. La soubrette va même jusqu’à lui livrer le détail de ses amours secrètes avec Don Juan, un cavalier peu fortuné que chacun croit parti pour la guerre en Flandre mais qui se cache en réalité à Madrid chez son ami Don Lope sans que ce dernier en sache la véritable raison. Beatrix explique ainsi comment les deux amants ont convenu de feindre ce départ et évoque les modalités de leurs entrevues nocturnes qui ont lieu à la fenêtre de Lucrèce avec la complicité de la suivante. Bien qu’ayant promis à Beatrix de garder le silence, Philipin ne tarde pas à faire son rapport à son maître qui décide sur le champ de se venger de Lucrèce et fait part de toute l’affaire à son ami Don Louis. Persuadé que Don Juan aime Léonor et non Lucrèce, ce dernier a peine à croire Don Fernand et s’enquiert de la situation auprès de son ami Don Lope. Lui-même épris de Léonor, il est convaincu que son ami Don Juan aime aussi la jeune femme et suppose que ce dernier ne se cache chez lui que par jalousie, pour éprouver l’amour que Léonor lui porte. Don Lope se désole ainsi de devoir par amitié étouffer la passion qui le ronge mais espère que le sort finira par lui être favorable. Mais pour le moment, la jeune femme amoureuse de Don Juan ne reçoit le pauvre amoureux que pour l’entretenir de cet amant parti sans lui dire adieu et dans l’espoir d’en obtenir quelque nouvelle.

Acte II §

Piqué par l’attitude de Lucrèce qui continue de le repousser en affichant une modestie et une indifférence à l’amour dont il sait désormais qu’elles sont feintes, Don Fernand ne peut s’empêcher de laisser entendre à la jeune femme qu’il connaît son secret : par une série d’allusions transparentes l’amant éconduit évoque le détail des entrevues nocturnes secrètes de Lucrèce et Don Juan. Mais pour disculper Béatrix et empêcher qu’elle ne soit chassée par sa maîtresse à cause de ses indiscrétions, Philipin prétend que Don Fernand est un grand astrologue et qu’il n’a découvert le secret des deux amants que grâce à ses pouvoirs surnaturels. Don Fernand qui avait demandé à son valet d’inventer un mensonge pour le tirer d’embarras ne dément pas les propos de ce dernier et parvient à persuader Lucrèce de leur véracité en reconnaissant lui-même qu’il dispose effectivement de ce haut savoir. Mais en acceptant d’adhérer à cette fourbe initiale, Don Fernand s’engage dans « un véritable engrenage »66 qui va le conduire à une surenchère dans le mensonge et la supercherie. Ainsi, après Lucrèce, la seconde victime de la fourbe est Léonard, le père de cette dernière. Don Fernand lui annonce qu’il a prédit à sa fille un mariage avec un homme sans fortune et parvient à berner le vieillard par un galimatias de termes techniques dont il ne comprend pas lui-même la signification. Après ces premiers succès et malgré les réserves exprimées par Don Fernand, Don Louis convient avec ce dernier qu’il diffusera la rumeur de son prétendu savoir à travers toute la ville pour confirmer sa réputation. Don Lope sera sa première dupe. Convaincu des immenses pouvoirs occultes de Don Fernand, ce dernier projette d’en faire part à Léonor afin que celle-ci découvre par le biais de l’astrologie que Don Juan la trompe. Il espère que la jeune femme ainsi désabusée finira par récompenser sa flamme.

Acte III §

Alors que grâce au zèle de Don Louis, la renommée du feint astrologue s’accroît à travers Madrid et que tous s’empressent de venir le consulter persuadés qu’il détient des pouvoirs magiques, Léonor se présente et demande à l’imposteur de lui faire apparaître Don Juan qu’elle croit toujours être en Flandre. Mis en difficulté, Don Fernand réussit à se tirer d’embarras et grâce au stratagème d’un faux billet écrit par Léonor sous sa dictée, il parvient à faire en sorte que Don Juan rende visite à la jeune femme le soir-même. Cette visite nocturne provoque l’effroi de Léonor et de sa suivante Jacinte qui sont persuadées d’avoir affaire à un fantôme. Ce quiproquo donne lieu à une scène savoureuse où les deux jeunes femmes épouvantées fuient devant Don Juan qui, se croyant démasqué, pense pour sa part devoir cet accueil à sa trahison.

Acte IV §

Don Juan feint d’être de retour de Flandre auprès de Léonard qui vient d’interrompre un entretien amoureux avec Lucrèce au cours duquel celle-ci a donné un diamant à son amant comme gage de son amour pour lui. Pour justifier le chagrin qu’elle ne parvient pas à dissimuler devant son père, Lucrèce lui avoue la perte du bijou. Le vieillard croit alors la rassurer en lui annonçant qu’il va consulter Don Fernand à ce sujet. Alors même que lassé par la feinte, ce dernier commence à s’inquiéter des proportions que prend la fourbe et craint qu’elle ne finisse par causer du tort à sa réputation, Léonor se présente à lui : elle a appris par Don Lope que Don Fernand se trouvait en réalité à Madrid et en aimait une autre et vient se plaindre auprès de Don Fernand qui le lui a caché. Mais ce dernier parvient à la convaincre que Don Juan l’aime et qu’il n’a feint son voyage en Flandre que pour éprouver l’amour qu’elle a pour lui. Le défilé des importuns se poursuit avec Léonard qui vient consulter le feint astrologue au sujet du bijou perdu. Don Fernand saisit l’occasion pour avouer son ignorance au vieillard, mais celui-ci ne voit dans cette aveu qu’une posture d’humilité commune aux vrais savants. Informé par Beatrix du sort du diamant, Philipin vient tirer son maître d’embarras en lui apprenant que le bijou est entre les mains de Don Juan, et devant l’entêtement du vieillard à croire en ses pouvoirs, Don Fernand finit par lui apprendre ce qu’il veut savoir.

Acte V §

Il s’ensuit une scène de quiproquo d’une grande saveur comique au cours de laquelle Léonard réclame en des termes équivoques son diamant à Don Juan qu’il prend pour un voleur, tandis que ce dernier, persuadé que le vieillard a découvert la vérité et sait que c’est Lucrèce elle-même qui lui a donné le bijou, lui demande la main de sa fille en guise de pardon. La fin de la pièce est également l’occasion de développer un épisode de fausse magie : Philipin fait croire à Mendoce, le vieux valet de Léonard, qu’il le fait porter dans sa province natale par les airs, sur le dos d’une mule endiablée qui est en réalité une palissade du jardin de son maître ! Alors qu’ils s’entretiennent également dans le jardin de Léonard, les deux amants sont interrompus par l’arrivée du vieillard accompagné par Don Fernand. Don Juan est contraint de se cacher. C’est alors que survient Léonor qui, finallement désabusée par Don Lope, annonce à Léonard que l’amant de sa fille se cache dans son jardin et réclame vengeance pour son infidellité. Don Juan sort alors de sa cachette pour avouer la vérité. Soucieux de sauver son honneur, Léonard demande conseil au feint astrologue qui l’incite à autoriser un mariage qu’il lui avait lui-même prédit et qu’il affirme être un décret céleste. L’imposture finit ainsi par favoriser le mariage des amants. Finalement, la supercherie n’est pas découverte, sauf par le personnage de Léonor, mais cette dernière quitte la scène face à la crédulité des autres personnages, en annonçant qu’elle accepte d’épouser Don Lope. Quant à Don Fernand, on ne sait s’il est vraiment décidé à renoncer à l’astrologie.

Contexte de création : le genre comique en 1648 et la vogue des comedias espagnoles §

Avant de procéder à l’examen dramaturgique du Feint Astrologue nous présentons ici un aperçu général du contexte de sa création afin de rapprocher cette comédie de la production dramatique dans laquelle elle s’inscrit et dont elle semble illustrer les tendances et les enjeux.

La comédie à la fin des années 1640 §

À cette époque, la comédie n’est pas le genre le plus à la mode, et la production comique est relativement réduite67, en dépit de la « renaissance »68, de l’essor et de la diversification que connaît ce genre depuis les années 1630. En effet, le genre dramatique le plus apprécié à cette époque et cela depuis 1634, est la tragédie et dans une certaine mesure encore la tragi-comédie, et la comédie ne triomphera véritablement que dans les années 1660 avec Molière. Quantitativement minoritaire, malgré son essor progressif, le genre comique continue en outre de subir un discrédit théorique et éthique. En effet, les théoriciens ne s’intéressent guère à ce genre, considéré comme mineur, qu’Aristote lui-même n’a pas traité dans sa Poétique, et toute leur réflexion se porte sur le genre « noble » qu’est la tragédie. En outre, le phénomène du rire reste un mystère et son pouvoir de transgression et de subversion potentiel est encore considéré avec méfiance. Le rire ne constitue pourtant pas alors un critère définitoire du genre. Au contraire, il semblerait même que la plupart des auteurs comiques de la première moitié du siècle aient cherché à s’en abstraire afin de se distinguer du genre méprisé de la farce et acquérir ainsi une certaine légitimité théorique.

En l’absence d’une poétique explicite pour en définir les contours avec précision, c’est son dénouement heureux (pas d’échec final du héros, encore moins la mort d’un personnage), son style moyen, sa trame amoureuse (aucun enjeux grave tel que la raison d’Etat de la tragédie), ses personnages de condition moyenne ou basse, et la banalité et le prosaïsme de la réalité qu’elle met en scène qui distinguent la comédie de l’époque de la tragédie69. En un mot, plus que la comédie « comique », c’est alors la comédie d’intrigue qui domine la production et elle peine encore à se distinguer des autres genres qui l’inspirent, tels que la tragi-comédie et la pastorale dramatique. On peut dire qu’en l’absence d’une poétique spécifique du genre comique, c’est-à-dire en l’absence de matrice définitoire ou de « recette » comique qui permette de construire des œuvres originales à partir d’un sujet, la comédie de ces années se cherche et tatonne au milieu d’influences multiples, à la fois celles des autres genres et celles du répertoire étranger, à la recherche d’une formule propre et d’une certaine dignité théorique. En effet, si du fait même du désintérêt des théoriciens à son endroit et donc de l’absence de « préceptes » qui lui seraient spécifiques, la comédie jouit au début du siècle d’une certaine indépendance et d’une grande liberté à l’égard des « règles » classiques qui régissent principalement la production tragique70, le genre paraît pourtant chercher à obtenir ses lettres de noblesse et être en quête d’une certaine reconnaissance théorique en tentant précisément de s’adapter à ces « règles ». Mais les auteurs comiques semblent encore hésiter entre l’exigence de « plaire » et le souci de changer l’image du genre en suivant les « règles » et l’on retrouve ainsi dans les comédies de l’époque des traits « irréguliers » caractéristiques de la tragi-comédie que le public appréciait particulièrement : une intrigue romanesque multipliant les péripéties au prix de toute vraisemblance et une esthétique de la surprise et de la profusion. Et pour satisfaire à ce goût du public que l’on peut qualifier de « baroque » et trouver des sujets qui permettent une telle profusion, les dramaturges vont puiser principalement dans le répertoire espagnol. Ainsi, comme le rappelle C. Cosnier :

Sur vingt et une comédies qui ont été représentées de 1640 à 1649 et qui sont parvenues jusqu’à nous une seule est tirée d’un roman français, quatre s’inspirent de comédies italiennes et les autres ont une origine espagnole. Ecrire une comédie à cette époque équivaut donc à être un adaptateur ou un traducteur.71

Alors que la comédie romanesque inspirée des comédies italiennes de type ancien, avec ses situations et ses personnages de convention, n’est plus guère goûtée par le public72, un autre type de comédie, aux intrigues non moins invraisemblables, mais d’un romanesque différent73, rencontre donc un grand succès : il s’agit des comédies « à l’espagnole ».

Les comédies « à l’espagnole » §

Le comique prit aussi des beautés singulieres entre les mains de M. Corneille. Il commença par mettre au théatre quantité de piéces Espagnoles, dont on ne croyoit pas qu’il fût possible de conserver l’esprit et le sel, si l’on vouloit les dégager des licences et des fictions qui leur sont particulieres, et que notre scéne n’admet point74. De ce comique ingénieux, mais outré, il a sû, dans l’Inconnu, et dans plusieurs autres piéces, revenir à un comique simple, instructif et gracieux, qui les a déjà presque fait survivre au siécle qui les a vûes naître.75

Comme nous l’avons déjà dit, Le Feint astrologue fut créé dans le contexte de la vogue des comédies « à l’espagnole » initiée par d’Ouville en 1639 avec L’Esprit Folet, pièce imitée de Calderon76. Comme beaucoup d’autres dramaturges de l’époque, Thomas Corneille va exploiter cette veine77 dont la mode va durer jusqu’aux débuts de Molière78. Mais comme le rappelle très justement A. Adam,

Nous sommes […] en présence, non pas d’une influence littéraire s’exerçant sur l’inspiration de nos écrivains, mais d’une mode du public, à laquelle nos auteurs s’efforcent de satisfaire. Les spectateurs veulent qu’on les transporte par l’imagination en Espagne […]79.

Tout comme Le Feint astrologue, il s’agit essentiellement de comédies d’intrigues romanesques dont la dimension galante et burlesque était en affinité avec le goût mondain de l’époque. Comme leurs modèles espagnols, ce sont des comédies « de cape et d’épée » qui sont en général plus proches de la tragi-comédie que de la comédie telle que nous la concevons aujourd’hui. L’ambiguïté du terme comedia ne doit d’ailleurs pas tromper : comme le rappelle G. Conesa80, il signifie simplement « pièce de théâtre » en espagnol, comme du reste le terme « comédie » en France à cette époque. Le comique y est donc le plus souvent épisodique81, comme surajouté à la trame romanesque et il est principalement assuré par le comportement burlesque et les impertinences du personnage du valet imité du type du gracioso espagnol82. Pour le public, l’intérêt et le charme de ces pièces résident principalement dans les rebondissements de l’intrigue83, et dans la « couleur » espagnole – évidemment conventionnelle – de la pièce.

Outre ces traits généraux on distingue deux tendances principales dans les adaptations de comedias espagnoles dont l’une fait la part belle au comique. On peut qualifier la première de « romanesque »84 : elle repose sur une intrigue amoureuse riche en péripéties et qui combine un ensemble de situations de convention. Le Feint astrologue relève plutôt de cette veine romanesque. La seconde tendance est davantage orientée vers le comique avec une tonalité burlesque nettement plus marquée. Scarron est l’initiateur et le principal représentant de ce versant burlesque et parodique de la comedia qui rencontra un vif succès auprès du public. Il fut le premier à exploiter de manière systématique le potentiel burlesque et bouffon du gracioso, le valet balourd de la comedia espagnole, en en faisant le personnage « vedette » des ses productions dans les années 1640. C’est d’ailleurs ainsi que naquit le type de Jodelet, valet balourd dont la poltronnerie n’avait d’égal que sa gloutonnerie et qui était interprété par l’acteur Julien Bedeau que ce rôle avait rendu célèbre.

Mais quelle qu’en soit la veine, les personnages de ces comédies sont conventionnels, sans profondeur psychologique, non individualisés. Ils se réduisent à des types aux traits récurrents, tels l’amant fougueux toujours prêt à croiser le fer et flanqué d’un serviteur grossier, au bon sens populaire. La trame est globalement toujours la même, toute aussi stéréotypée que les personnages : sur fond d’une Espagne de convention, où les amours sont passionnées et où l’attachement à l’honneur est poussé à son paroxysme85, il s’agit d’aventures galantes où un jeune cavalier doit surmonter une série d’obstacles pour finalement épouser celle qu’il aime. Ces obstacles sont toujours sensiblement les mêmes : c’est souvent le père de la jeune fille qui s’oppose au mariage de cette dernière ; ce peut-être encore un obstacle de fortune (c’est le cas dans Le Feint astrologue, où l’obstacle du père et de l’inégalité de fortune sont confondus), ou encore un malentendu fondé sur des apparences trompeuses, voire même parfois plusieurs de ces obstacles combinés ensembles. Avec ses duels et ses sérénades, ses fausses lettres et ses rendez-vous secrets, ses maisons à deux portes favorisant les chassés-croisés et les quiproquos, ses inconnues masquées et ses amants passionnés, avec les facéties burlesques de ses valets balourds, avec ses innombrables péripéties enfin, ce type de comédie laisse évidemment peu de place à la vraisemblance.

Et c’est ainsi que se pose au dramaturge français qui entreprend l’adaptation d’une comedia la délicate question de l’équilibre entre l’exigence de satisfaire aux règles d’un classicisme naissant et théorisé depuis les années 163086 et le traitement d’un matériau emprunté à des modèles où règnent la complexité et la profusion, dont l’esthétique baroque fait peu de cas de principes tels que la vraisemblance et dont le système de valeurs qui diffère sensiblement du nôtre risque de contrevenir aux bienséances et de choquer le goût du public en deçà des Pyrénées. Bref, c’est la question du passage d’une dramaturgie à une autre qui se pose ici à l’auteur, dans un rapport d’« attraction incompatible »87 avec le théâtre espagnol : comment « plaire », répondre aux attentes d’un public avide de spectaculaire et de surprises et qu’il faut tenir en haleine, tout en tentant de « réduire [ces pièces] dans nos règles », selon le mot de Pierre Corneille ? Comment « conserver l’esprit et le sel » de telles œuvres espagnoles, tout en « les dégage[ant] des licences et des fictions qui leur sont particulieres, et que notre scéne n’admet point »88 ou du moins de moins en moins dans les années 1640 ? Tel est l’enjeu pour un adaptateur de comedia comme Thomas Corneille.

En confrontant ainsi les dramaturges aux problèmes techniques liés à la transposition d’œuvres qui n’entrent pas dans les canons esthétiques naissants du théâtre français de l’époque mais dont la veine plaît au public, l’apport espagnol va participer au renouvellement du genre comique en France en conduisant la plupart des auteurs qui l’ont pratiqué à « digérer » les diverses influences de la tradition dramaturgique et théorique nationale et des modèles étrangers, et à chercher ainsi une formule dramatique spécifique. Et c’est dans cette perspective que la suite de cette étude s’attachera à examiner quelles réponses ou quelle formule dramaturgique Thomas Corneille a privilégiées pour adapter sa source espagnole dans Le Feint astrologue. Nous montrerons comment cette comédie, loin d’être une simple imitation de son modèle espagnol comme elle semble l’être au premier abord, en est en réalité une véritable adaptation, peu originale il est vrai. La grande proximité du Feint astrologue avec la comedia de Calderón fait d’ailleurs précisément saillir les différences entre ces deux pièces et par suite, révèle les changements opérés par le dramaturge et les procédés mis en œuvre par ce dernier pour obtenir ou accentuer tel ou tel effet.

Les sources : enjeux d’une réécriture et choix dramaturgiques §

Inutile de chercher des innovations thématiques ou dramaturgiques dans Le Feint astrologue. On y trouve peu d’inventions personnelles de la part de notre auteur qui suit d’assez près son modèle principal. L’intérêt de la pièce et les enjeux de son examen se situent ailleurs. Plus éclairante est en revanche l’étude comparée de la comédie et de ses sources, dans la mesure où elle fait clairement apparaître les problèmes dramaturgiques liés à toute adaptation et auxquels le jeune Thomas Corneille s’est trouvé confronté en transposant son modèle espagnol, ainsi que les choix qu’il a opérés et les solutions techniques qu’il a adoptées pour y répondre. Le dramaturge a en effet puisé à plusieurs sources selon le principe d’écriture antique de la « contamination ». Le fait est que la plupart des éléments du Feint astrologue sont déjà présents chez ses prédécesseurs qui fournissaient ainsi à notre auteur une matière déjà amplement traitée, qu’il ne restait plus en quelque sorte qu’à « digérer ». Or c’est précisément ce processus de « digestion » des apports, autrement dit la réécriture des modèles que la suite de cette étude s’attachera à examiner. Cependant, l’absence d’étude d’ensemble sur les pratiques et les procédés d’adaptation des pièces espagnoles par les auteurs du temps rendent difficiles cette approche et l’évaluation des phénomènes intertextuels qui travaillent la pièce de Thomas Corneille : comment évaluer la part de singularité d’une technique d’adaptation, comment expliquer le choix d’un modèle plutôt qu’un autre et selon quels critères s’effectue ce choix ? C’est à cette difficulté que notre investigation dramaturgique va se heurter. Nous tenterons néanmoins de dégager certaines tendances dans la technique d’adaptation de notre auteur.

Le sujet de l’astrologue supposé est donc tiré de plusieurs sources dont la principale est espagnole : il s’agit d’El Astrólogo fingido de Calderón dont la première édition date de 1632 et dont Le Feint astrologue est une adaptation assez fidèle. Cette pièce espagnole avait déjà été adaptée par d’Ouville dans son Jodelet Astrologue (dont la première édition date de 1646). Dans un article de 1926, Arpad Steiner89 souligne également une autre source90, déjà inspirée de Calderón : il s’agit d’un épisode de l’Ibrahim ou l’Illustre Bassa91 de Georges ou Madeleine de Scudéry92, roman publié en 1641. Dans l’épître qui précède notre pièce, Thomas Corneille mentionne volontiers ces deux sources : il avoue d’abord son modèle espagnol, qu’il affirme avoir suivi fidèlement93, puis dans l’épître telle qu’elle apparaît partir de l’édition de 166194, il évoque également le roman de Scudéry. Mais il ne mentionne jamais l’adaptation de son prédécesseur d’Ouville95. Peut-être est-ce parce que Thomas Corneille a finalement peu emprunté à la pièce de d’Ouville et qu’il a cru inutile de l’évoquer et de rappeler ainsi qu’un autre avant lui avait déjà puisé à cette même source ; ou bien encore simplement par refus de reconnaître l’apport de son rival dont il a pourtant repris quelques vers entiers. Mais il faut reconnaître qu’en dépit de quelques emprunts directs à l’auteur du Jodelet Astrologue, cette comédie est loin d’en constituer une source véritable et Thomas Corneille s’est bien davantage inspiré de la pièce de Calderón ainsi que du roman de Scudéry.

Pour illustrer notre propos en dégageant quelques phénomènes intertextuels présents dans Le Feint astrologue, on a fait figurer dans l’annexe 4 qui suit cette étude une mise en regard (non exhaustive) de différents passages de la pièce et de ses sources. D’autre part, afin de faciliter l’étude comparative que nous nous proposons d’esquisser ici, l’annexe 3 présente la liste des noms des personnages du Feint Astrologue et ceux des personnages correspondants chez Calderón, Scudéry et d’Ouville.

Aperçu général des phénomènes d’intertextualité qui traversent Le Feint astrologue §

Le Feint astrologue et sa source principale, El Astrólogo fingido de Calderón : une influence déterminante §

Quel texte ? §

Avant toute chose, il est nécessaire de déterminer quelle version de la pièce de Calderón Thomas Corneille a eu entre les mains afin de pouvoir évaluer les phénomènes d’intertextualité à l’œuvre dans Le Feint astrologue en évitant l’écueil qui consisterait pour le commentateur à considérer certains éléments de la pièce française comme des variantes introduites par Thomas Corneille lorsque celles-ci ne constituent en réalité que l’une des versions de la comedia de Calderón. En effet, les différentes éditions d’El Astrólogo fingido parues avant Le Feint astrologue présentent de nombreuses variantes dont quelques unes nous intéressent au premier chef dans la mesure elles révèlent quelle version a servi de support au travail d’adaptation du dramaturge. Oppenheimer96 recense deux véritables éditions d’El Astrólogo fingido (c’est-à-dire qui présentent des variantes significatives témoignant de corrections et de remaniements opérés par l’auteur) antérieures à 1651, date de publication de notre pièce : la première figure dans le recueil de comedias intitulé Parte veinte y cinco de Comedias recopiladas de diferentes autores, é illustres poëtas de España, Zaragoça, 1632. La seconde véritable réédition apparaît dans Segunda Parte De Las Comedias De Don Pedro Calderón de la Barca, Madrid, 1637. Les analyses d’Oppenheimer97 nous fournissent de précieuses informations concernant le texte à partir duquel Scudéry et d’Ouville ont probablement travaillé, mais le critique n’étudie malheureusement pas le cas du Feint astrologue, peut-être en partant du principe que l’édition de 1637 mentionnée par Thomas Corneille dans l’épître de sa pièce était nécessairement celle qui avait servi de support à sa composition98. Or rien ne prouve que le dramaturge a composé sa pièce à partir de la version qu’il invite le lecteur à consulter. Et si pour Oppenheimer, il ne fait guère de doute que Scudéry et d’Ouville se réfèrent à la version de l’édition de Sarragoce de 1632 imprimée dans la Parte Veinte y Cinco de Comedias99, il nous semble que c’est aussi cette édition que Thomas Corneille a utilisée en dépit de la mention qui est faite de l’édition de 1637 dans l’épître du Feint astrologue. L’examen comparé des deux versions de 1632 et 1637 du texte de Calderón avec Le Feint astrologue nous a en effet permis de conclure que Thomas Corneille a lui aussi utilisé l’édition de 1632 pour composer sa comédie. Les passages suivants ne laissent ainsi aucun doute sur leur origine : ce sont des traductions quasi littérales d’extraits figurant exclusivement dans l’édition de Sarragoce de 1632 d’El Astrólogo fingido et qui en outre n’apparaissent pas chez les autres adaptateurs de Calderón ou qui présentent dans les adaptations de ces derniers une proximité moindre avec le texte du modèle espagnol, ce qui confirmerait que Thomas Corneille a bel et bien utilisé la version de la comedia publiée dans la Parte Veinte y Cinco de Comedias de 1632 :

No es muy seguro capricho,
Vive Dios, q por aora
que no ai otra a de servir
[Don Diego] Yo te ayudarè a mentir. (El Astrólogo fingido, IIème « journéee », v. 1141-4)
Monsieur, j’ay grande peine à bien mentir pour l’heure,
Celle-cy passera faute d’une meilleure.
[D. FERNAND.] Bonne ou mauvaise enfin, parle, je t’ayderay. (Le Feint astrologue, II, 2, p. 35-6, v. 459-61)
vos tenedme por criado,
que a los hombres ingeniosos
les soi mui aficionado,
mayormente a los que son
tan principales que tienen
la ciencia por guarnicion
de la sangre, y que previenen
ingenio, y estimacion.
tambien yo en mi mocedad,
si he de deziros verdad,
alguna cosa estudiè,
y con deseos pèque
en esta curiosidad (El Astrólogo fingido, IIème « journéee », v. 1418-30)
Quoy qu’il en soit enfin, Monsieur, je suis à vous
J’eus tousjours grande ardeurpour ceux dont la science
Releve le bon sang qu’ils ont de leur naissance,
Et s’il faut librement vous en faire l’adveu,
Dans mon jeune âge aussi je m’en mesloisun peu (Le Feint astrologue, II, 3, p. 42, v. 570-4)100
Si ya es cierto que previene
su estrella pobre marido,
dime señor con quien puedes
cumplir el ado mejor ? (El Astrólogo fingido, IIIème « journéee », v. 3306-9)
Je vous en ay tantost desja dit ma pensée,
Que d’un semblable Hymen elle estoit menacée :
Puisqu’un homme sans biens doit estre son époux,
Pour faire un meilleur choix, où le chercherez-vous ? (Le Feint astrologue, V, 11, p. 139-40, v. 1871-6)

Il n’est donc guère étonnant qu’étant probablement toutes trois fondées sur la même version du texte d’El Astrólogo fingido les adaptations françaises de la comedia de Calderón présentent de si nombreuses similitudes et qu’il soit bien souvent difficile de déterminer l’apport respectif de chaque œuvre dans la composition du Feint Astrologue qui présente des phénomènes d’intertextualité fort complexes dont l’annexe 4 donne un aperçu.

Dans l’ensemble, notre auteur a en tout cas assez fidèlement suivi son modèle espagnol tout en pratiquant massivement la contaminatio. Mais comme tous les dramaturges français imitateurs de comedias, il a procédé à une adaptation culturelle, esthétique et dramaturgique, à une réorganisation de la matière selon un principe d’allègement et d’unification conformes aux nouvelles exigences classiques.

Une grande proximité avec le modèle espagnol §

Pour l’essentiel, la plupart des éléments de l’action sont repris et les personnages sont les mêmes que dans la pièce espagnole. Pour ce qui est de l’intrigue, l’analyse dramaturgique de la pièce sera l’occasion d’une comparaison détaillée des deux œuvres, c’est pourquoi nous ne nous y attarderons pas ici. Du point de vue du contenu langagier qui nous intérresse ici, la proximité est telle qu’il s’agit parfois de simple traduction. Pour apprécier cette proximité du Feint astrologue avec son modèle espagnol, on pourra se reporter à l’annexe 4 qui présente de nombreux exemples d’emprunts quasi littéraux à la comedia de Calderón.

Emprunts à Scudéry et dans une moindre mesure à d’Ouville §

Ibrahim ou l’Illustre Bassa : un air de « déjà lu » §

Du point de vue du contenu et surtout de la tonalité générale de l’œuvre, la plupart des changements notables que l’on peut relever dans Le Feint astrologue par rapport à El Astrólogo fingido ne sont pas de l’invention de l’auteur. En effet, la plupart de ces modifications semblent avoir été inspirées par l’épisode que Scudéry avait déjà tiré de la comedia de Calderón dans son roman Ibrahim ou L’Illustre Bassa (1641)101. C’est en ce sens que Steiner affirme :

D’aucuns auraient tendance à affirmer à la suite de Martinenche que Le Feint astrologue n’est pas simplement une traduction facile et naturelle. Malheureusement, cela n’est pas dû au génie de Thomas Corneille. […] Corneille n’a pas directement pris l’intrigue de Calderón, mais l’a combinée avec une version de […] Scudéry. […] La couleur française que Martinenche porte au crédit de Corneille doit être attribuée […] à Scudéry. […] La comédie entière a reçu une atmosphère typiquement française.102 

L’influence du roman de Scudéry sur Le Feint astrologue est en effet considérable. On verra par exemple dans la suite de cette étude que le Don Fernand de Thomas Corneille est beaucoup plus proche du Marquis français que de son modèle espagnol. Le dramaturge semble également avoir accentué la dimension comique de sa pièce en s’inspirant de certains passages d’Ibrahim, mais il y a surtout recréé l’atmosphère enjouée de légèreté galante qui donnait à l’épisode de Scudéry sa saveur spécifique. Nous étudierons ces différents aspects dramaturgiques de l’apport de Scudéry dans l’œuvre de Thomas Corneille lorsque nous nous pencherons sur les procédés de réécriture de l’auteur et sur les choix dramaturgiques et esthétiques qu’ils révèlent.

Comme le rappelle Lancaster103, Thomas Corneille a en tout cas tiré du roman de Scudéry la référence à Nostradamus comme maître en astrologie, alors que le Diego de Calderón prétendait avoir été disciple d’un astrologue italien, Porta ; il en a également tiré la façon de remettre en main propre à Don Juan la lettre de Léonor, ce qui lui permettait d’introduire une séquence plaisante de couardise du valet redoutant sa confrontation avec Don Juan, alors que chez Calderón, le serviteur jetait le billet par la fenêtre de Don Juan ; la scène comique III, 8 reprend également quelques éléments du roman de Scudéry comme la table renversée par la soubrette effrayée par celui qu’elle prend pour un spectre. Si en outre les aventures de Mendoce sont les mêmes que celles d’Otañez, le vieux domestique de la pièce espagnole, la confession compromettante du valet de Léonard qui reconnaît avoir dérobé de l’argent à son maître (IV, 12) ne figure pas en revanche chez Calderón et est directement tirée de l’épisode comique original du serviteur Vespa que Scudéry avait ajouté à la trame caldéronienne. En effet, dans Ibrahim, Scudéry crée un personnage qui n’existait pas dans El Astrólogo fingido et le place au centre d’un épisode comique : il s’agit de Vespa, le valet de Valere, qui avoue à La Roche qu’il a dérobé de l’argent à son maître tandis que ce dernier écoute amusé la confession de son serviteur ingénu dans la pièce attenante en compagnie du Marquis français104. C’est d’ailleurs par la filiation avec Scudéry que Thomas Corneille justifie dans la seconde version de l’épître du Feint astrologue, l’introduction de cet épisode purement gratuit de Mendoce105. De même, il semble que Thomas Corneille ait emprunté le dénouement à double mariage au roman de Scudéry ou à la comédie de d’Ouville, qui présente même un triple mariage si l’on tient compte de celui des valets Nise et Jodelet. En effet, dans Le Feint astrologue comme dans Ibrahim et Jodelet Astrologue, Léonor accepte finalement d’épouser don Lope alors que chez Calderón, seuls Don Juan et Doña Maria se marient à l’issue de la pièce.

Parfois même, l’auteur cite littéralement des passages du roman de Scudéry en n’y apportant bien souvent que les changements rendus nécessaires par les besoins de la versification. La comparaison des deux passages suivants est particulièrement éclairante à cet égard :

Au lieu de son Fantosme et d’une illusion,
Si quoy qu’il se cachast avec un soing extréme,
A vous aller trouver je l’ay contraint luy-mesme,
Puis-je mieux témoigner la force de mon Art (Le Feint Astrologue, IV, 6, p. 95, v. 1270 et suivants)

Que si au lieu de son phantosme, elle avoit veu le veritable Hortense, c’estoit une marque indubitable de la force de mon Art : qui l’avoit contraint de l’aller trouver, bien qu’il voulust être caché. (Ibrahim, II, 2, op. cit., p. 439)

Il ne faut donc pas se laisser abuser par l’épître du Feint Astrologue qui semble minimiser l’apport de Scudéry en le réduisant à un épisode. Thomas Corneille a en réalité largement puisé à cette source romanesque. On pourra d’ailleurs en juger en se reportant à l’annexe 4 qui présente de nombreux exemples d’emprunts quasi littéraux au roman de Scudéry.

Jodelet Astrologue : une influence mineure §

Il est certain que les emprunts au Jodelet Astrologue de d’Ouville sont beaucoup moins nombreux et plus superficiels, ne concernant ni la structure, ni la tonalité d’ensemble de la pièce. D’ailleurs, l’adaptation de d’Ouville est si proche de son modèle espagnol, tant du point de vue de la structure de l’intrigue que des caractères et même des répliques, que l’on pourrait parler à son sujet de simple imitation, et cela en dépit du transfert du rôle de l’astrologue supposé du maître à son valet, seule divergence notable qui étrangement ne modifie pas en profondeur l’intrigue espagnole. Néanmoins on ne peut douter à la suite de Lancaster106 que Thomas Corneille n’ait eu à l’esprit la comédie de son rival français lorsqu’il a composé sa pièce sur le même sujet, notamment selon l’historien lorsqu’il a choisi de nommer le valet de sa pièce Philipin qui était le « nom de guerre » de l’acteur émule de Jodelet à l’Hôtel de Bourgogne.

On retrouve en outre dans Le Feint astrologue quelques passages directement inspirés de Jodelet Astrologue, qui n’ont pas d’équivalent chez Calderon ou Scudéry, et qui témoignent de l’influence de d’Ouville bien que Thomas Corneille ne mentionne pas l’apport de ce dernier dans l’épître de sa pièce. Lancaster107 rappelle ainsi que comme dans la pièce de d’Ouville, l’héroïne promet à son amant que son cœur aura la fermeté du diamant (Jodelet Astrologue, IV, 5 et Le Feint astrologue, IV, 1). L’historien relève également les passages suivants :

« J’ay désiré vous voir, et non pas vous parler. » (JA, IV, 4) et  « J’ai souhaité le voir, et non pas lui parler » (FA, III, 6).

« Blasmez-moy seulement, je suis le seul coupable. » (JA, V, 7), « Je suis le seul coupable, et le seul à blâmer. » (FA, V, 2)

« Il est caché céans. / Un homme ici caché ? » (JA, V, 11 et FA, V, 10).

Ou encore :

« Chacun te montre au doigt à présent dans la ruë » (JA, III, 6), « Peu s’en faut qu’en la ruë on ne me monstre au doigt » (FA, IV, 5).

Pour plus de détails, on pourra se reporter à l’annexe 4 où nous avons fait l’inventaire des quelques citations littérales de la pièce de d’Ouville.

Le travail de réécriture de Thomas Corneille : choix dramaturgiques et esthétiques §

nostre Theatre ne souffre rien d’inutile108

Les divergences essentielles par rapport à la source principale relèvent de la transposition culturelle, esthétique et dramaturgique et concernent aussi bien le contenu que la structure de la pièce. Mais les principales différences touchent moins l’intrigue et la structure d’ensemble de la pièce (si l’on excepte la première « journée » de Calderón, largement réduite et remaniée) que « les détails et l’atmosphère de la comédie »109.

Transposition culturelle : l’exemple du traitement du thème de l’honneur §

Martinenche évoque pour le louer le « désir de franciser [l] a matière » qui semble avoir présidé à la composition du Feint astrologue qui présente selon le critique « une couleur plus française »110. Tout en gardant un cadre espagnol stéréotypé qui fonctionne davantage comme un signal à l’intention du spectateur indiquant à ce dernier que ce qui va se jouer sous ses yeux est l’adaption d’une comedia111, Thomas Corneille procède à une certaine « acclimatation » de la matière espagnole. Le dramaturge a assurément procédé à une transposition culturelle en adaptant El Astrólogo fingido, notamment en estompant les détails trop spécifiquement espagnols qui risquaient de ne pas trouver d’écho auprès d’un public français qui ne s’attendait finalement à retrouver au théâtre que la peinture d’une Espagne stéréotypée. Le traitement du thème de l’honneur est exemplaire à cet égard112.

Comme l’a analysé Losada-Goya, la conception et le principe de l’honneur étaient au cœur des préoccupations de la société espagnole au XVIIe siècle. Si l’on ne peut bien évidemment pas résumer la production littéraire de l’Espagne de l’époque, comme toute production littéraire d’ailleurs, à des caractéristiques « nationales » ni considérer ces œuvres de fiction comme le miroir fidèle d’une société donnée, il est néanmoins légitime de tenter d’y déceler des traits de mentalité spécifique de l’Espagne du temps qui relèvent d’un climat culturel particulier et qui ne trouve pas forcément d’écho en deçà des Pyrénées où le système de représentations et les valeurs ne sont pas toujours les mêmes. Sans entrer dans les détails de l’histoire fort complexe des mentalités espagnoles au XVIIe siècle, histoire qui révèle les origines de l’importance de la notion d’honneur dans la société espagnole113 et par suite dans la littérature du pays, nous nous attacherons à considérer les grands traits de la conception de l’honneur qui apparaissent dans El Astrólogo fingido et le traitement que Thomas Corneille leur réserve dans Le Feint astrologue.

Une première approche indique qu’à plusieurs reprises, le traitement du thème de l’honneur présente de grandes similitudes dans Le Feint astrologue et dans l’original espagnol. Ces analogies fonctionnent à plusieurs niveaux, tant du point de vue de la structure de l’action que de celui du discours des personnages. En premier lieu, on retrouve dans Le Feint astrologue des traces de ce que Losada-Goya nomme l’« honneur-réputation » et qui consiste en ce qu’il n’y a de déshonneur que public114. Il s’agit selon le critique d’une conception d’un honneur tributaire de ses manifestations extérieures et de l’opinion du monde, où l’honneur masculin repose principalement sur la conduite de la femme, en l’occurrence de la fille pour ce qui concerne le personnage de Leonardo/Léonard dans la pièce. Cet « honneur-réputation » ou « honor-opinión » en espagnol, se manifeste donc principalement par le souci constant du père de surveiller le comportement de sa fille et sa méfiance à l’égard de la conduite de celle dont dépend l’honneur familial. Il s’agit là en quelque sorte d’un « attendu » du public qui le plonge dans une atmosphère « à l’espagnole ». On retrouve les traces de cette surveillance du père dans Le Feint astrologue comme dans El Astrólogo fingido. Dès l’ouverture de sa comédie Thomas Corneille reprend ainsi ce motif sous la forme d’une allusion furtive dans la bouche de Philipin :

Et si le bon vieillard ne fut point survenu,
J’allois sçavoir, Monsieur, tout au long le mystere (Le Feint astrologue, I, 1, v. 10-11)

Ce surgissement intempestif du père jaloux de l’honneur de sa fille et qui guette jusqu’au commerce de la servante de cette dernière avec un autre domestique faisait l’objet d’une scène dans la première « journée » d’El Astrólogo fingido. En supprimant la majeure partie de la première « journée » de Calderón pour des raisons que nous examinerons plus loin, Thomas Corneille a néanmoins conservé sous une forme narrative cette évocation de la surveillance du vieillard. La menace paternelle oblige en outre le prétendant à user de tous les subterfuges possibles pour s’entretenir avec celle qu’il aime en toute discrétion : chez Calderón, Don Diego profite ainsi de la sortie de Doña Maria qui se rend à la messe pour lui parler (Ière « journée », v. 1009-10). Thomas Corneille met également en scène la prudence de don Fernand :

[…] cours avec adresse
T’informer d’un voisin si je puis voir Lucrece,
C'est à dire…
PHILIPIN.
J’entens. Vous craignez le vieillard. (I, 4, v. 191-3)

Enfin, dans Le Feint astrologue comme dans El Astrólogo fingido (IIème « journée », v. 1356-62), le vieillard survient au milieu d’un entretient entre sa fille et Don Diego/Don Fernand :

BEATRIX.
Madame, brisez-là, j’apperçois vostre Pere.
D. FERNAND.
Ah, que cette rencontre estoit peu necessaire !
[scene 3]
LEONARD.
Quelle affaire avez-vous avec ce Cavalier ? (II, 2-3, v. 539-41)

Dans la pièce de Calderón, la première conséquence de cette surveillance du père ainsi que de l’intériorisation par la jeune fille de ce code de l’honneur, est qu’elle oblige dans un premier temps cette dernière à lutter contre ses sentiments au nom d’un honneur lié à la réputation. Mais elle y cède rapidement, sans quoi il n’y aurait évidemment pas d’intrigue. Et c’est là qu’apparaît la première divergence nette entre la pièce espagnole et la pièce française du point de vue du motif de l’honneur. Cette divergence est essentielle dans la mesure où elle détermine dans chaque cas la nature exacte de l’obstacle qui traverse l’intrigue amoureuse principale. Dans la pièce espagnole, la raison invoquée par Doña Maria pour justifier son long silence au sujet de ses sentiments pour Don Juan réside dans la sauvegarde de son « honneur-réputation » : à sa servante qui s’étonne de son intérêt soudain pour Don Juan qu’elle a jusque là dédaigné, elle avoue finalement qu’elle aime le jeune homme depuis le premier jour mais que jusque là, elle lui a caché ses sentiments car elle craignait le jugement que les gens porteraient sur son inclination (« la opinion de mi opinion », Ière journée, p. 52, v. 80). L’argument avancé par Doña Maria est que l’honneur d’une jeune fille est vite menacé par l’indiscrétion d’un jeune amant : ayant connaissance de son amour, il ne pourrait peut-être pas tenir sa langue. Le risque de perdre son honneur est ainsi présenté par la jeune fille comme l’enjeu essentiel et comme l’obstacle principal à l’intrigue amoureuse. La pièce espagnole insiste d’ailleurs sur ce point en poursuivant par une très longue entrevue entre Don Juan et Doña Maria qui donne lieu à une scène d’aveu au cours de laquelle la jeune femme finit par admettre qu’elle l’aime. Cet aveu est sans cesse retardé, interrompu par les scrupules et les hésitations de Doña Maria qui rappellent que la question de la sauvegarde de l’ « honneur-réputation » est ici l’enjeu principal. Cette dernière justifie une nouvelle fois son silence et son apparent dédain par la crainte du déshonneur et de la honte (« De mi silencio la causa … », Ière « journée », p. 64 v. 315 et suivants). Comme dans la première scène où elle expliquait les raisons de son silence à Beatriz, elle développe à nouveau longuement les risques pour une femme de perdre son honneur par l’indiscrétion de quelque serviteur, ou ami (vers 324 et suivants) : c’est que l’honneur est aussi facile à perdre qu’il est difficile à reconquérir (« y que yà la opinion es / tan dificil de ganar, / quanto facil de perder », vers 320 à 323).

Au contraire, la pièce de Thomas Corneille semble adopter très vite une toute autre perspective et la modification de la structure de la pièce espagnole y est sans doute pour quelque chose : elle s’ouvre à un moment où la jeune fille s’est déjà abandonnée à sa passion et où le temps de la résistance appartient au passé, à un avant de la pièce. Il est rapporté sous forme de récit par Lucrèce mais cette dernière avance des arguments bien différents de ceux de son modèle espagnol :

Dés l’instant qu’il me vit, s’il m’ayma, je l’aymay,
Mais jugeant que mon pere en ayant cognoissance,
Pour un homme sans biens auroit peu d’indulgence,
J’accusay fort long-temps mes yeux de trahison,
Cent fois à mon secours j’appellay ma raison. 115
Helas, combien en vain me suis-je défenduë
Avant qu’aymer en luy la vertu toute nuë !
Quels effort n’ay-je faits, jusqu’à forcer mon cœur
D’affecter des mépris et s’armer de rigueur ! (II, 1, v. 362-70)

La raison avancée ici par Lucrece pour justifier ses feints mépris à l’égard de don Juan n’est plus la crainte de perdre son « honneur » et par là de déshonorer son père comme c’était le cas dans la pièce espagnole mais l’obstacle que représente la pauvreté de don Juan, relayé par le père. Certes, la pauvreté de Don Juan était également mentionnée dans la pièce espagnole116, mais c’est sur le motif de l’honneur que Calderón avait choisi de mettre l’accent dans les tirades de justification que nous venons d’évoquer. De même les amants du Feint astrologue présentent également un souci de discrétion qui relève de la nécessité de conserver sa réputation intacte mais cet aspect est moins appuyé dans le discours des personnages français que chez leurs modèles espagnols. Ainsi les longs développements sur la sauvegarde de l’honneur avancés par Doña Maria notamment au sujet de la malveillance de certains voisins prompts à ruiner la réputation d’une jeune fille par leurs indiscrétions (Ière « journée », p. 68, v. 403-10), apparaissent également dans Le Feint astrologue mais il n’y en est fait qu’une brève mention dans le discours des valets :

Mais ne craint-elle point qu’un voisin la diffame ?
Car enfin il en est qui pendant tout un mois
Comme des loups garous ne dorment qu’une fois.
Leur curieuse humeur tousjours les inquiete,
Et si dans le quartier il est quelque amourete,
Du soir jusqu’au matin ils demeurent au guet
Pour tenir bon papier de tout ce qui s’y fait.
BEATRIX.
Pour s’en mettre à couvert, l’accord est fait de sorte,
Qu’il va droit au jardin par une fausse porte (I, 2, v. 128-34)

Entre El Astrólogo fingido et Le Feint astrologue, on est ainsi passé d’un obstacle présenté comme principalement lié à la sauvegarde de l’« honneur-réputation » à un obstacle typique de la comédie essentiellement fondé sur une inégalité de fortune relayée par un père peu enclin à souffrir la mésalliance. Il s’agit bien évidemment d’une nuance de degré puisque tous ces motifs sont présents à la fois dans les deux pièces et ce n’est que l’importance que les dramaturges leur accordent dans l’une ou l’autre œuvre qui diffère.

On peut se demander pourquoi Thomas Corneille a fait subir cet infléchissement particulier à sa pièce par rapport à la comedia de Calderón. Un élément de réponse réside probablement dans la volonté de présenter clairement et directement l’obstacle à l’intrigue amoureuse sans s’appesantir dans de longues et subtiles dissertations sur l’« honneur-réputation », et de rendre cet obstacle d’emblée plus concret, plus fort, et donc plus vraisemblable que la crainte pour la réputation, c’est-à-dire pour les manifestations uniquement extérieures de l’honneur. En outre, d’un point de vue dramaturgique, même s’il restait possible pour Thomas Corneille de transposer dans la scène II, 1 certaines considérations sur l’« honneur-réputation » développées par Doña Maria au début de la comedia, le fait d’avoir supprimé la majeure partie de la première « journée » de la pièce de Calderón entraînait logiquement la suppression de la plupart des enjeux qui y étaient attachés et qui relèvent désormais d’un hors-scène dont l’évocation est inutile du point de vue de la compréhension de l’intrigue telle qu’elle se présente au début de la pièce de Thomas Corneille. En réalité, ce serait donc moins par volonté de transposition culturelle que pour des raisons de logique dramatique que l’auteur aurait gommé quelques uns de ces traits si typiques des mentalités espagnoles telles qu’elles sont mises en scène dans la comedia.

On peut également noter que le dramaturge ne met pas l’accent sur un détail significatif présent chez Calderón. À la différence de la pièce espagnole qui insiste à plusieurs reprises sur le costume de Doña Violante qui ne rend visite à Don Diego que voilée et dissimulée sous un long manteau, Le Feint astrologue néglige ce détail exemplaire de la conception espagnole de l’« honneur-réputation » des jeunes-filles qui ne peuvent avoir commerce avec des hommes sans risquer de susciter la suspicion.

En ce qui concerne les situations de « perte de l’honneur »117, Thomas Corneille a suivi d’assez près son modèle espagnol. Susceptible de jeter l’opprobre sur le personnage qui la subit, la « perte de l’honneur » constitue un autre motif typique de la comedia et conduit à plusieurs réactions : selon Losada-Goya, il s’agit d’abord de faire en sorte que le déshonneur qui touche le personnage demeure secret, toujours dans la perspective d’un « honneur-réputation » fondé sur le jugement d’autrui : cela explique la réaction de Leonardo/Léonard qui à l’issu du quiproquo au sujet du diamant promet à don Juan de garder « le secret » sur cette affaire, c’est-à-dire de ne pas le déshonorer publiquement en divulguant son vol supposé (El Astrólogo fingido, IIIème « journée », p. 230, v. 3016-17 et Le Feint astrologue, V, 2, v. 1633-4). Mais si la honte est publique, il s’agit alors de venger à tout prix cet honneur perdu, de réparer l’outrage subi. C’est ainsi l’honneur du père et celui de l’amante trahie qu’invoque Violante/Léonor lors du dénouement de la pièce, en réclamant vengeance pour l’affront subi à Leonardo/Léonard :

Je n’y viens, Leonard, que pour chercher un traistre,
Et pour vous advertir qu’au mépris de ses feux
Un parjure insolent nous affronte tous deux.
S’il ayme vostre fille, il est adoré d’elle,
Ce reciproque amour me le rend infidelle,
Il est caché céans ce lâche suborneur,
Faites-m’en la raison et vangez vostre honneur. (V, 10, v. 1828-34)

Lors du dénouement de la pièce espagnole justement, Leonardo apporte une autre réponse possible à la menace du déshonneur : l’« accommodement »118 par le mariage. En autorisant le mariage de sa fille avec Don Juan, il rend légitime une relation qui ne l’était pas et qui menaçait donc sa réputation, suivant d’ailleurs ainsi le conseil de l’astrologue prétendu et la prédiction que ce dernier avait formulée au début de la pièce et selon laquelle Doña Maria était destinée à épouser un homme pauvre. C’est donc principalement la question de la sauvegarde de l’honneur de sa fille et par là même de son honneur propre et de celui de toute la famille qui motive ce choix de l’« accommodement » comme réponse possible à la situation de déshonneur. Dans Le Feint astrologue, cette question de la sauvegarde de l’honneur semble également déterminante au moment du dénouement qui comme chez Calderón, repose aussi sur la confiance aveugle du vieillard à l’égard de celui qu’il considère comme un astrologue. La comparaison des deux dénouements ne révèle donc pas de divergence essentielle du point de vue de l’honneur, si ce n’est que celui de Thomas Corneille semble édulcoré par rapport à l’original espagnol où, menacé de déshonneur, Leonardo illustre le « coup de sang » à l’espagnole et se montre particulièrement virulent vis-à-vis de sa fille dont il soupçonne la vertu (IIIème « journée », p. 244-46). Le père de la pièce française semble un peu plus mesuré et malgré ses menaces, il laisse d’abord à sa fille le bénéfice du doute avant de s’emporter :

Sois sans crime, autrement redoute mon couroux.
Mais je veux me purger de ce soupçon infame,
Il faut chercher par tout, allons, venez, Madame.
Voyons tout le jardin. (V, 10, v. 1838-41)

Un dernier aspect lié à la conception espagnole de l’honneur apparaît de façon furtive dans la troisième « journée » de la pièce de Calderón119. Il s’agit à travers la question des Juifs et des Maures exclus de la société espagnole de la notion de « pureté de sang ». Sans résonance particulière auprès du public français, ces manifestations de l’intolérance qui caractérise alors la mentalité espagnole sont évacuées de la version française. L’antisémitisme et le rejet des populations « converties » comme les Morisques apparaît alors couramment dans le théâtre espagnol et révèle un trait de civilisation, un des critères définitoires de l’identité espagnole de l’époque fondée sur le rejet de « l’autre » non catholique120. Losada-Goya121 précise que ces propos d’une grande violence se retrouvent principalement dans le discours des personnages du peuple, ici des serviteurs Moron et Otañez :

aunque vos en esta vida
Mas vezes aveis temido
Aspa y fuego, que apa y nieve.
[Otañez]
Mentis, que no soi Iudio.
[Moron]
Pues que, Moro ?
[Otañez]
Vos soys Moro,
Y aun Moron, pues es lo mismo
Que moro grande (op. cit., p. 222, v. 2913-19).

La comparaison avec ces différents types d’ « infidèles », Juifs ou Maures, sonne comme une insulte aux oreilles des deux serviteurs et est ici l’occasion d’un jeu de mot fondé sur l’homophonie du nom du valet Moron avec le terme de « Moro ». Mais ce n’est probablement pas par condamnation idéologique et dans un souci de tolérance que Thomas Corneille a supprimé ce passage : outre que le jeu de mot n’était plus transposable en français dès lors que notre auteur avait changé le nom du serviteur en celui de Philipin, cet échange n’aurait renvoyé le spectateur français à aucune réalité familière et ce dernier n’aurait certainement pas saisi la portée du propos. Si bien que ce trait de mentalité spécifique de l’Espagne de l’époque et de son système de représentations propre et en outre parfaitement inutile du point de vue de l’intrigue, n’a pas été retenu par Thomas Corneille.

Globalement donc, le thème de l’honneur semble occuper un rôle moins considérable que chez Calderón, même si Thomas Corneille en exploite tout de même dans une large mesure le potentiel dramatique, en particulier lors du dénouement. Ces légères inflexions dans le traitement de ce thème contribuent à « acclimater » la pièce à la scène française par la suppression ou l’atténuation de tous les éléments susceptibles de ne pas créer d’effet auprès du spectateur français, révélant ainsi un souci d’efficacité scénique chez Thomas Corneille. Or on verra dans la suite de cette étude que ce changement d’ « atmosphère », de tonalité par rapport au modèle espagnol trouve principalement sa source dans les options dramaturgiques privilégiées par notre auteur, en particulier sous l’influence du roman de Scudéry qui avait déjà opéré une sorte de transposition de la matière caldéronienne dans le goût français.

Transposition esthétique et dramaturgique : une dramaturgie entre baroque et classique §

L’intertextualité compliquant l’investigation dramaturgique, nous procèderons à une comparaison étroite du Feint astrologue avec ses sources pour pouvoir apprécier les partis-pris dramaturgiques de Thomas Corneille.

Structure de la pièce et déroulement de l’action §

Comme dans la pièce espagnole ainsi que dans la plupart des comédies de l’époque, le sujet du Feint astrologue consiste en un amour contrarié par une série d’obstacles qui seront finalement surmontés et dont les principaux sont le père, probable opposant à une mésalliance et soucieux de son honneur, ainsi que le/la rival(e) jaloux(se) qui entreprend de se venger. Toutefois, déjà chez Calderón, mais encore plus nettement chez Thomas Corneille, cette trame amoureuse stéréotypée du genre comique passe en réalité au second plan et constitue plutôt le prétexte au déploiement de situations scéniques plaisantes qui sont autant de micro-séquences qui valent davantage pour elles-mêmes que pour leur fonction dans la progression d’une action principale à laquelle elles sont plus ou moins bien rattachées et dont nous donnerons un aperçu plus loin. Ces situations s’enchaînent à un rythme allègre et visent à divertir le spectateur par des effets de surprise ou des effets comiques.

Remarques préliminaires sur la composition de la pièce §

La pièce compte 1914 vers répartis en cinq actes et quarante-sept scènes. Chaque acte compte respectivement huit, sept, huit, douze et douze scènes. D’un point de vue quantitatif, Le Feint astrologue présente une composition et une répartition de la matière assez équilibrée et homogène dans l’ensemble, puisque trois des actes de la pièce comptent entre 370 et 390 vers. Mais l’on peut toutefois noter que le premier acte est légèrement plus court avec 346 vers et l’acte quatre nettement plus long que les autres avec 428 vers122, ce qui influe sur le rythme d’ensemble de la pièce. Dans le cas de l’acte I, cette relative brièveté confère ainsi une certaine vivacité à l’ouverture principalement dévolue à l’exposition. L’acte IV présente une accumulation d’épisodes et de situations qui préparent le dénouement dans une sorte de « crescendo » d’actions. Quant au dernier acte, il se caractérise par un rythme allègre favorisé par la répartition d’une matière verbale d’importance moyenne (376 vers) dans pas moins de douze scènes, c’est-à-dire autant de scènes que l’acte précédent qui était beaucoup plus long.

Structure et progression de l’action : un renversement de point de vue par rapport au modèle espagnol §

Feinte, mensonges, quiproquos, coïncidences qui plongent les personnages dans des situations embarrassantes, jalousie, obstacle du père, du rival ou de la rivale, dénouement heureux lors duquel les obstacles tombent : tels sont les modes de progression de l’action qui sont autant d’« ingrédients » dramaturgiques traditionnels repris par Thomas Corneille au dramaturge espagnol. La structure du Feint Astrologue est globalement la même que celle de la comedia de Calderón. La plupart des éléments de l’intrigue principale comme des intrigues secondaires et le déroulement de l’action y sont repris, mais la matière est parfois redisposée, surtout en ce qui concerne le début de l’œuvre. Nous en donnons un aperçu dans le tableau suivant qui compare la structure et les modes de progression de l’action dans les deux pièces123.

Comparaison du déroulement de l’action dans Le Feint astrologue et El Astrologo fingido §

La pièce de Calderón ne présentant pas de division en scènes, nous en indiquerons le découpage scénique au sein de chaque « journée » en le délimitant par les vers correspondants (se reporter à l’édition établie par M. Oppenheimer, op. cit.). Nous ferons également figurer dans ce tableau les scènes ou les séquences des deux pièces qui ne modifient pas la situation dramatique et ne font pas progresser l’action (épisode gratuit, annonce de l’entrée en scène d’un personnage, simple commentaire de l’action de la scène précédente, etc.). Nous les signalerons par le signe ♦. Le signe ] indiquera qu’une intrigue est dénouée. Pour la correspondance des noms des personnages, on pourra se reporter à l’annexe 3.

Chaque intrigue sera signalée par une lettre :

a) L’intrigue amoureuse principale concernant Lucrèce/Doña Maria et Don juan.

b) L’intrigue secondaire reposant sur le conflit amoureux initial entre Don Fernand/Don Diego et Lucrèce/Doña Maria, et dont est issue l’intrigue B).

B) L’intrigue « astrologique ».

c) L’intrigue amoureuse secondaire qui concerne Don Lope/Don Carlos et Léonor/Doña Violante.

d) L’intrigue amoureuse secondaire qui concerne Léonor/Doña Violante et Don Juan.

e) L’épisode de Philipin/Moron et Mendoce/Otañez.

Le Feint Astrologue Situations dramatiques El Astrólogo fingido
Chez Doña Maria :
a) Dialogue entre Doña Maria et sa suivante Beatriz qui introduit l’intrigue amoureuse principale. Beatriz s’étonne de l’intérêt soudain de sa maîtresse pour Don Juan envers lequel elle s’est toujours montrée dédaigneuse. Doña Maria avoue finalement à sa servante qu’elle aime Don Juan, mais que jusque là, elle a caché son amour car elle craignait pour sa réputation. Beatrix, dont on apprendra plus tard qu’elle est la complice de Don Diego dont elle sert les intérêts auprès de sa maîtresse, s’étonne de ce que cette dernière préfère l’amoureux pauvre au riche Don Diego.
I, v. 1-132
♦ Le serviteur Otañez annonce l’arrivée de Don Juan. I, v. 133-6
a) La pièce espagnole poursuit avec une très longue entrevue entre Don Juan et Doña Maria, qui donne lieu à une scène d’aveu (première péripétie qui fait progresser l’intrigue a). Le jeune homme annonce qu’il part pour la guerre en Flandres. Il fait des adieux déchirants. S’ensuit alors une longue tirade d’aveu : Doña Maria retient Don juan et finit par lui avouer qu’elle l’aime. Elle exhorte le jeune homme à garder le silence et elle désigne sa servante Beatriz comme unique « secrétaire » de leur relation. Don Juan renonce à partir en Flandre et décide de rester quelque temps caché chez un ami et de prétendre ensuite être revenu à Madrid pour quelque affaire ou maladie, afin d’éviter que sa présence dans la ville ne semble suspecte aux yeux de tous. Doña Maria met fin à l’entretien et l’invite à revenir le soir même avec le concours complice de la servante. Don Juan sort. I, v. 137-422
♦ Doña Maria recommande une nouvelle fois le silence à sa servante. I, v. 423-34
b) Don Diego et Moron entrent en scène. Ils s’introduisent chez Doña Maria sans même s’être fait annoncer. Don Juan s’adresse à la jeune femme d’une manière provocatrice et lui annonce qu’il a l’intention de continuer à la poursuivre de ses assiduités bien qu’il sache qu’elle n’éprouve aucun amour pour lui et que ses tentatives sont sans espoir, car c’est pour lui une façon de se venger de ses mépris : plus elle le traitera avec mépris et rigueurs, plus il se vengera en lui témoignant de l’amour. Mais Doña Maria, loin de se laisser désarçonner par ses provocations, lui répond en renversant habilement le jeu d’oppositions qu’il avait mis en place dans son discours : « je ne vous quitterai pas afin de vous quitter, / et je vous aimerai pour ne pas vous aimer » (vers 493 et 494). Puis elle sort. I, v. 435-494
b) Don Diego retient Beatriz. Cette dernière explique alors à Don Diego que malgré ses tentatives d’entremise auprès de sa maîtresse, il n’a pas la moindre chance d’obtenir son amour car celle-ci est naturellement dédaigneuse, depuis sa naissance. Don Diego, surpris par l’attitude et la virulence de Doña Maria, annonce qu’il renonce à cet amour.
♦ Moron le félicite alors de cette résolution et demande à être récompensé pour la liberté retrouvée de son maître. Mais c’est Beatriz que ce dernier récompense pour son aide. Moron, dépité, s’étonne que Beatriz soit récompensée pour son entremise infructueuse.
b) Beatriz affirme lui être obligée par ce don et lui promet sa loyauté. Don Diego quitte alors la scène.
I, v. 495-545
b) Moron annonce alors à Beatriz qu’il la quitte aussi en affirmant que son devoir est d’imiter son maître dans ses résolutions. Il affirme néanmoins ne pas être convaincu par ses discours et l’interroge pour tenter de connaître la véritable raison qui fait que l’on dédaigne son maître. Mais Beatriz lui répond qu’elle ne peut rien lui dire.
Péripétie : Leonardo, le père de Lucrèce arrive, interrompant l’échange. Par la surveillance qu’il exerce, son rôle traditionnel d’opposant, d’obstacle à l’intrigue amoureuse se révèle dès cette scène.
I, v. 546-585
♦ Jeu de scène comique de bousculade entre Moron qui sort de scène et Leonardo qui entre et lui demande suspicieusement ce qu’il fait là. I, v. 586
Dans la rue, la nuit :
a) Don Juan demande à son ami Don Carlos de le cacher chez lui afin que chacun croit qu’il est réellement parti en Flandre mais ne lui confie pas la raison de cette feinte. Don Carlos accepte d’aider son ami.
d) Don Carlos demande s’il ne s’agit pas là de quelque affaire de jalousie à propos de Doña Violante mais Don Juan le dément. Ce dernier charge enfin son ami d’aller dire à Doña Violante qu’il a dû partir précipitamment et qu’il n’a donc pas pu lui faire ses adieux, mais qu’il ne tardera pas à lui faire parvenir des lettres, puis il sort.
I, v. 587-615
c) Monologue de déploration de Don Carlos resté seul en scène : celui-ci se lamente sur son triste sort. Il avait en effet cru qu’il pourrait profiter du départ de Don Juan pour les Flandres pour déclarer sa flamme à Doña Violante. Mais voilà qu’il doit à présent jouer le rôle de complice et d’émissaire dans les amours de son ami et rival. I, v. 615-627
Chez Doña Violante :
d) Doña Violante et sa servante Quiteria entrent en scène. Don Carlos s’acquitte de sa mission auprès de Doña Violante en lui annonçant le départ précipité de Don Juan et tente de justifier le fait que son ami soit parti sans lui dire au revoir. Doña Violante s’indigne cependant du comportement de Don Juan et de son manque d’égard pour elle.
c) Emporté par sa propre passion pour la jeune femme et déchiré entre son statut d’ami et de rival, Don Carlos affirme que ses plaintes sont justifiées, allant même jusqu’à dire que si Don Juan n’était pas son ami, il irait lui apprendre à la respecter. Il lui propose en outre de lui rendre visite aussi souvent qu’elle le souhaitera pour lui parler de Don Juan, présentant ce service comme un devoir de l’amitié. La jeune femme accepte avec enthousiasme. Il s’ensuit un court aparté de Don Carlos où il formule le dilemme qui l’anime : il est en effet déchiré entre son amitié pour Don Juan et son amour pour Doña Maria. Puis il quitte la scène.
I, v. 628-689
d) Quiteria reproche à sa maîtresse son aveuglement qui la fait s’attacher ainsi à un homme sans fortune qui de surcroît la néglige et l’abandonne, mais Doña Violante affirme vouloir prouver la constance et la noblesse de son amour en attendant le retour de Don Juan. I, v. 690-711
Dans la rue, au petit matin :
a) Beatriz raccompagne Don Juan à la porte de la maison de Leonardo.
♦ Au comble du bonheur après son entrevue nocturne avec Doña Maria, le jeune homme se lance dans des développements poétiques amoureux.
I, v. 712-731
♦ Don Juan parti, Beatriz restée seule en scène se livre à une réflexion ironique sur l’honneur des jeunes filles : elle affirme que pour mettre leur réputation à l’abri des rumeurs, celles-ci introduisent leur amant à l’intérieur même de leur maison, pour ne pas risquer d’être aperçues en leur compagnie. I, v. 732-747
I, 1 b) Don Diego/Don Fernand et Moron/Philipin entrent en scène. Don Diego/Don Fernand demande à son valet d’obtenir davantage d’informations auprès de Beatriz/Béatrix sur la raison des refus de Doña Maria/Lucrèce à son égard. Il aperçoit la soubrette à sa porte et envoie son valet l’interroger. Puis il se retire pour attendre le rapport de ce dernier.
Pour les besoins de l’exposition, la scène est beaucoup plus longue dans la version française, puisqu’il s’agit également d’y distiller les informations nécessaires à la compréhension de la situation par les spectateurs.
I, v. 748-765
I, 2

I, 3
b) L’intrigue b) progresse ici par le ressort dramatique que constitue la péripétie de la confidence entre les valets : Beatriz/Béatrix révèle à Moron/Philipin que Doña Maria/Lucrèce aime Don Juan, trahissant ainsi son secret. Elle livre en outre les modalités de leurs entrevues nocturnes.
♦ Moron/Philipin commente (en présence de la servante chez Calderón, après la sortie de celle-ci chez Thomas Corneille) l’honneur feint et le manque de vertu de Doña Maria/Lucrèce.
♦ Courte scène de monologue du valet qui sent qu’il ne va pas pouvoir s’empêcher de divulguer le secret.
I, v. 765-848

I, 848-860
I, 4 b) Don Diego/Don Fernand revient. Moron/Philipin révèle le secret de Doña Maria/Lucrèce à son maître. Ce dernier décide de se venger en redoublant d’assiduités auprès de la jeune femme.
Don Diego/Don Fernand envoie son valet savoir s’il peut rendre visite à Doña Maria/Lucrèce tandis que son ami Don Antonio/Don Louis entre en scène.
I, v. 861-942

I, v. 943-946
I, 5 a) b) Le secret de Doña Maria/Lucrèce continue de se répandre : Don Diego/Don Fernand révèle le faux départ de Don Juan, resté caché chez son ami Don Carlos/Don Lope qui est également l’ami de Don Antonio/Don Louis, ainsi que ses visites nocturnes chez Doña Maria/Lucrèce. Don Diego/Don Fernand quitte la scène tandis que Don Carlos/Don Lope entre. I, v. 946-982
I, 6 a) b) Don Antonio/Don Louis qui voit venir son ami décide d’aller l’interroger pour confirmer les propos de Don Diego/Don Fernand. Il lui demande s’il est vrai qu’il héberge en secret Don Juan.
Dans la pièce espagnole, Don Carlos lui confirme cette information ainsi que les entrevues de Don Juan et Doña Maria.
c) Dans la pièce française, Don Lope confirme la présence de Don Juan à Madrid mais expose aussi le dilemme qui le déchire entre son amour pour Léonor et son amitié pour Don Juan qu’il croit amoureux de cette dernière, introduisant ainsi l’intrigue amoureuse c) qui concerne son amour pour Léonor.
d) Toujours dans la pièce française Don Lope évoque l’amour de Léonor pour Don Juan, introduisant ainsi l’intrigue d).
I, v. 983-1006
♦ Don Carlos sort et Don Diego revient. Don Antonio confirme à son ami que ce qu’il pensait à propos de l’amour et des entrevues nocturnes de Don Juan et Doña Maria est vrai et que Don Carlos savait tout à ce propos. I, v. 1006-1009
♦ Moron entre en scène pour annoncer à son maître que Doña Maria se rend à la messe et que c’est l’occasion de lui parler. I, v. 1010-1017
I, 7 ♦ Court monologue de transition de Don Lope qui se lamente sur son sort et voit venir Léonor.
I, 8 c) d) Cette séquence reprend plusieurs éléments antérieurs de la pièce de Calderón (I, v. 628-689) : il s’agit d’une entrevue entre Don Lope et Léonor au court de laquelle celle-ci se plaint du traitement de Don Juan à son égard, le jeune cavalier étant parti sans lui dire au revoir. Don Lope lui propose de revenir régulièrement pour parler de Don Juan, présentant ce service comme un devoir de l’amitié. Ce service d’amitié sert de prétexte à un développement enflammé qui joue sur l’équivoque et où l’amant malheureux se présente de façon topique comme le double de son ami, comme « la moitié de soy-mesme » susceptible de « remplir sa place » pendant l’absence de ce dernier. La jeune femme qui soupçonne sa flamme derrière son langage ambigu l’invite à la modération et quitte la scène.
II, 1 ♦ Cette scène de dialogue entre Lucrèce et Béatrix complète l’exposition mais ne fait pas progresser l’intrigue a). Elle reprend sous forme narrative le début de la première journée de la pièce espagnole. On a dans cette scène une sorte de transposition décalée du dialogue d’ouverture de la pièce de Calderón entre doña Maria et Beatriz : la servante s’étonne de ce qui lui apparaît comme un changement inattendu chez sa maîtresse qui semble depuis quelques jours passionnément amoureuse d’un homme qu’elle a pourtant repoussé jusque là. Lucrèce avoue que son amour pour Don Juan est ancien et explique pourquoi elle a si longtemps contraint sa passion et feint des mépris pour Don Juan avant de lui révéler son amour pour lui. L’entretien des deux amants et l’aveu de Doña Maria qui faisaient l’objet d’une longue scène chez Calderón, ne sont ici repris que sous la forme d’un court récit à fonction informative pour le spectateur.
II, 2, (première séquence scénique)


(seconde séquence scénique)
Longue scène-pivot qui fait rebondir l’intrigue b) en introduisant la fourbe de l’astrologie feinte, B) :
b) Entrent en scène Doña Maria/Lucrèce et Beatriz/Béatrix ainsi que Don Diego/Don Fernand et Moron/Philipin. Don Diego/Don Fernand aborde Doña Maria/Lucrèce et lui parle d’amour avec audace, malgré l’irritation que cette dernière lui témoigne, exaspérée par l’obstination de ce prétendant importun. Mais Don Diego/Don Fernand jette la jeune femme dans le trouble par une insinuation qui laisse apparaître qu’il connaît son secret (il s’agit là d’une péripétie fondamentale dans la pièce puisqu’elle conduit à l’intrigue B). Démasquée, Doña Maria/Lucrèce se lamente et s’en prend à sa servante, l’accusant de l’avoir trahie. Cette dernière s’en défend tandis que Don Diego/Don Fernand et Moron/Philipin essaient de se tirer d’embarras en cherchant un mensonge susceptible d’innocenter la soubrette. Dans les deux pièces, le maître demande à son valet d’inventer quelque ruse.
B) C’est précisément ce qu’il fait et c’est alors que par une seconde péripétie s’engage la fourbe de la fausse astrologie : pour disculper Beatriz/Béatrix, Moron/Philipin affirme que Don Diego/Don Fernand est astrologue. Don Diego/Don Fernand joue le jeu de son valet et parvient à convaincre la jeune femme. Dans la pièce espagnole, même Beatriz s’y laisse d’abord prendre.
II, v. 1018-1355 (première séquence)


(seconde séquence scénique)
II, 3 B) Nouvelle péripétie liée au surgissement inattendu du père de Doña Maria/Lucrèce. Pour justifier son entretien avec Don Diego/Don Fernand, la jeune femme invente le prétexte d’une consultation astrologique à propos de son mariage. Ce dernier renchérit en affirmant lui avoir prédit une union avec un homme sans fortune. Or le vieillard se pique d’astrologie.
B) Dans El Astrólogo fingido, Don Diego craint donc qu’il ne cherche à tester son savoir, mais Léonard met fin à leur entretien qu’il remet à une entrevue ultérieure avant de quitter la scène.
B) Dans Le Feint astrologue, le vieillard soumet Don Fernand à un véritable interrogatoire « astrologique » qui met ce dernier en difficulté et menace de ruiner la supercherie. La situation donne lieu à un exposé jargonnesque plaisant.
II, v. 1356-1450
II, 4 B) Le hasard tire Don Fernand d’embarras à un moment où il se trouve en bien mauvaise posture. L’arrivée imprévue d’un message oblige en effet Léonard à interrompre l’entretien. Il quitte la scène.
II, 5 ♦ Dans la pièce française, Don Fernand, Philipin et Don Louis, qui a assisté, en retrait, à une partie de la scène précédente, commentent les événements qui viennent d’avoir lieu et s’en amusent.
B) Malgré les réserves que formule Don Fernand, son ami l’incite à poursuivre la fourbe et annonce qu’il va s’employer à propager le mensonge. Don Fernand s’en remet à lui.
♦ Dans la pièce espagnole, Don Diego remercie Moron de l’avoir tiré d’affaire et le récompense. Les deux hommes se félicitent mutuellement de leur habileté à mentir.
B) Puis Don Antonio entre en scène et Don Diego le met dans la confidence de la fourbe. C’est ici Don Diego qui demande à son ami de diffuser le mensonge pour que celui-ci semble ainsi plus crédible. Moron se propose pour sa part de répandre le mensonge auprès du peuple. Les trois personnages sont enthousiastes.
Dans les deux pièces, tous quittent la scène à l’exception de Don Antonio/Don Louis.
II, v. 1451-1480



II, v. 1481-1560
II, 6 c) Dans la pièce espagnole, Don Carlos entre en scène avec des lettres de Don Juan destinées à Doña Violante, dont le cachet indique qu’elles auraient été envoyées de Sarragoce. Sans voir Don Antonio, il se lance dans un monologue au cours duquel il annonce qu’il a l’intention de révéler son amour à Doña Violante si cette dernière lui semble indifférente à la lecture des lettres de Don Juan.
B) c) Don Antonio/Don Louis entreprend de répandre le mensonge en commençant par Don Carlos/Don Lope à qui il décrit les prodiges dont Don Diego/Don Fernand serait capable et auxquels il se serait livré sous ses yeux. Don Carlos/Don Lope prie son ami de lui faire connaître ce génie.
Dans la pièce espagnole, Don Antonio promet à Don Carlos de lui présenter Don Diego, puis quitte la scène.
Dans la pièce française, à Don Lope qui envisage de rencontrer Don Fernand pour savoir si Don Juan est jaloux de Léonor et quelle est la raison cachée de son séjour secret à Madrid, Don Louis répond qu’il a déjà obtenu ces informations pour lui et il lui révèle que Don Juan trompe Léonor et qu’il aime en vérité Lucrèce.
II, v. 1561-1652
II, 7 ♦ Dans la pièce espagnole, Don Carlos s’étonne qu’un homme « de cape et d’épée » comme Don Diego puisse posséder une telle science.
c) Dans la pièce française, Don Lope, sous le coup de la surprise, entrevoit la possibilité de détromper Léonor au sujet de Don Juan sans trahir le secret de son ami en l’incitant à s’adresser à l’astrologue par la science duquel elle apprendra la présence de Don Juan à Madrid et son amour pour Lucrèce.
II, v. 1653-1660
Chez Doña Violante dans la pièce espagnole :
c) d) Doña Violante, sa servante Quiteria et Don Carlos entrent en scène. Il s’ensuit un jeu de scène au cours duquel Don Carlos guette les réactions de Doña Violante pour savoir s’il peut ou non déclarer sa flamme à la jeune femme. Il finit par comprendre qu’elle est encore éprise de Don Juan et il renonce à avouer son amour. Elle lui fait part de sa vive envie de voir son amant. Sans réfléchir, Don Carlos lui répond qu’il connaît un astrologue susceptible de réaliser ce désir. Il regrette en aparté cet aveu irréfléchi qui le dessert en cherchant à satisfaire Doña Violante. Puis il y voit l’occasion de faire apprendre à la jeune femme de manière indirecte le mensonge de Don Juan et il explique à cette dernière que Don Diego pourra faire apparaître Don Juan à ses yeux. Il quitte ensuite la scène.
II, v. 1661-1782
d) En dépit des bienséances qui lui interdisent de rendre visite à un homme qu’elle ne connaît pas, Doña Violante s’apprête à consulter sans délai le faux astrologue. Sa servante Quiteria se montre d’abord incrédule et affirme que sa maîtresse fait erreur et se rendra compte bien vite que tout cela n’est que mensonge et supercherie. II, v. 1783-1794
III, 1 Chez Don Diego dans la pièce espagnole :
B) Don Antonio/Don Louis raconte comment il a diffusé le mensonge de la feinte astrologie à travers Madrid. Chacun est désormais persuadé que Don Diego/Don Fernand possède des pouvoirs surnaturels.
B) Dans la pièce française, Don Fernand explique en outre qu’il est en train d’apprendre quelques notions d’astrologie à l’aide d’un « almanach » et d’un « traité de la Sphère » afin de pouvoir jouer son rôle d’astrologue de façon crédible.
♦ Moron/Philipin annonce à son maître la visite d’une dame qui demande à lui parler (la pièce espagnole précise qu’elle est couverte, vêtue d’un long manteau et d’un voile qui cache son visage). Dans la pièce espagnole, Don Diego espère que la jeune personne sera jolie.
Dans la pièce française, Don Fernand invite son ami à se retirer dans un appartement voisin pour assister à la scène.
II, v. 1795-1833


II, v. 1834-1841
III, 2 ♦ Dans la pièce espagnole, Doña Violante annonce qu’elle veut s’entretenir seule avec Don Diego. Don Antonio quitte donc la scène pour observer plus loin ce qui va suivre.
B) d) Dans la pièce française, Léonor ne dit pas ce qu’elle attend de Don Fernand, persuadée que ce dernier peut lire dans ses pensées. Cette situation plonge le faux astrologue dans l’embarras. Ce dernier s’en tire néanmoins en affirmant que seul un aveu de la bouche de la jeune femme pourra rendre ses charmes opérants. Celle-ci finit donc par avouer qu’elle est amoureuse, que son amant est parti à la guerre en Flandres et qu’elle souhaite le voir dès le soir-même.
Dans la pièce espagnole, Doña Violante avoue d’emblée à Don Diego qu’elle est amoureuse et qu’elle souhaiterait que l’astrologue lui fasse apparaître son amant.
Mis en difficulté, Don Diego/Don Fernand répond qu’il ne peut pas faire apparaître un absent. Mais la jeune femme proteste et affirme savoir de source sûre qu’il est capable de plus grands prodiges. De plus en plus embarrassé et à court de prétextes, Don Diego/Don Fernand affirme que cela lui est impossible à cause de la mer entre l’Espagne et les Flandres, mais Doña Violante/Léonor insiste en indiquant que son amant n’a pas encore quitté Sarragoce.
Dans la pièce espagnole, Don Diego paraît tellement embarrassé que Doña Violante lui indique d’elle-même que l’homme qu’elle aime n’est autre que Don Juan. Don Diego saisit l’occasion pour confirmer sa réputation et livre un portrait physique de Don Juan, qu’il attribue à ses compétences astrologiques.
Au contraire, dans la pièce française, Léonor ne livre les informations qu’au « compte-goutte » et c’est Philipin qui souffle à son maître qu’il pourrait bien s’agir de Don Juan que chacun croit parti en Flandre. Pour le vérifier tout en feignant de savoir de qui il s’agit, Don Fernand décrit Don Juan à Léonor et demande à cette dernière de lui dire le nom de cet amant, condition nécessaire à l’efficacité de ses charmes. C’est alors seulement que la jeune femme révèle qu’il s’agit de Don Juan.
Don Diego/Don Fernand fait écrire à Doña Violante/Léonor un billet au contenu équivoque adressé à Don Juan pour lui demander de se rendre chez la jeune femme dès le soir (dans la pièce française, on n’en saura le contenu qu’à la scène suivante).
♦ Dans la pièce française, les deux domestiques s’entretiennent des pouvoirs de Don Fernand tandis que ce dernier dicte le contenu de la lettre à Léonor. Dans un jeu de scène comique, Jacinte effrayée par les propos de Philipin se cache le visage persuadée que Don Fernand peut lire en elle en la regardant.
II, v. 1842-2025
III, 3 ♦ Don Diego/Don Fernand, Don Antonio/Don Louis et Moron/Philipin commentent les aventures de la scène précédente dont ils s’amusent.
B) Don Diego/Don Fernand explique le but du stratagème de la fausse lettre : croyant à sa lecture que son secret est découvert, Don Juan se rendra chez Doña Violante/Léonor.
Dans la pièce espagnole, Don Diego affirme qu’ainsi, leur fourbe aura réussi.
B) b) Dans la pièce française, Don Fernand précise le but de ce tour : si en se croyant découvert et il se rend chez Léonor pour se justifier, Don Juan se trahira, et Don Fernand se sera vengé des mépris de Lucrèce en « détrui[sant] [s] es plaisirs ». Si au contraire, Léonor le prend pour une apparition, la fourbe aura servi à confirmer ses pouvoirs astrologiques.
Moron/Philipin est chargé de remettre le billet à Don Juan (en le jetant par la fenêtre de Don Juan, chez Don Carlos dans la pièce espagnole, en lui remettant en main propre dans la pièce française).
II, v. 2026-2049
III, 4 ♦ Monologue de Philipin qui commente l’action précédente et manifeste sa poltronnerie à l’idée d’être battu par un Don Juan mécontent de l’objet du message que le valet doit lui délivrer.
Chez Don Carlos :
d) Don Carlos annonce à son ami Don Juan qu’il a rempli sa mission en donnant à Doña Violante les lettres que ce dernier l’avait chargé de remettre à la jeune femme, mais il lui reproche de la traîter avec trop peu d’égards. Don Juan lui répond qu’il ne l’aime pas mais continue de dissimuler à son ami la raison de son séjour caché à Madrid et ne veut pas lui révéler son secret. Don Carlos sort.
II, v. 2050-2088
III, 5


III, 6
d) Dans la pièce française, Philipin remet le billet à Don Juan alors qu’il va entrer chez Lucrèce pour leur entrevue nocturne, puis s’enfuit.
Dans la pièce espagnole, Don Juan reçoit le billet jeté par la fenêtre.
À la lecture de la lettre, il soupçonne dans les deux pièces Don Carlos/Don Lope de l’avoir trahi auprès de Doña Violante/Léonor. Il décide d’aller au rendez-vous fixé par la lettre (après s’être assuré dans la pièce française qu’il s’agissait bien de l’écriture de Léonor) afin d’éviter que Doña Violante/Léonor, se sentant outragée, ne divulgue par vengence le secret de ses amours.
II, v. 2088-2126
III, 7 Chez Doña Violante/Léonor :
B) d) La servante Quiteria/Jacinte se montre sceptique à l’idée que Don Diego/Don Fernand puisse faire apparaître Don Juan. Doña Violante/Léonor réplique avec mépris qu’elle est ignorante et que pourvu qu’il n’y ait pas de mer pour empêcher les effets de sa science, Don Diego/Don Fernand est capable de produire ce prodige. À sa servante qui lui demande quel plaisir elle aura à cette apparition, la jeune femme répond sur le même ton condescendant qu’elle ne peut le comprendre si elle ne connaît pas l’amour. Elle affirme en outre qu’elle ne craindra nullement cette apparition fantastique.
On frappe alors à la porte et Quiteria/Jacinte va ouvrir.
♦ Restée seule en scène dans la pièce espagnole, Doña Violante se lance dans des considérations générales sur le pouvoir de l’amour et sur ce qu’une femme désespérée et jalouse est capable de faire.
II, v. 2127-2159



II, v. 2159-2165
III, 8 B) d) Scène de quiproquo : Quiteria/Jacinte revient épouvantée en annonçant que Don Juan est là et, de terreur, elle laisse tomber la lumière qu’elle tenait à la main.
Doña Violante/Léonor fuit à la vue de Don Juan qu’elle prend pour un spectre. Croyant que la jeune femme manifeste par là sa colère d’avoir été trahie, Don Juan tente de se justifier, mais Doña Violante/Léonor refuse de l’écouter et le supplie de quitter les lieux. Elle s’enfuit et s’enferme dans un cabinet.
Dans la pièce espagnole Don Juan tend les bras à Doña Violante en entrant en scène et au moment où la jeune femme cours s’enfermer dans le cabinet, exactement comme dans le jeu de scène décrit par la gravure qui apparaît parfois en frontispice de la pièce de Thomas Corneille à partir de l’édition (b).
Don Juan tente d’interroger la servante pour comprendre la réaction de sa maîtresse, mais cette dernière fuit à son tour.
Dans la pièce française, Jacinte qui s’était réfugiée sous une table pendant la scène s’enfuit en renversant celle-ci ainsi que la lumière qui était posée dessus.
Dans les deux pièces, Don Juan reste donc seul en scène et plongé dans la plus grande confusion.
II, v. 2165-2174


II, 2175-2241
IV, 1 Chez Leonardo dans la pièce espagnole :
a) Entrevue des deux amants :
♦ Dans la pièce française, Don Juan et Lucrèce évoquent les obstacles et les menaces qui pèsent sur leur amour : le risque de vengeance du rival astrologue, Don Fernand, dont Lucrèce a méprisé les feux et dont les jeunes gens pensent qu’il dispose de pouvoirs surnaturels ; Léonor dont Lucrèce se montre jalouse même si Don Juan se défend d’éprouver tout sentiment à son égard ; le père de Lucrèce enfin, qui risque de s’opposer à l’amour de sa fille pour un homme sans biens. Après avoir répertorié toutes ces menaces, les deux amants réaffirment leur amour mutuel.
a) Dans les deux pièces, Doña Maria/Lucrèce donne un bijou à Don Juan comme gage de son amour.
Mais ils sont interrompus par l’arrivée inopinée du père.
III, v. 2242-2273
IV, 2 a) Surgissement imprévu du père.
La pièce espagnole présente un jeu de scène de fausse reconnaissance absent du Feint astrologue : Don Juan salue chaleureusement Leonardo en faisant mine de le connaître, si bien que le vieillard lui répond naturellement avec la même familiarité tout en signalant en aparté qu’il ne connaît pas le jeune homme.
Dans la pièce française, Léonard connaît Don Juan et ne fait que s’étonner de son retour si prompt à Madrid.
Don Juan affirme alors avoir été reçu par le frère/gendre du vieillard à Sarragoce mais qu’un procès l’a contraint de repousser son voyage en Flandres et de revenir prématurément à Madrid. Il ajoute qu’il ne peut lui fournir les lettres de recommandation que son frère/gendre a rédigées pour lui pour lui permettre d’obtenir l’aide dont il prétend avoir besoin dans le procès qui le rappelle à Madrid. Il prétend en effet qu’un serviteur peu scrupuleux les lui aurait dérobées en chemin. Mais Leonardo/Léonard lui promet son aide sans de telles preuves.
Dans la pièce française, Don Juan quitte alors la scène.
♦ Un jeu de scène d’échange embarrassé entre les amants figure dans la pièce espagnole : les amants sont amenés à échanger des compliments embarrassés en présence du père. Ils se livrent alors à un dialogue équivoque tout en prenant garde de ne pas trahir leurs sentiments. Sans pour autant saisir la portée de leurs propos, Leonardo s’étonne d’ailleurs de la façon particulièrement galante dont sa fille répond au compliment de Don Juan.
III, v. 2274-2337
IV, 3 a) Don Juan ayant quitté la scène, Leonardo/Léonard demande à sa fille la raison de son humeur chagrine et Doña Maria/Lucrèce, par étourderie, prend le prétexte du bijou qu’elle dit avoir perdu et auquel elle était particulièrement attachée. Le père annonce alors qu’il va consulter l’astrologue au sujet de l’objet perdu. Puis il s’éloigne pour quitter la scène.
Doña Maria/Lucrèce se lamente alors de sa bévue.
Mais le vieillard revient sur ses pas pour lui demander à quelle heure elle pense avoir perdu le bijou.
III, v. 2338-2370


III, v. 2371-2386
IV, 4 ♦ Lucrèce se lamente sur son sort et entrevoit la menace de la découverte de son secret. Mais elle réaffirme la fermeté d’un amour à toutes épreuves.
B) a) Restée seule en scène, Béatrix annonce qu’elle va prévenir Philipin pour éviter que Don Fernand ne se trouve embarrassé par la requête du vieillard et ne révèle toute la supercherie.
B) a) Scène de confidence entre les valets : Moron entre en scène. Beatriz lui apprend ce qui vient de se passer, comment Don Juan a trompé le père de Doña Maria pour avoir un prétexte pour s’introduire librement chez ce dernier et voir ainsi sa belle. Elle lui raconte aussi que celle-ci a donné un bijou à Don Juan et que son père a entrepris de le retrouver, persuadé qu’il a été volé, et qu’il s’apprête en outre à interroger Don Diego à ce sujet. III, v. 2387-2422
IV, 5 Chez Don Diego dans la pièce espagnole :
B) b) a) Premier revirement : Don Diego/Don Fernand explique à son ami Don Antonio/Don Louis qu’il se trouve plongé dans l’embarras, dépassé par l’ampleur que prend la supercherie. Don Antonio/Don Louis lui demande pourquoi il s’est alors fait passer pour astrologue. Il affirme que c’est par accident, par un concours de circonstances, qu’il a engagé la fourbe et il ajoute qu’il ne cherche nullement à empêcher le mariage des amants, mais au contraire à le favoriser en leur fournissant son aide alors qu’il aurait tout aussi bien pu leur nuire.
III, v. 2423-2512
IV, 6 B) d) Doña Violante/Léonor entre en scène pour se plaindre auprès de Don Diego/Don Fernand à qui elle demande des comptes : elle veut en effet savoir pourquoi il lui a laissé croire que Don Juan était absent alors qu’il était en réalité à Madrid. Don Diego/Don Fernand se défend en affirmant que cela illustre précisément la puissance de son art qui lui a fait apparaître le vrai Don Juan plutôt qu’un fantôme de ce dernier. Convaincue, la jeune femme poursuit en racontant qu’elle a appris l’amour de Don Juan pour une autre et le supplie de ruiner cet amour et d’empêcher leur mariage grâce à ses pouvoirs.
Dans la pièce espagnole, Don Diego indique en aparté que c’est précisément ce qu’il désirerait le plus.
Dans les deux pièces, le feint astrologue affirme que c’est par jalousie que Don Juan est resté caché à Madrid et que par sa fausse absence, il ne cherchait qu’à éprouver les sentiments de la jeune femme à son égard. Celle-ci sort de scène convaincue et ravie.
III, v. 2513-2586
IV, 7 ♦ Dans la pièce française, les deux amis restés seuls en scène commentent brièvement la scène précédente et voient arriver Léonard.
Dans la pièce espagnole, Don Diego, satisfait de son mensonge, expose à Don Antonio le but de ce dernier : si Don Juan témoigne toujours de l’indifférence à Doña Violante, celle-ci croira qu’il feint le mépris pour mieux tester la force de son amour, et si à l’inverse il se montre plus tendre avec elle, la jeune femme croira alors qu’il est toujours amoureux d’elle et ne reviendra pas importuner l’astrologue.
III, v. 2587-2613
B) c) Don Carlos à qui Don Antonio a promis de lui présenter Don Diego se présente et expose sa situation au feint astrologue. Il le prie de faire en sorte que Doña Violante cesse d’aimer Don Juan pour l’aimer lui, grâce à ses pouvoirs astrologiques. Don Diego le lui garantit. III, v. 2614-2648
♦ Don Diego explique à don Antonio qu’il vient d’utiliser le même argument auprès de don Carlos qu’auprès de Doña Violante en s’appuyant sur l’idée générale selon laquelle un amant patient et persévérant finit toujours par être récompensé. III, v. 2649-2669
IV, 8 B) a) Nouvelle scène d’embarras du menteur où la vérité passe pour feinte et la feinte passe pour vérité : Leonardo/Léonard vient consulter Don Diego/Don Fernand au sujet du bijou. Don Diego/Don Fernand qui ne voit pas d’issue à cette situation se résout à mettre fin à la fourbe en révélant la vérité au vieillard. Il avoue ainsi que s’il connaît bien quelques principes en matière d’astrologie, sa réputation est trompeuse et qu’il n’a aucun pouvoir. Mais le vieillard s’obstine dans la crédulité et ne veut voir dans cet aveu qu’une posture d’humilité digne d’un véritable savant. La scène se poursuit ainsi sur ce jeu autour de l’aveuglement de Leonardo/Léonard. Face à l’entêtement du vieillard, Don Diego/Don Fernand enrage en aparté de ne pas réussir à le persuader de ce qui est pourtant la vérité. III, v. 2670-2781
IV, 9 B) Intervention providentielle du valet. Moron/Philipin entre en scène pour tirer son maître d’embarras. Dans la pièce espagnole, il parle bas à Don Diego et lui apprend tout ce que vient de lui raconter Beatriz au sujet du don du bijou.
Dans la pièce française apparaît un jeu de scène absent de la pièce espagnole : le valet prend le prétexte d’un message à faire à son maître pour détourner l’attention et venir en aide à ce dernier.
B) b) Nouveau renversement de situation : dans les deux pièces, le faux astrologue redevient momentanément opposant aux amours de Doña Maria/Lucrèce et Don Juan. Grâce à la révélation de son valet, Don Diego/Don Fernand est donc en mesure d’apprendre au vieillard que l’homme qui lui a rendu visite le jour même détient son bijou.
Dans la pièce française, Don Fernand tente pourtant une dernière fois de convaincre le vieillard de son ignorance. Mais devant l’obstination de ce dernier, il finit par lui donner la réponse qu’il attend, prolongeant ainsi la fourbe.
Dans la pièce espagnole, Leonardo invite Don Diego à dîner chez lui le soir-même.
III, v. 2782-2842
IV, 10 ♦ Courte séquence de commentaire par Don Diego/Don Fernand et Don Antonio/Don Louis de la scène précédente.
B) b] Dans la pièce française, confirmation du revirement : Don Fernand réaffirme sa volonté de mettre fin à la fourbe, mais seulement après avoir favorisé le mariage de Don Juan et Lucrèce. C’est donc la fin de l’intrigue b) axée autour de la vengeance de Don Fernand à l’égard de Lucrèce.
III, v. 2843-2847
IV, 11 B) e) ♦ Otañez/Mendoce, valet de Leonard/Léonardo entre en scène et dit au feint astrologue qu’il souhaite regagner sa province natale pour y finir ses jours mais qu’il craint les dangers d’un voyage par la route et qu’on ne lui vole le fruit de ses économies qu’il a bien l’intention d’emporter avec lui. Il demande donc à Don Diego/Don Fernand d’user de ses pouvoirs pour le transporter en un instant dans son pays. Moron/Philipin propose de se charger de cette tâche, affirmant disposer de pouvoirs suffisants pour cela. III, v. 2847-2898
IV, 12 e) ♦ Tour « astrologique » joué par le valet au serviteur du vieillard : malgré quelques réticences, Otañez/Mendoce convient d’un rendez-vous avec Moron/Philipin pour procéder à ce transport magique.
Dans la pièce française, les deux valets s’entretiennent longuement des pouvoirs de Don Fernand, ce qui donne lieu à des développements comiques. Mendoce confie en outre à Philipin qu’il a dérobé de l’argent à son maître.
III, v. 2899-2926
V, 1 Dans la rue dans la pièce espagnole :
♦ Monologue de Don Juan qui se félicite du mensonge qu’il a raconté à Leonardo/Léonard qui va lui permettre à l’avenir de s’entretenir librement avec Doña Maria/Lucrèce.
Dans la pièce française, il réaffirme qu’il n’aime pas Léonor et justifie sa complaisance à son égard par sa reconnaissance pour l’aide financière que celle-ci lui a accordée.
III, v. 2927-2934
V, 2 B) a) Quiproquo : Leonardo/Léonard entre en scène et interroge Don Juan au sujet du bijou qu’il sait être en sa possession, sans lui laisser paraître qu’il l’accuse de vol. Croyant que le vieillard a découvert le secret de son amour et qu’il sait que Doña Maria lui a donné le bijou, Don Juan se reconnaît coupable et demande la main de la jeune fille en guise de pardon. Le père, confus et indigné face à une telle impudence, refuse.
Le vieillard quitte la scène en laissant Don Juan plongé dans un grand trouble.
III, v. 2935-3017


III, v. 3018-3024
V, 3 B) d) Quiproquo dans une scène où la vérité passe pour feinte et qui prolonge l’aveuglement du personnage de Doña Violante/Léonor : celle-ci entre en scène avec sa servante. Don Juan se montre froid et distant envers elle et avoue qu’il ne l’aime pas et que s’il la fuit, il ne fait ainsi qu’obéir à l’ordre qu’elle lui a elle-même donné la veille lorsqu’elle le suppliait de partir de chez elle. En aparté, la jeune femme se réjouit en pensant que Don Juan ne fait que dissimuler ses sentiments derrière le masque d’un faux mépris, conformément à ce que lui a annoncé Don Diego/Don Fernand. Le jeune homme quitte la scène. III, v. 3025-3064
V, 4 ♦ Commentaire de la scène précédente : Doña Violante/Léonor est ravie de l’entretien qui vient d’avoir lieu, mais sa servante lui reproche sa crédulité et son obstination à croire à un mépris feint de la part de Don Juan. Doña Violante/Léonor continue pourtant de se fier à la parole de Don Diego/Don Fernand.
d) Dans la pièce française, Jacinte avoue à sa maîtresse qu’elle est persuadée que Don Fernand est un imposteur et lui rappelle que Don Lope lui a pourtant révélé que Don Juan aimait Lucrèce. Mais la jeune femme ne se fie pas à la parole de Don Lope qui lui a révélé son amour et a trahi son ami et rival Don Juan.
III, v. 3065-3084
V, 5 c) d) Dans la pièce française, Don Lope entre alors en scène pour réaffirmer son amour pour Léonor et pour confirmer auprès de la jeune femme les informations auxquelles elle refuse obstinément de croire. Il finit par la convaincre que Don Juan l’a trahie, qu’il aime Lucrèce et qu’il vient juste d’entrer chez elle. Trahie et désabusée, Léonor décide de se venger et promet sa main à Don Lope une fois le bonheur de Don Juan et de Lucrèce détruit par ses soins. Elle invite Don Lope à la suivre.
c) Dans la pièce espagnole, Don Carlos révèle enfin son amour à Doña Violante. Celle-ci lui fait croire qu’elle l’aime aussi afin d’adopter le même stratagème de dédain feint qu’elle prête à Don Juan, ce qui prolonge l’aveuglement de Don Carlos.
III, v. 3085-3111
B) c) Don Carlos resté seul en scène est au comble du bonheur. III, v. 3112-3114
V, 6 Dans le jardin de Leonardo/Léonard :
e) ♦ Dans la pièce française, Mendoce est enthousiaste à l’idée de retrouver sa terre natale et il fait ses adieux à Madrid.
Dans la pièce espagnole, le valet Otañez est également ravi de retrouver son village natal en évitant les dangers et les frais d’un voyage par voie terrestre.
III, v. 3115-3127
V, 7 e) ♦ Dans la pièce espagnole, Moron/Philipin entre en scène et apprend à Otañez/Mendoce qu’il va le faire voyager sur le dos d’une mule.
Dans la pièce espagnole, Moron précise que cette mule était tailleur avant de faire profession de démon.
Dans la pièce française, Philipin lui annonce qu’un diable va conduire sa mule et il développe un inventaire des différentes sortes de diables existants.
Moron/Philipin lui annonce aussi que durant son vol, il entendra des voix plaintives dont il ne doit pas s’inquiéter. Il lui bande les yeux et le fait grimper sur un banc/une palissade du jardin. Il l’attache solidement et lui dérobe sa bourse. Moron/Philipin s’éloigne progressivement en disant au revoir à Otañez/Mendoce qui pense avoir commencé son vol.
III, v. 3128-3170
V, 8 a) Don Juan raconte à Doña Maria/Lucrèce comment il a été amené à rendre le bijou à son père. Puis, malgré les obstacles qui les menacent et leurs inquiétudes au sujet de ce que le sort leur réserve, les deux amants se renouvellement leur foi.
e) ♦ Double scène : Otañez/Mendoce pense toujours chevaucher dans les airs et croit survoler une nouvelle ville car il entend des voix au loin.
a) Beatriz/Béatrix entre en scène pour prévenir les amants de l’arrivée imprévue de Leonardo/Léonard (avec son invité dans la pièce espagnole). Dans la précipitation, Don Juan a tout juste le temps de se cacher dans le jardin.
III, v. 3171-3198



III, v. 3198-3207
V, 9 a) Arrivée imprévue de Leonardo/Léonard et de Don Diego/Don Fernand (que le vieillard a invité à dîner dans la pièce espagnole) avec Moron/Philipin (mais aussi Don Antonio dans la pièce espagnole). Leonardo/Léonard rend le bijou à sa fille.
e) ♦ Otañez/Mendoce a l’impression de survoler un autre lieu car les voix qu’il entend sont différentes des précédentes.
III, v. 3207-3223
V, 10











V, 11











V, 12
d) a) Doña Violante/Léonor fait irruption chez Leonardo/Léonard, suivie de Don Carlos/Don Lope qui dans la pièce espagnole tente de retenir la fureur de la jeune femme. Celle-ci s’adresse à Leonardo/Léonard à qui elle annonce que l’amant de sa fille qui l’a elle-même trahie est caché chez lui, et elle lui réclame vengeance pour cet affront. Le vieillard, étonné et furieux, craint pour son honneur.
Dans la pièce espagnole, Don Diego tente de le rassurer mais Doña Violante l’accuse d’être un imposteur. Doña Maria est plongée dans la plus grande confusion car elle craint pour son amour devant l’emportement de son père, mais aussi parce qu’elle vient de découvrir l’existence d’une rivale.
Dans les deux pièces, le vieillard menace sa fille et entreprend de chercher son amant dans le jardin.
e) ♦ Otañez/Mendoce croit entendre les voix plaintives dont Moron/Philipin lui a parlé.
a) e] ♦ Dans la pièce espagnole, Doña Violante aperçoit d’abord Otañez, ce qui retarde la découverte de don Juan. Une fois délié, le valet qui se croit arrivé dans son pays s’étonne d’y trouver également son maître. Leonardo le détrompe.
a) Dénouement :
Dans la pièce espagnole Doña Violante tire Don Juan de sa cachette.
Dans la pièce française, celui-ci en sort de lui-même.
Fin du quiproquo au sujet du bijou : une nouvelle fois accusé de vol par Leonardo/Léonard, Don Juan s’en défend rétablit la vérité : il reconnaît que c’est Doña Maria/Lucrèce qui lui a donné le bijou.
B) a) Dans la pièce espagnole, Don Diego fait alors part de son avis d’astrologue à Leonardo en lui rappelant la prédiction selon laquelle sa fille était destinée à épouser un homme pauvre et qu’il trouverait difficilement un meilleur gendre que Don Juan dans cette catégorie. Leonardo accepte donc d’accorder la main de sa fille à Don Juan en expliquant que la sauvegarde de son honneur en dépend et l’oblige à s’y résoudre.
B) a] Dans la pièce de Thomas Corneille, c’est Léonard qui demande conseil au feint astrologue alors que Léonor l’invite à ne pas lui faire confiance car il n’est qu’un imposteur. Sans prêter attention aux mises en garde de la jeune femme, il demande à Don Fernand le moyen de sauver son honneur. Don Fernand invoque la prédiction. Léonard autorise alors le mariage avec confiance, persuadé de se conformer ainsi aux décrets du ciel et de sauver son honneur.
d] c] Bafouée, ne pouvant obtenir vengence, Léonor quitte alors la scène en annonçant à Don Lope qu’elle tiendra sa promesse et lui accordera sa main.
a] c] d] B] Démystification finale et fin honteuse du fourbe dans la pièce espagnole : tous les personnages victimes de la supercherie accusent tour à tour Don Diego de les avoir dupés et d’avoir trahi leurs espoirs : Doña Maria lui reproche d’avoir essayé de nuire, quoique sans succès, à son mariage avec Don Juan ; Doña Violante l’accuse de l’avoir trompée en lui promettant d’empêcher ce mariage ; Don Carlos lui reproche que Doña Violante soit toujours amoureuse de Don Juan contrairement à ce qu’il lui avait promis ; quant à Otañez, il l’accuse de l’avoir trompé en prétendant pouvoir le transporter dans son pays. Beatriz reconnaît être à l’origine de la diffusion du secret de sa maîtresse. Les personnages reconstituent alors le processus de diffusion du mensonge de l’astrologie feinte. Don Diego reconnaît ses torts et jure à toute l’assemblée qu’il renonce à l’astrologie.
e] Dans la pièce française, après le départ de Léonor et Don Lope, les personnages finissent par s’apercevoir de la présence de Mendoce qui, une fois délié et détrompé, poursuit Philipin qui s’enfuit.
B) Pas de démystification dans la pièce française : Don Fernand n’est pas démasqué et ne renonce pas à l’astrologie.
III, v. 3224-3367 (fin)
Éléments de commentaires §

Du point de vue de la structure de la pièce, quelques éléments-clés se dégagent de la comparaison des deux œuvres : d’abord le nombre des intrigues est assez important chez les deux auteurs et les rapports que ces intrigues entretiennent entre elles sont relativement complexes au premier abord. En outre, les péripéties124 sont assez nombreuses dans les deux cas et s’enchaînent souvent à un rythme rapide. La scène-pivot II, 2 est particulièrement dense de ce point de vue : deux péripéties essentielles pour la suite de l’action s’y succèdent en l’espace de quelques vers. C’est d’abord la maladresse de Don Fernand qui ne pouvant réprimer son ressentiment ne peut s’empêcher de révéler à Lucrèce qu’il connaît son secret. Découlant quasi immédiatement de cette première péripétie, c’est ensuite l’invention par le valet de la fourbe de la fausse astrologie. D’autre part, l’exposition du Feint astrologue est plus courte que celle de la pièce espagnole. Elle s’opère principalement sous une forme narrative à travers les discussions des maîtres avec leurs serviteurs et confidents et s’étend jusqu’au début de l’acte II, alors qu’elle s’effectuait en action dans la première « journée » d’El Astrólogo fingido. Le dénouement est aussi rapide que dans le modèle espagnol et ne s’effectue que dans les deux dernières scènes de la pièce.

Quant au nœud de l’action, chaque intrigue principale ou secondaire se cristallise autour d’un conflit initié par un rapport d’opposition entre des personnages : l’intrigue a) se noue tout au long du premier acte et en II, 1 autour de l’obstacle du père et de la pauvreté de l’amant qui constituent des obstacles traditionnels de comédie facilement levés au dénouement. La fourbe astrologique initiée par l’amant éconduit et qui correspond à l’intrigue B) constitue jusqu’au quatrième acte un troisième obstacle au sein de a). L’intrigue b) se noue en I, 2 et I, 3 lorsque par l’aveu de Béatrix, Don Fernand apprend que Lucrèce s’est jouée de lui et qu’il décide alors de se venger d’elle. Les intrigues amoureuses secondaires c) et d) sont introduites dès le premier acte et sont reliées entres elles et au fil d’intrigue a) suivant le schéma traditionnel de la chaîne amoureuse : Don Lope aime Léonor qui aime Don Juan qui aime Lucrèce qui l’aime en retour. De ce point de vue, on voit déjà que Don Fernand occupe une place à part au sein de l’action générale de la pièce. Enfin l’intrigue B) qui est issue de l’intrigue b) et qui est rendue possible par la péripétie que constitue la révélation du secret de Lucrèce consentie par la servante Béatrix à Philipin (I, 2), se noue en II, 2 par un concours de circonstances plus que par un enchaînement logique au sein de l’action dramatique puisqu’elle est principalement motivée par une maladresse de Don Fernand et par sa volonté d’innocenter la servante indiscrète. Rebuté, mais surtout piqué dans sa fierté après avoir été joué par Lucrèce, Don Fernand ne peut en effet s’empêcher de montrer à la jeune femme qu’il connaît son secret et afin d’éviter que Béatrix ne soit congédiée pour sa trahison, il demande à Philipin d’inventer quelque fourbe. Ce sera la feinte astrologie. Enfin dans les deux pièces, l’intrigue e) des deux valets est épisodique et se développe indépendamment de l’action principale.

Comme dans la pièce espagnole, B), a) et d) sont les intrigues les plus développées de la pièce. Néanmoins, si l’intrigue a) reste primordiale dans Le Feint astrologue, elle y est pourtant nettement moins développée que chez Calderón où elle occupe pas moins de dix-huit séquences scéniques dont certaines sont particulièrement longues125, contre quatorze scènes chez Thomas Corneille, ce qui semble déjà indiquer un changement de perspective de la part de notre auteur.

Un examen attentif de l’action révèle que malgré sa complexité, celle-ci s’avère finalement être assez cohérente une fois décomposée.

Afin d’approfondir l’analyse de l’action du Feint astrologue, nous reprendrons ici les catégories essentielles de l’analyse actantielle établie par Ubersfeld126 à la suite de Greimas127. Dans cette perspective, nous examinerons l’évolution générale du schéma actantiel au cours de la pièce en nous appuyant sur les notions de « fonction » et de « situation dramatique » définie par E. Souriau128 comme rapport de force dynamique entre différents « actants » à un moment donné de l’action, le passage à une situation dramatique nouvelle supposant une modification de ce rapport de force introduite par un nouvel événement. Nous nous appuierons en outre sur les analyses de M. Falska129 pour esquisser les principaux aspects de cette structure actantielle dans ce qu’elle a de différent par rapport à la structure caldéronienne.

Globalement, Thomas Corneille reprend à la pièce de Calderón ses configurations fonctionnelles nombreuses et relativement complexes et qui connaissent parfois des renversements singuliers propres à flatter le goût de la surprise du public de l’époque. Une divergence déterminante entre les deux pièces et relevée par M. Falska apparaît cependant dès le début de ces œuvres. Elle consiste en ce que Don Fernand est posé d’emblée, dès la première scène du Feint astrologue, comme le « sujet » de l’action principale alors que son équivalent espagnol n’apparaissait que comme « opposant » dans un schéma situationnel initial dont le « sujet » était Don Juan et l’« objet » de son désir Doña Maria. Dans cette nouvelle configuration des forces dramatiques, Don Juan devient donc un « opposant » à l’action de Don Fernand. M. Falska y voit « un renversement du point de vue par rapport à la pièce de Calderón »130 qui semble être causé par la réduction de la première « journée » espagnole. En effet, en réduisant la matière consacrée par Calderón à l’intrigue a) au début d’El Astrólogo fingido131 et en faisant débuter sa pièce par un dialogue entre le maître et son valet Thomas Corneille fixe d’emblée l’attention sur le personnage de Don Fernand faisant ainsi passer les autres actions liées aux intrigues amoureuses au second plan. C’est lui qui va concentrer l’attention dans la suite de la pièce. C’est assurément sous l’influence de Scudéry que Thomas Corneille a procédé à ce renversement de perspective : en modifiant la structure de la pièce espagnole par la suppression d’une grande partie de l’ouverture, l’auteur semble en quelque sorte transposer du roman au théâtre la technique proprement narrative de la focalisation interne adoptée par Scudéry dans l’épisode qu’il tire de Calderón et dans lequel c’est le Marquis français qui fait à la compagnie le récit à la première personne de ses mésaventures, occupant ainsi nécessairement une place centrale dans l’histoire qu’il rapporte.

Le schéma actantiel caldéronien est aussi sensiblement différent quant à la nature du rapport fonctionnel entre les personnages de Don Juan et Don Diego. En effet, au début de la pièce espagnole, les deux hommes étaient opposés dans un rapport de rivalité amoureuse, rapport qui a disparu dès les premières scènes du Feint astrologue dans la mesure où Don Fernand y annonce d’emblée qu’il n’est plus amoureux de Lucrèce (« Aujourd’huy cet amour n’est plus rien qu’un caprice », I, 1, v. 32) et que loin de chercher à obtenir les faveurs de la jeune femme, son action consistera simplement à se venger d’elle (« Non pas que sa personne en effet me soit chere, / Mais parce que je prends plaisir à lui déplaire, / Et me vanger sur elle, en la persecutant, / De la honte que j’ay qu’on m’estime constant », I, 1, v. 35-8). Autrement dit, Lucrèce ne constitue pas pour lui l’« objet » d’un « désir » amoureux, mais vengeur.

Le schéma fonctionnel se complexifie dès le début de la pièce : M. Falska132 indique qu’en trahissant le secret de sa maîtresse en I, 2, Beatrix abandonne en effet sa fonction d’« adjuvant » de Lucrèce au sein de l’intrigue a) pour devenir celui de Don Fernand dont elle servira la fourbe au cours de la pièce pour couvrir sa trahison. Puis en I, 6, c’est Don Lope qui comme son modèle espagnol Don Carlos vient s’ajouter à ce schéma actantiel à la fois comme adjuvant de Don Juan (puisqu’il cache ce dernier chez lui), mais aussi et surtout comme « sujet » dont l’objet du désir est Léonor. En I, 8, Léonor comme son modèle espagnol Doña Violante, se présente comme « sujet » dont Don Juan est l’« objet » visé. En outre, dans la mesure où elle n’aime pas Don Lope, elle incarne également la fonction d’« opposant » au désir de ce dernier. Si l’on suit le modèle de Souriau repris par M. Falska133, Léonard qui apparaît en II, 3, incarnerait l’« arbitre » susceptible d’accorder ou non à Don Juan l’« objet » de son désir, c’est-à-dire Lucrèce. Toutefois, à la suite de Greimas et Ubersfeld, on abandonnera cette catégorie « floue » qui recoupe bien souvent d’autres fonctions, et on préfèrera voir dans le personnage du père l’incarnation traditionnelle de la fonction d’« opposant », d’abord potentiel à partir de II, 1, puis réel à partir de V, 2 (au cours de cette scène de quiproquo, il refuse d’accorder la main de sa fille à Don Juan : « Mais qu’il n’espere pas estre jamais mon gendre » ).

Comme l’a montré M. Falska134, ce schéma fonctionnel déjà fort complexe chez les deux auteurs se trouve profondément modifié en IV, 5 et IV, 10. L’approche du dénouement accélère en effet les renversements de situations et les changements de fonction des personnages au sein de l’intrigue. Jusque là, Don Fernand était ainsi un « sujet » dont l’action consistait à se venger de Lucrèce en « troubl[ant] ses plaisirs » et dont l’arme était la fourbe de la fausse astrologie. Or par un changement de dessein inattendu esquissé en IV, 5 et formulé en IV, 10, celui-ci abandonne la fonction de « sujet » (v. 1243-6 : « Croyez que sans regret je luy cede la place, / Je ne travaille point à causer sa disgrace, / Et mon amour esteint, il m’importe fort peu / Que Lucrece aujourd’huy recompense son feu. » ) pour endosser celle d’« adjuvant » de Don Juan, contre toute attente (v. 1433-6 : « Je veux faire si bien, loing d’en estre jaloux, / Que D. Juan de Lucrece aujourd’huy soit l’époux, / Et confesse devoir à ma feinte science / De son fidelle amour la juste recompense » ). Ce renversement prépare le dénouement heureux de la comédie. Toutefois, comme dans la pièce espagnole, ce revirement de Don Fernand qui annonce en IV, 5 vouloir servir le dessein des amants, semble lui-même suspendu dès la scène IV, 9 au cours de laquelle, après quelques hésitations fruits de ses scrupules (v. 1403-5 : « [D. FERNAND.] Si j’en sçavoit assez… [LEONARD.] L’excuse est inutile, / Une bague perduë, est-il rien plus facile ? / (D. FERNAND.] Monsieur, encore un coup, je vous le dis sans fard… » ), Don Fernand endosse de nouveau le rôle d’« opposant » à Don Juan en révélant à Léonard que celui-ci détient son diamant, avant de réaffirmer finalement sa volonté de favoriser le mariage des amants dans la scène suivante (« Puisque je vois le pere en humeur de tout croire, / Je veux faire si bien, loing d’en estre jaloux, / Que D. Juan de Lucrece aujourd’huy soit l’époux » IV, 10, v. 1432-3). On a donc assisté à une sorte de double revirement rapide de la fonction du personnage au sein de l’intrigue, et cela en l’espace de seulement cinq scènes.

Puis à la scène V, 3, Don Juan devient l’« opposant » de Léonor en lui avouant qu’il ne l’aime pas, même si cette opposition ne devient effective qu’à la scène V, 5, au moment où Léonor en prend réellement conscience après avoir été pour la seconde fois désabusée par Don Lope à ce sujet. Cette dernière devient alors l’« opposant » au désir de Don Juan dans la scène V, 5, et l’« adjuvant » de Don Lope en décidant de l’épouser alors que chez Calderón, la jeune femme ne consent jamais à donner sa main à Don Carlos (v. 1718-24 : « Leonor est à vous, je vous promets ma foy, / Mais pour servir ma hayne, et vanger mon injure, / Je ne vous la promets que devant ce parjure, / Ruinant son amour, et vous donnant la main, / Je veux qu’il se repente, et se repente en vain, / Qu’il me voye à regret entre les bras d’un autre, / Que son bonheur détruit establisse le vostre » ). Si bien qu’au seuil du dénouement, le dramaturge crée comme son modèle espagnol un certain effet de suspens ménagé par les deux menaces incarnées par les opposants au mariage que sont le père et Léonor, l’amante éconduite et bafouée qui désire se venger.

Au cours du dénouement, cette situation critique pour les amants se dénoue comme on l’a vu par un renversement de situation : suivant les conseils de Don Fernand, devenu « adjuvant » de Don Juan, Leonard accepte finalement d’accorder la main de sa fille à ce dernier, abandonnant ainsi sa fonction d’« opposant ». Don Juan obtient donc l’« objet » de son désir tout comme Don Lope qui, à la différence de son modèle espagnol épousera Léonor dont la tentative de ruiner le bonheur de Don Juan restera vaine135.

Ce rapide aperçu des grandes lignes du schéma actantiel de la pièce analysé par M. Falska et repris ici, révèle qu’en dépit de certaines modifications dans les configurations fonctionnelles, Le Feint astrologue présente comme son modèle espagnol une grande complexité de situations dans lesquelles les personnages peuvent parfois assumer plusieurs fonctions à la fois ou encore changer brusquement de fonction (Don Fernand en est l’exemple le plus représentatif et le plus singulier), modifiant ainsi le rapport de force et faisant passer de manière inattendue d’une situation dramatique à une autre136 en créant des combinaisons fort complexes au sein de la structure d’intrigue dont nous allons à présent examiner l’une des composantes principale : le motif de la fourbe.

Tout est affaire de « fourbe » §

Comme l’a fait apparaître Oppenheimer à propos d’El Astrólogo fingido dans l’introduction de son édition critique de la pièce espagnole137, les différentes intrigues de la pièce se nouent et évoluent systématiquement autour d’une fourbe (la burla espagnole), qu’elle soit réelle ou potentielle, à tel point que l’on peut dire que la pièce entière comme son modèle espagnol repose sur le principe de la feinte généralisée, à la fois comme motif et comme ressort de l’action.

Le Feint astrologue débute ainsi par l’intrigue secondaire (b) qui concerne la relation entre Don Fernand et Lucrèce. Celle-ci ne cesse de le repousser en le trompant sur la véritable raison de ses mépris, qui n’est autre que son amour pour Don Juan. Il s’agit donc bien d’une fourbe dans la mesure où Don Fernand est la dupe de la jeune femme qui lui cache qu’elle en aime un autre. Lorsque ce dernier saura qu’il a été trompé, il cherchera à se venger et de là naîtra indirectement l’intrigue B) qui correspond à la fourbe principale de la fausse astrologie.

La seconde intrigue qui se met en place dans la pièce concerne l’amour de Don Juan et de Lucrèce. Il s’agit de l’intrigue amoureuse principale (a), qui constitue une sorte de toile de fond, de trame sur laquelle viendra se greffer l’intrigue « astrologique » B). Selon Oppenheimer138, cette intrigue amoureuse se noue également autour d’une fourbe initiale : les deux amants ont en effet mis en place une feinte destinée à tromper les autres personnages : Don Juan a fait croire à tous qu’il était parti faire la guerre en Flandre alors qu’il se cache en réalité chez son ami Don Lope sans révéler à ce dernier la raison de ce stratagème ; les deux amants se voient en outre en secret lors de visites nocturnes chez Lucrèce. Mais ce secret dévoilé par Béatrix à Philipin dès la seconde scène de la pièce se propage jusqu’à Don Louis en passant par Don Fernand et la fourbe des amants est dès lors renversée, sans que ces derniers le sachent encore.

À la suite d’Oppenheimer, on remarque que les deux autres intrigues amoureuses secondaires apparaissent également liées dès le premier acte à des fourbes réelles ou potentielles. La première, c), qui concerne l’amour secret de Don Lope pour Léonor repose sur le fait que l’amant est persuadé que son ami Don Juan est aussi épris de la jeune fille, de sorte qu’il est sans cesse tiraillé entre sa fidélité à son ami et la possibilité de le trahir pour obtenir les faveurs de sa belle. C’est pourquoi Oppenheimer voit ici une fourbe potentielle. Nous précisons que cette fourbe devient effective à partir de la scène II, 7 où Don Lope cherche à trahir indirectement son ami auprès de Léonor, ainsi qu’à la scène IV, 6 où Léonor fait allusion à une révélation par Don Lope du secret de Don Juan qui a eu lieu hors-scène. Enfin, la dernière intrigue amoureuse secondaire d) qui concerne l’amour de Léonor pour Don Juan s’articule également autour d’une feinte. Ignorant son amour pour Lucrèce, Léonor est maintenue dans l’erreur par Don Juan qui prend soin de lui laisser croire qu’il l’aime.

À l’acte II, la fourbe de la feinte astrologie (B) est mise en place et elle absorbe139 toutes les intrigues précédemment évoquées qui se trouvent dès lors comme filtrées par elle. Cette fourbe principale va en effet déterminer l’évolution de l’ensemble des autres intrigues de la pièce et faire de tous les personnages, à l’exception des complices (Philipin, Don Louis et Béatrix) les dupes de Don Fernand. Comme l’a montré Oppenheimer à propos d’El Astrólogo fingido, B) est en effet à l’origine de multiples séquences et fourbes secondaires qui sont autant de conséquences directes de la crédulité des personnages. Parmi ces fourbes secondaires découlant de la supercherie initiale et englobante de la feinte astrologie, on relève par exemple la séquence du faux spectre. De la même façon, l’affaire du bijou perdu que Don Fernand feint de retrouver grâce à sa science constitue une supercherie secondaire au sein du stratagème englobant de l’intrigue B). Autre mensonge qui repose sur l’adhésion des personnages à la fourbe « astrologique », mais d’une moindre importance dramatique cette fois, celui de Don Fernand qui en IV, 6 fait croire à Léonor qu’elle est aimée de Don Juan dont l’indifférence ne serait qu’une feinte destinée à éprouver son amour. Comme on l’a vu précédemment, Don Fernand mettra finallement sa fourbe au service des amours de Lucrèce en dénouant heureusement l’intrigue a) après l’avoir traversée à maintes reprises au cours de l’action.

À la suite d’Oppenheimer140, on peut donc conclure que la feinte constitue dans Le Feint astrologue comme dans son modèle espagnol, la « clé de voûte » de l’action de la pièce : du point de vue de la macro-structure comme des micro-structures et du contenu verbal, son emploi est systématisé dans les deux pièces141. Or ce motif structurant de la feinte se trouve naturellement associé au thème de l’illusion généralisée qui en est le corollaire et que révèle le besoin constant qu’ont les personnages de distinguer la vérité des apparences trompeuses en interrogeant sans cesse les événements, en cherchant à en interpréter les signes, comme en témoignent les extraits suivants :

En quel estonnement aujourd’huy me trouvay-je ?
A peine puis-je encor rassembler mes esprits
Tant mes sens sont ensemble et confus et surpris. (II, 7, v. 716-718)
Quelle confusion, et quel charme est-ce cy ! (III, 8, v. 1089)
Resvay-je […] ? (V, 2, v. 1625)
Vit-on jamais une telle surprise ? (V, 2, v. 1635)

Les personnages égrènent ainsi au cours de la pièce ces éternelles questions ou exclamations que J. Rousset142 identifie comme spécifiques de la réaction du personnage qui, confronté à l’illusion suscitée par la feinte, fait l’expérience de l’instabilité et de la précarité de toute lecture du réel. En somme, le thème de la feinte et de l’illusion qui travaille la pièce en profondeur tout en l’animant plaisamment en surface semble en révéler la veine fondamentalement baroque. C’est à cette dimension baroque qui se mêle dans notre pièce aux traits classiques que nous allons nous intéresser à présent.

Examen dramaturgique et esthétique de la pièce : motifs et procédés ressortissant aux catégories du baroque ou du classique dans Le Feint astrologue §

Il est couramment admis par la critique traditionnelle que le théâtre espagnol du XVIIe siècle relève de l’esthétique baroque tandis que la production dramatique française de la même période est dominée par l’esthétique classique. Or cette bipartition est loin d’être effective en ce qui concerne le théâtre français du premier XVIIe siècle qui présente un grand nombre de traits baroques qui coexistent selon un équilibre variable d’une pièce à l’autre avec le souci naissant des règles classiques globalement fixées à partir de 1640. Comme le souligne d’ailleurs J. Rousset, entre baroque et classique, « les oppositions […] sont plus tranchées [dans la doctrine classique] que dans les œuvres où le partage des eaux ne se fait pas toujours avec netteté143 ». Car si le « dérèglement » du théâtre espagnol est montré du doigt en France à travers les discours théoriques, la pratique dramaturgique révèle une réalité bien différente dans des productions comme Le Feint astrologue où souci des règles et traits « irréguliers » s’entremêlent souvent. On pourra ainsi observer que la pratique dramaturgique de Thomas Corneille est exemplaire de la porosité de toutes ces tendances et qu’elle témoigne de la grande liberté qui régit encore la production théâtrale de l’époque et surtout de l’écart entre doctrine affichée et pratiques réelles. La deuxième version de l’épître de la pièce est révélatrice à cet égard : tout en manifestant sa conscience des règles, Thomas Corneille y admet avoir prolongé la scène IV, 12 d’une séquence superflue du point de vue de l’action. Suivant le principe de la captatio benevolentiae l’auteur cherche à justifier auprès de son lecteur cet écart par rapport aux exigences classiques du temps en invoquant l’héritage de Scudéry dont il a tiré l’épisode de Vespa auquel il fait ici référence :

j’espère […] que vous me pardonnerez plus facilement l’incident de Mendoce, qui n’estant qu’un Episode superflus, semble n’être pas assez considérable pour occuper un moment l’attention de l’Auditeur. Aussi, comme je sçay que nostre Theatre ne souffre rien d’inutile, je ne l’aurois pas hazardé avec tant de confiance, si je n’avois eu pour moy l’exemple d’un de nos plus Illustres Autheurs, qui ayant accomodé le sujet de cette agreable Comedie dans son Illustre Bassa aux galanteries du Marquis Français, n’a pas dédaigné d’y employer la fourbe d’un valet qui abuse de la simplicité de l’autre. Il est vray que la narration blesse moins qu’un spectacle de cette nature, mais aussi tout le monde n’a pas le discernement si juste que vous l’avez, et ce qui est effectivement un defaut, quoy qu’il ne manque jamais de l’être pour vous, l’est souvent pour peu de personnes.144

Même si l’auteur choisit ici d’invoquer le passage de sa pièce qui est certainement le plus représentatif de la liberté qu’il a prise à l’égard des règles, il est amusant de mesurer la distance entre cette justification ponctuelle et conventionnelle et la réalité de l’œuvre dans son entier qui comme nous l’avons déjà entrevu présente bien plus d’un aspect « irrégulier ». Car s’il atténue quelque peu la dimension baroque de son modèle espagnol en l’adaptant au goût classique, Thomas Corneille en conserve par ailleurs un grand nombre de traits.

Essai de définition des catégories du « baroque » et du « classique » §

Nous ne prétendons évidemment pas fournir ici une définition fixe et définitive des notions de baroque et de classique dont la plupart des critiques s’accordent d’ailleurs à reconnaître le caractère mouvant et complexe. Comme l’écrit ainsi Rousset, « [l] ’idée de baroque est de celles qui vous fuient entre les doigts ; plus on la considère, moins on l’appréhende » tant « la notion [est] confuse et mal délimitée145 ». Ces deux catégories se caractérisent néanmoins par un certain nombre de traits qui peuvent se manifester tant au niveau de la structure de la pièce qu’à celui des séquences scéniques et qui constitueront pour nous autant de critères opérationnels pour une analyse dramaturgique de la pièce. Il ne s’agira pas non plus de chercher à poser l’« étiquette » baroque ou classique au Feint astrologue, selon le mot de Rousset. Nous tenterons plutôt d’évaluer le degré de présence et l’importance esthétique et dramaturgique au sein de la pièce d’un ensemble de traits traditionnellement identifiés comme baroques à une époque où s’affirment en France un ensemble de préceptes qui semblent relever d’une esthétique toute contraire.

Pour caractériser la catégorie du baroque, on retiendra par exemple les principes de mouvement, d’instabilité, de contrastes, d’illusion, d’inconstance, d’imprévisibilité, de métamorphose ou encore d’abondance. Du côté de l’esthétique classique, on retrouvera à l’inverse des notions telles que la stabilité, la cohérence, la simplicité, la clarté ainsi que la « régularité ». Tous ces thèmes qui manifestent différentes tendances esthétiques et idéologiques trouvent leur expression dans notre pièce à travers des motifs, des procédés et des structures dramaturgiques caractéristiques qui permettent de parler à propos du Feint Astrologue d’un « entre-deux » esthétique entre baroque et classique dont nous examinerons les implications dramaturgiques.

Analyse des procédés dramaturgiques à l’œuvre dans Le Feint astrologue : des traits baroques issus du modèle espagnol §

Nous reprenons globalement ici les analyses et les critères retenus par M. Falska146 pour rendre compte des manifestations théâtrales du baroque et du classique dans Le Feint astrologue, en sélectionnant ceux qui nous semblent les plus judicieux et opérationnels pour l’analyse dramaturgique qui nous occupe.

Abondance et dynamisme §

Du point de vue de la structure de l’action dans Le Feint astrologue, on relève d’abord à la suite de M. Falska147 la multiplication des intrigues et l’importance du nombre des situations dramatiques comme expression du principe baroque d’abondance. Cette multiplication des intrigues et des situations dramatiques produit un effet de profusion que révèle l’analyse de l’action effectuée précédemment. D’autant que comme on a pu le constater en considérant le schéma actantiel de la pièce et le déroulement de l’action, les situations dramatiques du Feint astrologue sont non seulement nombreuses, mais aussi complexes. En outre, le rythme accéléré de l’enchaînement des péripéties peut être considéré comme l’expression du principe baroque de dynamisme dans la pièce. Cet enchaînement dynamique des péripéties observé au cours de l’étude de la structure et du déroulement de l’action du Feint astrologue est principalement suscité par l’intrusion incessante du hasard dans la comédie.

Hasard et effets de surprise §

Le hasard constitue un autre motif typique du baroque et caractéristique de la comedia. Il se manifeste dans le déroulement de l’intrigue à travers l’imprévu et la coïncidence148. Le rôle du hasard est primordial comme ressort de l’action dans Le Feint astrologue où il favorise les situations inattendues et embarrassantes. C’est le cas en général à chaque apparition imprévue d’un personnage, qu’elle soit inopportune ou au contraire providentielle. Comme dans El Astrólogo fingido, c’est le plus souvent le père jaloux de l’honneur de sa famille (II, 3 ou encore IV, 2), la rivale jalouse (par exemple en V, 3 avec le personnage de Léonor), mais aussi l’arrivée du valet qui dispose d’informations permettant de tirer son maître des situations les plus embarrassantes (c’est le cas par exemple à la scène IV, 9). À la fin de la pièce les péripéties que constituent les entrées en scène successives du père et de la rivale jalouse précipitent d’ailleurs le dénouement. Ainsi, excepté lors de la décision finale de don Diego/Don Fernand de favoriser le mariage des deux amants, l’action ne progresse presque jamais par des décisions prises par les personnages mais plutôt par des évènements imprévus qui leurs sont extérieurs, comme c’était d’ailleurs traditionnellement le cas dans la plupart des comédies d’intrigue « à l’espagnole ». En tout cas, ces péripéties issues du hasard et fondées sur les apparitions imprévues de personnages qui changent la donne et font ainsi progresser l’action devait assurément flatter le goût de la surprise du public de l’époque.

L’illusion §

Comme illustration du motif baroque de l’illusion, on peut dégager à la suite de M. Falska tous les procédés dramatiques relevant de la distorsion entre apparences trompeuses et réalité fuyante, tels que les feintes et les mensonges, les méprises et autres malentendus en tous genres ainsi que les personnages qui se cachent et les phénomènes de théâtre dans le théâtre que nous qualifierons de « surthéâtralité baroque ». Tous ces procédés ressortissant au principe de l’illusion sont à l’œuvre dans Le Feint astrologue comme dans son modèle. Les jeux de la vérité et du mensonge y sont constants et revêtent plusieurs aspects.

En ce qui concerne le procédé du personnage caché pour épier ou pour éviter d’autres personnages, il apparaît à plusieurs reprises dans la pièce, mais comme chez Calderón, il n’a pas d’implication dramatique déterminante. Si par exemple Don Louis assiste caché à plusieurs scènes (en III, 1 par exemple), ce n’est que pour permettre l’économie d’une scène répétitive où il s’agirait pour les besoins de l’action de rattraper le retard informationnel du personnage. Quant à la dissimulation de Don Juan dans le jardin à partir de la scène V, 8, elle ne fait que retarder le dénouement de quelques scènes sans profondément modifier la situation.

C’est d’abord à travers les motifs du mensonge et de la feinte qui consiste à dissimuler ce que l’on est vraiment en se faisant passer pour ce que l’on n’est pas, que le motif de l’illusion apparaît au cœur de la pièce, comme en témoigne son titre. Comme on l’a vu précedemment à travers les analyses d’Oppenheimer, la structure de la pièce repose d’ailleurs entièrement sur ce procédé de la feinte, qui plus qu’un simple motif a ici une importance dramatique de premier plan. On l’a vu, chaque fil d’intrigue repose sur une ou plusieurs fourbes relayées par un grand nombre de mensonges secondaires et celle de la fausse astrologie absorbe progressivement tous les aspects de la pièce jusqu’à constituer la matrice de l’action toute entière. Mais si cette feinte est abandonnée et révélée au dénouement dans El Astrólogo fingido, tel n’est pas le cas dans la comédie de Thomas Corneille ou la mystification semble devoir se prolonger après la fin de la pièce. Sur ce point, nous ne souscrivons donc pas à l’analyse de M. Falska selon laquelle le dénouement de Thomas Corneille laisserait présager « une transition du plan du faux à celui du vrai parce que le protagoniste s’applique à étudier l’astrologie »149. Au contraire, il semblerait que le dramaturge maintienne délibérément le plan du faux jusqu’au bout de la pièce et même au-delà. Thomas Corneille a peut-être ainsi voulu exploiter jusqu’au bout le motif de la feinte en jouant sur l’effet baroque proprement vertigineux d’un dénouement ouvert sur une illusion à laquelle rien ne semble devoir mettre fin et qui pourrait se poursuivre indéfiniment. En outre, contribuant également à l’effet d’abondance et de profusion, on assiste dans les deux pièces au redoublement de la feinte du maître par celle du valet qui fait croire au serviteur Mendoce qu’il dispose comme Don Fernand de pouvoirs surnaturels (IV, 11). Cette seconde feinte est l’occasion d’une séquence indépendante, enrichie chez Thomas Corneille d’un épisode tiré du roman de Scudéry.

Le procédé dramaturgique de la méprise est également largement utilisé par les deux auteurs. Le Feint astrologue présente ainsi comme son modèle une grande variété de mises en œuvre du procédé. La pièce livre le spectacle de personnages plongés dans l’erreur et s’obstinant dans la crédulité, aveuglés par les apparences qu’ils sont prompts à prendre pour la réalité, non pas dans une perspective instructive de réflexion autour de la vanité des apparences, mais plutôt pour faire de ce manque de discernement le support et le moteur de situations divertissantes. À la suite de M. Falska150, on relève ainsi trois occurrences principales de ce procédé du quiproquo dans El Astrólogo fingido comme dans Le Feint Astrologue : Don Juan se rend chez Doña Violante/Leonor qui croît avoir affaire à un spectre, et il interprète à tort comme l’expression du ressentiment de la jeune femme après sa trahison, ce qui est en réalité une réaction de terreur de la part de cette dernière (III, 8 dans Le Feint Astrologue). Puis ce sont Don Juan et Leonardo/Léonard qui se méprennent lors d’un double quiproquo au sujet du diamant perdu151 (V, 2 dans Le Feint Astrologue). Enfin, doña Violante/Leonor se méprend sur sentiments de don Juan quand elle interprète le mépris de ce dernier à son égard comme le signe de sa jalousie et d’une mise à l’épreuve de son amour pour lui (V, 3, dans Le Feint Astrologue). Le clin d’œil métathéâtral constitue également l’une des manifestations du motif de l’illusion dans la pièce.

Dimension réflexive de la pièce : la « surthéâtralité baroque » §

le monde est un théâtre où tout change et rechange, et l’homme, un Protée jamais semblable à lui-même152

Cette caractérisation de la pensée baroque avancée par J. Rousset souligne l’importance de la notion de théâtre comme paradigme privilégié de l’esthétique baroque. Dans cette perspective on peut imaginer que le procédé de dédoublement métadiscursif si courant dans le théâtre de l’époque et reposant sur un jeu de miroirs plus ou moins subtil, devait être en affinité avec le goût baroque du public de l’époque. Dans Le Feint astrologue, il consiste le plus souvent à jouer sur l’équivoque de termes tels que « pièce » ou « rôle » qui peuvent renvoyer à la fois à la fourbe menée par certains personnages, mais également aux acteurs réels et à l’œuvre théâtrale qui se joue sur scène. Cette réflexivité topique du théâtre sur sa propre pratique relève du clin d’œil complice adressé au spectateur. On retrouve sans cesse des allusions aux pièces que les personnages montent à l’intérieur de la pièce-cadre. Dans la scène I, 1 par exemple, le dédoublement opéré dans la réplique de Philipin fonctionne comme clin d’œil complice adressé au public (« Je sçay quel est mon roole, et je le joüeray bien. » ). Ou encore en II, 5 où Don Louis exhorte son ami à prolonger la fourbe tout en insistant sur sa dimension théâtrale (« Faites la piece entiere, il admirera tout ; / Il vous seroit honteux qu’elle fust imparfaite » ). De ce point de vue, c’est la comédie dans son ensemble qui se trouve perçue comme une feinte : le motif de la tromperie de la fausse magie apparaît ainsi clairement dans la pièce comme métaphore du théâtre et le personnage de Don Fernand comme métaphore sur scène du dramaturge, grand agenceur des effets de feinte. Si l’on excepte l’impulsion initiale donnée par Philipin au mensonge, c’est en effet Don Fernand qui manipule dans toute la pièce la réalité des personnages qu’il abuse et qui domine les situations qu’il agence au gré de ses humeurs, tel un metteur en scène. En un mot, c’est lui qui, secondé par ses complices, détient le pouvoir de manipulation : il est créateur d’illusions dans un processus de mise en abyme de la pratique théâtrale. Il partage d’ailleurs cette supériorité avec le spectateur témoin des ficelles de la fiction qu’il construit sous ses yeux. Certes, la feinte théâtrale est un genre de fiction librement consentie et en cela le spectateur n’en est jamais véritablement la dupe. Mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit dans les deux cas d’introduire à une réalité fictive, manipulée, de construire un monde virtuel à l’intérieur du monde réel. Le plaisir spécifique de ce type de clin d’œil métadiscursif naît en tout cas de la complicité qu’il introduit entre le spectateur et le trompeur, seuls capables de distinguer le vrai du faux, la réalité des apparences trompeuses. L’impression de supériorité et de perspicacité par rapport aux personnages trompés suscite chez le spectateur un sentiment de satisfaction. Ce mécanisme est d’autant plus opérant dans Le Feint astrologue que la feinte ne fait finalement l’objet d’aucune condamnation morale et se trouve au contraire valorisée par son association au plaisir galant de la gageure, comme nous le verrons plus loin.

Avec la pièce qu’il joue à Mendoce à partir de la fin de l’acte IV, Philipin apparaît en outre comme une sorte de troisième figure de dramaturge dans la pièce, après son maître et l’auteur lui-même. La pièce est ainsi en quelque sorte « triplée » de l’intérieur puisque la fourbe du valet « s’emboîte » dans celle de son maître qui s’intègre elle-même dans la pièce-cadre. Ces « représentations intérieures »153 sont propres à suciter un effet de vertige baroque chez le spectateur. Du point de vue du personnage, le jeu de masque étant relativement superficiel, il n’engage guère de vacillement de l’identité : bien que Don Fernand oscille constamment au cours de la pièce entre la lassitude de porter son masque (« Quoy que tout jusqu’icy m’ait succedé fort bien / Je suis las d’un mestier où je ne cognois rien » IV, 10, v. 1429-1430) et la griserie que celui-ci lui procure, le personnage n’est jamais confronté à « l’incertitude […] du héros hésitant entre les plans différents qu’il se découvre, balançant entre son masque et son visage, entre lui-même et lui-même »154. Le fait qu’il n’enlève pas ce masque à la fin de la pièce prolonge en tout cas l’impression de vacillement dans l’esprit du spectateur et confère au dénouement son caractère vertigineux proprement baroque là où tous les prédécesseurs, y compris Calderón avaient fait le choix d’une structure bouclée se soldant par un retour à l’ordre.

Les éléments superfétatoires §

Du point de vue de la structure, les éléments superfétatoires tels que les séquences gratuites qui ne font pas progresser l’action et qui sont principalement liées aux frasques du valet peuvent être rattachées à une vision baroque de l’œuvre où le décor primerait. Lorsque la fonction de telles séquences était purement divertissante chez Calderón, Thomas Corneille les a souvent reprises. L’exemple le plus représentatif se situe à la scène IV, 11 et à partir de la scène V, 6 jusqu’au dénouement : il s’agit de l’épisode burlesque de fausse magie au cours duquel Philipin joue un mauvais tour au valet Mendoce en lui faisant croire qu’il va l’envoyer par enchantement jusque dans son pays. Thomas Corneille va même jusqu’à intégrer à cette séquence superflue déjà fort étendue dans sa pièce l’épisode comique de Vespa précédemment évoqué et emprunté à Scudéry, qui était tout aussi inutile pour la progression de l’action.

La question des « règles classiques » : une grande liberté en dépit d’un certain souci de conformité aux usages « réguliers » §

S’il reste le plus souvent très proche de la comedia de Calderón, Thomas Corneille réorganise néanmoins la matière dans le sens d’une réduction et d’une plus grande concentration et semble chercher bien souvent à adapter son modèle à l’esthétique classique qui se manifeste à travers la série de « règles » formulées depuis les années trente par différents théoriciens. Mais des caractéristiques classiques comme baroques apparaissant mêlés dans les deux œuvres, on ne peut voir dans l’adaptation de Thomas Corneille la manifestation d’un processus de « classicisation » d’une œuvre qui serait purement baroque, car la pièce de Calderón présente déjà de nombreux traits considérés comme « réguliers » en deçà des Pyrénées et celle de Thomas Corneille va parfois jusqu’à amplifier la dimension baroque du modèle comme on a pu l’observer à propos de l’amplification de l’épisode de Mendoce ou encore au sujet du dénouement ouvert de la pièce là où l’usage classique privilégierait un dénouement bouclé sans débordement de l’action hors des limites de la pièce. Encore une fois, on remarque bien que la dimension baroque comme la dimension classique ne se trouve pas exclusivement d’un côté ou de l’autre des Pyrénées.

Les principaux critères de la doctrine classique qui serviront de point de référence à cette analyse sont l’unité (d’action, de lieu, de temps) et la cohérence avec dans le cas idéal un strict enchaînement logique des scènes, sans épisode gratuit, sans recours à des évènements imprévus pour faire avancer l’action jusqu’au dénouement et avec des intrigues liées entre elles et à l’action principale.

L’unité d’action §

Par unité d’action, la doctrine classique entend moins action unique qu’ensemble d’actions subordonnées à l’action principale. C’est en ce sens que J. Scherer préfère parler d’ « unification de l’action » plutôt que d’ « unité d’action »155. D’ailleurs, comme le rappelle J. Scherer, « unité » ne signifie pas nécessairement « simplification », et l’action du Feint astrologue présente à cet égard une certaine complexité déjà amplement évoquée plus haut, en dépit de l’affirmation de Martinenche selon laquelle « Le Feint Astrologue (1648) a au moins le mérite de nous montrer chez Thomas Corneille une juste préoccupation de clarté et de simplicité »156. De ce point de vue, on peut dire qu’on s’achemine avec Thomas Corneille vers une certaine « unité d’action », même si globalement, l’action d’El Astrólogo fingido était déjà constituée de plusieurs fils d’intrigue le plus souvent liés entre eux et dépendants de l’intrigue principale de la feinte astrologie.

Dans cette perspective d’« unification » de l’action, l’auteur retranche la majeure partie de la première « journée » d’El Astrólogo fingido, dont les longues scènes d’ouverture essentiellement axées sur l’intrigue amoureuse de Don Juan et Doña Maria, font désormais l’objet de récits qui ponctuent l’exposition jusqu’à l’acte II. Par le récit que fait Lucrèce en II, 1 dont le caractère synthétique est justifié par le fait que Beatrix a assisté à l’entretien des deux amants (« Tu l’as veu, tu le sçais », « Mais à quoy m’arrester, tu vis nostre entretien » ), le dramaturge fournit au spectateur dans le cadre de l’exposition les informations nécessaires à la compréhension de la situation, tout en évitant les longues scènes initiales de la pièce de Calderón. Dans la même perspective de concentration de l’action, les nombreux développements poétiques de la pièce espagnole, inutiles du point de vue de l’action, ont été évacués par l’auteur, ainsi que les éléments répétitifs. À titre d’exemple, tandis que Moron livre à son maître la troisième version de la description des rendez-vous nocturnes des deux amants157 (El Astrólogo fingido, v. 861-942), Thomas Corneille évite que Philipin n’en révèle les détails à Don Fernand sur scène, probablement pour éviter une répétition inutile des modalités de ces entrevues, déjà détaillées dans la scène I, 2 par Beatrix. On devine que Philipin livrera ces informations à son maître hors-scène, puisque ce dernier y fera allusion auprès de Lucrece en II, 2 (v. 430-437). De même, chez Calderón et d’Ouville, la servante Beatriz/Nise fait le récit sur scène de l’affaire du diamant perdu à Moron/Jodelet afin que ce dernier prévienne son maître en lui épargnant ainsi un nouvel embarras. Chez Thomas Corneille au contraire, cette séquence est évoquée par Philipin comme ayant eu lieu hors-scène (IV, 9), ce qui évite une scène répétitive du point de vue d’un contenu informationnel dont les spectateurs disposent déjà à l’issue de la scène IV, 4. On peut également noter que Thomas Corneille n’a pas repris un procédé comique purement gratuit de la pièce espagnole. Au début de celle-ci, Calderón procède à une amplification comique du mensonge au sujet du début des rendez-vous nocturnes des amants. Ainsi, dans le détail que Moron livre à son maître des entrevues des deux amants, il falsifie quelque peu la vérité, en affirmant que ce commerce nocturne dure probablement depuis plus d’un an (vers 894-895) alors qu’il vient juste de se mettre en place ! son maître modifie à son tour la vérité en affirmant auprès de son ami Don Antonio que les rendez-vous nocturnes des deux amants durent depuis deux ans. Enfin Don Carlos confirme ces informations à Don Antonio, mais il affirme qu’en réalité, les deux amants se rencontrent la nuit chez Doña Maria depuis trois ans et demi. Le mensonge poursuit donc sa progression par propagation et amplification dans la pièce espagnole. Thomas Corneille fera l’économie de ce procédé d’amplification comique parfaitement superflu du point de vue de l’intrigue, probablement afin de ne pas disperser l’attention du spectateur dans une exposition déjà chargée en informations du fait du rattrappage informatif rendu nécessaire par la suppression du début de la pièce espagnole.

Dans la même perspective de réduction des éléments non nécesssaires à l’intrigue, les dialogues se trouvent aussi expurgés des nombreux passages poétiques et galants du modèle espagnol dont la fonction était purement « ornementale ». À titre d’exemple, on peut noter que lorsque le Don Diego de la pièce espagnole aborde Doña Maria au début de la seconde « journée », il se lance dans un long développement poétique topique où il compare sa passion pour la jeune femme à un feu qui, sans cesse éteint par le vent, se rallume toujours tel le Phoenix renaissant de ses cendres. Et à l’instar du papillon qui s’obstine à voler autour de ce feu en dépit du risque de s’y voir consumer, il affirme que son amour aveugle tourne autour du soleil présenté comme métaphore de la dame aimée (v. 1021-1035). Thomas Corneille ne reprend pas ces développements poétiques qui occupent le début de la scène chez Calderón. Le dramaturge français les remplace en effet par un vif échange stichomythique entre les deux personnages dont les répliques se répondent par des jeux de rebondissement sur les termes qui traduit la tension de leurs rapports au seuil d’une péripétie déterminante pour la suite de l’action (II, 2). En éliminant les éléments poétiques purement ornementaux de la pièce espagnole, Thomas Corneille met donc davantage l’accent sur la tension dramatique au sein de cette scène pivot du point de vue de l’intrigue.

En somme, comme on a pu le voir dans l’examen de la structure, l’intrigue est nettement plus resserrée que dans la pièce espagnole, concentrée autour de l’action principale de la fourbe du feint astrologue, qui capte l’attention là où Calderón développait longuement une intrigue amoureuse et romanesque qui passe au second plan chez Thomas Corneille, évacuant ainsi une grande partie de la comedia de Calderón qui ne dédaignait pas de s’attarder sur les scènes d’échange entre les amants qui laissaient libre cours à des développements poétiques et galants purement gratuit au regard de l’action.

Ce « resserrement » général des fils de l’intrigue, cette plus grande cohérence, n’empêchent pas cependant notre auteur de maintenir et même de développer certains épisodes gratuits et superfétatoires par rapport à l’action principale, comme nous avons pu le constater précédemment avec l’épisode de Philipin et Mendoce qui est sans incidence sur le déroulement de l’action principale. En dépit du caractère gratuit de l’épisode plaisant, le dramaturge « ne résiste pas au plaisir d’une ‘scène à faire’ »158 et n’hésite pas parfois à prolonger voire à ajouter un effet au détriment de la cohérence de l’action : c’est le cas du passage de fantaisie verbale de la scène IV, 12 qui est de l’invention de Thomas Corneille. En outre, comme obstacle à la cohérence, on a pu observer que Le Feint astrologue comme son modèle espagnol présente une structure d’action qui fait la part belle au hasard : les deux pièces accordent en effet un rôle déterminant à l’imprévu et à la surprise dans le déroulement de l’action qui progresse par un assez grand nombre de péripéties. En outre, comme chez Calderón, ce déroulement s’avère parfois discontinu chez Thomas Corneille comme en témoignent par exemple les atermoiements qui agitent l’intrigue b) dans les deux pièces et auxquels on assiste au cours de l’acte IV du Feint astrologue avec les trois revirements successifs de Don Fernand.

Il n’en demeure pas moins vrai que Thomas Corneille a manifestement cherché, à conformer sa pièce aux exigences des « règles » et que si l’on peut difficilement parler d’unité d’action stricte dans Le Feint astrologue, on peut néanmoins y constater une tentative dans cette voie. Mais dans la mesure où le choix de la reprise d’un tel modèle avec sa matière fondamentalement baroque, vouait d’emblée toute entreprise de « classicisation » à rester somme toute assez superficielle, on sent bien que la démarche de « régularisation » en tant que telle ne constituait pas le principe recteur du travail de réécriture de Thomas Corneille qui manifeste au contraire une grande liberté à cet égard en privilégiant toujours les effets scéniques aux exigences de la doctrine.

L’unité temporelle §

Ce dernier semble également chercher une plus grande concentration temporelle, puisqu’il réduit la durée de l’action de la pièce à environ vingt-quatre heures réparties en deux journées, là où Calderón faisait tenir l’intrigue en trois jours, qui, comme le souligne M. Falska159, ne coïncident pourtant pas avec le découpage des fameuses trois « journées » qui constituent la subdivision des comedias espagnoles. La mise en récit de l’action qui occupe la majeure partie de la première « journée » chez Calderón contribue à cette concentration temporelle. L’auteur réalise donc ici l’« l’unité de temps » que les théoriciens classiques ont formulée et qui consiste en une action ne dépassant pas vingt-quatre heures160. Les trois premiers actes de la pièce se déroulent au cours d’une même journée et les dernières scènes de l’acte III sont nocturnes : dans la scène III, 6, Don Juan mentionne « l’obscurité » et évoque le rendez-vous du soir (« allons au rendez-vous, / Et tâchons dés ce soir d’appaiser son couroux » ) qui aura lieu dans la huitième et dernière scène de l’acte III et que la lettre rédigée par Leonor annonçait pour la nuit (« venez me voir dés cette nuict » III, 3). L’acte IV s’ouvre le lendemain, au matin : dans la scène IV, 3, Lucrèce affirme en effet avoir perdu son diamant « Entre neuf et dix » et en IV, 9, Don Fernand évoque la scène IV, 2 comme ayant eu lieu le matin : « Celuy qui ce matin vous a fait compliment / En habit de campagne, a vostre diamant ». Une nuit s’est donc écoulée durant l’entracte qui joue ici pleinement sa fonction de coupure puisqu’il permet d’atténuer la distorsion temporelle que la nuit introduit entre la fiction représentée et la représentation concrète. Puis l’action paraît s’enchaîner sans coupure, probablement jusqu’au milieu de la journée161, en tout cas pas jusqu’au soir du deuxième jour, comme semble l’indiquer dans la scène IV, 12 une réplique de Philipin qui exhorte Mendoce à hâter son départ : « N’attends donc point ce soir à faire ton voyage ». La pièce se situe ainsi approximativement dans les limites des vingt-quatre heures préconisées par les théoriciens.

L’unité de lieu162 §

Là où Calderón multipliait les changements de lieu (cf. plus haut le tableau de comparaison du déroulement de l’action dans les deux pièces), et donc les décors, Thomas Corneille a plutôt tendance à les restreindre et propose un lieu relativement concentré, le plus souvent une rue de Madrid, près de la maison de l’héroïne et de son jardin, même si certaines scènes163 nécessitaient vraisemblablement des changements de décor, un décor simultané164 ou à compartiments, notamment pour les scènes finales qui se déroulent dans le jardin de Léonard et pour celles qui ont lieu chez Léonor (III, 7 et III, 8). Par rapport à son modèle, Thomas Corneille semble donc chercher à se conformer à une certaine unité de lieu, mais dans un sens élargi, telle que la comprenait son frère qui, comme le rappelle M. Falska165, considérait qu’une action se déroulant dans une même ville répondait à l’exigence d’unité de lieu.

Vraisemblance et bienséances §

On l’a vu, Thomas Corneille suit assez fidèlement son modèle. Or le recours récurrent chez Calderón au motif du hasard comme ressort de la progression de l’action constitue d’emblée un obstacle structurel à la vraisemblance. Mais dans la mesure où c’était alors précisément l’extravagance des intrigues et les surprises qui charmaient le public, il n’était bien évidemment pas question pour l’adaptateur Thomas Corneille de gommer la fantaisie de son modèle de ce point de vue. En revanche, il semble qu’il ait tenté d’atténuer l’extravagance du comportement de certains personnages en le motivant davantage par rapport à la pièce espagnole. Le cas le plus révélateur est sans nul doute celui de Don Fernand dont Thomas Corneille semble avoir tenté de motiver plus solidement les revirements inattendus.

La vraisemblance : les situations dramatiques, bien souvent fruits du hasard, demeurent donc tout aussi extravagantes que dans la comedia de Calderón. Une invraisemblance importante demeure en particulier dans Le Feint astrologue : toute l’action principale, celle de la fourbe de l’astrologie feinte, n’est justifiée par le héros contre toute vraisemblance que par la crainte de porter préjudice à la suivante indiscrète qui risquait d’être renvoyée si sa maîtresse avait appris sa trahison. L’acte inaugural de l’intrigue principale de la pièce (B) contrevient donc à la vraisemblance. En outre, Thomas Corneille ne reprend pas un détail présent chez ses prédécesseurs, qui motivait pourtant avec plus de vraisemblance la présence en scène du personnage de Don Fernand lors du dénouement : ceux-ci justifiaient en effet l’irruption finale du faux astrologue dans le jardin par une invitation à « dîner » formulée par le vieillard au cours de la pièce ou du roman.

Malgré tout, le dénouement du Feint Astrologue constitue incontestablement une version « améliorée » des dénouements présents chez les prédécesseurs du point de vue de la vraisemblance et de la cohérence de l’intrigue. Chez d’Ouville comme dans Ibrahim, il n’y est pas question de prophétie et le choix du vieillard d’accorder la main de sa fille au jeune amant ne se fonde que sur le conseil du Marquis/Timandre, seulement par amitié pour ce dernier et non en vertu d’un savoir astrologique dont ce personnage ne dispose d’ailleurs pas dans Jodelet Astrologue puisque c’est son valet qui y assure le rôle de faux astrologue. Ce choix final du père est donc bien faiblement motivé chez d’Ouville qui ayant choisi de confier le rôle de l’astrologue supposé à un serviteur, ne pouvait plus dès lors utiliser le ressort de la prédiction du mauvais mariage comme justification de la décision du vieillard, dans la mesure ou il aurait été contraire à la vraisemblance et à la bienséance que celui-ci demande conseil à un valet dans une telle situation. Si bien que chez d’Ouville, cette décision ne se fonde que sur l’amitié du vieillard pour Timandre dont il suivra les conseils :

[ARIMANT à Timandre.] En cette extremité, Monsieur, que doy-je faire ? / [TIMANDRE] Puisqu’ils s’aiment si fort, il les faut satisfaire, / Approuvez leurs amours et secondez leurs vœux. / [ARIMANT] Bien, pour l’amour de vous, Timandre, je le veux. (Jodelet Astrologue V, 11, p. 138)

Au contraire, chez Thomas Corneille comme chez Calderón, le choix de Leonard est d’autant plus motivé qu’il se fonde simultanément sur le conseil d’un ami astrologue et sur une prédiction que ce dernier a formulée dès le second acte de la pièce. Mais cet avis a bien plus de poids dans la pièce française dans la mesure où le savoir « astrologique » de Don Fernand n’y sera pas remis en doute jusqu’à la fin de la pièce.

Globalement on observe tout de même que du point de vue de la vraisemblance, Le Feint astrologue révèle une certaine liberté par rapport au stricte respect de la règle. Il faut dire qu’en reprenant à Calderón le recours fréquent au hasard comme ressort de l’action, Thomas Corneille plaçait d’emblée sa pièce hors des exigences de vraisemblance et flattait plutôt le goût du public pour la surprise.

Bienséances et caractères : En ce qui concerne la bienséance des caractères qui découle naturellement du principe de vraisemblance166, Thomas Corneille est en revanche parvenu à motiver plus solidement les comportements de ses personnages. À la suite de R. Bray167, on peut distinguer dans la notion de bienséance entre la bienséance « interne », qui consiste en une conformité entre une chose ou une personne et sa nature propre, et la bienséance « externe » qui relève de la convenance de ce qui est représenté sur scène avec le goût et le système de valeurs du public. Il s’agit donc ici de savoir d’une part si les actions et les paroles des personnages sont conformes à leur caractère qui relève d’une typologie invariable, et si d’autre part ces mêmes actions et paroles ne choquent pas le goût des spectateurs (par les registres trop bas, les grossièretés, les grivoiseries et les scènes trop bouffonnes par exemple) ou ne contreviennent pas aux valeurs admises par le public. En d’autres termes les personnages du Feint astrologue sont-ils conformes à leur type de référence et conservent-ils le même caractère d’un bout à l’autre de la pièce conformément au principe de bienséance des caractères ? On relève de ce point de vue un effort certain du dramaturge pour unifier et crédibiliser certains comportements.

Pour ce qui est des bienséances externes, Thomas Corneille s’en est tenu à la modération de son modèle, notamment en ce qui concerne le personnage du valet, comme on le verra plus loin.

Comme chez Calderón, les personnages correspondent à des types plutôt qu’à de véritables caractères : leur psychologie se résume le plus souvent à quelques grands traits principaux qu’ils conservent tout au long de la pièce et qui sont conformes à la typologie traditionnelle des caractères de comédie. La comédie d’intrigue reposant naturellement sur le principe de la subordination des personnages à l’action d’ensemble, elle suppose en effet une psychologie simplifiée de ces derniers qui n’ont d’existence que relativement à une intrigue au sein de laquelle ils ont un rôle purement fonctionnel. C’est en ce sens que R. Guichemerre indique à propos des comédies de la période que « ce sont avant tout des comédies […], où l’on s’intéresse moins aux personnages, toujours les mêmes […], qu’aux situations piquantes où les mettent leurs aventures amoureuses »168. Les personnages sont donc pour la plupart restés conventionnels chez Thomas Corneille, où ils sont peu, voire pas individualisés, mais ce maintien de traits psychologiques stéréotypiques ne nuit pas à l’ensemble de la pièce dont l’intérêt repose sur des situations et des effets. Leur élaboration par le dramaturge est donc évidemment subordonnée aux besoins de l’intrigue et aux effets recherchés. Parmi ces types, on distingue : la jeune femme amoureuse, le jeune homme passionné, le/la rival(e) jaloux(se), le père soucieux de l’honneur familial, la soubrette indiscrète et le valet balourd, type qui méritera que l’on s’y arrête plus longuement pour en examiner les caractéristiques dans la mesure où il occupe un rôle particulièrement important dans notre pièce comme dans son modèle espagnol en tant qu’inventeur de la fourbe et source de comique.

Les personnages féminins Lucrèce et Léonor se caractérisent par leur audace en amour, leur caractère jaloux et passionné à l’égard de leur amant et dédaigneux pour les prétendants qu’elles éconduisent. Les personnages d’amants sont tout aussi stéréotypés, parfois jusqu’à frôler la caricature. Si l’on regarde par exemple les échanges entre les amants, on peut peut-être même y déceler une tonalité légèrement ironique car leurs tirades galantes et élégiaques sont caricaturales et sans cesses avortée ou interrompues, comme si l’amorce de tirade constituait un signal suffisant pour indiquer au spectateur la teneur d’une situation sans lasser ce dernier avec les poncifs éculés de l’échange amoureux de comédie. C’est ce qui semble apparaître par exemple à la scène V, 8 : Thomas Corneille y abrège les paroles d’amour développées chez Calderón pour les remplacer par un échange amoureux mécanique et caricatural, d’ailleurs immédiatement interrompu par l’arrivée de la soubrette qui rappelle ainsi la primauté de l’intrigue par un retour à l’action (« [D. JUAN.] Ainsi le ciel pour vous en miracles fertiles… », V, 8 v. 1808). Le monologue de Don Louis à la scène I, 7 suscite le même effet. Véritable concentré de monologue tragique de déploration il frôle la parodie par son caractère éxagéremment synthétique :

En quel fascheux estat me trouvay-je reduit !
Tout le soin que je prens m’est contraire et me nuit,
O cruauté du Ciel qui n’eut jamais d’exemple !
Mais ne la voy-je point qui vient icy du Temple ? (I, 7, v. 294-296)

Un emploi en particulier est purement fonctionnel : il s’agit de Don Louis qui n’intervient que pour commenter les situations, servir d’interlocuteur à Don Fernand, évitant ainsi à ce dernier des monologues délibératifs trop statiques ou des dialogues trop nombreux avec son valet. N’étant en rien concerné par l’intrigue, il ne sert que de médiateur, commente l’action et a une fonction de diffuseur du mensonge. L’examen du personnel de la pièce révèle donc l’absence de souci d’originalité ou d’individualisation du type dans la transposition des personnages de la pièce de Calderón. Le dramaturge semble avoir repris assez fidèlement les personnages espagnols qui se présentaient déjà comme des caractères conformes à leur type de référence et qui étaient par ailleurs relativement unifiés dans leur comportement, à l’exception de Don Diego et dans une moindre mesure de Don Juan. Or il semble que pour ces deux personnages qui présentent quelques défauts du point de vue des bienséances, Le Feint astrologue présente une « amélioration » par rapport à son modèle espagnol.

Thomas Corneille va par exemple introduire une plus grande cohérence entre le comportement de Don Juan et le type du jeune cavalier noble auquel il appartient. Le dramaturge ne cesse en effet de multiplier les allusions à une aide financière que Léonor aurait prodiguée au jeune gentilhomme désargenté. Il s’agit d’un motif totalement absent chez Calderón comme chez ses imitateurs. Par la mention récurrente (v. 225-8, v. 316-322 et v. 1551-2) et appuyée de cette information à première vue anecdotique du point de vue de l’intrigue, on sent bien que le dramaturge cherche à motiver un aspect du comportement de Don Juan propre à contrevenir aux bienséances externes comme à la bienséance interne du personnage. En effet, il semble que seul le sentiment de reconnaissance du personnage pour sa bienfaitrice (V, 1) puisse justifier du point de vue des bienséances la tromperie que le gentilhomme maintient à l’égard de la jeune femme tout au long de la pièce en lui faisant croire qu’il est amoureux d’elle (on pense par exemple au subterfuge des fausses lettres de Sarragoce ou encore à sa visite nocturne chez Léonor destinée à prolonger le mensonge de son amour pour elle : « Moy qui vient tout exprés vous donner asseurance / Que sur mon cœur vous seule avez toute puissance ? » v. 1091-2 et « Je suis tousjours le mesme, et ma foy n’est point fausse. » v. 1095). La goujaterie d’une telle fourbe ne pouvait en effet être seulement motivée par sa volonté de cacher sa relation avec Lucrèce sans contrevenir à la noblesse du caractère du gentilhomme, si jeune et fougueux soit-il par ailleurs.

Mais c’est surtout le caractère de Don Fernand qui subit quelques inflexions déterminantes du point de vue la vraisemblance de l’intrigue par rapport à son modèle espagnol. On peut en effet dire que l’action du Feint Astrologue est en grande partie fondée sur une certaine forme de psychologie du personnage de Don Fernand, non pas dans la perspective d’un approfondissement du caractère d’imposteur en tant que tel, mais plutôt pour motiver l’imposture. Il semblerait que le dramaturge ait cherché à rétablir une certaine cohérence dans le comportement de ce personnage d’un bout à l’autre de la pièce tout en ménageant l’instabilité et les revirements inattendus de ce dernier qui étaient nécessaires à la progression de l’action. Pour ce faire, il introduit chez celui-ci avec plus de force que chez ses prédécesseurs les traits de caractère de l’inconstance et de l’extravagance. Dans la pièce espagnole, la logique de l’attitude de son modèle don Diego échappe complètement, même au lecteur le plus attentif. Au début de la pièce ce personnage ne renonce pas à poursuivre Doña Maria de ses assiduités, paradant sous ses fenêtres et la suivant partout, et cela en dépit du dédain affiché de la jeune femme à son égard. À cette dernière qui se plaint du comportement de ce prétendant importun, celui-ci expose en ces termes les raisons de son entêtement :

Je sais bien que mon amour constant face à tes mépris ne peut avoir un seul atome d’espoir : mais voyant ta forte rigueur, je t’aimerai davantage pour ainsi tirer vengeance. Moins tu mettras d’efforts à me plaire, plus grande deviendra ma vengeance, car plus tu viendras à m’abhorrer, plus je ferai pour t’aimer.169

Thomas Corneille ne retiendra pas ces complications poétiques subtiles et cherchera au contraire à justifier sur un mode plus rationnel et discursif l’extravagance du comportement de l’amant éconduit dès les premiers vers de sa comédie :

D. FERNAND.
[…]
Aujourd’huy cet amour n’est plus rien qu’un caprice,
Son peu de complaisance à flatter mon espoir
Est l’unique raison qui m’oblige à la voir ;
Non pas que sa personne en effet me soit chere,
Mais parce que je prends plaisir à lui déplaire,
Et me vanger sur elle, en la persecutant,
De la honte que j’ay qu’on m’estime constant. 170
[…]
Je la sers seulement par obstination,
Et si quand je luy dis le secret de mon ame
Avec moins de rigueur elle eust traité ma flame,
Dans ma façon de vivre et suivant mon humeur
Une autre eust eu bien-tost le present de mon cœur :
Mais voir qu’à contre-temps on prenne un front severe,
Qu’un soupir, qu’un regard fasse entrer en cholere,
C’est lors que je m’obstine à faire les yeux doux.

En introduisant ce trait de caractère d’inconstant, le dramaturge motive de façon plus vraisemblable le comportement de son personnage principal. Comme le souligne Lancaster171, ces explications permettent en effet de comprendre les revirements successifs du personnage, d’abord sa volonté de bafouer Lucrèce en la dupant, puis sa décision d’aider finalement son rival à obtenir la main de cette dernière, décision qui conditionne le dénouement nuptial attendu de la comédie.

Faut-il voir pour autant chez Don Fernand une ébauche de caractère ? C’est en tout cas certainement le seul personnage véritablement digne d’intérêt dans la pièce. Lancaster172 qui reprend à ce sujet les analyses d’Arpad Steiner173, souligne que comme Scudéry, Thomas Corneille donne plus d’ampleur à ce personnage. Comme on a pu l’observer au cours de l’analyse de l’action, en faisant débuter sa pièce par le dialogue entre le maître et son valet, Thomas Corneille renverse la perspective de la pièce espagnole et fixe l’attention sur le personnage de Don Fernand et sur sa fourbe. En outre, Thomas Corneille a sans aucun doute quelque peu complexifié le caractère de son feint astrologue. Ce personnage acquiert en effet chez notre auteur une épaisseur et un relief que n’ont pas ses équivalents chez Calderón et d’Ouville et il n’est pas sans rappeler parfois par éclair l’Alidor de la Place Royale de Pierre Corneille. À la suite de Scudéry le dramaturge en fait un personnage plein d’esprit et galant, mais surtout une figure d’amoureux inconstant, une incarnation du type de l’extravagant, tout comme l’était son modèle romanesque : si comme chez Calderón, le personnage poursuit ses assiduités auprès de Lucrece, non pas parce qu’il en espère quelque succès, mais pour l’importuner et ainsi se venger d’elle, Don Fernand n’est toutefois pas l’amoureux bafoué et jaloux déplorant amèrement les mépris de la femme aimée qu’était son équivalent espagnol. Dans la comédie de Thomas Corneille, Don Fernand est d’emblée sans amour et même sans jalousie réelle174 lorsqu’il feint la constance pour se venger des mépris de Lucrece (cf. ses explications en I, 1 et I, 4). Il est en outre indécis, vélléitaire et quoiqu’il entreprenne, c’est toujours sans conviction qu’il agit.

Au regard des personnages stéréotypés qui peuplent par ailleurs Le Feint astrologue mais aussi les autres pièces de tradition romanesque imitées de l’espagnol, il est donc effectivement tentant d’y voir une ébauche de caractère. D’autant que son ultime revirement et l’ambiguïté du dénouement fait qu’il échappe dans une certaine mesure à l’analyse : malgré ses scrupules et ses inquiétudes quant aux conséquences de la supercherie dont l’ampleur croissante semble l’effrayer dans toute la pièce et malgré son intention maintes fois affichée de mettre fin à la fourbe, le personnage ne dévoilera finalement pas la supercherie, peut-être dans une sorte de griserie de la fourbe, qui jette une note légèrement inquiétante sur le caractère. Il est donc doté d’une psychologie plus élaborée, et ce n’est pas un hasard si d’aucuns y ont vu les germes d’un certain don juanisme175. La critique a d’ailleurs souvent voulu voir des traits annonciateurs du Don Juan de Molière chez des héros de comédie de la première moitié du siècle qui présentaient quelques caractéristiques psychologiques légèrement plus originales que la plupart des personnages qui peuplaient les comédies contemporaines. Tel a par exemple été le sort réservé par la critique à l’Alidor de La Place Royale de Pierre Corneille, amant inconstant et « extravagant », comme l’indique le sous-titre de la comédie. Si l’on doit d’ailleurs chercher une parentée au personnage de Don Fernand, c’est sans nul doute du côté de la comédie de Pierre Corneille qu’il faudra chercher. Mais Don Fernand ne présente en aucun cas la complexité de l’amant de La Place Royale en comparaison duquel il paraît bien pâle et bien lisse. Le caractère reste somme toute assez conventionnel. Nous n’irons donc pas jusqu’à affirmer à la suite de Losada-Goya et d’A. Steiner que le Don Fernand de Thomas Corneille présente des traits d’un « don juanisme » avant la lettre176, ni comme l’affirme A. Steiner que le personnage rapproche la pièce de Thomas Corneille de la comédie de caractère177.

Le comique §

Le Feint astrologue nous semble être une pièce plus comique que celles de ses prédécesseurs Calderón et d’Ouville. Le comique y est souvent plus prononcé, il y paraît moins superficiel, même si l’on reste bien loin de la veine burlesque d’un Scarron. Lancaster178 juge aussi à la suite de Steiner179 et Oppenheimer180 que Le Feint Astrologue est plus profondément, plus fondamentalement comique que les deux pièces précédentes sur le même sujet, par ailleurs si proches. Le critique souligne à cet égard que le traitement du thème de la revanche de l’amoureux éconduit semble plus proche de celui que l’on retrouvera dans les Précieuses Ridicules de Molière que de ce que l’on trouve dans les pièces de Calderón ou d’Ouville qui, « avec leurs intrigues plus sentimentales, ressemblent davantage à des tragi-comédies comportant des épisodes comiques »181. Cette modification majeure dans la tonalité générale de l’oeuvre était déjà sensible dans l’ouvrage de Scudéry. Que l’on pense par exemple à la scène de panique chez Léonor qui prend Don Juan pour un spectre : certes cet épisode comique figurait déjà dans la comedia de Calderón, mais c’était dans une version bien moins amusante. Thomas Corneille gagne en vivacité et en effets comiques en empruntant à Scudéry les détails et les jeux de scène dont ce dernier avait agrémenté l’épisode espagnol dans son Ibrahim182.

Comment expliquer cette accentuation, même légère, du comique dans la pièce par rapport à ses modèles ? Encore une fois, la réorganisation structurelle de la comedia espagnole y est sans aucun doute pour beaucoup : le dramaturge en déplaçant légèrement le point de vue, a fait passer l’intrigue de l’imposture astrologique au premier plan, si bien que les nombreuses situations comiques qui en découlent apparaissent moins comme des épisodes en marge de l’action principale que constituait l’intrigue amoureuse de Don Juan et Doña Maria. Il n’en reste pas moins que l’on sent bien à la lecture de la pièce que la trame de l’action dans Le Feint astrologue comme dans son modèle espagnol ne sert que de prétexte aux séquences comiques qu’elle suscite et dans lesquelles résident l’intérêt et le charme de la pièce.

Les procédés comiques §
Un comique de situation typique de la comédie d’intrigue §

Comme dans les autres pièces de l’époque, le comique semble au premier abord comme surajouté à l’intrigue galante. Or comme on l’a vu précédemment en examinant l’action du Feint astrologue, l’intrigue galante y est précisément mise au second plan par rapport à la fourbe « astrologique » et aux séries d’effets scéniques comiques et plaisants qu’elle suscite. Et c’est en cela que le comique du Feint astrologue semble moins superficiel : il naît de situations qui découlent directement de l’intrigue B) de l’astrologie feinte mise au premier plan. Dans l’ensemble, c’est d’ailleurs la fourbe de la fausse astrologie qui assure l’essentiel du comique de la pièce.

Il est vrai néanmoins que le comique lié aux facéties du valet Philipin reste clairement épisodique et superfétatoire183 et que la plupart des effets comiques ne semblent pas nécessaires et sont peu ou pas intégrés à l’intrigue. Comme chez Calderón, les ressorts du comique de situation sont variés, mais l’on retrouve principalement les procédés déjà évoqués de la surprise et du quiproquo repris à Calderón.

Mais c’est surtout par l’approfondissement et l’exploitation maximale de certaines situations comiques que la pièce se distingue de ses modèles et le dramaturge fait preuve à cet égard d’un grand pragmatisme dans l’utilisation des sources. Ce pragmatisme consiste à réutiliser la matière puisée chez ses prédécesseurs en la redisposant selon les besoins, dans la perspective d’en tirer un maximum d’effets comiques ou plaisants. Mais Thomas Corneille ne se contente pas de procéder à cette synthèse habile de ses modèles : quelques séquences sont en effet à porter à son crédit, toujours dans la perspective d’obtenir un effet comique accru. Ainsi, dans l’épisode du bon tour que Philipin joue au serviteur Mendoce dans la scène V, 7, on verra que la fantaisie verbale que le valet y déploie est sans équivalent chez les prédécesseurs de Thomas Corneille.

Effets de surprise et renversements de situation §

Un renversement de situation comique consiste dans le changement de fortune inattendu du menteur soudain mis en difficulté et menacé d’être découvert. Ces situations comiques d’embarras du personnage de fourbe sont nombreuses dans Le Feint astrologue et toujours empruntées à Calderón. Toutefois, Thomas Corneille exploite et approfondit à deux reprises ce procédé en enrichissant d’effets nouveaux ces situations où l’assurance de l’imposteur est brusquement mise à mal et que son prédécesseur développait avec une moindre ampleur. C’est d’abord la scène d’embarras de Don Fernand (II, 3) soumis à l’interrogatoire de Léonard qui menace de tourner à sa confusion et au cours duquel le savoir astrologique du feint astrologue est convoqué sous la forme comique du galimatia pseudo-scientifique. Chez Calderón au contraire, cette confrontation des savoirs entre les deux hommes n’avait finalement pas lieu et le potentiel comique d’une telle scène était donc peu exploité (voir dans le tableau présenté plus haut la comparaison de l’action de cette scène II, 3 avec celle de la scène espagnole correspondante). C’est aussi la scène III, 2 au cours de laquelle Léonor met notre imposteur dans une situation délicate. Cette séquence s’organise en deux temps où l’on assiste à l’accumulation comique des difficultés et une gradation de l’embarras du menteur. Léonor sollicite d’abord Don Fernand sans dire un mot de ce qu’elle attend de lui tant elle est convaincue que ses pouvoirs lui permettent de deviner sa pensée, puis elle lui demande de servir ses desseins grâce à ses pouvoirs surnaturels, le mettant ainsi dans une situation délicate. Le spectateur rit alors de bon cœur de voir le fourbe se débattre pour sauver son stratagème et il se demande combien de temps l’imposture pourra encore durer sans être découverte (là encore, on pourra se référer au tableau établi plus haut qui fait apparaître l’exploitation comique maximale à laquelle procède Thomas Corneille dans sa pièce par rapport à Calderón).

La méprise §

Comme chez Calderón, les situations comiques résultent bien souvent d’une feinte, d’un quiproquo, ou de toute autre interprétation erronée des apparences. Le plaisir du spectateur réside dans la satisfaction qu’il ressent de détenir les clés de lecture de ces apparences dont ne dispose pas le personnage qui se méprend. Connaissant la vérité, il rit de la crédulité du personnage trompé et admire l’habileté du trompeur. Le procédé du quiproquo est récurrent dans Le Feint astrologue qui comme comme la pièce de Calderón en présente une grande variété de réalisations.

Parmi les apparitions du procédé dans la pièce, la scène III, 8 du faux spectre184 précédemment évoquée est assez proche de la séquence correspondante de la pièce espagnole mais Thomas Corneille a enrichi cette dernière de détails comiques supplémentaires, exploitant ainsi à fond le procédé dont il tire des effets plus comiques. Cette double méprise est favorisée par l’équivocité du vocabulaire. On peut penser que cette scène a particulièrement plu au public dans la mesure où c’est celle que représente la gravure qui apparaît souvent en frontispice de l’œuvre à partir de l’édition (b) et que l’on a reproduit en annexe 5. Cette gravure nous renseigne d’ailleurs sur un jeu de scène que le texte de la pièce de Thomas Corneille ne mentionne pas mais que la comedia de Calderón indiquait clairement dans une réplique de Don Juan185 : Don Juan entre en scène en tendant les bras vers la jeune femme, ce qui redouble l’épouvante de cette dernière. Dans les scènes IV, 8 et IV, 9, c’est la prétention de sagesse et l’entêtement crédule du viellard qui sont raillés : celui-ci y fait en effet preuve d’une absence totale de perspicacité, à tel point qu’il s’obstine de façon amusante à interpréter la vérité comme une feinte inspirée par la modestie et la feinte comme la vérité, dans une scène d’inversion comique des valeurs. Dans la scène V, 2, accusé par le père de Lucrèce d’avoir volé le diamant, Don Juan croit que le vieillard fait référence à son amour pour sa fille et il va alors reconnaître le forfait dont il pense être accusé. Ce quiproquo savoureux s’articule autour de syllepses de sens sur les mots « vol » ou « crime » : l’ambiguïté généralisée du vocabulaire dans le passage entraîne ainsi une double méprise plaisante sur la parole de l’autre.

Dans l’ensemble Le Feint astrologue se situe donc bien dans un registre comique plus appuyé que celui de son modèle espagnol. Et même si en donnant le rôle du feint astrologue au valet, d’Ouville avait conféré à sa pièce des accents plus burlesques, l’inspiration était sensiblement la même que chez Calderón, plus proche de la tragi-comédie agrémentée d’épisodes comiques.

Traits burlesques et éléments typiques de la commedia dell’arte §

Le burlesque consiste en la dissonance des registres. Le rire naissant dans ce cas du traitement « bas » d’un motif sérieux, on comprend donc aisément pourquoi le personnage du valet était chargé de ce type de comique dans les comedias et leurs imitations.

Le cas du valet Philipin, imité du type du gracioso espagnol : un personnage haut en couleur §
Remarques préliminaires §

R. Guichemerre186 distingue deux types de valets qui apparaissent dans le théâtre comique de l’époque et qui sont issus de deux traditions dramatiques différentes. Le premier et de loin le plus représenté est issu du type espagnol du gracioso, personnage de valet caractérisé par sa grossièreté, sa gloutonnerie, son goût pour la boisson, sa couardise, son « incontinence verbale »187, ses impertinences et ses propos bouffons lorsqu’il s’avise de conseiller ou de sermonner son maître, mais aussi par une certaine débrouillardise. Il constitue le plus souvent une sorte de repoussoir de son maître. Philipin comme Jodelet en étaient les héritiers français. Son rôle était principalement d’introduire une dimension nettement comique dans les comédies d’intrigue romanesques à l’espagnole. Philipin relève clairement de cette tradition espagnole du valet de comédie. La seconde tradition de valet, plus rare sur la scène française de l’époque mais que Molière ne devait pas tarder à consacrer avec les rôles de Mascarille et de Scapin, provient du théâtre italien qui l’avait lui-même hérité de la comédie latine antique, en particulier de Plaute. Il s’agit d’un valet intrigant, hardi et rusé, moins grossier que son émule espagnol et qui se caractérise par son ingéniosité et son habileté lorsqu’il s’agit d’inventer toutes sortes de stratagèmes pour tirer son maître de situations délicates. C. Dumas souligne dans ses travaux consacrés à l’étude comparative des types du gracioso espagnol et du valet comique français que la transposition du type espagnol dans la version française s’opère en général à cette époque selon une « logique d’homogénéisation restrictive »188, de simplification et d’unification du type dont le corollaire est le gommage de la complexité de la figure du gracioso à la fois bouffon et débrouillard, dans un souci de vraisemblance conforme aux exigences de l’esthétique classique. À l’issue de ce processus, les dramaturges français ne conservent donc bien souvent du gracioso que ses caractéristiques les moins nobles. C. Dumas distingue alors deux tendances principales : soit cette « homogénéisation » s’effectue dans le sens du burlesque, comme c’est le cas chez Scarron, et ce sont alors les caractéristiques bouffonnes du type (gloutonnerie, grossièreté outrée…) qui sont retenues et amplifiées, soit elle s’opère dans la perspective de créer un valet plus policé avec un parti pris de modération et de bienséance (les impertinences et les propos grivois étant alors gommés). La tendance globale est donc à « l’unification vraisemblable » à une époque où selon C. Dumas, le valet comique français « cherche sa formule »189. De ce point de vue, il semblerait que dans Le Feint astrologue le valet Philipin présente dans l’ensemble les mêmes caractéristiques que son modèle espagnol qui correspondait lui-même à une réalisation déjà assez « modérée » et unifiée du type du gracioso.

C. Dumas souligne qu’une autre tendance, sorte de troisième voie promise à un bel avenir avec le Scapin de Molière, se profile dans la distribution des rôles entre maître et valet en France, « tendant à revaloriser indirectement, le serviteur, en cantonnant le maître dans un univers plus élevé et sérieux »190 : pour le maître, le sentiment et l’intrigue amoureuse, pour le valet la ruse, la fourbe et l’ingéniosité. C’est cette « spécialisation des compétences »191 qui selon elle se profile dans le Jodelet Astrologue de d’Ouville, œuvre pour laquelle C. Dumas parle de valet érigé au rang de « serviteur vedette »192, c’est-à-dire qu’il y acquiert selon elle le statut dramaturgique de personnage moteur du point de vue de l’action tout en continuant d’assumer sa fonction comique traditionnelle : « dans cette pièce, écrit-elle ainsi, le maître, quoique complice de la feinte, en laisse principalement le soin à Jodelet, chez lequel la débrouillardise devient le corrélat très exploitable de la bassesse »193. Or si l’on compare attentivement la pièce de d’Ouville avec son modèle espagnol, on se rend vite compte qu’en dépit du transfert du rôle d’astrologue du maître au valet dans le Jodelet Astrologue, l’intrigue et la structure de l’action diffèrent curieusement assez peu de celles du modèle. Ainsi, Jodelet semble souvent n’être que l’instrument assez passif de son maître et les personnages ne lui soumettent jamais directement leurs requêtes astrologiques et s’adressent d’abord à son maître qui plus qu’un simple « complice » assume tout au long de la comédie la reponsabilité de la fourbe et en ordonne le plus souvent la mise en scène, Jodelet n’apparaissant alors bien souvent que comme exécutant. Certes dans la scène II, 2, c’est Jodelet qui se prétend astrologue mais son maître prend immédiatement le relai de l’explication embrouillée du valet dans une tirade beaucoup plus longue (75 vers contre 30 vers pour le valet). D’ailleurs Liliane (l’équivalent du personnage de Lucrèce) s’adresse ensuite à Timandre plutôt qu’à Jodelet dans le reste de la scène. En III, 2, c’est aussi Timandre qui dit à son ami Acaste qu’il faut continuer à publier le mensonge ; en d’autres termes c’est lui qui organise la mise en scène de la fourbe. Au cours de la scène III, 7, Jacinte (l’équivalent du personnage de Léonor) s’adresse à lui et c’est lui qui argumente pour justifier l’impossibilité pour son valet de faire apparaître son amant absent. D’Ouville reprend ainsi la démonstration présente chez Calderón en ne faisant subir au discours du maître qu’un changement de personne grammaticale, qui passe de la première à la troisième.  Enfin à la scène V, 1, c’est Timandre qui se plaint de la situation à Acaste et qui exprime sa lassitude au sujet de la poursuite de la feinte. Si bien qu’à la différence de C. Dumas, il nous semble qu’en dépit d’une certaine amorce d’autonomisation du serviteur (du reste tardive, puisqu’elle n’apparaît qu’au début de l’acte V), ce transfert de rôle du maître au valet dans Jodelet astrologue a somme toute assez peu d’implications dramaturgiques194 et que la mise en vedette de Jodelet n’est pas véritablement effective, mais au contraire seulement affichée, notamment par le titre de la pièce, dans une perspective plus publicitaire que dramatique, simplement pour profiter du goût du public pour le personnage de Jodelet. En outre, l’analyse de C. Dumas concernant une mise en avant du personnage reposant sur son rôle dramaturgique de moteur de l’action en tant qu’instigateur de la feinte, vaut tout autant pour son modèle espagnol et l’adaptation de Thomas Corneille qui lui attribuent la même fonction. En somme, la mise en valeur du rôle du valet ne serait que le fruit d’un très léger infléchissement que l’adaptateur d’Ouville aurait fait subir à son modèle puisque ce dernier, tout comme du reste le Feint astrologue, présente déjà une réelle complémentarité-complicité entre le maître et son valet.

Un personnage « timidement » burlesque §

Comme dans la pièce de Calderón, le comique est souvent assuré par le valet qui est traditionnellement dans la comédie « le[…] personnage[…] chargé[…] du commentaire burlesque des événements qui intéressent [son] maître[…] »195 (voir v. 438, 891). La dissonance burlesque affleure constamment dans son discours même si, d’un point de vue quantitatif, on est encore bien loin du ton nettement burlesque qui caractérise les comédies de Scarron et que Thomas Corneille adoptera dans sa pièce suivante, Dom Bertran de Cigarral. Ainsi, dans la scène I, 2, Philipin qui s’étonne de ce que Lucrèce aime un homme sans biens associe par exemple de façon plaisante l’abstrait et le concret dans une exclamation burlesque savoureuse, typique du bon sens populaire du valet à l’espagnole : « Et la galanterie échauffe la cuisine ! ». On relève par ailleurs quelques facéties du valet dans les scènes II, 3 et II, 4 qui présentent un jeu de scène comique de Philipin qui, comme son modèle espagnol, près d’exploser, tente en vain de tenir sa langue :

PHILIPIN.
Monsieur, laissez-moy faire.
D. FERNAND.
Dy donc ce que tu fais.
PHILIPIN.
Je tâche de me taire,
On me l’a commandé, mais pour ne rien cacher,
Des-ja, loing d’obeyr, je suis las de tâcher196 (I, 4)

Avec la scène V, 7, la comédie se situe également clairement dans le registre burlesque : le rusé et facétieux Philipin fait croire au domestique Mendoce qu’un démon familier va le transporter avec ses économies dans son pays natal par voie aérienne197 ! Il s’agit alors d’un comique de répétition et de contraste proprement burlesque avec une reprise du schéma de la fourbe du maître par celle dégradée du valet. On verra plus loin que c’est d’ailleurs en général autour du motif de l’astrologie feinte que la dimension burlesque du personnage se déploie avec le plus d’ampleur selon un principe de contraste comique entre l’astrologie savante du maître et l’astrologie populaire du valet.

Pourtant, on l’a entrevu, le valet du Feint astrologue comme son modèle espagnol est relativement « sage » et comme chez Calderón, le burlesque ne constitue pas la tonalité dominante de la pièce de Thomas Corneille, alors qu’à la même époque chez Scarron le valet prenait le rôle principal et reléguait ainsi les personnages « sérieux » au second plan en imposant une dominante burlesque à l’ensemble de la comédie. C’est probablement d’ailleurs ce que d’Ouville avait cherché à faire quelques années plus tôt en donnant le rôle du feint astrologue au valet Jodelet. Malgré cette tentative, on a vu que la pièce de d’Ouville restait très proche de son modèle caldéronien et sa dimension burlesque y était finalement à peine plus accusée que dans la comedia espagnole, dans une sorte de « fausse » mise en vedette du valet qui a plus certainement une valeur publicitaire qu’une réalité dramaturgique effective dans la comédie de d’Ouville. Si le Philipin du Feint astrologue relève bien de la tradition espagnole, ses traits bouffons sont donc nettement atténués et l’accent est davantage mis sur son inventivité. Cela explique que Steiner voit précisément chez Philipin des caractéristiques d’un Scapin qui relève de l’autre tradition des valets de comédie : “The rascality of the servant[…] is more pronounced : Philipin, Fernand’s valet, is a worthy rival of Scapin”198. Il semble pourtant qu’avec ses caractéristiques burlesques, si atténuées soitent-elle, le personnage soit encore loin du brio du valet de la commedia dell’arte.

Il faut rappeler que cette « mise en sourdine » des caractéristiques les plus bouffonnes du type n’est pas de l’invention de Thomas Corneille. Déjà chez Calderón, le caractère burlesque de Moron était peu prononcé : aucune allusion à sa gloutonnerie, son ivrognerie. Son caractère bavard n’apparaît également que de manière furtive à l’occasion d’une courte scène plaisante où il annonce qu’il ne pourra tenir sa langue (v. 848-860 et sc I, 3 dans Le Feint astrologue), puis dans l’énumération comique et gratuite de la scène V, 7 du Feint astrologue. En outre, son caractère « débrouillard » est déjà mis en valeur dans la pièce espagnole où il est aussi l’instigateur de la fourbe de fausse astrologie et où son ingéniosité est vantée par son maître lui-même (v 1451-1480). De même dans Le Feint astrologue, Don Fernand confie à son valet le soin de le tirer d’embarras en évoquant son habileté (« Tâche à remedier à ce desordre extresme, / Tu n’es que trop adroit pour en venir à bout, / Invente, fourbe, ments, jure, j’advoüeray tout », II, 2, v. 452-454). On a ainsi l’ébauche d’une réelle complémentarité-complicité entre le maître et son valet. Dans les deux pièces, le valet présente donc les traits généraux du gracioso, mais les caractéristiques les plus bouffonnes du type y sont absentes où du moins atténuées pour privilégier son ingéniosité. Cette perspective est d’ailleurs accentuée par Thomas Corneille qui ne reprend pas, par exemple, l’avidité du gain qui caractérisait son modèle espagnol toujours enclin à réclamer à son maître une récompense pour ses bons services rendus. Le dramaturge met également en valeur sa verve qui se déploie dans la séquence comique de l’inventaire « endiablé », passage de virtuosité gratuit, absent chez Calderon et d’Ouville (IV, 12).

Quelques traits de la comédie italienne §

Quant aux quelques traits comiques typiques de la comédie « à l’italienne », ils renvoient à la tradition de la commedia dell’arte qui fournit un panel de situations et de jeux de scène comiques stéréotypiques. C’est le cas de la scène burlesque III, 8, imitée de Calderón : la terreur et la panique que manifestent Léonor et sa suivante lors de la visite nocturne de Don Juan qu’elle prennent pour un fantôme est nettement plus comique dans la version de Thomas Corneille qui reprend à Scudéry le procédé de la table renversé au cours du mouvement de panique de Jacinte qui s’était cachée sous la table pour échapper au spectre, ainsi que le détail de la lampe qui s’éteint dans la panique.

Langage comique et fantaisie verbale §

Le comique lié à l’intrigue et aux situations qu’elle génère est agrémenté chez Thomas Corneille de séquences de fantaisie verbale issues d’une tradition médiévale perpétuée par les farceurs du début du XVIIe siècle et qui renaît sous la plume des auteurs comiques français de l’époque199. La fantaisie verbale se caractérise par sa gratuité et sa dimension plus ludique que comique. R. Garapon souligne ainsi que « le jeu verbal ne se manifeste qu’à partir du moment où l’on a accepté de parler pour ne rien dire »200. Elle apparaît donc comme un ajout, un surcroît à la comédie d’intrigue fondée sur les situations et leur enchaînement. Elle a un effet plaisant qui repose sur la jouissance, la griserie du verbe. Elle surgit principalement dans la scène V, 8 à travers le procédé de l’« accumulation descriptive »201, lorsque Philipin livre un catalogue qui décline les différentes variétés de diables existants dans une énumération truculente (voir V, 8, v. 1745-1764).

Le procédé du néologisme participe également du comique verbal de la pièce en une occurrence où il crée un effet de dissonance burlesque savoureux. Mis à la mode par Scarron, il est couramment employé dans le théâtre comique de la période. Le spectateur s’amuse ainsi en II, 1 du néologisme burlesque « Astrologissime » avancé fièrement par le valet pour désigner son maître. Par son caractère emphatique ce long terme forgé sur le modèle de la formation des mots savants contraste de façon comique avec la qualité du personnage qui l’emploie. Comme l’explique R. Garapon202, ce procédé établit un contraste comique entre les prétentions intellectuelles que révèle l’utilisation d’un tel terme et le caractère exagéré et ridicule de sa formation pseudo-savante.

L’emploi comique du jargon, sans dimension satirique, est un autre procédé qui apparaît dans Le Feint astrologue, mais dont le dramaturge n’abuse pas, sans doute pour ne pas lasser le public avec un procédé éculé. Dans la scène II, 3, le langage obscur pseudo-scientifique de Don Fernand donne lieu à une séquence plaisante. Là où Calderón ne présentait aucun développement jargonnesque dans les discours pseudo-astrologiques de Don Diego, et là où le Jodelet de d’Ouville s’en tenait à quelques notions furtives, le feint astrologue de Thomas Corneille se lance pour sa part dans des considérations embrouillées et hermétiques proches de la fatrasie :

Dites-moy cependant. Auriez-vous pour suspect
Saturne regardant Venus d’un trine aspect,
Et peut-on justement tirer un bon augure
De la conjonction d’Hecate avec Mercure ?
[…]
[D. FERNAND…]
Venus aux amoureux promet beaucoup de biens,
Et Saturne peut tout sur les Saturniens :
Mais la triplicité de cette conjoncture
Ainsi que l’union d’Hecate avec Mercure
Combinant leurs aspects, ou les retrogradant
Sur l’horizon fatal d’un bizarre ascendant,
Pourroit paralaxer sur un cerveau si tendre…
LEONARD.
Ce discours est si haut que j’ay peine à l’entendre
[…]
D. FERNAND.
Ce sont termes de l’Art. (II, 3)

Le ressort comique du jargon astrologique et de la fatrasie est néanmoins utilisé avec parcimonie, quoique de manière plus développée que chez les prédécesseurs. Absent chez Calderón et peu développé chez d’Ouville, le galimatias pseudo-astrologique que l’imposteur déploie dans cette scène a été largement inspiré par le roman de Scudéry : on y retrouve disséminés certains termes techniques directement repris au romancier par Thomas Corneille, ce qui illustre une nouvelle fois la tendance du dramaturge à la réutilisation pragmatique de la matière tirée des différentes sources selon le principe de la contaminatio (cf. annexe 4). Cet exposé fantaisiste s’inscrit en tout cas dans la tradition de la parodie du jargon savant des pédants de la comédie italienne ou des comédies françaises qui l’imitent : ignorant en la matière, Don Fernand s’applique à éblouir Léonard par un discours improvisé émaillé de termes savants, cautionné par l’autorité « du grand Nostradamus » et dont il ne comprend pas lui-même la signification.

Du point de vue du comique dans la pièce, on peut donc déjà dresser un premier bilan : par rapport à son modèle, déjà modéré sur ce point, Thomas Corneille évite globalement le registre grossier et les scènes trop bouffonnes. On pourrait d’ailleurs davantage parler à propos du Feint astrologue d’une dimension ludique, liée aux situations et aux traits de langage plaisants, plutôt que d’un registre franchement comique comme on le trouve clairement assumé chez Scarron.

Le thème de l’astrologie : une matrice à situations comiques §

Lorsque Thomas Corneille compose Le Feint astrologue, et sans même parler du Jodelet Astrologue de d’Ouville, le théâtre français a déjà son lot de faux astrologues et autres sorciers et Don Fernand ne fait nullement figure de précurseur en la matière. En effet l’astrologie est un thème en vogue et un sujet assez fréquent dans la littérature de l’époque qui apparaît dans plusieurs œuvres dramatiques comme par exemple Le Campagnard de Gillet de la Tessonnerie, et que Thomas Corneille continuera d’exploiter par la suite, notamment en 1679 dans La Devineresse, sa comédie inspirée de la célèbre affaire des poisons de la Voisin.

Mais Le Feint astrologue est une comédie d’intrigue, non une satire des mœurs du temps, et à ce titre, le thème de l’astrologie n’y apparaît que comme moteur de cette intrigue et source de comique : telle est sa fonction dans cette comédie, et nous ferions un contresens en y cherchant une quelconque visée critique et démystifiante du thème. C’est d’abord en tant que fourbe que la fausse astrologie importe dans la pièce, en tant qu’elle génère des situations plaisantes et en dépit des commentaires d’ailleurs succincts sur la crédulité des personnages, il ne s’agit pas ici de railler la mode de l’occultisme. Tous les personnages qui ne sont pas complices de la fourbe (en particulier les serviteurs) craignent ainsi les pouvoirs de l’astrologue, ce qui donne lieu a plusieurs scènes comiques assez savoureuses, fondées sur leur crédulité. C’est par exemple Jacinte qui à la scène III, 2 se couvre le visage de ses mains car elle craint que Don Fernand ne lise en elle203. De même Mendoce avoue à Philipin qu’il redoute les pouvoirs de son maître. Certes, la pièce donne ainsi un aperçu des croyances populaires et autres superstitions de l’époque (lutins, feu follets, esprits malins, spectres, sorcellerie…), ainsi que du goût de certaines élites pour l’astrologie judiciaire. Mais ce n’est en aucun cas l’objet de la comédie. Il s’agit plutôt ici d’un motif structurant pour la pièce, puisque l’ensemble de l’action principale et des actions secondaires repose sur la fourbe de l’astrologie feinte. Les motifs de la crédulité, des croyances ou de la confiance des personnages dans la science du faux astrologue n’interviennent que pour déterminer l’intrigue, créer des situations. Il s’agit surtout d’une matrice à comique : comique verbal d’abord, on l’a vu, avec notamment le galimatias de termes techniques en II, 3, ou encore la fantaisie verbale autour du thème de la magie en V, 2 ; comique de situation enfin, comme dans la scène III, 7.

La thèse avancée par A. Gutierrez-Laffond204 au sujet du Feint astrologue, selon laquelle la pièce poursuivrait une « démystification de la magie commencée par Corneille » dans l’Illusion Comique nous semble donc excessive. Le fait que Don Fernand se défende de manière récurrente et avec insistance de l’amalgame entre l’astrologie entendue comme pratique se fondant sur la science astronomique et magie considérée comme superstition et imposture (v. 496 et suivants, v. 893-896, v. 1225-1229, etc.), indique clairement que la pièce adopte un discours univoque où les formes « inférieures » et superstitieuses de l’astrologie comme les prédictions et les horoscopes ainsi que la magie sont d’emblée posées comme des impostures et des croyances fausses en dehors de toute volonté démonstrative et démystifiante, puisque leur condamnation est présentée comme un présupposé, comme une évidence partagée par le public et non comme une conclusion du discours de la pièce. Le scepticisme critique affiché par exemple par Don Louis dans les scènes II, 5 et IV, 5 au sujet de l’astrologie est ainsi ponctuel : « Le hazard fait souvent prophetiser fort bien » et « Le meilleur Astrologue est le plus grand menteur ». D’ailleurs, cette dernière affirmation souligne encore une fois la fonction assignée à l’astrologie dans la pièce : la feinte, le mensonge comme ressort de l’action.

Le goût pour le rire qui caractérise les personnages complices de la fausse astrologie est révélateur de la dimension comique du motif. Si l’on reprend la distinction entre « magie savante » et « magie populaire » observée par A. Gutierrez-Laffond205 dans les « pièces à magie » telles que Le Feint astrologue, on peut distinguer deux types de comiques associés suscités par ces deux aspects du thème de la fausse astrologie : le premier type de comique de situation est attaché au personnage du maître et repose sur un ensemble de situations générées par la croyance des autres personnages en ses pouvoirs occultes. Il en est ainsi par exemple dans la scène II, 3 où le vieillard crédule est la dupe du brillant terminologique de l’imposteur. Le second type de comique est burlesque et repose sur la version caricaturale et parodique du savoir astrologique dans sa version populaire et superstitieuse, telle que la résume bien la formule de Philipin « astrologogissime ». Ce comique est comme on l’a vu assuré par les personnages de domestiques, en particulier par Philipin. Celui-ci livre la version dégradée de l’astrologie du maître. Ainsi, en II, 2, il inaugure la fourbe en formulant de façon ridicule tous les lieux communs « astrologiques » qu’il connaît :

Dedans l’Astrologie il n’a point son semblable,
Enfin c’est un prodige, ou plustost un vray diable,
Rien pour luy n’est secret, et sans de grands efforts,
Je pense qu’il feroit mesme parler les morts.
[…]
Il contemple le Ciel mesme aux nuicts plus obscures,
Il feuillette un grand livre, et fait mille figures,
C’est sans doute par là qu’il a sçeu vos amours.
[…]
Ne me fistes-vous pas encore hier au soir
Remarquer un jardin dedans un grand miroir (II, 2)

Don Fernand prend bien soin d’ailleurs de rectifier les propos de son valet ignorant en soulignant la distinction entre l’astrologie savante, encore perçue par certains comme relevant des sciences astronomiques, et celle que les croyances populaires associent à la sorcellerie et à la magie noire (II, 2).

Toute une gestuelle caricaturale comique est en outre associée à la pratique magique : elle apparaît en particulier dans deux jeux de scènes : c’est d’abord Don Fernand qui examine les yeux et la main de Léonor dans une mise en scène visant à simuler l’action magique. Une autre occurrence de ces gesticulations comiques censées traduire une activité magique apparaît au début de la scène V, 7 à partir de l’édition (b) du Feint astrologue où elle est décrite dans une didascalie : « PHILIPIN faisant un cercle avec une baguette, et prononçant en suite quelques mots barbares à demy bas. ». Dans les deux premières versions de la pièce, ce jeu de scène de fausse magie n’est qu’évoqué de manière allusive à travers le discours des valets : « [PHILIPIN.] Mets-toy dedans ce rond. [MENDOCE.] Qu’est-ce que tu marmotes ? ».

Bilan §

Le comique du Feint astrologue reflète donc bien le statut de comédie d’intrigue de la pièce. Il repose essentiellement sur des situations plaisantes qui semblent être au cœur de l’intérêt et du travail du dramaturge qui en soigne les effets en se souciant bien peu de ménager les transitions entre ces différentes séquences206. D’où le caractère quelque peu brusque et laborieux parfois de certains enchaînements de scènes ou d’effets qui semblent simplement juxtaposés dans un ensemble qui, s’il ne manque pas de vivacité, manque en revanche parfois de souplesse. Autrement dit, les liaisons et l’intégration des effets à l’ensemble semblent avoir été négligés par le dramaturge.

Plus généralement, comme souvent dans les comédies d’intrigue de l’époque imitées de l’espagnol, les effets comiques sont suscités par des situations qui mettent en scène plusieurs personnages, et non par un caractère ridicule qui occuperait à lui seul le devant de la scène. En somme, nulle étude de mœurs autour d’une satire sociale dans Le Feint astrologue, ni comique de caractères.

Une esthétique galante de la « gageure » : feinte et jeu de masques §

Jamais plus galamment homme ne fut dupé. (Le Feint astrologue, II, 5, v. 646)

Cette formule de Don Louis au sujet du tour joué au vieux Léonard semble programmatique et fonctionner comme un signal à l’intention du spectateur invité à considérer la fourbe avant tout comme un jeu galant au sens mondain, esthétique et idéologique du terme (et non pas amoureux). C’est ce que fait apparaître la syllepse de sens sur l’adverbe « galamment » qui signifie à la fois habilement et conformément aux valeurs et aux usages mondains. Plus généralement, il nous semble que la tonalité d’ensemble du Feint Astrologue prend une inflexion galante sous l’influence du roman de Scudéry, et que la fourbe y semble principalement perçue comme une gageure galante. C’est en tout cas comme cela que Don Louis paraît la présenter au début de la pièce.

De grace achevez donc, joüez-le jusqu’au bout,
Faites la piece entiere, il admirera tout ;
Il vous seroit honteux qu’elle fust imparfaite (II, 5, v. 637-639)
Et quand mesme on sçaura que ce soit raillerie,
Le tout ne passera que pour galanterie. (II, 5, v. 651-652)

Pour se convaincre de la dimension éminemment galante du Feint astrologue, il suffit d’examiner la supercherie de la feinte astrologie non plus sous l’angle de l’action ou des mécanismes comiques qui y sont associés, mais plutôt du point de vue des personnages qui s’organisent en deux catégories distinctes : d’un côté les dupes, de l’autre le trompeur et ses complices. C’est ce deuxième groupe qui nous intéresse dans la mesure où il introduit la notion de plaisir au cœur de la pièce par l’intermédiaire de la feinte. Le plaisir associé au rire est en effet une composante essentielle de la fourbe et il peut être rapproché du principe d’ « enjouement » galant. Ce plaisir lié au rire est sans cesse rappelé par les trompeurs à l’occasion du commentaire des scènes de fausse astrologie (v. 620, 761). La scène III, 1 dans son entier manifeste ainsi le plaisir pris à la supercherie et au récit de sa diffusion. Et même lorsque Don Juan prévoit de renoncer à l’imposture, il annonce qu’il ne le fera pas sans avoir préalablement parfait son œuvre :

Je suis las d’un mestier où je ne cognois rien,
Mais afin d’en sortir avecque plus de gloire,
Puisque je vois le pere en humeur de tout croire,
Je veux faire si bien, loing d’en estre jaloux,
Que D. Juan de Lucrece aujourd’huy soit l’époux (IV, 10, v. 1430-1434)

Si Le Feint astrologue perd une grande part de la galanterie amoureuse qui parcourt son modèle espagnol, il gagne donc en revanche une atmosphère d’enjouement galant nettement plus prononcée207. Ce ton enjoué était déjà présent chez Calderón, mais il n’y avait pas la même importance à l’échelle de la pièce entière. Chez Scudéry au contraire, l’enjouement atteint la tonalité d’ensemble de l’œuvre et c’est là sans aucun doute l’apport le plus important d’Ibrahim à la pièce de Thomas Corneille.

C’est d’ailleurs la dimension galante qui du point de vue des bienséances concilie moralement la fourbe, susceptible d’être considérée comme tromperie condamnable, avec le code d’honneur des personnages nobles qui s’y livrent. C’est même précisément par là que le personnage du fourbe gagne la la sympathie et la complicité du spectateur. On peut voir un indice de cette volonté de créer une complicité avec le spectateur autour de la fourbe dans le fait qu’il n’y ait pas de punition finale de l’imposteur : le dramaturge n’invite pas à rire de sa déconvenue, mais au contraire, à admirer son habileté et à partager le plaisir que procure le sentiment de supériorité et de perspicacité de voir la crédulité des autres. Ainsi, malgré son imposture et la série ininterrompue de mensonges qu’il profère ou qu’il cautionne, le personnage n’est pas rendu détestable aux yeux d’un spectateur qui reste indulgent, voire qui admire « la pièce », la virtuosité du personnage mise à l’œuvre dans ce qui semble être une gageure galante. Et lorsque le personnage qui ne manifeste pas toujours l’assurance tranquille et le brio du trompeur en pleine possession de ses moyens, formule en II, 5 ses scrupules à prolonger une fourbe indigne d’un gentilhomme et qui risque de le déshonorer, cette possibilité est vite évacuée dans le discours de D. Louis qui situe nettement la fourbe sur le plan de la galanterie en la valorisant ainsi aux yeux des spectateurs (voir les vers 637 à 652).

Une nouvelle fois, le dénouement de la pièce s’avère révélateur : Thomas Corneille va plus loin que ses prédécesseurs dans la gageure avec son dénouement ouvert, plus ambigu. Steiner208 analyse d’ailleurs l’issue de la pièce comme une façon pour le personnage de prolonger le plaisir :

Brisons-là je vous prie,
Je vous entretiendray de mon Astrologie,
Mais il faut que ce soit avec plus de loisir. (V, 12, v. 1907-1909)

Cela apporte en tout cas une touche ambiguë, légèrement inquiétante au dénouement, là où chez Calderón comme chez ses imitateurs français, le dénouement voyait la fourbe révélée et le fautif sermonné. Même dans l’épisode éminemment galant de Scudéry, le Marquis français était mis en cause puis finalement pardonné en vertu du caractère plaisant que prenait l’aventure considérée a posteriori. Ces dénouements avaient finalement un côté plus rassurant puisque tout y rentrait dans l’ordre. Cet aspect de la comédie de Thomas Corneille indiquerait ainsi la prééminence accordée par le dramaturge au principe de plaisir et de jeu par rapport à celui d’instruire. Entre les deux visées que tend à se donner la comédie de l’époque, d’un côté « plaire », de l’autre « instruire », Thomas Corneille trancherait clairement : il n’y pas de sanction morale de l’imposteur qui ne se repent pas. C’est au contraire la virtuosité dans le jeu de masque qui est mise en valeur. De ce point de vue aussi Le Feint astrologue devait se trouver en affinité avec les goûts et l’idéal galant du public de l’époque.

Note sur la présente édition §

Présentation du texte de l’édition établie §

L’exemplaire du Feint Astrologue qui a servi de base à la réalisation de cette édition est conservé sur le site de Tolbiac de la Bibliothèque nationale sous la cote RES-YF-704 (nous le désignerons par la suite comme l’exemplaire A). Il s’agit du texte de la première édition de l’œuvre, imprimée pour la première fois en 1651 à Rouen par l’imprimeur de prédilection des frères Corneille Laurens Maurry. Les exemplaires se vendent à Paris chez le libraire Charles de Sercy. L’achevé d’imprimer est daté du 31 mai 1651 et le Privilège du 12 mars 1651. Il faut noter que ce privilège porte également sur la première pièce de notre auteur, Les Engagements du Hasard, mais aussi sur Andromède et Nicomède de Pierre Corneille qui semble avoir été l’auteur de la demande.

On a recensé trois autres exemplaires de cette première édition de 1651 : l’un est également conservé sur le site de Tolbiac de la Bibliothèque Nationale sous la cote RES-YF-705 (nous l’appellerons B), un autre sur le site Richelieu de la Bibliothèque nationale sous la cote 8-RF-2671 (nous l’appellerons C) et un dernier contenu dans un recueil factice conservé à la Bibliothèque municipale de Lyon sous la cote Rés 360835 (nous l’apellerons D). Nous n’avons pour le moment pas consulté ce dernier exemplaire.

Description matérielle de notre exemplaire §

Il s’agit d’un ouvrage in-4° de IV-144 p. comprenant la page du privilège non chiffrée. Le volume se présente comme suit :

  • – [I] : page de titre : LE FEINT / ASTROLOGVE / COMEDIE. / [fleuron du libraire représentant une corbeille de fleurs] / A ROVEN, / Chez LAVRENS MAVRRY, prés le Palais. / [filet] / AVEC PRIVILEGE DV ROY. / M. DC. LI. / Et se vendent A PARIS, / Chez CHARLES DE SERCY, au Palais, dans la Salle / Dauphine, à la bonne Foy Couronnée.
  • – [II] : verso blanc.
  • – [III-IV] : épître dédicatoire « A MONSIEVR / B. Q. R. I. », suivi sur la page IV de la listes des « ACTEVRS. » et de la didascalie initiale « La Scene est à Madrid. ».
  • – 1-143 : texte de la pièce.
  • – [144] : « PRIVILEGE DV ROY. » et « Achevé d’imprimer le dernier May mil six cens cinquante et un. ».

Variables notables entre les différents exemplaires de la première édition §

L’exemplaire A qui sert de base à cette édition présente quelques différences, notamment concernant certaines gravures, par rapport aux deux autres exemplaires consultés (B et C) qui sont semblables en tous points si l’on excepte l’absence dans l’exemplaire B de l’épître et de la liste des acteurs, autrement dit de l’un des feuillets non chiffré.

Concernant les bandeaux et les cahiers §

Dans B et C, le cahier A est noté « A » sur la p. 1 ; p. 28 : le bandeau de l’acte II de A est différent de ceux de B et C : la gravure au centre y représente trois fleurs de lys ; p. 56, les bandeaux de l’Acte III sont les mêmes dans les trois exemplaires (trois fleurs de lys au centre), mais dans A la gravure centrale est en partie recouverte par un petit « papillon » (morceau de papier découpé ajouté après un tirage) vierge ; p. 83, en tête de l’acte IV, on retrouve les trois fleurs de lys au centre du bandeau dans B et C.

En ce qui concerne les différences de bandeaux, l’exemplaire A comporte donc des « papillons » collés au centre des bandeaux utilisés par l’imprimeur aux pages 28, 56 et 83. A. Riffaud émet l’hypothèse d’un propriétaire de l’exemplaire qui à l’époque de la Révolution française aurait cherché à masquer les marques de la monarchie que constituent les fleurs de lys de ces bandeaux.

En outre, on constate que le cahier A de l’exemplaire A présente une composition différente de celle de B et C. A. Riffaud y voit le signe d’un incident de fabrication et évoque à ce sujet la probabilité d’une impression insuffisante du cahier A qui aurait nécessité un nouveau tirage et donc une seconde composition de ce cahier. Cependant, dans l’hypothèse d’un déficit du cahier A, le petit nombre d’exemplaires dont nous disposons ne nous permet pas de savoir avec certitude si notre exemplaire de base reflète le premier état du cahier ou sa deuxième version et on ne peut déterminer la chronologie des compositions successives.

Concernant les graphies §

p. 4 : « secert » dans A, mais « secret » dans B et C ; p. 8 (toujours dans le cahier A) : B et C présentent « A personne ? » là où l’on peut lire dans A : « A personne ».

Concernant la ponctuation §

P. 5 (dans le cahier A) B et C présentent : « il a quitté la ville, et doit passer en Flandre » (cette virgule figure également dans toutes les éditions ultérieures).

Concernant le texte §

Nous n’avons relevé aucune différence de contenu entre les différents exemplaires de la première édition, si ce n’est que ni l’épître dédicatoire ni la liste des acteurs suivie de la didascalie initiale ne figurent dans l’exemplaire B où l’on passe directement de la page de titre à la pièce.

Éditions ultérieures publiées du vivant de l’auteur §

Elles sont nombreuses si l’on compte les éditions pirates et les éditions successives des œuvres de Thomas Corneille dans lesquelles figure notre pièce, mais trois seulement constituent de véritables rééditions de l’œuvre avec des variantes et des corrections apportées par l’auteur. Nous les indiquerons en gras dans la liste qui suit et nous leur attribuerons une lettre pour faciliter leur désignation dans le reste de cette étude. Nous indiquerons à l’aide d’un sigle particulier les éditions qui présentent un état du texte analogue. Enfin, nous signalerons par une *astérisque les exemplaires auxquels nous n’avons pu avoir accès.

Éditions séparées de la pièce §

  • – ◊ Le Feint astrologue, Rouen, chez L. Maurry, et Paris, chez G. de Luyne, 1653. On l’appellera (a). L’exemplaire consulté est recensé sous la cote RES-YF-3099 sur le site de Tolbiac de la Bibliothèque nationale (il est relié avec quatre autres pièces de Thomas Corneille).
  • – ◊ Le Feint astrologue, Bruxelles, François Foppens, 1654. L’exemplaire consulté de cette contrefaçon figure dans un recueil factice recensé sous la cote 16-YF-986 (1) sur le site de Tolbiac de la Bibliothèque nationale (il est relié avec L’Amour à la mode).
  • – Lancaster209 et Losada-Goya210 recensent une autre édition pour cette même année : *Le Feint astrologue, Leyden, Elzevier, 1654. Nous n’en avons pas trouvé trace dans les catalogues des bibliothèques françaises.
  • – ◊ Le Feint astrologue, Paris, A. Courbé, 1655. L’exemplaire consulté figure dans la quatrième partie des Oeuvres de Corneille de 1654, qui est en réalité un recueil factice de quelques œuvres de Thomas Corneille, conservé sous la cote 8-RF-2648 (1) à la bibliothèque Richelieu.
  • – ◊ Le Feint astrologue, Paris, A. de Sommaville, 1656. L’exemplaire consulté figure dans un recueil factice conservé sous la cote 8-RF-2662 (1) à la bibliothèque Richelieu. Il présente la première version de l’épître.
  • – Losada-Goya211 recense une édition dont nous n’avons trouvé aucune trace: *Le Feint astrologue, Amsterdam, A. Wolfgang, 1662.
  • – □ Le Feint astrologue, suivant la copie imprimée à Paris, 1663. L’exemplaire consulté de cette édition pirate est conservé sous la cote 8-RF-2674 à la bibliothèque Richelieu. Y figure la gravure précédemment évoquée en frontispice ainsi que la seconde version de l’épître. Il s’agit peut-être de l’édition recensé par Losada-Goya212 dans sa Bibliographie critique : Amsterdam, A. Wolfgang, 1663. La date y est en effet indiquée avec un chiffrage hollandais.
  • – □ Le Feint astrologue, sans nom de libraire, suivant la copie imprimée à Paris, 1688. L’exemplaire consulté de cette édition pirate est conservé à la bibliothèque de l’Arsenal sous la cote GD-10314. Il ne présente pas de gravure en frontispice.
  • – *Le Feint astrologue, suivant la copie imprimée à Paris, 1688. Losada-Goya213 attribue cette édition pirate à A. Wolfgang, 1688. Cet exemplaire est conservé sous la cote 8-YF-1442 (2) sur le site de Tolbiac de la Bibliothèque nationale, mais il n’était pas consultable lors de nos recherches.
  • – □ Le Feint astrologue, sans nom de libraire, suivant la copie imprimée à Paris, 1689. L’exemplaire consulté figure dans un recueil factice intitulé Tragédies et comédies de Thomas Corneille conservé sous la cote 80EE 426(2) INV470 RES à Paris, à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Losada-Goya214 attribue cette édition pirate à A. Wolfgang, Amsterdam, 1689.

Éditions collectives des œuvres de l’auteur dans lesquelles figure Le Feint astrologue §

  • – □ Poëmes dramatiques de Thomas Corneille, part. 1, Rouen, Paris, A. Courbé et G. de Luyne, 1661. On l’appellera (b). L’exemplaire consulté est recensé sous la cote YF-2562 sur le site de Tolbiac de la Bibliothèque nationale. Il présente une nouvelle version de l’épître (cf. annexe 2) et une gravure en frontispice (cf annexe 5) qui représente la scène III, 8 : elle figure la fuite de Léonor à la vue de D. Juan qu’elle prend pour un fantôme, dans un cabinet situé à gauche au fond de la scène, tandis que la suivante, Jacinthe, qui a déjà laissé tomber la chandelle qui gît encore fumante à terre, est cachée sous la table, sur laquelle est représentée la chandelle encore allumée que la suivante renversera en même temps que la table, pour fuir à la fin de la scène.
  • – □ Poëmes dramatiques de Thomas Corneille, part. 1, Rouen, Paris, A. Courbé et G. de Luyne, 1665. L’exemplaire consulté est conservé sous la cote 8-RF-2650 à la bibliothèque Richelieu. Il présente la gravure précédemment évoquée en frontispice.
  • – □ Poëmes dramatiques de Thomas Corneille, part. 1, Rouen, Paris, G. de Luyne, 1669. L’exemplaire consulté est recensé sous la cote YF-2565 sur le site de Tolbiac de la Bibliothèque nationale. Il ne présente pas la gravure en frontispice.
  • – □ Poëmes dramatiques de Thomas Corneille, part. 1, Paris, G. de Luyne, 1682. L’exemplaire consulté est recensé sous la cote 8-RF-2652 (1) à la bibliothèque Richelieu.
  • – ○ Poëmes dramatiques de Thomas Corneille, part. 1, Paris, G. de Luyne, 1692. On l’appellera (c) L’exemplaire consulté est recensé sous la cote YF-2573 sur le site de Tolbiac de la Bibliothèque nationale. Il ne présente pas la gravure en frontispice.
  • – *Le Théâtre de Thomas Corneille, revu, corrigé et augmenté de diverses pièces nouvelles, part. 1, suivant la copie imprimée à Paris, 1692. L’exemplaire 16-YF-1195 (1) de la Bibliothèque nationale n’était pas consultable lors de nos recherches.
  • – ○ Le Théâtre de Thomas Corneille, part. 1, Nouvelle Édition revuë, augmentée des Pieces dont l’Avis au lecteur fait mention et enrichie de tailles-douces, Amsterdam, H. Desbordes, 1701. L’exemplaire consulté de cette contrefaçon est conservé sous la cote YF-2547 sur le site de Tolbiac de la Bibliothèque nationale. Il présente la gravure précédemment évoquée en frontispice.
  • – ○ Poëmes dramatiques de Thomas Corneille, part. 1, Paris, P. Trabouillet, 1706. L’exemplaire consulté est conservé sous la cote 8-BL-12744 (1) à la bibliothèque de l’Arsenal. Il ne présente pas la gravure en frontispice.
  • – ○ Poëmes dramatiques de Thomas Corneille, part. 1, Paris, C. Osmont, 1706. L’exemplaire consulté est conservé sous la cote YF-2583 sur le site de Tolbiac de la Bibliothèque nationale. Il ne présente pas la gravure en frontispice.
  • – ○ Le Théâtre de Thomas Corneille, part. 1, Nouvelle Édition revuë, augmentée des Pieces dont l’Avis au lecteur fait mention et enrichie de tailles-douces, Amsterdam, frères Chatelain, 1709. L’exemplaire consulté figure dans le catalogue numérisé de la Bnf sous la cote NUMM-73803 (l’ouvrage n’était pas communicable). Il présente la gravure précédemment évoquée en frontispice, mais l’épître n’y figure pas.

Les variantes significatives des différentes éditions ultérieures figurent en note dans le texte de notre édition, à l’exception de la deuxième version de l’épître qui apparaît dans l’annexe 2. On a constaté que la plupart des variantes apportées dans l’édition (b) résultent d’une volonté de prononcer « D. Juan » en diérèse, ce qui suppose un réajustement des vers où figure ce nom. Quant aux variantes de graphie, trop nombreuses pour être signifiantes, nous ne les avons pas relevées. On peut enfin remarquer que le découpage scénique est variable d’une édition à l’autre : les actes I, II et III de l’édition (a) comptent ainsi respectivement sept, six et six scènes et les actes I, II et III des éditions (b) et (c) comptent tous sept scènes.

Établissement du texte : liste des corrections opérées §

Concernant les graphies §

Nous avons respecté la graphie de l’édition originale, y compris l’accentuation ou l’absence d’accentuation. Nous avons également fait la distinction entre i et j et entre u et v. L’usage des tildes qui notent la nasalité d’une voyelle en permettant un gain d’espace pour les imprimeurs est restreint dans notre texte : on en compte dix (cinq figurant dans des didascalies et cinq dans des répliques, réparties comme suit : deux dans le cahier F, un dans le cahier I, un dans le cahier K, un dans le cahier O, deux dans le cahier P, un dans le cahier R et un dans la cahier S). Dans chaque cas nous avons rétabli la graphie courante correspondante, c’est-à-dire une voyelle + une consonne nasale. En outre, nous avons systématiquement développé les & en et.

Nous avons relevé un certain nombre de coquilles orthographiques que nous avons corrigées entre crochets [ ] dans le texte de la présente édition : v. 43 : « secert » corrigé en « secret » (cette coquille n’apparaît d’ailleurs pas dans les exemplaires B et C, ni dans les éditions ultérieures) ; v. 283 : « elle mesme » corrigé en « elle-mesme » ; v. 1017 : « vus » corrigé en « vous » ; v. 1704 : « moy mesme » corrigé en « moy-mesme ».

De même, dans le « Privilege », nous avons rectifié « mandons » là où l’on pouvait lire « mandos » dans tous les exemplaires de la première édition, ainsi que « des presentes » là où le texte de 1651 présentait « de présentes ».

Concernant la ponctuation §

Nous avons respecté la ponctuation, y compris lorsqu’elle semblait contrevenir à l’usage courant. Lorsqu’il s’agissait clairement d’une coquille, nous l’avons rectifiée : v. 69 : « Et malgré tout cela tu veux qu’ils soient d’accord. » : nous avons remplacé le point par un point d’interrogation, conformément au sens interrogatif de la phrase ; v. 111 : « Luy-mesme, » : nous avons remplacé la virgule par un point-virgule ; v. 193 : « Vous craignez le vieillard. » : nous avons remplacé le point par un point d’interrogation (c’est d’ailleurs un point d’interrogation qui figure dans les éditions ultérieures) ; v. 268 : « C’est d’un peuple grossier l’ordinaire foiblesse, » : nous avons remplacé la virgule par un point à la fin de cette phrase (c’est d’ailleurs un point qui figure dans les éditions ultérieures) ; v. 284 et 286 : « à la voir me convie ; » et « j’en attends le succez, » : nous avons inversé les ponctuations de ces deux vers ; v. 515 : « Du trop heureux D. Juan j’ay sçeu la feinte absence, » : nous avons remplacé la virgule par un point à la fin de cette phrase ; v. 1462 : « Depuis que je le sers, je suis demy Sorcier, » : nous avons remplacé la virgule par un point à la fin de cette phrase (même coquille dans A, B et C, rectifiée dès la seconde édition, de 1653) ; v. 1524 : « Cours viste de ce pas dresser ton équipage, » : nous avons remplacé la virgule par un point à la fin de cette phrase ; v. 1667 : « Il meurt d’amour pour vous, vous le croyez encore. » : nous avons remplacé le point par un point d’interrogation, conformément au sens interrogatif de la phrase ; v. 1732 : « A peine bien souvent y gagne-t’on le double, » : nous avons remplacé la virgule par un point à la fin de cette phrase ; v. 1848 : « Et pour nous dérober vous vous cachiez peut-estre. » : nous avons remplacé le point par un point d’interrogation, conformément au sens interrogatif de la phrase.

Concernant le chiffrage des scènes §

p. 78 : la scène présente une numérotation erronée : « SCENE VI » rectifiée en « SCENE VII ». Dès la scène suivante, la numérotation reprend normalement.

LE FEINT ASTROLOGUE COMEDIE. §

A MONSIEUR B. Q. R. I.215 §

{p. III}

MONSIEUR,

Je crains bien de me rendre un mauvais office* en voulant m’acquiter d’une debte216, et je doute si je ne détruis point l’estime* que vous m’avez témoigné faire de cet ouvrage, quand je tâche de la recognoistre217 par le present que je vous en218 fais219. Le Theatre luy a donné des graces qu’il est bien difficile qu’il conserve dans le cabinet220, et ces sortes de Poëmes ne pouvant estre soustenus ny par la majesté221 des vers, ny par la beauté des pensées, l’on en voit fort peu qui ne perdent presque tous leurs advantages hors de la bouche de ceux qui sçavent en relever la simplicité du style. Ainsi j’ay sujet d’apprehender que cette Comedie dont la representation vous a diverty tant de fois, ne vous semble froide sur le papier, et que vous n’ayez peine à y remarquer les mesmes naïfvetez qui vous ont fait rire, accompagnées de la grace de l’action222. Si vous avez la curiosité de la lire en original, et de voir si j’ay bien [IV] exactement suivy mon guide Espagnol, vous la trouverez dans la seconde partie de celles de Calderon, qui l’a traitée sous le mesme tiltre223 de El Astrologo Fingido224. Pour moy, je me serois contenté du succez qu’elle a eu au Theatre, sans l’abandonner à la Presse225, si je n’avois voulu détromper beaucoup de personnes qui en ont crû mon Frere l’Autheur226, à cause de la conformité du nom qui m’est commun avec luy. Trouvez donc bon, MONSIEUR, que je prenne icy l’occasion de les tirer d’une erreur, qui fait tort à sa reputation, et que je les asseure que cette Piece, bien loin d’estre un coup de maistre, n’est que le coup d’essay de

Vostre tres-humble serviteur,

T. CORNEILLE.

ACTEURS. §

  • LEONARD pere de Lucrece.
  • D. JUAN amant* de Lucrece, et aymé de Leonor.
  • D. FERNAND.
  • D. LOPE amoureux* de Leonor.
  • D. LOUIS amy de D. Fernand et de D. Lope.
  • LUCRECE maistresse* de D. Juan.
  • LEONOR amoureuse* de D. Juan et aymée de D. Lope.
  • BEATRIX servante de Lucrece.
  • JACINTE suivante de Leonor.
  • MENDOCE vieux domestique de Leonard.
  • PHILIPIN valet de D. Fernand.
La Scene est à Madrid.
[A, 1]

ACTE I.

LE FEINT ASTROLOGUE COMEDIE. §

SCENE PREMIERE. §

D.FERNAND, PHILIPIN.

D. FERNAND.

Que ce que tu me dis m’embarasse l’esprit !
Est-il vray, Philipin ?

PHILIPIN.

Beatrix me l’a dit.

D. FERNAND.

Que Lucrece en effet…

PHILIPIN.

{p. 2}
Ouy, que vostre Lucrece
N’auroit jamais pitié de l’ardeur qui vous presse,
5 Que vous faisiez en vain de l’amoureux transy227,
Et qu’elle avoit sujet de vous traiter ainsi.

D. FERNAND.

Enfin de ses mépris je devine la cause,
Sans doute elle ayme228 ailleurs.

PHILIPIN.

Je croy229 la mesme chose,
Au discours de tantost* je l’ay trop recognu230 ;
10 Et si le bon vieillard ne fut point survenu,
J’allois sçavoir, Monsieur, tout au long le mystere231,
Estre fille* suffit pour ne se pouvoir taire,
Puisqu’il n’en fut jamais qui dans l’occasion*232
Peust garder un secret sans indigestion.

D. FERNAND.

15 Si bien que Beatrix…

PHILIPIN.

Cessez d’estre en cervelle233,
J’en sçauray tout, vous dis-je, et je vous répons d’elle ;
Car soit pour me trouver l’esprit un peu gaillard*,
Soit pour me voir comme elle assez grand babillard*234,
J’ay le don de luy plaire, et sur tout la methode235
20 Dont nous traitons l’amour n’est pas fort incommode, {p. 3}
Elle n’engage à rien : Mais, Monsieur, franchement ?
Ne vous lassez-vous point d’aymer si constamment* ?
Autrefois en tous lieux vous disiez, Je vous ayme,
A peine un demy-jour vous estiez à la mesme,
25 Et cependant Lucrece avec tous ses mépris
Vous tient depuis un mois de ses beautez épris !
C’est estre bien <entryFree mode="a">changé*.

D. FERNAND.

Philipin, je confesse
Que je romps ma coustume en faveur de Lucrece :
Mais écoute, c’est trop te laisser alarmé
30 De ce qu’un mesme objet* soit si long-temps aymé.
Si l’Amour m’engagea d’abord à son service*,
Aujourd’huy cet amour n’est plus rien qu’un caprice*,
Son peu de complaisance à flatter* mon espoir
Est l’unique raison qui m’oblige à la voir ;
35 Non pas que sa personne en effet me soit chere,
Mais parce que je prends plaisir à luy déplaire,
Et me vanger sur elle, en la persecutant,
De la honte que j’ay qu’on m’estime constant*.

PHILIPIN.

Quel tort je vous faisois faute de bien l’entendre* !
40 Ainsi donc les devoirs* que vous semblez luy rendre
Ne sont plus un effet de vostre passion ?

D. FERNAND.

{p. 4}
Je la sers* seulement par obstination,
Et si quand je luy dis236 le sec[re] t de mon ame
Avec moins de rigueur elle eust traité ma flame,
45 Dans ma façon de vivre et suivant mon humeur*
Une autre eust eu237 bien-tost le present de mon cœur :
Mais voir qu’à contre-temps238 on prenne un front severe239,
Qu’un soupir, qu’un regard fasse entrer en cholere,
C’est lors* que je m’obstine à faire les yeux doux.240

PHILIPIN.

50 Qu’il fait mauvais, Monsieur, avoir affaire à vous !
Quoy ? quand de vous aymer on se trouve incapable
On n’ose l’advoüer sans se rendre coupable !
Ah, Lucrece a grand tort avec tous ses refus.241
Mais quand pretendez-vous enfin n’y penser plus ?

D. FERNAND.

55 Lors que par ton adresse et par ton entremise
Je cognoistray celuy pour qui l’on me méprise.

PHILIPIN.

C’est peut-estre D. Juan.

D. FERNAND.

D. Juan ?

PHILIPIN.

{p. 5}
Ouy, ce D. Juan242
Qui, comme vous sçauez, la sert* depuis un an.
Vous riez !

D. FERNAND.

Le party seroit pour elle honneste*,
60 Et ne m’a point encor243 donné martel en teste*.

PHILIPIN.

Quoy que pauvre, il peut plaire.

D. FERNAND.

Ah, ne présume pas
Que jamais tant d’orgueil jette les yeux si bas.
Elle a le cœur trop haut pour souffrir un tel maistre,
Et chacun sçait icy ce que D. Juan peut estre244 ;
65 Outre qu’il n’en receut jamais que des mépris.245    

PHILIPIN.

C’est quelquefois par là que les plus fins sont pris,
Ce peut estre une feinte*.

D. FERNAND.

Et la peux-tu comprendre ?
Il a quitté la ville et doit passer en Flandre,
Et malgré tout cela tu veux qu’ils soient d’accord246[ ? ]

PHILIPIN.

70 On voit assez souvent…

D. FERNAND.

{p. 6}
Tay-toi247, Beatrix sort,
Tâche à248 t’en éclaircir, fay qu’elle se declare,
J’attends à ce détour l’heure qui t’en separe249.

PHILIPIN.

Je sçay quel est mon roole, et je le joüeray bien.

SCENE II. §

PHILIPIN, BEATRIX.

BEATRIX.

A quoy donc penses-tu ?

PHILIPIN.

Moy ? je ne pense à rien.

BEATRIX.

75 Resver* en me voyant, en voyant ce qu’250on ayme !

PHILIPIN.

Mon maistre n’ayme plus, je n’ayme plus de mesme.

BEATRIX.

Tout de bon*, Philipin ?

PHILIPIN.

{p. 7}
Tout de bon*, Beatrix.

BEATRIX.

Tu veux m’abandonner, toy ?

PHILIPIN.

Moy mesme.

BEATRIX.

Tu ris251,
Et peut-estre demain…

PHILIPIN.

Cela va sans peut-estre,
80 Un valet suit tousjours la fortune d’un maistre :
Fay qu’on ayme le mien, et tu verras qu’apres,
S’il faut mourir pour toy, je mourray tout exprés.

BEATRIX.

Ne me demande point une chose impossible.

PHILIPIN.

Ta maistresse à l’amour est donc bien insensible ?

BEATRIX.

85 Non pas tant, mais…

PHILIPIN.

Quoy, mais ?

BEATRIX.

Mon pauvre Philipin,
Tu m’avois tant promis… {p. 8}

PHILIPIN.

Venons au mais enfin,
Poursuy.

BEATRIX.

Que te diray-je ?

PHILIPIN.

A quel dessein* Lucrece
Traite ainsi D. Fernand avec tant de rudesse,
Et si l’aymer encore est pour luy temps perdu.

BEATRIX.

90 Je te le dirois bien, mais il m’est défendu :
Si pourtant tu jurois de garder le silence…

PHILIPIN.

Va, dy moy ton secret avec toute asseurance,
Je suis fort taciturne, et tel que tu me vois
Je ne conte jamais qu’une chose à la fois,
95 Avec peu de raison ta crainte me soupçonne.

BEATRIX.

Tu n’en diras donc mot ?

PHILIPIN.

Mot du tout252.

BEATRIX.

A personne ?

PHILIPIN.

[B, 9]
Non.

BEATRIX.

Tu me le promets ?

PHILIPIN.

Est-ce fait ?

BEATRIX.

Jure tost253.

PHILIPIN.

Ouy, foy* de Philipin, juray-je254 comme il faut ?

BEATRIX.

Non pas mesme à ton maistre ?

PHILIPIN.

Est-ce à dessein de rire ?
100 Dy le moy tout d’un coup si tu me le veux dire,
Pourquoy tant de façons ? vois-tu, sans te flatter*
Si je meurs pour l’oüyr, tu meurs pour le conter255,
Tant de précaution est icy ridicule.

BEATRIX.

Tu sçauras donc enfin…

PHILIPIN.

Parle sans préambule.

BEATRIX.

105 Que si tu vois tousjours ton maistre mal-traité,
C’est parce que Lucrece…

PHILIPIN.

{p. 10}
Ayme d’autre costé ?

BEATRIX.

Tu devines !

PHILIPIN.

Et bien ? le nom du personnage ?
Acheve.

BEATRIX.

Tu veux donc en sçavoir davantage ?

PHILIPIN.

Ah, d’un homme d’honneur* c’est trop se défier,
110 Tu le nommes ?256

BEATRIX.

D. Juan.

PHILIPIN.

Ce pauvre Cavalier* ?

BEATRIX.

Luy-mesme[;] il est galand*, noble, de bonne mine*.

PHILIPIN.

Et la galanterie* échauffe la cuisine257 !

BEATRIX.

Elle l’adore enfin.

PHILIPIN.

Ma foy, tu m’interdis*.
Mais s’il en est aymé comme tu me le dis, {p. 11}
115 Pourquoy l’abandonner pour s’en aller en Flandre ?

BEATRIX.

Chacun le croit icy comme il l’a fait entendre,
Mais dans un tel voyage, à te parler sans fard,
S’il estoit pris des Turcs258 nous courrions grand hazard*.

PHILIPIN.

A ce conte259, il est donc en pays d’asseurance ?

BEATRIX.

120 Entre nous deux il l’est, et plus qu’on ne le pense,
Dans Madrid.

PHILIPIN.

Dans Madrid !

BEATRIX.

Et n’en a point sorty260.

PHILIPIN.

Qui diable eust jamais crû qu’il eust si bien menty,
Et que pour mieux tromper tout autre que Lucrece,
Il eust fait ses Adieux avecque261 tant d’adresse !

BEATRIX.

125 Ainsi depuis huict jours que tu le crois absent
Il voit de nuict Lucrece, et Lucrece y consent.
Juge que peut ton maistre esperer de sa flame.

PHILIPIN.

{p. 12}
Mais ne craint-elle point qu’un voisin la diffame ?
Car enfin il en est qui pendant tout un mois
130 Comme des loups garous262 ne dorment qu’une fois.
Leur curieuse humeur* tousjours les inquiete*,
Et si dans le quartier il est quelque amourete,
Du soir jusqu’au matin ils demeurent au guet
Pour tenir bon papier de tout ce qui s’y fait263.

BEATRIX.

135 Pour s’en mettre à couvert, l’accord est fait de sorte,
Qu’il va droit au jardin par une fausse porte,
Je la laisse entr’ouverte, et là commodement
Lucrece l’entretient* de son apartement,
Sa fenestre y respond264.

PHILIPIN.

La partie est bien faite265 ;
140 Mais quand il l’a quittée, où fait-il sa retraite* ?

BEATRIX.

Chez D. Lope, où de jour il garde la maison266,
Sans que D. Lope mesme en sçache la raison,
Sous un autre pretexte il le loge, et je pense
Qu’ils ne m’auroient pas mis267 dedans leur confidence
145 S’ils avoient eu moyen de se passer de moy,
Mais Adieu, touche268.

PHILIPIN.

{p. 13}
Adieu.

BEATRIX.

Tu me promets ta foy*,
Philipin ?

PHILIPIN.

Quelle foy*269 ?

BEATRIX.

Celle de Mariage.

PHILIPIN.

Va, je te la promets quand nous serons en aage270.

SCENE III. §

PHILIPIN.

C’est donc là cet honneur* qu’elle nous vantoit tant !
150 Ah combien en est-il de ce sexe inconstant271
Qui contrefont* de jour une vertu* parfaite,
Et la laissent de nuict dormir sous leur toilete !272
Donc l’amour à Lucrece a broüillé le cerveau !
Qu’un secret à garder est un pesant fardeau ! {p. 14}
155 J’enrage* pour le dire, et je me persuade,
Pour peu que je l’ay teu, que j’en seray malade273.274
Mais mon maistre revient, voicy ma guerison.

SCENE IV. §

D. FERNAND, PHILIPIN.

D. FERNAND.

Et bien ? de ma disgrace* as-tu sçeu la raison ?
Lucrece a-t’elle ailleurs engagé sa franchise* ?
160 Est-ce hayne, est-ce orgueil qui fait qu’on me mesprise275 ?
Tu ne me répons rien, es-tu sourd, ou sans voix ?
Pourquoy grincer les dents, et te serrer les doigts ?
Parle, es-tu possedé ?

PHILIPIN.

Monsieur, laissez-moy faire.

D. FERNAND.

Dy donc ce que tu fais.

PHILIPIN.

Je tâche de me taire,
165 On me l’a commandé, mais pour ne rien cacher, {p. 15}
Des-ja, loing d’obeyr, je suis las de tâcher,
Qui ne vous a jamais donné martel en teste*,
Ce D. Juan dont tantost* je vous avois parlé,
170 Qui fait croire par tout qu’en Flandre il est allé,
Par l’ordre de Lucrece, et sans qu’aucun le sçache,
En secret dans Madrid chez D. Lope se cache.

D. FERNAND.

Que dis-tu, par son ordre ?

PHILIPIN.

Il en est adoré.

D. FERNAND.

Quoy, D. Juan est icy ?276

PHILIPIN.

Rien n’est plus asseuré,
175 Il a feint* ce depart pour vous donner la baye*.

D. FERNAND.

Si277 faut-il toutefois qu’un des deux me la paye278.279

PHILIPIN.

Et que resolvez vous ?

D. FERNAND.

Le dessein* en est pris,
Je veux revoir Lucrece.

PHILIPIN.

{p. 16}
Ah, pauvre Beatrix !
Monsieur, vous parlerez, sa fortune est perduë*.

D. FERNAND.

180 Non, croy moy.

PHILIPIN.

Dequoy donc vous guerira sa veuë ?

D. FERNAND.

Je veux me rire d’elle, et pour me vanger mieux
Luy jurer de nouveau que j’adore ses yeux :280
Si j’en suis méprisé, du moins j’auray la joye
De la payer sur l’heure en la mesme monnoye,
185 La railler doucement, et luy faire sentir281
Que je n’ay fait l’amant que pour me divertir*.
Mais d’un si rare amour acheve moy l’histoire,
D. Juan la voit de nuict à ce que je puis croire ?282
Apres tout, son bonheur me rend un peu jaloux.

PHILIPIN.

190 Suffit283 jusqu’à tantost* . D. Louys vient à vous.

D. FERNAND.

Laisse moy luy parler, et cours avec adresse*
T’informer d’un voisin si je puis voir Lucrece,
C'est à dire…

PHILIPIN.

{p. C, 17}
J’entens*. Vous craignez le vieillard[ ? ]

D. FERNAND.

Va donc.

SCENE V. §

D. FERNAND, D. LOUYS.

D. LOUYS.

De vostre joye, amy, faites moy part.
195 Vous me semblez tout gay. Pour moy je m’imagine
Que Lucrece à present vous fait meilleure mine*,284
Son cœur est adoucy, je le juge à vous voir.

D. FERNAND.

Au contaire, jamais je n’eus si peu d’espoir,
Tout est perdu pour moy quelque effort que je fasse.

D. LOUYS.

200 Peut-on vous consoler d’une telle disgrace* ?

D. FERNAND.

A vous dire le vray*, je la perds sans regret,
Et si vous estiez homme à garder un secret… {p. 18}

D. LOUYS.

Vous n’en pouvez douter sans me faire une injure*.

D. FERNAND.

Sçachez donc en deux mots quelle est mon advanture*.
205 J’ay découvert pourquoy l’on m’a traité si mal ;
Par ces mépris Lucrece obligeoit* un Rival,
Depuis un an285 elle ayme, on me le vient d’apprendre,
Jugez si j’ay raison de n’y plus rien pretendre.

D. LOUYS.

Quoy, Lucrece aymeroit ?...

D. FERNAND.

C’est de quoy286 s’estonner,
210 Qu’on ait touché son cœur, qu’elle ait pû le donner,
Elle qui se parant d’une vertu* forcée287
Du moindre mot d’amour se tenoit offencée.

D. LOUYS.

Mais de grace, quel est288 cet heureux qui luy plaist ?

D. FERNAND.

Vous serez estonné quand vous sçaurez qui c’est.
215 D. Juan.

D. LOUYS.

Vous me raillez*, ou bien on vous abuse*.

D. FERNAND.

Croyez qu’il est ainsi289, son depart n’est que ruse,
Pour la voir sans soupçon il fait courir ce bruit*, {p. 19}
Voyez le digne choix, et pour qui l’on me fuit,
Pour un homme sans biens*.

D. LOUYS.

Perdez cette croyance,
220 Je cognoy trop Lucrece, et je sçay d’asseurance*
Que D. Juan en secret brûle d’un autre feu.290

D. FERNAND.

Pour qui ?

D. LOUYS.

Pour Leonor.

D. FERNAND.

Vous la cognoissez ?

D. LOUYS.

Peu,
Et je sçay seulement qu’elle est assez galante*,
Qu’elle vit chez un Oncle, et que D. Juan la hante*;291
225 Ce peut estre en effet par obligation*
Autant et plus encor que par affection,
Il doit à Leonor beaucoup plus qu’on ne pense292,
Son plus intime amy m’en a fait confidence,
Et se tiendroit heureux que l’on vous eust dit vray.

D. FERNAND.

230 Mais c’est de Beatrix enfin que je le sçay.
J’en puis parler sans doute, et je me desespere {p. 20}
D’estre pour l’amour d’elle293 obligé de me taire :
Mais pour ne vous pas dire un secret à demy294,
Il se tient tout le jour caché chez vostre amy,
235 Chez D. Lope.

D. LOUYS.

Le Ciel à propos me l’envoye,
Je vay sçavoir de luy ce qu’il faut que j’en croye,
Il m’advoüera le tout si je ne suis deçeu*.
Adieu, je vous diray ce que j’en auray sçeu.

SCENE VI. §

D. LOPE, D. LOUYS.

D. LOUYS.

Et quoy ? tousjours resveur*.

D. LOPE.

Et tousjours miserable*.

D. LOUYS.

240 D. Lope, quel malheur de nouveau vous accable ?

D. LOPE.

{p. 21}
Pourquoy m’obligez-vous à vous redire encor
Que depuis si long-temps j’adore Leonor,
Et qu’un amy l’aymant, je suis dans la contrainte
De n’oser seulement me permettre la plainte ?
245 Il n’est point de tourments* qui puissent égaler
Celuy d’aymer beaucoup et n’oser en parler.

D. LOUYS.

Un semblable respect* en vain vous embarasse,
D. Juan par son depart vous a cedé sa place,295
L’occasion est belle, allez offrir vos vœux*.

D. LOPE.

250 Je n’en suis pas, amy, de beaucoup plus heureux.

D. LOUYS.

De vray*, mais entre nous, quelqu’un me vient d’apprendre
Qu’il termine en Madrid son voyage de Flandre.

D. LOPE.

Qui peut vous l’avoir dit ?

D. LOUYS.

Bien plus, il court un bruit*
Qu’il est caché chez vous, et ne sort que de nuict.
255 Sans faire le surpris* advoüez moy la debte296.297

D. LOPE.

{p. 22}
J’avois creu jusqu’icy l’affaire fort secrette.

D. LOUYS.

Elle l’est en effet, et vous craignez en vain :
Mais que peut-il pretendre, et quel est son dessein ?

D. LOPE.

Sans avoir penetré plus avant dans son ame
260 J’ay sçeu que cette feinte* importoit à sa flame,
Et j’ose présumer à ce qu’il m’en a dit,
Qu’un peu de jalousie embroüille son esprit,
Et que par ce faux bruit* d’une si longue absence
Il veut sçavoir au vray* ce que Leonor pense,
265 Luy voir mettre pour luy ses sentiments au jour298,
Et par son déplaisir* juger de son amour.

D. LOUYS.

Le bruit* court toutefois qu’il adore Lucrece.

D. LOPE.

C’est d’un peuple grossier* l’ordinaire foiblesse[.]
Parce qu’il est galand*, et voit cette beauté,
270 Quoy qu’il en soit tousjours assez mal écouté,
On veut croire son cœur esclave de ses charmes,
Et mesme Leonor en a versé des larmes ;
Mais il a sçeu tousjours s’en défendre si bien,
Qu’elle a trop299 recognu qu’il n’en fut jamais rien.

D. LOUYS.

{p. 23}
275 Est-elle encor la mesme ?

D. LOPE.

Ouy, tousjours trop fidelle.
C’est peu qu’il soit party sans prendre congé d’elle300,
Elle-mesme avec soing cherche à l’en excuser,
Et m’oste chaque jour tout lieu de rien oser.
Cependant, et c’est là que ma peine* est extresme,
280 Je luy rends des devoirs* pour luy contre moy-mesme,
Je la vois pour luy plaire301, et pour l’entretenir*
D’un feu qui n’est que trop dedans son souvenir,302
Au seul nom de D. Juan elle[-] mesme ravie*,303
Pour en parler souvent, à la voir me convie[, ]
285 Et moy sans perdre espoir j’en attends le succez304[;]305
Ce m’est tousjours beaucoup d’avoir chez elle accez,
Et peut-estre qu’un jour si par quelque caprice*
Le Sort* pour les broüiller use de sa malice*,
Elle se souviendra que l’on voit rarement
290 Que qui fut bon amy soit infidelle Amant.

D. LOUYS.

Je le souhaite ainsi, mais Adieu, je vous quitte,
C’est trop vous empescher de luy rendre visite.

SCENE VII.306 §

{p. 24}

D. LOPE.

En quel fascheux* estat me trouvay-je307 reduit !
Tout le soin* que je prens m’est contraire et me nuit,
295 O cruauté du Ciel qui n’eut jamais d’exemple !
Mais ne la voy-je point qui vient icy du Temple308 ?
C’est elle, Amour, cessons de craindre son couroux,
Parlant pour un amy, parlons un peu pour nous,
Et s’il faut succomber sous le sort* qui nous brave,
300 Qu’elle apprenne du moins qu’elle a plus d’un esclave.

SCENE VIII.309 §

{p. D, 25}
D. LOPE, LEONOR, JACINTE.

LEONOR.

C’est un bonheur pour moy de vous avoir trouvé.
D. Juan à Sarragoce enfin est arrivé,310
Et du moins* une lettre appaise ma cholere ?

D. LOPE.

Madame, j’en attends tantost* par l’Ordinaire*.

LEONOR.

305 Si je m’en plains, D. Lope, au moins j’en ay bien lieu.
M’avoir ainsi quittée, et sans me dire Adieu !

D. LOPE.

Daignez juger par là de l’excez de sa flame,
L’eust-il pû prononcer, et ne pas rendre l’ame,
Voir un si grand merite* et des charmes si doux,
310 Et dire sans mourir, Je prens congé de vous ?311

LEONOR.

D. Lope, en sa faveur j’ayme que l’on m’abuse*,
Aussi bien* mon amour fait assez son excuse312,
Mais par quelque motif qu’il ait pû s’éloigner, {p. 26}
S’il m’aymoit, il a sçeu fort mal le témoigner.

D. LOPE.

315 Je ne l’excuse point, Madame, il est coulpable,
Je sçay de quels bienfaits* il vous est redevable,
Qu’à pleines-mains sur luy vous les avez versez313,
Que tousjours…

LEONOR.

Brisons-là314, D. Lope, c’est assez,
Un bienfait* perd sa grace alors qu’on le publie*,
320 Qui peut s’en souvenir merite qu’on l’oublie,
Et pour moy, si je l’ose advoüer aujourd’huy,
Je m’obligeois* moy-mesme en m’employant pour luy,
Je rendois seulement justice à son merite* ;
Je veux bien toutefois ne le pas tenir quitte,
325 En juger comme vous avec plus de rigueur,
Mais s’il m’est obligé*, c’est du don de mon cœur,
Et c’est de ce don seul qu’il faut qu’il se souvienne,
Si son affection est égale à la mienne.

D. LOPE.

C’est de ce don aussi qu’il fait le plus d’estat*315,
330 Et pour n’en estre pas entierement ingrat,
Dans la necessité de quitter ce qu’il ayme316
Il tâche à vous laisser la moitié de soy-mesme,
Il vous laisse en partant D. Lope auprés de vous,317 {p. 27}
Et comme l’amitié ne fait plus qu’un de nous,
335 Si son éloignement vous tient lieu de disgrace*,318
Je feray mon possible à bien remplir sa place319,
Des soûpirs* continus vous peindront ses ennuys*,320
Pour mieux estre D. Juan, j’oublieray qui je suis,321
Le beau feu qui l’anime échauffera mon ame,
340 Et par le doux effort de cette vive flame…

LEONOR.

Il me suffit, je crains que sous cette couleur*
Vous ne parliez enfin avec trop de chaleur,
Pour n’oüyr rien de plus, Adieu, je me retire,
L’amitié vous surprend* et vous en fait trop dire,
345 D. Lope, une autre fois322 soyez plus moderé.

D. LOPE.

Suivons le triste Sort* qui nous est preparé.

FIN DU PREMIER ACTE.

{p. 28}

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

LUCRECE, BEATRIX.

BEATRIX.

Madame, de nouveau je jure de me taire,
Mais encore apres tout que pretendez-vous faire ?

LUCRECE.

Que te puis-je répondre, et que demandes-tu ?
350 De cent soucys* divers mon cœur est combatu,
En l’estat où je suis moy-mesme je l’ignore.

BEATRIX.

Mais vous aymez D. Juan ?323

LUCRECE.

Dy plus, que je l’adore.

BEATRIX.

Voir en vous un amour et si prompt et si grand, {p. 29}
Madame, à dire vray, c’est ce qui me surprend ;
355 D. Juan plus de cent fois vous a fait voir sa peine*
Sans meriter de vous que mépris et que hayne,
Ce n’estoient que froideurs, ce n’estoient que refus,
Cependant en huict jours vostre cœur n’en peut plus !324

LUCRECE.

Ah, si pour moy D. Juan depuis un an soûpire*,325
360 Que n’ay-je point souffert* sans oser t’en rien dire !
Car pourquoy plus tenir ce secret enfermé ?326
Dés l’instant qu’il me vit, s’il m’ayma, je l’aymay,
Mais jugeant que mon pere en ayant cognoissance,
Pour un homme sans biens* auroit peu d’indulgence,
365 J’accusay fort long-temps mes yeux de trahison,
Cent fois à mon secours j’appellay ma raison.
Helas, combien en vain me suis-je défenduë
Avant qu’aymer327 en luy la vertu* toute nuë328 !329
Quels efforts n’ay-je faits330, jusqu’à forcer mon cœur
370 D’affecter des mépris et s’armer de rigueur !
Peut-on plus mal-traiter jamais ce que l’on ayme ?
Tu l’as veu, tu le sçais, et que D. Juan luy-mesme331
Lassé de voir son feu recompensé si mal
Fit dessein* de quitter un sejour si fatal*332,
375 Et qu’ennuyé* d’aymer sans voir rien à pretendre, {p. 30}
Il prit congé de moy pour s’en aller en Flandre.
Ce fut lors* que ce cœur n’osant se démentir
Fit ses derniers efforts pour le laisser partir,
Mais il n’estoit plus temps de s’armer de courage*,
380 D. Juan par sa presence avoit trop d’avantage,333
Et dans un tel rencontre334 en sçeut user si bien…335
Mais à quoy m’arrester, tu vis336 nostre entretien,
Et que son bon Destin pour braver mes caprices*337
Me fit en ce moment338 accepter ses services*,
385 Et malgré mon orgueil conclure enfin ce point
Qu’il feindroit* de partir, et ne partiroit point.

BEATRIX.

Vous avez merité sans doute d’estre plainte ;
Mais que peut à tous deux importer cette feinte* ?

LUCRECE.

Ce pretendu voyage avoit trop éclaté339
390 Pour l’oser ainsi rompre avec legereté,
A force d’en chercher la veritable cause
Peut-estre en eut-on pû deviner quelque chose,
Quitte ainsi pour un temps à se cacher de jour,
Et sous quelque couleur* feindre* apres son retour.
395 Mais voicy D. Fernand. O la veuë importune !

SCENE II §

{p. 31}
D. FERNAND, LUCRECE, BEATRIX, PHILIPIN.

D. FERNAND.

J’accuse avec raison ma mauvaise fortune.
On ne vous sçauroit voir340 ! tousjours seule chez vous !
De vous mesme à la fin je deviendray jaloux.

LUCRECE.

La retraite* me plaist, et chez moy solitaire
400 Du moins* je ne voy rien qui me puisse déplaire.
Qui vous porte à troubler le repos* où je suis ?

D. FERNAND.

Vous n’aurez donc jamais pitié de mes ennuys* ?

LUCRECE.

Plaignez-vous-en ailleurs, pour moy341 je les ignore.

D. FERNAND.

L’Amour…

LUCRECE.

Ne parlez point d’un Tyran que j’abhorre.

D. FERNAND.

{p. 32}
405 Mais un amant* qui souffre…

LUCRECE.

Ostez ce nom d’amant*,
Il me choque, il me blesse.

D. FERNAND.

Ah, c’est injustement,
Puisqu’avec moins d’appas* le Ciel vous eust formée,
S’il n’avoit pas voulu que vous fussiez aymée.

LUCRECE.

Ne finirez-vous point cet importun discours ?

D. FERNAND.

410 Voulez-vous estre aymable* et cruelle* tousjours ?
Que j’ay de passion pour de si grands merites* !

LUCRECE.

Que j’ay d’aversion pour ce que vous me dites !

D. FERNAND.

Que j’ayme ces beaux yeux ! qu’ils ont d’attraits pour moy !

LUCRECE.

Que je hay le Soleil qui fait que je vous voy !

D. FERNAND.

415 Ouy la Lune en effet vous est plus favorable,
Et vous fait voir sans doute un objet* plus aymable*.

LUCRECE.

[E, 33]
Que me voulez-vous dire ?

D. FERNAND.

Ah, de grace, il suffit,
A qui m’entend* assez je n’en ay que trop dit.

LUCRECE.

Par ce discours obscur vous voulez qu’on vous craigne.

D. FERNAND.

420 Je pourray l’éclaircir s’il faut qu’on m’y contraigne.

LUCRECE.

Je me retire donc apres un tel advis*,
Vous estes en cholere, et je crains de voir pis.

D. FERNAND l’arrestant.

Sans oüyr mes raisons ?

LUCRECE.

Je ne puis les entendre.

D. FERNAND.

Malgré vous toutefois je vous les veux apprendre.
425 C’est un procez d’amour où j’ay quelque interest,
Je vous en fais le Juge, et j’attends vostre Arrest ;
Mais ayant à loisir écouté ma partie,
Et peut-estre du fait estant mal advertie,
J’ose vous demander audience à mon tour342,
430 Puisqu’il l’a bien de nuict, je puis l’avoir de jour.
Je ne dis pas pourtant que de la mesme sorte {p. 34}
On me fasse couler par une fausse porte*,
Qu’on la laisse le soir entr’ouverte, et qu’enfin
Tout bas par la fenestre on me parle au jardin,
435 Que Beatrix au guet rompe toute surprise,
Qu’un galand* quoy qu’absent vienne à l’heure promise,
Qu’un voyage à dessein* soit long-temps publié*.

PHILIPIN bas.

Il a bonne memoire, il n’a rien oublié ;
Au diable soit le maistre avecque sa harangue.
440 Où me suis-je adressé pour joüer de la langue343 ?

LUCRECE.

Est-il vray, l’ay-je oüy ?

PHILIPIN à D. Fernand.

Monsieur, qu’avez-vous fait ?

D. FERNAND à Philipin.

D’un injuste mépris tu vois le juste effet.

LUCRECE.

Qu’on m’ait ainsi trahie ! helas, je suis perduë*[.]
Ah, Beatrix.

BEATRIX.

Croyez…

LUCRECE.

Tay-toy, tu m’as venduë.
445 Malheur à qui se fie à de pareils esprits.

PHILIPIN à D. Fernand.

{p. 35}
Voyez, on va chasser la pauvre Beatrix.

BEATRIX à Lucrece.

Pleust au Ciel que vous-mesme avec vostre cholere
N’eussiez pas advoüé ce que j’avois sçeu taire344,
Et que par ce reproche…

LUCRECE.

Encore un coup345, tay-toy.

PHILIPIN à D. Fernand.

450 Je puis avoir bon dos, tout va tomber sur moy.346

D. FERNAND à Philipin.

Que veux-tu, c’en est fait, mais pour moy, pour toy-mesme,
T[â] che à remedier à ce desordre extresme,
Tu n’es que trop adroit pour en venir à bout,
Invente, fourbe*, ments, jure, j’advoüeray tout.

LUCRECE à Beatrix.

455 C’est un point resolu, n’en dy pas davantage.

BEATRIX à Lucrece.

Et bien, vous le voulez, il faut plier bagage,
Mais je puisse347 à vos yeux si j’ay parlé de rien348

LUCRECE.

Ah, l’innocence mesme ! ô la fille* de bien* !

PHILIPIN à D. Fernand.

Monsieur, j’ay grande peine à bien mentir pour l’heure,
460 Celle-cy349 passera faute d’une meilleure. {p. 36}

D. FERNAND.

Bonne ou mauvaise enfin, parle, je t’ayderay.

PHILIPIN tout haut.

(à D. Fern.)
Deussiez-vous me chasser, Monsieur, je le diray.
(à Lucrece.)
Madame, escoutez-moy, que ce couroux s’appaise.
(à D. Fernand.)
Vous me faites en vain signe que je me taise.
(à Lucrece.)
465 Jamais de vostre amour Beatrix n’a parlé,
Et le Ciel, oüy, le Ciel luy seul l’a revelé.

LUCRECE.

Que dit cet importun ?

PHILIPIN.

Vous en doutez peut-estre ?
Mais sçachez en deux mots que D. Fernand mon maistre,
Celuy qu’icy present vous voyez interdit*,
470 Pour l’esprit qu’il possede a le corps trop petit.
Dedans l’Astrologie** il n’a point son semblable,350
Enfin c’est un prodige, ou plustost un vray diable**,
Rien pour luy n’est secret, et sans de grands efforts,
Je pense qu’il feroit mesme parler les morts.

BEATRIX.

475 Ton maistre est astrologue** !

PHILIPIN.

Astrologogissime351.

D. FERNAND.

{p. 37}
Sa fourbe* va bien-tost me mettre en bonne estime.
Quoy, maraut*

PHILIPIN.

Ouy, Monsieur.

BEATRIX.

Pleût à Dieu qu’on le crût.352

PHILIPIN.

Vous estes Astrologue**, ou jamais il n’en fut.
Je sçay qu’en l’advoüant je perds tous mes services*,
480 Mais j’ayme Beatrix Reyne des Beatrices353,
De tout soupçon icy j’ay deu la dégager.
(à Lucrece.)
Depuis plus de huict jours il me fait enrager*,
Il contemple le Ciel mesme aux nuicts plus obscures354,
Il feuillette un grand livre, et fait mille figures**,
485 C’est sans doute par là qu’il a sçeu vos amours.

D. FERNAND.

Donc, jaseur* insolent, tu causeras toûjours !
T’a-t’on icy gagé* pour conter une fable* ?

PHILIPIN.

Je n’ay rien dit, Monsieur, qui ne soit veritable.
Ne me fistes-vous pas encore hier au soir
490 Remarquer un jardin dedans un grand miroir,
Et quelque temps apres n’y vis-je pas paroistre
Un homme qu’attendoit Madame à sa fenestre ? {p. 38}
(à Lucrece.)
Je ne le pûs entendre alors qu’il vous parla355,
Mais parmy plus de cent je dirois, Le voilà,
495 Tant je me remets* bien son air* et son visage.

D. FERNAND à Lucrece.

Il me perdra* d’honneur356 s’il en dit davantage,
Et bien-tost à l’oüyr vous me croirez Sorcier** :357
Mais puisque je voudrois en vain vous le nier,
Madame, j’advoüeray qu’en mon voyage en France
500 Du grand Nostradamus358 j’acquis la cognoissance359,
Avec tant de bonheur qu’il m’enseigna son Art*,
Et n’eut point de secrets dont il ne me fit part.
Ce fut donc à hanter*360 ce rare et grand Genie
Qu’en assez peu de temps j’appris l’Astrologie** :
505 Mais pour oser icy m’en servir librement
Je cognoy trop le peuple et son déreglement*,
Il hait cette science*, et croit que qui l’exerce
Doit avec les démons** avoir quelque commerce* ;
Ainsi craignant sa langue et d’en faire l’essay*361,
510 J’ay tousjours avec soing caché ce que je sçay,
Tant que362 las de souffrir* vostre rigueur extresme,
J’en ay voulu sçauoir la cause de moy-mesme,
J’ay consulté le Ciel, et l’363ay trouvée enfin,
J’ay trouvé la fenestre avecque le jardin,
515 Du trop heureux D. Juan j’ay sçeu la feinte* absence[.]364 {p. 39}
Mais n’apprehendez rien de cette cognoissance,
Mon interest m’oblige icy d’estre discret,
Nostre sort* est pareil, c’est secret pour secret,
On vous a dit le mien, j’ay découvert le vostre,
520 Asseurez-moy de l’un, je vous répons de l’autre.

BEATRIX.

O l’habile homme !

PHILIPIN à Lucrece.

Et bien, vous avois-je menty ?

BEATRIX.

La verité, Madame, enfin prend mon party.
Pour moy j’avois bien sçeu par un confus murmure*
Qu’il se mesloit* un peu de la Bonne-advanture** ;
525 Mais je vous ay venduë, il a tout sçeu de moy365.

LUCRECE.

J’avois assez de peine à soupçonner ta foy*,
Mais enfin, Beatrix, sans son Astrologie**
Eust-il rien pû sçauoir à moins qu’on m’eust trahie ?

D. FERNAND à Philipin.

Tout va bien, Philipin, la fourbe* a reüssi.

PHILIPIN à D. Fernand.

530 La bonne Dame en tient366, et n’est pas sans soucy*,
Vous verrez son orgueil reduit à la priere.

LUCRECE.

{p. 40}
Genereux* D. Fernand, esprit plein de lumiere,
D’un amant dédaigné je craindrois le couroux
S’il falloit faire excuse à tout autre qu’à vous,
535 Mais dans le haut degré de science* où vous estes
Vous cognoissez du Ciel les pratiques secrettes,
Et qu’agissant367 en nous d’un pouvoir absolu
On ne sçauroit changer ce qu’il a resolu.

BEATRIX.

Madame, brisez-là, j’apperçois vostre Pere.

D. FERNAND.

540 Ah, que cette rencontre estoit peu necessaire !

SCENE III. §

LEONARD, D. FERNAND, LUCRECE, BEATRIX, PHILIPIN.

LEONARD.

Quelle affaire avez-vous avec ce Cavalier* ?

LUCRECE.

[F, 41]
C’est curiosité368, je ne le puis nier,
Depuis deux ou trois jours j’ay sçeu par une amie
Qu’il estoit fort expert dedans l’Astrologie**,
545 Et je le consultois pour sçavoir au certain*
A quel espoux le Ciel a destiné ma main.

D. FERNAND à Philipin.

Elle veut esprouver* si ma science* est vraye.

LEONARD.

Souvent un Astrologue** en mensonges nous paye*,
Et l’effet rarement confirme son raport*,
550 Mais que vous a-t’il dit qui vous trouble si fort ?
(D. Louys paroist, à qui Philipin va conter à l’oreille l’advanture de son maistre, et ils se tiennent esloignez de dix pas à écouter Leonard et D. Fernand.)

D. FERNAND.

Je luy parlois, Monsieur, de certaine369 disgrace*,
Dont je voy clairement que le Ciel la menace,
Elle s’en fâche* un peu, comme vous pouvez voir.370

LEONARD.

Mais en si peu de temps qu’avez-vous pû sçavoir ?

D. FERNAND.

555 Que l’époux trop heureux que le Ciel luy destine
Est pauvre, et pour tout bien* n’a que sa bonne mine*.

LEONARD.

Il ne faut pas ainsi craindre legerement*,
Ma fille.

BEATRIX bas.

{p. 42}
De quel front371 le bon Cavalier* ment !

LUCRECE.

Cette prédiction me met beaucoup en peine*.

LEONARD.

560 Ne vous alarmez point, je la puis rendre vaine.372

LUCRECE.

Toutefois D. Fernand qui me prédit ce point
Est un grand Astrologue**, et ne se trompe point,
Bien d’autres en ma place auroient inquietude*.373

LEONARD.

Certes, l’Astrologie** est une grande estude*,
565 Bien digne d’occuper un esprit curieux,
Et noble d’autant plus qu’elle s’attache aux Cieux.
Si vous la possedez dans le degré supréme
Peu sçavent les moyens d’y reüssir de mesme,
La speculation n’est pas bonne pour tous.
570 Quoy qu’il en soit enfin, Monsieur, je suis à vous.
J’eus tousiours grande ardeur* pour ceux dont la science*
Releve* le bon sang qu’ils ont de leur naissance,
Et s’il faut librement vous en faire l’adveu,
Dans mon jeune âge aussi je m’en meslois* un peu,
575 Mais differents soucys*, l’embarras des affaires*
M’ont fait prendre depuis des soings* plus necessaires.
Dites-moy cependant. Auriez-vous pour suspect {p. 43}
Et peut-on justement* tirer un bon augure
580 De la conjonction** d’Hecate** avec Mercure** ?

D. FERNAND bas.

Il parle Hebreu pour moy, je suis pris, c’en est fait.

PHILIPIN à D. Louys.

Il auroit besoin d’estre Astrologue** en effet.

D. FERNAND bas.

N’importe, efforçons-nous374, et payons* d’impudence.
Pour vous dire en deux mots, Monsieur, ce que j’en pense,
585 Venus** aux amoureux promet beaucoup de biens*,
Et Saturne** peut tout sur les Saturniens** :
Mais la triplicité** de cette conjoncture
Ainsi que l’union d’Hecate** avec Mercure**
Combinant leurs aspects**, ou les retrogradant**
590 Sur l’horizon** fatal* d’un bizarre* ascendant**,
Pourroit paralaxer** sur un cerveau* si tendre*

LEONARD.

Ce discours est si haut*375 que j’ay peine à l’entendre*,
De grace, en ma faveur pour esclaircissement
Expliquez-vous un peu plus populairement376.

D. FERNAND.

595 Ce sont termes de l’Art*.

LEONARD.

{p. 44}
Pardonnez à mon aage
Qui n’en conserve plus qu’une confuse image,
Ces termes en mon temps n’estoient pas fort connus,
Mais la science* augmente, et ce temps-là n’est plus.

D. FERNAND.

Tout s’y voit si changé depuis quelques années,
600 Qu’en autre caractere377 on lit les destinées,
Mesme Nostradamus mon maistre en ce grand Art*
Avoit et son langage et ses regles à part,
C’est pourquoy le discours où mon esprit s’applique,
Tient un peu de l’obscur et de l’enigmatique,
605 Je dois suivre ses pas comme378 son escolier*.

LEONARD.

Mais si vous vouliez estre un peu plus familier379 ?

SCENE IV. §

{p. 45}
LEONARD, D. FERNAND, D. LOUYS, LUCRECE, BEATRIX, MENDOCE, PHILIPIN.

MENDOCE à Leonard.

Monsieur.
(Il luy parle à l’oreille.)380

LEONARD.

Que me veux-tu ?

PHILIPIN à D. Fernand.381

Vostre esprit s’évertuë*
Monsieur, c’est tout de bon*.

D. FERNAND.

Tu vois comme j’en suë*.

PHILIPIN.

Le galimathias382 ira-t’il encor loin ?

D. FERNAND.

610 Philipin, un amy se cognoist au besoin*383.
Fay-moy quelque message, et par un tour d’adresse {p. 46}
Dans un pas si mauvais384

LEONARD à D. Fernand.

C’est affaire qui presse,
Monsieur, excusez-moy, je vous quitte à regret,
Et bruslois de sçavoir ce langage secret,
615 Mais nous nous reverrons touchant385 cette science*,
Et nous pourrons ensemble en faire experience.
Adieu.

SCENE V. §

D. FERNAND, D. LOUYS, PHILIPIN.

D. FERNAND à Philipin.

Sans ton secours le peril est passé.
(à D. Louys.)
Que tout à l’heure386, amy, j’estois embarrassé !
Mon advanture* est rare et digne qu’on l’admire.

D. LOUYS.

620 Sçachez que Philipin m’en a desja fait rire,
Et qu’à dix pas d’icy nous escoutions comment {p. 47}
Le vieillard vous parloit Astrologiquement387.

D. FERNAND.

J’ay respondu de mesme et l’ay fait perdre terre388.389

D. LOUYS.

Mais vous ne l’avez pas vaincu de bonne guerre,
625 Il vous entendoit* mal.

D. FERNAND.

Je m’entendois** bien moins.

D. LOUYS.

Pour vous mieux expliquer, vous prendrez quelques soings*,
Et sur390 ces mots nouveaux vous luy rendrez visite ?

D. FERNAND.

Par celle d’aujourd’huy j’en pretends estre quitte.

D. LOUYS.

Mais un grand Astrologue**, ou pour tel advoüé*

D. FERNAND.

630 Il cognoistra* bien-tost que je l’auray joüé*.
Les belles questions cependant qu’il m’a faites
A moy qui ne cognois ny Signes ny Planettes !

D. LOUYS.

Ouy, mais en recompense un discours si hardy
S’il ne l’a terrassé l’a si bien étourdy,
635 Que j’oserois gager* qu’en ce qui vous regarde {p. 48}
Vous le pourrez long-temps mettre encor hors de garde391.
De grace achevez donc, joüez-le* jusqu’au bout,
Faites la piece392 entiere, il admirera* tout ;
Il vous seroit honteux qu’elle fust imparfaite,
640 De vostre haut sçavoir je seray le trompette393,
J’en vay semer le bruit*, et s’il apprend d’ailleurs
Que vous ayez de l’Art* les secrets les meilleurs,
Si ce bruit* surprenant de vos fausses merveilles
Par la ville espandu394 vient fraper ses oreilles,
645 Comme il en a desja l’esprit préoccupé*,
Jamais plus galamment* homme ne fut dupé.

D. FERNAND.

Non, mais ce passe-temps un peu trop me hazarde*,
Au peril qui le suit vous ne prenez pas garde,
Et que c’est engager ma gloire* et mon repos*395.

D. LOUYS.

650 Aussi nous cognoistrons* combien il est de sots,
Et quand mesme on sçaura que ce soit396 raillerie*,
Le tout ne passera que pour galanterie*.

D. FERNAND.

Mais quelque bon succez que j’en puisse esperer
Ce plaisir apres tout ne peut long-temps durer ;
655 Car si publiquement ce bruit* par tout se coule,
On viendra chaque jour me consulter en foule, [G, 49]
Mes responces bien-tost m’acquerront grand renom.

PHILIPIN.

Qu’importe ? vous direz tantost ouy, tantost non,
Vous aurez quelque esgard à l’âge, à la personne,
660 Et du reste, Monsieur, Dieu la leur donne bonne397,
Jamais un Astrologue** est-il garand de rien398 ?

D. LOUYS.

Le hazard fait souvent prophetiser fort bien.
Vous devez seulement mettre beaucoup d’estude*
A ne rien affirmer avecque certitude,
665 Du present, du passé discourir rarement,
Tousjours de l’advenir parler obscurement,
Examiner la chose, en peser l’importance.
Mais j’apperçoy de loing D. Lope qui s’advance,
Laissez moy, c’est par luy que je veux commencer.

D. FERNAND.

670 Je m’abandonne à vous.

SCENE VI. §

{p. 50}
D. LOUYS, D. LOPE.

D. LOUYS feignant* de ne point voir D. Lope.

Qui l’auroit pû penser ?
O surprenant prodige ! incroyable merveille !
N’est-ce point quelque songe, est-il vray que je veille ?

D. LOPE.

Qu’avez-vous, D. Louys ?

D. LOUYS.

A peine en sçay-je rien,
Et je doute aujourd’huy si je me cognois* bien.
675 Effets miraculeux !

D. LOPE.

Ne puis-je les apprendre ?

D. LOUYS.

Je crains…

D. LOPE.

Nous sommes seuls, on ne peut vous entendre.

D. LOUYS.

{p. 51}
Mais il faut du secret.

D. LOPE.

Fiez-vous sur ma foy*.

D. LOUYS.

Sçachez que D. Fernand vient de s’ouvrir à moy.

D. LOPE.

Et bien ?

D. LOUYS.

Et qu’il a fait en suite en ma presence
680 Des choses que j’advouë estre hors de croyance,
J’ay peine à m’en remettre.

D. LOPE.

Achevez, qu’a-t’il fait ?

D. LOUYS.

Je ne cognus jamais un esprit si parfait.
Dans un degré si haut il sçait l’Astrologie**
Que je l’accuserois volontiers de magie**.
685 Il a sçeu de ma vie, et presque en un moment,
Ce qu’on n’en peut sçavoir que par enchantement ;
Et cela, de ma main tirant des conjectures,
Et puis sur du papier traçant quelques figures**.
Qui croiroit à le voir si galand*

D. LOPE.

N’est-ce pas
690 Cet esprit enjoüé*, D. Fernand Centellas, {p. 52}
Dont on prise à l’envy* les graces nompareilles ?

D. LOUYS.

Ouy, c’est luy dont je parle, et qui fait ces merveilles.
Certes il faut qu’il aye un secret incognu.

D. LOPE.

Je crois deux ou trois fois l’avoir entretenu,
695 Mais je remarquois bien, non qu’il eust cognoissance
De cette merveilleuse et divine science*,
Mais du moins qu’il estoit homme de grand esprit.

D. LOUYS.

Vous serez donc encor beaucoup plus interdit*
Si vous m’accompagnez un jour chez ce rare homme
700 Qu’il me doit faire voir une Dame de Rome399,
Qui pendant que j’y fus me voulut quelque bien*.

D. LOPE.

Se peut-il qu’en effet…

D. LOUYS.

Ce n’est encor là rien ;
Car pour vous dire au vray* toute mon advanture*,
Il a fait devant moy parler une peinture,
705 C’est ce qui me confond* au point que vous voyez.

D. LOPE.

Vous croiray-je, est-il vray ?

D. LOUYS.

{p. 53}
Si vous ne me croyez,
Vous avez de bons yeux, et les croirez peut-estre.

D. LOPE.

Je vous en prie, amy, faites-le moy cognoistre,
Sans doute il m’apprendra si D. Juan est jaloux,400
710 Et par quelle raison…

D. LOUYS.

J’ay sçeu cela pour vous,
Il trompe Leonor, et voit de nuict Lucrece.

D. LOPE.

Pour certain ?

D. LOUYS.

Pour certain401.

D. LOPE.

O Ciel, que d’allegresse !

D. LOUYS.

Adieu, mais prenez garde à ne parler de rien,
On pourroit l’accuser d’estre Magicien**.
715 En voicy du moins* un desja dedans le piege.402

SCENE VII.403 §

{p. 54}

D. LOPE.

En quel estonnement aujourd’huy me trouvay-je404 ?
A peine puis-je encor rassembler mes esprits
Tant mes sens sont ensemble et confus et surpris.
D. Fernand Astrologue**, et D. Juan infidelle !
720 Je te rends grace, Amour, l’occasion est belle.405
J’imagine un moyen qui peut me rendre heureux,
Et D. Fernand l’inspire à mon cœur amoureux.
Allons voir Leonor, vantons-luy sa science*,
Et de D. Juan en suite examinant l’absence406
725 Faisons naistre en son cœur le desir de le voir
Par l’effet merveilleux de son divin pouvoir.
Que407 si pour s’y resoudre elle est assez hardie,
Elle apprendra de luy toute sa perfidie,
Verra que c’est un fourbe*, et qu’il est à Madrid,
730 Et lors*, que ne peut point la honte et le dépit ?408
Ouy, de sa folle erreur estant desabusée,
Son cœur sera sans doute une conqueste aisée, {p. 55}
Et je puis esperer, si je prends bien mon temps,
De voir dans peu de jours tous mes desirs contents.
735 Ne differons* donc plus, et sans perdre courage*    
Allons quoy qu’il en soit commencer cet ouvrage.

FIN DU SECOND ACTE.

{p. 56}

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

D. FERNAND, D. LOUYS, PHILIPIN.

D. LOUYS.

Astrologue** excellent, miraculeux esprit,
Vous faites aujourd’huy l’entretien de Madrid,
Comme il ne fut jamais de fourbe* mieux conceuë,
740 Jamais avec plus d’heur* fourbe* ne fut receuë,
Chacun également en est persuadé,
Avec respect desja vous estes regardé,
Et si quelque incident ne vient troubler la feste,
Vous passerez bien-tost pour un nouveau Prophete.

D. FERNAND.

[H, 57]
745 Aussi pour confirmer ce que l’on croit de moy,
Je ne perds point de temps.

PHILIPIN donnant deux livres à D. Louys.

Ces livres en font foy,
Voyez.

D. LOUYS ouvrant les deux livres.

Un Almanach**, un traité de la Sphere**.

PHILIPIN.

Il en disputeroit* s’il estoit necessaire,
Vous ne vistes jamais Astrologue** pareil.

D. LOUYS.

750 Vous cognoissez du moins* les maisons** du Soleil ?

D. FERNAND.

Je cognois mesme encor le Zenith**, l’Ecliptique**,
Le Tropique du Cancre**, et le Pole Antarctique,
Ces termes de Jupin** s’opposant à Venus**,
Grace à mon Almanach**, ne m’épouvantent plus,
755 Et mesme en un besoin par quelque préambule
Je broüillerois l’esprit d’une femme credule.
Je n’ay fait toutefois dans ce commencement
Qu’un effort de memoire, et non de jugement,
Il me faut fuyr encor le pere de Lucrece.
760 Avez-vous cependant poussé bien loing la piece ?

D. LOUYS.

{p. 58}
Assez loing, et peut-estre en rirez-vous un peu.
J’ay sçeu trouver d’abord une maison de jeu,
Où j’ay tout debité dans une troupe amie
De ceux qu’on nomme là piliers d’Academie409,
765 De ces presteurs à poste410, et comme tout le jour
Attendant la rencontre ils tiennent là leur cour,
Vous sçavez que de tout curieux ils s’informent411,
Que sur chaque nouvelle ils taillent*, ils reforment* ;
Jugez si je pouvois m’estre mieux adressé.
770 Chez les Comediens de là je suis passé,
Où pour mieux faire croire une telle merveille
J’en ay dit à beaucoup le secret à l’oreille,
Et cette confidence a si bien pullulé,
Que d’oreille en oreille il412 s’est par tout coulé.
775 Au sortir de ce lieu (souffrez* qu’encor j’en rie)
Un amy m’a conté ma propre menterie*,
Avec tant de serments que c’estoit verité,
Que moy-mesme à l’oüyr j’en ay presque douté413.
Enfin le jour manquant414 j’ay passé415 par la Place,
780 Où pour vous un certain mentoit de bonne grace,
Et recitoit, tout prest d’en jurer au besoin,
Cent choses dont luy-mesme il se disoit témoin.
Cinq ou six l’écoutoient, je m’approche, et pour rire
J’ay sur ce qu’il disoit voulu le contredire, {p. 59}
785 Mais luy plein de cholere et d’indignation,
M’interrompant soudain avec émotion*,
Je dis ce que j’ay veu, m’a-t’il dit, et peut-estre
Vous en parlez ainsi faute de le cognoistre,
Ou vous portez envie aux hommes de vertu* ;
790 Et moy sur ce ton-là craignant d’estre battu,
Je me suis retiré pour en rire à mon aise.

D. FERNAND.

L’histoire est excellente.

D. LOUYS.

Elle n’est pas mauvaise.

D. FERNAND.

Que l’on trouve à Madrid d’impertinents menteurs !

D. LOUYS.

Les nouveautez par tout trouvent des sectateurs*,
795 Mais ce qui me surprend dedans cette advanture*

PHILIPIN.

Une Dame, Monsieur, d’assez belle stature
Demande à vous parler sans témoins un moment.

D. FERNAND.

Amy, retirez-vous dans cet apartement,
Ne s’agiroit-il point icy d’Astrologie** ?

D. LOUYS.

{p. 60}
800 Pleust à Dieu, j’en aurois l’ame toute ravie*,
Aussi-bien* vous faut-il par un effort d’esprit
En tromper deux ou trois pour vous mettre en credit.

D. FERNAND.

Quoy que ce soit, d’icy vous le pourrez entendre.

SCENE II. §

D. FERNAND, LEONOR, JACINTE, PHILIPIN.

LEONOR.

Une telle visite a droit de vous surprendre.

D. FERNAND.

805 Elle m’honore trop, et j’en suis tout confus.

LEONOR.

Pour vous voir, D. Fernand, j’aurois fait encor plus,
Puisqu’avec passion j’ay souhaité cognoistre
L’homme le plus sçavant qu’on ait jamais veu naistre.
Ah, Jacinte, je tremble, et n’ose m’expliquer.

D. FERNAND.

{p. 61}
810 Madame, à ce discours je ne puis repliquer,
Un éloge si haut m’en416 met dans l’impuissance :
Je possede en effet quelque foible science*,
Mais…

LEONOR.

Non, non, c’est en vain que vous vous ravalez*,
Je sçay vostre merite* et ce que vous valez,
815 Et que faire parler un corps privé de vie
N’est que le moindre effet de vostre Astrologie**.

D. FERNAND.

Ce que vous en croyez m’est trop advantageux,
Mais puis-je vous servir* ? je m’en tiendrois heureux.

LEONOR.

Ah, D. Fernand.

D. FERNAND.

D’où vient que vostre cœur soûpire* ?

LEONOR.

820 Vous pourriez m’espargner la honte de le dire.
Puisque ce haut sçavoir dont chacun est jaloux
Vous fait cognoistre* assez ce que je veux de vous.

D. FERNAND.

Et par cette raison vostre raison est vaine,417
Car enfin si je sçay le sujet qui vous méne,418
825 Ce que vous me direz en cette occasion {p. 62}
Ne sçauroit augmenter vostre confusion*.

LEONOR.

Mais que vous servira d’entendre ma foiblesse ?419
Vous ne sçavez que trop le desir qui me presse,
Me monstrer à vos yeux, c’est vous ouvrir mon cœur :
830 Ne me traitez donc point avec tant de rigueur,
Et puisqu’à vous parler je suis si peu hardie
Faites ce que je veux sans que je vous le die420.

PHILIPIN à D. Fernand.

Elle dit bien, Monsieur, songez à l’obliger*.

D. FERNAND à Philipin.

Je croy qu’elle a dessein* de me faire enrager*,
835 Deviner sa pensée ! est-elle raisonnable ?
Et suis-je pour cela Magicien** ou Diable**.

PHILIPIN.

Payez* encor un coup de galimatias,
Et dites de grands mots qu’elle n’entende* pas.

D. FERNAND à Leonor.

Sans vouloir feindre* icy, je confesse Madame,
840 Que je puis penetrer les secrets de vostre ame,
Voir à nud vostre cœur, lire dans vostre sein,
Mais sçachez que pour vous je m’employerois en vain,
Si vous ne témoigniez par un recit sincere
Vostre consentement à ce qu’il faudra faire. {p. 63}
845 Peut-estre tâchez-vous de voir par cet essay*
Si je suis ce qu’on dit, et si ce bruit* est vray,
Mais gardez* d’empescher l’effet de ma science*,
Car enfin il y faut beaucoup de confiance,
J’ay mes règles à part, et n’agis pas tousjours
850 Selon qu’apparemment les Astres ont leur cours.
La force de mon Art* passe* un peu l’ordinaire,
Et pour vous en donner une preuve bien claire,
Je vay vous découvrir, si vous le souhaitez,
Quelle est vostre pensée, à quoy vous la portez,
855 Si vostre cœur est libre, ou quel objet* l’enflame,
Et ce que vous avez de plus caché dans l’ame :
Mais cela fait aussi, ne me demandez rien,
Je ne puis rien pour vous.

LEONOR.

Quel malheur est le mien,
Qu’il faille me resoudre à vivre infortunée*,
860 Ou rougir d’un recit où je suis condamnée.
J’ayme, et le digne objet* qui regne sur mon cœur
Par cent et cent devoirs* s’en est rendu vainqueur,
Mais encor que pour luy j’eusse une amour421 fort tendre,
Il m’a quittée enfin pour s’en aller en Flandre,
865 Avec tant de mépris que sans me dire Adieu
Il a pû se resoudre à partir de ce lieu. {p. 64}
On m’en vient toutefois d’apporter cette lettre
Qui me promet encor ce qu’il m’osa promettre,
Et m’asseurant pour luy d’une immüable amour
870 Me fait avec ardeur* souhaiter son retour.
Je brûle de le voir, et quoy qu’en apparence
L’effet de ce desir passe* toute puissance,
J’ay sçeu que par vostre Art* de tous si fort vanté
Vous pourriez surmonter cette difficulté,
875 Et dés ce mesme soir faire à mes yeux paroistre
Celuy qui de mon ame a sçeu se rendre maistre.
Ainsi, si d’un beau feu jamais la noble ardeur*
Pour un objet* aimable échauffa vostre cœur422,
Par l’Amour, par ce Dieu que chacun apprehende,
880 Ne me refusez point ce que je vous demande.

D. FERNAND à Philipin.

Que luy pourray-je enfin respondre là dessus ?

PHILIPIN à D. Fernand.

Appellez au secours le grand Nostradamus.

D. FERNAND.

Le viellard Astrologue** estoit moins redoutable.

PHILIPIN.

Dites qu’il luy faut faire un pacte avec le Diable.

D. FERNAND à Leonor.

{p. I, 65}
885 Madame, je ne sçay pour qui vous me prenez,
Ny ce que de mon Art* vous vous imaginez,
Car où pretendez-vous que je puisse aller prendre
Un homme que vous mesme advoüez estre en Flandre ?

LEONOR.

Ah, vous faites encor des prodiges plus grands,
890 J’en suis bien informée et j’en ay bons garands.423

PHILIPIN.

J’en eusse osé jurer.

D. FERNAND.

Croyez qu’on vous abuse*,
L’impossibilité fait seule mon excuse,
Mon Art* pour vous servir* n’est point assez puissant
S’il faut faire à vos yeux paroistre un homme absent,
895 C’est ce qu’on ne fait point par simple Astrologie**,
Ces Fantosmes** parlants424 ne vont que par Magie**,
Dont la noire science* estant sujette aux loix
D’un courage* bien noble est rarement le choix ;
D’ailleurs, la vision est fort melancholique425
900 D’un esprit enfermé dans un corps fantastique**426,
Cette apparition pleine d’horreur en soy
Fait pâlir bien souvent les plus hardis d’effroy,
Et vous y manqueriez sans doute de courage*.

LEONOR.

{p. 66}
Non, non, de mon amant si ce spectre** a l’image,
905 Dans cette vision, dans ce charme** trompeur,
J’auray plus de plaisir que je n’auray de peur.
Mais vous vous défiez peut-estre d’une femme,
Et croyez qu’un secret soit mal seur427

D. FERNAND.

Non, Madame,
Car je confesse enfin puisque vous m’en pressez,
910 Que pour vous obeïr j’en sçay peut-estre assez,
Et si j’ay dit d’abord qu’il m’estoit impossible
C’est parce que j’y trouve un obstacle invincible ;
Vous m’avez dit qu’en Flandre est cet amant* heureux,
Ainsi je ne puis rien, la mer est entre-deux,
915 Cet élement sauvage à mes charmes** s’oppose,
Et fait de mon refus la vraye et seule cause.

LEONOR.

Cet obstacle de mer est facile à lever,
Car de long-temps en Flandre il ne peut arriver428,
Puisque depuis huict jours ayant quitté la ville
920 A Sarragoce encor sa presence est utile,429
Un procez l’y retient.

D. FERNAND à Philipin.

A ce coup m’y voicy430.

PHILIPIN à D. Fernand.

{p. 67}
Chacun croit depuis peu D. Juan party d’icy.431
Si c’estoit luy, Monsieur ?

D. FERNAND à Philipin.

Cela pourroit bien estre,
Sans nous trop engager tâchons de le cognoistre*.
(à Leonor.)
925 S’il est ainsi, Madame, il reste seulement
A me faire sçavoir le nom de vostre amant,
C’est une circonstance où vous manquez* encore,
J’en dois estre informé, non pas que je l’ignore,
Car enfin advoüez qu’estant né de bon sang
930 Il a fort peu de bien* à432 soustenir* son rang433,
Que nous sommes tous deux environ du mesme âge.

LEONOR.

Je ne le puis nier.

D. FERNAND à Philipin.

C’est luy-mesme, courage*.
(à Leonor.)
Peut-estre croirez-vous qu’avec peu de raison434
Puisque je le cognois je demande son nom ?
935 Mais si je ne l’apprens de vostre propre bouche
Je ne puis satisfaire au desir qui vous touche,
Nostre Art* de ce tribut se rend un peu jaloux.

LEONOR.

Helas, qu’à prononcer ce nom me sera doux !
Il s’appelle D. Juan. Que faut-il encore dire {p. 68}
940 Pour obtenir de vous le bonheur où j’aspire ?435

D. FERNAND.

Puisque la mer enfin ne m’embarasse plus,
Madame, il ne me reste aucun lieu de refus.
Regardez-moy l’œil fixe.

LEONOR.

O fille*fortunée* !

D. FERNAND.

Monstrez-moy vostre main. Quel jour estes-vous née ?

LEONOR.

945 L’onziesme de Juillet.

D. FERNAND.

Enfin vous voulez voir
Cet amant* si chery ?

LEONOR.

S’il se peut dés ce soir.
De ce desir mon ame est si fort possedée…

D. FERNAND.

Il me faut faire un pacte avecque son Idée**,
Ce charme** est innocent, mais pour un tel dessein
950 J’ay besoin d’un billet écrit de vostre main.

LEONOR.

Puis-je rien refuser pour ce que je souhaite ?

D. FERNAND.

{p. 69}
Je le déchireray ma figure** estant faite.
Depesche, Philipin, de l’encre et du papier.

LEONOR à Jacinte.

Et bien, qu’en penses-tu ?

JACINTE.

Madame, il est Sorcier**,
955 Et si vous escrivez, c’est chose indubitable
Qu’il portera soudain436 vostre billet au Diable,
On parlera de vous ce soir dans le Sabat**,
Je l’en437 refuserois.438

LEONOR.

Ton cœur trop tost s’abat*,
Et pour mon interest tu te mets trop en peine*.

D. FERNAND luy presentant la plume.

960 Je m’en vay vous dicter, écrivez.

PHILIPIN à Jacinte pend[an] t que Leonor écrit.

Et bien, Reyne ?

JACINTE.

Que ton maistre est sçauant !

PHILIPIN.

Bien plus qu’il ne paroit.

JACINTE.

Je pense qu’avec luy tu peux bien marcher droit,
Puisqu’il lit dans les cœurs en voyant les personnes.

PHILIPIN.

{p. 70}
Quand il en sçait le nom, c’est assez.

JACINTE.

Tu m’estonnes,
965 Comment se peut cela n’en sçachant que le nom ?

PHILIPIN.

C’est que tousjours en poche* il a quelque Démon**.

JACINTE.

Un Démon** ! et tu sers* un tel maistre ?

PHILIPIN.

Qu’importe ?
Un Diable** quelquefois n’est pas mauvaise escorte439,
J’entens* un familier, ne t’épouvante pas.

D. FERNAND à Leonor.

970 Vostre nom manque encore, il faut le mettre au bas.

LEONOR.

Est-ce assez ?

D. FERNAND.

Ouy, Madame.

LEONOR.

Adieu, je vous le laisse,
Souvenez-vous de moy.

D. FERNAND.

Je tiendray ma promesse.

JACINTE se cachant le visage.

{p. 71}
Faut-il qu’il me regarde ! Helas, je meurs de peur.

D. FERNAND à Jacinte.

Tu te caches les yeux, et je vois dans ton cœur.

JACINTE.

975 Si vous sçavez, Monsieur, le secret où440 je pense,
Que ma maistresse au moins* n’en ait point cognoissance,
Elle feroit chasser Fabrice asseurément.

SCENE III. §

D. FERNAND, D. LOUYS, PHILIPIN.

D. FERNAND.

Enfin m’en voilà quitte, et sans enchantement.

D. LOUYS.

Un si bon tour joüé vous va donner la vogue*
980 D’un sçavant personnage, et d’un grand Astrologue**,
Vostre renom bien-tost s’en accroistra par tout.

D. FERNAND.

{p. 72}
J’ay bien encor sué* pour en venir à bout,
Je ne souffris jamais un plus cruel martyre.

D. LOUYS.

J’avois beaucoup de peine à m’empescher de rire,
985 Et sur tout mon plaisir ne se peut exprimer
Alors qu’elle a détruit vostre obstacle de mer441.442

D. FERNAND.

J’estois lors*, je l’advoüe, en mauvaise posture.

D. LOUYS.

Vous aviez fort mal pris aussi vostre mesure,443
On va par terre en Flandre aussi bien que par eau.

D. FERNAND.

990 Et que sçait une fille* ? il seroit fort nouveau
Qu’elle fust plus sçavante en la Cosmographie*
Que je ne suis moy-mesme en mon Astrologie**.
J’avois encor dequoy me sauver à demy
Sur ce qu’il faut passer en pays ennemy,
995 Ce passage eust détruit la force de mes charmes**.

D. LOUYS.

Elle vous a pourtant donné bien des alarmes ?

D. FERNAND.

Jusques à me voir presque au bout de mon Latin.

D. LOUYS.

[K, 73]
La plaisante advanture* ! et son billet enfin ?

D. FERNAND.

Lisez, ce ne sont pas choses pour vous secrettes.

D. LOUYS lit.

1000 D. Juan, je sçay bien où vous estes,444
Venez me voir dés cette nuict. 445

LEONOR.

L’artifice* est assez bien conduit,
Et vous pouvez beaucoup avecque cette lettre.

D. FERNAND.

Dans les mains de D. Juan il faudra la remettre,446
1005 Qui sans doute croyant qu’on l’a fait espier
Ira voir Leonor pour se justifier,
Se trahira luy-mesme ; ainsi par cette adresse
Je me vange, et détruis les plaisirs de Lucrece.
Si d’ailleurs Leonor trop credule en ce point
1010 Le prend pour un Fantosme** et ne l’écoute point,
On ne peut inventer fourbe* plus accomplie
Pour confirmer le bruit* de mon Astrologie.
Reste à faire tenir maintenant ce billet447.

PHILIPIN.

De ce soucy*, Monsieur, chargez vostre valet.

D. FERNAND.

{p. 74}
1015 Mais il le faut donner en main propre.

PHILIPIN.

A luy-mesme,
J’en sçay bien les moyens.

D. FERNAND.

Et par quel stratagême ?

PHILIPIN.

Il n’est pas grand, Monsieur, et v[o] us l’allez sçavoir.
Dans son jardin Lucrece attend D. Juan ce soir,
Voicy mesme à peu prés l’heure qu’il s’y doit rendre448,449
1020 C’est là que de ce pas je veux l’aller attendre,
Et si je ne luy fais changer de rendez-vous…

D. LOUYS.

Cet advis en effet est le meilleur de tous.

D. FERNAND luy donnant le billet.

Va donc viste. Je meurs d’en sçavoir des nouvelles.

PHILIPIN.

Vous en sçaurez bien-tost, Monsieur, et des plus belles,
1025 La porte du jardin n’est pas bien loing d’icy.

SCENE IV.450 §

{p. 75}

PHILIPIN.

Quel intrigue jamais a valu celuy-cy451,
Et que j’ay bien dequoy faire aujourd’huy le rogue452
D’avoir fait ériger mon maistre en Astrologue** !
Que l’on croit de leger453, et qu’à ce que je voy
1030 Il en est à Madrid de plus badauts* que moy !
Mais j’enrage* desja d’avoir fait mon message,
D. Juan en pestera* je croy de bon courage454,
Et n’aura pas grand soing de me bien regaler455
Lors que de Leonor il m’entendra parler.
1035 Bon, voicy le jardin, occupons-en la porte,
Il ne peut m’échapper soit qu’il entre ou qu’il sorte,
N’en estant point cognu, je ne hazarde* rien ;
J’entens marcher quelqu’un, si c’est luy, tout va bien.

SCENE V.456 §

{p. 76}
D. JUAN, PHILIPIN.

D. JUAN heurtant Philipin comme il va pour entrer.

Qui va là ?

PHILIPIN.

J’y venois, Monsieur, pour vous attendre.
1040 Leonor m’a donné ce billet à vous rendre,
Et vous prie instamment de la voir cette nuict,
Voylà quel est mon ordre.

D. JUAN.

Où me vois-je reduit !
Amy, de grace, écoute.

SCENE VI.457 §

{p. 77}

D. JUAN.

Il fuit, il m’abandonne,
Et dans l’obscurité, je ne vois plus personne :
1045 Quel Démon** ennemy, quel infidelle esprit
A pû lui découvrir que je suis à Madrid ?
Ah, je n’en puis douter, la preuve en est trop claire,
Don Lope m’a trahy pour tâcher de luy plaire,
Il l’adore, et j’ay trop recognu* pour mon mal
1050 Qu’en luy j’avois bien moins un amy qu’un Rival.
O disgrace* ! ô malheur à qui tout autre cede !
Mais il faut s’il se peut, y donner prompt remede,
L’aller voir de ce pas, pour détruire l’espoir
Qu’un amy desloyal peut desja concevoir.
1055 Si ce billet aussi n’estoit qu’une imposture ?
Voyons auparavant si c’est son écriture,
Et s’il est de sa main allons au rendez-vous,
Et tâchons dés ce soir d’appaiser son couroux.
Je vois de la lumiere, advançons, l’heure presse.

SCENE [VII]458. §

{p. 78}
LEONOR, JACINTE.

JACINTE.

1060 Mais croyez-vous encor qu’il tienne sa promesse,459
Et qu’en si peu de temps D. Fernand au besoing*
Puisse obliger D. Juan à venir de si loing ?460

LEONOR.

Pauvre esprit ! esprit foible ! avec ton ignorance
Voudrois-tu limiter cette haute science*,
1065 Qui pourveu que la mer ne fust point entre-deux
Produiroit des effets cent fois plus merveilleux ?
Sans doute qu’il viendra, non luy mais son Image**,
Un spectre** tout pareil de port et de visage.

JACINTE.

Et quel plaisir, Madame, aurez-vous de le voir ?
1070 Pourquoy le souhaiter ?

LEONOR.

Tu ne le peux sçavoir
Si tu ne sçais qu’Amour461, ce charmant adversaire, {p. 79}
Luy-mesme est la raison de tout ce qu’il fait faire.

JACINTE.

Et bien, vous le verrez, je veux vous l’accorder.
Mais si c’est un Fantosme**, un corps qui n’est que d’air,
1075 N’aurez-vous point de peur ?

LEONOR.

Point du tout : mais on frappe.

JACINTE.

Vous pâlissez, Madame, un soûpir vous échape !
Vous croyez que c’est luy peut-estre ?

LEONOR.

Aucunement,
Mais va voir ce que c’est. D’où vient ce changement ?
Quelle secrette horreur s’empare de mon ame ?
1080 Je tremble, qu’ay-je à craindre !

SCENE VIII.462 §

{p. 80}
D. JUAN, LEONOR, JACINTE.

JACINTE laissant t[om] ber la lumiere qu’elle porte.

Ah Madame, ah Madame,
C’est luy-mesme, sinon qu’il est beaucoup plus grand.

LEONOR fuyant.463

Ah Ciel, Ah !

D. JUAN.

Cet accueil, Leonor, me surprend.

LEONOR.

Ma curiosité ne sert qu’à me confondre*,
C’est la voix de D. Juan, mais je ne puis répondre,
1085 Et quand j’ay pris dessein* de le faire appeler
J’ay souhaité le voir, et non pas luy parler.

JACINTE cachée.

Que je crains que ce spectre**, ou bien plustost ce Diable**
Ne me vienne chercher jusques464 sous cette table.

D. JUAN.

[L, 81]
Quelle confusion*, et quel charme** est-ce cy !
1090 Leonor, c’est donc moy que vous traitez ainsi ?
Moy qui vient tout exprés vous donner asseurance
Que sur mon cœur vous seule avez toute puissance ?

LEONOR fuyant tousjours.

Je ne veux point de toy, j’abhorre ce pouvoir,
Et c’est le vray D. Juan que je souhaite voir.465

D. JUAN.

1095 Je suis tousjours le mesme, et ma foy* n’est point fausse.

LEONOR.

Fantosme**, laisse-moy, retourne à Sarragoce.466
(Elle se retire dans un petit cabinet dont elle ferme la porte.)

D. JUAN.

Et de grace, écoutez mes raisons de plus prés.
Leonor. Est-ce feinte*, est-ce jeu fait exprés ?
Que fais-tu là, Jacinte ?

JACINTE se retirant avec violence de dessous la table
qu’elle fait tomber avec la lumiere qui s’esteint.

A l’ayde, je suis morte,
1100 C’en est fait.

D. JUAN seul.

Qui jamais fut receu de la sorte ?
Ay-je perdu l’esprit ? Suis-je moy-mesme encor ?
Jacinte, à m’écouter oblige Leonor.
Leonor. L’une et l’autre est467 sourde à ma priere, {p. 82}
Personne ne répond, et je suis sans lumiere.
1105 Qui la peut obliger à se cacher de moy ?    
Est-ce hayne ? est-ce horreur pour mon manque de foy* ?
En quels doutes mon ame est-elle ensevelie !
N’importe, laissons-la joüyr de sa folie,
Et cependant* allons à l’autre rendez-vous
1110 Tâcher d’y recevoir un traitement plus doux.

FIN DU TROISIESME ACTE.

{p. 83}

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

D. JUAN, LUCRECE, BEATRIX.

D. JUAN.

Un chagrin* si profond me surprend et m’afflige,
Madame, à soûpirer* quel sujet vous oblige ?
Doutez-vous de mon cœur ? doutez-vous de ma foy* ?

LUCRECE.

Je crains tout, je l’advouë, et pour vous et pour moy,
1115 Et ne puis empescher ma vertu* de s'abatre*,
Voyant quels ennemis nous avons à combattre.
Songez-y bien, D. Juan, un amant méprisé
Jamais à sa vangeance a-t’il rien refusé ? {p. 84}
Croyez-vous D. Fernand plus genereux* qu’un autre ?
1120 Son interest sur luy peut-il moins que le nostre ?
Il sçait que j’ay de nuict souffert* vostre entretien,
Jugez si pour nous perdre* il épargnera rien,
S’il pourra se dompter jusques à ne point nuire
Au bonheur d’un Rival quand il le peut détruire.

D. JUAN.

1125 Ses efforts seront vains si vous m’aymez encor.

LUCRECE.

Je n’en dis pas autant de ceux de Leonor.

D. JUAN.

Ah, Madame ! c’est faire un outrage* à ma flame.

LUCRECE.

Qu’est-ce qu’un premier feu ne peut point sur une ame ?
Nommez si vous voulez cet amour un devoir,
1130 Enfin elle est aymable*, et vous la devez voir,
Et si vous refusez vostre cœur à ses charmes,
Le refuserez-vous à l’effort de ses larmes ?

D. JUAN.

Ah, ce doute cruel me touche au dernier point,
Et bien, si vous voulez je ne la verray point.
1135 Qu’elle menace, tonne, éclate de cholere,
Je mettray seulement tout mes soings* à vous plaire,
Et de quelque malheur que je sente les coups {p. 85}
Je vivray trop heureux estant aymé de vous.
Mais d’une autre douleur je sens la vive atteinte,
1140 Et si j’ose à mon tour vous expliquer ma crainte,
Que ne tentera point vostre pere alarmé
S’il apprend que de vous D. Juan soit estimé ?468
Que n’employera-t’il point pour chasser de vostre ame
Tout ce qui peut nourrir une si belle flame ?
1145 Il vous menacera, vous craindrez son couroux,
Et lors* peut-estre, et lors* m’abandonnerez-vous,469
Et direz comme luy que c’est une foiblesse
Où le bien* a manqué, d’estimer la noblesse470,
D’aymer un bon courage*471

LUCRECE.

Ah, jugez mieux de moy,
1150 La vertu* suffit seule à soustenir ma foy*,
Et je ne porte point un cœur assez esclave
Pour effacer par crainte un portrait qu’elle y grave,
J’y conserve le vostre.

D. JUAN.

O trop heureux amant !

LUCRECE.

Pour gage de ma foy* prenez ce Diamant,
1155 Seur472 que je suis à vous, et que quoy qu’il advienne
Jamais sa fermeté n’égalera la mienne. {p. 86}

D. JUAN.

Dans l’excez du plaisir je ne me cognois* plus,
Et de tant de bontez et surpris et confus
Ne sçachant que vous dire, et ne pouvant me taire…

LUCRECE.

1160 Vous poursuyvrez tantost*, voicy venir mon Pere.

SCENE II. §

LEONARD, LUCRECE, D. JUAN, BEATRIX.

LEONARD.

Ne voy-je pas D. Juan ?473 quoy, desja de retour ?

D. JUAN.

Un procez impréveu me renvoye à la Cour,
Et me fait differer* mon voyage de Flandre.
Je viens de Sarragoce.

LEONARD.

Et que fait-là mon Gendre ?

D. JUAN.

{p. 87}
1165 D’un favorable accueil je luy suis obligé*,
Il vous avoit écrit, et m’en avoit chargé :
Mais je me suis muny d’un valet si fidelle,
Qu’il m’a volé ma malle et la lettre avec elle.

LEONARD.

Ainsi vous avez fait un retour malheureux.

D. JUAN.

1170 Ainsi pour moy le Ciel est tousjours rigoureux ;
Car enfin ce malheur m’est d’autant plus contraire
Qu’il ne vous écrivoit que touchant mon affaire*474,
Vous priant de m’ayder en ce dont il s’agit
Et de vostre conseil et de vostre credit*.

LEONARD.

1175 Je n’ay credit*, amis, ny conseil qu’avec joye,
Si je puis vous servir*, au besoing* je n475’employe,
Je m’offre sans reserve, et si vous m’épargnez
Ce sera me monstrer que vous me dédaignez.

D. JUAN.

C’est faire trop de grace* au peu que je merite :
1180 Mais vous m’excuserez, Monsieur, si je vous quitte,
Quiconque a des procez est à soy rarement,
J’ay quelque ordre à donner où je cours promptement,
Pardonnez si j’en use avec tant de franchise*.

LEONARD.

{p. 88}
Il n’en est point, D. Juan, qu’un procez n’authorise476.477

SCENE III. §

LEONARD, LUCRECE, BEATRIX.

LEONARD.

1185 Quoy, contre ton humeur* tu resveras* tousjours ?
D’où ce pesant chagrin* peut-il prendre son cours ?
Tire-moy de soucy*.

LUCRECE.

Ce n’est rien.

LEONARD.

Mais encore ?
Ne me le cele* point.

LUCRECE.

Moy-mesme je l’ignore,
C’est peut-estre un effet de mon temperament*.

LEONARD.

1190 Ah, Lucrece !

LUCRECE.

{p. M, 89}
S’il faut l’advoüer librement,
J’ay perdu quelque nippe*, et c’est la seule cause
Qui fait en mon humeur* cette metamorphose.

LEONARD.

Et bien, qu’as-tu perdu ?

LUCRECE.

J’en suis toute en couroux.

LEONARD.

Dy donc.

LUCRECE.

Ce diamant que je tenois de vous.

LEONARD.

1195 Ne t’inquiete point, un peu de patience,
On le retrouvera.

LUCRECE.

J’en ay peu d’esperance ;
J’ay fait chercher par tout, sans doute il est perdu.
M’eust-il cousté le double, et me fust-il rendu !

LEONARD.

L’occasion* peut-estre à quelqu’un s’est offerte,
1200 Mais il est fort aisé d’en reparer la perte,
Il en est de plus beaux, en travail, en valeur.

LUCRECE.

Ils me consoleroient fort peu de ce malheur,
Celuy-là me plaisoit.

LEONARD.

{p. 90}
L’attachement estrange !
Pour beau que fust un autre elle perdroit au change478.
1205 Va, quitte ce chagrin*, je vay tout maintenant*
Sur cet anneau perdu consulter D. Fernand.

BEATRIX.

Pour excuser l’humeur* qui vous rend si resveuse*,
Vous avez tout gasté.

LUCRECE.

Que je suis malheureuse !

BEATRIX.

Taisez-vous, il revient.

LEONARD.

Dy moy, ce diamant,
1210 De quand est-il perdu ?

LUCRECE.

D’aujourd’huy seulement.

LEONARD.

L’heure ?

LUCRECE.

Entre neuf et dix.

SCENE IV. §

{p. 91}
LUCRECE, BEATRIX.

LUCRECE.

Quel conseil* dois-je prendre ?

BEATRIX.

De ce chien d’Astrologue** il s’en va tout apprendre,
Pour moy je tiens desja vostre amour découvert.

LUCRECE.

Ce n’est que D. Fernand en effet qui me pert,
1215 Mais quoy qu’il entreprenne, et quoy qu’il puisse faire,
Mon amour craindra peu l’authorité d’un pere,
Mon cœur est à D. Juan, rien ne le peut forcer,
Et son espoir est vain s’il prétend l’en chasser.479

BEATRIX seule.

Que ne peut une fille ayant l’amour en teste !
1220 Mais il faut divertir* l’orage qui s’appreste,
Instruire Philipin de ce qui s’est passé,
De peur que D. Fernand ne soit embarassé,
Et que rompant commerce* avec l’Astrologie** {p. 92}
Il n’apprenne au vieillard toute la tromperie.

SCENE V. §

D. FERNAND, D. LOUYS.

D. FERNAND.

1225 En quelle extremité me vois-je icy reduit !

D. LOUYS.

Mais c’est par vostre adveu* que j’ay semé ce bruit*.

D. FERNAND.

Ouy, de l’Astrologie**, et non pas d’autre chose ;
Cependant de l’Enfer on croit que je dispose,
Peu s’en faut qu’en la ruë on ne me monstre au doigt480.

D. LOUYS.

1230 Un mensonge tousjours en moins de rien s’accroit,
On y change, et chacun le debite à sa mode :
Mais qu’a pour vous encor ce bel Art* d’incommode ?
Dequoy vous plaignez-vous ?

D. FERNAND.

{p. 93}
De voir petits et grands
Me venir proposer cent doutes differents,
1235 Je ne me vis jamais en pareil exercice ;
Et comme je répons seulement par caprice*,
J’auray bien-tost acquis le renom d’imposteur.

D. LOUYS.

Le meilleur Astrologue** est le plus grand menteur,
Et c’est tousjours beaucoup que par ce tour d’adresse
1240 Vous vous estes vangé481 des mépris de Lucrece,
Vostre Rival vous craint, vous troublez ses plaisirs,
Et tout semble d’accord avecque vos desirs482.

D. FERNAND.

Croyez que sans regret je luy cede la place,
Je ne travaille point à causer sa disgrace*,
1245 Et mon amour esteint, il m’importe fort peu
Que Lucrece aujourd’huy recompense son feu.

D. LOUYS.

Que n’advoüyez-vous donc le tout avec franchise,
Sans vous faire Astrologue** ?

D. FERNAND.

Admirez ma sottise ;
Car à dire le vray* je ne me comprends pas,
1250 De m’estre mis moy-mesme en un tel embarras,
Sans que la piece ait eu cause plus importante {p. 94}
Que la crainte de voir chasser une servante.
J’avois bien pour ce coup la cervelle à l’envers.

D. LOUYS.

Cessez d’en murmurer*, puisque je vous y sers*
1255 J’ay part à l’imposture, et je prens pour mon conte483
En l’osant divulguer la moitié de la honte.
Mais y peut-on trouver rien indigne de nous ?

SCENE VI. §

D. FERNAND, D. LOUYS, LEONOR, JACINTE.

LEONOR.

J’ay bien lieu, D. Fernand, de me plaindre de vous.

D. FERNAND.

Voicy pour m’achever, l’incommode personne !
1260 Vous, Madame, de moy ! ce reproche m’estonne.
En quoy le puis-je avoir depuis hier merité ?

LEONOR.

{p. 95}
Si D. Juan en effet ne s’est point absenté,484
S’il estoit à Madrid, puisque vostre science*
Des plus obscurs secrets vous donne cognoissance,
1265 Dites, à quel dessein* me l’avez-vous celé* ?

D. FERNAND.

Je l’ignorois encor lors que je vous parlay,
Et ne l’ay découvert qu’en faisant ma figure**,
Mais à bien regarder toute cette advanture*
Rien n’y sçauroit tourner à ma confusion* ;
1270 Au lieu de son Fantosme** et d’une illusion,
Si quoy qu’il se cachast avec un soing extréme,
A vous aller trouver je l’ay contraint luy-mesme,
Puis-je mieux témoigner485 la force de mon Art*,
Et qu’il n’est ni trompeur ni sujet au hazard ?

LEONOR.

1275 Cette raison l’emporte, il faut que je luy cede ;
Mais à mon déplaisir* donnez quelque remede.
Le parjure au mépris de tant de vœux* offerts
D’une beauté nouvelle ose porter les fers,
C’est pour elle aujourd’huy qu’à Madrid il s’arreste,
1280 J’ay sçeu tout le détail de cette amour secrette486,
Et que les Astres seuls à qui vous commandez
Sont les témoins du feu dont ils sont possedez :
Puisqu’à vostre science il n’est rien d’impossible, {p. 96}
Empeschez ce commerce* à mon cœur trop sensible,
1285 Rompez les tristes nœuds* de cet attachement,
Aux yeux qui l’ont surpris* dérobez mon amant,
Faites qu’il se repente, et que pour ma vangeance
Ma Rivale à son tour pleure son inconstance.

D. FERNAND.

Ayez de vostre amant des sentiments meilleurs,
1290 On vous trompe sans doute, il n’ayme point ailleurs,
Et quoy qu’il soit un peu blasmable en sa conduite,
Du sujet qui l’arreste on vous a mal instruite,
Vous en estes la cause, et son esprit jaloux
A voulu se guerir en se cachant de vous,
1295 Pour vous faire observer il a feint* ce voyage ;
Mais, Madame, cessez d’en avoir de l’ombrage,
Car enfin il vous ayme487, et toute sa rigueur
Asseure à vos beautez l’empire de son cœur,
D’un faux mépris peut-estre il couvrira sa flame,
1300 Mais quoy qu’il dissimule, il vous adore en l’ame.

LEONOR.

Agreable asseurance ! helas, pardonne-moy,
D. Juan, si sans raison j’ay douté de ta foy*.488
Le Ciel, ô D. Fernand, vous soit tousjours propice,
Adieu.

SCENE VII. §

[N, 97]
D. FERNAND, D. LOUYS.

D. LOUYS.

La pauvre Dame est toute sans malice*,
1305 Et de vostre réponse a grande joye au cœur.

D. FERNAND.

Sa priere à ce coup489 ne m’a point fait de peur490,
Et je me doutois bien, comme elle est fort credule,
Que je l’endormirois d’un espoir ridicule.491
Me voicy libre enfin.

D. LOUYS.

Non pas trop libre encor,
1310 Et quelqu’un…

D. FERNAND.

Ah, c’est là bien pis que Leonor.

SCENE VIII. §

{p. 98}
LEONARD, D. FERNAND, D. LOUYS.

LEONARD.

D. Fernand.

D. FERNAND.

Ah, Monsieur, quel sujet vous améne ?

LEONARD.

Je viens pour vous prier de me tirer de peine*.

D. FERNAND.

Que sera-ce ?

LEONARD.

Excusez si j’agis librement,
Et commence par là mon premier compliment*,492
1315 Avecque mes amis c’est ainsi que je traite493.

D. FERNAND.

Une telle franchise* est ce que je souhaite.

LEONARD.

Un certain diamant qu’on a perdu chez moy
Fait soupçonner mes gens, et douter de leur foy*, {p. 99}
Et comme ce desordre y cause grand murmure*,
1320 Daignez en ma faveur faire quelque figure**,
Pour découvrir au vray* ce qu’il est devenu.

D. LOUYS à D. Fernand.

O qu’en bonne saison* le vieillard est venu !

D. FERNAND à D. Louys.

Pour durer plus d’un jour la fourbe* est trop grossiere*,
Je vous l’avois bien dit.

LEONARD à D. Louys, voyant resver* D. Fernand.

Il resve* à ma priere,
1325 Sans doute il l’examine avec attention.

D. LOUYS à Leonard.

Ce mestier a besoin de speculation,
Et je l’ay veu souvent en rencontre semblable
Dans une resverie* à peine concevable,
Il semble que l’esprit abandonne le corps.

LEONARD.

1330 Aussi faut-il en494 faire agir tous les ressorts,
Et que jusques au Ciel sa vivacité495 monte.

D. FERNAND bas.

Ouy, le vouloir fourber* c’est me couvrir de honte,
Je n’en puis esperer qu’un embarras plus grand.

LEONARD à D. Louys.

{p. 100}
Voyez pour m’obliger* quelles peines il prend.

D. LOUYS.

1335 A vous rendre content sans doute il se dispose.

LEONARD à D. Fernand.

Et bien, m’en allez-vous apprendre quelque chose ?

D. FERNAND.

Comme à vous abusez* je n’ay point d’interest,
Sçachez qu’on croit de moy beaucoup plus qu’il n’en est.
Je ne le cele* point, j’ay bien quelque principe
1340 De cette Astrologie** où tant de monde pipe*,
Et sur ce fondement mes amis indiscrets
Ont feint* d’en avoir veu de merveilleux effets ;
Mais quoy qu’on en publie*, et quoy que l’on en pense,
Aucun n’en vit jamais la moindre experience,
1345 Et si par leur exemple à cette feinte* instruit
Moy-mesme quelquefois j’ay confirmé ce bruit*,
Ce n’a jamais esté que quand la raillerie*
Loin de passer pour crime estoit galanterie* :
Mais icy qu’il s’agit de vous parler sans fard,
1350 Quel que soit le renom que m’ait acquis cet Art*,
La reputation ne m’en est point si chere,
Que pour la conserver je vueille vous rien taire.
Ainsi croyez qu’en vain touchant ce diamant
Vous attendez de moy quelque éclaircissement, {p. 101}
1355 En quelque main qu’il soit, et quoy qu’il en puisse estre,
Par le peu que je sçay je n’en puis rien cognoistre*.

LEONARD.

Quand je n’aurois pas sçeu par le raport d’autruy
Que vous estes l’honneur* des sçavants d’aujourd’huy,
Et que l’on fait de vous par tout un cas extresme,
1360 Cette humilité seule à parler de vous-mesme
Me persuaderoit de ce que vous sçavez.

D. FERNAND.

Perdez ces sentiments pour moy trop relevez,
Je ne sçay rien du tout, et je vous le proteste.

LEONARD.

La preuve du contraire est par là manifeste.
1365 Ainsi les plus sçavants, ainsi les plus parfaits
Doivent estre tousjours modestes et discrets,
Et ne pas obscurcir l’éclat de leur science*
Par le faste insolent d’une vaine arrogance.

D. LOUYS.

Il passe bien son temps496.

D. FERNAND.

O le vieillard maudit !
1370 Si j’estois en effet ce que l’on vous a dit,
Quand mesme497 je voudrois me cacher à tout autre,
Je donnerois icy mon interest au vostre, {p. 102}
Et je vous en dirois la pure verité.

LEONARD.

Je vous le498 dis encor que cette humilité
1375 Plus que vostre science* est en vous estimable,
Elle est d’un grand esprit la marque indubitable ;
Quiconque sçait beaucoup présume peu de soy,
La vanité jamais ne luy donne la loy,
Il descend en soy-mesme, il tâche à se cognoistre*,
1380 C’est n’estre pas sçavant que s’imaginer l’estre,
Et quelque Art* que ce soit, pour en discourir bien,499
Qui croit y tout sçavoir sans doute n’y sçait rien.
Mais pour venir enfin à ce qui me regarde…

D. FERNAND.

Il me va rendre fou, si je n’y prends bien garde.

LEONARD.

1385 Ce diamant perdu sembloit d’autant plus beau
Qu’il servoit de cachet aussi-bien que d’anneau,
Je l’avois fait graver. Et s’il est d’importance
Que vous sçachiez encor cette autre circonstance,
C’est entre neuf et dix qu’on croit l’avoir perdu.

SCENE IX. §

{p. 103}
LEONARD, D. FERNAND, D. LOUYS, PHILIPIN.

PHILIPIN tout haut, presentant un papier à D. Fernand.

1390 Monsieur, l’autre ce soir vous doit estre rendu.500
(Il le tire à part, et luy parle à l’oreille)
C’est prétexte, écoutez.

LEONARD à D. Louys.

D’où vient qu’il me refuse ?

D. LOUYS.

Peut-estre de Magie** il craint qu’on ne l’accuse,
On est prompt à médire, et le peuple ignorant
Attribuë aux Démons** tout ce qui le surprend,
1395 C’est par cette raison501 que vous le voyez feindre*.

LEONARD.

Je sçay ce qu’il faut taire, il n’a pas lieu de craindre.

PHILIPIN à D. Fernand.

C’est ce que maintenant m’a conté Beatrix.502

D. FERNAND à Philipin.

{p. 104}
Ton secours vient à temps, et sans toy j’estois pris.
(à Leonard.)
Pardonnez devant vous si j’ay receu message,
1400 Je sçay bien le respect que l’on doit à vostre âge,
Mais l’affaire pressoit.

LEONARD.

Vous me rendez confus :
Mais de grace avec moy ne dissimulez plus.

D. FERNAND.

Si j’en sçavoit assez…

LEONARD.

L’excuse est inutile,
Une bague perduë, est-il rien plus facile ?503

D. FERNAND.

1405 Monsieur, encore un coup504, je vous le dis sans fard…

LEONARD.

Monsieur, encore un coup laissons la feinte* à part,
Et m’apprenez505 enfin ce que je veux apprendre.

D. FERNAND.

De peur de vous fâcher* je voulois m’en défendre,
Mais vous m’y contraignez.

LEONARD.

Rien ne me peut fâcher*.

D. FERNAND.

[O, 105]
1410 Oyez donc ce qu’en vain j’ay voulu vous cacher,
Et sçachez que desja resvant* à vostre affaire
J’ay fait en mon esprit ce qu’il a fallu faire.
Celuy qui ce matin vous a fait compliment*
En habit de campagne, a vostre diamant.

LEONARD.

1415 Qui l’auroit soupçonné d’une si noire tache,
Et qu’estant si bien fait il eust l’ame si lâche ?
Mais quoy ! c’est un effet de la necessité
Qui du sang le plus pur rend un sang tout gasté*.
Vous voyez, D. Fernand, qu’en vain vous vouliez taire
1420 Ce dont sur vostre front je vois le caractere.
Quand je dis une fois, Cet homme a de l’esprit,
C’est un sçavant du siecle, il l’est sans contredit506,
Adieu.

SCENE X. §

{p. 106}
D. FERNAND, D. LOUYS, PHILIPIN.

D. LOUYS.

Sans Philipin il vous la bailloit belle507.

D. FERNAND.

Mais rencontrant D. Juan, s’il faut qu’il le querelle,
1425 Comme l’ayant volé, ce sera bien le bon508.

PHILIPIN.

Qu’importe s’il le prend pour gendre, ou pour larron* ?
C’est bien la mesme chose, et l’un et l’autre en somme
Pour en avoir le bien* veut la mort du bon-homme*.509

D. FERNAND.

Quoy que tout jusqu’icy m’ait succedé* fort bien
1430 Je suis las d’un mestier où je ne cognois rien,
Mais afin d’en sortir avecque plus de gloire,
Puisque je vois le pere en humeur de tout croire,
Je veux faire si bien, loing d’en estre jaloux,
Que D. Juan de Lucrece aujourd’huy soit l’époux, {p. 107}
1435 Et confesse devoir à ma feinte* science*
De son fidelle amour la juste recompense.
Mais quelqu’un entre encor.

D. LOUYS.

Quel est ce bon vieillard ?

D. FERNAND.

Depuis plus de trente ans il sert* chez Leonard.

SCENE XI. §

D. FERNAND, D. LOUYS, MENDOCE, PHILIPIN.

D. FERNAND.

Ah, Mendoce.

MENDOCE.

Ah, Monsieur, en faveur de Lucrece,
1440 Lucrece nostre bonne et commune maistresse510,
Si j’osois vous prier.

D. FERNAND.

{p. 108}
Parle, acheve, dequoy ?

MENDOCE.

De peu de chose.

D. FERNAND.

Dy, je feray tout pour toy.

MENDOCE.

Las de servir* tousjours, il m’a pris une envie
De revoir mon pays pour y finir ma vie,
1445 J’y porte quelque argent, le fruit de mes sueurs :
Mais comme les chemins sont remplis de voleurs,
Pour y tenir ma bourse à couvert du pillage,
Et mesme pour gagner les frais d’un long voyage,
Je voudrois bien, Monsieur, que par enchantement
1450 Vous me fissiez chez moy porter en un moment.

D. FERNAND à D. Louys.

Vous pouvez voir par là ce que l’on me croit estre.

PHILIPIN à Mendoce.

Il suffira de moy511 sans employer mon maistre,
J’en sçay trop pour cela, je t’y feray porter.

D. FERNAND.

Mendoce, pour ce soir va tousjours t’apprester,
1455 Philipin aura soing de ce qu’il faudra faire.

MENDOCE.

Monsieur, je m’en défie*.

D. FERNAND.

{p. 109}
Il n’ose me déplaire,
N’en apprehende rien.

D. LOUYS.

Il est tout satisfait.

D. FERNAND.

Allons en rire un peu dedans mon cabinet ;
(à Philipin.)
Feins* que je suis sorty si quelqu’un me demande.

SCENE XII. §

MENDOCE, PHILIPIN.

MENDOCE.

1460 Fay pour moy ce qu’il faut, ton maistre le commande,
Mais tu te mesles* donc aussi de son mestier ?

PHILIPIN.

Depuis que je le sers*, je suis demy Sorcier**[.]

MENDOCE.

Mais est-il si sçavant ?

PHILIPIN.

Plus qu’on ne s’imagine,
C’est un terrible esprit. {p. 110}

MENDOCE.

Il en a bien la mine*.

PHILIPIN.

1465 On diroit à l’ouyr quand il parle d’autruy,
Qu’il lit dedans les cœurs, ou le Diable pour luy512.

MENDOCE.

Qu’un valet est à plaindre avec tel513 personnage !
Ainsi si quelquefois allant faire un message
Un amy par hazard te vient prendre en defaut,
1470 Et t’oblige à tarder un peu plus qu’il ne faut,
Tu n’oses luy donner cette bourde* legere :
Le Courrier est venu plus tard qu’à l’ordinaire,
J’ay long temps attendu que Monsieur eust écrit,
J’ay veu chez le Tailleur s’il faisoit vostre habit,
1475 Et ce que nous fournit en diverse rencontre514
La peur d’estre chassez, ou de recevoir monstre515.
Pour moy, j’aymerois mieux et gueuser* et pâtir*,
Que de servir* un maistre et n’oser luy mentir.516

PHILIPIN.

D’abord ainsi qu’à toy cela m’estoit bien rude,
1480 Mais on se fait à tout avec un peu d’estude.

MENDOCE.

Tu n’oserois d’ailleurs517, quoy qu’avec gens discrets,
Ny médire de luy, ni conter ses secrets, {p. 111}
Ou s’il arrive enfin quand sa bile* le presse
Qu’à bons coups de baston il te fasse carresse,
1485 Tu n’oserois t’en plaindre, et dire à quelque amy    
Qu’il est fantasque*, et plus que Lutin*518 et demy,
Ou si le cas escheoit, avecque ses semblables
Le donner de grand cœur à trente mille Diables.
Quelques coups dont jamais j’aye esté regalé,
1490 Quand j’avois fait cela j’estois tout consolé.

PHILIPIN.

Le mien est indulgent.519

MENDOCE.

Facile, ou difficile,
En une belle nuit ma foy je ferois gille520.

PHILIPIN.

Ne sçauroit-il pas bien mon dessein en ce cas ?

MENDOCE.

Autre incommodité que je ne contois521 pas.
1495 Mais où je trouve encor de grands desavantages
S’il voit dedans les cœurs522 et lit sur les visages,
Le moyen en servant d’amasser un teston ?523
Remplit-on le gousset524 sans le tour du baston ?525
Et pouvons-nous avoir dequoy faire débauche526
1500 Sans ces menus profits qui nous viennent à gauche527 ?
Tu sçais que de l’argent qui tombe en nostre main {p. 112}
Selon l’occasion on retient le douzain528,
Et que peu de valet en font quelque scrupule.

PHILIPIN.

C'est à dire en deux mots que tu ferres la mule529 ?
1505 C’est un bon revenu dont il me faut passer,
Mon maistre hait le vol plus qu’on ne peut penser,
Et je croy pour cinq sols530 que sans misericorde
Il me feroit apprendre à danser sous la corde :
Mesme je te plains fort de l’estre venu voir,
1510 Te servant du talent531 et l’ayant fait valoir,
Car comme en te voyant il l’aura pû cognoistre*,
Il pourra bien tantost* en advertir ton maistre.

MENDOCE.

En advertir mon maistre ! helas, je suis perdu*.

PHILIPIN.

Pourquoy ? ton pis aller n’est que d’estre pendu.

MENDOCE.

1515 Hé de grace, en faveur d’un compagnon d’office*,
Empesche si tu peux qu’il ne l’en advertisse.

PHILIPIN.

As-tu bien dérobé ?

MENDOCE.

Peu de chose à la fois.

PHILIPIN.

[P, 113]
Mais souvent ?

MENDOCE.

Environ vingt ou trente par mois.

PHILIPIN.

A te dire le vray*, je n’y sçay qu’un remede.

MENDOCE.

1520 Dy-le-moy promptement afin que je m’en ayde.

PHILIPIN.

Mon maistre a maintenant tant de soins* en l’esprit,
Que sans qu’il pense à toy tu peux quitter Madrid :
N’attends donc point ce soir à532 faire ton voyage,
Cours viste de ce pas dresser ton équipage*[.]
1525 Que ton vieillard apres soit de tout adverty,
T’envoyera-t’il chercher quand tu seras party ?

MENDOCE.

Estant en mon pays je ne le craindrois gueres,
Mais c’est bien loing d’icy.

PHILIPIN.

Donne ordre à tes affaires,
Je t’y rends aujourd’huy quelque loing que ce soit,
1530 Mais il te faut munir en l’air contre le froid ;
Là soufflent certains vents ennemis de nature533,
C’est l’incommodité d’une telle voiture*,
Mais le voyage est fait en moins d’une heure, ou deux. {p. 114}

MENDOCE.

Et la monture ?

PHILIPIN.

Douce ainsi que tu la veux.
1535 Va cependant* m’attendre au jardin de ton maistre,
Je m’y rendray bien-tost.

MENDOCE.

Que ce soit sans peut-estre.

PHILIPIN.

Soit tout prest à partir.

MENDOCE.

Aussi534, si tu n’y viens535 ?

PHILIPIN.

Je m’y rendray, te dis-je. Ah, vieux loup, je te tiens.

FIN DU QUATRIESME ACTE.

{p. 115}

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

D. JUAN.

Enfin ma prison cesse, et par cette retraite*
1540 En vain j’ay creu tenir ma passion secrette,
Ma mauvaise fortune a sçeu la reveler ;
J’ay dequoy toutefois encor m’en consoler,
Sous ce pretexte faux de procez et d’affaire
Mon retour à Madrid passe pour necessaire,
1545 Et malgré mon Rival cette feinte* me sert*
A trouver chez Lucrece un accez plus ouvert.
C’est en vain, Leonor, que ton cœur en murmure*,
Je ne suis point ingrat, je ne suis point parjure,
Mes sentiments pour toy sont les mesmes encor,
1550 Leonor à mes yeux est tousjours Leonor,
Cent bienfaits* dans536 ton sort* font que je m’interesse, {p. 116}
Tu les versas sur moy tousjours avec largesse,
Mais quoy qu’ils n’ayent pas mis mon cœur dans tes liens,537
Ils ne sont pas perdus puisque je m’en souviens,
1555 N’exige rien de plus, j’ay pour toy grande estime,
Mais je ne puis t’aymer sans me noircir d’un crime,
Lucrece a sur mon ame un absolu pouvoir,
Mes visites en vain ont flatté* ton espoir,
Pouvois-je moins te rendre, et par recognoissance
1560 Ne te devois-je pas un peu de complaisance ?

SCENE II §

LEONARD, D. JUAN.

LEONARD.

Je vous cherchois, D. Juan.538

D. JUAN.

Mes vœux* sont satisfaits,
Et l’heur* de vous servir* fait mes plus grands souhaits,
Que me commandez-vous ?

LEONARD bas.

{p. 117}
Ah, que c’est grand dommage
Que cette lâcheté* noircisse un bon courage*,
1565 Et qu’un homme sorty d’un sang dont on fait cas
L’ose deshonorer par un vice si bas !
Qui le prendroit jamais pour voleur à la mine* ?

D. JUAN bas.

D’où vient qu’en parlant seul des yeux il m’examine ?
Auroit-il pû desja découvrir nostre amour,
1570 Et que pour l’abuser* je feins* un faux retour ?
O Destin ! ô Fortune à me nuire trop prompte !

LEONARD bas.

Je ne puis me resoudre à le couvrir de honte.
Parlons-luy, mais feignons* de croire seulement
Que de quelqu’autre main il tient mon diamant.
(à D. Juan.)
1575 Pour vous dire en deux mots le sujet qui m’améne,
C’est pour certain bijou dont539 je suis fort en peine*,
On me vient d’asseurer qu’il est entre vos mains.

D. JUAN bas.

Qu’en peu de temps le Sort* renverse mes desseins !

LEONARD bas.

Le voilà tout confus.

D. JUAN bas.

Que je suis miserable* !

LEONARD.

{p. 118}
1580 Je ne dis pas, D. Juan, que vous soyez540 coupable,541
Mais la main seulement de qui vous le tenez.542

D. JUAN bas.

Qu’à me persecuter les Cieux sont obstinez !

LEONARD.

Non, je ne doute point, quoy qu’on m’ait voulu taire,
Que qui vous l’a donné n’ait eu droit de le faire,
1585 Cessez de prendre soing* de vous justifier,
Vous l’estes avec moy.543

D. JUAN.

Je ne le puis nier,
(Il luy rend le diamant.)
J’ay vostre diamant, et veux bien vous le rendre :
Mais sans doute, Monsieur, on tâche à vous surprendre*,
Et si la verité doit icy s’exprimer,
1590 Je suis le seul coupable et le seul à blâmer.
(Bas.)
Plutost mourir cent fois que d’accuser Lucrece.

LEONARD bas.

Plus je cache son crime, et plus il le confesse.

D. JUAN.

Ouy, de ce procedé moy seul j’ay tout le tort,
Et vous dire autre chose est faire un faux raport*.

LEONARD bas.

1595 A quel point son erreur le seduit* et l’abuse* !
e tâche à l’excuser, et luy-mesme s’accuse. {p. 119}

D. JUAN.

Je vous le dis encor, quand je pris ce dessein*

LEONARD.

Contre la verité vous disputez* en vain,
Elle ne vous peut nuire encor que je la sçache544.

D. JUAN.

1600 Puisque vous la sçavez, en vain je vous la cache,
Et veux dissimuler en cette occasion*.
Je le confesse donc à ma confusion*,
Mon vol545 est trop hardy, je suis un temeraire,
Mais si mon crime est tel qu’il puisse vous déplaire,
1605 Pour ma défence au moins sçachez que malgré moy
D’un Astre dominant j’ay reconnu la loy,
Dont la necessité m’a mis dans la contrainte
De vous donner enfin juste sujet de plainte.
Si le peu que je vaux me défend d’esperer,
1610 Par vos bontez, Monsieur, j’ose vous conjurer…

LEONARD.

Non, non, je ne suis point un juge inexorable,
Je cognoy* trop dequoy la jeunesse est capable,
Et que l’occasion* force la volonté.

D. JUAN.

Puisque vous l’excusez avec tant de bonté,
1615 Pour me justifier authorisez mon crime, {p. 120}
Rendez de mes erreurs la cause legitime546,
Et daignez consentir qu’à Lucrece demain
En qualité d’époux D. Juan donne la main.

LEONARD.

A ma fille ? à quel droit547 ose-t’il y pretendre ?

D. JUAN.

1620 Faites-moy grace entiere en m’acceptant pour gendre,
J’ay le cœur franc* et noble548, et si j’ay peu de bien*,
Au moins suis-je d’un sang qui ne redoute rien,
Mon mal sans ce remede ira jusqu’à l’extréme.

LEONARD bas.

Est-il dans son bon sens, ou suis-je fou moy-mesme ?
1625 Resvay-je549, ou se peut-il qu’il parle tout de bon* ?
Trouvant trop de peril au mestier de larron*,
Aux dépens de mon bien*550 il veut se rendre sage,
Et m’ose demander ma fille en mariage.
O le plus plaisant fou qui jamais se verra !
1630 Qu’il vole, qu’il dérobe autant qu’il luy plaira,
Sans me desobliger il peut se faire pendre,
Mais qu’il n’espere pas estre jamais mon gendre.
D. Juan, je vous promets, quoy que vous m’ayez dit…

D. JUAN.

Vostre fille, Monsieur ?

LEONARD.

[Q, 121]
Le secret, il suffit,
1635 Adieu.

D. JUAN seul.

Vit-on jamais une telle surprise ?551
A luy confesser tout luy-mesme il m’authorise,
Et quand il sçait le feu dont je me sens brûler,
Il promet de se taire, et de n’en point parler ;
O trop bizarre effet de ma triste fortune !
1640 Mais que mal à propos je vois cette importune !
Tâchons de l’éviter.

SCENE III. §

D. JUAN, LEONOR, JACINTE.

LEONOR.

Arrestez un moment,
D. Juan, et recevez du moins* mon compliment*,552
La civilité seule à cela vous convie.
Une autre sous ses loix tient vostre ame asservie, {p. 122}
1645 Et ce cœur si long-temps captif de ma beauté,
Trouve enfin des appas* dans l’infidelité :
Et bien, ce changement est assez ordinaire,
Je le vois sans regret puisqu’il a pû vous plaire,
Mais fuyr à ma rencontre, et faire le surpris,
1650 C’est de l’indifference aller jusqu’au mépris,
Souvenez-vous du moins* que vous m’avez aymée.

D. JUAN.

Dites mieux, que de moy vous fustes estimée.
Ouy, Madame, si j’ose enfin parler sans fard,
L’Amour dans mes devoirs* n’eut jamais grande part :
1655 Je vous devois beaucoup, et faisois mon possible
Pour vous monstrer un cœur à vos bienfaits* sensible,
Mais il n’est plus saison* de vous rien déguiser,
Cessez d’estre credule et de vous abuser*,
D’un si charmant objet* je recognois l’empire
1660 Qu’avant que de553 changer il faudra que j’expire554.

LEONOR à Jacinte.

Avec combien d’adresse* il feint* pour m’éprouver* !

D. JUAN.

Par vos commandements je fus hier555 vous trouver,
Vous ne voulustes lors* ny me voir, ny m’entendre,556
Apres ce traitement rien ne vous doit surprendre,
1665 Ne vous estonnez point de ce que557 je vous fuis, {p. 123}
C’est vostre ordre, Madame, et je vous obeïs.

SCENE IV. §

LEONOR, JACINTE.

JACINTE.

Il meurt d’amour pour vous, vous le croyez encore [ ? ]

LEONOR.

Lors qu’il me traite mal c’est alors qu’il m’adore.

JACINTE.

D’un autre feu luy-mesme il se confesse épris.

LEONOR.

1670 C’est exprés qu’il affecte un si cruel mépris,
Il feint*, et ne me donne un peu de jalousie
Que pour mieux voir l’amour dont mon ame est saisie.
Je voy ce qu’il pretend, et j’en croy D. Fernand.

JACINTE.

Si j’ose avec franchise* en parler maintenant,
1675 Ce n’est qu’un imposteur, à fourber* il est maistre,558
Et par son procedé vous le pouvez cognoistre*, {p. 124}
Ne vous y fiez plus559, quoy qu’il vous en ait dit,
Il vous trompe, Madame, et D. Juan vous trahit :560
En doutez-vous encore, et sans trop de foiblesse
1680 Pouvez-vous ignorer qu’il adore Lucrece ?
D. Lope vous l’a dit.

LEONOR.

D. Lope m’est suspect,
Tu sçais pour son amy qu’il n’a plus de respect,
Qu’il me parle d’amour sans craindre ma cholere,
Le raport* d’un Rival est rarement sincere,
1685 Et quoy que de D. Juan il puisse me conter,561
J’ay tousjours lieu de craindre et sujet de douter.

SCENE V. §

D. LOPE, LEONOR, JACINTE.

D. LOPE.

Ne doutez plus, Madame, et croyez qu’au contraire
Le raport* de D. Lope est un raport* sincere. {p. 125}
Mon amour quoy qu’extrême écoute la raison,
1690 Je ne vous pretends562 point par une trahison,
Je n’ay ny le cœur bas, ny l’ame interessée,
Et bien loin d’avoir eu jamais cette pensée,
Tant que j’ay crû D. Juan à vos charmes soûmis,
Qu’ay-je fait ? qu’ay-je dit ? que me suis-je permis ?
1695 D’un silence obstiné j’ay suby la contrainte,
Je me suis défendu mesme jusqu’à la plainte,
Et si quelque soûpir* m’échappoit quelquefois,
Comme un enfant mal né je le desadvoüois.
Mais puisque d’un amy le change* illegitime
1700 Me permet aujourd’huy de soûpirer* sans crime,
Souffrez* que je découvre aux yeux qui m’ont charmé*
Le beau feu qu’en mon ame ils avoient allumé,
Et qu’un fâcheux* respect me contraignoit de taire
Jusqu’à m’estre moy-mesme à moy[-] mesme contraire,
1705 Vous parler pour un autre, et faire mon effort
Pour haster un Hymen dont j’attendois la mort.

LEONOR.

Mais me dites-vous vray ? D. Juan n’est-il qu’un traistre ?563

D. LOPE.

Un violent amour de son cœur est le maistre.

LEONOR.

{p. 126}
Il me quitte ?

D. LOPE.

Peut-estre il vous quitte à regret,
1710 Mais par son propre adveu* je trahis son secret.

LEONOR.

Et pour Lucrece enfin l’ingrat* m’est infidelle ?

D. LOPE.

Encor tout maintenant* il vient d’entrer chez elle.564

LEONOR.

Puis-je m’en asseurer ?

D. LOPE.

Je l’ay veu de mes yeux.

LEONOR.

O le plus lâche amant qui soit dessous les Cieux !
1715 Ne nous aveuglons plus, punissons son offence,
Qu’il ne soit plus pour moy qu’un objet* de vangeance.
D. Lope, m’aymez-vous ?

D. LOPE.

Madame !

LEONOR.

Suivez-moy.
Leonor est à vous, je vous promets ma foy*,
Mais pour servir ma hayne, et vanger mon injure*,
1720 Je ne vous la promets que devant ce parjure,
Ruinant son amour565, et vous donnant la main566, {p. 127}
Je veux qu’il se repente, et se repente en vain,
Qu’il me voye à regret entre les bras d’un autre,
Que son bonheur détruit establisse le vostre,
1725 Et que perdant l’espoir dont il s’ose flatter*
Il regrette ce cœur qu’il n’a sçeu meriter.

SCENE VI. §

MENDOCE en équipage* de voyageur, dans le jardin de Leonard.

Adieu, Madrid, Adieu, sans regret je te quitte,
Le desir du repos enfin m’en sollicite,
Je préfere le chaume à tes plus beaux Palais,
1730 Et te dis derechef* un Adieu pour jamais.
J’abandonne tes murs, on n’y vit qu’avec trouble,
A peine bien souvent y gagne-t’on le double567[.]
Quoy que j’aye tousjours servy par interest,
Ma bourse est si legere…

SCENE VII. §

{p. 128}
PHILIPIN, MENDOCE.

PHILIPIN.

Et bien, es-tu tout prest ?

MENDOCE.

1735 Tu vois, la grosse cappe avec de bonnes bottes.

PHILIPIN.568

Mets-toy dedans ce rond.569

MENDOCE.

Qu’est-ce que tu marmotes570 ?

PHILIPIN.

C’est desja fait, il reste à te bander les yeux.

MENDOCE.

Pourquoy !

PHILIPIN.

Laisse-moy faire.

MENDOCE.

En voleray-je mieux ?

PHILIPIN.

Tu pourrois t’éblouyr, et tomber cul sur teste571.

MENDOCE.

[R, 129]
1740 Bande donc572, mais dy-moy, la monture ?

PHILIPIN.

Elle est preste,
Je n’ay rien qu’à siffler573, on me l’amenera.

MENDOCE.

Une mule ?

PHILIPIN.

Une mule.

MENDOCE.

Et qui me conduira ?
Si j’allois m’égarer ?

PHILIPIN.

O la vision bleuë574 !
Quelque Diable Folet** suyvra ta mule en queuë575.

MENDOCE.

1745 Il est donc, Philipin, des Diables** muletiers ?

PHILIPIN.

Doutes-tu qu’il n’en soit presque de tous mestiers ?
Il en est de Sergents*, il en est de Notaires,
Il en est de Barbiers comme d’Apotiquaires,
Il en est de Greffiers, il en est de voleurs,
1750 Il en est de devots et de Monopoleurs*,
Il en est de tout poil576, il en est de tous âges,
Il en est d’Usuriers et de presteurs sur gages,
De souffleurs* d’Alchymie et de rongneurs d’escus577,
Il en est de jaloux, et mesme de cocus.578

MENDOCE.

{p. 130}
1755 De cocus ?

PHILIPIN.

Sans cela d’où leur viendroient les cornes ?
Il en est de lourdauts*, de hargneux, et de mornes*,
Il en est d’enjoüez*, il en est de grondants,
De danceurs sur la corde et d’arracheurs de dents,
Il en est de village, il en est du grand monde,
1760 Il en est à la mode, il en est à la fronde579,
Enfin, que te diray-je ? il en est de galands*,
Il en est de mutins*, il en est d’amiables*,
Il en est de méchants ainsi que tous les Diables**.580
1765 Mais c’est trop s’arrester, voicy le mien venu,
Monte.

MENDOCE.

Débande-moy, pour voir s’il est cornu,
J’ay curiosité de voir un Diable** en face.

PHILIPIN.

Il t’épouvanteroit, il fait laide grimace,
Suffit qu’il te conduise.
(Il le fait monter sur une palissade du jardin, et le lie.)

MENDOCE monte581 pendant que Philipin le lie.

Ah, Monsieur le Lutin**,
1770 Ne m’abandonne pas au milieu du chemin,
Tu me ferois donner bien-tost du nez en terre582.

PHILIPIN.

{p. 131}
Tout ira comme il faut.

MENDOCE.

Au Diable comme il serre,
Relâche tant soit peu583.

PHILIPIN.

Te voilà bien ainsi.

MENDOCE.

Qui me détachera ?

PHILIPIN.

N’en sois point en soucy*,
1775 Et sçache seulement qu’alors que l’on arrive
L’on entend une voix et dolente* et plaintive,
En suite de grands cris, mais va, quitte ce lieu,
Adieu, marche. Ah Mendoce, Adieu Mendoce, Adieu.
O comme tu fens l’air !
(Il s’éloigne toûjours.)

MENDOCE.

Je sens bien que je vole,
1780 Car à peine j’entens le son de sa parole.
Quel bonheur ! je verray mon païs584 aujourd’huy.

PHILIPIN en prenant sa bourse.

S’il est volé, je m’offre à répondre585 pour luy.

MENDOCE.

Cette Mule endiablée586 est sans mentir bien douce,
Elle va toute seule et sans que je la pousse,
1785 Elle n’ébranle point, j’y suis comme en mon lit. {p. 132}
(Il luy fait vent587 avec un soufflet.)
Je croy que l’on acquiert en l’air grand appetit.
Mais il m’en avoit bien adverty, le maroufle*,
Diable, qu’il fait de froid588, et quel vilain vent souffle !
J’en ay la barbe* prise et le nez tout gelé.

PHILIPIN.

1790 On vient dans le jardin, et quelqu’un a parlé.
Medaille* du vieux temps, on te la sauve belle589.

SCENE VIII. §

D. JUAN, LUCRECE, BEATRIX, MENDOCE, PHILIPIN.

LUCRECE.

Quoy, si-tost découverts ! ô la triste nouvelle !
Cessons de nous flatter*, tout espoir est perdu.

D JUAN.

Il me l’a demandé, je l’ay soudain590 rendu
1795 Ce gage precieux d’une amour toute pure :
Mais à ce déplaisir* donnez quelque mesure,
Je ne sçaurois me plaindre encor de sa rigueur, {p. 133}
Il m’a parlé tousjours avec grande douceur,
Et peut-estre, Madame, il sera moins farouche,
1800 Quand il sçaura de vous que mon amour vous touche.

LUCRECE.

S’il ne tient qu’à cela, D. Juan, soyez certain
Que Lucrece est à vous peut-estre dés demain.591

D. JUAN.

O charmante* parole !

LUCRECE.

Enfin je vous la donne592
D’estre à vous pour jamais, ou de n’estre à personne.

D. JUAN.

1805 Que je me tiens heureux de vivre sous vos loix !

MENDOCE.593

Je discerne avec peine un bruit confus de voix,
Je passe asseurément sur quelque grande ville.

D. JUAN.

Ainsi le Ciel pour vous en miracles fertile…

BEATRIX.

Madame.

LUCRECE.

Que veux-tu ? quelqu’un vient-il icy ?

BEATRIX.

1810 Ouy, nostre bon vieillard, et l’Astrologue aussi,
Ils entrent au594 jardin.

LUCRECE.

{p. 134}
Quel obstacle à ma joye !

D. JUAN.

Ne puis-je m’échaper ?

LUCRECE.

Non pas sans qu’on vous voye,
Cachez-vous promptement, et croyez qu’en tout cas,
S’il faut parler pour vous, je ne me tairay pas.

SCENE IX. §

LEONARD, D. FERNAND, LUCRECE, BEATRIX, MENDOCE, PHILIPIN.

D. FERNAND.

1815 Que ce jardin est beau !

LEONARD.

C’est l’amour du bon-homme*595,
Et comme je m’y plais, tout mon soin* s’y consomme596.597

D. FERNAND.

Sur tout de ce ruisseau le murmure est charmant*.

LEONARD.

{p. 135}
Ma fille, approche-toy, voicy ton diamant.

LUCRECE à Beatrix.

Faut-il souffrir* icy cet objet* de ma hayne ?

LEONARD luy rendant sa bague.

1820 Rends grace à D. Fernand qui nous tire de peine*.

D. FERNAND.

Madame, si le Ciel répond à mes souhaits,
Vous cognoistrez mon zele à de plus grands effets598.

LUCRECE.

Vous m’obligez*, Monsieur, plus que je ne merite.

LEONARD voyant entrer Leonor.

Que nous veut cette Dame ?

MENDOCE.599

O que je vole viste !
1825 Je passe sur un lieu de l’autre differend,
Et le bruit qu’on y fait est de beaucoup plus grand.

SCENE X. §

{p. 136}
LEONARD, D. FERNAND, D. LOPE, LEONOR, LUCRECE, BEATRIX, MENDOCE, PHILIPIN.

LEONOR.

Ne vous estonnez point si j’ose icy paroistre600,
Je n’y viens, Leonard, que pour chercher un traistre,
Et pour vous advertir qu’au mépris de ses feux
1830 Un parjure insolent nous affronte tous deux.
S’il ayme vostre fille, il est adoré d’elle,
Ce reciproque amour me le rend infidelle,
Il est caché céans* ce lâche suborneur*,
Faites-m’en la raison601 et vangez vostre honneur*.

LUCRECE bas.

1835 O malheur impréveu !

MENDOCE.602

J’entens la voix plaintive,
Sans doute à mon pays c’est signe603 que j’arrive.

LEONARD regardant Lucrece.

[S, 137]
Un homme icy caché !

LUCRECE.

Dequoy m’accusez-vous ?

LEONARD.

Sois sans crime, autrement redoute mon couroux.
Mais je veux me purger de ce soupçon infame,
1840 Il faut chercher par tout, allons, venez, Madame.
Voyons tout le jardin.

LEONOR.

Seroit-il point icy ?604

SCENE XI. §

LEONARD, D. FERNAND, D. JUAN, D. LOPE, LEONOR, LUCRECE, BEATRIX, JACINTE, PHIL., MEND.

D. JUAN se monstrant.

Ne cherchez plus D. Juan, Madame, le voicy.605

LEONOR.

{p. 138}
Ingrat*, traistre.

D. JUAN.

Ah, cessez de me faire une injure*
En me donnant les noms d’ingrat* et de parjure.

LEONARD.

1845 Le destin de ma fille agit bizarrement,
Je rencontre un voleur en cherchant son amant.
(à D. Juan.)
Vous pretendiez encor joüer un tour de maistre,
Et pour nous dérober vous vous cachiez peut-estre[ ? ]

LEONOR.

On perd icy l’esprit, ou je n’y cognoy rien.
1850 Pour qui le prenez-vous ?

LEONARD.

Madame, il m’entend* bien.

D. JUAN.

Si je vous entends* bien, certes606 au moins* j’ignore
Pourquoy j’ay merité que l’on me deshonore.
Je ne suis point voleur, et j’ay le cœur trop haut
Pour souffrir qu’on m’impute un si lâche* defaut,
1855 Pour me justifier d’une telle bassesse*
Il faut qu’aux yeux de tous la verité paraisse.
Ouy, j’ayme vostre fille,607 et cet objet* vainqueur
Depuis un an entier dispose de mon cœur,
Cette bague tantost* que je vous ay renduë608,                        [139]
1860 C’est de sa propre main que je l’avois receuë,
Et si vous luy donnez liberté de parler,
Elle m’estime assez pour ne le pas celer*.

LEONARD à Lucrece.

Dit-il vray ? l’aymes-tu ? parle sans craindre un pere.

LUCRECE.

Puisque vous m’ordonnez de ne vous plus rien taire,
1865 J’advoüeray ma foiblesse, et que depuis un an
J’ay donné mon estime aux vertus* de D. Juan.609

LEONARD tirant D. Fernand à part.

De grace, D. Fernand.

LEONOR.

Il ne le faut pas croire,
Il ne fait que fourber*.

LEONARD.

Pour conserver ma gloire*
Que faut-il que je fasse ?

D. FERNAND.

Ouvrez enfin les yeux,
1870 Et ne resistez plus aux volontez des Cieux.
Je vous en ay tantost* desja dit ma pensée,
Que d’un semblable Hymen elle estoit menacée :
Puisqu’un homme sans biens*610 doit estre son époux,
Pour faire un meilleur choix, où le chercherez-vous ?
1875 D. Juan est de sang noble et d’illustre famille, {p. 140}
Puisqu’avec tant d’ardeur* il ayme vostre fille,611
D’un mot de vostre bouche authorisant son feu
Donnez à cet Hymen un genereux* adveu*.

LEONARD.

Suivant l’ordre du Ciel on ne se peut méprendre.
1880 Embrassez-moy612, D. Juan, je vous reçois pour gendre.613

D. JUAN.

O joye inesperée ! ô supréme bon-heur !

LEONOR.

Est-ce ainsi, Leonard, qu’on vange mon honneur* ?

LEONARD.

Le mien interessé demandoit ce remede.

LEONOR à D. Juan.

Escoute aveuglement l’ardeur* qui te possede,
1885 Va, traistre, rends hommage à l’infidelité,
Le Ciel me vangera de ta desloyauté.
Allons, D. Lope, allons, je vous tiendray parole.

SCENE XII. §

{p. 141}
LEONARD, D. FERNAND, D. JUAN, LUCR. BEATRIX, PHILIPIN, MENDOCE.

D. JUAN.

D’une femme en couroux la menace est frivole.

MENDOCE.614

Ah je suis arrivé, de ce coup615 je le croy,
1890 J’entends force616 grands crys, Lutin**, débande-moy.

LEONARD détournant la teste et appercevant Mendoce.

Quel spectacle est-ce-cy.

PHILIPIN à D. Fernand.

La tromperie est bonne.
C’est nostre voyageur, que rien ne vous estonne,
Il se croit desja loin.

D. FERNAND.

O qu’il est ingenu !
Il faut le deslier.

MENDOCE descendu de la palissade.

{p. 142}
Enfin je suis venu617,
1895 Et je ne fis jamais voyage tant à l’aise618.
O ma terre natale, il faut que je te baise.

LEONARD.

C’est Mendoce, est-il fou ?

MENDOCE.

Que mes yeux sont ravis* !
Vous estes donc aussi, Monsieur, en mon pays !
Mais pour vous y porter, ostez-moy de scrupule*,
1900 Le Diable vous a-t’il aussi fourny de619 mule ?

LEONARD.

As-tu l’esprit troublé, c’est icy mon jardin,
Ne le cognois*-tu pas ?

MENDOCE.

Ah, traistre Philipin.
(Il court apres Philipin qui s’enfuit.)620

PHILIPIN.

Le charme** t’a manqué.

LEONARD.

Sont-ils fous l’un et l’autre ?

D. FERNAND.

Excusez un valet qui s’est joüé* du vostre.

LEONARD.

1905 Tout s’excuse aisément vous ayant pour amy.

D. FERNAND.

{p. 143}
Vous ne me cognoissez encore qu’à demy.

LEONARD.

Vostre Art* si merveilleux…

D. FERNAND.

Brisons-là je vous prie,
Mais il faut que ce soit avec plus de loisir621.

LEONARD.

1910 Je vous écouteray tousjours avec plaisir.
Tandis622 pour dégager ma parole donnée,
Il faut de nos amants terminer l’Hymenée,
Allons y donner ordre, et d’un esprit content
Asseurer à D. Juan le bonheur qu’il attend.623

FIN DU CINQUIESME ET DERNIER ACTE.

PRIVILEGE DU ROY. §

LOUIS PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE France ET DE NAVARRE : A nos amez et feaux Conseillers les Gens tenans nos Cours de Parlement, Maistres des Requestes ordinaires de nostre Hostel, Baillif, Seneschaux, Prevosts, leurs Lieutenans, et à tous autres nos Justiciers et Officiers qu’il appartiendra, Salut. Nostre cher et bien amé LE SIEUR CORNEILLE624, Advocat en notre Cour de Parlement de Normandie, Nous a fait remonstrer, qu’il a cy-devant donné au Public diverses pieces de Theatre qui ont esté receuës avec succez, et qu’il est sollicité d’en mettre maintenant au jour quatre nouvelles intitulées, Andromede, Nicomede, le feint Astrologue, et les Engagements du hazard ; ce qu’il ne peut faire sans avoir nos Lettres de permission sur ce necessaires. A CES CAUSES, et desirans gratifier et favorablement traitter ledit SIEUR CORNEILLE, en consideration de ses services, Nous luy avons permis et permettons par ces presentes de faire imprimer, vendre et debiter en tous les lieux de nostre obeyssance, lesdites Quatre pieces de Theatre intitulées Andromede, Nicomede, le feint Astrologue, et les Engagements du hazard, par tel Imprimeur ou Libraire qu’il voudra le choisir, conjointement ou separément, en un ou plusieurs volumes, en telles marges, en tels caracteres, et autant de fois que bon luy semblera durant dix ans, à compter du jour que chaque piece ou volume sera achevé d’imprimer pour la premiere fois. Et faisons tres-expresses defenses à toutes personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, d’imprimer, faire imprimer, vendre et debiter lesdites pieces de Theatre en aucun lieu de nostre obeyssance sans le consentement de l’exposant, ou de ceux qui auront droit de luy, à peine de deux mil livres d’amende payables sans deport par chacun des contrevenans, et applicables un tiers à Nous, un tiers à l’Hostel-Dieu de Paris, et l’autre tiers audit Exposant, ou au Libraire dont il se sera servy, de confiscation des Exemplaires contrefaits, et de tous despens, dommages et interests. A condition qu’il sera mis deux exemplaires de chaque volume, qui sera imprimé en vertu des presentes, en nostre Bibliotheque publique, et un en celle de nostre tres-cher et feal le Sieur Marquis de Chasteauneuf Chevalier, Garde-des-Seaux de France ; à peine de nullité des presentes. Du contenu desquelles Nous voulons, et vous mando[n] s que vous faciez joüyr plainement et paisiblement durant ledit temps l’exposant, et ceux qui auront droit de luy, sans souffrir qu’ils y reçoivent aucun empeschement. Voulons aussi qu’en mettant au commencement ou à la fin de chacune desdites Pieces ou Volumes, un Extrait des presentes, elles soient tenuës pour deuëment signifiées, et que foy y soit adjoutée, et aux copies collationnées par un de nos amez et feaux Conseillers et Secretaires comme à l’original. Mandons au premier nostre Huissier ou Sergent sur ce requis de faire pour l’execution de[s] presentes tous Exploits necessaires, sans demander autre permission. CAR TEL EST NOSTRE PLAISIR, nonobstant clameur de Haro, Chartre Normande, et autres lettres à ce contraires. Donné à Paris le 12. jour de Mars l’an de grace 1651. et de nostre regne le huictiesme.

PAR LE ROY EN SON CONSEIL.

CONRART.

Achevé d’imprimer le dernier May mil six cens cinquante et un.

Glossaires §

Dictionnaires cités :

  • – Dictionnaire de l’Académie française, 2 volumes, Paris, Coignard, 1694 : (Ac)
  • – FURETIÈRE, A., Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, A. et R. Leers, 1690, 3 volumes, Genève, Slatkine Reprints, 1970 : (F)
  • – HUGUET, E., Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle, Paris, H. Champion, 1932, 7 volumes : (H)
  • – RICHELET, P., Dictionnaire français, contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue française, 1680, 2 volumes, Genève, Slatkine Reprints, 1970 : (R)
  • – REY, A., Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2004 : (Rey)

Glossaire général §

Abattre (s’)
« Perdre courage, se laisser accabler » (R).
V. 958, 1115
Abuser
Tromper.
Admirer
« Regarder avec estonnement quelque chose de surprenant ou dont on ignore les cause » (F).
V. 638
Advanture
« Événement, accident, chose qui arrive inopinément » (F).
V. 204, 619, 703, 795, 998, 1368
Adveu
« Ordre ou consentement donné » (F).
V. 1226, 1710, 1878 ; le terme présente son sens courant actuel de « confidence » au vers 573
Advis
Avertissement.
V. 421 ; le terme présente son sens courant actuel d’« opinion » au vers 1022
Advouer
« Autoriser une chose, déclarer qu’on l’approuve, soit qu’elle ait été faite par notre ordre ou non » (Ac).
V. 454 ; le terme présente son sens courant actuel d’« admettre, reconnaître » au vers 479, 499, 629, 680, 888, 987, 1114, 1190, 1247
Affaire
« Se dit particulierement des procés » (F)
V. 575
« Se dit aussi quelquefois de la fortune, de l’état, des biens d’une personne » (F).
V. 1172
Air
Traits du visage, mine, physionomie.
V. 495
Aymable
Digne d’inspirer de l’amour.
V. 410, 416, 1130
Amant, maîtresse
Désigne ici celui ou celle qui aime et qui est aimé(e), en dehors de toute idée de relation sexuelle
Liste des acteurs, 913, 946
Celui ou celle qui aime, sans idée de réciprocité.
V. 405
Amiable
« En la place de ce mot, on dit doux, honnête, plein d’amitié, de bonté et de tendresse. » (R).
V. 1763
Amoureux, se
Désigne celui ou celle qui aime, sans idée de réciprocité. La liste des acteurs fait le départ entre l’amant et l’amoureux qui n’est pas aimé en retour.
Liste des acteurs
Appas
Attrait, charme.
V. 407, 1646
Ardeur
« Passion » (R et F), vif intérêt.
Art
Science, savoir, discipline.
Artifice
Ruse.
V. 1002
Asseurance (d’)
« Où l’on est en sûreté » (H)
V. 119
Avec certitude.
V. 220.
Aussi bien
D’ailleurs, du reste.
V. 312, 801
Babillard
Bavard.
V. 18
Badaut
« Sot, niais » (R).
V. 1030
Barbe
« Tout le poil qui est au dessus des lévres, aux jouës et au menton. » (R).
V. 1789
Bassesse
Action indigne.
V. 1855
Baye ou baille
Tromperie. L’expression « donner la baye » signifie tromper, duper quelqu’un par de belles promesses.
V. 175
Besoin (au)
En cas de necessité, si besoin est.
Bien (fille de bien)
Fille honnête, d’une probité absolue
V. 458
Bien(s)
Fortune, richesses
V. 219, 364, 556, 585, 930, 1148, 1428, 1621, 1627 dans un sens figuré, 1873
Bienfait.
V. 585, 701
Bienfait
« Grace, faveur, […] bon office » (Ac). Aux vers 316 et 319, 1551, 1656 le terme a une valeur euphémistique et désigne de façon allusive et bienséante un don d’argent.
V. 316, 319
Bile
Humeur, et figurément, colère (F).
V. 1483
Bizarre
Capricieux, irrégulier (Rey).
V. 590 ; le terme présente son sens courant actuel d’« étrange » au vers 1639
Bon-homme
« Se prend aussi pour Un vieillard » (Ac).
Bourde
Mensonge.
V. 1471
Breteur
Querelleur, « Celuy qui porte une brette [épée qui est plus longue que celle que les Gentilshommes portent d’ordinaire], qui aime à se battre et à ferrailler. On le dit aussi des Filous, des gens qui ne vivent que des violences qu’ils font en des lieux de desbauche, ou qui servent à venger les querelles d’autruy » (F).
V. 1762
Bruit
Rumeur.
Caprice
Extravagance, fantaisie, « On le dit quand au lieu de se conduire par la raison, on se laisse emporter à l’humeur dominante où on se trouve » (F). Rey ajoute qu’il s’agit d’une « disposition d’esprit à des changements fréquents […] considérée négativement par l’idéologie classique qui y voit un dérèglement d’esprit ».
V. 32, 287, 383, 1236
Cavalier
« Gentilhomme faisant profession des armes » (Ac). Plutôt qu’une véritable désignation sociale, il s’agit probablement ici de la simple traduction littérale du terme espagnol « Cavallero » qui désigne Don Juan et Don Diego dans la pièce de Calderón El Astrólogo fingido.
V. 110, 167, 541, 558
Céans
Ici.
V. 1833
Celer
Cacher.
Cependant
Pendant ce temps, en attendant.
Certain (au)
Avec certitude.
V. 545
Cerveau
Esprit.
V. 591
Chagrin
« Melancolie, ennuy : fascheuse, mauvaise humeur » (Ac).
Change
Changement en amour, infidélité.
V. 1699
Changé
« On dit, qu’Un homme est bien changé, pour dire, qu’il a […] les mœurs, tout autres qu’il n’avoit auparavant » (Ac).
V. 27
Charmant
« Qui plaît extraordinairement, qui ravit en admiration » (F).
Cognoistre
Savoir
V. 630, 650, 822, 924, 1356, 1511, 1612, 1676 ; le terme présente son sens courant actuel d’ « avoir une idée de quelque chose ou de quelqu’un » au vers 1906
Reconnaître
V. 1902
Se cognoistre
« Savoir vraiment qui on est » (R)
V. 674, 1379
Se reconnaître.
V. 1157
Commerce
Relation.
Compliment
Parole de civilité, politesse.
Confondre
« Troubler, […] étonner, […] jeter dans le trouble » (R).
V. 705, 1083
Confusion
Trouble, embarras extrême que cause la honte ou la modestie
V. 826
« Honte » (F)
V. 1269, 1602
Situation troublée, désordre.
V. 1089
Conseil
« Resolution » (F), décision.
V. 1211
Constant
Fidèle.
V. 38
Constamment
Fidèlement, « d’une manière uniforme ; invariable ; toujours égale, et qui ne change point » (F).
V. 22
Contrefaire
Imiter, feindre.
V. 151
Cosmographie
« Description du monde universel » (Ac), géographie.
V. 991
Couleur
Apparence, « Prétexte, couverture, moien qu’on imagine pour palier quelque chose » (R).
V. 341, 394
Courage
Cœur comme siège du sentiment, fermeté, hauteur de l’âme
Énergie morale, « Disposition de l’ame avec laquelle elle se porte à entreprendre ou à repousser, ou à souffrir quelque chose » (Ac)
V. 379, 735, 903
Exhortation au courage.
V. 932
Credit
« Reputation où l’on est de bien payer, et qui est cause qu’on trouve aisément à emprunter » (Ac).
Cruel, elle
Dans le vocabulaire amoureux classique, le terme signifie « insensible à l’amour qu’on lui porte » (Rey).
V. 410
Décevoir
Tromper.
V. 237
Défier (se)
Se méfier.
V. 1456
Déplaisir
« Chagrin, tristesse […] » (F). Si le terme signifie simplement « impression désagréable » en français moderne, il a dans la langue classique le sens fort de « souffrance morale » qui disparaît dès le XVIIIe siècle (Rey).
Derechef
« Ce mot est un peu vieux. Il ne trouve sa place que dans le burlesque, et même assez rarement. Il veut dire encore, de nouveau. » (R).
V. 1730
Déreglement
« Desordre, action ou mouvement qui se fait contre les loix naturelles, ou civiles » (F), en particulier « désordre dans la conduite morale » (Rey).
V. 506
Dessein (prendre, faire ou avoir dessein)
Projeter, avoir l’intention, décider de
À dessein de
Dans le but de, avec l’intention de
V. 87, 1265
La locution adverbiale « à dessein » signifie délibérément, dans ce but.
V. 437
Devoir
Hommage (dans un sens amoureux et galant).
V. 40, 280, 862, 1654 ; le terme est employé dans son sens courant d’« obligation » au vers 1129
Differer
Remettre à plus tard.
V. 735, 1163
Disgrâce
Défaveur
V. 158, 200, 1244
« Infortune, malheur » (Ac).
V. 335, 551, 1051
Disputer
Contester, « Défendre son sentiment contre quelqu’un. Discourir avec une personne avec chaleur sur quelque point d’art ou de science. » (R).
V. 748, 1598
Divertir
Sous sa forme pronominale, le verbe présente ici son sens courant de « se distraire », mais avec une légère nuance de raillerie : le Dictionnaire de l’Académie indique en effet que le terme signifie aussi « [r] ailler, se moquer agréablement » ; (v. 1220) : « Detourner » (F).
V. 186
Dolent, e
« Triste, affligé » (R).
V. 1776
Émotion
« Mouvement extraordinaire qui agite le corps ou l’esprit […] » (F), « Crainte, trouble, éfroi » (R).
V. 786
Enjoüé
L’enjouement consiste en une attitude prisée des milieux mondains, une qualité typiquement galante qui se caractérise par la gaîté, la légèreté et le refus de tout esprit de sérieux.
V. 690, 1757
Ennuy
« Affliction, douleur, tristesse. » (H)
V. 337, 402
Ennuyé
Affligé.
V. 375
Enrager
Être impatient, « [i] l se dit aussi, d’Un besoin vif et pressant, et accompagné de douleur […]. D’un desir ardent et violent » (Ac)
V. 482, 834, 1031
Enrager pour
Brûler de.
V. 155
Entendre
Comprendre
V. 39, 193, 418, 592, 625, 838, 1850, 1851
J’entens
Je veux dire.
V. 969
Entretenir
Converser, discuter, s’entretenir avec quelqu’un.
V. 138, 281, 1908
Envy (à l’)
« Par émulation et pour voir qui fera, ou reüssira le mieux » (R), « A qui mieux mieux » (F).
V. 691
Esprouver
« Expérimenter, essayer la bonté d’une chose » (F), mettre à l’épreuve.
V. 547, 1661
Equipage
« Provision de tout ce qui est necessaire pour voyager » (F)
V. 1524
Manière dont une personne est vêtue.
Didascalie de la scène V, 6
Escolier
Élève.
V. 605
Essay
Expérience, épreuve.
V. 509, 845
Estat (faire)
La locution faire estat de signifie « estimer, considérer comme important » (H), « faire cas de » (Rey, H).
V. 329
Estude
« Se dit aussi de la science, de l’art, et de toute autre chose à quoy on applique son esprit » (F)
V. 564
« Aplication d’esprit. » (R).
V. 663
Evertuër (s’)
« S’éforcer de faire quelque chose. » (R).
V. 607
Fable
Mensonge.
V. 487
Fascher
« Offenser quelqu’un, lui donner un sujet de chagrin ou de colere. » (F).
Fascher (se)
Avoir du déplaisir, s’offenser, se mettre en colère.
V. 553
Fascheux, euse
Qui cause du déplaisir, de la peine.
V. 293, 1703
Fantasque
« Capricieux […], qui a des manieres ou des humeurs extraordinaires. » (F).
V. 1486
Fatal
Qui arrive nécessairement, qui est fixé par un décret du sort, mais aussi malheureux, funeste, en particulier dans son emploi hyperbolique typique du lexique galant
V. 374, 590.
Feindre
Faire semblant dans le but de tromper, dissimuler.
V. 175, 386, 394, 1395, dans la didascalie qui précède le v. 670, v. 839, 1295, 1342, 1459, 1570, 1573, 1671
Feinte
Ruse, tromperie, dissimulation.
Feint, e
Faux.
V. 515, 1435
Fille
Servante, soubrette
V. 12, 458
Jeune fille, se dit par opposition à femme mariée.
V. 943, 990
Filou
Voleur.
V. 1762
Flatter
Ménager, donner de l’espoir
« Tromper en deguisant la vérité […] » lorsqu’elle est désagréable (Ac).
V. 101
Fortuné, e
Heureux.
V. 943
Fourbe
Tromperie
Au masculin : celui qui trompe.
V. 729
Fourber
Tromper.
Foy
« Serment, parole qu’on donne de faire quelque chose, et qu’on promet d’executer (F)
V. 98, 147, 677
Fidélité (d’un serviteur)
V. 526, 1318
Fidélité amoureuse, amour juré, parole donnée, voire promesse de mariage.
Franc
Sincère, loyal.
V. 1621
Franchise
Liberté.
V. 1183, 1316, 1674 ; le terme est employé dans son sens actuel d’« honnêteté » au vers 1247
Gager
Employer, rémunérer, verser un salaire en paiement d’un service.
V. 487
Parier.
V. 635
Gaillard
Gai, enjoué (au sens moderne ici, et non dans son acception galante spécifique du XVIIe siècle).
V. 17
Galamment
Avec galanterie (voir les définitions suivantes), mais aussi « [h] abillement, adroitement, finement » (Ac).
V. 646
Galand, ante
« Honneste, civil, sociable, de bonne compagnie, de conversation agréable » (Ac).
V. 111, 167, 223, 269, 689
Galand
Prétendant, « amant qui se donne tout entier au service d’une maîtresse » (F).
V. 436, 1761
Galanterie
« Qualité de celuy qui est galant [voir plus haut]. […] Il se prend plus particulierement pour les devoirs, les respects, les services que l’on rend aux Dames » (Ac)
V. 112
Idéologie et ensemble d’usages mondains reposant sur des valeurs d’honnêteté (au sens classique), de civilité, de sociabilité et sur une certaine conception de l’amour courtois, qui trouvent leur expression privilégiée dans la littérature et dans l’activité des salons.
V. 652, 1348
Garder de
Se garder de, éviter de.
V. 847
Gasté, e
Souillé.
V. 1418
Gaster
Ruiner, détruire.
V. 1208
Généreux, se
Noble, conforme à l’honneur.
Gloire
Honneur, réputation.
V. 649, 1868
Grace
Bienveillance, bienfait.
V. 1179 ; le terme présente son sens courant de « charme » dans l’épître et au vers 319
Grossier, ere
« Rude […] peu civilisé » (Ac)
V. 268
Sans finesse.
V. 1323
Gueuser
Mendier.
V. 1477
Hanter
« Fréquenter » (R).
V. 224, 503
Hazard
Danger, péril.
V. 118 ; le terme présente son sens courant de « fortune, chance bonne ou mauvaise ou encore coïncidence » au v. 662, 1274, 1469
Hazarder
Risquer, faire courir le risque.
V. 647, 1037
Haut
« Se dit de tout ce qui a quelque degré d’excellence, d’eslevation en quelque chose que ce soit » (F).
V. 592
Heur
Bonheur, « Bonne fortune » (Ac).
V. 740, 1562
Honneste
« Vertueux, conforme à l’honneur » (Ac), « ce qui mérite de l’estime, de la loüange, à cause qu’il est raisonnable, selon les bonnes mœurs. Il ne faut hanter que d’honnestes gens »
V. 167
« Signifie aussi, convenable à la raison, bienséant à la condition […] des personnes » (Ac).
V. 59 dans un sens ironique
Honneur
« Vertu, probité » (Ac)
V. 109
En particulier lorsqu’il s’agit d’une femme : « réputation attachée au caractère irréprochable de ses mœurs » (Rey)
V. 149, 1882
Lorsqu’il s’agit d’un père : réputation liée au comportement de sa fille
V. 1834
Fierté.
V. 1358.
Humeur
« Naturel » (R), caractère, tempérament (dans un sens physiologique, selon la théorie des « humeurs » comme liquides organiques).
V. 45, 131, 1185, 1192 ; le terme présente son sens actuel de « disposition, état d’esprit momentané » au vers 1207, 1432
Infortuné, e
Malheureux.
V. 859
Ingrat, e
« Un amant appelle sa maîtresse ingrate, quand elle est cruelle, quand elle ne veut point répondre à son amour » (F). Cela vaut aussi pour désigner un amant dans le discours d’une maîtresse dédaignée.
Injure
Outrage.
Inquiéter
Ôter le repos, « chagriner l’esprit, luy donner de la peine » (F).
V. 131
Inquiétude
Agitation d’esprit, trouble.
V. 563
Interdire
« Estonner, troubler en sorte qu’on ne sçache ce qu’on dit ny ce qu’on fait » (Ac).
V. 113
Interdit
Étonné, troublé, « s’applique spécialement à une personne […] frappée d’un trouble qui l’empêche d’agir » (Rey).
V. 469, 698
Jaseur
« Causeur » (R).
V. 486
Joüer, se joüer de
Tromper, se moquer de.
V. 630, 637, 1904
Justement
Légitimement.
V. 579
Lâche
Qui implique la bassesse, qui a des sentiments vils et méprisables.
V. 1854
Lâcheté
Action basse, indigne.
V. 1564
Larron
Voleur.
Legerement
Avec légèreté, à la légère.
V. 557
Lors
« Ce mot est vieux et en sa place on dit alors » (R).
V. 49, 377, 730, 987, 1146, 1663
Lourdaut
« Espece de niais et de sot » (R).
V. 1756
Malice
« Meschanceté, inclination à nuire » (Ac).
V. 288, 1304
Manquer
« Ne faire pas ce qu’on est obligé de faire » (F).
V. 927
Maraut
« Terme injurieux qui se dit des gueux, des coquins qui n’ont ni bien ni honneur, qui sont capables de faire toutes sortes de laschetez » (F). Cette injure apparaît fréquemment dans les comédies, le plus souvent adressée aux valets par leurs maîtres mécontents.
V. 477
Maroufle
« Misérable, sot, impertinent » (R).
V. 1787
Martel (donner martel en teste)
L’expression donner martel en teste signifie tourmenter, donner de l’inquiétude, du souci, et selon Furetière, de la jalousie.
V. 60, 168
Medaille
« Se dit encore des personnes vieilles et laides […] » (F).
V. 1791
Menterie
Mensonge.
V. 776
Merite
« Ce qui rend digne de loüange » (Ac), « ensembles de qualités intellectuelles et morales estimables » (Rey).
V. 309, 323, 411, 814
Mesler (se … de)
« Se dit aussi en parlant de plusieurs sortes d’actions où on s’applique » (F), autrement dit, la tournure signifie pratiquer.
V. 524, 574, 1461
Mine
« Physionomie, disposition de corps et sur tout du visage, qui fait juger en quelque façon l’Interieur par l’exterieur » (F)
De bonne mine
Bien fait, séduisant
V. 111
Faire meilleure mine
Traiter avec moins de sévérité.
V. 196
Misérable
Malheureux.
V. 239, 1579
Moins (au moins, du moins)
Employé indifféremment pour exprimer une restriction, mais il « s’emploie quelquefois seulement […] pour donner plus de force à ce que l’on dit. » (F).
Monopoleur
Personne qui détient un monopole. Furetière précise que « [l] e peuple a rendu encor ce nom plus odieux. Car il l’estend à ceux qui sont exacteurs des imposts […] » (F).
V. 1750
Morne
« Pensif, mélancolique » (R).
V. 1756
Murmure
Rumeur
V. 523
« Il se prend ordinairement pour le bruit et les plaintes que font des personnes mal contentes » (Ac).
V. 1319
Murmurer
Se plaindre.
Mutin
« Opiniâtre, obstiné » ou encore « Séditieux » (R).
V. 1763
Nippe
« Sortes de petis meubles [au sens de « bien qui se peut transporter d’un lieu à un autre » (F) ], comme hardes, linges, bagues et autres pareilles choses. » (R).
V. 1191
Nœud
Lien amoureux.
V. 1285
Objet
« Personne qui donne de l’amour » (F)
V. 30, 416, 855, 861, 878, 1659, 1857
Et plus généralement : « chose où l’on arrête les yeux […] sa pensée, son cœur, son but ou son dessein » (R).
Obligation
« Engagement qui vient de quelque plaisir, de quelque bon office qu’on a reçu » (F)
V. 225
Obligé
« Redevable à un autre de quelque bon office, de quelque plaisir » (Ac).
V. 326, 1165
Obliger
« Faire quelque faveur, civilité, courtoisie. » (F), notamment lorsqu’il s’agit d’une faveur amoureuse.
Office
Service, « Secours ou devoir réciproque de la vie civile. C’est le propre d’un honnête homme, de rendre de bons offices à tout le monde » (F)
Épitre
Emploi, en particulier ici celui de domestique.
V. 1515
Ordinaire
Le courrier.
V. 304
Outrage
Injure.
V. 1127
Passer
Dépasser, surpasser.
V. 851, 872
Passevolant
« Faux soldat et non enrollé, qu’un Capitaine fait passer aux reveuës pour montrer que sa Compagnie est complette, ou pour en tirer la paye à son profit » (F).
V. 1762
Pâtir
Souffrir.
V. 1477
Payer (payer en, payer de)
« Donner ce qui est dû » dans un sens figuré (Rey). Avec cette valeur figurée, le verbe entre dans la composition de nombreuses locutions comme « payer de coups ».
V. 548, 583, 837
Peine
« Douleur, affliction, souffrance, sentiment de quelque mal dans le corps ou dans l’esprit » (Ac)
Tirer de peine
Tirer d’embarras
V. 1820
Se mettre en peine
S’inquiéter.
V. 959
Perdre
« Signifie aussi, Détruire, ruiner » (F) et se dit couramment en ce sens « de tout ce qui peut causer du préjudice à la fortune de quelqu’un, à sa réputation » (Ac).
Pester
« Monstrer par des paroles aigres et emportées le mescontentement qu’on a de quelque chose » (Ac).
V. 1032
Piper
Tromper.
V. 1340
Poche
« Sac de cuir, de toile, d’estoffe, de soye, etc. attaché par son dedans à un haut de chausse […] » (Ac).
V. 966
Poly
« Civil […] qui pratique de bonne grace tout ce qui regarde l’exterieur de la vie civile » (Ac).
V. 167
Porte (fausse)
Porte dérobée, entrée secrète. « On appelle […] Fausse porte, une secrette issuë d’une maison, d’un chasteau » (F).
V. 136, 432
Préoccupé
Occupé d’avance.
V. 645
Publier
Rendre public.
V. 319, 437, 1343
Railler
« Tourner en plaisanterie » (Ac), tourner en ridicule, en dérision. Au XVIIe siècle, « entendre la raillerie » ou « entendre raillerie », c’est-à-dire être capable de railleries habiles et piquantes mais aussi être capable de ne pas s’en offenser lorsqu’on en est l’objet sont deux qualités importantes de la vie en société dont on fait grand cas dans les milieux mondains.
V. 215
Raillerie
« Plaisanterie » (Ac).
V. 651, 1347
Rapport
Témoignage, récit (R).
Ravaler (se)
« S’abaisser, se rabaisser. » (R).
V. 813
Ravi
Transporté de joie et d’étonnement.
V. 1897
Ravir
« Se dit aussi des passions violentes qui troublent agréablement l’esprit, et suspendent les fonctions des sens, particulièrement de la joie, de l’étonnement et de l’admiration. » (F).
V. 283, 800
Reformer
« Corriger, rajuster, rétrancher, diminuër. » (R).
V. 768
Relever
Au sens figuré, « [r] ehausser » (R), « [d] onner plus d’éclat, plus de lustre » (R).
V. 572
Remettre (se)
Se rappeler.
V. 495
Repos
Quiétude, calme de l’âme.
V. 401, 649
Respect
Égard, considération, « defference que l’on a pour quelqu’un, pour quelque chose à cause de son excellence » (Ac).
V. 247
Resver
Réfléchir, « [p] enser, mediter profondement sur quelque chose » (Ac)
V. 75, didascalie du vers 1324, 1411
« Laisser aller son imagination sur des choses […] vagues » (Ac).
V. 1185
Resverie
Réflexion.
V. 1328
Resveur, euse
Qui laisse aller son imagination sur des choses vagues, qui médite.
V. 239, 1207
Retraite
Lieu où l’on se retire
V. 140
Retrait, « esloignement du commerce du monde » (Ac).
V. 399, 1539
Saison
« Se dit aussi du temps convenable pour faire quelque chose » (F).
Science
Savoir.
Scrupule
Doute.
V. 1899
Sectateur
« Ce mot se prend en bonne et en mauvaise part et veut dire celui qui suit les sentimens de quelque particulier, qui les soutient, les défend et s’y atache avec ardeur. » (R).
V. 794
Séduire
Tromper.
V. 1595
Sergent
« Le plus bas officier de justice » (F), ou un officier d’infanterie.
V. 1747
Servir
Rendre service.
« Estre à un maître, comme son domestique » (Ac).
Dans un sens galant : « [o]n dit poëtiq., Servir une Dame, pour dire, rendre des soins, des services […] à une femme pour qui on a de l’amour » (Ac).
V. 42, 58
Service
« Hommage rendu à la femme que l’on courtise » (Rey)
V. 31, 384
« L’estat ou la fonction de celuy ou de celle qui sert en qualité de domestique » (Ac).
V. 479
Soin ou soing
Effort, peine.
V. 294
« [A] pplication d’esprit à faire quelque chose » (Ac)
Prendre soing de
Veiller à.
V. 1585
Sort
Destin.
V. 288, 299, 346, 1578
Condition.
V. 518
Soucy
« Chagrin » (F), inquiétude
V. 350, 530, 1187
« Soin accompagné d’inquietude » (Ac)
V. 575, 1014
Estre en soucy
Être inquiet.
V. 1774
Souffleur
« Chercheur de Pierre Philosophale, qui a un fourneau, et qui convertit son bien en charbon à la persuasion de quelques Charlatans, qui lui font entendre qu’ils ont de beaux secrets » (F), c’est-à-dire alchimiste.
V. 1753
Souffrir
« Signifie aussi, Ne se pas opposer à une chose, y consentir tacitement » (F), tolérer, permettre.
V. 511, 775, 1121, 1701, 1819 ; le terme présente son sens courant d’« endurer, supporter une grande souffrance » aux vers 360, 405, 983
Soûpir
« Respiration plus forte et plus longue qu’à l’ordinaire, causée souvent par quelque passion, comme l’amour, la tristesse » (Ac).
V. 337, 1697
Soûpirer
Pousser des soupirs amoureux, aimer
V. 359, 819, 1700 ; le terme présente son sens courant de « soûpir », sans connotation psychologique, au vers 1076
Se lamenter.
V. 1112
Suborneur
« Qui corrompt, qui desbauche. » (F)
V. 1833
Succéder
Réussir.
V. 1429
Suer
« Se donner beaucoup de peine, pour venir à bout de quelque chose » (Ac).
V. 608, 982
Surprendre
Tromper.
V. 344 ; le terme présente son sens courant d’« étonner » au vers 354, 804, 1082, 1111, 1394, 1588, 1664
Prendre au dépourvu.
V. 1286
Tailler
« Signifie, Avoir la disposition d’une chose, l’accommoder à sa fantaisie, l’augmenter ou la retrencher comme on veut » (F).
V. 768
Tantost
Tout à l’heure (en se référant à un évènement passé), il y a quelques instants
V. 9, 169, 1859, 1871
Tout à l’heure (en se référant à un évènement à venir), bientôt.
Temperament
« Complexion, habitude ordinaire du corps de l’homme, sa constitution naturelle, la disposition de ses humeurs » (F).
V. 1189
Tendre
« Délicat, foible » ou encore « Sensible, amoureux » (R).
V. 591
Tourment
Douleur de l’esprit, « Il signifie quelquefois simplement, Peine d’esprit, inquietude. […] On dit poët[iquement], Tourment amoureux, pour dire les maux que l’amour fait souffrir » (Ac.).
V. 245
Tout de bon
« Sérieusement. En vérité. Sans raillerie » (R).
V. 77, 608, 1625
Tout maintenant
Immédiatement.
V. 1205
À l’instant.
V. 1712
Vertu
Force morale, honneur, probité.
Parfois même « chasteté » lorsqu’il est question de la vertu d’une femme.
V. 151, 211
Au pluriel : qualités morales.
V. 1866
Vœu
Désirs, hommages, soins amoureux, parfois promesse de mariage.
Au pluriel v. 249, 1277 ; le terme présente également son sens courant actuel de « souhait » au vers 1561
Vogue
« Estime, crédit, reputation » (R).
V. 979
Voiture
« Carosse, chariot, coche, ou autre chose dans quoi on est mené » (R), mais aussi « Transport » (F).
V. 1532
Vray (de vray)
C’est vrai, vraiment, en vérité (H).
V. 251
Au vrai : cette locution adverbiale signifie « exactement » (H), « sans rien desguiser, sincerement » (F).
V. 264, 703, 1321
(À dire le vrai) : à dire vrai, en vérité.

Lexique relatif à l’astrologie et à la magie §

Ces termes sont marqués d’une double astérisque** dans le texte.

Almanach
Calendrier ou horoscope.
V. 747, 754
Ascendant
« Signe qui paroit sur l’horison au moment qu’on vient au monde, et qui nous donne une pente pour de certaines choses plutôt que pour d’autres » (R). « [E] n termes d’Astrologie, [c’] est l’horoscope ou le degré de l’Equateur qui monte sur l’horison au point de la naissance de quelqu’un, et qu’on croit avoir grand pouvoir sur sa vie et sur sa fortune. […] se dit aussi des astres, et des degrés qui montent sur l’horizon en quelque cercle ou parallele de l’Equateur que ce soit » (F).
V. 590
Aspect
« Terme d’Astronomie. C’est la situation qu’ont les étoiles et les Planetes les unes à l’égard des autres. Il y a cinq aspects : le Sextil, quand les astres sont éloignés de 60. degrés l’un de l’autre : le Quadrat de 90. le Trin de 120. l’Opposition, quand ils sont à 180. degrés : et la Conjonction, quand ils sont en même degré. Kepler ajouste huit nouveaux aspects aux anciens […]. Il y a des aspects favorables, et de malins aspects » (F).
V. 578, 589
Astrologie
« Il signifie quelquefois la mesme chose qu’Astronomie, mais le plus souvent il se prend pour cet Art conjectural, suivant les regles duquel on croit pouvoir connoistre l’avenir par l’inspection des astres. En ce dernier sens et pour une plus grande distinction, on l’appelle quelquefois Astrologie Judiciaire » (Ac).
Astrologue
« Celuy qui professe l’Astrologie Judiciaire » (Ac.), qui prétend lire l’avenir dans le cours des astres.
Bonne-advanture
Prédictions.
V. 524
Cancre
Le terme signifie « Ecrevisse » (F). Il s’agit du signe zodiacal du Cancer : « Il a été ainsi nommé, à cause qu’il represente un cancre ou écrevisse, et que le Soleil commence à reculer ou à retourner vers l’Equateur quand il y est arrivé, à la maniere des écrevisses » (F).
V. 752
Charme
« Enchantement » (R).
V. 905, 915, 949, 995, 1089, 1903 ; le terme est employé dans son sens courant d’« attrait » aux vers 271, 309, 1131, 1693
Conjonction
« En Astronomie, on appelle la conjonction des astres, lors qu’ils se rencontrent dans le même degré du Zodiaque. La conjonction est le premier des aspects des astres » (F).
V. 580
Démon
« Quelquefois il se prend dans le sens des anciens, pour Génie, esprit, soit bon, soit mauvais » (Ac).
Diable
« Demon, esprit malin » (Ac).
V. 472, 836, 968, 1087, 1545, 1764, 1767 ; le terme correspond à la désignation usuelle de « satan » aux vers : 884, 956, 1466, 1900
Ecliptique
« Terme de Géographie, et d’Astronomie. Cercle qui passe par le milieu du Zodiaque [« C’est un des six grands cercles de la sphere, dans lequel le Soleil et les autres Planetes se meuvent. Il est divisé en douze Signes ou Constellations » (F) ], et qui représente le chemin par où le Soleil fait son cours annuël » (R).
V. 751
Fantastique
« Imaginaire, qui n’a que l’apparence » (F), chimérique.
V. 900
Fantosme
« Spectre [c’est-à-dire vision], vaine image qu’on voit ou qu’on croit voir » (Ac).
Figure
« Ce mot se dit en parlant d’Astrologie, et signifie représentation du Ciel et des planettes qu’on fait pour voir le bonheur, ou le malheur d’une personne » (R). Le terme « se dit de la description, de l’estat et de la disposition du ciel à certaine heure […]. On la nomme autrement, Horoscope, Theme celeste » (F). Le Dictionnaire de l’Académie précise qu’elle est « composée de points jettez au hazard et disposez sur seize lignes » et qu’on prétend en tirer certaines divinations.
V. 484, 688, 1320
« En termes de Negromantie, se dit des visions estranges sous lesquelles les Demons paroissent ou semblent paroistre à nostre imagination » (F).
V. 952, 1267
Folet (diable)
« Une sorte de Lutin qu’on dit qui se divertit sans faire de mal » (Ac).
V. 1744
Hecate
Divinité infernale grecque à trois têtes identifiée avec Perséphone, mais aussi parfois divinité lunaire que l’on identifie alors avec Artémis.
V. 580, 588
Horizon
On distingue l’« horizon sensible » de l’« horizon rationnel » : le premier désigne « la partie de la terre ou de la mer que nous pouvons descouvrir de nos yeux » (F), « ce qui termine notre vuë, et qui sépare la partie du ciel que nous voions d’avec celle que nous ne voions pas » (R), tandis que l’horizon rationnel « se doit imaginer comme un plan qui passe par le centre de la terre, et qui est prolongé jusque dans le Ciel » (F).
V. 590
Idée
Vision chimérique.
V. 948
Image
Vision.
V. 1067
Jupin
Jupiter.
V. 753
Lutin
« Sorte de demon, esprit folet » (Ac).
Magicien
« Qui use de la magie noire » (Ac).
V. 714, 836
Magie
« Art qui produit des effets merveilleux par des causes occultes ». Le terme désigne en pariculier la  magie noire qui est « [c] elle qui fait ses opérations par le moyen des demons. La Necromantie en est une espèce. » (Ac).
V. 684, 896, 1392
Maison
Signe du zodiaque. « Les Astrologues divisent […] tout le ciel en douze portions qu’ils nomment les douzes maisons du ciel, ausquelles ils atribüent diverses prorietez » (R).
V. 750
Mercure
En termes d’astrologie, c’« est aussi la plus petite des Planetes […]. Cette Planete est seche de sa nature, et est indifferente au bien et au mal, et ne fait qu’augmenter la force des autres » (F).
V. 580, 588
Paralaxer
Le verbe n’est pas attesté dans les dictionnaires du XVIIe siècle. Il s’agit donc probablement d’un néologisme qui accentue le caractère plaisant du discours pseudo-scientifique de don Fernand dans la scène II, 3. Le terme est le dérivé verbal du substantif paralaxe, dont les dictionnaires donnent les définitions suivantes: « Terme d’Astronomie. C’est l’arc du Firmament contenu entre le vray lieu de l’astre, et l’apparent. » (F). A. Rey précise que le terme a été employé en astronomie « pour désigner la différence entre le lieu véritable d’un astre et son lieu apparent, et l’angle qui mesure cette différence et que forment deux lignes droites tirées du centre de l’astre à la surface de la Terre et au centre de la Terre ». 
V. 591
Regarder
Être en face, « Etre tourné vers un certain lieu » (R). « En termes d’Astrologie, se dit de la situation des astres les uns à l’égard des autres » (F).
V. 578
Retrograder
« En termes d’Astronomie, se dit d’un mouvement apparent des Planetes, quand elles semblent reculer au lieu d’avancer » (F).
V. 589
Sabat
« C’est une assemblée nocturne de sorciers où l’on conte que préside le Diable, et où il se fait adorer » (R).
V. 957
Saturne
C’« est […] une des sept Planetes, la plus éloignée de la terre […]. Les Astrologues l’appellent la grande infortune. Sa nature est froide et seche, et on l’accuse d’être cause de tout le mal qui est sur la terre » (F).
V. 578, 586
Saturnien
« Qui est melancolique, d’humeur sombre, celuy sur qui Saturne domine, ou a presidé à sa naissance. Il est opposé à jovial » (F).
V. 586
Sorcier
« Celuy qui, selon l’opinion commune, a un pacte exprés avec le diable, pour faire des malefices et qui va à des assemblées nocturnes qu’on nomme Sabat » (Ac).
V. 497, 954, 1462
Spectre
Vision.
Sphere
« Le mot a désigné la connaissance des principes de l’astronomie que l’on apprenait au moyen d’une sphère » (Rey).
V. 747
Trine
Divisé par trois, aspect de deux planètes séparées d’un tiers de cercle (voir la définition d’aspect).
V. 578
Triplicité
La triplicité « en termes d’Astrologie Judiciaire, est un regard en trine aspect, quand deux astres sont éloignez de 120. degrez » (F). Voir aussi à trine et aspect.
V. 587
Vénus
c’« est […] la troisiéme Planete de nostre sisteme […]. Les Astrologues l’appellent la petite Fortune » (F).
V. 578, 585, 753
Zenith
« Terme d’Astronomie. […] Celui des poles de l’horison qui est sur nôtre tête » (R).
V. 751

Annexe 1 : liste chronologique des pièces et opéras de Thomas Corneille §

Mises à part les dates des deux premières pièces de Thomas Corneille, pour lesquelles nous avons suivi S. W. Deierkauf-Holsboer (voir à ce sujet l’introduction), nous reproduisons ici la liste établie par D. Collins qui, lorsque la date de création est hypothétique, choisit de retenir celle avancée par Lancaster suivie d’un point d’interrogation. Comme l’auteur, nous indiquerons le genre auquel se rattache chaque pièce ainsi que les collaborateurs éventuels.

1647 : Les Engagements du hasard, comédie.

1648 : Le Feint astrologue, comédie.

1651 : Don Bertrand de Cigarral, comédie.

1651 : L’Amour à la mode, comédie.

1652 : Le Berger extravagant, comédie.

1655 : Les Illustres ennemis, comédie.

1655 : Le Geôlier de soi-même, comédie.

1656 ? : Le Charme de la voix, comédie.

1656 : Timocrate, tragédie.

1657 : Bérénice, tragédie.

1657 : La Mort de l’empereur Commode, tragédie.

1659 : Darius, tragédie.

1660 : Stilicon, tragédie.

1660 : Le Galant doublé, comédie.

1661 : Camma, tragédie.

1662 : Maximian, tragédie.

1662 : Persée et Démétrius, tragédie.

1663 ? : Pyrrhus, tragédie.

1666 : Antiochus, tragi-comédie.

1667 : Le Baron d’Albikrak, comédie.

1668 : Laodice, tragédie.

1669 : La Mort d’Annibal, tragédie.

1670 : La Comtesse d’Orgueil, comédie.

1672 : Ariane, tragédie.

1672 : Théodat, tragédie.

1673 : Le Comédien poète, comédie (avec Montfleury).

1673 : La Mort d’Achille, tragédie.

1674 : Don César d’Avalos, comédie.

1675 : Circée, tragédie à machines (avec Donneau de Visé).

1675 : L’Inconnu, comédie à machines (avec Donneau de Visé).

1676 : Le Triomphe des Dames, comédie à machines (avec Donneau de Visé).

1677 : Le Festin de Pierre, comédie de Molière mise en vers et modifié par Thomas Corneille.

1678 : Le Comte d’Essex, tragédie.

1678 : Psyché, opéra (musique de Lulli).

1679 : Bellérophon, opéra (probablement avec la participation de Fontenelle et Boileau, Musique de Lulli).

1679 : La Devineresse, comédie à machines (avec Donneau de Visé).

1681 : La Pierre philosophale, comédie à machines (avec Donneau de Visé).

1685 : L’Usurier, comédie (avec Donneau de Visé).

1686 : Le Baron des Fondrières, comédie.

1693 : Médée, opéra (musique de Charpentier).

1695 : Les Dames vengées, comédie en prose (avec Donneau de Visé).

1695 : Bradamante, tragédie.

Annexe 2 : épître dédicatoire telle qu’elle apparaît à partir de l’édition de 1661 §

A MONSIEUR***

MONSIEUR,

Je crains bien de me rendre un mauvais office en voulant m’acquiter d’une debte, et je doute si je ne détruis point l’estime que vous m’avez témoigné faire de cet ouvrage, quand je tâche de la recognoistre par le present que je vous en fais. Le Theatre luy a donné des graces qu’il est bien difficile qu’il conserve dans le cabinet, et ces sortes de Poëmes ne pouvant estre soustenus ny par la majesté des vers, ny par la beauté des pensées, l’on en voit fort peu qui ne perdent presque tous leurs advantages hors de la bouche de ceux qui sçavent en relever la simplicité du style. Ainsi j’ay sujet d’apprehender que cette Comedie dont la representation vous a diverty tant de fois, ne vous semble froide sur le papier, et que vous n’ayez peine à y remarquer les mesmes naïfvetez qui vous ont fait rire, accompagnées de la grace de l’action. Si vous avez la curiosité de la lire en original, et de voir si j’ay bien exactement suivy mon guide Espagnol, vous la trouverez dans la seconde partie de celles de Calderon, qui l’a traitée sous le mesme tiltre de El Astrologo Fingido, et je vous invite d’autant plus à cette lecture, que j’espère que ce sera par elle que vous me pardonnerez plus facilement l’incident de Mendoce, qui n’estant qu’un Episode superflus, semble n’être pas assez considérable pour occuper un moment l’attention de l’Auditeur. Aussi, comme je sçay que nostre Theatre ne souffre rien d’inutile, je ne l’aurois pas hazardé avec tant de confiance, si je n’avois eu pour moy l’exemple d’un de nos plus Illustres Autheurs, qui ayant accomodé le sujet de cette agreable Comedie dans son Illustre Bassa aux galanteries du Marquis Français, n’a pas dédaigné d’y employer la fourbe d’un valet qui abuse de la simplicité de l’autre. Il est vray que la narration blesse moins qu’un spectacle de cette nature, mais aussi tout le monde n’a pas le discernement si juste que vous l’avez, et ce qui est effectivement un defaut, quoy qu’il ne manque jamais de l’être pour vous, l’est souvent pour peu de personnes.

Je suis, Monsieur, Vostre tres-humble Serviteur,

T. Corneille.

Annexe 3 : correspondances entre les différents personnages d’El Astrologo fingido et ceux de ses adaptations françaises §

On fera apparaître les noms des personnages dans l’ordre chronologique de création des œuvres : d’abord ceux de Calderón, puis ceux de Scudéry, enfin ceux de d’Ouville et Thomas Corneille.

  • – Don Diego / Marquis français / Timandre / Don Fernand
  • – Moron / la Roche / Jodelet / Philipin
  • – Don Juan (de Medrano) / Hortense / Tindare / Don Juan (de Medrano)
  • – Doña Maria / Livie / Liliane / Lucrece
  • – Beatriz / Lucrece / Nise / Beatrix
  • – Don Carlos / Leandre / Ariste / Don Lope
  • – Doña Violante / Aurelia / Jacinte / Leonor
  • – Quiterria / Camille / Julie / Jacinte
  • – Don Antonio / Valere / Acaste / Don Louis
  • – Leonardo / Leonard / Arimant / Leonard
  • – Otañez / sans nom (« un vieil homme qui servoit depuis trente ans chez Leonard » ) / Moron / Mendoce
  • –  (…) / Vespa (valet de Valere) / (…) / (…)

Annexe 4 : comparaison de quelques passages du Feint Astrologue noté FA avec El Astrologo fingido de Calderon (éd. établie par Oppenheimer, New-York et Al., Peter Lang, 1994.) noté AF, Ibrahim ou L’illustre Bassa de Georges de Scudéry (éd. établie par Antonella Arrigoni, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2003) noté Ibr, et Jodelet Astrologue de d’Ouville (Paris, Cardin Besongne, 1646) noté JA. §

Cette mise en regard de certains passages de ces différentes œuvres ne prétend pas être exhaustive, mais donner un aperçu des principaux emprunts de Thomas Corneille et de la grande proximité entre tous ces textes.

FA, I, 1, p. 1 v. 2 : Beatrix me l’a dit.

AF, Ière « journéee », v.748 : Aquesto Beatriz me dixo.

FA, I, 1, p. 2 v. 10-12 : Et si le bon vieillard ne fut point survenu, / J’allois sçavoir, Monsieur, tout au long le mystere, / Estre fille suffit pour ne se pouvoir taire

AF, Ière « journéee », v. 753-5 : Si su amo no viniera / pienso que me lo dixera, / que Beatriz es muy muger

FA, I, 2, p. 6, v. 76 : Mon maistre n’ayme plus, je n’ayme plus de mesme. / […] Un valet suit tousjours la fortune d’un maistre : /     Fay qu’on ayme le mien, et tu verras qu’apres, / S’il faut mourir pour toy, je mourray tout exprés.

AF, Ière « journéee », v. 550-4 : Yo tras mi amo he de dir, / quanto el amare amarè, / que un criado siempre fue / en la tabla del amor, / contrapeso del señor […] / Si quisieras / Beatriz, que asistiera à verte, / tu huuieras hecho desuerte, / que este impossible vencieras, / entonces tu me tuuieras / aqui denoche y de dia.

FA, I, 2, p. 9, v. 102 : Si je meurs pour l’oüyr, tu meurs pour le conter

AF, Ière « journéee », v. 573 : tu por dezillo mueres

FA, I, 2, p. 9, v. 104 : Parle sans préambule.

AF, Ière « journéee », v. 797 : Con preambulo tambien ?

FA, I, 2, p. 10, v. 111 : il est galand, noble, de bonne mine.

AF, Ière « journéee », v. 803-4 : un hombre / tan pobre como galan.

FA, I, 2, p. 12, v. 128-134 : Mais ne craint-elle point qu’un voisin la diffame ? / Car enfin il en est qui pendant tout un mois / Comme des loups garous ne dorment qu’une fois. / Leur curieuse humeur tousjours les inquiete, / Et si dans le quartier il est quelque amourete, / Du soir jusqu’au matin ils demeurent au guet / Pour tenir bon papier de tout ce qui s’y fait.

AF, Ière « journéee », v. 402-410 : don Iuã, de lo que has de hazer, / no reparen los vezinos / de verte en la calle, que es / uno mal intencionado, / de toda la vida juez, / todo lo saben, que mucho, / si ay vezino, que por ver / lo que passa en una noche, / no se acuesta en todo un mes.

FA, I, 3, p. 13, v. 149-152 : C’est donc là cet honneur qu’elle nous vantoit tant ! / Ah combien en est-il de ce sexe inconstant / Qui contrefont de jour une vertu parfaite, / Et la laissent de nuict dormir sous leur toilete !

AF, Ière « journéee », v. 837-840 : Mas este es el santo honor / que tan caro nos vendia ; / quantas con honor de dia, / y denoche con amor

FA, I, 4, p. 15, v. 167-172 : Ce Cavalier poly, galand, honneste, / Qui ne vous a jamais donné martel en teste, / Ce D. Juan dont tantost je vous avois parlé, / Qui fait croire par tout qu’en Flandre il est allé, / Par l’ordre de Lucrece, et sans qu’aucun le sçache, / En secret dans Madrid chez D. Lope se cache.

AF, Ière « journéee », v. 876-882 : aquel pobre Cavallero / don Juan de Medrano, aquel, / que apenas te daba zelos. / Aquel que dixo, que a Flandes / iba, se quedò encubierto / en la Corte, y en la casa de don Carlos de Toledo

A propos du personnage de Leonor et de son équivalent chez Scudéry :

FA, I, 5, p. 19, v. 224 : elle vit chez un Oncle

Ibr, p. 448 : vivant seulement sous la conduite d’un oncle

FA, II, 2, p 32, v. 414 : Que je hay le Soleil qui fait que je vous voy !

Ibr, p. 411 : Il est vray, me respondit-elle, que je hay le Soleil, puis que c’est par luy que je vous voy.

FA, II, 2, p 32, v. 415 : [D. FERNAND.] Ouy la Lune en effet vous est plus favorable, / Et vous fait voir sans doute un objet plus aymable.

AF, IIème « journéee », v. 1059-60 : [Moron] El Sol no, pero la Luna, / si, entre las doze y la una.

FA, II, 2, p. 33-34, v. 424 et suivants : Malgré vous toutefois je vous les veux apprendre. / C’est un procez d’amour où j’ay quelque interest, / Je vous en fais le Juge, et j’attends vostre Arrest ; / Mais ayant à loisir écouté [s] a partie, / Et peut-estre du fait estant mal advertie, / J’ose vous demander audience à mon tour, / Puisqu’il l’a bien de nuict, je puis l’avoir de jour. / Je ne dis pas pourtant que de la mesme sorte / On me fasse couler par une fausse porte, / Qu’on la laisse le soir entr’ouverte, et qu’enfin / Tout bas par la fenestre on me parle au jardin, / Que Beatrix au guet rompe toute surprise, / Qu’un galand quoy qu’absent vienne à l’heure promise, / Qu’un voyage à dessein soit long-temps publié.

AF, IIème « journéee », v. 1077-91 : Es fuerça que me escucheis ? / que siendo pleito de amor, / es justo darme un oido / à mi, pues aueis oido / despacio al competidor, / que si en la justicia mia / bien enterada no estais, / serà bien que nos oigais, / a èl de noche, a mi de dia, / no quiero yo que a este fin / aya lienço por señal, / Beatriz que baxe al portal, / rexa que caiga al jardin, / puerta al parecer cerrada, / galan que està ausente, y viene.

Ibr, p. 411-412 : il faut que vous m’entendiez malgré vous, car puisque c’est un procès d’amour, il est bien juste, puisque vous avez déjà escouté mon Rival, que vous m’escoutiez aussi : et que pour estre bien informée de la justice de nostre cause, vous luy donniez audience la nuict, et à moy le jour : car je ne veux pas qu’à ma consideration on mette un mouchoir à la jalousie, que Lucrece descende au jardin, qu’il y aye une porte qui semble fermée et qui soit ouverte ; ny estre un galant absent, qui se trouve pourtant à l’assignation qu’on lui donne. 

FA, II, 2, p. 34, v. 438 : Il a bonne memoire, il n’a rien oublié

AF, IIème « journéee », v. 1092-3 : Que linda memoria tiene, / no se le ha oluidado nada ?

FA, II, 2, p. 34, v. 441 : Monsieur, qu’avez-vous fait ?

AF, IIème « journéee », v. 1113 : señor, q has hecho ?

Ibr, p. 412 : Hé, Monsieur, qu’avez-vous fait ?

FA, II, 2, p. 34, v. 444-5 : Tay-toy, tu m’as venduë. / Malheur à qui se fie à de pareils esprits.

AF, IIème « journéee », v. 1117 et 1120-1 : Tu Beatriz tu me has vendido. / […] mal aya, amen, quien se fia / de criadas.

FA, II, 2, p. 35, v. 447-9 : Pleust au Ciel que vous-mesme avec vostre cholere / N’eussiez pas advoüé ce que j’avois sçeu taire

Ibr, p. 412 : et plûst au Ciel que vous ne vous fussiez pas trahie davantage, en venant d’avoüer ce que je n’ay jamais revelé.

FA, II, 2, p. 35, v. 452 : Tache à remedier à ce desordre extresme

Ibr, p. 412 : mais si tu peux, racommode tout ce desordre.

FA, II, 2, p. 35-6, v. 459-61 : [PHILIPIN à D. Fernand.] / Monsieur, j’ay grande peine à bien mentir pour l’heure, / Celle-cy passera faute d’une meilleure. / [D. FERNAND.] Bonne ou mauvaise enfin, parle, je t’ayderay.

AF, IIème « journéee », v. 1141-4 : No es muy seguro capricho, / Vive Dios, q por aora / que no ai otra a de servir / [Don Diego] Yo te ayudarè a mentir.

FA, II, 2, p. 36, v. 464 : Vous me faites en vain signe que je me taise.

Ibr, p. 413 : c’estoit en vain que je luy faisoit signe qu’il se teust.

FA, II, 2, p. 36, v. 474 : [PHILIPIN …] Je pense qu’il feroit, mesme parler les morts.

AF, IIème « journéee », v. 1638-9 : Y tã cierto, / que fuera lo mismo un muerto.

FA, II, 2, p. 37, v. 479-81 : Je sçay qu’en l’advoüant je perds tous mes service, / Mais j’ayme Beatrix Reyne des Beatrices, / De tout soupçon icy j’ay deu la dégager.

AF, IIème « journéee », v. 1176-8 : Siempre la verdad te enfada, / mas no ha de quedar culpada / la Beatriz de las Beatrizes

FA, II, 2, p. 37, v. 482 et suivants : Depuis plus de huict jours il me fait enrager, /                                   Il contemple le Ciel mesme aux nuicts plus obscures, / Il feuillette un grand livre, et fait mille figures, / C’est sans doute par là qu’il a sçeu vos amours.

Ibr, p. 413 : il y a huit jour qu’il passe les nuicts à regarder les Astres, et à feuilleter ses livres, pour en découvrir la cause : et c’est sans doute par ce moyen qu’il a sceu ce qu’il vous a dit.

FA, II, 2, p. 37, v. 489-90 : Ne me fistes-vous pas encore hier au soir / Remarquer un jardin dedans un grand miroir, / Et quelque temps apres n’y vis-je pas paroistre / Un homme qu’attendoit Madame à sa fenestre ? / [à Lucrece.] Je ne le pûs entendre alors qu’il vous parla

AF, IIème « journéee », v. 1187-91 : y yo en un espejo vi / un jardin adonde estava, / y alli una muger que hablava / con èl, aunque no la oì / lo que dixo, esto es verdad.

Ibr, p. 413 : Il m’a mesme fait voir, poursuivit-il, le jardin où vous estiez dans un grand miroir, sans que j’aye pû entendre pourtant ce que vous disiez.

FA, II, 2, p. 38, v. 496-7 : Il me perdra d’honneur s’il en dit davantage, / Et bien-tost à l’oüyr vous me croirez Sorcier

Ibr, p. 413 : Mais comme je vis qu’il allait confondre les choses, et que d’Astrologue il me feroit bien-tost passer pour Magicien

FA, II, 2, p. 38, v. 499 et suivants : Madame, j’advoüeray qu’en mon voyage en France / Du grand Nostradamus j’acquis la cognoissance, / Avec tant de bonheur qu’il m’enseigna son Art, / Et n’eut point de secrets dont il ne me fit part. / Ce fut donc à hanter ce rare et grand Genie / Qu’en assez peu de temps j’appris l’Astrologie

AF, IIème « journéee », v. 1250-2 : tan inclinado me vi / a su ciencia, como èl / a mi inclinacion. […]

Ibr, p. 413-4 : Je luy dit encor, qu’estant party de la Cour de France, j’avois passé par la Provence, où m’estant trouvé logé proche du grand Nostradamus, si admirable en cette science, […] j’avois été si heureux que de toucher son inclination, et d’acquerir son amitié jusques au poinct de m’apprendre une partie des belles choses qu’il sçait

FA, II, 2, p. 38, v. 505 : Je cognoy trop le peuple et son déreglement, / Il hait cette science, et croit que qui l’exerce / Doit avec les démons avoir quelque commerce ; / Ainsi craignant sa langue et d’en faire l’essay, / J’ay tousjours avec soing caché ce que je sçay

Le même argument est déjà présent chez Calderón (v. 1238-43 et 1202-10), mais sous une forme moins synthétique et pas exactement dans les mêmes termes.

Ibr, p. 413 : une chose que je ne voulois pas qui fust sceuë, à cause de la brutalité du peuple qui s’imaginoit que l’on [ne] pouvoit observer les Astres sans avoir commerce avec les demons : et ne sçavoi[t] point mettre de difference entre l’Astrologie et les enchantemens.

FA, II, 2, p. 38, v. 511 à 514 : Tant que las de souffrir vostre rigueur extresme, / J’en ay voulu sçauoir la cause de moy-mesme, / J’ay consulté le Ciel, et l’ay trouvée enfin, / J’ay trouvé la fenestre avecque le jardin

AF, IIème « journéee », v. 1286-99 : que despreciado de ti, / como pudo el mas humilde / hombre, el mas baxo, el mas vil / de tus desprecios la causa, / y de mi desdicha el fin, / por no preguntarla a otro / la quise saber de mi / y anoche con esse loco, / que se atrevio a descubrir / tan gran secreto, […] / hallè el paño, hallè la rexa, / hallè la puerta, el jardin / hallè

FA, II, 2, p. 38, v. 522-5 : La verité, Madame, enfin prend mon party. / Pour moy j’avois bien sçeu par un confus murmure / Qu’il se mesloit un peu de la Bonne-advanture ; / Mais je vous ay venduë, il a tout sçeu de moy. / [LUCRECE] J’avois assez de peine à soupçonner la foy

AF, IIème « journéee », v. 1317- 20, v. 1322-3 et 1351-5 : Señora ! / jamas oiste dezir, / que era Astrologo don Diego / otras vezes, pues yo si. / […] Quexa te agora de mi, / y di, que yo te he vendido. / […] [maria] Nunca de ti lo crei. / [Beatriz] Estava al fin inocente, / bolivo la verdad por mi.

FA, II, 3, p. 42, v. 570-4 : Quoy qu’il en soit enfin, Monsieur, je suis à vous. / J’eus tousiours grande ardeur pour ceux dont la science / Releve le bon sang qu’ils ont de leur naissance, / Et s’il faut librement vous en faire l’adveu, / Dans mon jeune âge aussi je m’en meslois un peu

AF, IIème « journéee », v. 1418-30 : vos tenedme por criado, / que a los hombres ingeniosos / les soi mui aficionado, / mayormente a los que son / tan principales que tienen / la ciencia por guarnicion / de la sangre, y que previenen / ingenio, y estimacion. / tambien yo en mi mocedad, / si he de deziros verdad, / alguna cosa estudiè, / y con deseos pequè / en esta curiosidad

FA, II, 3, p. 42, v. 575 : l’embarras des affaires

Ibr, p. 415 : l’embarras des affaires domestiques

FA, II, 3, p. 43, v. 577-80 : Auriez-vous pour suspect / Saturne regardant Venus d’un trine aspect, / Et peut-on justement tirer un bon augure / De la conjonction d’Hecate avec Mercure ?

Ibr, p. 418 : Je sçavois dire encor, que Saturne regardant Hecate d’un trine aspect […] ne pronostique […] rien de bon.

FA, II, 3, p. 43, v. 595 : Ce sont termes de l’Art

JA, IV, 8 : ce sont termes de l’art.

FA, II, 5, p. 47, v. 631-2 : Les belles questions cependant qu’il m’a faites / A moy qui ne cognois ny Signes ny Planettes !

AF, IIème « journéee », v. 1437-8 : porque no se / nombre de signo, ni estrella

Ibr, p. 415 : Je vous laisse à juger, Madame, en quel estat se trouvoit un homme qui ne sçavoit pas seulement les noms des Signes et des Planettes.

FA, II, 5, p. 48, v. 640 : De vostre haut sçavoir je seray le trompette

AF, Ière « journée », v. 857-60 : Porque trompa de metal, / la vos de un criado es. / que hablando en el Labapies / le han de oyr en Foncarral.

JA, I, 5, p. 22 : La langue d’un valet est pire qu’un trompette.

FA, II, 5, p. 49, v. 658-61 : [Philipin] Qu’importe ? vous direz tantost ouy, tantost non, / Vous aurez quelque esgard à l’âge, à la personne, / Et du reste, Monsieur, Dieu la leur donne bonne, / Jamais un Astrologue est-il garand de rien ? / [D. Louys :] Le hazard fait souvent prophetiser fort bien. / Vous devez seulement mettre beaucoup d’estude / A ne rien affirmer auecque certitude, / Du present, du passé discourir rarement, / Tousjours de l’advenir parler obscurement, / Examiner la chose, en peser l’importance.

AF, IIème « journée », 1548-53 : Lo que todos responder, / una vez si, y otras no, / sea de gusto, ò de pena, / Dios se la depare buena, / pues que Astrologo acertò / cosa ninguna

Ibr, p. 416 : Ce que vous répondrez, me dit mon Agent, vous répondrez comme les autres, poursuivit-il, tantost oüy, et tantost non, soit favorablement ou funestement, et du reste, Dieu la leur donne bonne, car enfin, un Astrologue ne demeure jamais garand de rien. A ce discours, Valere se mit à rire, et me dit encor pour appuyer cette opinion, que cette science estant aussi difficile qu’elle estoit, il pourroit estre que le hazard me feroit plutost prophetiser, que toutes les reigles et les speculations Astrologiques. Que je n’avois qu’à parler tousjours obscurement ; n’affirmer jamais rien avec certitude ; considerer un peu la qualité et l’âge des personnes ; ne parler guere du passé, ny du present, sans en estre bien informé ; et pour l’advenir, en discourir tousjours par Emblesmes et par Enigmes, et prédire d’ordinaire plus de bonheur que d’infortune.

FA, II, 6, p. 50, v. 670-1 : Qui l’auroit pû penser ? / O surprenant prodige ! incroyable merveille !

Ibr, p. 419 : je n’eussent jamais pensé qu’un homme eust pû faire de si grand prodiges. Qu’à cela Leandre l’avoit arresté, et luy avoit demandé ce qu’il avoit veu de si merveilleux.

FA, II, 6, p. 51-2, v. 682 et suivants : Je ne cognus jamais un esprit si parfait. / Dans un degré si haut il sçait l’Astrologie / Que je l’accuserois volontiers de magie. / Il a sçeu de ma vie, et presque en un moment, / Ce qu’on n’en peut sçavoir que par enchantement ; / Et cela, de ma main tirant des conjectures, / Et puis sur du papier traçant quelques figures. / Qui croiroit à le voir si galand… [D. LOPE] N’est-ce pas / Cet esprit enjoüé, D. Fernand Centellas Dont on prise à l’envy les graces nompareilles ?

AF, IIème « journée », v. 1604-20 : el hombre mas docto es, / que tiene la Astrologia, / en este punto lo vi, / aunque el tiene para mi / gran ramo de hechizeria, conmigo se declarò / esta tarde, y me ha contado / cosas, que a mi me han passado / conmigo, y que Dios, y yo / las sabemos solamente, / no se como pudo ser, / que el lo llegasse a saber / en dos rasgos de repente / hizo la figura alli, / teniendome a mi delante, / como en menos de un instante. / [Carlos] Don Diego de Luna ? [Antonio] Si.

Ibr, p. 419-420 : Sçachez donc, répondoit Valere, puisque vous le voulez, que cet homme que vous voyez si enjoüé et si galant, est le plus grand Astrologue qui fut, ny qui sera jamais : s’il est vray qu’il n’y ait point d’enchantement à ce que j’ay veu, comme il m’en reste quelque soupçon ; il s’est déclaré à moy ce matin (poursuivoit-il) et m’a dit des choses si particulières de ma vie, que moy seul les pouvois sçavoir. Et ce que je vous dis, il l’a sceu presque en un instant, en traçant quelques figures sur du papier, et en me regardant la main […] N’est-ce pas le Marquis François (interrompoit Leandre) […] ?

FA, II, 6, p. 52, v. 694-7 : Je crois deux ou trois fois l’avoir entretenu, / Mais je remarquois bien, non qu’il eust cognoissance / De cette merveilleuse et divine science, / Mais du moins qu’il estoit homme de grand esprit.

AF, IIème « journée », v. 1621-9 : En mi vida no le he hablado, / sino es un avez, ò dos, / y en estas solas por Dios, / no se bien que aire me ha dado, / que aunque no de Astrologia, / que esto era mucho saber, / en èl he echado de ver, / que era hombre que sabia ; / pero que es tan eminente.

FA, II, 6, p. 52, v. 698 et suivants : Vous serez donc encor beaucoup plus interdit / Si vous m’accompagnez un jour chez ce rare homme / Qu’il me doit faire voir une Dame de Rome, / Qui pendant que j’y fus me voulut quelque bien. / [D. LOPE.] Se peut-il qu’en effet… [D. LOUYS.] Ce n’est encor là rien ; / Car pour vous dire au vray toute mon advanture, / Il a fait devant moy parler une peinture, / C’est ce qui me confond au point que vous voyez.

AF, IIème « journée », v. 1630-7 : Un dia te he de Ilevar, / que dize me ha de enseñar / una muger que està ausente, / y esto es lo menos que el haze ; / porque si verdad te trato, / he visto hablar un retrato, / que de aquesto Carlos nace / tanta confusiõ.

Ibr, p. 420 : Vous serez donc encor bien plus surpris, repliquoit Valere, si je vous y mene un jour, qu’il m’a promis de me faire voir une femme qui demeure à Rome, et que j’ay aimé du temps que j’y estois : Et cela encor est une des moindres choses qu’il sçait faire. Car s’il faut vous dire la vérité, j’ay veu et entendu parler un portrait, et c’est ce qui cause la confusion où vous me voyez.

FA, II, 6, p. 53, v. 713-5 : Adieu, mais prenez garde à ne parler de rien, / On pourroit l’accuser d’estre Magicien. / En voicy du moins un desja dedans le piege.

AF, IIème « journée », v. 1646-52 : pero el callar te conviene, / por el peligro que tiene / aquesto de lo hechizero. / […] Pues a Dios, este es el necio / primero que me ha creído.

FA, III, 1, p. 56, v. 737 : Astrologue excellent

AF, IIème « journée », v. 1795 : Astrologo excelente

FA, III, 1, p. 57, v. 751 et suivants : Je cognois mesme encor le Zenith, l’Ecliptique, / Le Tropique du Cancre, et le Pole Antarctique, / Ces termes de Jupin s’opposant à Venus, / Grace à mon Almanach, ne m’épouvantent plus

Ibr, p. 418 : les deux Tropiques de Cancer et de Capricorne, et les deux Cercles Polaires, Artique et Antartique. Je connoissois […] le Zenith, l’Hemisphere […]. Je sçavois dire encor […] Que Venus recevant les opposites radiations de Jupiter […] ne presage que des desordres. Enfin je connoissois les Paralelles, l’Ecliptique […].

FA, III, 1, p. 58, v. 761-4 : J’ay sçeu trouver d’abord une maison de jeu, / Où j’ay tout debité dans une troupe amie / De ceux qu’on nomme là piliers d’Academie

Ibr, p. 420 : il me conta comme il estoit allé à l’Academie

FA, III, 1, p. 58, v. 776 : Un amy m’a conté ma propre menterie

AF, IIème « journée », v. 1818 : por verdad me contaron mi mentira

FA, III, 1, p. 58-9, v. 783-4 : je m’approche, et pour rire / J’ay sur ce qu’il disoit voulu le contredire

Ibr, p. 421 : comme il n’avoit pû s’empescher de rire, il s’estoit mis à le contredire assez plaisemment

FA, III, 2, p. 61-2, v. 820 et suivants : Vous pourriez m’espargner la honte de le dire. / Puisque ce haut sçavoir dont chacun est jaloux / Vous fait cognoistre assez ce que je veux de vous. / [D. FERNAND.] Et par cette raison vostre raison est vaine, / Car enfin si je sçay le sujet qui vous méne, / Ce que vous me direz en cette occasion / Ne sçauroit augmenter vostre confusion. / [LEONOR.] Mais que vous servira d’entendre ma foiblesse ? / Vous ne sçavez que trop le desir qui me presse, / Me monstrer à vos yeux, c’est vous ouvrir mon cœur : / Ne me traitez donc point avec tant de rigueur, / Et puisqu’à vous parler je suis si peu hardie / Faites ce que je veux sans que je vous le die.

Ibr, p. 426 : si vous vouliez, il vous seroit aisé de m’épargner la peine de vous dire ce que je desire de vous, puisque sans doute vous le savez déjà. […] c’est par cette raison, luy-dis-je, que vostre modestie ne doit pas vous empescher de parler, car puisque c’est un secret que je n’ignore pas, ce que vous m’en direz ne doit rien adjouster à vostre confusion. […] Ne soyez donc point si rigoureux et s’il est possible, faites ce que je veux sans que je vous le die.

FA, III, 2, p. 62-3, v. 839 et suivants : Mais sçachez que pour vous je m’employerois en vain, / Si vous ne témoigniez par un recit sincere / Vostre consentement à ce qu’il faudra faire. / Peut-estre tâchez-vous de voir par cet essay / Si je suis ce qu’on dit, et si ce bruit est vray, / Mais gardez d’empescher l’effet de ma science, / Car enfin il y faut beaucoup de confiance, / J’ay mes règles à part, et n’agis pas tousjours / Selon qu’apparemment les Astres ont leur cours. / La force de mon Art passe un peu l’ordinaire, / Et pour vous en donner une preuve bien claire, / Je vay vous découvrir, si vous le souhaitez, / Quelle est vostre pensée, à quoy vous la portez, / Si vostre cœur est libre, ou quel objet l’enflame, / Et ce que vous avez de plus caché dans l’ame : / Mais cela fait aussi, ne me demandez rien, / Je ne puis rien pour vous.

Ibr, p. 427 : mais si par un recit simple et fidele, vous ne témoignez le consentement que vous apportez à ce que vous voulez qu’on fasse pour vous, il me sera impossible de vous servir. Et prenez garde, luy dis-je, […] que ce que vous appelez modestie, ne soit un effet du doute que vous avez en ma science ; et que par cet essay vous ne veüillez vous en asseurer. Il faut de la confiance en ce mystere, poursuivois-je, car je n’agy pas seulement par les voyes ordinaires de l’Astrologie, et je pense avoir acquis quelques connoissances extraordinaires qui vont encor au-delà. Et pour vous le témoigner, je m’en vay vous dire presentement si vous le desirez, toutes les plus secrettes pensées de vostre ame : mais après cela, n’attendez plus rien de moy.

FA, III, 2, p. 65, v. 900 : D’ailleurs, la vision est fort melancholique / D’un esprit enfermé dans un corps fantastique, / Cette apparition pleine d’horreur en soy / Fait pâlir bien souvent les plus hardis d’effroy

AF, IIème « journée », v. 1756-7 : el que desta suerte ves, / cuerpo fantastico es

Ibr, p. 427 : l’aparition des esprits, qui n’estoient lors que dans un corps fantastique, donnoit toujours quelque frayeur ; […] j’estois ravy de voir une personne de son sexe, avoir l’esprit assez ferme pour une entreprise qui faisoit trembler les plus hardis.

FA, III, 2, p. 66, v. 905-6 : Dans cette vision, dans ce charme trompeur, / J’auray plus de plaisir que je n’auray de peur.

Ibr, p. 428 : Et ne craignez pas qu’une si agreable vision m’épouvente : car je vous asseure qu’elle me donnera plus de plaisir que de frayeur.

FA, III, 2, p. 68, v. 943-944 : Regardez-moy l’œil fixe. [LEONOR.] O fille fortunée ! / [D. FERNAND.] Monstrez-moy vostre main. Quel jour estes-vous née ? / [LEONOR.] / L’onziesme de Juillet.

Ibr, p. 429 : Après cela, je voulus encor luy voir la main, et qu’elle me regardast fixement : je luy demandé l’heure et le jour de sa naissance

FA, III, 2, p. 68-9, v. 948 et 952 : [D. FERNAND.] Il me faut faire un pacte avecque son Idée, / Ce charme est innocent, mais pour un tel dessein / J’ay besoin d’un billet écrit de vostre main. / […] Je le déchireray ma figure estant faite.

Ibr, p. 428 : pour la faire reüssir, il falloit qu’elle écrivist un billet, selon les termes que je luy dicterois ; et qu’elle me permist de l’emporter pour faire mes figures dessus, l’asseurant que je le déchirerois, aussi-tost que le mystere seroit achevé ; et que cela parmy les sçavants, s’appeloit faire un pacte avec les idées.

FA, III, 2, p. 71, v. 973 et suivants : [JACINTE se cachant le visage.] Faut-il qu’il me regarde ! Helas, je meurs de peur. / [D. FERNAND à Jacinte.] Tu te caches les yeux, et je vois dans ton cœur. / [JACINTE.] Si vous sçavez, Monsieur, le secret où je pense, / Que ma maistresse au moins n’en ait point cognoissance, / Elle feroit chasser Fabrice asseurément.

Ibr, p. 429 : je pris garde que Camille se cachoit le visage avecques grand soin, de peur que je ne connusse le secret de son ame dans ses yeux. […] je luy dit en riant pour finir la Comedie, c’est en vain, […] que vous vous cachez les yeux, si je voiy vostre cœur à descouvert. Et de grace, me dit cette fille toute surprise, […] si vous sçavez mon secret, ne le dites point à ma Maistresse, car elle feroit chasser le pauvre Nastage hors du logis.

FA, III, 3, p. 72, v. 984-6 : J’avois beaucoup de peine à m’empescher de rire, / Et sur tout mon plaisir ne se peut exprimer / Alors qu’elle a détruit vostre obstacle de mer.

AF, IIème « journée », v. 2028-31 : Yo os confiesso, / que ya perdido me vi / de risa quando os cogio / en lo del mar.

FA, III, 3, p. 73, v. 1001-2 : D. Juan, je sçay bien où vous estes, /     Venez me voir dés cette nuict.

AF, IIème « journée », v. 2013-5 : Don Juan ya se. […] / Adonde estais, venid / aquesta noche a hablarme

FA, III, 3, p. 73, v. 1003 et suivants : Et vous pouvez beaucoup avecque cette lettre. / [D. FERNAND.] Dans les mains de D. Juan il faudra la remettre, / Qui sans doute croyant qu’on l’a fait espier / Ira voir Leonor pour se justifier, / Se trahira luy-mesme ; ainsi par cette adresse / Je me vange, et détruis les plaisirs de Lucrece. / Si d’ailleurs Leonor trop credule en ce point / Le prend pour un Fantosme et ne l’écoute point, / On ne peut inventer fourbe plus accomplie / Pour confirmer le bruit de mon Astrologie.

Ibr, p. 429-30 : quel dessein, luy dis-je ; celuy qu’elle tombe aux mains d’Hortense, qui croyant qu’Aurelia sçait qu’il est caché chez Leandre, puis qu’elle luy escrit, ne manquera pas de se trouver à l’assignation qu’elle luy donne par sa lettre, pour essayer de se justifier : et de cette sorte elle apprendra qu’il est effectivement à Gennes, fera esclater la chose, destruira les plaisirs cachez de Livie, et me vangera. Que s’il arrive qu’elle le prenne pour un phantosme, la reputation que vous m’avez donnée en augmentera encore.

FA, III, 3, p. 74, v. 1022 : Cet advis en effet est le meilleur de tous.

Ibr, p. 430 : cet advis nous semblant le meilleur que nous puissions prendre, nous ne songeasmes plus qu’à l’executer

FA, III, 6, p. 77, v. 1045-6 : Quel Démon ennemy, quel infidelle esprit / A pû lui découvrir que je suis à Madrid ?

Ibr, p. 431 : quel demon a découvert à Aurelia que j’estois icy ?

FA, III, 7, p. 78-9, v. 1060-78 : [JACINTE.] Mais croyez-vous encor qu’il tienne sa promesse, / Et qu’en si peu de temps D. Fernand au besoing / Puisse obliger D. Juan à venir de si loing ? / [LEONOR.] Pauvre esprit ! esprit foible ! avec ton ignorance / Voudrois-tu limiter cette haute science, / Qui pourveu que la mer ne fust point entre-deux /Produiroit des effets cent fois plus merveilleux ? / Sans doute qu’il viendra, non luy mais son Image, / Un spectre tout pareil de port et de visage. / [JACINTE.] Et quel plaisir, Madame, aurez-vous de le voir ? / Pourquoy le souhaiter ? / [LEONOR.] Tu ne le peux sçavoir / Si tu ne sçais qu’Amour, ce charmant adversaire, /     Luy-mesme est la raison de tout ce qu’il fait faire. / [JACINTE.] Et bien, vous le verrez, je veux vous l’accordez. / Mais si c’est un Fantosme, un corps qui n’est que d’air, / N’aurez-vous point de peur ? [LEONOR.] Point du tout : mais on frappe. / [JACINTE.] Vous pâlissez, Madame, un soûpir vous échape ! / Vous croyez que c’est luy peut-estre ? [LEONOR.] Aucunement, / Mais va voir ce que c’est.

AF, IIème « journée », v. 2127-59 : Es possible que has creido / que aya de venir a casa / en esta noche don Juan, / y no creas que te engaña / tu deseo, como puede / venir, quien de leguas tantas / oi te ha escrito. [Violante] Necia estàs, / quieres tu con tu ignorancia / poner limite a las ciencias, / que tanto poder alcançan, / como no aya mar en medio, esso es cosa averiguada, / que vendra, mas no don Juan, / sino sombra que retrata / al mismo de la manera / que allà estuviere. [Quiteria] y q sacas / de verle, assi. [Violante] Solo verle, / y no me preguntes nada, / sino sabes que es amor, / que ya se que ai muchas damas / que se entretienen en ver, / en que los ausentes passan. / [Quiteria] Y quando fuera possible. / el verle, no te causara / miedo pensar que era sombra. / [Violante] Ningun temor me acobarda, / anîmo tengo. […] / Mira, que a la puerta llaman, / toma essa luz, y abre presto. / [Quiteria] La color tienes turbada, / has creîdo que es don Juan. / [Violante] No lo creo, pero acaba.

Ibr, p. 433-4 : cette fille luy demanda si elle pouvoit bien croire que cette nuit-là elle veroit Hortense ? car disoit-elle, le moyen qu’un homme qui est si esloigné de vous vous puisse venir trouver en si peu de temps ? la maistresse, qui pensoit bien estre plus habile, sousrioit en l’entendant parler ainsi : et prenoit grand soin de luy faire comprendre que cette science estoit au dessus de son esprit : et luy disoit encor, que ce ne seroit pas effectivement Hortense qu’elle verroit, mais quelque chose qui luy ressembleroit si parfaitement, qu’il n’y auroit nulle difference. Mais, luy disoit Camille, qu’esperez-vous de le voir ainsi ? Quel divertissement ? quelle satisfaction en attendez-vous ? le voir seulement, répondit Aurelia ; et si tu es sage, disoit-elle, ne demande jamais pourquoy l’Amour fait faire quelque chose, car il est luy-mesme la raison de ce qu’il nous force à faire. […] Mais, repliquoit Camille, n’aurez-vous point de peur ? point du tout, repondoit Aurelia. Comme elles en estoient-là, Hortense […] se mit […] à frapper tout doucement à la fenestre. Ce qu’Aurelia ayant entendu, elle changea de couleur. Vous croyez peut-estre, luy dit Camille, que c’est Hortense qui fait ce bruit […] je ne le croy pas, répondit Aurelia, mais pourtant ouvre la fenestre

FA, III, 8, p. 80, v. 1082-6: [LEONOR.] Ah Ciel, Ah ! […] / […] Ma curiosité ne sert qu’à me confondre, / C’est la voix de D. Juan, mais je ne puis répondre, / Et quand j’ay pris dessein de le faire appeler / J’ay souhaité le voir, et non pas luy parler.

Ibr, p. 434 : Ha Dieu, dit Aurelia, c’est la voix d’Hortense ! mais je ne sçaurois luy respondre : et ce n’est pas pour luy parler, que j’ay souhaité de le voir.

JA, IV, 4 : J’ay désiré vous voir, et non pas vous parler.

FA, III, 8, p. 81, v. 1096: Fantosme, laisse-moy, retourne à Sarragoce.

AF, IIème « journée », v. 2214-5 : Fantasma / buelbete alla a Zaragoça.

JA : Fantosme, promptement retourne en Italie

FA, IV, 1, v. 1154-56 : Pour gage de ma foy prenez ce Diamant, /Seur que je suis à vous, et que quoy qu’il advienne / Jamais sa fermeté n’égalera la mienne.

JA, IV, 5 : « c’est chose très certaine / Que le mien le surpasse encor en fermeté !

FA, IV, 6, p. 95, v. 1270 et suivants : Au lieu de son Fantosme et d’une illusion, / Si quoy qu’il se cachast avec un soing extréme, / A vous aller trouver je l’ay contraint luy-mesme, / Puis-je mieux témoigner la force de mon Art

Ibr, p. 439 : Que si au lieu de son phantosme, elle avoit veu le veritable Hortense, c’estoit une marque indubitable de la force de mon Art : qui l’avoit contraint de l’aller trouver, bien qu’il voulust être caché.

FA, IV, 5, p. 92, v. 1229 : Peu s’en faut qu’en la ruë on ne me monstre au doigt.

Ibr, p. 439 : le peuple commençoit déjà de me regarder et de me monstrer au doigt

JA, III, 6 : Chacun te montre au doigt à present dans la ruë

FA, IV, 5, p. 92, v. 1233 : Dequoy vous plaignez-vous ?

Ibr, p. 440 : et puis dequoy vous plaignez-vous ?

FA, IV, 6, p. 95, v. 1275 : Cette raison l’emporte, il faut que je luy cede

AF, IIIème « journée », v. 2534-6 : Razon / es essa, a quien yo no hallo / respuesta

FA, IV, 6, p. 96, v. 1293-5 : son esprit jaloux / A voulu se guerir en se cachant de vous, / Pour vous faire observer il a feint ce voyage

AF, IIIème « journée », v. 2570-3 : que la ocasion / de estar do Juan en Madrid / fuiste tu, y el se quedò / por zelos que de ti tuvo

Ibr, p. 439 : estant devenu jaloux d’elle, il avoit feint un voyage à Naples, afin de faire observer toutes ses actions exactement

FA, IV, 8, p. 99, v. 1320-1 : Daignez en ma faveur faire quelque figure, / Pour découvrir au vray ce qu’il est devenu.

AF, IIIème « journée », v. 2685-8 : quisiera que me dixerais / donde està, y ansi os suplico / que me estudieis con cuidado / esta figura.

Ibr, p. 441 : il me conjuroit de vouloir faire quelques figures, pour découvrir qui pourrait avoir une bague d’émeraude qui s’estoit perduë chez luy.

FA, IV, 8, p. 99, v. 1322 : [D. LOUYS. à D. Fernand.] O qu’en bonne saison le vieillard est venu !

AF, IIIème « journée », v. 2690 : A buen tiempo el viejo vino.

FA, IV, 8, p. 100-1, v. 1339-56 : Je ne le cele point, j’ay bien quelque principe / De cette Astrologie où tant de monde pipe, / Et sur ce fondement mes amis indiscrets / Ont feint d’en avoir veu de merveilleux effets ; / Mais quoy qu’on en publie, et quoy que l’on en pense, / Aucun n’en vit jamais la moindre experience, / Et si par leur exemple à cette feinte instruit / Moy-mesme quelquefois j’ay confirmé ce bruit, / Ce n’a jamais esté que quand la raillerie / Loin de passer pour crime estoit galanterie : / Mais icy qu’il s’agit de vous parler sans fard, / Quel que soit le renom que m’ait acquis cet Art, / La reputation ne m’en est point si chere, / Que pour la conserver je vueille vous rien taire. / Ainsi croyez qu’en vain touchant ce diamant / Vous attendez de moy quelque éclaircissement, / En quelque main qu’il soit, et quoy qu’il en puisse estre, / Par le peu que je sçay je n’en puis rien cognoistre.

AF, IIIème « journée », v. 2713-31 : señor Leonardo, eschudad, / yo tuue algunos principios / de Astrologia, es verdad, / de donde tomè motivo, / para tener opinion / acreditada de amigos, / todos dizen, que la se ; / Pero ninguno lo ha visto, / y es verdad, pues no se tanto / como alguna vez he dicho ; / porque entonces no importò / con poca causa fingirlo, / mas oi que ya llega a veras ; / porque no penseis que estimo / mas la opinion, que el trataros / verdad, la verdad os digo, / yo no se de Astrologia / tanto, que pueda deziros / de essa joya.

Ibr, p. 441 : je pris un visage serieux, pour luy dire qu’il estoit vray, qu’autre-fois j’avois sceu quelques principes d’Astrologie (car je ne pouvais pas me resoudre de me confesser tout à fait imposteur) que sur ce fondement, mes Amis m’avoient donné la reputation d’y sçavoir quelque chose : mais qu’aucun d’eux n’en avoit jamais veu nulle experience. Qu’il estoit vray aussi, que je m’estois dit quelquefois moy-mesme plus sçavant que je ne l’estoit, en quelques occasions où la fainte estoit plutost une galaterie qu’un crime, mais que pour luy, je voulois lui témoigner, que la reputation que j’avois acquise, ne m’estoit pas si chere que son amitié, puis que je luy confessois ingenuëment que je ne sçavois pas assez à l’Astrologie, […] pour luy dire ce qu’il souhaittoit de moy.

FA, IV, 8, p. 100-1, v. 1357-61 : Quand je n’aurois pas sçeu par le raport d’autruy / Que vous estes l’honneur des sçavants d’aujourd’huy, / Et que l’on fait de vous par tout un cas extresme, / Cette humilité seule à parler de vous-mesme / Me persuaderoit de ce que vous sçavez.

AF, IIIème « journée », v. 2731-7 : Quando yo / jamas huviera tenido / noticia de que vos sois / hombre docto, averos visto / hablar con tanta humildad, basta para aver creìdo / q sabeis mucho.

Ibr, p. 442 : quand je n’aurois jamais sceu par le rapport d’autruy, que vous este un homme docte, vostre humilité suffiroit, pour me persuader que vous sçavez beaucoup.

FA, IV, 8, p. 101, v. 1365-6 : Ainsi les plus sçavants, ainsi les plus parfaits / Doivent estre tousjours modestes et discrets

AF, IIIème « journée », v. 2738-42 : Esso mismo / que dezis, es lo que mas / os acredita conmigo, / ansi han de ser los que saben, / mui modestos, y encogidos

Ibr, p. 442 : C’est de cette sorte, poursuivoit-il, que doivent estre modestes et discrets, ceux qui sçavent beaucoup

FA, IV, 8, p. 102, v. 1384 : Il va me rendre fou, si je n’y prends bien garde.

AF, IIIème « journée », v. 2761-2 : Vive Dios, / que quiere quitarme el juizio

FA, IV, 8, p. 102, v. 1385-9 : Ce diamant perdu sembloit d’autant plus beau     / Qu’il servoit de cachet aussi-bien que d’anneau, / Je l’avois fait graver. Et s’il est d’importance / Que vous sçachiez encor cette autre circonstance, / C’est entre neuf et dix qu’on croit l’avoir perdu.

Ibr, p. 442 : souffrez que je vous die que cette emeraude est gravée, et peut servir de cachet aussi bien que de bague. […] Et pour faciliter la chose, me disoit-il encor, il faut que vous sçachiez, que cette bague a été perdue entre dix et onze heures du matin.

FA, IV, 9, p. 103 : PHILIPIN tout haut, presentant un papier à D. Fernand.

Ibr, p. 442 : je vis entrer la Roche un grand papier à la main, qui me dit tout haut […]

FA, IV, 9, p. 104-5, v. 1408-14 : De peur de vous fâcher je voulois m’en défendre, / Mais vous m’y contraignez. […] / Oyez donc ce qu’en vain j’ay voulu vous cacher, / Et sçachez que desja resvant à vostre affaire / J’ay fait en mon esprit ce qu’il a fallu faire. / Celuy qui ce matin vous a fait compliment / En habit de campagne, a vostre diamant.

AF, IIIème « journée », v. 2808-19 : Yo he pretendido / dissimula roi con vos / mi ciencia, por no deziros / cosas que os han de pesar, / mas puesto que aveis querido / saberlo, yo esta mañana, / la misma figura he visto, / que su prima me avisò / de como se avia perdido, / un hombre que en vuestra casa / oy vestido de camino / ha entrado, tiene la joya

Ibr, p. 443 : jusques icy j’ai fait ce que j’ay pû, pour dissimuler le peu que je sçay, afin de ne vous dire rien qui vous pust déplaire : mais puisque vous le voulez sçavoir, je vous avoüeray franchement, que j’ay déjà fait la figure necessaire pour cela, en ayant été prié par une parente de Livie : de sorte que pour ne déguiser plus la verité, je suis obligé de vous dire, qu’un homme que vous avez veu ce matin chez vous en habit de campagne, est celui qui a en ses mains la bague que vous me demandez.

FA, IV, 9, p. 105, v. 1419-22 : Vous voyez, D. Fernand, qu’en vain vous vouliez taire / Ce dont sur vostre front je vois le caractere. / Quand je dis une fois, Cet homme a de l’esprit, / C’est un sçavant du siecle, il l’est sans contredit

AF, IIIème « journée », v. 2808-19 : veis don Diego, como yo / nunca me engaño, si digo / un avez, este hombre sabe, / es cierto

FA, IV, 10, p. 106, v. 1426-8 : Qu’importe s’il le prend pour gendre, ou pour larron ? / C’est bien la mesme chose, et l’un et l’autre en somme / Pour en avoir le bien veut la mort du bon-homme.

AF, IIIème « journée », v. 2855-9 : El enredo es lindo, / si el le prende por ladron, / ò por yerno, que es lo mismo, / pues de la hazienda, y la vida, / entrambos son enemigos.

FA, IV, 11, p. 107, v. 1439-41 : Ah, Monsieur, en faveur de Lucrece, / Lucrece nostre bonne et commune maistresse, / Si j’osois vous prier.

AF, IIIème « journée », v. 2865-8 : a suplicaros me atrevo / un poco, por aver sido / criado de una señora / que vos amais, y yo servo.

FA, IV, 11, p. 107, v. 1456: Monsieur, je m’en défie.

F, IIIème « journée », v. 2895-6 : Señor, / deste Moron no me fio.

FA, IV, 10, p. 107, v. 1437-8 : [D. LOUYS.] Quel est ce bon vieillard ? / [D. FERNAND.] Depuis plus de trente ans il sert chez Leonard.

Ibr, p. 444 : il vint un vieil homme qui servoit depuis trente ans chez Leonard

FA, IV, 11, p. 108, v. 1452-3 : Il suffira de moy sans employer mon maistre, / J’en sçay trop pour cela, je t’y feray porter.

Ibr, p. 444 : J’en sçais assez pour cela, dit lors mon Agent, sans que mon Maistre s’en mesle

FA, IV, 12, p. 111, v. 1481-91 : [MENDOCE.] Tu n’oserois d’ailleurs, quoy qu’avec gens discrets, / Ny médire de luy, ni conter ses secrets, / Ou s’il arrive enfin quand sa bile le presse / Qu’à bons coups de baston il te fasse carresse, / Tu n’oserois t’en plaindre, et dire à quelque amy /     Qu’il est fantasque, et plus que Lutin et demy, / Ou si le cas escheoit, avecque ses semblables / Le donner de grand cœur à trente mille Diables. / Quelques coups dont jamais j’aye esté regalé, / Quand j’avois fait cela j’estois tout consolé. / [PHILIPIN.] Le mien est indulgent.

Ibr, p. 437 : Vous ne sçauriez encor, disoit Vespa, avoir le plaisir de conter ses secrets. […] et ce qui est le pis, s’il nous a mal traité […], vous n’oseriez vous en plaindre à vos Amis : pour moy, ce serait me priver d’une grande consolation, que de m’empescher de dire à quelqu’un, il est plus fantasque qu’une mule ; plus extravagant qu’un lutin : et de l’envoyer à tous les demons quand il est meschant. […] Pour moy, disoit la Roche, le mien n’est pas des plus mauvais.

FA, IV, 12, p. 112, v. 1517 : [PHILIPIN.] As-tu bien dérobé ? [MENDOCE.] Peu de chose à la fois.

Ibr, p. 438 : je n’ay jamais pris à mon Maistre que peu de choses à la fois.

FA, V, 2, p. 116-117, v. 1561-7 : [LEONARD.] Je vous cherchois, D. Juan. / [D. JUAN.] Mes vœux sont satisfaits, / Et l’heur de vous servir fait mes plus grands souhaits, / Que me commandez-vous ? [LEONARD bas.] Ah, que c’est grand dommage / Que cette lâcheté noircisse un bon courage, / Et qu’un homme sorty d’un sang dont on fait cas / L’ose deshonorer par un vice si bas ! / Qui le prendroit jamais pour voleur à la mine ?

Ibr, p. 444 : Il l’avoit pourtant abordé civilement, et s’estoit contenté de luy dire qu’il l’avoit cherché depuis une heure. Car la mine d’Hortense ressembloit si peu à celle d’un voleur, qu’il avoit mesme eu quelque crainte de luy parler. Hortense répondit à cela qu’il s’estimeroit heureux, si c’estoit pour luy commander quelque chose. Qu’il est courtois (pensoit Leonard en luy-mesme […] ) et que c’est grand dommage, qu’un homme si bien fait ait une si mauvaise inclination.

FA, V, 2, p. 117-8, v. 1579-86: [LEONARD bas.] Le voilà tout confus. [D. JUAN bas.] Que je suis miserable ! / [LEONARD.] Je ne dis pas, D. Juan, que vous soyez coupable, / Mais la main seulement de qui vous le tenez. / […] Non, je ne doute point, quoy qu’on m’ait voulu taire, / Que qui vous l’a donné n’ait eu droit de le faire, / Cessez de prendre soing de vous justifier, / Vous l’estes avec moy.

AF, IIIème « journée », v. 2957-9 : No digo yo, que vos aveis tenido / culpa, sino aquella / mano de quien la huvisteis.

Ibr, p. 444-5 : Et comme ce discours surprenoit Hortense, il en paroissait si confus, que Leonard ne doutoit plus du tout qu’il ne fut coupable. […] je ne dis pas, repliquoit Leonard, que vous soyez coupable, mais ouy bien la personne dont vous la tenez. […] ne vous affligez point, repliquoit Leonard, car enfin la main qui vous l’a donnée a seule fait cette faute et de cette sorte vous estes justifié auprès de moy.

JA, V, 6 : Je ne vous tiens, Monsieur, aucunement coupable, / Je me plains de la main de qui vous la tenez.

FA, V, 2, p. 118, v. 1590 : Je suis le seul coupable et le seul à blâmer.    

Ibr, p. 445 : il l’assuroit que luy seul estoit coupable

JA, V, 7 : Blasmez-moy seulement, je suis le seul coupable. 

FA, V, 2, p. 118, v. 1595 : A quel point son erreur le seduit et l’abuse !

AF, IIIème « journée », v. 2978 : Tanto su error le ciega

FA, V, 2, p. 119, v. 1596 : Je tâche à l’excuser, et luy-mesme s’accuse.

Ibr, p. 445 : plus je le veux excuser, et plus il s’accuse !

FA, V, 2, p. 119, v. 1605-8 : Pour ma défence au moins sçachez que malgré moy / D’un Astre dominant j’ay reconnu la loy, / Dont la necessité m’a mis dans la contrainte / De vous donner enfin juste sujet de plainte.

Ibr, p. 445 : j’ay été contraint, par une necessité inévitable à vous donner sujet de plainte.

FA, V, 2, p. 119, v. 1611-3 : Non, non, je ne suis point un juge inexorable, / Je cognoy trop dequoy la jeunesse est capable, / Et que l’occasion force la volonté.

AF, IIIème « journée », v. 2999-3000 : Disculpas son forçosas, / moço fui, no me espanto dessas cosas.

Ibr, p. 445 : Je sçais assez, repliquoit Leonard, ce dont la jeunesse est capable, et ce que la necessité oblige à faire.

FA, V, 2, p. 119-20, v. 1614-8: Puisque vous l’excusez avec tant de bonté, / Pour me justifier authorisez mon crime, / Rendez de mes erreurs la cause legitime, / Et daignez consentir qu’à Lucrece demain / En qualité d’époux D. Juan donne la main.

AF, IIIème « journée », v. 3001-6 : Pues que mi bien dispones, / por quitarnos de tales ocasiones, / honra la humildad mia / con tu hija, señor, doña Maria, / y cessàra con esto la ocasion / que en tal lance nos ha puesto tu mismo.

Ibr, p. 445 : Puisque vous sçavez, luy dit-il, excuser mes erreurs, veüillez les rendre légitimes, en me donnant la permission d’épouser Livie.

FA, V, 2, p. 120, v. 1626-8: Trouvant trop de peril au mestier de larron, / Aux dépens de mon bien il veut se rendre sage, / Et m’ose demander ma fille en mariage.

AF, IIIème « journée », v. 3008-10 : porque el ladron no sea, / quiere que yo le case, ai quien tal crea, / con mi hija

FA, V, 2, p. 120, v. 1632-4: Mais qu’il n’espere pas estre jamais mon gendre. / D. Juan, je vous promets, quoy que vous m’ayez dit… / [D. JUAN.] Vostre fille, Monsieur ? [LEONARD.] Le secret, il suffit

AF, IIIème « journée », v. 3013 : que casar con mi hija, no lo esperes / [passage de l’édition de Sarragoce 1632 ? ] don Juan, yo te prometo. [don Juan] A tu hija, señor. / [Leonardo] Basta el secreto.

FA, V, 3, p. 122, v. 1661: Avec combien d’adresse il feint pour m’éprouver !

AF, IIIème « journée », v. 3042-3 : Que bien / sabe fingir un desden.

FA, V, 4, v. 1667 : Il meurt d’amour pour vous, vous le croyez encore ?

JA, V, 7 : Avec tous ces mespris il meurt d’amour pour moy.

FA, V, 6, p. 127, v. 1727: Adieu, Madrid, Adieu, sans regret je te quitte

AF, IIIème « journée », v. 3115-6 : A Dios Madrid, desta vez / no pienso bolver a verte

FA, V, 7, p. 129, v. 1745: Il est donc, Philipin, des Diables muletiers ?

AF, IIIème « journée », v. 3132-4 : No entendi que hasta este dia / moços de diablos avia, / como de mulas.

FA, V, 7, p. 131, v. 1779-80: Je sens bien que je vole, / Car à peine j’entens le son de sa parole.

AF, IIIème « journée », v. 3160-1 : Yo siento que voi bolando, / que la voz se va quedando.

FA, V, 7, p. 131, didascalie : PHILIPIN en prenant sa bourse.

AF, IIIème « journée », p. 238, didascalie : y quitale el dinero de la alforja.

JA : Il luy bande le visage, et luy oste son argent, et s’en va.

FA, V, 8, p. 134, v. 1812-3 : [D. JUAN.] Ne puis-je m’échaper ? [LUCRECE.] Non pas sans qu’on vous voye, / Cachez-vous promptement

Ibr, p. 447 : Hortense fut contraint de se cacher dans un coin du jardin où ils estoient, luy estant impossible de sortir sans estre veu.

FA, V, 10, p. 136, v. 1827-34: [LEONOR.] Ne vous estonnez point si j’ose icy paroistre, / Je n’y viens, Leonard, que pour chercher un traistre, / Et pour vous advertir qu’au mépris de ses feux / Un parjure insolent nous affronte tous deux. / S’il ayme vostre fille, il est adoré d’elle, / Ce reciproque amour me le rend infidelle, / Il est caché céans ce lâche suborneur, / Faites-m’en la raison et vangez vostre honneur.

AF, IIIème « journée », v. 3229-39 : No te espantes de que entre / ansi Leonardo en tu casa, que si licencias tiene / en los hombres el engaño, / y el desprecio en las mugeres, / yo vengo siguiendo a un hombre, / que es el que a tu hija quiere, / y està dentro de tu casa, / escondido desta suerte, / quiero avisarte, intentandu, / que tu por los dos te vengues.

Ibr, p. 448 : ne vous estonnez pas, luy dit-elle, Leonard, de voir que cette visite soit plûtost à vous qu’à vostre fille, puisque c’est de vous que je dois attendre la vangeance que je désire. Vous estes trompé, Leonard, et je suis méprisée par un homme que Livie aime, et qui présentement est caché céans ; j’ay voulu vous en advertir, afin que vous nous vangiez tous deux à la fois.

FA, V, 10, p. 136, v. 1835: J’entens la voix plaintive

AF, IIIème « journée », v. 3241 : Las vozes son lastimosas

Ibr, p. 448 : que ces voix sont plaintives !

FA, V, 10, p. 137, v. 1837-41 : [LEONARD regardant Lucrece.] Un homme icy caché ! [LUCRECE.] Dequoy m’accusez-vous ? / [LEONARD.] Sois sans crime, autrement redoute mon couroux. / Mais je veux me purger de ce soupçon infame, / Il faut chercher par tout, allons, venez, Madame. / Voyons tout le jardin.

Ibr, p. 449 : un homme caché dans ma maison ! il faut chercher par tout, car je ne veux pas que ce soupçon puisse rester à personne

JA, V, 11 : Il est caché céans. / Un homme ici caché ? »

FA, V, 11, p. 137, v. 1842 : Ne cherchez plus D. Juan, Madame, le voicy.

Ibr, p. 449 : ne cherchez pas davantage

FA, V, 11, p. 138, v. 1846 : Je rencontre un voleur en cherchant son amant. / […] Vous pretendiez encor joüer un tour de maistre, / Et pour nous dérober vous vous cachiez peut-estre.

AF, IIIème « journée », v. 3296-98 : Pues q quieres, / no te bastò la de oi, / que hurtarme otra joya quieres ?

Ibr, p. 449 : je cherche un Amant de ma fille, et je trouve un voleur. Vous pretendiez peut-estre, luy dit-il, me dérober encor quelque autre bague

FA, V, 11, p. 139-40, v. 1871-6 : Je vous en ay tantost desja dit ma pensée, / Que d’un semblable Hymen elle estoit menacée : / Puisqu’un homme sans biens doit estre son époux, / Pour faire un meilleur choix, où le chercherez-vous ?

AF, IIIème « journéee », v. 3306-9 : Si ya es cierto que previene / su estrella pobre marido, / dime señor con quien puedes / cumplir el ado mejor ?

FA, V, 12, p. 142, v. 1896 : O ma terre natale, il faut que je te baise.

AF, IIIème « journée », v. 3267-8 : Ya he Ilegado ha patria mia ! / dexa que tu tierra besse

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GUICHEMERRE, Roger, La Comédie avant Molière 1640-1660, Paris, Armand Colin, 1972.
GUICHEMERRE, Roger, La Comédie classique en France, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1978.
VOLTZ, Pierre, La Comédie, Paris, Armand Colin, 1964.

Sur la comedia espagnole et ses adaptations en France §

HORN-MONVAL, M., Répertoire bibliographique des traductions et adaptations françaises du théâtre étranger, du XVe siècle à nos jours, tome IV, Théâtre espagnol, Paris, CNRS, 1961.
LOSADA-GOYA, José Manuel, Bibliographie critique de la littérature espagnole en France au XVIIe siècle, Genève, Droz, 1999.
MARTINENCHE, Émile, La Comedia espagnole en France de Hardy à Racine, Paris, Hachette, 1900.
OPPENHEIMER, Max Jr., Pedro Calderón de la Barca’s The Fake Astrologer, A Critical Spanish Text and English Translation by…, New-York et al., Peter Lang, 1994.
OPPENHEIMER, Max Jr., « Supplementary Data on the French and English Adaptations of Calderóns El Astrólogo fingido », Revue de litérature comparée, 1948, p. 547-560.
STEINER, Arpad, « Calderón’s Astrologo fingido in France », Modern Philology, 24, 1926-1927, p. 27-30.

Études thématiques §

COUDERC, Paul, L’Astrologie, Paris, PUF, 1951.
FUZEAU-BRAESCH, Suzel, L’Astrologie, 2e éd., Paris, PUF, 1989.
GUTIERREZ-LAFFOND, Théâtre et magie dans la littérature dramatique du XVIIe en France, Thèse, Université de Toulouse le Mirail, Presses Universitaires du Septentrion, 1998.

Sur la langue classique §

Dictionnaires §
ACADÉMIE FRANÇAISE, Dictionnaire, Paris, J-B Coignard, 2 vol., 1694.
FURETIÈRE, Antoine, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690.
HUGUET, E., Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle, Paris, Champion (puis Didier), 7 vol., 1925-1967.
OUDIN, A., Curiositez françoises, Paris, Sommaville, 1640 (cote Bnf : NUMM-50817).
REY, Alain, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1998.
RICHELET, P., Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise… avec les termes les plus connus des arts et des sciences, Genève, J.-H. Widerhold, 2 vol., 1680.
Rhétorique, grammaire et ponctuation §
CATACH, Nina, La Ponctuation, Paris, PUF, 1994.
FOURNIER, Nathalie, Grammaire du français classique, Paris, Belin, 1998.
HAASE, A., Syntaxe française du XVIIe siècle, Paris, Delagrave, 1935.
MOLINIÉ, Georges, Dictionnaire de rhétorique, Le Livre de poche, 1992.
SANCIER-CHÂTEAU, Anne, Introduction à la langue française du XVIIe siècle, Paris, Nathan, 2 vol., 1993.
SPILLEBOUT, Gabriel, Grammaire de la langue française du XVIIe siècle, Paris, 1985.

Ouvrages bibliographiques §

CIORANESCU, Alexandre, Bibliographie de la Littérature française du dix-septième siècle, Paris, CNRS, 1965.
KLAPP, Otto, Bibliographie der französischen Literatur-Wissenschaft, Francfort-sur-le-Main, Vittorio Klostermann.

Études et articles consacrés à Thomas Corneille et à son œuvre dramatique §

Andrieu-Guitrancourt, A., Le Festival Corneille. Vingt ans de théâtre à Barentin 1956-1975, Rouen, Médianes.
BOUQUET, F., Points obscurs et nouveaux de la vie de Pierre Corneille, Paris, Hachette, 1888.
COLLINS, David A., Thomas Corneille, Protean Dramatist, La Haye-Paris, Mouton & Co « Studies on French Literature », 1966.
CORTÉS VÁZQUEZ, Luis, « Influencia del teatro clásico espagnol sobre el francés : Calderon de la Barca y Thomas Corneille », in Navarro GonzÁlez, Alberto (éd.), Estudios sobre Calderón, Actas del Coloquio calderoniano en Salamanca, Salamanca, Universidad de Salamanca, 1985, p. 17-31.
[COSNIER, Colette (éd.) ], « Préface » à son édition de Thomas Corneille, L’Amour à la mode, Paris, Nizet, 1973.
FALSKA, Maria, Le Baroque et le Classique dans le théâtre espagnol et français du XVIIe siècle. Calderón imité par Thomas Corneille, Lublin, 1999.
FISCHLER, Éliane, La Dramaturgie de Thomas Corneille, Thèse de doctorat, Université de Paris III, 1976.
LAPERT, Louis, Pierre Corneille et ses frères Antoine et Thomas, leur famille maternelle et leurs amis en Pays-de Caux, Association pour l’animation et la coordination culturelle à Yvetot et dans le Pays de Caux, Yvetot, 1984.
LECHEVALIER, Gaël, Stratégie des regards. Voir et être vu dans le théâtre de Thomas Corneille (1647-1695), Thèse, Paris X-Nanterre, janvier 2007.
MAHIEUX, Etienne, « Introduction » à son édition critique de Thomas Corneille, La Mort d’Achille, mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier, Bibliothèque dramatique, 2000.
MICHAELIS, Georg, Die sogenannten « comédies espagnoles » des Thomas Corneille, Thèse, Erlangen, 1913.
REYNIER, Gustave, Thomas Corneille. Sa vie, son œuvre, Paris, Hachette, 1892.
STERNBERG, Véronique, « L’œuvre comique des frères Corneille de l’Âge classique aux Lumières », XVIIe siècle, nº 225, octobre 2004, p. 645-656.